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Full text of "Revue d'histoire de la guerre mondiale"

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REVUE   D'HISTOIRE 

DE   LA 

GUERRE     MONDIALE 


/ 


Publications  de  la  "  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre 


PREMIÈRE   ANNÉE.     1923 


Revue  d'Histoire 

de   la 

Guerre  Mondiale 

PARAISSANT   TOUS    LES  TROIS  MOIS 


t'V^« 


PARIS 

ANCIENNE     LIBRAIKIE     SCHLEICHEP. 

ALFRED    COSTES,    ÉDITEUR 

8,  RUE  MONSIEUR-LE-PRINCE,  8 


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TABLE    DES  MATIÈRES  <'' 

DE    LA   PREMIÈRE  ANNÉE 

{Numéros  i ,  2  et  3) 


ARTICLES  DE  FOND 

Appuhn  (Charles).  —  Le  gouvernement  allemand  et  la  paix 

en  1917. 

I.  L'offre  de  médiation  pontificale 3 

CoGNiET  (André).  —  Les  bombardements  de  la  côte  anglaise 

par  la  flotte  allemande 193 

Desbrière  (Ed.).  —  Le  corps  expéditionnaire  anglais  en 

1914     23 

La  genèse  du  plan  XVII 97 

DuMÉRiL  (Ed.).  —  La  Constitution  de  Weimar  et  les  livres 

scolaires  allemands  226 

Michel  (Paul-Henri).  —  La  pensée  politique  de  Gabriele 

d'Annunzio 119 


DOCUMENTS 

Daniloff  (Général).  —  La  mobilisation  en  Russie  en  1914 
(lettre  au  Président  de  la  Société  de  l'histoire  de  la 
guerre) 259 

DoBROROLSKY  (Général). — La  mobilisation  russeen  1914.53        144 


BIBLIOGRAPHIE 

Notices. 

Les  revues  liistoriques  en  Russie  soviétiste  (VF.  Lerat). ...  70 

L'histoire  de  la  guerre  et  les  archives  locales  (M.  Lhéritier) .  166 
Les  origines  de  la  guerre  :  nouveaux  périodiques  (P.  Re- 

nouvin)     267 

(1)  Cette  table  doit  être  reliée  à  la  suite  du  n»  3  de  l'année  1923. 


 


^  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE  [ 

Compte  rendus. 

Assolant.  —  L'œuvre  de  la  marine  française  dans  la  défense 

du  canal  de  Suez  (G.  Girard) 79 

Baker.  —  Wilson  and  World  seulement  (G.  Calmette) 178 

Churchill.  —  The  world  crisis.  I.  (E.  Desbrière) 274 

Conséquences  (Les)  de  la  guerre  (R.  V.) 277 

DouiN.  —  Les  opérations  militaires  sur  le  canal  de  Suez 

(G.   Girard) 79 

Galll  —  La  défense  et  la  victoire  de  Reims  (R.  V.) 275 

Gw'ATKiN  Williams.  —  Under  the  black  enseign  (Ed.  D.)  278 
Hanotaux.  —  La  bataille  de  la  Marne  (Général  Legrand- 

Girarde)      73 

Kahn.  —  Le  plan  de  campagne  allemand  en  1914  et  son 

exécution    (P.   Renouvin)    269 

Lemke.  —  250  Dnéi  v  tsarskoi  Stavkié  (W.  Lerat) 271 

Lietzmann.  —  Auf  verlorenen  Posten    (E.  Desbrière) ....  278 

Lyon.  —  The  path  to  peace  (F.  Debyser) 171 

Normand.  —  La  défense  de  Liège,  Xamur  et  Anvers  en  1914 

(R.  V.) 268 

Perreau.  —  Victoire  chère  et  paix  de  dupes  (J?.  V.) 278 

Pierrefeu.  —  Plutarque  a  menti  (J.  Isaac) 168 

Pribram.  —  Les  traités  politiques  secrets  de  l'Autrichc- 

Hongrie  (P.  R.) 81 

Service  with  fighting  men.  An  account  of  the  work  of  the 

american  Y.  M.  C.  A.  in  the  world  war  (E.  Desbrière).  174 

Un  livre  Noir.  —  Diplomatie  d'avant  guerre  (P.  R.) 174 


Dépouillement  des  revues. 

Les  Revues  du  Trimestre 82,  179  279 

CHRONIQUE 

Les   groupements   consacrés   aux   études   d'histoire   de   la 

guerre      91 

L'enseignement  de  l'histoire  de  la  guerre   à  la  Sorbonne. .  94 

Les  travaux  de  la  Société  d'histoire  moderne 94 

Le  congrès  de  Bruxelles 94 

La  documentation  de  guerre  en  Belgique 188 

Les  publications  de  la  dotation  Carnegie 189 

L'assemblée  générale  de  la  Société  de  l'histoire  de  la  guerre .  286 

Les  faits  et  les  controverses 186  285 


POITIERS'  —   l« 


Revue  d'Histoire 

de  la 

Guerre  Mondiale 


Le  Gouvernement  allemand  et  la  paix. 


L'offre  de  médiation  pontificale  (1917) 


Plusieurs  auteurs  allemands,  Erzberger,  MM.  Hans  Del- 
brûck  et  Scheidemann,  pour  ne  citer  que  ceux-là,  ont  sou- 
tenu qu'il  était  possible  au  gouvernement  du  Reich  de  con- 
clure en  1917  une  paix  très  acceptable  ;  Bethmann-Hollweg 
lui-même  paraît  assez  enclin  à  l'admettre.  Sans  doute  cette 
paix  n'eût  pas  répondu  aux  désirs  ambitieux  des  pangerma- 
nistes  et  du  haut  commandement,  mais,  dans  leur  pensée,  elle 
n'eût  pas  imposé  à  l'Allemagne  de  sacrifices  douloureux. 
C'eût  été,  pour  reprendre  une  formule  connue,  «  la  paix  sans 
annexions  ni  indemnité  »,  et,  aux  yeux  d'un  Allemand  comme 
M.  Delbrûck,  une  paix  qui  eût  conservé  au  Reich  ses  limites 
de  1914,  qui  n'eût  pas  fait  peser  sur  lui  le  fardeau  des  répa- 
rations, qui  lui  eût  restitué  la  plus  grande  partie  sinon  la 
totalité  de  ses  colonies,  n'eût  contenu  aucune  clause  de 
nature  à  contrarier  son  développement  économique,  eût 
été  avantageuse  non  seulement  par  comparaison  avec  la 
paix  de  Versailles,  mais  même  en  soi  et  absolument.  Outre 
qu'en  1917  la  force  de  l'Allemagne  apparaissait  très  grande, 
la  coalition  de  ses  ennemis  n'ayant  pu  l'abattre,  elle  restait 
formidablement  armée  et  conservait  intact  son  outillage  ; 
ses  régions  industrielles  n'avaient  pas  souffert  de  la  guerre  ; 
elle  fût  devenue  en  quelques  années  de  paix  ce  qu'elle  était 


2  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

OU  tendait  à  être  avant  la  guerre  :  la  première  puissance 
du  monde  dans  l'ordre  économique  et  dans  l'ordre  politique. 

Rien  d'étonnant  dès  lors  à  ce  que  M.  Delbriick  juge  bien 
coupables  les  hommes  qui  n'ont  pas  su  ou  pas  voulu  faire 
la  paix  alors  que  l'occasion  s'en  offrait.  Ces  hommes,  quels 
sont-ils  ?  L'empereur  Guillaume,  impulsif  et  changeant  ; 
le  chancelier  Michaelis,  dépourvu  de  toute  autorité  person- 
nelle, docile  aux  injonctions  de  l'état-major  ;  le  ministre 
von  Kiihlmann,  caractère  peu  ferme,  diplomate  retors 
mais  trop  hésitant;  les  chefs  de  l'armée  enfin,  Ludendorff 
au  tout  premier  rang,  présomptueux  et  malavisé. 

Pour  ne  rien  dire  de  Guillaume  lui-même  qui  s'est  mis 
en  quelque  sorte  hors  de  cause  par  la  publication  de  son  livre 
Ereignisse  und  Gestalien,  —  les  mémoires  d'un  homme  mêlé 
aux  plus  grands  événements  et  croyant  les  diriger,  mais 
à  peu  près  incapable,  semble-t-il,  d'y  rien  comprendre,  —  il 
va  de  soi  que  Ludendorff,  son  second  le  colonel  Bauer,  le  chan- 
celier Michaelis,  M.  von  Kiihlmann  enfin,  par  la  plume  de 
son  confident  Nowak,  repoussent  ses  accusations  :  ils  ont 
fait  tout  ce  qu'ils  ont  pu  et,  s'ils  n'ont  pas  conclu  la  paix 
en  1917,  c'est  que  la  paix,  à  cette  date,  une  paix  sans  sacri- 
fices, n'était  pas  possible  (i). 

Nous  ne  prétendons  pas,  dans  le  présent  travail,  apporter 
une  réponse  définitive  à  la  question  pendante.  Nous  ne  savons 
pas  en  effet  si  les  Alliés,  si  la  France  en  particulier,  eussent 
accepté  la  paix  sans  la  victoire  ;  c'est  assez  peu  probable. 
Notre  seul  but  est  de  définir,  aussi  exactement  qu'il  se  pourra, 
l'attitude  du  gouvernement  allemand  pendant  l'été  de  1917. 
Nous  nous  proposons  de  montrer  que  cette  attitude  a  manqué 
de  netteté  ;  que  les  hommes  au  pouvoir  ont  été  constamment 
partagés  entre  le  désir  de  conclure  une  paix  reconnue  néces- 
saire et  la  crainte  de  faire  à  l'ennemi  des  concessions  qui  ne 
fussent  pas  indispensables  ;  qu'étant  donné  cet  état  d'esprit, 
leurs  velléités  d'un  moment  devaient  fatalement  demeurer 
sans  résultats,  si  réel  et  si  fort  qu'ait  pu  être  dans  le  camp 
adverse  le  courant  d'opinion  favorable  à  une  paix  de  conci- 
hation. 

(i)  Le  docteur  Helfferich  {Der  Weltkrieg,  t.  III)  va  plus  loin  :  d'après 
cet  auteur,  si  là  paix  ne  s'est  pas  faite  en  1917,  la  faute  en  est,  non  du  tout 
au  chancelier  Michaelis  ou  au  général  Ludendorff,  mais  à  Erzberger.  Nous 
verrons  plus  loin  ce  qu'il  faut  penser  de  cette  thèse. 


LE   GOUVERNEMENT   ALLEMAND   ET   LA   PAIX 


Il  convient  de  résumer  d'abord  en  quelques  traits  la  situa- 
tion de  l'Allemagne  vers  la  fin  de  juin  1917. 

Militairement  elle  pouvait  encore  se  dire,  sinon  se  croire, 
victorieuse.  Elle  détenait  à  l'Est  de  vastes  territoires  conquis 
sur  la  Russie,  la  plus  grande  partie  de  la  Roumanie,  toute  la 
Serbie  ;  il  ne  paraissait  pas  que  les  Russes  fussent  très  long- 
temps en  mesure  de  se  maintenir  en  Galicie  et  en  Bukovine. 
Sur  le  front  occidental,  l'Allemagne  avait  dû,  à  la  vérité, 
ramener  ses  troupes  à  quelques  kilomètres  en  arrière  des 
positions  qu'elles  occupaient  au  commencement  de  l'année  ; 
toutefois  la  Belgique  presque  entière  et  une  large  bande 
du  territoire  français  demeuraient  en  son  pouvoir.  Elle  dis- 
posait encore  de  quelques  réserves,  bien  qu'à  cet  égard  elle 
eût  de  justes  motifs  d'inquiétude  ;  son  matériel  de  guerre, 
malgré  les  grèves  et  la  rareté  de  certaines  matières  premières, 
ne  cessait  de  s'accroître. 

De  nombreux  symptômes  de  lassitude  et  de  décourage- 
ment s'observaient  dans  l'armée  russe,  surtout  depuis  la 
révolution,  bien  que  numériquement  elle  pût  paraître 
encore  redoutable,  La  grande  offensive  franco-anglaise  du 
mois  d'avril  avait  à  peu  près  complètement  échoué  ;  le  moral 
de  l'armée  française  semblait  sérieusement  atteint  par  cet 
échec,  l'opinion  anglaise  trahissait  du  mécontentement  et 
parfois  de  la  méfiance  à  l'égard  des  chefs.  Les  contingents 
américains  n'arrivaient  encore  que  par  petits  paquets,  et 
des  doutes  étaient  permis  sur  la  valeur  militaire  de  ces  troupes 
inexpérimentées.  La  guerre  sous-marine  sans  limitation  enfin, 
si  elle  n'avait  pas  eu  l'effet  prompt  et  décisif  promis  par  les 
«  bourreurs  de  crânes  »,  si  elle  n'avait  pas  en  trois  mois 
«  mis  l'Angleterre  à  genoux  »,  avait  porté  à  cette  puissance 
des  coups  singulièrement  rudes  et,  peut-être,  fortement 
refroidi  le  désir  du  peuple  anglais  de  continuer  la  guerre 
jusqu'à  la  victoire.  L'appel  solennel  par  lequel,  le  2  mai,  le 
roi  George  invitait  ses  sujets  à  ménager  les  vivres,  à  ménager 
la  farine,  certaines  phrases  du  discours  prononcé  le  29  juin 
à  Glasgow  par  M.  Lloyd  George  pouvaient  passer  pour  des 
manifestations  d'inquiétude.  Il  ne  manquait  ni  en  Angleterre 
ni  en  France   d'hommes   politiques  très  enclins  à  chercher 


4  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

avec  l'ennemi  un  accommodement,  et  le  «  défaitisme  » 
exerçait  son  action  malfaisante  sur  l'opinion  pubKque 
dans  tous  les  pays  de  l'Entente. 

A  d'autres  égards,  la  situation  du  Reich  était  beaucoup 
moins  brillante.  Le  peuple  allemand  était  visiblement  très  las 
de  la  guerre,  très  las  des  victoires  sans  résultat  ;  les  souffrances 
causées  par  le  blocus,  la  rareté  des  vivres  devenaient  de  moins 
en  moins  supportables.  Surtout  depuis  la  révolution  russe, 
un  esprit  nouveau  se  répandait  dans  les  masses  ;  on  l'avait 
bien  vu  au  cours  de  la  grève  à  laquelle,  au  mois  d'avril, 
àBerlin,  avaientpris  part,  d'aprèsM.  Scheidemann,  125.000 ou- 
vriers des  usines  de  munitions  réclamant  la  paix,  du  fain, 
une  constitution  démocratique  (i).  Plus  exigeants  encore 
s'étaient  montrés  les  grévistes  de  Leipzig,  et  le  chancelier 
Bethmann-Hollweg  avait  entendu  de  la  bouche  des  députés 
socialistes,  Ebert  et  Scheidemann,  cette  parole  grave  :  la 
cause  de  cette  manifestation  est,  à  la  lettre,  la  faim  (2).  Il 
déclare  lui-même  dans  son  livre  (3)  :  «  le  haut  commandement 
pouvait  bien  tenter  d'enflammer  la  population  en  faisant 
miroiter  à  ses  yeux  des  buts  de  guerre  grandioses.  Ce  n'était 
ni  la  promesse  de  la  côte  flamande,  ni  celle  des  provinces 
baltiques,  qui  pouvaient  rassasier  un  peuple  affamé,  alors  que 
s'évanouissaient  les  espoirs  fondés  sur  la  guerre  sous-marine. 
On  risquait  au  contraire  de  le  pousser  au  désespoir.  » 

Plus  terrible  encore  la  situation  de  l'Autriche  :  le  rapport 
adressé  au  souverain  par  le  comte  Czemin,  le  12  avril  1917, 
et  transmis  à  l'empereur  Guillaume  le  14,  contenait  ces 
paroles  inquiétantes  :  «  Votre  Majesté  m'a  donné  mission  de 
faire  savoir  aux  hommes  d'État  de  l'empire  allemand  que 
nous  sommes  à  bout  de  forces  et  que  l'Allemagne  n'a  plus 
à  compter  sur  nous  à  dater  de  la  fin  de  l'été  (4).  » 

Aussi  le  chancelier  Bethmann-Hollweg  désirait-il  très 
sincèrement  qu'une  voie  s'ouvrît  aux  négociations.  Sans 
être  un  homme  d'État  de  grande  envergure,  il  ne  manquait 
pas  de  bon  sens  et  voyait  très  clairement  que  «  le  temps  tra- 
vaillait pour  l'Entente  »,  surtout  depuis  l'entrée  des  États- 
Unis  dans  la  guerre  ;  il  comprenait  à  merveille  quel  intérêt 

(0  ScHEiDEMAN'N,  Z)er  Zw5ammen6rwc/2,  p.  64. 

(2)  Ibid.,  p.  63. 

(3)  Betrachtungen  i^um  Weltkriege,  II,  p.  210. 

(4)  CzEBNiN, /m   Weltkriege,  p.  2o3. 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX       5 

suprême  avait  l'Allemagne  à  faire  la  paix,  sinon  en  puissance 
victorieuse,  du  moins  avant  d'avoir  été  vaincue.  Il  savait 
aussi  que  la  première  condition  à  remplir  était  l'évacuation 
par  les  troupes  allemandes  et  la  pleine  restauration  de  la 
Belgique  ;  cela  pour  lui  «  allait  de  soi  (i)  ».  Il  savait  enfin  que 
la  France,  avant  de  déposer  les  armes,  exigerait  la  rétrocession 
au  moins  pcirtielle  de  l'Alsace-Lorraine,  et,  dit-il,  «  la  situation 
générale  ne  permettait  pas  l'intransigeance  sur  ce  point  (2)  ». 
Depuis  un  an  déjà,  il  en  avait  ou  croyait  en  avoir  l'assurance, 
l'empereur  était  disposé  en  principe  à  rendre  à  la  France 
quelques  districts-frontières,  en  cas  que,  par  cette  concession, 
il  pût  acheter  la  paix,  et  le  kronprinz,  en  1917,  faisait  plus 
que  partager  cette  manière  de  voir. 

Indépendamment  des  négociations  engagées  par  l'inter- 
médiaire du  prince  Sixte,  négociations  dont  l'initiative  appar- 
tenait à  l'Autriche  et  dont  le  détail  n'a  été  connu  que  plus 
tard  en  Allemagne,  il  y  avait  eu  de  divers  côtés  quelques 
efforts  timides  pour  entrer  en  pourparlers  avec  la  France 
et  l'Angleterre  quand,  le  26  juin,  le  nonce  apostolique  Pacelli 
vint  à  Berlin  porteur  d'un  message  du  pape  Benoît  XV  pour 
l'empereur  Guillaume.  Bien  qu'il  n'y  eût  pas  de  relations 
diplomatiques  officielles  et  régulières  entre  le  gouvernement 
du  Reich  et  le  Saint-Siège,  il  importe  de  noter  que  des  inter- 
médiaires officieux  avaient  depuis  longtemps  essayé  de  relier 
par  quelques  fils  plus  ou  moins  secrets  le  Vatican  et  la 
Wilhelmstrasse.  Le  plus  important  de  ces  intermédiaires 
semble  bien  avoir  été  Erzberger,  le  véritable  chef  du  parti 
catholique  allemand.  Nous  le  voyons  dès  le  mois  d'avril  1915 
entretenir  le  chancelier  Bethmann-Hollweg  et  le  ministre 
des  affaires  étrangères  Jagow  de  l'intention  qu'avait  le 
pape  de  faire  une  démarche  préparatoire  en  vue  de  la  paix. 
Dans  ces  entretiens,  l'on  convint  que  la  meilleure  voie  à 
suivre  était  l'envoi  par  le  pape  d'une  lettre  personnelle 
aux  chefs  des  États  belligérants  ;  et  Erzberger  reçut  mission 
d'informer  le  Vatican  que  si  l'empereur  recevait  une  lettre 
du  Saint-Père,  il  s'empresserait  de  répondre  que  l'Allemagne 
était  prête  à  négocier  (3). 

En  juin  1916,  Erzberger  est  prié  de  communiquer  offixieu- 

(1)  Bethmann-Hollweg,  Betrachtungen  !{um  Weltkriege,  U,  p.  209. 

(2)  Bethman.n-Hollweg,  oiivr.  cité,  p.  209. 

(3)  Erzberger,  Erlebnisse  im   Weltkrieg,  p-270. 


6  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

sèment  au  Saint-Siège  que  le  gouvernement  allemand  verrait 
avec  plaisir  une  intervention  du  pape  en  faveur  de  la  paix 
et  lui  en  serait  reconnaissant  (i). 

Au  mois  de  novembre  1916,  nouveaux  pourparlers  ;  un  peu 
plus  tard,  lotsque  l'Allemagne,  le  12  décembre,  fait  son  «  offre 
de  paix  »,  le  texte  de  cette  offre  est,  sur  le  conseil  d'Erzberger, 
envoyé  au  pape,  «  qui  a  saisi  toute  occasion  d'agir  dans  l'in- 
térêt de  l'humanité  pour  mettre  fin  à  un  conflit  sanglant  », 
dans  l'espoir  «  que  l'initiative  des  quatre  puissances  (Alle- 
magne, Autriche,  Turquie,  Bulgarie)  trouverait  auprès  de 
Sa  Sainteté  un  écho  bienveillant  et  que  dans  l'œuvre  de 
paix  elles  pourraient  compter  sur  l'appui  du  Siège  apos- 
tolique (2)  ».  A  la  suite  de  cette  démarche,  il  y  eut,  par  l'entre- 
mise de  la  nonciature  de  Vienne,  échange  de  dépêches 
entre  le  gouvernement  du  Reich  et  le  cardinal  secrétaire 
d'État  Gasparri  (3).  Nous  savons  enfin  par  le  Père  Leiber, 
de  la  Compagnie  de  Jésus,  que  le  cardinal  Gasparri  adressait 
le  7  mars  1917  une  lettre  au  cardinal  Hartmann,  archevêque 
de  Breslau,  sur  la  position  prise  par  le  pape  à  l'égard  de  l'offre 
de  paix  des  puissances  centrales  (4). 

Il  ne  faut  pas  non  plus  perdre  de  vue  que  depuis  l'élection 
de  Benoît  XV,  le  parti  catholique  allemand,  d'accord  avec 
le  gouvernement,  cherchait  à  gagner  le  Saint-Siège  à  la  cause 
de  l'Allemagne,  à  s'assurer  au  moins  sa  neutralité  bienveil- 
lante ;  des  tentatives  avaient  été  faites  pour  que,  lors  du  règle- 
ment à  intervenir  entre  les  belligérants,  il  fût  possible  au 
pape  de  poser  devant  les  puissances  assemblées  la  question 
romaine  et  d'en  Her  la  solution  à  celle  des  autres  problèmes 
qu'elles  auraient  à  résoudre.  Des  projets  de  rétablissement 
du  pouvoir  temporel  avaient  été  élaborés  (5)  ;  l'un  d'eux,  très 
détaillé,  était  l'œuvre  personnelle  d'Erzberger  et  avait  obtenu 
l'agrément  tant   du  gouvernement   allemand   que   de  l'Au- 

(i)  Erzberger,  ouvr.  cité,  p.  271. 

(2)  Ibid.,  p.  272. 

(3)  Ibid.,  p.  273. 

(4)  Stimmen  der  Zeiî,  janvier  1921. 

(5)  Pour  le  détail  de  ces  projets,  voir  Erzberger,  £"v/eènme  im  Weltkrieg, 
chap.  XI  :  Die  rômische  Frage.  II  convient  de  rappeler  ici  que  par  l'ar- 
ticle XV  du  traité  secret  de  igiô  qui  liait  à  l'Italie  la  France,  l'Angleterre 
et  la  Russie,  ces  trois  pays  s'engageaient  à  appuyer  l'Italie  dans  son  désir 
de  n'admettre  aucune  démarche  diplomatique  du  Saint-Siège  en  vue  de  la 
paix,  non  plus  qu'aucune  intervention  du  pape  pour  le  règlement  des  ques- 
tions en  litige. 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX       ^ 

triche.  Erzberger  s'était  en  outre  ingénié  à  trouver  quelque 
moyen  d'assurer  au  pape  une  certaine  participation,  à  titre 
de  souverain  indépendant,  au  congrès  qui  mettrait  fin  aux 
hostilités.  C'est,  semble-t-il,  faire  une  conjecture  tout  à 
fait  vraisemblable  que  de  supposer  la  curie  romaine  au 
courant  de  tous  ces  projets    et  y  prenant    quelque  intérêt. 

Pour  compléter  l'histoire  des  négociations  qui  ont  précédé 
la  démarche  du  Saint-Siège,  il  faut  signaler  ici  le  voyage 
d'Erzberger  à  Vienne  au  mois  d'avril  1917.  Il  a  dit  lui-même 
à  l'assemblée  de  Weim^.r,  le  25  juillet  1919,  qu'il  y  avait 
été  envoyé  en  mission  par  le  gouvernement  du  Reich  ;  si, 
comme  l'en  ont  accusé  ses  adversaires,  il  a  en  cela  outre- 
passé la  vérité  (i),  encore  est-il  certain  que  le  chancelier  et 
le  ministre  des  affaires  étrangères  (c'était  alors  M.  Zimmer- 
mann)  ont  eu  connaissance  de  ce  voyage,  l'ont  approuvé 
et  facilité.  A  Vienne,  Erzberger  a  conféré  avec  Czernin,  a 
été  reçu  en  audience  par  l'empereur  Charles,  qui  lui  a  donné 
connaissance  du  rapport  si  grave  présenté  par  Czernin  quel- 
ques jours  avant  (2).  A  dater  de  ce  moment,  Erzberger  peut 
être  considéré  comme  définitivement  acquis  à  la  cause  de 
la  paix  la  plus  prochaine  et  comme  soutenant  en  Allemagne 
la  politique  de  conciliation  qui  était  celle  de  l'Autriche  (3). 

Un  peu  après  son  voyage  à  Vienne,  Erzberger  se  rend  en 
Suisse,  s'y  rencontre  à  Lucerne  avec  le  prince  de  Biilow, 
prend  contact  à  Olten  avec  les  membres  dirigeants  de 
l'«  Union  catholique  internationale  »  récemment  constituée. 
Tout  aussitôt,  dans  certains  journaux  catholiques  de  langue 
allemande,  on  commence  à  parler  de  la  paix  ;  dès  le  17  mai, 
la  Bayerische  Staatszeitung,  organe  du  comte  Hertling,  chef 
du  gouvernement  bavarois,  se  prononce  pour  une  paix  sans 

(i)  C'est  ce  que  ditM.de  Wedel,  alors  ambassadeur  d'.\llemagne  à  Vienne, 
dans  un  article  des  Hamburger  Nachrichten,  23  juin  191 9. 

(2)  On  a  beaucoup  reproché  à  Erzberger  d'avoir  divulgué  le  rapport  dont  il 
reconnaît  avoir  fait  usage  dans  une  réunion  d'hommes  politiques  apparte- 
nant comme  lui  au  Centre,  réunion  qui  s'est  tenue  à  Francfort  à  la  lin  de 
juillet.  Si  l'empereur  Charles  le  lui  avait  communiqué  (sous  la  condition  de 
ne  pas  révéler  de  qui  il  le  tenait),  c'était  apparemment  pour  qu'il  s'en 
servît. 

(3)  Les  ennemis  d'Erzberger,  l'ambassadeur  von  Wedel  (article  précité), 
M.  de  Graefe  à  l'Assemblée  de  Weimar,  le  docteur  Helfferich  enfin,  l'ont 
accusé  de  s'être  laissé  corrompre  par  le  gouvernement  autrichien;  nous  ne 
chercherons  pas  à  éclaircir  ce  point  de  détail.  Il  est  fort  admissible,  bornons- 
nous  à  cette  observation,  qu'Erzberger  ait  cru  en  toute  sincérité  servir  la 
cause  de  l'Allemagne  en  adoptant  le  point  de  vue  autrichien. 


8  HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 

annexions  (i),  et,  à  partir  du  i^r  juin,  il  est  souvent  fait 
allusion  dans  la  presse  catholique  à  une  médiation  du  pape. 
Déjà  le  5  mai,  le  pape  avait  adressé  au  cardinal  Gasparri 
une  lettre,  reproduite  le  6  dans  l'Osservaiore  romano  (2), 
où  il  annonçait  en  quelque  sorte  l'intention  d'intervenir. 
A  la  fin  du  mois,  l'archevêque  Pacelli,  prenant  possession  de 
son  poste  de  nonce  à  Miinich,  prononçait  un  discours  con- 
tenant ces  phrases  :  «  Il  n'a  jamais  paru  aussi  clairement 
qu'en  cette  heure  de  cruels  soucis,  combien  il  est  nécessaire 
de  reconstruire  la  société  humaine  sur  le  fondement  assuré 
de  la  sagesse  chrétienne  ;  et  que  seul  le  droit  public  chrétien 
peut  servir  de  base  à  une  paix  juste  et  durable.  La  mission 
de  travailler  à  cette  œuvre  de  pacification  a  été  confiée  à 
mes  faibles  forces  à  un  moment  peut-être  unique  de  l'histoire. 
Avec  le  bienveillant  concours  de  Votre  Majesté  (le  roi  de 
Bavière)  auquel  se  joindra  certainement  la  puissante  colla- 
boration du  gouvernement  royal,  j'espère  que  les  sages  et 
généreux  efforts  du  pape,  mon  auguste  Seigneur,  atteindront 
leur  but  (3).  » 

Ce  discours  du  nonce  à  son  entrée  en  fonctions  peut  être 
considéré  comme  préparant  l'entretien  fort  important  qu'il 
eut  le  26  juin  avec  le  chancelier  Bethmann-Holweg  (4). 
L'envoyé  du  Saint-Siège  fit  ressortir  l'intérêt  qu'il  y  aurait 
à  ce  que  le  pape  fût  pleinement  renseigné  sur  les  intentions 
de  l'Allemagne  afin  de  pouvoir,  le  moment  venu,  agir  avec 
sûreté  en  vue  de  la  paix.  «  Encouragé,  dit  Bethmann-Hollweg, 
par  mon  approbation,  le  nonce  me  posa  une  série  de  questions 
précises  sur  nos  buts  de  guerre  et  nos  conditions  de  paix. 
A  la  façon  dont  se  succédèrent  ces  questions,  j'eus  l'impres- 
sion, qui  se  confirma  plus  tard,  qu'il  ne  s'agissait  pas  d'une 
conversation  n'engageant  à  rien  sur  les  possibilités  de  paix, 
mais  que  le  nonce  s'acquittait  auprès  de  moi  d'une  mission 

(1)  Après  \ai  publication  de  l'article  toutefois,  le  comte  Hertling  déclara 
n'en  pas  vouloir  assumer  la  responsabilité. 

(2)  Une  traduction  de   cette  lettre  a  paru  le   27  mai  dans  la  Germania,  le 
grand  journal  catholique  allemand.  On  la  trouvera  dans  l'opuscule  intitulé 
Papst,Kurie  und  Weltkrieg,  historisch-kritische Studie  von  einem  Deutschen. 

(3)  D'après  le  texte  donné  parla  Germania,  3  juin   1917. 

(4)  Bethmann-Hollweg  a  raconté  cet  entretien:  i-  dans  un  article  de  la 
Deutsche  Allgemeine  Zeitung,  29  février  1920,  article  reproduit  dans  Lu- 
DENDORFF,  Urkutiden  der  Obersten  Heeresleitung,  p.  419  ;  2*  dans  \esBetra- 
chtungen  ^um  Weltkriege,  II,  p.  210.  Les  deux  récits  ne  différent  pas  sen- 
siblement. 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX       9 

bien  définie.  Comme,  d'autre  part,  la  situation  générale, 
telle  que  je  la  voyais,  n'excluait  nullement  toute  possibilité 
de  négociations,  je  fus  convaincu  que,  par  des  réponses  aussi 
précises  que  possible  aux  questions  posées,  je  pouvais  établir 
les  bases  sur  lesquelles  on  traiterait  de  la  paix  et  que  cette 
paix,  l'Angleterre  et  ses  alliés  l'accepteraient  (i).  » 

Dans  ses  réponses,  Bethmann-Hollweg  vise  trois  points 
principaux  : 

1°  Limitation  des  armements.  —  L'Allemagne  l'accepte  en 
principe,  pourvu  qu'elle  soit  commune  à  toutes  les  puissances. 

20  Indépendance  de  la  Belgique.  —  L'Allemagne  est  prête 
à  la  restaurer,  mais  n'admettra  pas  que  la  Belgique  tombe 
dans  la  dépendance  politique,  militaire  et  financière  de  l'An- 
gleterre et  de  la  France. 

30  Alsace-Lorraine.  —  Si  la  France  est  disposée  à  s'entendre 
avec  l'Allemagne,  ce  n'est  pas  l' Alsace-Lorraine  qui  sera 
un  obstacle  insurmontable.  L'Allemagne  consentira  à  faire 
certaines  concessions  en  échange  de  certaines  autres.  Des 
rectifications  de  frontière  peuvent  être  envisagées. 

Après  son  entretien  avec  le  chancelier,  le  nonce  se  rendit 
au  G.  Q.  G.  où  il  fut  reçu  par  Guillaume  le  29  juin  ; 
l'entrevue  a  été  racontée  par  Guillaume  lui-même  dans 
Ereignisse  und  Gestalten,  chapitre  xi  ;  son  récit,  assez  amu- 
sant, concorde  à  peu  près  avec  le  compte  rendu  donné  par 
M.  Scheidemann  dans  la  brochure  Papst,  Kaiser  und  Sozial- 
demokratie  in  ihren  Friedensbemûhungen  im  Sommer  1917. 
Ce  qui  en  ressort  le  plus  clairement,  c'est  que  Guillaume 
désire  très  fort  une  intervention  du  pape  en  faveur  de  la 
paix  et  fait  valoir  pour  l'obtenir  trois  arguments  principaux  : 

lo  Le  Saint-Siège  ne  peut,  par  cette  intervention,  que 
gagner  en  importance  politique.  Une  occasion  superbe 
s'offre  à  lui  de  soumettre  au  monde  et  de  régler  de  façon 
satisfaisante  son  Htige  avec  l'ItaHe  pendant  depuis  un  demi- 
siècle. 

2°  Ce  que  l'ÉgHse  romaine  ne  ferait  pas,  une  autre  orga- 
nisation internationale  pourrait  le  faire.  Déjà  il  y  a  eu  le 
Congrès  de  Stockholm  ;  un  peu  partout,  les  sociaHstes 
multiplient  leurs  efforts  pour  amener  la  cessation  des  hos- 
tilités. Or  il  serait  désastreux  pour  Rome  qu'une  organisa- 
tion internationale  à  visées  révolutionnaires  rendît  à  l'huma- 

(i)  Bethmann-Hollweg,   Belrachtungen  \um    Weltkriege,  II,  p.  211,  212. 


10  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

nité  un  service  que  le  chef  de  l'Église  aurait  refusé  de  lui 
rendre. 

3°  Nul  plus  que  le  Souverain  Pontife,  vicaire  de  Jésus- 
Christ,  n'est  qualifié  pour  restaurer  la  paix  parmi  les  hommes. 
Alors  même  qu'il  y  aurait  péril  à  intervenir,  le  pape  se  doit 
à  lui-même,  doit  à  son  divin  maître,  de  braver  ce  péril. 

L'entretien  du  nonce  avec  Bethmann-Hollweg  avait  eu 
un  tour  sérieux  (i).  Avec  ce  personnage  de  théâtre  qu'est 
Guillaume  II,  l'entrevue  tourne  à  la  comédie.  Le  contraste 
est  plaisant,  entre  l'enflure  impériale  et  les  propos  prudents 
du  vicaire  qui  accompagne  monsignore  PaceUi,  paraît 
craindre  que  son  chef  ne  s'engage  trop,  redoute  une  explo- 
sion de  colère  de  la  populace  romaine  et  ne  cesse  de  s'exclamer  : 
La  Piazza  !  La  Piazza  !  Sans  nous  arrêter  à  ce  côté  du  sujet, 
observons  que  Bethmann-Hollweg  ne  pouvait  manquer 
de  se  poser  et  s'est  posé  en  effet  des  questions  graves.  Le 
nonce,  représentant  officiel  du  Saint-Père,  n'avait-il  pas 
reçu  des  puissances  ennemies  mission  de  pressentir  l'Alle- 
magne ?  Fallait-il  voir  dans  sa  démarche  une  sorte  de  pre- 
mière ouverture  faite  indirectement  par  l'Entente  ?  A  défaut 
d'un  accord  défini,  n'y  avait-il  pas  eu  du  moins  échange  de 
vues  entre  le  Vatican  et  le  gouvernement  soit  de  la  Grande- 
Bretagne,  soit  de  la  France  ?  Il  semblait  naturel  d'admettre, 
dit  Bethmann-Hollweg,  qu'une  diplomatie  aussi  prudente 
et  avisée  que  la  diplomatie  pontificale,  avant  de  rien  tenter 
du  côté  allemand,  avait  dû  s'assurer  que  dans  le  camp  adverse 
existait  le  désir  de  traiter  à  des  conditions  acceptables  pour 
l'Allemagne.  Toutefois  le  chancelier  se  garde  de  rien  affirmer, 
et  le  Père  Leiber,  dans  l'article  ci-dessus  cité,  observe  la 
même  prudence.  Autant  qu'on  en  peut  juger  d'après  les 
documents  pubhés  jusqu'ici,  le  Saint-Siège  agissait  sans 
accord  préalable  avec  aucune  des  puissances  de  l'Entente, 
bien  qu'il  eût  évidemment  cherché  à  se  renseigner  sur  l'état 
des  esprits  en  France  et  en  Angleterre.  Parmi  les  États  belli- 
gérants, le  seul  qui  ait  pu  savoir  d'avance  et  même  soUiciter 
la  démarche  du  pape  est  l'Autriche  (2). 

(i)  D'après  Bethmann-Hollweg,  le  langage  qu'il  tint  au  nonce  parut  lui 
plaire  et  Helfferich  dit  tenir  du  nonce  lui-même  qu'il  en  fut  très  satisfait 
{Der  Weltkrieg,  t.  III,  p.   147). 

(2)  Il  paraît  assez  vraisemblable  que  la  visite  du  nonce  PaceUi  et  l'envoi 
par  le  pape  d'une  lettre  à  l'empereur  Guillaume  aient  été  sollicités  par  le 
gouvernement  autrichien  après  l'échec  des  tentatives  faites  pour  négocier 


LE   GOUVERNEMENT  ALLEMAND   ET  LA   PAIX  II 


II 

La  visite  du  nonce  à  Berlin,  ses  entretiens  avec  le  chan- 
celier et  l'empereur  ont  eu  pour  suite  à  un  mois  de  distance 
la  note  du  i^r  août  par  laquelle  le  pape,  s 'adressant  aux  chefs 
des  États  belligérants,  traçait  à  grands  traits  un  tableau 
de  ce  que  pourrait  être  la  paix.  Toutefois  plusieurs  événe- 
ments graves  s'intercalent  entre  le  29  juin  et  le  i^^  août  et, 
avant  d'en  venir  à  la  note  du  pape,  il  nous  faut  examiner 
ces  faits  et  en  mesurer  la  portée.  Nous  voulons  parler  de 
la  démission  de  Bethmann-Hollweg  remplacé  par  Michaelis, 
de  la  résolution  de  paix  votée  par  le  Reichstag,  enfin  des 
succès  remportés  par  les  armes  allemandes  et  autrichiennes 
contre  les  Russes. 

Sans  entrer  ici  dans  aucun  détail,  il  importe  de  noter  : 

jo  Que  le  départ  de  Bethmann-Hollweg  a  été  demandé, 
voire  exigé  par  le  haut  commandement  (i). 

2°  Que  loin  de  soutenir  le  chancelier,  le  parti  du  Centre 
et,  en  particuher,  Erzberger  l'ont  combattu  (2). 

avec  la  France  et  l'Angleterre  par  l'intermédiaire  du  prince  de  Parme.  Lo- 
DzsDOKTF  (Urkiinden  der  Obersten  Heeresleitwig,  p.  418)  fait  observer  que 
dans  un  discours  prononcé  le  11  décembre  1918,  Czernin  présente  la  réso- 
lution votée  par  le  Reichstag,  le  19  juillet,  comme  une  réponse  à  la  démarche 
du  Saint-Pére,  et,  d'autre  part,  prétend  avoir  poussé  Erzberger  à  proposer 
au  Reichstag,  le  vote  de  cette  résolution.  C'est  pourquoi  Ludendorft,  d'accord 
en  cela  avec  plusieurs  journalistes  français,  considère  l'action  du  Saint-Siège 
comme  une  manœuvre  concertée  avec  l'Autriche.  Le  sénateur  américain 
Sherman,  dans  un  discours  du  10  juin  igig.a  nettement  affirmé  que  la  note 
papale  du  i"  août,  dont  nous  allons  avoir  à  nous  occuper,  fut  rédigée  à 
l'instigation  de  l'Autriche.  Le  cardinal  Gasparri  a  protesté,  sans  donner  d'au- 
tres preuves  que  le  texte  même  de  la  note  où  il  est  dit  que  le  pape  ne  vise 
aucun  but  politique  et  agit  dans  l'intérêt  non  d'une  puissance  mais  de 
toute  l'humanité.  L'intérêt  de  l'humanité  ne  pouvait-il,  aux  yeux  du  pape, 
s'accorder  pleinement  avec  celui  de  TAutriche  et  celui  aussi  de  la  papauté? 

(i)  Le  12  jurllet,  le  maréchal  Hindenburg  et  le  général  Ludendorfl^  adres- 
saient à  l'empereur  des  lettres  par  lesquelles  ils  déclaraient  se  démettre  de 
leur  commandement  en  cas  que  Bethmann-Hollweg  restât  au  pouvoir. 

(2)  Le  12  juillet  également,  le  parti  du  Centre  déclare  que  le  maintien  du 
chancelier  Bethmann-Hollweg,  au  pouvoir  quand  la  guerre  avait  éclaté,  est 
de  nature  à  rendre  plus  difficile  le  rétablissement  de  la  paix.  C'est  en 
grande  partie  sur  cette  déclaration  que  se  fonde  HelfTerich  pour  accuser 
Erzberger  d'avoir,  par  ses  louches  manœuvres,  empêché  l'ouverture  des  né- 
gociations en  1917.  Bethmann-Holhveg,  dit-il,  inspirait  confiance  et  il  in- 
voque à  ce  propos  le  témoignage  de  M.  Gérard,  ex-ambassadeur  des  Etats- 
Unis  à  Berlin  :  It  would  hâve  been  easier  for  Germany  to  make  peace  with 
von  Bethmann-Hollweg  at  the  helm.  The  whole  world  knows  him  and  ho- 
nours  him  for  his  honesty.  Mais  Helfferich  oublie  ou  feint  d'oublier  l'hos- 


12  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

30  Qu'après  le  départ  de  Bethmann-Hollweg,  l'intention 
première  de  l'empereur  fut  de  confier  le  poste  de  chancelier 
au  comte  Hertling,  et  que  ce  dernier  refusa,  parce  qu'il  ne  se 
sentait  pas  de  force  à  mener  le  combat  contre  le  haut  com- 
mandement, c'est-à-dire  contre  Ludendorff  (i). 

40  Que  le  docteur  Michaelis,  désigné  après  le  refus  de  Hert- 
ling,  semble  avoir  été  choisi  en  raison  même  de  ce  qu'on 
pourrait  appeler  sa  neutralité  :  personnage  de  second  plan, 
témoin  et  non  acteur  jusque-là  du  drame  européen,  il  avait 
pour  mission  de  trouver  quelque  accommodement  entre  la 
majorité  du  Reichstag  résignée  à  une  paix  de  statu  guo  et 
l 'État-major  qui  ne  voulait  pas  renoncer  à  tout  accroissement 
de  territoire. 

50  Que  la  «  résolution  de  paix  sans  annexions  »  votée  par 
le  Reichstag  le  19  juillet,  sur  l'initiative  du  parti  catholique, 
malgré  son  accord  apparent  avec  la  politique  du  chancelier 
démissionnaire,  ne  pouvait  guère  servir  efficacement  la  cause 
de  la  paix.  Les  ennemis  de  l'Allemagne  devaient  y  voir  ou 
bien  une  manœuvre  trompeuse  ou  bien  un  aveu  de  faiblesse; 
et  à  l'intérieur  c'était  la  fin  de  l'^  union  sacrée  »  (Burgjrieden). 
Le  commentaire  dont  Michaelis  accompagna  le  vote  n'était 
pas  de  nature  à  inspirer  confiance.  Que  dit-il  en  effet  ? 
Après  avoir  parlé  des  frontières  du  Reich  dont  la  sécurité 
devait  être  assurée  à  perpétuité  (fur  aile  Zeit  sichergestellt), 
d'une  paix  de  concihation  et  de  compromis  (Ausgleich) 
excluant  toute  guerre  économique  future,  il  ajoute  :  Ces 
buts  de  guerre,  il  est  possible  de  les  atteindre  dans  le  cadre 
de  votre  résolution  telle  que  je  l'interprète  (wie  ich  sie 
auffasse).  Comment  la  comprenait-il  ?  La  suite  de  cette 
étude  le  montrera.  Il  suffît  pour  le  moment  de  signaler  la 
prudence  de  ce  langage  :  nous  somimes  prêts  à  faire  une 
paix  sans  annexion,  mais  nous  voulons  assurer  à  jamais 
la  sécurité  de  nos  frontières  ;  nous  sommes  tout  disposés  à 
nous  montrer  conciliants,  mais  si  nous  renonçons  à  quelque 
chose  que  nous  tenons  déjà  ou  espérons  prendre,  il  nous 
faut   des   compensations  ;   j'approuve   les   termes   de   votre 


tilité  déclarée  du  haut  commandement  contre  ce  même  Bethmann-Hollweg  et 
la  paix  de  renoncement  dont  il  était  partisan.  Helflerich  lui-même  eùt-il, 
en  1917,  accepté  les  conditions  auxquelles  la  paix  semblait  possible? 

(1)  D'après  le   livre  publié  par  le  capitaine  de  cavalerie,  comte  Hertling, 
fils  du  chancelier:  Ein  Jahr  in  der  Reichskkam^lei,  p.   12,  i3. 


LE   GOUVERNEMENT   ALLEMAND   ET   LA   PAIX  I3 

résolution,  mais  je  me  réserve  de  les  interpréter  à  ma  façon  (i). 
Il  était  évident  que  non  seulement  les  conditions  acceptées 
ou  offertes  par  l'Allemagne  ainsi  représentées  dépendraient 
de  la  situation  militaire  et  des  espérances  qu'elle  paraîtrait 
justifier,  mais  qu'en  outre  la  marche  des  négociations  serait 
hésitante  et  tortueuse  :  le  chancelier  éviterait  le  plus  possible 
de  s'engager,  reprendrait  d'une  main  ce  qu'il  donnerait  de 
l'autre  et  verrait  venir  les  adversaires  plutôt  qu'il  n'irait 
au-devant  d'eux. 

Il  faut  ajouter  que,  militairement,  le  mois  de  juillet  fut 
marqué  par  des  succès  qui  ne  pouvaient  manquer  d'ap- 
porter une  force  nouvelle  au  parti  de  la  guerre  et  qu'au  cours 
de  son  voyage  au  front  oriental  oii  il  assista  aux  combats 
victorieux  livrés  par  ses  troupes  sur  le  Sereth,  l'empereur 
Guillaume  se  rencontra  près  de  Cracovie  avec  l'empereur 
Charles  ;  il  est  permis  de  croire  que  le  souverain  allemand 
ne  négligea  rien  pour  fortifier  le  moral  de  son  allié  et  lui  donna 
dès  ce  moment  l'assurance  d'un  secours  efficace  contre  l'Italie; 
peut-être  fut-il  déjà  question  entre  eux  de  l'offensive  vigou- 
reuse qui,  au  mois  d'octobre,  devait  aboutir  pour  l'Itahe  au 
désastre  de  Caporetto. 

En  provoquant  enfin  dans  les  rangs  du  parti  conservateur 
et  militaire  un  mouvement  d'indignation,  le  vote  du  Reichstag 
avait  déterminé  un  raffermissement  au  moins  momentané 
de  l'opinion  et  plusieurs,  parmi  ceux-là  mêmes  qui  avaient 
voté  la  résolution,  ont  paru  ensuite  disposés  à  se  rétracter, 
ou  du  moins  à  se  réserver,  à  l'exemple  du  chancelier  Michaelis, 
une  très  grande  liberté  d'interprétation  (2). 

Si  le  pape  Benoît  XV,  dit  le  Père  Leiber  (3),  crut  devoir, 
en  dépit  des  circonstances  peu  favorables,  rédiger  le  i^'"  août 
la  note  aux  chefs  des  États  belligérants,  c'est  qu'il  ne  voulait 
rien  négliger  de  ce  qui  pouvait  servir  la  cause  de  la  paix, 
mais  il  était  sans  illusion^  sur  le  succès  réservé  à  sa  tentative. 

(i)  Dès  le  21  juillet,  fêtant  au  Queenshall  l'indépendance  de  la  Belgique, 
Lloyd  George,  dans  un  grand  discours,  montrait  sans  peine  ce  que  ce  lan- 
gage avait  d'équivoque. 

(2)  Il  y  a  lieu  de  signaler  ici  la  formation  d'un  parti  de  la  patrie  hostile 
à  toute  paix  de  renoncement.  L'assemblée  constitutive  se  tient,  dans  la  ville 
prussienne  par  excellence  de  K.ônigsberg,  le  2  septembre,  jour  anniversaire 
de  Sedan,  mais  elle  fut  l'aboutissement  d'un  travail  de  propagande  com- 
mencé depuis  plusieurs  semaines  et  où  se  distingua  M.  Kapp,  futur  auteur 
du  «  putsch  »  militaire  de  1920. 

(3)  Article  cité. 


14  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Peut-être  le  Père  Leiber  exagère-t-il  un  peu  ;  dans  le  courant 
du  mois  d'août  la  curie  romaine  paraît  avoir  eu  à  tout  le 
moins  un  moment  d'espoir.  Les  négociations  entre  le  Saint-Siège 
et  le  gouvernement  du  Reich  s'étaient  d'ailleurs  poursuivies 
pendant  le  mois  de  juillet.  D'après  Erzberger  (i),  le  nonce 
Pacelli  aurait  même  fait  un  nouveau  voyage  à  Berlin  et  eu, 
à  la  date  du  24  juillet,  un  entretien  avec  le  chancelier  Mi- 
chaelis,  récemment  entré  en  fonctions.  A  tout  le  moins  une 
note  sur  les  conditions  de  la  paix  fut-elle  remise  par  le  nonce 
au  gouvernement  allemand  peu  de  jours  après  le  vote  du 
Reichstag  et  cette  note  donna  lieu  à  une  correspondance 
assez  active  entre  le  ministère  des  Affaires  étrangères  et  le 
représentant  du  Saint-Siège  (2).  Ainsi  préparée  l'intervention 
désirée  par  Guillaume  et  sollicitée  selon  toute  vraisem- 
blance par  l'Autriche  se  produisit  à  peu  près  dans  la  forme 
que  faisait  prévoir  l'entretien  du  nonce  Pacelli  avecBethmann- 
Hollweg. 

Après  avoir  célébré  les  mérites  peu   contestables  d'une 


(i)  Erlebnisse  in  Weltkriege,  p.  294. 

(2)  Sur  le  contenu  de  la  note  et  la  correspondance  qui  suivit  nous  som 
mes  renseignés  par  la  brochure  de  Scheidemann  :  Papst.  Kaiser  und  Social- 
demokratie  in  ihren  Friedensbemû'nungen  im  Sommer  igij-  Dans  la  note 
sept  points  étaient  visés  :  r  liberté  des  iiiers  ;  2°  limitation  des  armements; 
3°  institution  d'un  tribunal  d'arbitrage  ;  4»  Belgique  ;  5°  intérêts  économiques  ; 
6°  frontières  italo-autrichienne  et  franco-allemande  ;  7°  Pologne,  Serbie,  etc. 
Au  sujet  du  plus  important  de  ces  sept  points,  le  quatrième,  la  note  du 
Vatican  disait  :  «L'Angleterre  rend  à  l'Allemagne  les  colonies  allemandes.  En 
échange  l'Allemagne  évacue  :  a)  le  territoire  français  actuellement  occupé  ; 
b)  la  Belgique  dans  toute  son  étendue.  La  pleine  indépendance  militaire, 
ï)olitique,  économique,  de  la  Belgique  tant  vis-à-vis  de  l'Allemagne  que  vis- 
à-vis  de  l'Angleterre  et  de  la  France  devra  être  assurée  par  des  garanties 
appropriées  à  établir  de  concert.  »  Là-dessus  ie  sous-secrétaire  d'État  aux 
Affaires  étrangères,  Zimmermann,  aurait  fait  le  24  juillet  Tobservation  sui- 
vante :  «  Il  n'est  point  parlé  de  la  restitution  de  toutes  les  colonies  alle- 
mandes. De  plus  la  concession  demandée  à  l'Allemagne  même  au  cas  que 
toutes  ses  colonies  lui  soient  restituées,  n'est  pas  en  rapport  avec  celle  de 
l'ennemi.  Il  nous  faudrait  en  effet,  en  ce  qui  concerne  la  Belgique,  stipuler 
des  garanties  pour  nous  et  non  pour  la  Belgique.  » 

Le  23  juillet  M.  von  Bergen,  directeur  au  ministère  des  Affaires  étrangères, 
déclare  au  chancelier  qu'il  a  remercié  le  représentant  du  pape  de  la  dé- 
marche faite  par  le  Saint-Siège  et  annoncé  l'envoi,  après  examen  approfondi, 
d'une  réponse  aux  questions  posées  dans  la  note.  Cette  réponse  lardant  à 
vârir,  le  nonce  télégraphie  le  4  août  qu'il  a  reçu  du  cardinal  secrétaire 
d'État  mission  de  venir  à  Berlin  pour  poursuivre  oralement  l'entretien.  Le 
même  jour,  il  est  prié  télégraphiquement  de  ne  pas  se  déranger,  et  on  lui 
fait  espérer  que  la  réponse  attendue  lui  sera  envovée  au  bout  d'une  se- 
maine. 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX      15 

paix  juste  et  durable,  le  pape  parlait,  pour  l'avenir,  d'un 
désarmement  partiel  et  du  recours  à  l'arbitrage  pour  régler 
les  différends  d'État  à  État.  Quant  au  présent  et  pour  mettre 
fin  à  la  guerre,  il  préconisait  en  premier  lieu  le  renoncement 
des  puissances  à  toute  indemnité  ou  réparation,  l'évacuation 
de  la  Belgique  et  la  reconnaissance  de  sa  souveraineté  pleine 
et  entière,  la  restitution  à  l'Allemagne  de  ses  colonies  ;  pour 
les  territoires  contestés  entre  la  France  et  l'Allemagne 
d'une  part,  l'Italie  et  l'Autriche  de  l'autre,  il  concevait  la 
possibilité  d'un  arrangement  amiable.  Au  total,  les  conditions 
de  paix  proposées  par  le  pape  ne  différaient  guère  de  celles 
qui  paraissaient  avoir  obtenu  l'agrément  du  Reichstag  le 
19  juillet.  C'est  pourquoi  on  a,  dans  les  pays  de  l'Entente, 
été  enclin  à  considérer  le  Saint-Siège  comme  ayant  agi  sinon 
à  l'instigation  de  l'Allemagne,  du  m.oins  de  concert  avec  elle, 
ce  qui  n'est  pas  \Tai  à  la  lettre,  la  réponse  à  la  note  prépa- 
ratoire du  24  juillet  n'étant  pas  encore  arrivée  au  Vatican 
le  i^''  août  (i),  mais  n'est  pas  non  plus  entièrement  faux. 

Il  convient,  avant  d'examiner  l'accueil  fait  par  l'Allemagne 
à  la  note  du  pape,  de  signaler  l'échange  de  lettres  et  de 
télégrammes  dont  elle  fut  l'occasion  entre  le  gouverne- 
ment de  la  Grande-Bretagne  et  son  représentant  auprès  du 
Saint-Siège,  le  comte  de  Salis  (2). 

Le  9  août  (3),  le  comte  de  Sahs  transmettait  au  Foreign 

(t)  Voir  p.  14. 

(2)  Pour  toute  cette  partie  de  notre  travail  nous  nous  appuyons  sur  le 
fascicule  des  Papers  presented  to  Parliament  by  Command  of  His  Majesty 
[aUSisBlue  Book]  qui  porte  comme  titre  spécial:  The  Peace  proposais  made 
by  His  Iloliness  the  Pape  to  the  belligerent  powers  in  Augiist  igij  and 
Correspondence  relative  thereto.  Ce  fascicule  a  été  publié  en  1919  et  porte 
le  n*  261. 

(3)  On  peut  se  demander  pourquoi  la  note  du  pape  étant  rédigée  le 
i"  août,  on  a  attendu  plus  d'une  semaine  pour  la  porter  à  la  connaissance 
du  gouvernement  britannique  et  de  ses  alliés.  Nous  croyons  trouver  dans 
les  documents  cités  et  en  partie  reproduits  par  M.  Scheidemann  [lac.  cit.) 
l'esplication  de  ce  retard. 

Le  Saint-Siège  désirait  pouvoir  annoncera  l'Entente  que  l'Allemagne  était 
prête  à  restituer  à  la  Belgique  son  territoire  et  à  reconnaître  son  indépen- 
dance. Il  attendait  donc  très  impatiemment  une  réponse  du  gouvernement 
allemand  aux  conditions  proposées  par  le  nonce  dans  sa  note  du  24  juillet. 
Or  le  4  août  cette  réponse  n'était  pas  encore  arrivée,  et  le  cardinal  Gasparri 
avait  chargé  Pacelli  d'aller  la  chercher  à  Berlin  ;  mais  de  Berlin  on  demande 
un  nouveau  délai  d'une  semaine.  Le  5  le  nonce  télégraphie  au  chancelier  : 
«  Veuillez  me  faire  savoir  sans  retard  si  vous  avez  quelque  objection  à  pré- 
senter aux  principales  propositions  du  Saint-Siège.  »  L'urgence  était  d'autant 
plus  grande  qu'une  conférence  des  chefs  des  gouvernements  alliés  (MM.  Lloyd 


l6  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Office,  en  même  temps  que  la  note  papale,  une  lettre  d'envoi 
du  cardinal  Gasparri  au  roi  George  ;  dans  cette  lettre,  le  car- 
dinal demandait  au  souverain  britannique  de  vouloir  bien 
communiquer  la  note  au  président  de  la  République  fran- 
çaise, au  roi  d'Italie,  au  président  des  Etats-Unis,  ainsi  qu'à 
d'autres  chefs  d'État  alliés. 

Le  21,  télégramme  de  M.  Balfour  au  comte  de  Salis  :  une 
note  sur  papier  sans  en-tête  (i)  contenant  une  version  fran- 
çaise de  ce  télégramme  fut  remise,  le  23  semble-t-il  (2),  par 

George,  Ribot,  Sonnino,  etc.)  allait  s'ouvrir  à  Londres.  Il  ne  paraît  pas 
qu'aucune  réponse  ait  été  envoyée  de  Berlin  avant  le  8,  mais  le  8  M.  von 
Bergen  télégraphie  au  nonce  :  «  Nous  demandons  d'attendre,  avant  toute 
démarche  nouvelle,  d'avoir  reçu  notre  réponse.  J'espère  pouvoir  samedi  pro- 
chain (le  II)  m'entretenir  avec  Votre  Excellence  à  Munich.  »  Le  représen- 
tant du  Saint-Sièj^e  répond  télégraphiquement  :  *  Il  est  maintenant  douteux 
que  nous  obtenions  le  résultat  souhaité,  car,  d'après  les  journaux,  la  confé- 
rence des  ministres  de  l'Entente  s'est  réunie  le  7  à  Londres.  »  En  même 
temps  il  avise  évidemment  du  retard  le  cardinal  Gasparri  qui  se  décide  le 
9  à  communiquer  officiellement  la  note  papale  au  gouvernement  britanni- 
que avant  d'avoir  reçu  la  déclaration  nette  qu'il  attendait  de  l'Allemagne. 
Peut-être  espérait-il  que  cette  déclaration  serait  faite  le  1 1  ou  le  12  alors 
que  sa  lettre  au  roi  George,  envoyée  par  la  poste,  ne  serait  pas  encore  par- 
venue à  destination.  Du  moins  comptait-il  pouvoir  la  produire  quand  le 
représentant  de  la  Grande-Bretagne  auprès  du  Vatican  viendrait  s'entretenir 
avec  lui. 

(1)  On  a  prétendu  en  France,  et  aussi  en  Italie,  que  le  comte  de  Salis 
avait  remis  au  cardinal  Gasparri  la  lettre  même  de  M.  Balfour,  après  avoir 
pris  soin  de  couper  l'en-tête  avec  des  ciseaux  qui,  par  une  heureuse  coïn- 
cidence, se  seraient  trouvés  sur  la  table  du  cardinal.  L'absurdité  de  ce  récit 
est  flagrante  :  le  comte  de  Salis  avait  reçu  de  Londres  un  télégramme  chif- 
fré rédigé  en  anglais;  il  adonné  au  cardinal  une  note  en  français  repro- 
duisant les  instructions  venues  de  Londres.  Le  seul  détail  dont  on  puisse 
admettre  l'exactitude  est  que  le  papier  sur  lequel  M.  de  Salis  avait  d'avance 
rédigé  la  note  ne  portait  pas  d'en-tête  (cf.  Spahn,  Die  pàpsiliche  Vermitt- 
lung,  p.   loi). 

(2)  La  date  du  23  est  celle  qui  ressort  des  documents  anglais  que  nous 
avons  sous  les  yeux.  Mais  n'y  a-t-il  eu,  avant  le  23,  aucune  communication 
verbale  faite  par  le  comte  de  Salis  au  cardinal  Gasparri  ?  Il  parait  naturel 
d'admettre  que  le  gouvernement  anglais,  ayant  reçu  le  i3  les  propositions  du 
pape,  n'a  pas  attendu  jusqu'au  21  pour  donner  à  tout  le  moins  un  avis  de 
réception.  Or  .M.  Scheidemann  (loc.  cit.,  p.  17)  reproduit  le  texte  d'un  télé- 
gramme expédié  le  22  par  Michaelis  à  M.  von  Wedel,  ambassadeur  d'Alle- 
magne à  Vienne,  et  ainsi  conçu:  «  D'après  une  communication  confiden- 
tielle du  cardinal  Gasparri,  transmise  par  le  représentant  du  Saint-Siège, 
le  ministre  anglais  auprès  du  Saint-Siège  aurait  déclaré  :  le  roi  d'Angleterre 
a  fait  aux  propositions  de  paix  du  Saint-Père  un  accueil  qui  témoigne  de 
sa  sincère  admiration  pour  les  sentiments  élevés  et  bienveillants  qui  les 
ont  inspirées.  Le  gouvernement  anglais  les  examinera  avec  le  plus  grand 
soin  et  la  plus  sérieuse  attention.  » 

C'est  là  évidemment  une  réponse  toute  de  convenance  diplomatique  et 
fort  peu  compromettante  que  le  comte  de  Salis  a  pu  transmettre  au  Vatican 


LE    GOUVERNEMENT   ALLEMAND   ET   LA    PAIX  I7 

le  comte  de  Salis  au  cardinal  Gasparri.  Nous  croyons  devoir, 
en  raison  de  son  importance,  reproduire  intégralement  ce 
document  : 

«  Nous  n'avons  pas  encore  eu  l'occasion  de  consulter  nos 
Alliés  au  sujet  de  la  note  de  Sa  Sainteté,  et  nous  ne  sommes 
pas  à  même  de  nous  prononcer  au  sujet  d'une  réponse  à 
donner  aux  propositions  de  Sa  Sainteté  quant  aux  conditions 
pouvant  assurer  une  paix  durable. 

«  A  notre  avis,  aucun  acheminement  vers  ce  but  n'est 
possible  tant  que  les  Puissances  centrales  et  leurs  Alliés 
n'auront  pas  déclaré  officiellement  les  fins  qu'ils  pour- 
suivent par  la  guerre,  ainsi  que  les  restaurations  et  répara- 
tions qu'ils  sont  prêts  à  faire,  et  les  moyens  qui  pourraient 
garantir  désormais  le  monde  contre  le  renouvellement  des 
horreurs  dont  il  souffre  actuellement.  Même  pour  ce  qui 
concerne  la  Belgique  —  et  dans  ce  cas  ces  Puissances  ont 
reconnu  elles-mêmes  être  dans  leur  tort,  —  nous  n'avons 
jamais  eu  connaissance  d'une  déclaration  précise  de  leurs 
intentions  de  rétablir  sa  complète  indépendance  et  de  réparer 
les  dommages  qu'elles  lui  ont  fait  subir. 

«  Son  Éminence  n'aura  sans  doute  pas  perdu  de  vue  les 
déclarations  faites  par  les  Alliés  en  réponse  à  la  note  du  pré- 
sident Wilson.  Ni  de  l'Autriche,  ni  de  l'Allemagne,  il  n'y  a 
jamais  eu  de  déclaration  équivalente.  Un  essai  de  mettre 
d'accord  les  belligérants  paraîtrait  inutile  jusqu'à  ce  que 
nous  connaissions  clairement  leurs  points  de  divergence  (i).  » 

Quand  le  comte  de  Sahs  eut  communiqué  cette  note  au 
cardinal  Gasparri,  Son  Éminence  crut  pouvoir  répliquer 
que  l'Allemagne  avait  déjà  annoncé  l'intention  de  restituer 
à  la  Belgique  son  territoire  et  de  reconnaître  son  indépen- 


avant  d'avoir  reçu  les  instructions  qui  lui  étaient  nécessaires  pour  engager 
une  conversation  sérieuse.  On  observera  que  Michaelis  continue  en  ces 
termes  :  «  A  mon  avis  nous  devons  nous  efforcer  de  faire  retomber  tout 
l'odieux  de  l'échec  éventuel  de  la  tentative  sur  nos  ennemis  et  de  les  mettre 
dans  leur  tort,  comme  ce  fut  !e  cas  au  mois  de  décembre  quand  nous  offrîmes 
la  paix.  Je  me  propose  donc  de  conduire  cette  affaire  d'une  façon  assez  ûfz- 
/afofre,  d'attendre,  avant  d'envoyer  notre  réponse  définitive,  qu'une  connais- 
sance exacte  des  dispositions  [ennemies]  nous  permette  de  prendre  une  po- 
sition conforme  à  nos  intérêts,  etc.  » 

(i)  Ce  document  est  donné  en  français  par  Michaelis,  Fur  Staat  imd  Volk, 
p.  343.  Si  l'on  en  compare  le  texte  au  texte  anglais  reproduit  dans  le  Blue 
Book,  on  constate  qu'il  n'y  a  aucune  diff"érence  quant  au  sens  du  message. 
Seul  l'ordre  des  mots  et  des  phrases  n'est  pas  rigoureusement  le  même. 

2 


l8  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

dance,  et,  comme  le  comte  de  Salis  le  contestait,  le  cardinal 
invoqua  la  résolution  votée  le  19  juillet  par  le  Reichstag 
en  faveur  d'une  paix  sans  annexion  (i).  «  Le  Reichstag  ne 
gouverne  pas  l'Allemagne,  fit  observer  avec  grande  raison  le 
comte  de  Salis,  et  nous  ne  possédons  aucun  texte  authen- 
tique de  la  résolution  du  Reichstag.  » 

La  France  cependant  ne  pouvait  évidemment  pas  se  désin- 
téresser des  conversations  qui  s'engageaient  entre  le  gouver- 
nement anglais  et  le  Saint-Siège  :  l'entente,  sinon  l'unité  de 
front,  était  nécessaire  sur  le  terrain  diplomatique  aussi  bien 
que  sur  les  champs  de  bataille. 

Le  gouvernement  français,  qui  avait  à  Rome,  sinon  auprès 
du  Saint-Siège,  un  représentant,  eut,  sans  aucun  retard, 
connaissance  des  instructions  envoyées  le  21  au  comte  de 
Salis,  et,  le  22,  M.  de  Fleuriau,  chargé  d'affaires  de  France 
à  Londres,  allait  trouver  lord  Robert  Cecil  ;  il  était  chargé 
par  M.  Ribot  d'exprimer  le  regret  qu'éprouvait  le  gouverne- 
ment français  de  n'avoir  pas  ,  été  consulté  avant  l'envoi 
de  ces  instructions.  Il  ajouta  que  le  gouvernement  français 
désirait  fort  s'associer  à  la  démarche  faite  auprès  du  Saint- 
Siège  par  le  représentant  de  la  Grande-Bretagne.  Lord  Robert 
Cecil  télégraphia  donc  le  23  au  comte  de  Salis  :  «  Veuillez 
informer  le  cardinal  secrétaire  d'État  que  le  gouvernement 
français  m'a  fait  part  de  son  désir  d'être  associé  aux  vues 
contenues  dans  le  télégramme  de  M.  Balfour  du  21.  » 

C'est  ainsi  que  le  comte  de  Salis  put  avoir,  dès  le  24, 
avec  le  cardinal  Gasparri,  un  nouvel  entretien  où  il  lui  fit 
part  du  désir  manifesté  par  la  France.  Le  cardinal  pria  le 
représentant  de  l'Angleterre  de  transmettre  à  son  gouver- 
nement la  réponse  suivante  :  «  Le  secrétaire  d'Etat  se 
réserve  de  répondre  au  télégramme  [de  M,  Balfour]  après 
avoir  reçu  du  gouvernement  allemand  la  déclaration  offi- 
cielle qu'il  lui  a  demandée  concernant  la  Belgique.  » 

Le  comte  de  Salis  fait  suivre  ce  message  des  lignes  suivantes 
qu'il  faut  lire  avec  grand  soin  : 

«  Je  désirais  éviter  toute  déclaration  qui  aurait  pu  être 
prise  comme  un  encouragement  donné  à  une  discussion, 
de  quelque  sorte  qu'elle  fût,  avec  le  gouvernement  allemand, 

(1)  Cette  réponse  du  cardinal  Gasparri  montre  clairement  qu'il  n'avait  pas 
reçu  du  gouvernement  allemand  la  déclaration  si  instamment  réclamée  par 
le  nonce  Pacelli. 


LE   GOUVERNEMENT  ALLEMAND   ET   LA   PAIX  19 

et  cependant  je  ne  pensais  pas  pouvoir  opposer  d'objection 
directe  à  ce  mode  d'action;  — c'est  pourquoi,  comme  le  car- 
dinal me  demandait  ce  que  j'en  pensais,  je  répondis  qu'une 
déclaration  relative  à  la  Belgique  paraissait  désirable.  Tou- 
tefois Son  Éminence  devait  se  rappeler  que  ce  n'était  qu'un 
des  nombreux  points  en  litige  entre  les  Puissances  belli- 
gérantes ;  un  point  qui  avait  assurément  pour  nous  Anglais 
une  importance  toute  spéciale  (i).  » 

Quiconque  a  un  peu  l'habitude  de  lire  et  d'interpréter 
les  documents  du  genre  de  celui  que  nous  avons  ici  (un 
télégramme  chiffré  que  le  gouvernement  qui  le  publie  ne  repro- 
duit jamais  textuellement)  comprendra  quelle  a  été  l'attitude 
du  comte  de  Salis  et  en  reconnaîtra  la  loyauté  à  l'égard  de  la 
France.  Il  remplit  sa  mission,  qui  est  de  faire  comprendre  que, 
pour  l'Angleterre,  l'intégrité  territoriale  et  l'indépendance  de 
la  Belgique  est  de  beaucoup  ce  qui  importe  le  plus,  peut-être 
la  seule  condition  essentielle  ;  il  sait  que  le  Vatican  transmettra 
la  nouvelle  à  l'Allemagne  et  que  le  gouvernement  du  Reich 
sera  tenté  d'y  voir  une  ouverture  faite  par  l'Angleterre. 
Il  sait  aussi  que  la  France  ne  peut  se  contenter  à  si  bon 
marché.  En  conséquence,  il  ne  veut  point  paraître  encourager 
le  cardinal  Gasparri  à  engager  des  négociations,  et  il  ne  peut 
pas  non  plus  le  lui  interdire  (i). 

(0  Voici  le  texte  anglais  :  /  was  désirons  of  avoiding  any  staîement  which 
might  seem  to  give  encouragement  to  any  kind  of  discussions  with  the 
German  Government  —  a  course  to  which  however,  I  did  not  consider  1 
could  properly  offer  any  direct  objection  —  and  therefore,  on  his  enqui- 
ring  my  views.  I  replied  that  a  déclaration  on  the  question  of  Belgium 
appeared  to  be  désirable.  He  should  remember  that  this  point  was  only 
one  of  many  at  issue  between  the  belligerent  Powers;  it  was  however  one 
of  spécial  importance  to  us. 

(i)  Si  réservée  qu'ait  été  l'attitude  du  comte  de  Salis,  le  gouvernement 
français  ne  laissa  pas  de  s'émouvoir.  Le  26,  l'ambassade  de  France  à  Londres 
envoyait  au  Foreign  Office  une  note  à  ce  sujet  :  «  Mon  gouvernement 
s'était  associé  à  la  communication  faite  par  M.  de  Salis  au  Vatican  parce 
qu'elle  devait  être  verbale  et  qu'elle  avait  chance  de  rendre  inutile  une  ré- 
ponse plus  explicite.  Or  la  démarche  faite  a  comporté  la  remise  au  cardinal 
Gasparri  d'un  documentécrit  et  a  entraîné  une  discussion  au  sujet  du  sort  de 
la  Belgique.  Ce  n'est  pas  ce  que  nous  désirions,  et  il  est  à  craindre  que  nous 
soyons  entraînés  beaucoup  plus  loin  que  nous  ne  le  voudrions.  M.  Ribot 
me  prie  de  vous  faire  connaître  ses  appréhensions  et  de  vous  dire  qu'il^  ne 
saurait  se  laisser  conduire  dans  la  voie  où  le  Vatican  paraît  vouloir  l'en- 
traîner. Il  espère  que  le  gouvernement  britannique  partage  ses  appréhen- 
sions et  donnera  à  M.  de  Salis  des  instructions  en  vue  de  décourager  toute 
tentative  ultérieure  du  cardinal  secrétaire  d'État  tendant  à  une  intervention 
officieuse  entre  les  belligérants.  »  Lord   Robert  Cecil  adressa  aussitôt   au 


20  HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 

Le  Saint-Siège  se  trouvait  donc  en  possession  d'une  note 
exprimant  plus  ou  moins  complètement  la  manière  de  voir 
du  gouvernement  britannique  sur  les  conditions  auxquelles 
les  puissances  de  l'Entente  pourraient  entrer  en  pourparlers 
avec  les  puissances  centrales.  Et  d'après  les  termes  de  la 
communication  transmise  par  M.  de  Salis,  il  pouvait 
dire   que  la    manière   de    voir    de   l'Angleterre  était    aussi 

comte  de  Salis  un  nouveau  télégramme  répondant  à  la  fois  au  désir  de  la 
France  et,  autant  qu'on  en  peut  juger,  à  celui  du  comte  lui-même.  «  En  cas 
que  l'on  vous  demande  votre  opinion,  vous  devrez  vous  abstenir  d'en 
exprimer  aucune.  Il  n'est  pas  désirable  que  nous  intervenions  en  aucune 
façon  dans  les  négociations  entre  le  pape  et  le  gouvernement  alle- 
mand. » 

11  n'est  pas  de  notre  sujet  de  rechercher  si  le  cabinet  anglais  présidé  par 
M.  L'.oyd  George  a,  pendant  cet  été  de  19 17,  été  réellement  sur  le  point 
d'entrer  en  pourparlers  avec  l'Allemagne,  en  se  contentant  d'une  déclaration 
formelle  relative  à  la  Belgique.  Quelques  Allemands  (en  particulier  Erzber- 
ger)  et  aussi  quelques  Anglais  l'ont  affirmé.  Nous  ne  pouvons  que  citer 
ici  un  article  de  Léo  Maxse  paru  dans  la  National  Review  en  septembre 
1919  :  What  every  German  does  not  know.  Le  ton  de  cet  article,  qui  est  tout 
de  polémique,  et  de  polémique  violente,  ne  nous  permet  pas  d'y  voir  autre 
chose  qu'une  interprétation  propre  à  son  auteur,  et  sans  doute  abu<=ive,  des 
documents  publiés  par  le  gouvernement  anglais.  Tout  ce  que  l'on  peut  dire, 
à  notre  avis,  c'est  qu'il  eût  été  difficile  au  gouvernement  britannique  de  ré- 
sister au  courant  pacifique  déjà  fort  en  Angleterre,  si  l'Allemagne  avait  eu 
l'habileté  de  répondre  à  la  note  du  pape  comme  l'espérait  le  cardinal  Gas- 
parri. 

Nous  ajouterons  cependant  que  les  attaques  de  M.  Léo  Maxse  reposent 
au  moins  en  partie  sur  une  erreur  de  date.  Cet  auteur,  nous  ne  savons 
pourquoi,  prétend  que,  dès  le  i3  août,  un  représentant  du  Saint-Siège  com- 
muniquait à  lAllemagne  la  note  remise  par  le  comte  de  Salis  au  cardinal 
seulement  le  23  d'après  les  documents  officiels.  11  y  aurait  donc  eu  entre 
Londres  et  Rome  une  correspondance  secrète  non  publiée.  Mais  la 
lettre  du  nonce  Pacelli  à  Michaelis  (voir  plus  bas)  est  du  3o  août,  et 
il  n'y  a  en  conséquence  aucune  raison  d'admettre  un  échange  de  télé- 
grammes restés  secrets  entre  le  Foreign  Office  et  un  représentant  auprès  du 
Vatican. 

Observons  encore  que  M,  Léo  Maxse,  qui  attaque  violemment  le  cabinet 
Lloyd  George,  reconnaît  en  même  temps  la  correction  d'attitude  du  comte 
de  Salis.  Si  nous  insistons  sur  ce  point,  c'est  qu'à  un  certain  moment  il  a 
été  mis  en  cause.  Lorsque,  le  25  juillet  1919,  Erzberger  eut,  devant  l'Assem- 
blée constituante  de  Weimar,  fait  certaines  révélations  sur  les  possibilités 
de  paix  offertes  à  l'Allemagne  en  1917,  une  question  fut  posée  le  5  août  à 
la  Chambre  des  Communes  par  le  lieutenant-commender  Kennedy  au  sujet 
des  négociations  de  la  Grande-Bretagne  avec  le  Vatican.  Le  sous-secrétaire 
d'État  Harmsworth  répondit  en  annonçant  la  publication  prochaine  de  la 
correspondance  échangée  ;  c'est  à  cette  publication  que  nous  nous  sommes 
constamment  référés.  M.  Ribot,  en  France,  avait  dit  quelques  jours  avant  à 
un  rédacteur  du  Temps  (numéro  du  29  juillet  1919)  :  «  Leministrebritannique 
prit  sur  lui  de  laisser  une  note  au  cardinal  Gasparri.  »  Et  un  journal  pari- 
sien accusa,  injustement  croyons-nous,  le  comte  de  Salis  d'avoir  encouragé 
le  Saint-Siège  à  négocier. 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX      21 

celle  de  la  France.  Ainsi  s'explique  la  lettre  adressée  le  30  août 
par  le  nonce  Pacelli  au  chancelier  Michaelis  : 

«  Munich,  le  30  août  1917. 
«  Excellence, 

«  J'ai  le  grand  honneur  de  transmettre  ci-joint  à  Votre  Excel- 
lence la  copie  d'un  télégramme  qui  a  été  communiqué  à 
Son  Éminence  le  cardinal  secrétaire  d'État  par  Son  Excel- 
lence le  ministre  de  Sa  Majesté  le  roi  d'iVngleterre  auprès 
du  Saint-Siège  ;  le  gouvernement  français  s'associe  aux 
vues  contenues  dans  ce  télégramme. 

«  Son  Éminence  est  pleine  du  désir  de  poursuivre  efficace- 
ment ses  efforts  pour  parvenir  promptement  à  une  paix 
juste  et  durable,  efforts  auxquels  le  gouvernement  impé- 
rial s'est  montré  si  bien  disposé  à  faire  un  accueil  favorable. 
C'est  pourquoi  Son  Éminence  m'a  chargé  d'attirer  tout  par- 
ticulièrement l'attention  de  Votre  Excellence  sur  le  point 
qui  a  trait  à  la  Belgique,  et  d'obtenir  :  1°  une  déclaration 
précise  sur  les  desseins  du  gouvernement  impérial  tou- 
chant la  pleine  indépendance  de  la  Belgique  et  l'indemnité 
destinée  à  compenser  les  maux  qu'elle  a  soufferts;  2°  une  indi- 
cation également  précise  sur  les  garanties  d'indépendance 
politique,  économique  et  militaire  que  demande  l'Allemagne. 
Si  cette  déclaration  est  satisfaisante,  Son  Éminence  est 
d'avis  qu'un  pas  important  aura  été  fait  en  vue  d'un  déve- 
loppement ultérieur  des  négociations.  En  fait,  le  ministre 
ci-dessus  visé  de  Grande-Bretagne  a  déjà  averti  son  gou- 
vernement que  le  Saint-Siège  répondra  aux  communica- 
tions contenues  dans  le  télégramme  ci-joint,  sitôt  qu'il  aura 
reçu  par  mon  intermédiaire  la  réponse  du  gouvernement 
impérial. 

«  De  mon  côté,  qu'il  me  soit  permis  d'exprimer  encore  une 
fois  la  conviction  ferme  où  je  suis  que  Votre  Excellence, 
dont  l'entrée  dans  les  hautes  fonctions  qu'elle  occupe  a  si 
heureusement  coïncidé  avec  l'offre  d'une  auguste  médiation 
et  qui  a  fait  preuve  de  dispositions  si  favorables  à  cette 
œuvre  de  paix,  rendrait  à  sa  patrie  et  à  toute  l'humanité 
un  service  impérissable  si,  par  une  réponse  conciliante,  elle 
facilitait  la  poursuite  des  négociations. 

(i)  Nous  traduisons  cette  lettre  d'après  le  texte  donné  par  Michaelis,  Fur 
Staat  und  Volk,  p.  342. 


22  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

«  Dans  cette  attente,  il  m'est  très  agréable  d'exprimer,  etc.  » 
Cette  lettre  et  la  copie  de  la  note  remise  au  cardinal  Gas- 
parri  le  23  août  par  le  comte  de  Salis  parvinrent  à  Michaelis 
le  5  septembre.  Il  en  conféra  aussitôt  avec  le  ministre  des 
Affaires  étrangères  de  Prusse  M.  von  Kiihlmann,  et  le  résultat 
de  l'entretien  fut  qu'il  fallait  avant  tout  se  renseigner  par 
l'intermédiaire  d'un  neutre  autre  que  le  Saint-Siège  sur 
les  dispositions  réelles  du  gouvernement  britannique  (i) 
Le  ministre  d'Espagne  à  Bruxelles,  le  marquis  de  Villalobar, 
servit  de  truchement,  et  l'ambassadeur  de  Grande-Bretagne 
à  Madrid  apprit  un  jour  du  ministre  espagnol  des  affaires 
étrangères  qu'une  «  très  haute  personnalité  de  Berlin  »  avait 
exprimé  le  désir  d'engager  avec  l'Angleterre  des  négociations 
en  vue  de  la  paix.  Le  cabinet  anglais  mis  au  courant  avertit 
les  représentants  à  Londres  des  grandes  puissances  alliées 
et  répondit  :  «  Le  gouvernement  de  Sa  Majesté  est  dis- 
posé à  accueillir  toute  communication  qui  lui  serait  faite  par 
le  gouvernement  allemand  et  à  la  discuter  avec  les  Alliés  (2).  » 

Quand  cet  avis  parvint  au  chancelier  Michaelis  (proba- 
blement dans  le  courant  d'octobre),  la  réponse  officielle  du 
gouvernement  allemand  à  la  note  du  pape  et  la  réponse  du 
chancelier  à  la  lettre  particulière  du  nonce  Pacelli  étaient  déjà 
expédiées  depuis  quelque  temps:  l'offre  de  médiation  avait 
échoué  (3). 

Ch.  Appuhn. 


(i)  C'est  ce  que  dit  du  moins  Michaelis,  Fiir  Siaat .iind  Volk,  p.  844. 
D'après  Hermann  Millier  qui,  étant  en  191g  ministre  des  Aflaires  étrangères, 
a  pu  être  bien  renseigné,  l'appel  fait  au  concours  du  marquis  de  Villalobar, 
ministre  d'Espagne  à  Bruxelles,  est  antérieur  au  5  septembre.  V.  Verhand- 
lungen  dei-  verfassunggebenden  Deutschen  Nationalversammlung,  Bd.  828, 
p.  2009  B. 

(2)  Le  secret  des  ouvertures  allemandes  ne  fut  pas  gardé  longtemps.  Le 
chargé  d'affaires  de  Russie  à  Londres,  informé  comme  ses  collègues  des 
États  alliés,  instruisit  son  gouvernement,  et,  quelques  semaines  plus  tard, 
les  bolcheviks,  devenus  les  maîtres  en  Russie,  publièrent  sa  dépêche.  Cette 
publication  donna  lieu  à  une  question  posée  le  i3  décembre  par  M.  Pringle 
à  la  Chambre  des  Communes.  M.  Balfour  reproduisit  à  cette  occasion  la  ré- 
ponse faite  par  le  cabinet  anglais  à  la  communication  venue  d'Espagne. 

(3)  Un  prochain  numéro  de  la  Revue  donnera,  sous  le  titre  «  le  Conseil  de 
Bellevue  »,  l'étude  de  M.  Appuhn  sur  les  délibérations  du  gouvernement  alle- 
mand et  les  circonstances  de  cet  échec.  [N.  D.  L.  R.] 


Le  rôle  du  corps  expéditionnaire  britannique 
dans  les  opérations  de  l'été  1914. 


Une  des  questions  les  plus  intéressantes  et  aussi  les  plus 
délicates  de  l'histoire  jnilitaire  de  1914,  c'est  l'influence 
qu'ont  eue  sur  la  marche  d'ensemble  des  armées  alliées  les 
décisions  successives  du  maréchal  French  et  ses  rapports 
avec  le  haut  commandement  français.  Des  publications 
nouvelles  de  la  Section  historique  britannique  viennent 
d'apporter  sur  cette  question  des  renseignements  nouveaux, 
qu'il  a  été  possible  de  contrôler,  et  même  de  rectifier  quel- 
quefois par  certaines  informations  de  témoins  directs. 

La  Section  historique  britannique  a  publié  en  effet  sur  les 
opérations  du  corps  expéditionnaire  anglais  en  août  et  sep- 
tembre 1914  un  ouvrage  (i)  dont  l'intérêt  est  aussi  grand 
que  celui  des  deux  beaux  volumes  consacrés  par  le' 
grand  historien,  sir  Julian  Corbett,  aux  opérations  navales. 
Le  brigadier  général  Edmonds  a  utilisé,  avec  autant  de 
conscience  que  de  talent,  et  avec  une  méthode  excel- 
lente, toutes  les  sources  historiques  actuellement  acces- 
sibles. Disposant  de  tous  les  documents  officiels  britan- 
niques :  ordres,  rapports,  correspondances,  renseignements, 
il  les  a  très  heureusement  complétés,  contrôlés  et  recti- 
fiés par  de  très  nombreux  témoignages  privés.  Connaissant 
parfaitement  les  défauts  inhérents  à  une  relation  unilatérale, 
il  a  étudié  toute  la  littérature  militaire  allemande,  déjà  si 
riche,  et  a  su  en  tirer  de  précieuses  ressources,  grâce  au 
soin  et  à  la  compétence  avec  laquelle  il  l'a  critiquée.  Il  a 
su  aussi  se  servir  avec  discernement  des  trop  rares  ouvrages 


(i)  Miliiary  Opérations.  France  and  Belgium,  igi4  {août-octobre) 
(les  Opérations  militaires  en  France  et  en  Belgique  d'août  à  octobre  1914), 
ouvrage  publié  sous  la  direction  de  la  Section  historique  du  Comité  de  Dé- 
fense de  l'Empire  britannique,  par  le  brigadier  général  J.-E.  Edmonds, 
Londres,  Macmillan,  1922. 


24  HISTOIRE    DE   LA    GUERRE 

français  relatifs  aux  premières  opérations  de  la  guerre  pour 
ce  qui  concerne  les  rapports  entre  les  armées  alliées,  et, 
ainsi  informé,  il  a  fait  preuve  d'une  sincérité  et  d'une  impar- 
tialité qui  donnent  à  penser  qu'il  s'est  approché  de  la  vérité 
autant  que  le  permet  l'état  actuel  de  la  documentation. 


On  sait  que,  s'il  avait  été  décidé  d'un  commun  accord 
que  la  concentration  du  corps  expéditionnaire  britannique 
se  ferait  dans  la  région  Maubeuge-le-Cateau,  les  autorités 
militaires  britanniques  n'avaient  pas  participé  à  l'élabora- 
tion du  plan  de  campagne.  D'ailleurs,  celui-ci  avait  été  pro- 
fondément modifié  dès  l'apparition  des  Allemands  à  Liège. 
C'est  donc  seulement  dans  les  journées  des  15,  16  et  17  août, 
quand  le  maréchal  French,  précédant  ses  troupes,  eut  fait 
visite  au  ministre  de  la  Guerre  à  Paris,  au  général  Joffre  à 
Vitry,  au  général  Lanrezac  à  Rethel,  qu'il  put  savoir  ce 
qu'on  attendait  de  lui  et  de  son  armée.  Dès  que  celle-ci 
fut  débarquée,  dans  la  soirée  du  20  août,  le  maréchal 
French  donna  un  ordre  prévoyant  une  marche  de  trois  jours 
dans  la  direction  du  Nord,  de  façon  à  porter  l'armée  le  23 
sur  un  front  compris  entre  Binche  et  Lens,  et  orienté  vers 
le  Nord-Est.  Chose  curieuse,  cet  ordre  d'opérations  n^  5 
ne  contient  aucun  renseignement  ni  sur  l'ennemi,  ni  sur  les 
mouvements  des  armées  françaises.  Mais  au  cours  de  la 
progression  vers  la  Sambre,  l'armée  britannique  put,  surtout 
grâce  à  ses  avions,  recevoir  quelques  nouvelles  au  sujet  des 
progrès  de  l'invasion  de  la  Belgique  par  les  Allemands  et 
spécialement  celle  de  leur  entrée  à  Bruxelles.  On  connut 
dès  le  21  le  passage  à  Nivelle  de  grosses  masses  de  cavalerie, 
et,  le  22,  le  contact  était  pris  entre  les  patrouilles  dans  la 
région  de  Soignies,  puis  vers  Binche,  où  la  5^  brigade  de 
cavalerie  britannique  avait  remplacé  le  corps  Sordet,  appelé 
à  la  gauche  de  l'armée  du  maréchal  French. 

Dans  la  soirée  du  même  jour,  celui-ci  apprit  que  la  V^  armée 
française  attaquée  sur  la  Sambre  avait  dû  se  retirer  vers 
le  Sud,  tout  en  laissant  son  corps  de  gauche,  le  18®,  dans 
la  région  de  Thuin.  Seules  les  divisions  Valabrègue,  encore 
à  Avesnes,   se  préparaient  à  marcher  vers  le    Nord,   pour 


LE   CORPS   EXPÉDITIONNAIRE   BRITANNIQUE   EN   I914      2$ 

combler  le  vide  séparant  les  Anglais  des  Français.  Quant 
au  corps  Sordet,  il  était  encore  loin  de  pouvoir  couvrir  la 
gauche  de  nos  alliés,  devant  le  front  desquels  on  avait  déjà 
identifié  plusieurs  corps  ennemis,  dont  un,  venant  de  Bruxelles 
par  Ninove  sur  Grammont,  paraissait  préparer  un  mouve- 
ment d'enveloppement  vers  l'ouest. 

Dans  ces  conditions,  le  maréchal  French  avait  dû  renoncer 
à  prendre  l'offensive  vers  Soignies,  et,  se  refusant,  comm.e 
le  lui  demandait  le  général  Lanrezac,  à  attaquer  le  flanc 
des  colonnes  qui  avaient  franchi  la  Sambre,  il  avait  consenti 
à  rester  en  position  pendant  vingt-quatre  heures  sur  le  canal 
à  l'ouest  de  Mons  et  par  sa  droite  un  peu  en  retrait  de  cette 
ville  jusqu'à  Binche.  On  sait  que  cette  décision  devait  amener 
la  bataille  du  23  août,  dite  bataille  de  Mons. 

Tout  ceci,  on  le  voit,  ne  concorde  guère  avec  l'assertion 
du  maréchal  French,  qui  aurait  connu  seulement  au  début 
de  l'engagement  et  par  un  message  du  G.  Q.  G.  français 
le  nombre  des  corps  d'armée  allemands  qui  allaient  l'attaquer, 
et  il  semble  que  ce  soit  en  connaissance  de  cause  et,  bien 
que  se  sachant  en  flèche,  que  le  commandant  du  corps 
expéditionnaire  prit  le  parti  de  livrer  une  bataille  défensive. 

Celle-ci  tourna  beaucoup  moins  mal  qu'on  aurait  pu  le 
craindre,  grâce  aux  belles  qualités  déployées  par  les  troupes 
britanniques,  qui  ne  subirent  que  des  pertes  en  somme  lé- 
gères, puisqu'elles  ne  dépassaient  pas  1.600  hommes  tués, 
blessés  ou  disparus,  et  après  en  avoir  infligé  à  l'ennemi  de 
beaucoup  plus  lourdes. 

D'ailleurs,  il  se  produisit  dans  la  nuit  du  23  au  24  un  incident 
caractéristique  dont  ne  parle  pas  la  relation  britannique 
et  qui  mérite  d'être  relaté. 

A  2  heures  du  matin,  le  colonel  Spears,  agent  de  haison 
auprès  de  la  V^  armée,  avait  fait  réveiller  le  général  Hély 
d'Oissel  pour  lui  proposer  de  la  part  du  maréchal  French 
une  attaque  combinée  de  l'armée  britannique  et  de  la 
V®  armée.  Le  général  Lanrezac,  mis  immédiatement  au  cou- 
rant, répondit  que  cette  proposition  venait  trop  tard,  car  il 
avait  quelques  heures  auparavant  donné  un  ordre  de  repH 
obMque  sur  la  hgne  Beaumont-Givet,  en  raison  de  l'attaque 
que  l'armée  allemande  von  Hausen  prononçait  à  ce  moment 
contre  la  droite.  Le  i^^  corps  s'efforçant  de  parer  à  cette 
menace,  les  3^  et  lo^  corps  restaient  seuls  à  lutter  contre  les 


26  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

cinq  corps  de  Bulow,  et  ne  pouvaient  attaquer.  Cependant  le 
général  allait  prescrire  au  iS^  corps  et  au  groupe  de  divisions 
Valabrègue  d'attaquer  en  liaison  avec  l'armée  britannique. 
Un  ordre  dans  ce  sens  fut  en  effet  expédié  à  ces  deux  unités. 
Mais  dès  le  matin  du  24,  le  maréchal  French  fit  connaître 
qu'il  renonçait  à  l'offensive  et  qu'au  contraire  il  avait  l'inten- 
tion de  se  replier  vers  Valenciennes.  Il  fallut  donc  contre- 
mander  l'attaque  prescrite  au  18^  corps  et  au  groupe  Vala- 
brègue. 

On  voit  donc  que  la  bataille  de  Mons  ne  fut  pas  considérée 
tout  d'abord  par  nos  alliés  comme  un  échec  obligeant  à  une 
retraite  immédiate.  Notons  aussi  que,  tandis  que  les  Anglais 
se  retiraient  le  24,  le  général  Lanrezac  donnait  l'ordre  à 
ses  troupes  détenir  sur  place  toute  la  journée  et  de  ne  reprendre 
qu'à  la  nuit  la  marche  sur  Rocroy  et  Avesnes. 

Le  G.  Q.  G.  approuva  ces  dispositions  et  donna  comme 
direction  générale  de  retraite  à  la  V^  armée  celle  de  Laon.  La 
bataille  du  Cateau,  le  26  août,  où  le  corps  Smith-Dorrien, 
isolé,  faillit  être  écrasé,  devait  être  moins  heureuse  pour 
nos  alhés  ;  malgré  l'appui  donné  à  la  gauche  britannique  par 
le  corps  Sordet,  auquel  les  Anglais  rendirent  pleine  justice, 
ceux-ci  perdirent  7.812  hommes  et  38  canons.  Cependant,  dit 
justement  le  général  Edmonds,  «  combattant  avec  leurs 
deux  flancs  en  l'air,  les  troupes  avaient  résisté  à  un  adver- 
saire de  force  au  moins  double,  l'avaient  durement  traité 
et  avaient  échappé  à  l'enveloppement  au  prix  de  pertes 
sévères,  mais  nullement  exagérées,  étant  données  les  circons- 
tances. Les  hommes  se  croyaient  vainqueurs...  De  fait,  le 
plan  allemand  avait  complètement  échoué  ». 

La  retraite  que  devait  poursuivre  l'armée  britannique, 
du  24  août  au  5  septembre,  devait  pourtant  avoir  sur  l'en- 
semble des  opérations  une  influence  si  considérable  qu'il  est 
d'un  intérêt  primordial  de  connaître  les  motifs  qui  déter- 
minèrent nos  alliés  à  la  poursuivre  ;  et  pour  cela  il  convient 
d'étudier,  avec  le  général  Edmonds,  comment  le  maréchal 
French  apprécia  la  situation  d'ensemble,  chaque  fois  qu'il 
eut  à  donner  des  ordres  d'opérations. 

On  a  vu  que  le  commandant  du  corps  expéditionnaire 
avait  consenti  à  livrer  la  bataille  de  Mons,  bien  que  sachant 
son  flanc  droit  découvert  et  son  flanc  gauche  très  insuffisam- 
ment gardé  par  quelques  territoriaux.  Le  soir  du  23,  par  un 


LE    CORPS    EXPÉDITIONNAIRE    BRITANNIQUE   EN    I914      2/ 

message  daté  de  8  h.  40,  le  maréchal  French  exprimait 
encore  l'intention  de  résister  sur  place  le  lendemain,  sinon 
d'attaquer,  ainsi  qu'un  témoignage  français  de  la  plus  haute 
valeur  et  que  nous  venons  de  rapporter  permet  de  le  penser. 
Mais  avant  minuit  les  nouvelles  qui  lui  parvinrent  le  firent 
changer  d'avis  et  décider  la  retraite. 

Cette  résolution  se  trouva  être  conforme  au  désir  exprimé 
par  le  général  Joffre,  qui,  dans  un  message  arrivé  seule- 
ment le  24  à  I  heure  du  soir,  sans  doute  après  la  con- 
versation que  le  général  Lanrezac  a  rapportée,  faisait 
connaître  que  la  V^  armée  allait  appuyer  sa  gauche  à  Mau- 
beuge  et  sa  droite  au  massif  des  Ardennes,  et  demandait 
à  nos  alliés  de  tenir  entre  Maubeuge  et  Valenciennes  en  pre- 
nant Cambrai  comme  direction  générale  de  retraite,  ou  au 
besoin  de  s'étabhr  sur  le  front  le  Cateau,  Denain,  Bouchain, 
Arleux.  Déjà  les  divisions  Valabrègue  avaient  pris  position 
à  Consolre  près  et  à  l'est  de  Maubeuge. 

Dans  l'après-midi  du  24,  sir  John  French,  dont  le  quartier 
général  était  à  Bavai,  apprenait  qu'à  sa  droite  le  groupe 
Valabrègue  se  retirait  au  sud-est  de  Maubeuge,  par  suite 
de  la  retraite  du  18^  corps  vers  Solre-le-Château,  et  qu'à 
sa  gauche  le  général  d'Amade  allait  recevoir  l'appui  des 
deux  divisions  de  réserve  Ebener,  ce  qui  devait  porter  ses  forces 
à  80.000  hommes.  On  l'avertissait  que  des  travaux  de  dé- 
fense étaient  préparés  à  Cambrai.  Mais,  jugeant  par  le  mou- 
vement des  colonnes  allemandes  que  leur  projet  était  de 
l'acculer  au  camp  retranché  de  Maubeuge,  il  décida  de  se 
retirer  vers  le  Cateau. 

Le  soir  de  ce  jour,  le  i^"^  corps  britannique  avait  établi 
la  liaison  par  sa  droite  dans  la  région  d'Avesnes  avec  le 
groupe  Valabrègue,  dont  une  division,  la  53^,  devait  le  sou- 
tenir dans  le  combat  de  Marville.  Mais,  dit  le  général  Ed- 
monds,  «  le  général  Joffre  fit  connaître,  que  son  intention 
de  reprendre  l'offensive  n'ayant  pas  été  réalisée,  il  allait 
se  retirer  sur  le  front  Laon,  la  Fère,  Saint-Quentin  pour 
en  repartir  à  l'attaque.  Il  n'y  avait  donc  pas  de  temps  à 
perdre,  car  l'ennemi  était  au  contact  avec  les  troupes  bri- 
tanniques... et  l'on  savait  qu'il  poussait  de  grandes  forces 
en  toute  hâte  vers  l'Ouest  contre  les  cinq  divisions  du  général 
d'Amade.  » 

En  conséquence,  à  7  h.  30  du  soir,  le  maréchal  French 


28  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

prescrivait  un  nouveau  recul  qui  devait  amener  le  i^""  corps 
à  Busigny,  et  le  2^  à  Prémont,  Beaurevoir,  et  la  4^  division, 
récemment  arrivée,  au  Catelet.  On  sait  que  la  non-exécution 
de  ces  prescriptions  par  le  général  Smith-Dorrien  devait 
amener  le  grave  échec  subi  le  26  au  Cateau  par  le  2®  corps 
isolé.  Celui-ci  eût  été  sans  doute  enveloppé  par  sa  gauche, 
si  les  progrès  du  2®  corps  allemand  n'avaient  pas  été  enrayés 
dans  une  certaine  mesure,  d'abord  par  la  résistance  opposée 
quelque  temps  à  Cambrai  par  la  84®  division  territoriale, 
puis  par  le  mouvement  de  Cambrai  à  Marquion  dans  l'après- 
midi  du  26  par  les  deux  divisions  de  réserve  Ebener.  Celles- 
ci  devaient  d'ailleurs,  sur  un  ordre  donné  personnellement 
par  le  général  Joffre,  être  rappelées  vers  Combles  et  Péronne 
pour  concourir  à  la  formation  de  la  VI^  armée.  Ce  fut  donc 
surtout  le  corps  Sordet  qui  put  donner  dans  l'après-midi  du 
26  août  un  appui  réel  à  la  gauche  des  troupes  britanniques, 
en  s'engageant  vers  Wambaix  au  sud-est  de  Cambrai. 

Dans  la  soirée  du  26,  le  maréchal  French  avait  prescrit 
de  continuer  la  retraite  derrière  le  canal  Crozat  et  la  ligne 
de  la  Somme,  après  une  conférence  tenue,  dans  la  matinée 
du  même  jour,  à  son  quartier  général  de  Saint-Quentin, 
avec  les  généraux  Joffre  et  Lanrezac.  «  Sir  John  avait  insisté 
sur  le  danger  de  la  position  «  isolée  »  de  ses  troupes,  telle 
qu'il  la  concevait,  et  le  comm^andant  en  chef  français  avait 
confirmé  sa  «  directive  »  déjà  communiquée  à  l'état-major 
britannique,  d'après  laquelle  il  comptait  se  retirer  sur  la 
position  Laon,  la  Fère,  Saint-Quentin,  pour  reprendre  l'offen- 
sive dès  que  la  VI^  armée  serait  prête  à  agir  à  la  gauche  des 
Britanniques.  Ce  qu'il  demandait  était  qu'en  dépit  de  leurs 
pertes,  ceux-ci  ne  quittent  pas  la  ligne  de  combat.  Le  maréchal 
consentit  à  effectuer  sa  retraite  aussi  prudemment  que  pos- 
sible. »  Cette  entrevue  a  été,  comme  on  le  sait,  racontée  de 
façon  très  différente  par  le  général  Lanrezac  et  sir  John 
French.  4 

D'après  des  renseignements  inédits,  mais  positifs,  qm  nous 
ont  été  donnés,  elle  aurait  eu  pour  origine  un  compte  rendu 
du  général  Lanrezac  au  G.  Q.  G.  Le  commandant  de 
la  Ve  armée  avait  fait  remarquer  que,  l'armée  anglaise  obli- 
quant comme  elle  le  faisait  sur  l'Ouest  pendant  sa  retraite, 
l'obligation  imposée  à  la  V^  armée  de  rester  en  liaison  par 
sa  gauche  avec  nos  alliés  et  par  sa  droite  avec  la  IV^  armée, 


LE   CORPS   EXPÉDITIONNAIRE    BRITANNIQUE    EN    I914      29 

la  contraignait  à  tenir  un  front  démesuré.  Il  demandait  en  con- 
séquence que  les  Anglais  reçussent  une  zone  de  retraite  con- 
tiguë  à  la  sienne  et  bien  fixée.  La  question  fut  résolue  à  la 
conférence  de  Saint-Quentin,  en  ce  sens  au  moins  que  le 
corps  expéditionnaire  dut  se  retirer  par  la  rive  droite  de 
l'Oise  en  s'appuyant  sur  cette  rivière,  dont  l'aile  gauche  de 
la  V«  armée  suivrait  la  rive  droite,  pour  gagner  rapidement 
la  position  Laon,  la  Fère,  où  elle  devait  s'organiser. 

Mais  à  l'issue  de  la  conférence,  le  maréchal  French  pres- 
crivit à  ses  troupes  de  se  retirer  non  plus  jusqu'à  hauteur 
de  Saint-Quentin,  mais  au  sud  de  la  ligne  formée  par  le 
canal  Crozat  et  la  Somme,  derrière  laquelle  les  troupes 
du  général  Smith-Dorrien  se  trouvaient,  à  l'aube  du  28, 
après  avoir  subi  de  terribles  fatigues.  Seul  le  i^^  corps  avec 
la  5®  brigade  de  cavalerie  était  encore  à  27  kilomètres  dans 
le  Nord-Est,  dans  la  région  au  sud  de  Guise.  Vers  la  gauche, 
le  corps  Sordet,  ainsi  que  les  61®  et  62^  divisions  de  réserve, 
avaient  été  au  contact  de  l'ennemi  bien  au  Nord  aussi,  c'est- 
à-dire  vers  Péronne.  Toute  crainte  d'enveloppement  par 
l'Ouest  avait  donc  disparu,  et  devant  le  front  l'ennemi  était 
encore  loin. 

«  Dans  la  matinée  du  27,  à  11  heures,  dit  Edmonds,  le  gé- 
néral Joffre  était  venu  voir  le  maréchal  French  à  son  quar- 
tier général  de  Noyon.  Il  préparait  sa  contre-attaque,  mais 
il  sentait  le  besoin  de  se  retirer  plus  loin  qu'il  ne  l'avait 
voulu  d'abord,  sur  le  front  Reims-Amiens,  et  proposait 
aux  Britanniques  de  tenir  le  secteur  Noyon-Roye.  En  con- 
séquence (sic),  sir  John  French  prescrivit,  à  8  heures  du  soir, 
au  2^  corps  renforcé  de  la  19^  brigade  d'infanterie,  de  dégager 
Ham  à  l'aube  du  28  et  de  se  porter  par  Noyon  sur  la  rive 
gauche  de  l'Oise,  couvert  par  la  4®  division  et  la  division 
de  cavalerie.  » 

Il  semblerait  donc  que  ces  dispositions,  qui  allaient  com- 
plètement découvrir  le  flanc  gauche  de  la  V^  armée,  surtout 
après  le  départ  du  i^^  corps  britannique  de  la  région  de 
Mont-Dorigny,  n'aient  pas  provoqué  la  moindre  opposition  de 
la  part  du  commandant  en  chef  français,  et  l'on  est  d'autant 
plus  porté  à  le  croire  que  c'est  précisément  le  27  que  le 
général  Joffre  adressait  une  lettre  de  remerciements  à  son 
collègue  britannique  pour  l'appui  qu'il  lui  avait  prêté. 

En  réahté,  la  conversation  du  27  entre  le  général  Joffre 


30  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

et  le  maréchal  French  dut  différer  notablement  de  ce  dont 
le  récit  du  général  Edmonds  pourrait  donner  l'impression. 

En  effet,  le  général  Lanrezac  qui,  en  exécution  des  ordres 
donnés  à  la  suite  de  la  conférence  du  26,  devait  continuer 
la  retraite  le  27  vers  la  position  Laon,  la  Fère,  avait  reçu 
le  27  au  matin  contre-ordre,  et  l'injonction  d'attaquer  immé- 
diatement les  Allemands  au  passage  de  l'Oise,  à  l'est  de 
Guise.  Comment  admettre  que  le  même  jour,  à  11  heures 
du  matin,  le  général  Joffre  ait  pu  proposer  aux  Britanniques 
de  tenir  le  front  Noyon-Roye  bien  plus  en  arrière  ?  Il  est 
beaucoup  plus  probable  qu'il  se  borna  à  accepter  la  décision 
de  son  collègue  britannique,  et  qu'impressionné  par  la  des- 
cription qui  lui  était  faite  de  la  fatigue  et  du  mauvais  état 
de  nos  alliés,  il  jugea  nécessaire  de  risquer  une  grosse  partie 
pour  les  dégager.  En  effet,  le  même  jour,  à  midi,  le  général 
Lanrezac  allait  recevoir  un  deuxième  ordre,  celui  «  d'attaquer 
vers  Saint-Quentin,  dans  la  zone  anglaise,  et  pour  soulager 
les  Anglais  ».  Ayant  demandé  si  nos  Alliés  attaqueraient  dans 
leur  zone,  il  lui  fut  répondu  «  qu'ils  feraient  une  démonstra- 
tion »  (renseignement  inédit).  Sur  quoi  était  basée  cette 
assurance,  si  différente  de  ce  que  rapporte  le  général  Edmonds 
et  de  ce  qui  devait  se  passer,  c'est  ce  que  nous  ignorons 
encore. 

Toujours  est-il  que,  dans  la  journée  du  28,  le  i^'"  corps 
franchit  l'Oise  à  la  Fère  et  vint  s'établir  à  la  lisière  nord 
de  la  forêt  de  Saint-Gobain,  à  la  droite  du  2^  posté  autour 
de  Noyon.  Les  divisions  de  réserve  Valabrègue  se  trouvant 
le  même  soir  à  Vendeuil,  un  peu  en  avant  de  la  Fère,  couvraient 
par  suite  une  partie  du  front  britannique,  tandis  que  le 
reste  de  la  V^  armée  s'étendait  vers  le  Nord  jusque  vers 
Vervins,  quartier  général  à  Marie. 

Par  un  ordre  daté  du  28,  11  h.  30  soir,  sir  John  French 
prescrivit  que  le  29  serait  jour  de  repos  «  à  condition  que 
toutes  les  troupes  soient  au  Sud  de  la  ligne  Nesle-Ham  en 
liaison  avec  les  Français  à  Vendeuil  ».  On  voit  que  le  station- 
nement effectivement  occupé  fut  sensiblement  plus  au  Sud. 

C'est  à  Marie  que,  dans  la  mâtiné  du  28,  le  général  Joffre 
était  venu  presser  le  général  Lanrezac  d'exécuter  la  contre- 
offensive,  dont  le  projet  avait  été  apporté  dès  le  27  par  le 
colonel  Alexandre.  Le  général  sir  Douglas  Haig,  qui  avait 
d'abord  promis  son  concours  pour  le  29,  en  fut  empêché 


LE    CORPS    EXPÉDITIONNAIRE    BRITANNIQUE    EN    I914      3I 

par  un  ordre  formel  du  maréchal  French,  et  la  V^  armée 
dut  exécuter  seule  sa  dangereuse  contre-offensive,  qui  tout 
au  moins  valut  à  nos  alliés  une  tranquillité  à  peu  près  par- 
faite pendant  toute  la  journée  du  29. 

Dans  l'après-midi  de  ce  jour,  le  général  Joffre  vint  demander 
à  son  collègue  de  rester  tout  au  moins  à  proximité  de  la  Fère 
sur  le  front  général  Reims-Amiens,  dont  il  comptait  débou- 
cher, surtout  après  le  succès  remporté  par  la  VI^  armée 
vers  Proyart,  et  vu  la  sohdité  dont  faisait  preuve  à  ce  moment 
la  Ve.  Le  maréchal  French,  «  considérant  les  fatigues  subies 
et  les  pertes  en  officiers  et  en  hommes,  avait  un  égal  désir 
de  se  retirer  et  de  se  reposer  quelques  jours  pour  se  recons- 
tituer. Il  déclara  qu'il  n'était  pas  en  situation  d'attaquer. 
Toutefois  ce  ne  fut  qu'à  9  heures  du  soir,  lorsqu'on  connut 
le  succès  remporté  par  l'ennemi  contre  la  gauche  de  la 
V^  armée,  que  les  ordres  furent  donnés  en  vue  d'une  re- 
traite sur  la  hgne  Soissons-Compiègne  derrière  l'Aisne  ». 

Cette  résolution  était  d'autant  plus  grave  que  sir  John 
French  choisissait  justement  le  moment  où  il  croyait  la 
gauche  de  la  V^  armée,  alors  fortement  établie  sur  la  rive 
gauche  de  l'Oise,  plus  menacée  qu'elle  ne  l'était,  pour  la 
découvrir  complètement  (i).  Certes,  les  pertes,  dont  le  total 
à  la  date  du  28  atteignait  14.546  étaient  considérables. 
Mais  il  faut  qu'il  y  ait  eu  chez  nos  alhés  une  période  de 
dépression  profonde  pour  qu'ils  aient  renoncé  à  ce  moment 
critique  à  utiHser  les  positions  formidables  qu'ils  occupaient 
dans  le  massif  de  Saint-Gobain  et  au  sud  de  l'Oise.  Ce  fut 
là  tout  au  moins  le  premier  désaccord  entre  les  deux  quar- 
tiers généraux,  et  il  eut  sur  les  opérations  les  plus  graves 
conséquences.  Peut-être  aurait-il  été  évité  si,  au  Heu  de 
parler  toujours  de  reprendre  l'offensive,  attitude  peu  con- 
forme aux  dispositions  et  aux  moyens  de  nos  alhés,  on  leur 
avait  proposé  de  coopérer  à  la  défense  d'une  Hgne  bien  choisie. 
Malheureusement  les  théories  en  faveur  à  cette  époque 
ne  le  permettaient  pas.  L'ordre  que  devait  recevoir  la 
Ve  armée  le  i^r  septembre  était  typique  à  cet  égard  :  a  Malgré 
les  succès  tactiques  obtenus  par  les  IIP,  IV®  et  V®  armées, 
y  était-il  dit,  le  mouvement  débordant  effectué  sur  la  gauche 


(i)En  réalité,  l'ennemi  n'avait  remporté  aucun  succès  contre  la  gauche  de 
la  Y*  armée. 


32 


HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 


de  la  V^  armée,  insuffisamment  arrêté  par  les  troupes  an- 
glaises et  la  VI^  armée,  oblige  l'ensemble  de  notre  dispositif 
à  pivoter  autour  de  la  droite.  Dès  que  la  V^  armée  aura 
échappé  à  la  manœuvre  d'enveloppement  prononcée  sur 
sa  gauche,  l'ensemble  des  III«,  IV^  et  V^  armées  reprendra 
l'offensive...  » 

Ce  qui  est  aussi  caractéristique,  c'est  qu'à  partir  de  ce 
moment  et  jusqu'au  5  septembre,  la  V^  armée  ne  reçut 
plus  aucune  nouvelle  des  Anglais.  La  Maison  était  complè- 
tement rompue  entre  les  quartiers  généraux. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'armée  britannique,  formée  à  partir 
du  30  en  trois  corps  d'armée,  par  la  réunion  sous  les  ordres 
du  général  Pulteney  de  la  4®  division  et  de  la  19^  brigade, 
devait  atteindre  le  30  au  soir  le  front  Attichy  —  région  au 
sud  de  Soissons.  A  sa  gauche,  l'armée  Maunoury  s'était 
retirée  vers  Estrées-Saint-Denis,  sur  le  parallèle  de  Com- 
piègne.  Elle  devait,  le  31,  se  porter  sur  le  front  Senlis,  Creil, 
Clermont,  Beauvais,  d'après  les  ordres  du  général  Joffre. 
Sur  la  demande  qu'il  adressa  au  maréchal  French  de  com- 
bler le  vide  existant  entre  les  Vl^et  V^  armées,  le  commandant 
en  chef  britannique  donna  le  30,  à  5  h.  15  du  soir,  des  ordres 
en  vue  de  porter  le  lendemain  son  i^^  corps  vers  Villers- 
Cotterets,  le  2«  vers  Feigneux,  Béthisy,  Saint-Martin,  Crépy- 
en- Valois,  le  3^  au  nord-ouest  vers  Verberie,  ayant  à  sa 
gauche  la  division  de  cavalerie.  Quant  à  la  V«  armée,  après 
de  nouveaux  succès  dans  la  matinée  du  30,  particuhèrement 
brillants  à  sa  droite,  du  côté  de  la  4®  division  de  cavalerie 
et  de  la  51^  division,  elle  était  venue  occuper  par  sa  gauche 
les  passages  de  l'Aisne  entre  la  Fère  et  Chauny,  alors  que 
sa  droite  n'avait  reculé  que  jusqu'à  Vervins.  Mais  l'appa- 
rition de  l'ennemi  à  VauxaiUon,  abandonné  par  les  Britan- 
niques, presque  sur  ses  derrières,  devait  causer  un  moment 
de  grosse  inquiétude.  Heureusement  les  Allemands  n'en  pro- 
fitèrent pas. 

Si  l'on  en  croit  le  général  Edmonds,  ce  fut  dès  le  31  que 
le  quartier  général  britannique  apprit  par  des  reconnais- 
sances aériennes  que  l'amplitude  du  mouvement  débordant 
ennemi  était  désormais  limitée  vers  l'Ouest  par  la  ligne 
Noyon-Compiègne,  et  que  ses  colonnes,  déjà  détournées 
vers  le  Sud,  avaient  tendance  à  s'infléchir  vers  le  Sud-Est. 
Toujours  fort  bien  couvert  par  sa  cavalerie,  sir  John  French 


LE   CORPS   EXPÉDITIONNAIRE   BRITANNIQUE   EN   I914      33 

porta  le  i^r  septembre  son  armée  sur  le  front  la  Ferté-Milon^ 
Betz,  Nanteuil-le-Haudouin,  Baron.  Il  allait  ainsi  se  trouver 
à  plus  d'une  journée  de  marche  en  arrière  de  la  V^  armée, 
dont  la  gauche  ne  dépassait  pas  Soissons.  Le  même  jour,  il 
avait,  à  3  heures  du  soir,  à  Paris,  avec  le  maréchal  Kitchener, 
une  longue  conférence,  à  l'issue  de  laquelle  le  ministre  télé- 
graphia à  Londres  que  «  les  troupes  de  French  sont  actuel- 
lement engagées  sur  la  ligne  de  combat,  où  il  restera  en  se 
conformant  aux  mouvements  des  Français  tout  en  veillant 
à  ne  pas  se  trouver  découvert  sur  ses  flancs  ».  Cela  ne  devait 
pas  empêcher  sir  John  French,  dès  son  retour  à  son  quar- 
tier général,  de  prescrire  une  nouvelle  retraite  hâtive,  au 
prix  d'une  marche  de  nuit. 

Le  danger  couru  par  l'état-major  britannique,  qui  avait 
failli  dans  la  journée  être  enlevé  par  des  partis  allemands, 
appartenant  à  la  4^  division  de  cavalerie,  égarés  à  la  suite 
d'une  désastreuse  affaire  à  Nangis,  n'était  peut-être  pas 
étranger  à  cette  résolution.  Cette  marche  amena  dans  la 
journée  du  2  septembre  l'armée  britannique  sur  le  front 
Meaux-Dammartin,  alors  que  les  Français  tenaient  à  sa 
gauche  SenHs  et  qu'à  sa  droite  la  gauche  de  la  V^  armée 
était  encore  à  la  Fère-en-Tardenois. 

Dès  le  i^r  septembre,  sir  John  French  avait,  paraît-il, 
proposé  au  ministre  de  la  Guerre  français  de  s'établir  sur 
la  Marne  et  d'en  organiser  la  défense.  Mais  les  dispositions 
qu'il  avait  montrées  depuis  le  29  août  avaient  exercé  leur 
influence  sur  le  G.  0.  G.  français,  qui  avait  résolu  de  prolonger 
la  retraite  jusqu'à  la  Seine.  L'instruction  générale  n»  4, 
parvenue  au  maréchal  French  dans  la  soirée  du  2  septembre, 
était  conçue  dans  ce  sens,  et  il  était  trop  tard  pour  revenir 
sur  cette  décision.  En  conséquence,  l'armée  britannique 
franchit  la  Marne  dans  la  matinée  du  3  et  vint  s'établir 
entre  la  Ferté-sous-Jouarre  et  Nogent.  La  VP  armée  fran- 
çaise, restée  au  nord  de  la  Marne,  couvrait  ainsi  une  partie 
de  son  front,  et  la  gauche  de  la  V^  armée,  qui  avait  pu  se  dé- 
gager après  le  combat  de  Château-Thierry,  n'était  plus  guère 
qu'à  une  quinzaine  de  kilomètres  de  la  droite  britannique. 

Croyant  que  le  mouvement  des  colonnes  allemandes  se 
dirigeait  de  plus  en  plus  vers  l'Est,  sir  John  French  en  avait 
conclu  d'abord,  d'après  le  général  Edmonds,  que  son  front 
n'était  plus  directement  menacé,  et  avait,  à  4  h.  35  du  soir. 


34  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

annoncé  qu'il  y  aurait  repos  pour  le  lendemain.  On  voit 
qu'il  n'avait  guère  l'intention  de  chercher  à  préserver  la 
gauche  de  la  V^  armée  de  la  manœuvre  enveloppante  qui 
se  dessinait  contre  elle.  Mais  non  content  de  cette  inaction, 
il  devait  à  ii  h.  50  du  soir  prescrire  une  nouvelle  retraite 
vers  le  Sud,  derrière  le  Grand-Morin,  tandis  que  deux  brigades 
de  cavalerie,  poussées  à  l'Est,  chercheraient  à  prendre  con- 
tact avec  le  corps  de  cavalerie  Conneau,  supposé,  fort  inexac- 
tement du  reste,  à  Rebais,  qu'on  devait  trouver  occupé 
par  l'ennemi  dès  l'aube  du  4  septembre.  Dans  l'après-midi, 
le  i^^  corps  britannique  vint  à  Coulommiers,  tandis  que  les  2^, 
3e  et  la  division  de  cavalerie  restaient  au  repos  jusqu'au 
soir. 

Dans  la  journée  du  4  septembre,  le  général  GaUiéni,  accom- 
pagné du  général  Maunoury,  était  venu  au  quartier  général 
britannique  établi  à  Melun,  pour  demander  à  nos  alhés  de 
coopérer  à  l'attaque  que  la  VI^  armée  allait  entreprendre 
par  la  rive  droite  de  la  Marne  contre  le  4^  corps  de  réserve 
sur  le  flanc-garde  laissé  par  von  Kluck  pour  faire  face  à 
la  Vie  armée.  Après  trois  heures  d'attente,  il  avait  dû  rentrer 
à  Paris,  sans  pouvoir  joindre  sir  John  French,  qui  visitait 
ses  troupes.  A  son  retour,  ce  dernier  allait  trouver  une  dépêche 
du  général  Joffre  lui  demandant  de  rester  entre  la  Marne 
et  la  Seine  :  «  Votre  gauche,  ajoutait-il,  appuyée  à  la  Marne 
et  au  camp  retranché  de  Paris,  sera  couverte  par  la  garnison 
mobile  de  la  capitale,  qui  attaquera  face  à  l'Est  sur  la  rive 
gauche  de  la  Marne.  »  On  sait  que  le  général  Galliéni  propo- 
sait de  laisser  l'armée  Maunoury  sur  la  rive  droite  de  cette 
rivière,  où  elle  se  trouvait,  et  dans  la  seule  direction  qui  permît 
d'espérer  l'enveloppement.  Mais,  avant  qu'il  pût  arriver 
à  convaincre  le  général  Joffre,  le  maréchal  French  avait 
tiré  de  la  communication  qu'il  venait  de  recevoir  une  consé- 
quence éminemment  regrettable. 

«  Cette  lettre,  dit  Edmonds,  ne  permettait  pas  de  douter  que 
le  généralissime  désirait  que  le  corps  expéditionnaire  britan- 
nique se  retirât  pour  faire  place  à  l'armée  de  Paris  au  sud  de  la 
Marne,  et,  en  raison  du  vide  qui  existait  encore  entre  l'armée 
britannique  et  la  V^  armée,  et  par  suite  de  la  pression  que 
l'ennemi  exerçait  encore  contre  Haig  dans  cette  nuit  du 
4  septembre,  sir  John  French  décidait  de  se  retirer  de  quel- 
ques milles  plus  au  Sud.  En  conséquence,  à  6  h.  35  du  soir. 


LE   CORPS   EXPÉDITIONNAIRE   BRITANNIQUE   EN    1914      35 

l'ordre  fut  donné  à  l'armée  de  se  retirer,  le  5,  vers  le  Sud- 
Ouest  en  pivotant  autour  de  sa  gauche  de  telle  sorte  que  les 
arrière-gardes  vinssent  sur  le  parallèle  de  Tournan.  «  Le 
soir  du  5,  le  i^^  corps  était  à  Rozoy,  la  division  de  cavalerie 
à  sa  droite  à  Mormant,  le  2®  corps  à  Tournan,  le  3^  entre 
Ozoer-la-Ferrière  et  Brie-Comte-Robert.  A  sa  droite,  le 
corps  Conneau  était  à  Provins,  d'où  la  V^  armée  s'étendait 
jusqu'à  Sézanne,  ayant  depuis  le  matin  interrompu  sa  re- 
traite et  prête  à  attaquer  le  6  de  grand  matin. 

C'est  ce  jour-là  aussi  qu'allait  enfin  cesser  pour  le  corps 
expéditionnaire  britannique  cette  épuisante  «  retraite  pro- 
longée pendant  treize  jours  sur  une  longueur  de  136  milles 
(218  kilomètres)  ».  L'effort  physique  avait  été  considérable, 
et  un  officier  anglais  pouvait  dire  :  «  Je  n'aurais  jamais  cru 
que  des  hommes  si  fatigués  et  si  affamés  puissent  rester  en 
vie.  »  Les  fantassins  avaient  eu  en  moyenne  quatre  heures 
de  repos  par  vingt-quatre  heures,  les  hommes  montés  trois 
seulement.  Pourtant,  peut  dire  Edmonds,  à  la  fin  de  ces 
épreuves,  «  ils  formaient  encore  une  armée  redoutable.  Ils 
n'étaient  point  du  tout  démoralisés,  parce  qu'ils  se  rendaient 
très  justement  compte  qu'ils  n'avaient  jamais  été  battus  ». 

«  Certains  ont  pensé  que  le  corps  expéditionnaire  bri- 
tannique aurait  pu  faire  davantage,  et  en  particulier  qu'il 
aurait  dû  aider  les  Français  le  jour  de  Guise.  On  a  vu  pour- 
tant qu'une  des  raisons  qu'eut  le  général  Joffre  pour  pres- 
crire l'attaque  du  général  Lanrezac  était  justement  de  sou- 
lager les  alliés  de  la  pression  qu'ils  subissaient  de  la  part 
de  l'ennemi.  D'ailleurs,  il  n'avait  pas  demandé  à  sir  John 
French  de  l'aider.  Le  commandant  en  chef  britannique, 
dans  sa  dangereuse  position  à  l'aile  la  plus  exposée  des 
armées  alliées,  n'avait  pas  seulement  à  tenir  compte  des 
instructions  du  général  Joffre  en  vue  d'éviter  une  bataille 
décisive,  et  de  ménager  ses  forces  pour  le  jour  où  les  armées 
feraient  demi-tour;  il  devait  aussi  se  souvenir  qu'il  avait 
avec  lui  la  quasi-totalité  des  forces  instruites  de  l'empire 
britannique  en  hommes,  officiers  et  états-majors,  le  noyau 
sans  lequel  les  nouvelles  armées  n'auraient  pu  être  ni  for- 
mées, ni  dressées  à  la  guerre.  Par-dessus  tout,  il  ne  pouvait 
oublier  que  son  gouvernement  lui  avait  ordonné  d'avoir 
le  plus  grand  souci  de  réduire  au  minimum  les  pertes  et 
la  consommation  de  matériel.  » 


36  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Assurément  ces  raisons  sont  fortes.  Mais  elles  n'empêchent 
pas  de  regretter  que  les  efforts  de  nos  vaillants  alliés  n'aient 
pas  été  à  diverses  reprises  mieux  coordonnés  avec  les  nôtres. 
Il  en  aurait  été  sans  doute  autrement  si,  au  lieu  de  parler 
toujours  d'offensive,  on  avait  organisé  dès  le  début  la  résis- 
tance pied  à  pied  de  part  et  d'autre  du  camp  retranché  de 
Maubeuge,  ce  qui  aurait  donné  tout  le  temps  de  renforcer 
la  gauche  de  façon  à  se  reher  à  Lille,  tandis  que  les  pointes  vers 
le  Nord  allaient  mettre  en  flèche  et  menacer  sur  tous  leurs 
flancs  la  V^  armée  d'une  part  et  le  corps  expéditionnaire 
britannique  de  l'autre.  Il  en  était  peut-être  encore  temps 
après  Charleroi  et  Mons.  Mais  c'est  surtout  sur  le  front 
Reims,  Laon,  la-Fère,  Ham,  Amiens  qu'il  aurait  été  possible 
de  tenir.  A  la  vérité,  il  aurait  fallu  pour  cela  avoir  un  peu 
confiance  dans  la  valeur  du  groupement  d'Amade,  puis 
dans  la  VI^  armée,  et  lui  donner  des  ordres  fermes,  au  heu  de 
les  obliger  à  la  retraite  soit  en  plein  combat  comme  à  Cam- 
brai, Marquion,  Proyart,  soit  même  avant  que  ces  éléments 
aient  réellement  combattu. 


II 

On  a  vu  que,  d'après  les  ordres  donnés  le  4  septembre, 
à  6  h.  35,  par  le  maréchal  French,  le  corps  expéditionnaire 
britannique  devait  dans  la  journée  du  5  se  retirer  jusqu'à  la 
ligne  générale  Rozoy,  Tournan,  Ozoer-la-Ferrière,  avec  cer- 
tains éléments  du  3^  corps  plus  au  Sud  encore,  vers  Brie- 
Comte-Robert. 

Or,  le  5,  à  3  heures  du  matin,  parvenait  au  quartier  général 
de  Melun  !'«  Instruction  »  du  général  Joffre  en  vue  de  l'at- 
taque générale  à  exécuter  à  partir  du  6.  Comme  il  était  déjà 
tant  de  fois  arrivé,  ces  dispositions  étaient  en  retard  sur 
les  événements.  En  effet,  on  supposait  la  Vie  armée  prête 
à  franchir  l'Ourcq  entre  Lizy-sur-Ourcq  et  May-en-Multien, 
alors  que  le  combat  hvré  pendant  la  journée  du  5  ne  devait 
pas  lui  permettre  de  dépasser  la  route  de  Meaux  à  Ermenon- 
ville. 

Quant  à  l'armée  britannique,  on  supposait  aussi  qu'elle 
partirait  à  l'attaque  en  partant  du  front  Changis  (près  de 
Meaux)  —  Coulommiers,  alors  que  le  mouvement  en  cours 


LE   CORPS   EXPEDITIONNAIRE   BRITANNIQUE   EN   I914      37 

d'exécution  l'en  éloignait  de  façon  marquée.  En  effet,  les  heures 
de  départ  pour  accomplir  les  marches  prescrites  par  l'ordre 
donné  le  4  à  6  h.  45  du  soir  ayant  été  laissées  à  la  disposition 
des  commandants  de  corps  d'armée,  le  3^  corps  britannique 
s'était  mis  en  marche  dès  4  heures  du  matin,  le  2®  dès 
10  heures  du  soir  «  pour  éviter  la  chaleur  du  jour  »,  et  le 
i^'"  lui  aussi  avant  le  jour.  Le  mouvement  avait  été  si  peu 
gêné  par  l'ennemi  qu'un  officier  de  la  3^  brigade  de  cavalerie 
avait  pu  le  comparer  à  «  une  marche  de  temps  de  paix  >'.  Si 
avancées  qu'aient  été  les  heures  de  départ,  on  peut  donc  se 
demander  pourquoi  sir  John  French,  prévenu  officiellement 
dès  3  heures  du  matin  de  ce  qu'on  attendait  de  lui,  ne 
chercha  pas  à  diminuer  la  longueur  de  cette  retraite,  dont  le 
moindre  défaut  était  de  l'éloigner  de  son  objectif.  Le  soir 
du  5,  en  effet,  l'armée  britannique  allait  «  se  trouver  de 
12  à  15  milles  (20  à  25  kilomètres)  en  arrière  de  la  posi- 
tion sur  laquelle  le  commandant  en  chef  français  la  sup- 
posait ». 

D'ailleurs,  dans  cette  journée  du  4  septembre,  il  s'était 
produit  un  incident  auquel  le  général  Edmonds  ne  fait  allusion 
que  d'un  seul  mot  et  sur  lequel  il  est  bon  que  les  lecteurs 
soient  édifiés  (i). 

A  peine  en  possession  du  commandement  de  la  V^  armée, 
le  général  Franchet  d'Esperey,  à  qui  le  général  Joffre  avait 
tout  spécialement  recommandé  de  nouer  et  d'entretenir 
de  bons  rapports  avec  l'armée  britannique,  avait  demandé 
une  entrevue  au  maréchal  French,  au  quartier  général  de 
ce  dernier.  Sir  John  avait  accepté  avec  empressement,  et 
proposé  Bray-sur-Seine  comme  lieu  de  la  conférence.  En 
y  arrivant,  le  général  Franchet  d'Esperey  trouva  un  télé- 
gramme du  général  Joffre  que  l'état-major  de  la  V®  armée 
avait  fait  suivre  et  par  lequel  il  lui  était  demandé  si  ses 
troupes  étaient  en  état  de  passer  à  l'offensive  dans  la 
direction  de  Château-Thierry,  conjointement  avec  le  corps 
expéditionnaire  britannique.  Très  désireux  de  jouer  son 
rôle  dans  cette  manœuvre,  dont  il  avait  tout  de  suite  apprécié 
la  portée,  le  général  Franchet  d'Esperey  attendit  avec  impa- 
tience la  venue  du  maréchal  French.  A  sa  place  et  avec  un 
certain  retard  arrivèrent  les  généraux  Wilson  et  Macdonogh 

(i)  Les  renseignements  qui  suivent  ont  été  fournis  par  M.  le  maréchal 
Franchet  d'Esperey. 


38  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

qui,  mis  au  courant  du  projet  d'offensive,  s'y  rallièrent  de 
bon  cœur  et  promirent  de  s'efforcer  d'obtenir  l'assentiment  et 
la  coopération  de  sir  John  French.  Le  général  Franchet 
d'Esperey  fit  donc  immédiatement  connaître  au  G.  Q.  G.  que 
la  V^  armée  et  l'armée  britannique  allaient  se  mettre  en 
situation  d'effectuer  une  offensive  convergente  le  6  sep- 
tembre. Mais  quand  les  généraux  Wilson  et  Macdonogh 
rentrèrent  au  quartier  général  britannique,  il  était  7  heures 
du  soir.  Depuis  quelques  minutes,  l'ordre  de  retraite  était 
lancé,  et  le  maréchal  French  se  refusa  à  modifier  les  disposi- 
tions qu'il  venait  d'arrêter  (i).  Était-il  trop  tard  pour  cela, 
c'est  ce  qu'on  peut  se  demander.  Toujours  est-il  que  ce  fut 
le  5  seulement,  après  avoir  reçu  dans  la  journée  le  général 
Maunoury,  puis  le  général  Joffre,  que  sir  John  French  se 
résolut,  à  5  h.  15  du  soir,  à  donner  l'ordre,  non  pas  d'attaquer, 
mais  de  faire  face  à  l'Est,  ou  plutôt  au  Nord-Est,  le  long 
de  la  route  de  Lagny  à  Provins,  qui  devait  être  atteinte 
entre  9  et  10  heures.  Ni  dans  l'ordre  de  l'armée,  ni  dans  ceux 
des  corps  d'armée,  il  n'était  question  d'une  progression 
ultérieure.  Seule  la  division  de  cavalerie  portée  à  la  droite 
de  la  ligne,  où  se  trouvaient  déjà  les  3^  et  5®  brigades  sous 
les  ordres  du  général  Gough,  devait  pousser  vers  Coulommiers. 

C'est  par  ces  dernières  brigades  parvenues  dès  7  heures 
du  matin  à  Pézarches  que  l'on  sut  que,  tandis  qu'une  masse 
de  cavalerie  ennemie  se  portait  vers  Jouy,  de  «  grosses  co- 
lonnes signalées  dans  cette  région  faisaient  tout  d'un  coup 
et  sans  cause  explicable  demi-tour  pour  se  porter  vers  le 
Nord.  Cela  se  passa  entre  8  et  9  heures  ».  Mais  une  autre 
colonne  allemande  évaluée  à  une  brigade  d'infanterie  ayant 
marché  vers  l'Ouest,  se  trouva  près  de  Rozoy  en  contact 
avec  l'avant-garde  du  i^^  corps  britannique  qui  s'arrêta 
net.  Le  général  Douglas  Haig  crut  même  devoir  demander 
l'appui  des  2^  et  3^  corps  d'armée,  et  ceux-ci,  ayant  à 
l'heure  dite  atteint  leurs  objectifs  sur  la  route  de  Lagny  à 
Provins,  obliquèrent  vers  l'Est  à  partir  de  i  heure  du  soir. 
Mais  déjà  l'ennemi  s'était  retiré,  et  la  i^®  division  britan- 
nique avait  repris  sa  marche  vers  Vaudoy. 

Quand,  à  3  h.  30  du  soir,  sir  John  French  prescrivit  à 
ses  corps  d'armée  de  venir  border  le  Grand-Morin  de  Cou- 

(i)  Note  inédite  du  général  Macdonogh. 


LE   CORPS   EXPÉDITIONNAIRE   BRITANNIQUE   EN   I914      39 

lommiers  à  Crécy  (la  cavalerie  plus  à  droite  vers  la  Ferté- 
Gaucher),  un  temps  précieux  avait  été  perdu.  Pourtant  les 
aviateurs  devaient  prévenir  à  6  heures  du  soir  que,  sauf  un 
détachement  à  Rebais,  toute  la  région  au  Sud-Ouest  du  Petit- 
Morin  était  évacuée  par  l'ennemi. 

Ces  ordres  ne  furent  d'ailleurs  exécutés  ni  par  le  i^r  corps, 
qui  s'arrêta  à  Vaudoy  et  Pézarches,  ni  par  la  cavalerie 
qui  resta  à  Pézarches  et  Jouy,  et  quant  au  2«  corps, 
si  son  avant-garde  put  saisir  le  passage  du  Grand-Morin 
à  Faremoutiers,  le  gros  resta  sur  la  rive  gauche  entre  ce 
point  et  Mortcerf.  Le  3®,  de  son  côté,  se  borna  à  s'échelonner 
entre  Villiers-sur-Morin  et  Villeneuve-Saint-Denis  sans  cher- 
cher à  forcer  le  passage  de  la  rivière. 

On  voit  que  nos  alliés  eurent  besoin  d'un  temps  assez 
long  pour  se  rendre  compte  du  changement  de  situation 
qui  résulta  du  recul  imprévu  des  colonnes  allemandes  signa- 
lées devant  leur  front  et  n'en  profitèrent  que  très  incomplè- 
tement. Il  convient  toutefois  de  reconnaître  avec  le  général 
Edmonds  que  le  masque,  formé  par  les  forêts  de  Crécy,  de 
Malvoisine  et  les  bois  au  Sud-Est,  compliqua  singulièrement 
le  problème,  car  il  fallut  plusieurs  heures  pour  fouiller  cette 
région,  à  l'abri  de  laquelle  l'ennemi  put  facilement  disparaître. 

D'ailleurs,  la  liaison  avec  les  armées  voisines  était  si  mal 
assurée  que  l'on  ne  sut  rien  pendant  toute  la  journée  du  6 
de  ce  qui  se  passait  aux  ailes  du  corps  expéditionnaire  bri- 
tannique. Il  en  résulta  que  sir  John  French  ne  donna  aucun 
ordre  pour  le  7,  sinon  de  se  tenir  prêt  à  marcher  à  partir 
de  8  heures  du  matin. 

C'est  seulement  après  avoir  reçu  de  nombreux  renseigne- 
ments de  sa  cavalerie,  de  ses  cyclistes  et  de  ses  aviateurs 
et  su  par  eux  que  le  terrain  était  libre  au  nord  et  au  nord- 
ouest  de  Crécy,  puis  que  les  seules  grosses  forces  ennemies 
restées  au  nord  du  Grand-Morin  se  trouvaient  vers  la  Ferté- 
Gaucher  et  plus  à  l'Est,  que  sir  John  French,  en  des  termes 
non  reproduits  par  le  général  Edmonds,  prescrivit  le  7  sep- 
tembre, à  8  heures  du  matin,  une  avance  générale  très  hmitée, 
puisque  la  droite  ne  devait  pas  dépasser  le  front  Dagny- 
Coulommiers,  le  centre  et  la  gauche  la  route  de  Coulom- 
miers  à  Meaux  vers  Maisoncelle.  Seule  la  cavalerie  avait 
atteint  de  bonne  heure  Rebais  et  la  région  de  Dom,  où  l'on 
trouva  des  arrière-gardes  ennemies. 


40  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Sauf  la  46  brigade  d'infanterie  qui  poussa  jusqu'à  cette 
ligne,  tout  le  i^"^  corps  britannique  ne  dépassa  donc  pas 
le  Grand-Morin,  le  2^  resta  tout  à  proximité  à  l'est  de  Cou- 
lommiers  ;  le  3^  corps  seul  gagna  Maisoncelle,  ayant  à  sa 
gauche  la  8^  division  française,  qui  était  venue  dans  la  jour- 
née au  sud-est  de  Meaux. 

Pendant  la  journée  du  7,  l'état-major  britannique  avait 
cependant  eu  de  bonnes  nouvelles  de  ce  qui  se  passait  à 
ses  ailes.  «  Le  général  Maunoury,  parvenu  à  moins  de  8  kilo- 
mètres de  rOurcq,  avait  pu  annoncer  que  l'artillerie  allemande 
se  retirait  vers  la  rive  ouest  de  cette  rivière.  L'aviation 
avait  fait  connaître  que  von  Kluck  retirait  en  toute  hâte 
vers  le  Nord  deux  de  ses  corps  d'armée,  les  2^  et  4^...  L'en- 
tassement qui  se  produirait  au  pont  de  la  Marne  à  la  Ferté- 
sous-Jouarre  était  de  nature  à  promettre  de  grands  résul- 
tats si  l'on  marchait  rapidement  vers  ce  point...  Il  semblait 
que  l'ennemi  ne  disposait  plus  que  de  deux  corps  de  cava- 
lerie pour  tenir  les  Britanniques  en  échec  pendant  son  chan- 
gement de  dispositions...  Le  8  septembre  promettait  d'être 
une  journée  importante.  »  On  savait  que  la  V^  armée  était 
parvenue  à  11  kilomètres  de  Montmirail,  bien  que  le  18e  corps 
et  la  cavalerie  Conneau  fussent  restés  à  proximité  du  Grand- 
Morin.  Enfin  l'ordre  n»  7  du  général  Joffre  daté  du  7, 
5  h.  20  du  soir,  attribuait  la  route  Sablonnières,  Nogent, 
Château-Thierry  à  la  droite  britannique,  dont  on  sollicitait 
une  poussée  énergique  vers  le  Nord. 

En  conséquence,  à  9  h.  10  du  soir,  l'ordre  d'opérations 
britannique  n°  18  spécifiait  que  «  l'intention  du  maréchal 
commandant  en  chef  était  de  continuer  la  poursuite  dans 
la  direction  de  la  Marne,  la  droite  à  Nogent,  en  attaquant 
l'ennemi  partout  où  il  sera  rencontré  ».  La  gauche  devait 
se  porter  vers  Jouarre.  La  division  de  cavalerie  et  les  3^  et 
5e  brigades  devaient  continuer  la  poursuite  en  gardant  le 
contact  à  droite  avec  le  corps  de  cavalerie  de  la  V^  armée, 
à  gauche  avec  la  VI^  armée  française. 

Les  objectifs  désignés  furent  atteints,  à  peu  de  chose 
près,  mais  la  résistance  ennemie,  d'ailleurs  favorisée  par  le 
terrain,  fut  habile  et  vigoureuse.  Orly  sur  le  Petit-Morin 
ne  put  être  enlevé  qu'après  avoir  été  complètement  tourné 
des  deux  côtés.  A  la  nuit,  la  tête  du  i^r  corps  à  Basse velle 
se  trouvait  encore  à  8  kilomètres  de    Nogent-l' Artaud  sur 


LE   CORPS   EXPÉDITIONNAIRE   BRITANNIQUE   EN    1914      4I 

la  Marne.  Au  centre,  le  2^  corps,  le  plus  avancé,  était  tout 
près  de  Saacy.  A  la  gauche,  le  3^  corps  avait  pu  enlever 
Jouarre  et  le  pont  de  Courcelles,  mais  la  Ferté-sous-Jouarre 
restait  aux  mains  de  l'ennemi  et  la  ligne  de  la  Marne  restait 
intacte.  Les  troupes  britanniques  n'avaient  perdu  que 
600  hommes  et  avaient  fait  500  prisonniers. 

A  la  gauche,  la  8^  division  française,  qui  n'avait  pas  enlevé 
Montceaux,  resté  aux  mains  des  Allemands,  avait  fort  peu 
progressé.  A  la  droite,  le  corps  Conneau,  qui  avait  été  fort 
retardé  au  passage  du  Petit-Morin,  n'avait  pas  dépassé  au 
Nord  la  grand'route  et  se  trouvait  à  hauteur  des  Britanniques 
à  Viels-Maisons,  ayant  près  de  lui  vers  Marchais  le  18^  corps 
et  plus  au  sud  de  Montmirail  le  3^.  Le  reste  de  la  V^  armée 
n'avait  pas  progressé  davantage  vers  le  Nord. 

En  somme,  l'armée  britannique  se  trouvait  le  8  au  soir 
sur  l'ahgnement  général  des  armées  alHées,  et  les  reproches 
qui  lui  ont  été  faits  par  certains  écrivains  de  ne  pas  avoir 
avancé  davantage  semblent  quelque  peu  exagérés. 

«  L'Instruction  spéciale  n»  19,  rédigée  par  le  général  Joffre 
le  8  septembre  à  8  h.  7,  dit  le  général  Edmonds,  signalait  que 
l'aile  droite  allemande  se  trouvait  partagée  en  deux  groupes 
réunis  par  des  divisions  de  cavalerie  soutenues  devant  le  front 
britannique  par  des  détachements  de  toutes  armes.  Il  im- 
portait dès  lors  de  battre  l'extrême  droite  allemande  avant 
qu'elle  pût  être  renforcée  par  d'autres  formations,  rendues 
disponibles  par  la  chute  de  Maubeuge.  Cette  tâche  était 
confiée  à  la  VP  armée  et  aux  Britanniques.  La  VI^  armée 
devait  tenir  en  respect  les  forces  qui  lui  étaient  opposées 
sur  la  rive  droite  de  l'Ourcq,  tandis  que  les  forces  britanni- 
ques, franchissant  la  Marne  entre  Nogent-l'Artaud  et  la  Ferté- 
sous-Jouarre,  avanceraient  contre  la  gauche  et  les  derrières 
de  l'ennemi  sur  l'Ourcq  ;  la  V^  armée  couvrirait  le  flanc 
de  l'armée  britannique  en  envoyant  un  fort  détachement 
vers  Château-Thierry,  Azy.  » 

On  voit  que  nos  alhés  s'étaient  fort  bien  rendu  compte 
de  la  situation  et  de  la  tâche  qui  leur  incombait.  L'ordre 
donné  le  8  à  7  h.  30-  du  soir  par  le  maréchal  French  prescri- 
vait donc  de  continuer  le  lendemain  l'avance  vers  le  Nord 
et  d'attaquer  les  arrière-gardes  ennemies  partout  où  on  les 
rencontrerait,  la  division  de  cavalerie  à  droite  gardant  le 
contact  avec  la  V^  armée,  les  deux  brigades  (3^  et  5«  de  cava- 


42  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

lerie)  du  général  Gough  en  liaison  à  gauche  avec  la  VI^. 
Les  objectifs  étaient  :  pour  le  i®""  corps  Thiolet  à  l'ouest 
de  Château-Thierry,  et  Coupru,  pour  le  2«  Montreuil,  pour 
le  3^  Dhuisy,  le  tout  à  peu  près  sur  le  même  parallèle. 

Ce  mouvement  était  ainsi  orienté  sensiblement  vers  le 
Nord-Est,  sans  doute  par  suite  de  la  crainte  où  l'on  était 
de  trouver  l'ennemi  prêt  à  opposer  une  «  résistance  obs- 
tinée »  sur  la  Marne  en  aval  de  la  Ferté-sous-Jouarre.  Ce- 
pendant, dit  le  général  Edmonds,  «  il  était  devenu  clair  par 
les  rapports  fournis  par  l'aviation  dans  la  journée  du  8  que 
telle  n'était  pas  son  intention.  Car  on  savait  que  le  gros 
bivouaquait  entre  Nanteuil  (à  8  kilomètres  au  nord-est 
de  la  Ferté-sous-Jouarre  et  Château-Thierry)  et  paraissait 
préparer  sa  retraite...  Les  seuls  ponts  détruits  étaient 
ceux  de  la  Ferté-sous-Jouarre,  Sammeron  et  Changis  ». 
Celui  de  Charly,  encore  occupé  le  8  au  soir,  était  libre  et 
intact  le  9  au  matin 

De  bonne  heure,  la  cavalerie  britaimique  avait  pris  pos- 
session de  ce  point  de  passage,  ainsi  que  de  ceux  de  Nogent  et 
d'Azy.  Avant  10  heures  du  matin,  les  avant-gardes  du 
i^^  corps  britannique  avaient  atteint  les  hauteurs  de  la  rive 
droite  de  la  Marne  et  étaient  parvenues  à  moins  de  3  kilo- 
mètres de  la  grande  route  de  Lizy-sur-Ourcq  à  Château- 
Thierry,  au  sud  de  Thiolet.  Mais  l'annonce  d'un  mouvement 
vers  l'Ouest,  menaçant  pour  le  flanc  droit  de  ces  colonnes, 
de  masses  allemandes  venant  de  la  région  de  Château- 
Thierry  aJlait  déterminer  un  arrêt  dans  la  progression,  bien 
qu'on  n'eût  pas  rencontré  de  résistance.  Reprise  à  3  heures 
du  soir  seulement,  la  marche  conduisit  le  i^'"  corps  dans  la 
région  de  Thiolet,  Coupru,  Domptin,  Mont-de-Bonneuil,  où 
il  cantonna. 

A  sa  gauche,  le  2^  corps  n'avait  pas  éprouvé  plus  de  diffi- 
cultés pour  passer  la  Marne  à  Nanteuil  et  à  Sancy.  A  10  h.  30, 
son  avant-garde  était  entrée  à  Bézu-le-Guéry  et  même  atteint 
la  ferme  Vertelet  près  de  la  route  de  Château-Thierry.  Mais 
plus  à  l'Ouest  la  progression  de  la  5^  division  vers  Montreuil 
avait  été  gênée  par  un  violent  feu  d'artillerie,  puis  par  de 
l'infanterie  placée  au  sud  de  ce  village.  Le  gros  du  corps 
d'armée  ne  dépassa  donc  pas  le  front  Bézu-le-Guéry-Caumont, 
sa  queue  à  Crouttes  sur  la  Marne,  sans  avoir  réussi  à  couper 
la  retraite  des  forces  allemandes  qui  défendaient  la  Ferté- 


LE   CORPS   EXPEDITIONNAIRE   BRITANNIQUE   EN   I914      43 

sous-Jouarre.  De  ce  côté,  les  progrès  du  3®  corps  avaient 
été  entravés  de  telle  sorte  «  qu'à  la  nuit  tombante,  dix  des 
seize  bataillons  du  général  Pulteney  étaient  encore  sur  la  rive 
gauche  de  la  Marne  et  que  le  village  de  Chamigny  était  le 
point  le  plus  au  nord  qui  ait  pu  être  occupé  par  les  troupes 
britanniques. 

«  Cette  journée  du  9  septembre,  dit  à  ce  sujet  Edmonds, 
parut  sur  le  moment  assez  désappointante,  car,  bien  que 
l'avance  de  l'armée  britannique  ait  été  le  facteur  principal 
qui  détermina  les  Allemands  à  abandonner  le  champ  de 
bataille,  le  général  Maunoury,  pressé  sur  son  flanc  gauche,  la 
veille,  avait  demandé  à  être  aidé  par  une  attaque  contre  la 
gauche  et  les  derrières  de  von  Kluck.  Si  tout  le  front  bri- 
tannique avait  pu  atteindre  la  route  de  Montreuil  à  Château- 
Thierry,  comme  seule  y  parvint  la  9®  brigade  dès  9  heures  du 
matin,  de  grands  résultats  auraient  été  obtenus,  car  la  gauche 
de  von  Kluck  était  bien  au  sud  de  Lizy-sur-Ourcq.  Mais  les 
jer  et  2®  corps  avaient  été  tenus  en  échec  sur  leurs  deux  flancs 
jusqu'à  ce  que  la  journée  fût  très  avancée.  Ce  ne  fut  qu'à 
5  heures  du  soir  que  le  général  Maunoury  fit  connaître  la 
retraite  de  l'ennemi  vers  le  Nord-Est  sous  la  protection  de 
son  artillerie  lourde.  Dans  la  soirée  du  9,  les  rapports  de  l'avia- 
tion confirmèrent  cette  nouvelle  en  signalant  le  défilé  inin- 
terrompu de  masses  allemandes  sur  la  route  de  Lizy-sur- 
Ourcq  vers  Coulombs.  » 

«  Le  corps  expéditionnaire  britannique,  ajoute  l'auteur, 
avait  refoulé  le  rideau  organisé  par  von  Marwitz  et  consis- 
tant en  troupes  dont  l'effectif  était  peu  inférieur  au  sien. 
C'étaient  quatre  divisions  de  cavalerie  avec  au  moins  huit 
bataillons  de  chasseurs,  la  5^  division,  une  brigade  mixte  du 
9«  corps,  les  arrière-gardes  des  2^  et  ^^et  un  détachement  du  3^. 
Dans  im  terrain  particulièrement  favorable  à  la  défense,  il  avait 
forcé  le  passage  de  la  Marne  et  d'autres  cours  d'eau,  et  non 
seulement  il  s'était  interposé  entre  les  pe  et  11^  armées 
allemandes,  mais,  pendant  que  la  I^e  était  tout  entière 
aux  prises  avec  les  troupes  du  général  Maunoury,  il  avait 
tourné  son  flanc  gauche.  Comme  devait  le  reconnaître  le 
chef  d'état-major  de  von  Kluck,  les  Allemands  n'avaient  le 
choix  qu'entre  un  désastre  pour  leur  droite,  ou  la  retraite.  » 

Tout  en  rendant  pleinement  justice  aux  efforts  de  nos 
vaillants  alliés,  il  semble  que  ces  assertions  ne  peuvent  être 


44  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

admises  que  sous  certaines  réserves.  Non  seulement,  en  effet, 
les  positions  atteintes  le  9  au  soir  par  l'armée  britannique 
ne  menaçaient  pas  directement  les  lignes  de  retraite  de  von 
Kluck,  qui  put  impunément  utiliser  la  route  de  Lizy-sur- 
Ourcq  à  Coulombs,  mais  il  en  aurait  été  de  même  si  les  objec- 
tifs fixés  par  le  maréchal  French  avaient  été  intégralement 
atteints  dans  la  journée  du  9  septembre.  En  effet,  à  Dhuisy, 
où  aurait  dû  parvenir  la  gauche  du  3^  corps,  on  est  encore  à 
5  kilomètres  de  Coulombs,  et  une  fois  là,  il  aurait  fallu  au  gé- 
néral Pulteney  de  nouveaux  ordres  pour  qu'il  agît  effecti- 
vement sur  les  derrières  de  la  P^  armée  allemande. 

Tout  autre  aurait  été  la  situation  si  les  troupes  britan- 
niques, parvenues  de  bonne  heure  vers  le  Thiolet  et  Ver- 
telet,  avaient  en  obhquant  à  l'Ouest  fait  tomber  rapidement 
la  défense  de  Montreuil  et  plus  tard  celle  de  la  Ferté-sous- 
Jouan-e.  Ainsi  qu'on  l'a  dit  ailleurs,  le  maréchal  French 
entre  la  VI^  armée  et  la  V^  se  trouva  dans  une  situation 
analogue  à  celle  de  Bernadotte  à  Apolda  ou  de  Grouchy  à 
Wavres  et  ne  se  détermina  pas  plus  que  ses  devanciers  à 
prendre  nettement  parti  dans  un  sens  ou  dans  l'autre.  Il 
convient  d'ajouter  toutefois  que  les  inquiétudes  que  l'on 
eut  quelque  temps  pour  le  flanc  droit  du  i^^  corps  britannique 
auraient  été  dissipées  si  le  corps  de  cavalerie  Conneau  ne 
s'était  pas  laissé  dépasser  par  nos  alhés  et  n'avait  pas  attendu 
jusqu'à  I  heure  du  soir  pour  franchir  le  pont  d'Azy,  alors 
qu'il  savait  le  terrain  libre  vers  le  Nord  au  moins  jusqu'à 
la  route  de  Château-Thierry  à  Montreuil  et  Lizy-sur-Ourcq. 
On  sait  d'ailleurs  que  le  18^  corps  ne  devait  atteindre  Châ- 
teau-Thierry par  ses  éléments  avancés  que  bien  tard  dans 
la  journée  du  9. 

L'impression  ressentie  au  quartier  général  britannique 
lorsque  l'on  sut  que  von  Kluck  battait  en  retraite  est  exprimée 
par  le  général  Edmonds  dans  des  termes  qui  méritent  d'être 
reproduits. 

«  Comme  la  ligne  de  retraite  de  la  I^^  armée  allemande 
paraissait  devoir  plus  ou  moins  passer  devant  le  front 
britannique,  il  semblait  qu'on  pût  espérer  la  couper.  De- 
vançant donc  les  instructions  écrites  du  général  Joffre, 
lesquelles  parvinrent  le  lendemain  seulement  et  qui  deman- 
daient une  poursuite  sans  relâche  afin  de  confirmer  et  d'uti- 
liser le  succès  obtenu,  sir  John  French,  à  8  h.  15  du  soir,  le 


LE   CORPS   EXPÉDITIONNAIRE   BRITANNIQUE   EN   I914      45 

9  septembre,  prescrivit  à  ses  troupes  de  reprendre  la  pour- 
suite vers  le  Nord  le  lendemain  dès  5  heures  du  matin.  » 

Très  logiquement  donc  nos  alliés  avaient  pensé  que  von 
Kluck  s'efforcerait  de  se  rapprocher  de  la  11^  armée  alle- 
mande en  dirigeant  sa  marche  vers  le  Nord-Est  et  voulaient 
s'interposer  entre  les  deux  groupes  ennemis.  Mais  sachant 
que  celui  de  l'Ouest  avait  déjà  pris  une  grande  avance  vers 
le  Nord,  ils  auraient  dû  en  conclure  qu'une  très  longue 
étape  vers  le  Nord  était  nécessaire  sous  peine  de  voir  von 
Kluck  leur  échapper.  Or  l'ordre  n»  20  ne  donnait  comme  ob- 
jectif au  i^r  corps  que  Neuilly-Saint-Front  et  Noroy-sur- 
Ourcq,  situés  à  16  kilomètres  d'une  part,  20  de  l'autre,  au 
nord  de  la  zone  de  départ  ;  au  2^  corps  la  Ferté-Milon,  à 
20  kilomètres  aussi  des  cantonnements  du  9.  Pour  le  3® 
enfin,  qui  à  la  vérité  avait  à  effectuer  le  passage  de  la  Marne, 
l'ordre  ne  prévoyait  pas  de  progression  au  delà  de  Cocherel, 
situé  à  9  kilomètres  seulement  de  la  Ferté-sous-Jouarre. 
Il  n'était  pas  prévu  davantage  de  pointe  éloignée  vers  le 
Nord  pour  la  cavalerie,  chargée  seulement  de  maintenir 
le  contact  à  droite  avec  la  V^  armée,  et  au  centre  de  la  haison 
entre  le  2^  corps  et  le  3«,  manifestement  en  retard. 

Cependant    le    général    Allenby,    interprétant    très   large- 
ment ses  instructions,    devait   dès  les  premières   heures  du 
10  septembre  pousser  énergiquement  au  Nord  vers  Bonnes 
et  Latilly  et  constater,  dès  ii  heures  du  matin,  que  l'ennemi 
(5  régiments  de  cavalerie  avec  200  cycHstes  et  500  voitures) 
repassait  l'Ourcq,   se   dirigeant   vers    Oulchy-le-Château.   Il 
put  canonner  cette  arrière-garde,  à  qui  une  division  de  cava- 
lerie  française   parvenue    à  la    même   heure    à    sa   hauteur 
devait  enlever  son  convoi.  Devant  le  i^^"  corps,  la  i^e  divi- 
sion avait  pris  contact  avec  l'ennemi  dès  8  heures  du  matin 
à  Priez;  mais  canonnée  dans  le  dos  par  sa  propre  artillerie, 
elle   ne   put    rejeter   l'arrière-garde    allemande    sur   l'Ourcq 
avant  3  heures  du  soir.  Plus  à  gauche,  les  deux  brigades  de 
cavalerie  du  général  Gough  avaient    eu  plus   de   succès,  et 
canonné  dès  6  heures  et  demie  un  convoi  allemand  qui  se 
retirait    de    Brumetz   vers   Chézy-en-Orxois,    tandis   que  la 
2^  division  du  2^  corps,  franchissant  le  Clignon  à  Bussières, 
faisait    mettre   bas  les  armes    à  une   troupe   composite   de 
cavahers  démontés,  de  chasseurs  et  de  fantassins  du  4^  corps 
allemand.  Pour  sa  part,  le   12^  lanciers  avait  fait   300  pri- 


46  HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 

sonniers,  enlevé  30  voitures  et  4  mitrailleuses.  Mais  un  con- 
voi de  44  canons  lourds  signalés  par  le  général  de  Maudhuy 
comme  se  portant  de  Lizy-sur-Ourcq  vers  Oulchy-le-Château 
devait  échapper.  Enfin,  retardé  au  passage  de  la  Marne,  le 
3e  corps  britannique  n'avait  pu  empêcher  la  brigade  Kraevel, 
qui  la  veille  avait  défendu  la  Ferté-sous-Jouarre,  d'éviter 
par  une  prompte  retraite  la  capture  ou  la  destruction. 

Le  butin  devait  donc  se  réduire  à  quelque  800  prisonniers 
et  une  batterie,  et,  bien  «  que  l'état  d'esprit  des  troupes  fût 
très  remonté  à  l'aspect  de  tant  de  matériel  allemand  aban- 
donné et  de  si  nombreux  traînards,  c'était  une  déception 
de  voir  que  l'ennemi  n'avait  pas  souffert  davantage.  L'avance 
générale  réalisée  dans  la  journée  se  réduisait  à  10  milles 
(16  kilomètres)  ».  En  effet,  dans  la  soirée,  le  i^^  corps  n'avait 
pas  dépassé  le  front  Latilly-Monnes,  à  5  kilomètres  au  sud 
de  l'Ourcq  ;  la  tête  seule  du  2^  était  parvenue  à  sa  hauteur 
à  Saint-Quentin,  tandis  que  bien  en  arrière  le  3^  corps  at- 
teignait seulement  par  ses  troupes  les  plus  avancées  la  vallée 
du  Oignon  à  Vaux-sous-Coulombs.  A  la  droite  et  sensi- 
blement plus  au  Nord,  le  corps  de  cavalerie  Conneau  avait 
atteint  la  Fère-en-Tardenois  ;  à  la  gauche  aussi,  l'armée  Mau- 
noury  conversant  vers  le  Nord-Est  avait  sa  droite  tout  près 
de  la  Ferté-Milon. 

L'Instruction  n°  21  du  général  Joffre,  datée  du  10  sep- 
tembre, allait  réserver  au  corps  britannique  une  zone  de 
marche  comprise  entre  la  route  de  la  Fère-en-Tardenois- 
Bazoches  à  droite  et  celle  de  la  Ferté-Milon-Longpont  à 
gauche,  ce  qui  impliquait  une  orientation  sensiblement 
vers  le  Nord-Est.  Dans  cette  zone,  dit  Edmonds,  les  routes 
étaient  peu  nombreuses,  ce  qui  devait  compliquer  le  mou- 
vement. Aussi,  bien  que  la  cavalerie  opérant  en  avant  du 
front  fût  parvenue  sans  difficulté  jusqu'à  la  ligne  générale 
Cuiry-Vierzy,  le  i^'^  corps,  qui  étant  au  pivot  avait  mar- 
qué le  pas,  ne  dépassait  pas  le  11  au  soir  Beugneux, 
tandis  que  le  2^  atteignait  Hartennes-et-Taux  et  que  le  3® 
à  l'aile  marchante  n'avait  pu  arriver  à  se  mettre  en  ligne 
et  se  trouvait  encore  en  échelon  refusé  à  Chouy  et  la  ferme 
de  la  Loge,  à  5  kilomètres  au  sud  de  Longpont.  La  division 
de  cavalerie  s'était  repliée  dans  la  soirée  sur  le  front  de 
Lonpeignes-Arcy. 

«  Les    flancs    intérieurs    des    armées    françaises    voisines, 


LE    CORPS    EXPÉDITIONNAIRE    BRITANNIQUE    EN    I914     47 

dit  Edmonds,  se  trouvaient  en  ligne  et  au  contact  de  l'armée 
britannique.  »  Ceci  n'est  pas  tout  à  fait  exact,  car  à  la  gauche 
la  45®  division  qui  formait  la  droite  de  l'armée  Maunoury 
avait  atteint  Chaudun  à  8  kilomètres  au  nord-est  de  Long- 
pont  et  à  la  droite,  si  le  18^  corps  à  Mareuil-en-Dôle  était 
aligné  avec  l'armée  britannique,  le  corps  de  cavalerie  Conneau, 
maître  des  passages  de  Bazoches  et  de  Fismes,  était  sensible- 
ment en  avant. 

L'effort  que  sir  John  French  se  proposait  de  dernander 
le  12  septembre  à  ses  troupes  était  plus  considérable,  car 
il  s'agissait  d'atteindre  l'Aisne  et  de  prendre  pied  sur  la  rive 
droite  à  Bourg,  pour  le  i^^  corps,  Pont-Arcy  pour  le  2^, 
Vailly  pour  le  3^,  sous  la  protection  de  la  cavalerie  qui 
ferait  «  tous  ses  efforts  pour  harceler  l'ennemi  dans  sa  re- 
traite );.  Le  mauvais  temps  ayant  paralysé  l'aviation,  on 
savait  peu  de  chose  sur  les  Allemands,  sinon  que  deux  de 
leurs  divisions  de  cavalerie  vers  Soissons  se  disaient 
harassées  et  arrêtées  par  l'encombrement  des  routes.  D'ailleurs, 
le  général  de  Maudhuy  avait  fait  connaître  que  la  retraite 
de  l'ennemi  prenait  le  caractère  d'une  déroute.  La  cavalerie 
britannique  se  mit  donc  en  m.ouvement  de  bonne  heure, 
pleine  d'entrain  malgré  la  pluie  qui  tombait  à  torrents, 
et  vint  bientôt  border  la  Vesle  dont  plusieurs  ponts  étaient 
détruits.  Devant  Braisne,  la  i^^  brigade  de  cavalerie  trouva 
une  résistance  opiniâtre,  qui  ne  céda  qu'après  le  passage  de 
l'infanterie  britannique  à  Bazoches  d'une  part  et  à  Courcelles 
de  l'autre.  Plus  à  l'Ouest,  les  3^  et  5^  brigades  de  cavalerie, 
ayant  franchi  la  Vesle  à  Cirj',  avaient  la  chance  de  capturer 
deux  compagnies  de  landwehr.  Mais  bientôt  on  apprenait 
que  le  pont  de  Vailly  sur  l'Aisne  était  détruit,  et  celui  de 
Condé  fortement  occupé.  «  A  la  nuit,  aucun  des  passages 
n'était  tombé  au  pouvoir  des  troupes  britanniques...,  les 
jer  Qi  2e  corps  étaient  encore  à  2  milles  de  la  rivière...  à  Lon- 
gue val  et  Dhuizelles.  A  la  gauche,  le  3^  corps  avait  fait  un 
gros  effort  :  apprenant  qu'à  sa  gauche  la  45^  division  fran- 
çaise était  engagée  contre  des  forces  ennemies  établies  au 
sud  de  Soissons,  il  avait  pris  une  formation  préparatoire  de 
combat.  Mais  il  était  3  heures  du  soir  quand  sa  brigade  de 
tête  atteignit  Septmonts  à  3  milles  (4  km.  5)  au  sud-est 
de  Soissons...  Une  grosse  colonne  allemande  était  en  marche 
au  Nord-Est  de  la  ville...  »  On  tenta  de  la  canonner  de  loin  ; 


48  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

mais  on  perdit  du  temps,  et  la  tête  du  3^  corps  ne  dépassa 
pas  Septmonts.  Pourtant  deux  compagnies  avaient  poussé 
sur  Venizel,  dont  l'ennemi  ne  put  détruire  complètement 
le  pont,  mais  dont  il  occupa  fortement  le  débouché  Nord. 

A  la  droite  de  l'armée  britannique,  le  corps  Conneau 
n'avait  pas  dépassé  la  Vesle,  non  plus  que  le  18^  corps  qui 
avait  forcé  et  occupé  les  passages  de  Fismes,  Courlandon 
et  Armil.  Seule  une  partie  de  la  35^  division  avait  poussé 
jusqu'aux  environs  de  Ventelay,  sans  pourtant  être 
maîtresse  de  ce  village.  Vers  l'Ouest,  la  45^  division  formant 
la  droite  de  la  VP  armée  bordait  l'Aisne  de  Soissons  à  Com- 
piègne. 

A  ce  moment,  la  F^  armée  allemande  était  établie  au 
nord  de  la  rivière  ;  sa  gauche  à  Ostel,  tenu  par  le  3®  corps, 
se  trouvait  séparée  par  une  distance  de  près  de  25  kilomètres 
de  la  11^  armée,  dont  la  droite  atteignait  seulement  Berry-au- 
Bac.  Dans  cet  intervalle  se  trouvaient  seulement  les  trois 
divisions  de  cavalerie  de  von  Marwitz.  Il  s'agissait  donc 
pour  le  haut  commandement  allemand  d'empêcher  les  alliés 
de  pénétrer  dans  cette  trouée  et,  dit  justement  Edmonds, 
«  ce  n'est  pas  exagérer  de  dire  que  le  sort  des  armées  alle- 
mandes de  l'Ouest  tournait  autour  de  la  solution  de  ce 
problème...  Devant  cette  trouée  s'avançaient  le  18^  corps 
français,  les  divisions  de  réserve  Valabrègue,  le  corps  de 
cavalerie  Conneau,  le  i^^  corps  britannique  et  la  division  de 
cavalerie  Allenby  ». 

D'accord  avec  l'instruction  du  général  Joffre  n°  23  reçue 
le  12  septembre  à  2  heures  du  soir,  le  maréchal  French  avait 
donné  comme  objectif  à  ses  trois  corps  la  ligne  Lierval-Cha- 
vignon-Terny,  à  peu  près  parallèle  à  l'Aisne  et  à  12  kilo- 
mètres environ  au  nord  de  cette  rivière,  ce  qui  impliquait 
l'enlèvement  de  la  célèbre  crête  marquée  par  le  Chemin-des- 
Dames. 

Dans  la  nuit  du  12  au  13,  le  3®  corps  avait  réussi  par  un 
brillant  coup  de  main  à  jeter  la  ii^  brigade  au  nord  de  Ve- 
nizel et  à  prendre  pied  sur  le  plateau  qui  domine  Busy-le-Long. 
De  bonne  heure,  la  division  de  cavalerie,  soutenue  par  la 
2^  brigade  du  i^""  corps,  força  le  passage  de  Bourg.  Plus  à 
l'Ouest,  la  5e  brigade  put  se  servir  du  pont  de  Pont-Arcy, 
incomplètement  détruit.  Mais  il  n'en  fut  pas  de  même  à 
Vailly,  où  le  2^  corps  fut  tenu  en  échec,  et  à  gauche,  on  ne 


LE   CORPS   EXPÉDITIONNAIRE   BRITANNIQUE   EN   I914      49 

put  progresser  sur  les  hauteurs  au  nord  de  Venizel.  Telle 
était  la  situation  à  midi,  quand  sir  Douglas  Haig  apprit 
qu'à  sa  droite  «  la  35e  division  du  18^  corps  français  avait 
franchi  l'Aisne  à  Pontavert...  et  qu'avec  la  cavalerie  Cor- 
meau  elle  menaçait  l'extrémité  est  du  Chemin-des-Dames. 
Il  faut  ajouter  que  pendant  la  journée  le  18^  corps  devait 
atteindre  Amifontaine  à  10  kilomètres  au  nord  de  Berry- 
au-Bac,  et  que  la  cavalerie  Conneau  devait  pousser  sur 
Sissonne  et  Malmaison  à  10  et  5  kilomètres  plus  au  Nord 
encore,  et  bien  en  arrière  du  front  allemand.  La  perspective 
d'une  percée  n'avait  jamais  été  plus  brillante  ». 

Dans  l'après-midi,  la  2^  brigade  de  cavalerie,  soutenue 
progressivement  par  les  diverses  unités  de  la  i^e  division 
d'infanterie,  avait  pu  gagner  le  front  Paissy-Moulins,  hau- 
teurs au  nord-ouest  de  Bourg,  mais  était  tenue  en  échec 
par  des  forces  venant  du  Nord  et  du  Nord-Ouest.  A  la  gauche, 
une  seule  brigade  de  la  2^  division  avait  pu  passer  à  Pont- 
d'Arcy.  Plus  à  l'Ouest,  les  progrès  du  2^  corps  s'arrêtèrent 
au  château  de  Vauxelles,  à  moins  de  2  kilomètres  au  nord- 
ouest  de  Vailly.  A  Condé,  aucune  attaque  n'avait  été  tentée. 
A  Missy  c'est  à  la  faveur  de  la  nuit  seulement  qu'un  bataillon 
avait  pu  au  moyen  de  bateaux  et  de  radeaux  prendre  pied 
sur  la  rive  droite.  Entre  ce  point  et  Venizel,  à  Moulin-des- 
Roches,  l'attaque  de  la  14e  brigade  contre  l'éperon  de  Chèvres 
avait  échoué. 

A  l'aube  du  14  septembre,  la  division  de  cavalerie,  la 
ife  division,  la  5e  brigade  d'infanterie  entre  Paissy  et  Ver- 
neuil,  puis,  séparées  par  un  intervalle  de  8  kilomètres,  les 
8e  et  9e  brigades  à  Vauxelles,  enfin,  à  une  nouvelle  distance 
de  5  kilomètres,  la  4e  division,  les  14e  et  15e  brigades  et 
deux  bataillons  environ  à  Missy,  Sainte-Marguerite  et  Russy, 
étaient  les  seules  troupes  qui  avaient  pu  prendre  pied  sur 
la  rive  nord  de  l'Aisne.  A  leur  droite,  bien  que  la  cava- 
lerie Conneau,  menacée  d'enveloppement,  eût  dû  se  replier 
sur  Juvincourt,  le  18^  corps  avait  fait  des  progrès  vers 
Corbény,  Craonne  et  Craonnelle.  A  leur  gauche  la  45e  division 
de  l'armée  Maunoury,  soutenue  par  la  55e  du  groupe  Lamaze, 
n'avait  pu  dépasser  Cuffies  au  nord  de  Soissons. 

Le  13,  à  6  heures  du  soir,  sir  John  French  avait  prescrit 
une  attaque  générale  qui  devait  amener  ses  troupes  sur  le 
front  Laon-Fresnes,   couvertes  sur  leurs   deux   ailes  par  la 


50  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

cavalerie.  Le  i^^  corps  devait  d'abord  attaquer  le  Chemin- 
des-Dames  entre  Cerny,  Courtecon  et  le  tunnel  du  canal 
de  l'Oise  à  l'Aisne  ;  le  2^  avait  aussi  à  lancer  ses  deux  divi- 
sions droit  au  Nord  ;  le  3®  attaquerait  avec  une  division  les 
hauteurs  entre  Vrégny  et  Braye,  gardant  la  19^  brigade 
en  réserve.  Comme  on  le  sait,  les  subordonnés,  mieux  au 
courant  de  la  situation  réelle  que  leur  chef,  s'étaient  donné 
des  objectifs  beaucoup  moins  éloignés. 

Mais  un  grave  incident  allait  réduire  à  néant  les  espérances 
conçues  par  le  commandement  britannique.  Arrivé  le  13 
au  matin  au  sud  de  Laon,  le  7^  corps  de  réserve  allemand 
qui  venait  de  Maubeuge  avait  repris  sa  marche  après  une 
courte  halte,  et,  refusant  de  se  rendre  à  l'appel  de  von  Bulow 
qui  voulait  le  faire  venir  à  Berry-au-Bac,  le  général  von  Zwehl 
avait  lancé  la  13^  division  de  réserve  sur  le  Chemin-des-Dames 
au  nord  de  Braye-en-Laonnais,  et  la  14^,  partie  à  Cerny  et 
partie  plus  à  l'Est,  encadrant  la  cavalerie  de  von  Marwitz. 
Devant  le  front  britannique  allaient  encore  se  trouver  le 
36  corps  renforcé  d'une  brigade  du  9^  au  nord  de  Vailly, 
le  2^  corps  et  une  partie  du  4^.  De  plus,  le  15®  corps  arrivant 
de  Saint-Quentin  devait  boucher  la  trouée  qui  existait  au 
nord-ouest  de  Berry-au-Bac.  Tous  les  efforts  des  troupes 
britanniques  échouèrent  avec  des  pertes  sérieuses.  Seul  le 
i^r  corps  put  pousser  sa  droite  jusqu'au  Chemin-des-Dames, 
sa  gauche  s'inclinant  jusqu'à  l'Aisne  près  de  Chavonne  ; 
le  2^,  en  deux  groupes  séparés  par  un  intervalle  de  6  kilomètres, 
restait  rivé  à  la  rive  droite  de  l'Aisne  de  Vailly  à  Missy;  le  3^ 
n'avait  pu  dépasser  la  crête  militaire  des  hauteurs  qui  s'éten- 
dent entre  Missy  et  Crouy.  A  droite,  le  18^  corps,  contre- 
attaque  à  Craonnelle  par  le  15^  corps  allemand,  avait  dû 
se  contenter  de  garder  sa  conquête  et  à  sa  droite  le  front 
allemand  était  maintenant  continu  jusqu'à  Berry-au-Bac.  A 
gauche,  la  VI^  armée  était  fixée  sur  le  front  Soissons-Attichy. 
«  Dans  leur  ensemble,  les  résultats  de  la  journée  du  14  sep- 
tembre étaient  décevants...  De  plus  la  situation  du  corps 
expéditionnaire  britannique  n'était  rien  moins  que  sûre...  le 
front  était  beaucoup  trop  étendu  pour  une  offensive.  Prati- 
quement tous  les  bataillons  étaient  en  ligne,  et  il  n'y  avait 
aucune  réserve  générale...  Il  n'y  avait  plus  un  seul  pont 
permanent  utilisable  pour  franchir  la  vallée  de  l'Aisne,  pro- 
fonde et  grossie  par  les  pluies...   et  les  ponts  temporaires 


LE   CORPS   EXPÉDITIONNAIRE   BRITANNIQUE   EN   I914      51 

exposés  au  feu  étaient  en  danger  constant  d'être  emportés 
par  les  eaux.  La  plus  grande  partie  de  la  vallée  était  battue 
par  les  obus  allemands...  Constamment  les  vivres  durent 
être  portés  à  bras,  et  les  blessés  ne  purent  être  évacués  que 
pendant  la'  nuit...  Pourtant  du  côté  opposé  il  y  avait  une 
dépression  analogue,  car  le  14  septembre  au  soir...  le  haut 
commandement  allemand  avait  ordonné  une  retraite  géné- 
rale dans  le  cas  où  la  F^  armée  ne  pourrait  tenir  la  ligne  de 
l'Aisne.  » 

Cette  date  du  14  septembre  devait  marquer  la  fin  de  la 
progression  du  corps  expéditionnaire  britannique.  La  journée 
du  15  fut  surtout  celle  de  contre-offensives  allemandes  aux- 
quelles nos  alliés  purent  cependant  résister.  D'ailleurs,  un  télé- 
gramme du  général  Joffre,  reçu  par  l'état-major  britannique 
à  I  h.  15  du  soir,  spécifiait  qu'il  ne  pouvait  plus  être  question 
de  poursuivre  un  ennemi  arrêté  et  fortement  retranché, 
mais  d'organiser  les  positions  conquises  et  de  procéder  à 
des  attaques  méthodiques.  C'est  dans  ce  sens  que  sir  John 
French  donna  à  8  h.  30  du  soir  un  ordre  n^  26.  La  guerre  de 
tranchées  commençait. 

Nous  ne  suivrons  pas  le  général  Edmonds  dans  le  récit 
des  affaires  de  détail  livrées  sur  l'Aisne  jusqu'à  la  fin  de 
septembre.  Pendant  cette  période  s'effectuait  ce  qu'on  a 
appelé  la  course  à  la  mer,  et  sir  John  French  se  montrait 
très  désireux  de  reprendre  sa  place  à  la  gauche  du  front 
allié.  Comme  le  dit  Edmonds,  il  était  désirable  de  se  relier 
aux  troupes  britanniques  déjà  débarquées  dans  le  Nord 
ou  en  voie  de  l'être,  et  de  «  raccourcir  les  lignes  de  communi- 
cation. D'ailleurs,  les  Britanniques...  étaient  plus  intéressés 
que  toute  autre  nation  à  couvrir  les  ports  de  la  Manche, 
d'où  les  Allemands  pouvaient  interdire  les  transports  par 
mer  et  bloquer  les  routes  commerciales  convergeant  sur 
Londres...  Le  général  Joffre  y  consentit,  et,  dans  la  nuit 
du  i^'"  au  2  octobre,  les  troupes  britanniques  commencèrent 
à  se  retirer  de  la  vallée  de  l'Aisne  ».  Toutes  les  précautions 
furent  prises  pour  garder  secrets  ces  mouvements  et  on  y 
réussit  si  bien  que,  le  3  octobre,  un  télégramme  sans  fil  inter- 
cepté faisait  connaître  que  les  Allemands  croyaient  encore 
les  six  divisions  britanniques  maintenues  sur  l'Aisne. 

«  Le  2^  corps  se  mit  en  mouvement  le  premier,  tandis  que 
le  i^r  étendait  sa  gauche  jusqu'à  Vailly  et  le  3^  sa  droite 


52  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

jusqu'à  Missy  pour  occuper  le  terrain  évacué.  Un  jour  de 
repos  sur  la  rive  gauche  de  l'Aisne  permit  au  2®  corps  de 
se  réapprovisionner  en  couvertures  et  en  capotes,  dont  le 
manque  s'était  si  durement  fait  sentir  avec  les  temps  af- 
freux supportés  dans  les  tranchées  de  l'Aisne.  Dans  la  nuit 
du  3  au  4,  le  2^  corps  gagna  Compiègne  et  les  stations  voisines. 
La  2^  division  de  cavalerie  fit  étape  la  nuit  du  2,  et  la  1^^ 
la  nuit  du  3.  Le  3®  corps  remit  ses  tranchées  aux  Français 
dans  la  nuit  du  6  et  se  mit  en  marche  vingt-quatre  heures 
plus  tard  pour  s'embarquer  à  Compiègne  et  environs,  lais- 
sant une  brigade  au  i^^  corps  qui  resta  en  position  jusqu'à 
la  nuit  du  12  au  13  octobre.  Mais  l'évacuation  ne  fut  com- 
plète que  quarante-huit  heures  plus  tard.  » 

D'après  les  ordres  d'opérations  n^^  29  et  30  donnés  par 
le  maréchal  French,  les  2^  et  i'"®  divisions  de  cavalerie  de- 
vaient se  porter  par  Amiens  et  Saint-Pol  sur  Lille.  Mais  le 
9  octobre,  la  2^  division  de  cavalerie  n'était  encore  qu'entre 
Saint-Pol  et  Hesdin,  tandis  que  la  2^  se  trouvait  à  une  journée 
de  marche  en  arrière.  D'ailleurs,  et  dans  des  conditions  qui 
seront  sans  doute  élucidées  dans  le  volume  suivant,  les  zones 
de  débarquement  convenues  avec  le  haut  commandement 
français  furent  changées  en  cours  de  route,  car  le  2®  corps 
britannique  débarqua  à  Abbeville  seulement  le  8  et  le  9  oc- 
tobre, et  se  porta  de  là  par  voie  de  terre  sur  Béthune.  Le  11, 
le  3®  se  concentra  à  Saint-Omer  et  Hazebrouck,  mais  ce  ne 
fut  que  le  19,  une  semaine  plus  tard,  que  le  i®^  arriva  à 
Hazebrouck  d'où  il  devait  marcher  sur  Ypres. 

Il  faut  attendre  la  suite  de  la  publication  de  l' état-major 
britannique  pour  savoir  quelles  raisons  justifièrent  ces  re- 
tards, dont  les  conséquences  furent,  on  le  sait  aujourd'hui, 
fâcheuses. 

De  ce  qui  est  paru  de  l'étude  du  général  Edmonds  on 
peut  assurément  conclure  à  une  haute  estime  pour  les  qua- 
lités militaires  dont  firent  preuve  nos  alliés,  pour  l'esprit 
d'ordre  et  de  méthode  de  leur  commandement.  Si  les  résul- 
tats, spécialement  lors  de  la  bataille  de  la  Marne,  ne  furent 
pas  plus  décisifs,  cela  tient  assurément  pour  une  large 
part  aux  difficultés  que  le  terrain  opposa  à  leur  progres- 
sion et  à  l'habileté  et  à  l'énergie  incontestables  dont  firent 
preuve  les   Allemands  dans  cette  circonstance  critique. 

Colonel  E.  Desbrière. 


DOCUMENTS 


La  mobilisation  de  rarmée  russe  en  1914  ^^\ 


Le  témoignage  du  général  Dobrorolsky. 

Le  général  Dobrorolsky  qui,  en  1914,  dirigeait  le  service  de  la  mobi- 
lisation au  ministère  russe  de  la  guerre,  a  publié,  en  192 1,  un  article 
des  plus  intéressants  sur  la  mobilisation  de  l'armée  russe  {Voïenny 
Sbornik,  Belgrade,  192 1,  i^'  fascicule).  Cet  article  a  été  traduit  en 
allemand  par  les  soins  de  1'  «  Office  central  d'études  sur  l'origine  de 
la  guerre  »;  il  a  paru  précédé  d'un  avant-propos  du  docteur  Sauerbeck, 
directeur  de  cet  office,  et  suivi  d'observations  du  comte  de  Pourtalès, 
ambassadeur  d'Allemagne  à  Pétersbourg  en  1914,  du  colonel  von 
Eggeling,  ancien  attaché  militaire  à  l'ambassade  d'Allemagne  à  Pé- 
tersbourg, et  du  général  comte  de  Montgelas,  expert  militaire  de  la 
Commission  parlementaire  d'enquête  du  Reichstag.  Nous  en  donnons 
aujourd'hui  une  traduction  française  ;  la  première  partie  paraît  dans 
le  présent  numéro  ;  la  seconde  paraîtra  dans  le  numéro  suivant  qui 
comprendra  aussi  la  traduction  d'un  deuxième  article,  beaucoup 
plus  court,  que  le  général  Dobrorolsky  a  publié  en  1922,  en  réponse 
à  M,  Heinz  Fenner,  lequel,  dans  le  N achrichtenUatt  ûber  ostfragen, 
avait  cherché  à  tirer  parti  contre  la  Russie  des  renseignements  con- 
tenus dans  le  premier  article, 

< 

La  mobilisation  de  l'armée  impériale  russe,  en  l'année  1914, 
fut  le  prologue  d'un  immense  drame  historique,  dont  le  der- 
nier acte  n'est  pas  encore  joué.  Déjà,  au  cours  de  ce  prologue, 
on  pouvait,  à  l'arrière-plan,  observer  des  nuages  noirs  avant- 
coureurs  de  toute  une  sombre  période.  Il  est  d'un  grand 
intérêt  d'étudier  dans  tout  le  détail  des  faits  l'histoire  de 
la  mobilisation,  et  cela  ne  pourra  se  faire  que  plus  tard  par 
la  plume  d'un  spécialiste  ayant  tous  les  documents  à  sa  dis- 

(1)  Article  paru  dans  le  recueil  intitulé  Voïenny  Sbornik  [Ktvne  militairel 
(Belgrade,  1921,  1"  fascicule). 


54  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

position  (i)...  La  présente  esquisse  n'a  aucune  prétention 
à  être  une  œuvre  de  cet  ordre  :  alors  qu'on  est  loin  de  toutes 
les  sources,  qu'on  n'a  ni  notes,  ni  documents,  ni  chiffres  par 
suite,  ni  même  de  journal  personnel,  il  n'est  pas  possible 
de  publier  un  travail  historique  sérieux.  L'étude  que  l'on 
trouvera  ici  est  beaucoup  plus  modeste,  elle  reproduit  mes 
souvenirs  personnels  en  tant  que  chef  du  service  qui  fut  appelé 
au  point  de  vue  technique  à  mettre  le  feu  au  bûcher  mon- 
dial. 

La  mobilisation  des  forces  militaires  de  l'État  occupe  une 
place  toute  particulière  dans  l'organisation  complexe  de 
guerre.  La  façon  dont  les  choses  se  passent  dépend  aussi  peu 
que  possible  de  la  volonté  personnelle  du  chef.  Tout  le  plan 
de  la  mobilisation  est  élaboré  à  l'avance  dans  tous  ses 
détails.  Le  moment  choisi,  il  n'y  a  qu'à  appuyer  sur  un  bouton, 
et  tout  l'État,  automatiquement,  se  met  en  mouvement 
avec  la  précision  d'un  mécanisme  d'horlogerie,  pour  trans- 
former en  quelques  jours  son  armée  de  cadres  en  un  peuple 
en  armes. 

L'œuvre  propre  du  chef  suprême  consiste  donc  seulement 
dans  le  choix  du  moment  initial  et  n'a  qu'une  durée  très 
courte.  Ce  choix  est  déterminé  par  un  ensemble  de  causes 
politiques  variées.  Mais  une  fois  la  décision  prise,  tout  est 
fini,  tout  recul  est  impossible,  elle  entraîne  automatiquement 
le  commencement  de  la  guerre. 

Le  choix  du  genre  de  mobilisation  est  laissé  aussi  dans 
une  certaine  mesure  à  la  décision  du  chef  suprême,  quand 
plusieurs  sortes  de  mobilisations  sont  prévues  pour  l'armée. 

Les  deux  questions  fondamentales  mentionnées  ici  furent 
résolues  pour  l'armée  russe  en  juillet  1914  après  de  longues 
hésitations.  Ces  hésitations  sont  peu  connues  dans  le  détail, 
quoique  certains  périodiques  aient  déjà  publié  des  articles 
de  toute  provenance  sur  quelques-unes  de  leurs  phases. 


(  I  )  On  peut  à  la  lecture  de  mon  article  se  demander  s'il  convenait  de  livrer 
à  la  publicité  certains  faits  d'un  caractère  secret.  11  ne  faut  pas  oublier  tou- 
tefois que  tous  les  secrets  du  gouvernement  russe  antérieur  à  la  révolution 
se  trouvent  aux  mains  d'un  gouvernement  institué  de  Berlin  avec  l'appui  de 
l'état-major  général  allemand,  et  qu'à  la  tête  de  l'administration  militaire 
est  placé  Trotzky  Bronstein.  Toutes  les  archives,  tous  les  documents,  tous 
les  plans,  conservés  autrefois  sous  décuple  verrou,  sont  aux  mains  de  ces 
gens.  A  qui  ces  secrets  étaient  utiles,  il  a  été  possible  depuis  longtemps  de 
les  acheter,  comme  a  été  achetée  la  malheureuse  Russie  tout  entière. 


LA   MOBILISATION   DE   l'ARMÉE   RUSSE   EN   I9I4  55 

Je  vais  m'arrêter  un  moment  sur  ces  hésitations  et  tenter 
de  les  expliquer  en  raison  de  leur  intérêt  historique  incontes- 
table. 

Pour  comprendre  le  développement  qui  va  suivre,  il  est 
nécessaire  de  dire  quelques  mots  des  dispositions  fondamen- 
tales de  notre  mobilisation  avant  la  grande  guerre. 


DE   LA   MOBILISATION   RUSSE   EN   GENERAL 

Il  existe  trois  sortes  de  mobiHsation  de  l'armée  : 

La  mobilisation  générale;  dans  toute  l'étendue  de  l'Empire, 
toutes  les  réserves  d'hommes  exercés  ayant  fait  du  service 
sont  appelées  en  même  temps  pour  compléter  les  effectifs 
de  l'armée  et  de  la  flotte  et  les  mettre  sur  le  pied  de  guerre. 

On  procède  aussi  à  l'appel  de  la  partie  nécessaire  des 
réserves  non  exercées,  ou  irisuffisamment  instruites,  c'est-à- 
dire  de  quelques  classes  de  la  territoriale  {opoltchenia) . 

La  mobilisation  graduelle;  on  atteint  le  même  but,  non 
par  l'appel  simultané  des  soldats  dans  toute  l'étendue  de 
l'Empire,  mais  par  une  série  de  mobihsations  progressives 
par  rayons  et  par  circonscriptions  territoriales.  Ce  mode 
de  mobilisation  doit  être  appliqué  dans  le  cas  d'une  guerre 
contre  un  voisin  puissant,  éloigné,  à  la  frontière  duquel  on 
ne  peut  concentrer  la  force  armée  que  lentement  et  progres- 
sivement par  suite  du  manque  de  voies  ferrées. 

La  mobilisation  partielle;  quand  on  a  en  vue  une  guerre 
avec  un  voisin  faible  et  que,  pour  obtenir  la  victoire,  il  n'est 
pas  nécessaire  de  porter  à  l'effectif  de  guerre  la  totalité  de 
l'armée  et  de  la  flotte. 

En  cas  de  mobiHsation  générale,  toutes  les  forces  combat- 
tantes se  tendent  à  la  limite  :  toute  la  population  mâle 
en  état  de  porter  les  armes  est  appelée. 

Une  mesure  de  cette  sorte,  qui  appelle  toute  la  nation 
aux  armes,  a  pour  effet  la  formation  d'armées  de  seconde,  et 
peut-être  même  de  troisième  ligne.  Elle  comprend  les  notions 
de  mobilisation  générale  et  de  mobilisation  graduelle.  Elle 
sera  la  forme  la  plus  extrême  de  la  mobilisation  générale, 
qui  n'excepte  aucune  tête.  C'est  précisément,  au  vrai  sens 
du  mot,  «  le  peuple  en  armes  »,  la  levée  en  masse  (i). 

(i)  En  français  dans  le  texte. 


56  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Notre  loi  militaire  fondamentale,  le  règlement  sur  l'obli- 
gation du  service  militaire  de  l'année  1912,  garantissait, 
en  cas  de  guerre,  la  possibilité  d'employer  toute  la  popula- 
tion masculine  de  l'État  capable  de  porter  les  armes,  entre 
20  et  43  ans  inclusivement,  c'est-à-dire  pendant  24  années,  ce 
qui  donnait  en  chiffres  ronds  12  millions  d'hommes,  en  te- 
nant compte  des  exemptions  prévues  par  la  loi  et  qui  dis- 
pensaient du  service  militaire.  Mais  si  l'on  prend  tous  les 
hommes  physiquement  aptes  à  porter  les  armes,  il  faut  élever 
ce  chiffre  à  15  millions  (i). 

Pour  des  raisons  techniques,  il  n'y  avait  cependant  ni 
possibiHté,  ni  nécessité  d'appeler  sous  les  armes  d'un  seul  coup 
toute  cette  masse  d'hommes.  Au  contraire.  Il  s'agissait  là 
de  la  réserve  totale  en  hommes  dont  pouvait  disposer  la 
Russie,  réserve  qui  devait  être  judicieusement  employée  par 
ondes  successives  pendant  toute  la  durée  de  la  guerre.  D'après 
ces  principes,  les  prévisions  de  notre  plan  de  mobilisation 
furent  les  suivantes  : 

lo  Mpbihsation  de  notre  armée  permanente  par  l'appel 
des  réservistes  et  la  réquisition  des  chevaux,  voitures  et 
automobiles. 

2»  Formation  de  corps  de  troupes  de  deuxième  catégorie 
et  de  troupes  de  réserves,  tirées  des  cadres  de  paix. 

30  Formation  de  corps  de  troupes  de  l'armée  territoriale 
qui,  dans  leur  ensemble,  avaient  l'importance  d'une  armée 
de  deuxième  ligne.  Mais  une  partie  de  cette  territoriale 
(c'est-à-dire  les  soldats  qui  avaient  fait  du  service  actif 
ou  des  périodes  d'exercices  :  outchebnie  sbory)  devait  être 
employée  dans  l'armée  de  première  ligne  ou  versée  dans 
l'armée  de  campagne. 

Quels  étaient  les  chiffres  ainsi  obtenus  ? 
Notre  armée  sur  le  pied  de  paix  comptait  1.300.000  hommes. 
La  réserve  exercée  composée  de  15  classes  (en  1914.  les 
classes  191 1  à  1897  inclus)  comptait,  officiers  non  compris, 
3.500.000  hommes.  Tout  le  reste  des  hommes  soumis  au 
service  militaire  comprenait  des  territoriaux  (ratniti  opolt- 
chenia)  de  première  et  de  deuxième  catégorie.  Ceux  qui 
avaient  fait  du  service  actif  ou  avaient  suivi  une  courte 

(1)  En  1912,  le  nombre  de  jeunes  hommes  en  âge  d'être  appelés  s'élevait 
pour  toute  la  Russie  (non  compris  les  nationalités  et  groupes  de  population 
dispensés  du  service  militaire),  à  près  de  700.000  hommes. 


LA   MOBILISATION   DE   L'ARMÉE  RUSSE   EN   I914  57 

période  d'instruction  (outchebnie  shory)  formaient  la  pre- 
mière catégorie.  Ceux  qui  n'avaient  point  reçu  d'instruction 
militaire  formaient  la  deuxième  catégorie. 

La  territoriale  atteignait,  au  total,  le  chiffre  colossal 
de  7  à  10  millions  d'hommes.  Le  plan  de  mobilisation  ne 
s'étendait  pas  à  la  territoriale  avec  le  même  détail  qu'à  la 
réserve  de  l'armée. 

On  supposait  qu'il  serait  possible  de  se  borner  à  mobiliser 
la  première  catégorie  de  la  territoriale  . 

Les  quatre  plus  jeunes  classes  seules  étaient  exactement 
recensées.  Elles  se  composaient  d'hommes  soumis  au  ser- 
vice militaire  et  qui,  pour  différents  motifs,  n'avaient  point 
été  pris  en  temps  de  paix,  et  aussi  d'anciennes  classes  qui 
avaient  terminé  leur  temps  de  réserve,  mais  devaient  rester 
dans  la  première  catégorie  de  la  territoriale  jusqu'à  ce  qu'elles 
eussent  accompli  leur  43^  année.  De  cette  réserve  on  forma 
900  droujines  (i),  sotnias  et  batteries.  On  obtint  ainsi  en- 
viron I  million  d'hommes.  Les  corps  de  troupe  de  la  terri- 
toriale mentionnés  plus  haut  furent  destinés  à  assurer  le 
service  des  étapes,  et  surtout  le  service  des  garnisons  à  l'inté- 
rieur de  l'Empire,  en  remplacement  des  contingents  de  l'armée 
de  campagne. 

On  forma  aussi,  en  puisant  dans  cette  armée  territoriale, 
les  bataillons  de  réserve  de  deuxième  catégorie  au  nombre 
d'environ  cinq  cents.  On  prévoyait  également  un  million 
d'hommes  a3'ant  cette  affectation.  Le  plan  de  mobilisation 
comprenait  an  total  7  millions  de  soldats. 

Mais  ces  7  millions  ne  devaient  pas  être  appelés  en  même 
temps. 

La  réserve  de  l'armée  était  appelée  par  un  oukase  du 
souverain  au  Sénat  dirigeant,  oukase  dans  lequel  étaient 
dénombrés  les  gouvernements  et  circonscriptions  où  devait 
avoir  lieu  la  mobilisation,  ainsi  que  les  classes  à  appeler. 

L'ordre  souverain  concernant  la  mobilisation  devait  être 
transmis  en  tous  lieux  par  un  télégramme  spécial  signé  de 
trois  ministres  (ministres  de  la  guerre,  delà  marine,  de  l'inté- 
rieur). Par  le  même  oukase  et  le  même  télégramme  devaient 
être  appelés  les  hommes  de  la  territoriale  de  première  caté- 
gorie qui,  par  exception,  devaient  être  versés  dans  la  troupe. 

(0  Bataillons. 


58  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Cela  se  rapportait  principalement  à  certains  districts-fron- 
tières, dans  lesquels  on  pouvait  craindre  que  la  territoriale 
exercée  qui  y  serait  laissée  tombât  aux  mains  de  l'ennemi. 

Mais  la  masse  de  la  territoriale  ne  fut  appelée  que  plus 
tard  par  un  manifeste  de  l'empereur. 

Notre  loi  prévoyait  différents  délais  de  une  à  trois  fois 
24  heures  laissés  aux  réservistes  et  aux  territoriaux  appelés 
en  première  ligne  pour  rejoindre  leur  corps  ;  et  pour  le  reste 
de  la  territoriale,  les  délais  de  mobilisation  étaient  considé- 
rablement allongés.  La  mobilisation  prenait  ainsi,  naturel- 
lement, un  caractère  progressif.  C'est  pourquoi  la  prépara- 
tion de  la  mobilisation  de  l'armée  régulière  et  celle  de  la 
territoriale  furent  en  leur  temps  très  différentes. 

Il  existait,  pour  la  mobilisation  de  l'armée,  un  plan  {mobi- 
lisatsionnoïe  raspiçanie) ,  qui  réglait  dans  les  plus  infimes 
détails  non  pas  jour  par  jour,  mais  heure  par  heure  et,  par 
district,  suivant  le  corps  de  troupe,  et  pour  chacun  l'affec- 
tation à  donner  (nariad)  aux  hommes  de  troupe  ordinaires, 
à  la  réserve  et  aux  chevaux. 

La  mobilisation  de  l'année  1914  se  fit  d'après  le  plan  de 
mobilisation  n^  18  modifié.  Les  plans  étaient  établis  pour 
une  certaine  période,  qui  embrassait  quelques  années.  Un 
plan  était  remplacé  par  un  autre,  qui  portait  le  numéro  sui- 
vant, selon  les  modifications  que  subissait,  du  fait  de  consi- 
dérations stratégiques,  le  plan  général  de  mobilisation. 

La  numérotation  des  plans  commença  après  la  guerre 
russo-turque  (1877-78),  sous  l'influence  des  événements 
de  1879,  alors  que  Bismarck,  pour  la  première  fois,  eut  con- 
clu la  Triple-Alliance  contre  la  Russie  et  que  l'on  se  préoc- 
cupa chez  nous  d'élaborer  un  plan  de  défense  de  notre  fron- 
tière occidentale. 

Le  plan  de  mobihsation  n»  18,  qui  peut  être  considéré 
comme  fondamental,  avait  été  mis  en  vigueur  en  1910,  quand 
on  réforma  notre  infanterie  et  notre  artillerie  de  campagne 
et  supprima  notre  infanterie  de  réserve  et  de  forteresse. 

Le  passage  d'un  plan  au  suivant  s'accompagnait  toujours 
de  difficultés  techniques,  car  il  était  nécessaire  de  modifier 
à  nouveau  tous  les  calculs.  Dans  ce  travail,  les  chemins  de 
fer,  les  administrations  communales,  les  autorités  chargées 
de  la  police  et  toutes  les  branches  de  l'administration  mili- 
taire avaient  un  rôle  considérable.  L'introduction  de  chaque 


LA   MOBILISATION   DE   L'ARMÉE   RUSSE   EN   I914  59 

nouveau  plan  était  précédée  d'un  labeur  compliqué  qui  du- 
rait plusieurs  mois.  D'un  autre  côté,  il  va  de  soi  que  chaque 
nouveau  plan,  perfectionnant  le  mécanisme  de  la  mobili- 
sation, diminuait  le  temps  nécessaire  à  la  mobilisation  et 
mettait  l'armée  plus  promptement  en  état  de  combattre 
Il  faut  remarquer  toutefois  qu'au  moment  du  passage  d'un  plan 
à  l'autre,  cette  aptitude  à  combattre  subissait  un  affaiblisse- 
ment temporaire,  des  heurts  et  des  méprises  pouvant  se 
produire  (i)   facilement. 

Il  fallait  choisir,  pour  introduire  un  nouveau  plan,  une 
période  de  calme  politique.  Nous  nous  rappelons  bien  que 
depuis  1910,  une  telle  période  ne  se  présenta  pour  ainsi 
dire  jamais.  L'Europe  pendant  ces  dernières  années  traver- 
sait une  époque  de  paix  armée.  En  1909,  se  produisit  l'an- 
nexion inattendue  de  la  Bosnie-Herzégovine  par  l'Autriche- 
Hongrie  et  le  «  chevalier  en  armure  de  combat  »  rappela 
à  son  ami  qu'il  était  prêt  à  l'appuyer  de  toutes  ses  forces. 
En  Ï912  se  joua  le  prélude  de  la  grande  guerre  :  la  guerre 
serbo-turque  et  la  guerre  turco-bulgare,  qui  amenèrent 
l'année  suivante  le  démembrement  de  la  Bulgarie.  Ainsi 
mûrissait  le  grand  conflit  inévitable. 

On  pressentait  chez  nous  qu'il  serait  indispensable  d'aug- 
menter de  façon  sensible  nos  forces  militaires  ;  mais  dif- 
férents faits,  parmi  lesquels,  et  non  parmi  les  moindres,  il  faut 
citer  le  constant  changement  de  chef  d'état-major  (5  au 
cours  de  5  années),  avaient  retardé  jusqu'à  l'année  1913 
le  projet  de  renforcement.  En  1913  enfin  fut  établi  le 
«  grand  programme  »  dont  l'exécution  devait  en  cinq  ans 
renforcer  les  armées  de  terre  de  la  Russie. 

Toutes  les  raisons  énumérées  plus  haut  retardèrent  l'ap- 
plication du  nouveau  plan.  Il  devait  entrer  en  vigueur  le 
i^r  janvier  1915.  La  guerre  trouva  donc  notre  armée  sous 
le  régime  du  plan  n»  18,  modifié  et  complété  en  partie,  et 
qui,  pour  cette  raison,  était  désigné  depuis  l'année  191 2  sous 
le  titre  de  Plan  w»  18  modifié. 

C'est  d'après  ce  plan  que  fut  conduite  la  mobihsation 
générale.  A  côté  de  lui  existait  une  série  de  projets  concer- 
nant la  mobihsation  par  partie  des  forces  armées.  Ces  projets 
prévoyaient  donc  des  «  mobilisations  partielles  >>. 

(i)  Avant  que  l'introduction  du  plan  nouveau  fût  achevée  dans  l'armée  et 
la  nation. 


6o  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

En  raison  de  l'immense  étendue  de  notre  patrie,  qui  a  sur 
la  terre  ferme  des  frontières  communes  avec  dix  pays  voisins, 
dont  sept  dans  le  cours  du  seul  xix^  siècle  ont  été  en  guerre 
avec  nous,  il  nous  fallait  envisager  la  possibilité  d'un  conflit 
armé  avec  l'un  quelconque,  ou  un  groupe  d'entre  eux. 

A  côté  de  la  levée  en  masse  de  nos  forces  militaires,  on 
avait  prévu  des  mobilisations  partielles  proportionnées 
aux  exigences  de  la  situation  politique. 

Un  exemple  particulièrement  significatif  de  ces  mobilisa- 
tions partielles  est  offert  par  nos  mobilisations  au  cours  de 
la  guerre  contre  le  Japon,  En  même  temps  que  la  déclara- 
tion de  guerre,  le  27  janvier  1904,  après  l'attaque  dirigée 
par  les  torpilleurs  japonais  contre  notre  escadre,  on  décréta 
la  mobilisation  dans  les  districts  de  la  Sibérie,  et,  dans  la 
Russie  d'Europe,  on  avait  prévu  la  mobilisation  progressive 
des  régions  d'où  il  serait  nécessaire  d'appeler  des  réservistes 
et  d'expédier  des  chevaux  pour  compléter  les  corps  envoyés 
en  Orient.  Il  y  eut  onze  de  ces  mobilisations  partielles.  Le  plan 
était  de  les  entreprendre  de  telle  manière  que  nos  troupes 
restées  en  Europe  demeurassent  toutes  prêtes  au  combat, 
et,  en  cas  de  mobilisation,  constituassent  des  unités  straté- 
giques indépendantes.  En  réalité,  les  choses  ne  se  passèrent 
point  ainsi  ;  chaque  mobilisation  partielle,  au  heu  d'être 
entièrement  distincte  de  la  mobilisation  générale,  fut  comme 
un  fragment  arraché  aux  différents  rayons  de  cette  mobi- 
lisation générale.  Rappelons-nous  que  des  divisions  d'infan- 
terie partirent  avec  des  brigades  d'artillerie  appartenant 
à  d'autres  divisions  et  qui  souvent  même  provenaient  d'une 
autre  circonscription  militaire.  Ce  fait  était  lié  à  la  transfor- 
mation de  notre  artiUerie  de  campagne.  Quant  aux 
troupes  techniques,  eUes  furent  prises  dans  la  Russie  tout 
entière. 

Un  exemple  caractéristique  du  trouble  apporté  par  les 
mobilisations  partielles  dans  l'organisation  de  combat  des 
troupes  restées  en  Russie  est  offert  par  le  corps  dit  de  débar- 
quement, qui,  pendant  des  années,  depuis  1880,  avait  été 
minutieusement  préparé  dans  la  circonscription  militaire 
d'Odessa  en  vue  d'une  occupation  éventuelle  du  Bosphore. 
Tout  le  matériel  de  guerre  préparé  pour  cette  expédition 
fut  envoyé  en  Mandchourie  en  1904-05  et  ne  fut  pas  remplacé 
plus  tard.  On  aurait  pu  peut-être  faire  cette  expédition  en 


LA   MOBILISATION   DE   L'ARMÉE   RUSSE   EN    1914  61 

1914,  et  elle  nous  aurait  permis  de  couvrir  le  flanc  gauche 
de  notre  front  stratégique. 

En  un  mot,  les  mobilisations  partielles  avaient  complè- 
tement désorganisé  notre  mobilisation  générale  pendant 
la  guerre  russo-japonaise. 

On  avait  tenu  compte,  en  1914,  de  cette  expérience  pra- 
tique, mais  d'une  façon  incomplète.  Pourquoi  ?  La  raison 
de  ce  manquement  doit  être  cherchée  dans  les  défauts  orga- 
niques de  notre  système  militaire  qui  demandait  différentes 
réformes  radicales,  et  dont  on  ne  pouvait  corriger  certaines 
imperfections  :  la  grande  pénurie  d'officiers  de  réserve,  la 
répartition  tout  à  fait  inégale  de  certaines  catégories  de 
réservistes,  en  particulier  ceux  des  armes  techniques  sur  le 
territoire  de  l'Empire,  les  retards  chroniques  irrémédiable- 
ment apportés  à  toute  espèce  de  ravitaillement,  retards 
qui  nous  mettaient  dans  l'impossibilité  de  satisfaire  les 
besoins  les  plus  pressants  de  nos  troupes,  le  développement 
très  inégal  de  nos  voies  ferrées  dont  le  réseau  est  beaucoup 
moins  dense  dans  certaines  régions  de  l'Empire  que  dans 
d'autres,  l'insuffisance  du  matériel  roulant,  et  la  difficulté 
d'en  tirer  parti  pour  des  transports  aussi  rapides  que  pos- 
sible... 

Ce  n'est  point  le  but  de  cet  article  d'entrer  dans  le  détail 
de  tous  les  défauts  signalés  ici  ;  il  suffit  d'indiquer  que  le 
résultat  final  de  ces  défauts  était  que  toute  mobihsation 
partielle  tendait  inévitablement  à  rendre  complètement 
impossible  la  mobihsation  générale.  Pour  rendre  plus 
claire  cette  idée,  nous  allons  insister  sur  les  buts  visés 
par  toute  mobihsation.  Elle  ne  doit,  en  aucune  façon, 
être  entreprise  uniquement  pour  intimider  un  voisin 
inquiétant. 

QueUes  guerres  la  Russie  devait-elle  envisager  pendant 
le  premier  quart  du  xx®  siècle  ?  La  menace  principale,  au 
moins  en  Europe,  était  celle  d'une  lutte  à  soutenir  contre 
la  Triple- Alliance  des  puissances  centrales.  Il  était  clair 
qu'il  s'agissait  d'une  guerre  à  mort  qu'il  faudrait  soutenir 
jusqu'à  l'épuisement  total  de  l'une  des  deux  parties.  A 
cette  possibilité  si  sérieuse  devait  nécessairement  correspondre 
la  mobilisation  générale  de  toutes  nos  forces  armées. 

Cette  possibihté  mise  à  part,  la  Russie  pouvait  être  appelée 
à  combattre  le  Japon  en  Asie,  en  Extrême-Orient.  Sur  ce 


62  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

front  nous  n'étions  pas  en  état,  l'eussions-nous  même  voulu, 
de  concentrer  toutes  nos  forces. 

Un  conflit  avec  la  Turquie  était  possible  également.  L'en- 
seignement de  l'histoire  depuis  deux  siècles  n'était-il  pas 
que  nous  avions  la  guerre  avec  la  Turquie  tous  les  vingt-cinq 
ans  ?  Enfin  des  guerres  à  caractère  d'expéditions  étaient 
possibles  contre  l'Afghanistan,  la  Perse,  la  Chine. 

Pour  toutes  ces  éventualités  il  était  nécessaire  de  prévoir 
une  variante  de  la  mobilisation  partielle,  et  chacune  de  ces 
variantes  devait  être  conçue  de  telle  sorte  qu'elle  ne  pût 
être  un  obstacle  si  les  intérêts  du  pays  exigeaient  que  l'on 
procédât  à  la  mobilisation  générale. 

Le  plan  de  mobilisation  n^  i8  modifié  essayait  donc  aussi 
d'atteindre  ce  but  en  ce  qui  concerne  les  hommes  et  les 
chevaux.  Mais  les  caractères  généraux  de  notre  organisation 
militaire  dont  nous  avons  parlé  plus  haut  subsistaient,  et 
en  fin  de  compte  toute  mobilisation  partielle  avait  pour 
effet  de  ruiner  la  mobilisation  générale.  Il  ne  faut  pas  perdre 
cette  conséquence  de  vue  si  l'on  veut  étudier  la  mobilisation 
de  1914. 

Et  l'année  1914  commença  !... 

L'administration  centrale  des  affaires  militaires  avait 
l'intention  de  prendre  au  cours  de  cette  année  d'importantes 
mesures. 

Le  «  grand  programme  »  de  renforcement  de  nos  effectifs 
auquel  nous  avons  fait  allusion  plus  haut,  qui  avait  été 
adopté  à  la  fin  de  1913  et  dont  l'accomplissement  devait 
occuper  une  période  de  cinq  années,  devait  dès  1 914 déterminer 
une  notable  augmentation  de  nos  forces.  L'artillerie  de 
campagne  était  tout  particulièrement  renforcée. 

La  répartition  des  troupes  en  régiments  y  avait  été  intro- 
duite. A  chaque  division  d'infanterie  fut  rattachée  une  bri- 
gade d'artillerie  formée  de  onze  batteries  et  composée  de 
trois  régiments. 

Ces  onze  batteries  comprenaient  huit  batteries  légères, 
deux  batteries  d'obusiers  et  une  batterie  destinée  à  servir  de 
cadre  à  la  formation  de  deuxième  catégorie.  L'artillerie  du 
corps  d'armée  devait  se  composer  d'une  section  d'obusiers 
de  campagne,  d'une  section  de  canons  lourds  et  d'une 
division  d'obusiers  lourds.  La  création  d'une  artillerie  de  ce 
genre  dans  notre  organisation  tactique  augmentait  beaucoup 


LA   MOBILISATION   DE   L'ARMÉE   RUSSE   EN    I914  63 

la  force  de  résistance  et  la  valeur  militaire  de  notre  infan- 
terie. Les  cadres  constitués  pour  la  formation  des  régiments 
d'infanterie  de  deuxième  catégorie  furent  élargis. 

Aux  trente-six  corps  déjà  existants  on  en  ajouta  deux 
nouveaux. 

On  se  proposait  de  mettre  en  vigueur  à  la  fin  de  1914  le 
nouveau  plan  de  mobilisation  n»  19,  aux  termes  duquel  il 
était,  pour  la  première  fois,  possible  que  chaque  corps  avec 
tous  les  services  annexes  eût,  pour  se  compléter  en  cas  de  mobi- 
lisation, ses  propres  réservistes,  sauf  en  ce  qui  concerne 
la  circonscription  militaire  de  l'Amour. 

L'équipement  de  notre  artillerie  en  matériel  et  en  muni- 
tions, resté  très  inférieur  aux  prévisions  officielles,  devait, 
au  cours  de  cette  année,  être  complété. 

Une  grande  partie  du  programme  aurait  déjà  été  exécutée 
en  1914,  et  pour  cette  raison  il  eût  été  d'une  très  grande 
importance  pour  la  Russie  que  l'année  1914  s'écoulât  en 
paix. 

En  1915,  notre  armée  se  serait  mise  en  campagne  forte  de 
cette  artillerie  lourde  qui  fut  la  véritable  reine  des  champs  de 
bataille  de  la  grande  guerre.  Et  le  cas  dont  je  fus  témoin 
en  avril  1915  n'eût  pas  pu  se  produire  ;  à  cette  époque,  Mac- 
kensen  porta  un  coup  à  notre  III^  armée  et  perça  notre 
front  en  dirigeant  contre  le  front  de  notre  10®  corps  d'armée 
le  feu  de  deux  cents  pièces  lourdes,  tandis  que  chez  nous  la 
m®  armée,  composée  de  sept  corps  et  rangée  sur  un  front  de 
200  verstes,  ne  disposait  pas  au  total  de  plus  de  quatre  pièces 
d'artillerie  lourde,  dont  deux  de  42  lignes  et  deux  de  6  pouces. 
Ajoutons  à  cela  que,  dès  le  début  de  l'opération,  l'une  des 
deux  pièces  de  42  hgnes  complètement  hors  de  service 
éclata. 

Au  cours  de  l'année  1914  seulement,  la  fabrique  d'artillerie 
de   Tzaritzin  devait   commencer  à   travailler   à  plein. 

Sans  parler  de  nombreuses  autres  raisons,  il  ne  pouvait 
guère  convenir  à  nos  ennemis  de  retarder  la  guerre  jusqu'en 
1915,  moment  où  l'exécution  du  programme  aurait  considé- 
rablement relevé  les  chances  de  succès  tactiques  de  l'armée 
russe.  On  nous  a  souvent  forcés  au  cours  du  passé  à  faire 
la  guerre  à  l'heure  même  où  nous  voulions  modifier  l'arme- 
ment de  nos  troupes  :  à  la  veille  de  la  guerre  de  Crimée, 
nous  voulions  transformer   l'armement   de   notre  infanterie 


64  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

en  la  dotant  d'une  arme  à  longue  portée  ;  à  la  veille  de 
la  guerre  de  1877,  nous  préparions  le  fusil  Berdan  ;  avant 
la  guerre  russo-japonaise,  nous  allions  procéder  à  la  trans- 
formation de  notre  artillerie... 


SOUVENIRS   PERSONNELS 

La  veille  au  soir  encore,  tout  était  calme  à  Saint-Péters- 
bourg. A  son  départ,  le  président  de  la  République  française 
Raymond  Poincaré,  avait  été  accompagné  avec  pompe. 
Le  II  /24  juillet,  jour  de  [Sainte-] Olga,  entre  11  heures  et  midi, 
le  général  lanouchkevitch,  chef  d'état-major  général,  m'appela 
au  téléphone,  et  me  demanda  de  venir  immédiatement  dans 
son  cabinet. 

«  La  situation  est  très  grave,  me  dit-il  lorsque  j'entrai. 
L'Autriche  adresse  à  la  Serbie  un  ultimatum  complètement 
inacceptable,  et  nous  ne  pouvons  pas  rester  indifférents. 
Il  a  été  décidé  de  le  déclarer  ouvertement  et  fermement. 
Il  paraîtra  demain  un  bref  avertissement  officiel  dans  le 
Russki  Invalid  :  La  Russie  tout  entière,  y  sera-t-il  dit,  suit  avec 
une  attention  soutenue  la  marche  des  négociations  entre  le 
gouvernement  austro-hongrois  et  le  gouvernement  serbe,  et  ne 
restera  pas  inactive  si  la  dignité  et  l'intégrité  du  peuple  serbe, 
frère  par  le  sang,  sont  menacées.  Tout  est-il  prêt  chez  vous 
pour  que  la  mobihsation  de  notre  armée  puisse  être  pro- 
clamée ?  » 

Sur  ma  réponse  affirmative,  le  chef  d'état-major  général 
me  dit  :  «  Vous  m'apporterez  dans  une  heure  tous  les  docu- 
ments relatifs  à  la  mise  des  troupes  sur  le  pied  de  guerre,  où 
est  envisagée,  en  cas  de  nécessité,  une  mobilisation  partielle 
contre  l'Autriche-Hongrie  seule.  Il  ne  faut  pas  que  cette  mobi- 
lisation puisse  donner  à  l'Allemagne  une  raison  d'y  voir  un  acte 
hostile  contre  elle.  »  Je  lui  représentai  qu'il  ne  pouvait  être 
question  d 'une  mobilisation  partielle.  Le  général  lanouchkevitch 
m'ordonna  à  nouveau  de  lui  faire  un  rapport  dans  une  heure 
environ,  comme  il  l'avait  décidé.  Le  général  Ronjine,  chef 
du  service  des  transports,  était  également  présent  à  ce  rap- 
port. Le  général  Daniloff,  quartier-maître  général,  avait 
été  détaché  en  service  au  Caucase.  La  totale  impossibilité 
d'une   mobilisation  partielle  de  l'armée  sautait  aux  yeux. 


LA   MOBILISATION   DE   L'ARMÉE   RUSSE   EN   I914  65 

Par  quelles  considérations  la  stratégie  est-elle  guidée  ? 
Par  la  politique.  Quelle  était  donc  la  situation  politique  à 
ce  moment  sur  le  continent  ?  Deux  groupes  de  puissances 
s'affrontaient.  Si  l'on  pouvait  encore  douter  que  l'alliance 
franco-russe  fût  inébranlable  (un  bloc  monolithe)  en  raison 
de  l'écart  que  leurs  formes  de  gouvernement  si  différentes 
mettaient  entre  ces  deux  États,  au  contraire  l'union  étroite 
de  l'Allemagne  et  de  l'Autriche-Hongrie  ne  pouvait  soulever 
aucun  doute.  Le  traité  d'alliance  entre  elles  était  périodique- 
ment renouvelé  et  publié  chaque  fois  officiellement  ;  il  y 
avait  deux  ans  encore,  à  l'occasion  de  l'annexion  de  la  Bosnie 
et  de  l'Herzégovine,  la  puissance  placée  à  la  tête  de  la  Triple- 
Alliance  avait  déclaré  solennellement  que  l'Autriche  pou- 
vait être  tranquille,  que  son  fidèle  chevalier  à  l'armure  étin- 
celante  remplirait  son  devoir. 

Au  surplus,  quel  effet  aurait  eu  une  mobilisation  partielle 
contre  l'Autriche-Hongrie  seule  ?  Une  menace  qui  n'eût 
pas  été  appuyée  par  un  témoignage  convaincant  de  notre 
force  donnerait  la  tentation  de  mépriser  cette  menace. 
Une  mobilisation  partielle  de  nos  forces  combattantes  aurait 
des  conséquences  diamétralement  opposées  à  celles  qu'on  en 
attendrait. 

Au  point  de  vue  stratégique,  la  mobilisation  partielle  était 
une  folie.  On  avait  décidé  de  mobiliser  quatre  circonscriptions 
mihtaires  :  Kiev,  Odessa,  Moscou  et  Kazan.  Treize  corps 
d'armée  cantonnaient  en  temps  de  paix  sur  les  territoires 
de  ces  circonscriptions.  A  la  mobihsation,  ils  devaient  être 
jetés  sans  délai  dans  la  zone  de  concentration.  Supposons 
un  instant  que  tout  cela  ait  été  exécuté.  Que  faire  alors 
dans  la  circonscription  militaire  de  Varsovie  ?  En  cas  de 
mobilisation  partielle,  aucun  mouvement  ne  devait  s'y 
produire,  pour  ne  pas  donner  à  l'Allemagne  l'occasion  de 
suspecter  nos  intentions. 

Par  là,  toute  la  frontière  sud  de  la  circonscription  de  Var- 
sovie qui  touche  à  l'Autriche  fût  demeurée  découverte  et 
sans  protection.  Quelles  néfastes  conséquences  cela  n'eût-il 
pas  entraînées  si,  plus  tard,  il  avait  fallu  décréter  la  mobi- 
lisation générale  ? 

D'après  le  plan  de  mobilisation  en  vigueur,  il  n'existait 
pas  pour  les  diverses  circonscriptions  militaires  d'indépen- 
dance   complète    en    fait   de   mobilisation  ;    quelques    corps 


66  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

recevaient  des  réservistes  de  circonscriptions  voisines.  C'était 
la  conséquence  du  désaccord  existant  entre  l'organisation 
militaire  de  paix  et  la  densité  de  la  population  dans  les 
différentes  régions  de  la  Russie.  A  la  vérité,  au  début  de  1910, 
une  partie  de  nos  troupes  de  campagne  avait  été  dirigée 
de  la  frontière  occidentale  vers  l'intérieur  ;  mais  les  gouver- 
nements les  plus  peuplés  de  la  Russie  centrale  et  de  la  Volga 
rentraient  dans  les  circonscriptions  de  Moscou  et  de  Kazan, 
où  il  y  avait  peu  de  troupes.  C'est  de  ce  réservoir  fonda- 
mental de  l'armée  que  les  réservistes  étaient  acheminés  vers 
le  Turkestan,  la  Sibérie  et  le  Caucase. 

Si,  la  mobilisation  étant  seulement  partielle  on  ne  mobi- 
lisait pas  dans  ces  circonscriptions,  on  ne  pourrait  y  envoyer 
de  réservistes  qu'après  la  proclamation  de  la  mobilisation 
générale,  cela  signifiait  que,  en  dépit  de  la  mobilisation 
partielle,  les  chemins  de  fer  ne  devraient  être  prêts  à  effectuer 
les  transports,  conformément  au  plan  arrêté,  qu'après  la 
proclamation  de  la  mobilisation  générale. 

Il  en  résultait  pour  les  chemins  de  fer  la  nécessité  de  pré- 
voir une  combinaison  particulière  :  mobilisation  partielle 
de  quelques  circonscriptions  européennes,  que  devait  suivre 
la  mobilisation  générale.  Comme  on  l'a  indiqué  plus  haut, 
nul  plan  qui  répondît  à  cette  combinaison  n'avait  été  élaboré, 
parce  que  la  possibilité  d'une  mobilisation  partielle  contre 
l'Autriche-Hongrie  n'avait  pas  été  envisagée  (i). 

Plus  dangereuse  encore  eût  été  une  concentration  straté- 
gique à  la  frontière  des  troupes  mobilisées.  Un  seul  plan 
avait  été  prévu  pour  la  marche  en  avant.  D'après  ce  plan, 
les  corps  des  circonscriptions  de  Moscou  et  de  Kazan  appar- 
tenaient à  l'effectif  des  armées  qui  devaient  se  déployer 
sur  le  territoire  de  la  circonscription  militaire  de  Varsovie. 
Par  suite,  dans  la  mobilisation  partielle  projetée,  ces  corps 
auraient  dû  être  dirigés  sur  d'autres  points  de  concentra- 
tion, qu'il  avait  fallu  choisir  à  la  frontière  du  district  de  Kief . 

Comme  il  était  nettement  vraisemblable  que  la  mobilisa- 
tion générale  suivra^it  la  mobilisation  partielle,  il  fallait  ad- 


(1)  Les  transports  par  voies  ferrées  ne  pouvaient  pas,  en  vertu  du  plan 
arrêté  pour  la  mise  en  marche  des  trains  militaires,  être  organisés  par 
rayons,  régions  territoriales  et  circonscriptions  militaires.  Un  «  embouteille- 
ment  »  eût  été  inévitable.  Un  long  travail  préparatoire  eiît  été  indispen- 
sable. 


LA   MOBILISATION   DE   L'ARMÉE   RUSSE   EN   I914  67 

mettre  que  la  marche  en  avant  des  armées  commencerait 
après  que  serait  terminée  la  mobilisation  générale,  et  que,  par 
suite,  le  passage  de  l'armée  à  l'état  de  guerre,  s'il  avait  lieu  en 
deux  temps,  aurait  pour  effet,  au  cas  le  plus  favorable,  un 
retard  de  la  mise  sur  pied  de  guerre  de  l'armée  russe  égal  au 
nombre  de  jours  dont  la  mobilisation  partielle  aurait  précédé 
la  mobilisation  générale.  Cette  situation  pouvait  avoir  des 
conséquences  très  importantes  et  si  favorables  à  l'ennemi 
que,  le  commandement  des  forces  combattantes  de  la  Triple- 
Alliance,  en  cas  qu'il  prévît  la  possibilité  d'une  mobilisa- 
tion progressive  de  notre  part,  eût  tout  fait  pour  nous 
amener  à  user  d'une  combinaison  de  cette  sorte. 

Un  rapport  détaillé  fut  fait  au  général  lanouchkevitch 
sur  tous  ces  désavantages  d'une  mobilisation  partielle.  En 
même  temps  fut  remis  un  mémorandum  concernant  quelques 
mesures  nécessaires  en  vue  d'une  mobilisation  possible;  en 
voici  le  contenu  : 

1°  Les  troupes  se  trouvaient  dans  des  camps  d'exercices 
parfois  éloignés  des  dépôts  où  étaient  les  réserves  d'armes 
de  toutes  sortes  pour  la  mobilisation.  Il  fallait  faire  rentrer 
les  troupes  des  camps  dans  leurs  dépôts. 

2°  Il  manquait  environ  3.000  jeunes  of&ciers  sur  l'effectif 
du  temps  de  paix.  Il  fallait  sans  aucun  délai  nommer  officiers 
les  aspirants  officiers  du  cours  supérieur  des  écoles  mili- 
taires et  faire  passer  ceux  du  cours  inférieur  dans  le  cours 
supérieur.  En  même  temps,  il  fallait  pourvoir  de  postes  actifs 
immédiatement  les  officiers  des  cours  supérieurs  des  académies 
de  guerre  et  renvoyer  ceux  des  cours  inférieurs  à  leurs  corps 
de  troupe.  Les  écoles  d'application  devaient  être  dissoutes. 
30  II  fallait  décréter  l'état  de  guerre  dans  les  villes  for- 
tifiées et  dans  quelques  rayons  frontières,  afin  de  donner 
au  haut  commandement  militaire  les  pouvoirs  nécessaires 
pour  assurer  le  succès  de  la  mobilisation  et  la  sécurité  vis- 
à-vis  des  espions  et  autres  personnes  mal  intentionnées. 

40  Dans  tout  l'Empire  il  fallait  décréter  l'état  de  pré- 
mobilisation (i)  qui  permettrait  une  certaine  décentralisation 
locale  des  dispositions  militaires  préparatoires. 

(i)  En  février  191 3,  le  statut  de  la  période  de  prémobilisation  fut  organisé  ; 
préparé  par  une  conférence  des  représentants  des  ressorts  intéressés,  sous  la 
présidence  du  général  Loukomsky,  il  fut  examiné  par  le  conseil  des  minis- 
tres et  rati&é  par  l'empereur. 


68  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Le  même  jour,  ii  /24  juillet,  à  5  heures,  eut  lieu  à  Krasnoié- 
Sélo  une  séance  du  conseil  des  ministres  à  laquelle  le  général 
lanouchkevitch  dut  assister,  et,  à  8  heures  du  soir,  il  avait 
convoqué  une  séance  du  comité  de  l'état-major  général,  à 
laquelle  participèrent  les  principaux  chefs  de  service  du 
ministère  de  la  guerre. 

Le  général  lanouchkevitch  revint  de  Krasnoïé-Sélo  et 
confirma  que  le  gouvernement  s'en  tenait  à  la  résolution 
inébranlable  de  répondre  à  l'ultimatum  autrichien  d'une 
façon  digne  de  la  Russie,  protectrice  des  Slaves.  Toutes  les 
mesures  projetées  étaient  décidées.  Dès  le  lendemain,  le 
retour  des  régiments  de  la  garde  à  leurs  quartiers  d'hiver 
et  la  nomination  au  grade  d'officiers  des  aspirants  officiers 
furent  décidés. 

La  séance  du  comité  de  l'état-major  général  fut  employée 
à  la  rédaction  définitive  du  règlement  projeté  sur  la  conduite 
des  troupes  en  campagne  (polojenie  0  polevom  oupravlenii 
voisk).  C'était  une  des  lacunes  les  plus  importantes  de  notre 
préparation  qu'il  fallût  achever  la  composition  de  ce  règle- 
ment parmi  les  grondements  de  l'orage  approchant. 

Les  jours  qui  suivirent  sont  bien  connus  par  les  livres 
de  couleur  et  les  documents  qu'ont  publiés  les  gouvernements 
européens.  La  guerre  était  déjà  chose  décidée,  et  tout  le  flot 
des  télégrammes  entre  les  gouvernements  de  Russie  et  d'Alle- 
magne n'était  que  la  mise  en  scène  d'un  drame  historique. 

Le  retard  de  la  décision  finale  était  certes  utile  pour  les 
travaux  préparatoires,  mais  il  augmentait  la  tension  des 
deux  côtés  de  la  frontière. 

L'entrée  dans  la  période  de  prémobihsation  telle  qu'elle 
avait  été  définie  ne  donnait  pas  le  droit  de  prendre  des  me- 
sures ayant  le  caractère  d'une  mobihsation  ;  mais  il  était 
clair  que,  dans  les  zones  frontières  où  la  population  et  les 
autorités  étaient  nerveuses,  il  était  possible  qu'on  se  laissât 
entraîner,  pour  la  sécurité  de  la  mobihsation,  à  en  devancer 
l'ordre. 

C'était  le  cas  en  particulier  à  la  frontière  allemande,  où 
l'on  pouvait  craindre  qu'un  voisin  entreprenant  ne  tirât 
profit  de  la  réquisition  des  chevaux  et  de  l'appel  des  réser- 
vistes. 

Dans  le  gouvernement  de  Suwalki,  il  y  eut  réellement  des 
cas   où   des   chevaux   avaient   été   prématurément   amenés 


LA   MOBILISATION   DE   l' ARMÉE   RUSSE   EN   1914  69 

aux  points  de  concentration,  ce  qui  donna  à  l'ambassadeur 
allemand  à  Pétersbourg,  le  comte  Pourtalès,  l'occasion 
d'adresser  des  représentations  à  notre  gouvernement,  et 
en  particulier  au  ministre  de  la  Guerre,  par  l'intermédiaire 
de  l'attaché  militaire.  Soukhomlinoff  contesta  de  la  façon 
la  plus  nette  que  des  mesures  de  mobilisation  eussent  été 
prises  de  notre  côté  ;  mais  on  ne  pouvait  pas  garantir  qu'aucun 
chef  mihtaire  de  la  région  frontière  ou  qu'aucun  chef  de 
district  n'en  prendrait  pas  de  sa  propre  initiative  ;  la  période 
de  prémobihsation  étant  ouverte.  Des  incidents  de  frontière 
sont  toujours  possibles,  et  d'autant  plus  en  un  pareil  moment. 

On  n'avait  pas  encore  abandonné  l'idée  malheureuse 
d'une  mobihsation  partielle  ;  elle  avait  ses  partisans,  mais 
ce  n'était  pas  au  ministère  de  la  Guerre. 

Le  général  lanouchkevitch  était  naturellement  pleine- 
ment instruit  de  tout  le  danger  inhérent  à  ce  décret  de  mobi- 
lisation partielle,  mais,  comme  nous  le  verrons  plus  loin, 
il  ne  pouvait  pas  exprimer  sa  conviction  dans  ses  rapports 
au  souverain. 

(A   suivre.) 


BIBLIOGRAPHIE 


LES  REVUES  HISTORIQUES  EN  RUSSIE  SOVIÉTISTE 

Jamais  la  Russie  n'a  été  aussi  riche  en  revues  historiques  que  depuis 
deux  ans.  En  dépit  des  conditions  matérielles  qui  sont  défavorables, 
les  deux  capitales,  Moscou  et  Pétrograd,  rivalisent  de  zèle. 

A  Moscou,  on  publie  :  Golos  Minouvchego  (la  Voix  du  Passé)  ; 
Proletarskaîa  Revolutzia  (la  Révolution  prolétarienne);  Istoriko- 
Revolutzionii  Bulletin;  Krasnii  Arkhiv  (les  Archives  rouges);  Ka- 
torqa  i  Ssilka  (Bagne  et  Déportation),;  Gizn  Natzionalnostiei  (la  Vie 
des  Nationalités);  Novy  Vostok  (le  Nouvel  Orient).  A  Pétrograd, 
Byloe  (le  Passé)  ;  Krasnaïa  letopis  (les  Annales  rouges)  ;  Arkhiv  istorii 
trouda  v  Rossii  (les  Archives  de  l'histoire  du  travail  en  Russie)  ;  on  se 
propose  d'y  publier  :  Musée  Revolittzii  (le  Musée  de  la  Révolution)  ; 
Literatournoe  Byloe  (le  Passé  littéraire). 

La  province  ne  reste  pas  en  arrière;  Kazan  à  ses  :  Pouti 
Revolutzii  (les  \'oies  de  la  Révolution)  ;  des  recueils  d'articles  histo- 
riques paraissent  à  Kharkof,  Nijni-Novgorod,  Samara,  Riazan, 
Kalouga,  Jaroslav,  Astrakhan,  Oufa,  Ekaterinbourg,  Omsk,  Tach- 
kent,  etc. 

Les  maisons  d'édition,  pour  répondre  à  la  demande  des  lecteurs, 
éditent  des  revues  et  des  annuaires  littéraires  avec  une  partie  his- 
torique très  développée  :  Krasnaïa  Nov.  (la  Friche  rouge)  ;  Novy 
Mir  (le  Nouveau  Monde);  Gizn  (la  Vie). 

Bien  entendu,  toutes  ces  revues  ne  fournissent  pas  des  matériaux 
de  premier  ordre.  Beaucoup  publient  des  articles  sans  valeur  pour 
l'historien;  mais,  à  côté  de  ces  inutilités,  une  grande  partie  présente 
de  l'intérêt  à  la  fois  pour  le  lecteur  ordinaire  et  pour  le  savant. 

Le  groupe  le  plus  imposant  de  ces  revues  d'histoire  contempo- 
raine est  formé  par  les  organes  de  Vlstpart  {Hist\_oire.  du]  Part  [i]). 

Ce  sont  Proletarskaîa  Revolutzia,  à  Moscou;  Krasnaïa  Letopis  à 
Pétrograd;  et  Pouti  Revolutzii,  à  Kazan. 

«  L'Istpart  »  est  une  institution  très  caractéristique;  son  véri- 
table titre  est  :  Commission  pour  l'histoire  de  la  Révolution  d'octobre 
et  du  Parti  Kommuniste  Russe  (R.  K.  P.). 

Il  a  été  créé  par  un  décret  spécial  à  la  fin  de  1920.  Son  objet  est  de 
recueillir  et  d'éditer  les  matériaux  pour  l'histoire  du  mouvement 
ouvrier  en  Russie,  du  développement  du  R.  K.  P.,  et,  en  général, 
tout  ce  qui  se  rattache  aux  événements  de  la  Révolution  d'octobre, 
à  la  vie  de  la  République  Soviétiste. 


BIBLIOGRAPHIE  7I 

L'institution,  soutenue  entièrement  par  le  Gouvernement,  releva 
d'abord  directement  du  Commissariat  de  l'Instruction  publique, 
passa  ensuite  sous  la  direction  de  l'une  de  ses  sections,  le  Comité  cen- 
tral du  R.  K.  P. 

Dès  lors,  «  l'Istpart  »  couvrit  le  territoire  de  la  R.  S,  F.  S.  R.  (Répu- 
blique Socialiste  Fédérative  Soviétiste  Russe)  d'un  réseau  de  filiales 
et  intensifia  ses  publications;  en  particulier,  son  principal  organe 
Proletarskaïa  Revolutzia  est  devenu  une  revue  historique  mensuelle. 
Les  principaux  rédacteurs  ont  été  D.  B.  Riazanof ,  M.  V.  Pokrovski. 
puis  M.  S.  Alexandrof-Olminski,  P,  L.  Lepecliinski,  B.  L  Nevsky. 

Dans  le  premier  numéro  de  Proletarskaïa  Revolutzia,  la  rédaction 
critique  les  anciennes  Revues  qui  n'ont  jamais  pu  présenter  d'une 
manière  scientifique  les  études  sur  le  mouvement  révolutionnaire. 
L'auteur  de  l'article  promet  une  sévère  critique  des  faits  historiques 
en  se  basant  sur  les  principes  du  marxisme. 

En  feuilletant  les  numéros  parus,  on  remarque  que  les  collaborateurs, 
qui  ont  tout  loisir  de  puiser  dans  les  archives,  n'y  font  que  peu  d'em- 
prunts. Quantité  de  pages  sont  remplies  par  des  mémoires  d'intérêt 
secondaire.  On  ne  sent  pas  l'unité  de  direction;  les  articles  se  suivent 
au  petit  bonheur.  Les  commentaires  manquent.  Pour  certains  docu- 
ments (les  plus  intéressants),  qui  proviennent  des  archives  de  Kolt- 
chak  et  de  Denikine,  aucun  effort  n'a  été  fait  par  celui  qui  les  a  publiés 
pour  découvrir  au  lecteur  les  personnages  désignés  par  de  simples 
initiales.  Des  erreurs  de  date  dans  les  mémoires  ne  sont  pas  relevées... 

Cependant  ces  mémoires  forment  déjà  un  recueil  imposant  de  docu- 
ments, dont  la  plus  petite  partie  se  rattache  aux  origines  lointaines 
de  la  Révolution  et  dont  la  plus  grande  a  trait  aux  journées  de  191 7 
et  à  l'histoire  des  cinq  dernières  années. 

On  trouve  là  des  récits  de  vieux  révolutionnaires  qui  font  l'histoire 
rétrospective  du  parti;  des  récits  de  jeunes  qui  ont  participé  aux  jour- 
nées d'octobre,  à  la  lutte  en  province,  à  la  lutte  contre  Koltchak, 
Denikine,  contre  les  Tchécoslovaques  en  Sibérie. 

Le  no  10,  d'octobre  1922,  publié  à  l'occasion  du  cinquième  anni- 
versaire de  la  Révolution,  est  exclusivement  consacré  aux  journées 
d'octobre  à  Pétrograd,  à  Moscou,  en  province,  au  front. 

Tous  les  articles  de  Proletarskaïa  Revolutzia  ne  sortent  guère  du 
cadre  de  l'histoire  intérieure  de  la  Russie  depuis  1905. 

Un  autre  organe  d'Istpart,  Krasnaïa  Letopis  (les  Annales  rouges) 
se  propose  un  objet  plus  vaste.  Comprenant  qu'il  faut  établir  un  lien 
entre  l'histoire  contemporaine  et  l'histoire  générale  du  mouvement 
révolutionnaire,  les  Annales  rouges  veulent  remonter  en  arrière  et 
entreprendre  l'histoire  de  ce  mouvement  à  partir  de  1860. 

Le  n"  I  est  entièrement  consacré  aux  événements  de  janvier  1905. 

Dans  le  no  2,  il  faut  citer  deux  articles  remarquables  :  V.  Sviatlovski, 
les  Associations  professionnelles  en  1905  ;  Boukhhinder,  le  Mouvement 
ouvrier  juif  à  Gomel  (1890-1905),  et  toute  une  série  d'études  sur 
l'année   1917. 

Une  revue  de  province,  la  troisième  revue  d'Istpart,  Pouti  Revo- 
lutzii  (les  Voies  de  la  Révolution),  celle  qui  paraît  à  Kazan,  contient 
des  documents  de  valeur. 


72  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

S.  Lifchitz  y  présente  un  «  Essai  d'histoire  du  parti  social-démocrate 
de  Kazan  ». 

Firsof  N.  N.  dans  son  article  :  «  la  Révolution  paysanne  de  1917 
et  le  Gouvernement  provisoire  »  donne  un  travail  précieux,  plein  de 
faits  ;  c'est  un  premier  essai  de  critique  historique  écrit  à  la  lumière 
des  archives. 

Deux  lettres  du  colonel  \1assof,  représentant  du  Don  en  Crimée  en 
1918-19,  adressées  à  l'ataman  Bagaevski,  montrent  la  lutte  entre  le 
Don  et  l'armée  volontaire,  et  complètent  les  souvenirs  des  généraux 
Denikine,  Krasnof  et  Loukomsky. 

A  côté  de  ces  revues,  Krasnii  Arkhiv  (les  Archives  rouges)  tiennent 
une  place  toute  particulière. 

La  Rédaction  dans  le  n°  i  expose  ainsi  son  programme  : 

«  ...Le  but  des  Archives  rouges  est  de  dévoiler  les  secrets  de  la 
politique  et  de  la  diplomatie  impérialistes. 

«  Les  délais  qui  sont  établis  pour  la  publication  intégrale  de  la  cor- 
respondance diplomatique  dans  les  pays  de  «  haute  culture  »  montrent 
combien  l'on  conserve  jalousement  ces  secrets  :  cinquante  ans  en 
France;  encore  plus  en  Angleterre. 

«  ...Pour  mettre  au  jour  tous  les  secrets  diplomatiques  cachés  dans 
les  archives  russes  jusqu'à  ce  jour,  il  a  fallu  le  pouvoir  révolutionnaire 
et  ses  organes  :  c'est  pourquoi  cette  édition,  comme  toutes  les  créa- 
tions du  Pouvoir  Révolutionnaire,  à  commencer  par  l'Armée  rouge, 
mérite  son  nom  d'Archives  rouges. 

«  ...Des  explications  détaillées  pour  chaque  série  de  documents 
secrets  publiés  les  accompagneront  sous  forme  de  préfaces  ou  de 
commentaires. 

«  Parallèlement  à  ce  travail  principal,  les  Archives  rouges  publieront 
des  œuvres  littéraires  interdites,  des  fragments  censurés  par  l'autorité 
tsariste,  le  journal  de  l'ex-ministre  de  la  guerre  Kouropatkine,  le 
journal  de  l'ex-secrétaire  d'État  Poloutzef,  la  correspondance  de 
Pobedonoutzev  avec  Alexandre  IH,  etc. 

«  . .  .Les  Archives  rouges  éclaireront  la  période  de  l'histoire  russe  qui 
est  la  plus  proche  de  nous  et  qui  est  encore  enveloppée  du  voile  sombre 
de  la  légende. 

«  C'est  une  erreur  de  croire  que  l'histoire  ancienne  seule  est  pleine  de 
légendes;  l'histoire  contemporaine  ne  l'est  pas  moins. 

«  Expliquer  ces  légendes  d'hier  n'est  pas  une  œuvre  moins  utile  pour 
la  science  que  de  fouiller  dans  la  poussière  des  chronologies  », 

Dès  le  premier  numéro,  les  Archives  rouges,  fidèles  à  leur  déclara- 
tion, se  distinguent  par  le  choix  des  sujets  et  par  le  caractère  des  docu- 
ments publiés.  Ce  n°  i  contient  une  série  de  documents  sur  les  relations 
russo-allemandes  de  1873  à  1914  :  pourparlers  entre  Bismarck  et 
Gortchakof  qui  se  terminèrent  par  l'accord  militaire  du  24  avril  1873; 
pourparlers  de  1879,  de  1887;  textes  des  conventions  de  1881-84-87; 
documents  sur  un  projet  pour  s'emparer  de  Constantinople  en  1897. 
enfin  correspondance  se  rapportant  aux  journées  qui  précédèrent  la 
déclaration  de  guerre  en  1914. 

De  1897  à  1914,  il  y  a  une  lacune  surprenante;  il  semble  qu'une 
partie  seulement  des  documents  ait  été  publiée.  Toute  une  période  de 


BIBLIOGRAPHIE  73 

dix-sept  ans,  dans  les  relations  russo-allemandes,  n'a  pu  rester  en 
«  blanc  ».  Il  faut  espérer  que  les  Archives  rouges  combleront  ce  vide 
inexplicable. 

La  correspondance  de  Soukhomlinof  avec  lanouchkevitch,  de  19 14 
à  1915,  est  une  contribution  importante  à  l'histoire  de  la  guerre,  et 
surtout  des  intrigues  de  l' état-major  russe. 

Dans  le  n^  2,  un  article  très  documenté  et  très  fouillé  de  Lévine 
Ch.  M.  sur  «  la  Presse  socialiste  pendant  la  guerre  impérialiste  », 
étudie  le  travail  de  propagande  révolutionnaire  fait  dans  les  jour- 
naux et  bulletins  professionnels.  Les  Archives  rouges  seront  sans  con- 
teste un  instrument  de  travail  très  précieux  pour  les  historiens.  Il 
est  à  regretter  que  leur  tirage  (no  i,  5.000  ex.  ;  no  2,  4.000  ex.)  soit 
si  restreint,  car  en  dehors  des  bibliothèques  de  Russie,  elles  devraient 
se  trouver  dans  toutes  les  grandes  bibliothèques  d'Europe  et  du 
monde  entier. 

La  même  observation  peut  se  faire  également  pour  toutes  les 
autres  revues  russes. 

Un  peu  en  dehors  de  la  série  précédente,  et  s'enfermant  dans  un 
cercle  plus  étroit,  il  faut  signaler  Gizn  Natzionalnostiei,  la  Vie  des 
Nationalités,  dont  le  premier  tome  de  1923  contient  une  série  d'études 
sur  les  diverses  républiques  de  la  R.  S.  F.  S.  R.  ;  Ncvy  Vostok,  le 
Nouvel  Orient,  publié  par  la  Société  savante  des  Études  orientales, 
qui  contient  des  articles  remarquables  sur  les  peuples  d'Orient. 

En  présence  de  cette  vigoureuse  floraison  d'études,  faites  à  l'in- 
térieur même  de  la  Russie,  ne  faut-il  pas  rendre  hommage  aux  savants 
qui,  sans  se  laisser  décourager  par  les  difficultés  quotidiennes  de  la  vie, 
ont  gardé  le  goût  du  travail  personnel  et  de  la  recherche  historique  ? 

WiLFRiD  Lerat. 
LES  LIVRES  NOUVEAUX  O 


Gabriel  Hanotaux.  —  La  Bataille  de  la  Marne.  Paris,  Pion,  1923, 
2  vol.  in-S»^,   351  et  421  p. 

La  Bataille  de  la  Marne  de  M.  Gabriel  Hanotaux,  par  le  prestige 
de  son  auteur,  par  l'abondance  et  les  sources  de  sa  documentation, 
est  le  plus  important  ouvrage  français  relatif  à  cette  période  décisive 
de  la  Grande  Guerre.  L'intérêt  qu'éveille  ce  récit  animé  où  l'imagina- 
tion féconde  de  l'iiistorien  fait  vivre  jusqu'au  terrain  même  de  la  lutte 
est  particulièrement  ressenti  par  ceux  qui  ont  pris  part  à  l'action. 
Tous  peuvent  rendre  justice  au  souci  manifeste  de  l'auteur  de  mettre 

(i)  I,a  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre  publie  un  Bulletin  mensuel  de  do- 
cumentation internationale  qui  signale  les  ouvrages  nouveaux,  ainsi  que  les 
acquisitions  de  laBibliothéque-jMuséede  la  Guerre.  Aussi  la  présente  rubrique 
bibliographique  donnera-t-elle  uniquement  des  comptes  rendus  critiques, 
sans  essayer  de  tracer  un  aperçu  complet  de  la  production  historique,  qui 
ferait  double  emploi  avec  le  Bulletin  de  documentation.  Le  nombre  de  ces 
comptes  rendus  a  dû  être  restreint  dans  le  présent  numéro.  Il  ,leur  sera 
réservé  à  l'avenir  une  place  plus  large. 


74  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

en  relief  les  mérites  respectifs  de  chacun  des  chefs  militaires  français. 
Alors  que  d'autres  écrivains  se  sont  attachés  à  rechercher  à  qui  du 
généralissime  ou  du  gouverneur  militaire  de  Paris  devait  être  attri- 
buée la  gloire  d'avoir  conçu  et  réalisé  le  plan  d'où  est  sortie  la  victoire, 
M,  Hanotaux  montre  qu'il  y  eut  collaboration  entre  les  deux  grands 
chefs  et  non  point  antagonisme.  De  cette  démonstration  il  résulte 
que  si  l'un  a  heureusement  suggéré  la  date  et  le  lieu  de  l'attaque  diri- 
gée sur  le  flanc  droit  des  armées  ennemies,  l'autre  a  su  transformer 
cette  suggestion  en  une  réalité  et  faire  coopérer  les  armées  alUées  en 
une  action  générale  qui  a  assuré  le  renversement  de  la  fortune  en 
notre  faveur.  Dès  lors,  c'est  bien  au  généralissime  que  doit  être  attri- 
bué le  titre  de  vainqueur  de  la  Marne. 

S'il  est  possible  de  suivre  M,  Gabriel  Hanotaux  dans  cette  conclu- 
sion, il  sera  permis  cependant  de  rechercher  si,  dans  son  panégyrique 
du  généralissime,  il  n'a  pas  quelquefois  attribué  à  ce  dernier  des  vues 
lointaines  dans  le  temps  et  l'espace  que  les  faits  ne  confirment  pas. 
C'est  l'examen  d'un  cas  de  cette  espèce  que  je  voudrais  faire  ici  à 
propos  du  rôle  attribué  au  21^  corps  d'armée  que  j'ai  eu  l'honneur  de 
commander  à  la  bataille  de  la  Marne. 

M.  Gabriel  Hanotaux  (t.  I,  p.  212  et  suiv.),  exposant  l'entrée  en 
ligne  de  la  III®  armée  allemande,  les  Saxons  de  von  Hausen,  montre 
que  cette  armée,  sollicitée  par  les  appels  de  ses  deux  voisines:  à  droite, 
la  Ile  de  von  Bulow,  à  gauche,  la  IV^  du  duc  de  Wurtemberg,  se 
fractionne  dans  la  journée  du  6  septembre  en  deux  parties  presque 
égales.  Ce  dédoublement  détermine  entre  les  deux  parties  un  vide 
qui  correspond  exactement  au  terrain  du  camp  de  Mailly.  Et  là  pré- 
cisément il  existait  entre  notre  IX^  armée  (Foch)  et  notre  IV^  armée 
(de  Langle  de  Cary)  un  point  faible  où,  dit  M.  Gabriel  Hanotaux: 
«  l'armée  de  Jofire  était  en  grand  péril  ».  C'est  pourquoi,  ajoute-t-U, 
«  le  commandement  français  savait  bien  ce  qu'il  faisait  en  retardant 
jusqu'au  6  septembre  la  rencontre  décisive  ;  il  n'ignorait  pas  qu'il 
existait  encore  dans  son  propre  front  un  endroit  insuffisamment  garni 
de  troupes;  si  l'on  s'engageait  trop  tôt  sur  l'Ourcq,  cette  extrémité 
de  la  manœuvre  de  l'Ouest,  se  raccordant  avec  la  bataille  de  l'Est  à 
Mailly,  pouvait  être  grandement  exposée.  Tout  cela,  Jofire  le  savait, 
et  c'est  pourquoi  il  avait  hâté,  autant  qu'il  l'avait  pu,  le  prélèvement 
du  2ie  corps  sur  l'armée  Dubail,  pour  venir  consolider  ce  point.  » 

«  ...Il  a  donné,  le  2  septembre  au  soir,  l'ordre  d'embarquer,  à  partir 
du  4,  les  éléments  combattants  du  21^  corps,  et  ce  corps  est  en  route 
par  les  voies  les  plus  rapides.  Quelques  jours  suffiront  maintenant. 
Mais  les  aura-t-on.'...  Heureusement  la  destinée  les  prête  à  la  France, 
ou  plutôt  les  lenteurs  de  l'armée  von  Hausen  et  les  fausses  manœuvres 
de  Moltke  les  assurent  à  la  vigilance  de  Jofire  et  de  ses  lieutenants.  » 

De  cet  exposé,  on  est  en  droit  de  conclure  que  le  2  septembre,  lorsque 
le  généralissime  prélevait  sur  la  région  des  Vosges  un  corps  d'armée 
(le  21^)  pour  l'appeler  en  Champagne,  il  en  concevait  déjà  l'emploi 
dans  la  trouée  du  camp  de  Mailly,  qui  formait  un  point  faible  dans  son 
ordre  de  bataille. 

Les  faits  sont-Us  conformes  à  cette  intention  supposée? 

Le  premier  document  officiel  relatif  au  renforcement   du    centre 


BIBLIOGRAPHIE  75 

des  armées  françaises  par  prélèvement  sur  la  droite  est  la  note  du 
G.  Q.  G.  pour  les  commandants  d'armée  du  2  septembre  1914  (t.  I, 
p.  46)  ainsi  conçue  : 

«  Le  plan  général  d'opérations  qui  a  motivé  l'envoi  de  l'Instruction 
n°  4  vise  les  points  suivants  : 

«  a)  Soustraire  les  armées  à  la  pression  de  l'ennemi  et  les  amener  à 
s'organiser  et  se  fortifier  dans  la  zone  où  elles  s'établiront  en  fin  de 
repli  ; 

«  b)  Établir  l'ensemble  de  nos  forces  sur  une  ligne  générale  marquée 
par  Pont-sur- Yonne,  Nogent-sur-Seine,  Arcis-sur-Aube,  Brienne-le- 
Château,  Joinville,  sur  laquelle  elles  se  recompléteront  par  les  envois 
des  dépôts  ; 

«cj  Renforcer  l'armée  de  droite  par  deux  corps  prélevés  sur  les  armées 
de  Nancy  et  d'Épinal.  » 

Il  est  donc  établi  par  ce  document  qu'à  la  date  du  2  septembre, 
le  G.  Q,  G.  projetait  de  placer  le  front  des  armées  sur  la  ligne  :  Arcis- 
sur-Aube-Brienne- Joinville,  c'est-à-dire  à  20  kilomètres  en  arrière 
du  camp  de  Mailly,  Il  ne  pouvait  donc  à  ce  moment  prévoir  soit  l'exis- 
tence d'une  trouée,  soit  l'emploi  de  la  réserve  qu'il  se  crée,  dans  une 
région  qu'il  abandonne  volontairement  à  l'ennemi. 

Ce  dernier,  d'ailleurs,  à  la  date  du  2  septembre,  est  encore  entre 
l'Aisne  et  la  Suippe  et  le  point  vers  lequel  il  portera  son  effort  sur 
notre  front  ne  peut  encore  être  déterminé. 

Ces  raisons  paraissent  suffisantes  pour  faire  écarter  l'hypothèse 
de  la  prévision  exacte  à  la  date  du  2  septembre  de  la  zone  affectée  à 
l'action   du    21^   corps. 

Le  G.  Q.  G.  a-t-il  même  pu  déterminer  avec  certitude  à  cette  même 
date  à  quelle  armée  il  affecterait  le  21^  corps  ? 

La  note  du  2  septembre  indique  l'intention  de  renforcer  par  deux 
corps  «  l'armée  de  droite  ».  Que  faut-il  entendre  par  ce  mot  qui, 
s'appliquant  nécessairement  à  l'une  de  nos  armées  du  centre,  com- 
porte par  cela  même  une  ambiguïté? 

A  cette  question  on  peut  trouver  la  réponse  dans  l'Instruction 
générale  n»  5  du  G.  Q.  G.  du  4  septembre  1014  : 

«L'arrivée  des  renforts  provenant  des  I'^  et  11^  armées,  jointe  à  la 
nécessité  d'apporter  plus  de  souplesse  au  commandement  des  armées, 
ont  amené  les  modifications  suivantes  dans  l'ordre  de  bataille  : 

«  La  Ille  armée  comprendra  les  5^,  6^,156  et  21^  corps  d'armée, 
les  65e,  67e,  75e  divisions  de  réserve,  la  y^  division  de  cavalerie. 

«...  Le  21^  corps  aura  ses  éléments  combattants  transportés  par  voie 
ferrée  dans  la  région  Join ville- Vassy,  les  3,  6  et  7  septembre  au  matin. 
Après  débarquement,  le  21^  corps  d'armée  doit  se  porter  dans  la  région 
Montiérender-Loneeville. 

«  Il  relèvera  de  la  III 2  armée  au  point  de  vue  du  fonctionnement 
des  services,  mais  il  sera  initialement  à  la  disposition  du  commandant 
en  chef.  » 

C'est  donc  à  la  III^  armée  quele  21^  corps  est  rattaché.  Or  celle-ci 
a  son  quartier  général  à  Saint-Dizier,  car  le  repli  de  notre  droite 
jusqu'à  Joinville,  envisagé  dans  la  note  du  2  septembre,  n'a  pas 
été  exécuté.  La  III^  armée  est  encore  au  nord  de  l'Ornain,  de  Bar- 


76  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

le-Duc  à  Verdun;  la  IV^  borde  cette  rivière  au  Sud  depuis  les 
environs  de  Revigny  à  droite,  sa  gauche  s'étendant  vers  le  Meix- 
Tiercelin  au  sud  de  Sompuis.  La  région  Vassy-Join ville,  assignée 
aux  débarquements  du  21^  corps,  est  en  arrière  de  la  III^  armée, 
celle  de  Montiérender-LongevUle,  où  ce  corps  doit  se  porter  d'après 
l'instruction  n°  5,  est  en  arrière  de  la  IV^. 

Il  semble  donc  que  si  le  G.  Q.  G.  rattache  le  21^  corps  à  la  III^  ar- 
mée, il  a  l'intention  de  le  diriger  vers  l'Ouest,  et  peut-être  de  l'emplo^-er 
sur  le  front  de  la  IV^. 

Toutefois  le  G.  Q.  G.  n'indique  pas  ses  intentions  au  commandant 
du  21^  corps.  Il  se  borne  à  lui  prescrire  qu'à  partir  du  6  septembre, 
à  midi,  il  dépendra  de  la  III^  armée.  Et  celle-ci,  dans  l'après-midi 
du  6,  donne  au  21^  corps  l'ordre  de  se  porter,  le  lendemain  7,  vers  le 
Nord-Est  en  direction  d'Éclaron. 

Plus  tard,  dans  la  soirée  du  6,  vers  18  heures  environ,  le  21^  corps 
reçoit  du  G.  Q.  G.  un  avis  le  rattachant  à  la  IV^  armée.  De  nouveaux 
ordres  sont  en  conséquence  demandés  à  cette  dernière  ;  ils  parviennent 
vers  21  heures  et  prescrivent  de  marcher  le  lendemain  vers  le  Cf.mp 
de  Mailly,  c'est-à-dire  à  l'Ouest. 

L'examen  de  la  note  du  2  septembre  faisait  exclure  l'idée  de  l'em- 
ploi du  2ie  corps  dans  le  camp  de  Mailly;  l'instruction  no  5  du  4  sep- 
tembre marquait  une  indécision  sur  l'affectation  de  cette  réserve. 
Si,  malgré  les  termes  de  ces  documents,  on  devait  admettre  que  les 
intentions  du  G.  Q.  G.  étaient  déjà  fixées  le  2  septembre,  on  pourrait 
vraiment  le  critiquer  pour  avoir  tardé  aussi  longtemps  à  les  faire 
connaître,  car  le  retard  eut  de  fâcheuses  conséquences. 

C'est  qu'en  effet  le  21®  corps  ayant  reçu  de  la  III^  armée  ordre 
de  se  porter  le  7  au  matin  en  direction  du  Nord,  les  unités  qui  débar- 
quèrent dans  la  journée  du  6  furent  poussées  vers  la  route  à  prendre 
le  lendemain.  Lorsqu'à  la  fin  de  la  journée,  vers  21  heures,  parvint  de 
la  IVe  armée  Kordre  de  marcher  sur  le  camp  de  Mailly,  c'est-à-dire  vers 
l'Ouest,  les  unités  du  21^  corps  se  trouvèrent  plus  éloignées  de  leur 
objectif  qu'elles  n'eussent  dû  l'être  si  la  décision  du  G.  Q.  G.  avait 
été  notifiée  plus  rapidement. 

Il  paraît  beaucoup  plus  vraisemblable  d'admettre  que  le  G.  Q.  G. 
n'a  pas  eu  pour  l'emploi  de  sa  réserve  la  prescience  lointaine  que  lui 
attribue  M.  Gabriel  Hanotaux.  Il  n'est  arrivé  à  sa  décision  que  par 
des  mises  au  point  successives,  très  naturelles  d'ailleurs,  car  c'est  au 
fur  et  à  mesure  que  les  événements  se  précisent  que  la  pensée  prend 
elle-même  sa  forme  définitive.  Cette  incertitude  ne  donnerait  lieu  à 
aucune  critique  si  la  réalisation  de  la  pensée  du  haut  commandement 
n'avait  été  rendue  plus  difiicile  pour  les  exécutants  en  raison  de  l'heure 
tardive  à  laquelle  elle  leur  fut  communiquée.  Quel  reproche  ne  se- 
rait-on pas  en  droit  de  lui  faire  si  le  retard  dans  la  notification  était 
intentionnel   ou   résultait   d'un   oubli? 

Aucune  des  hypothèses  qu'on  peut  envisager  sur  ce  point  particu- 
lier de  la  conception  et  de  la  transmission  des  ordres  supérieurs  pour 
l'emploi  du  21^  corps  à  la  bataille  de  la  Marne  n'est  compatible  avec 
une  admiration  sans  réserve. 

Ayant  vu  ce  qui  peut  subsister  des  prévisions  du  G.  Q.  G.  sur 


BIBLIOGRAPHIE  TJ 

l'emploi  du  21e  corps,  cherchons  maintenant  si,  comme  le  veut 
M.  Gabriel  Hanotaux  (t.  II,  p.  179),  ce  corps  d'armée  est  «  entré  dans 
la  grande  bataille  à  l'heure  et  au  point  précis  où  son  action  était  le 
plus  nécessaire   ». 

Le  7  septembre,  la  13e  division,  cantonnée  dans  la  vallée  de  la  Biaise 
au  sud  de  Wassy,  s'est  mise  en  marche  de  grand  matin  vers  le  camp 
de  Mailly  dont  elle  est  séparée  par  plus  de  50  kilomètres  pour  certaines 
de  ses  unités.  C'est  seulement  le  8  vers  midi  qu'elle  atteindra  les 
Montmarins,  dans  le  camp  de  Mailly,  pour  marcher  de  là  vers  le  Nord 
en  direction  de  Sompuis.  Or,  dans  cette  matinée  même,  à  la  gauche 
de  la  IVe  armée,  la  23e  division  (général  Masnou)  et  le  détachement 
Breton  du  17e  corps  mis  aux  ordres  du  général  commandant  le 
2ie  corps  (i)  ont  reçu  l'assaut  du  groupe  de  gauche  de  von  Hausen. 
Si  la  23e  division  a  pu  garder  Humbeauviile,  le  détachement  Breton 
qui  tenait  les  bois  au  sud  de  Sompuis  a  dû  céder  du  terrain  sous  le 
choc  de  la  23e  division  saxonne.  Ce  recul  qu'on  ne  saurait  en  rien 
reprocher  au  détachement  qui  a  vaillamment  lutté  contre  des  forces 
supérieures,  aurait  pu  être  évité  par  l'arrivée  plus  hâtive  de  la  13e  divi- 
sion. Étant  donnés  la  longueur  du  parcours  à  effectuer,  l'état  de  fatigue 
des  troupes,  l'affaiblissement  de  leurs  cadres,  le  défaut  d'entraînement 
des  réservistes  venant  d'arriver  des  dépôts  et  la  chaleur  torride  de 
ces  journées,  il  aurait  fallu  pour  arriver  à  temps  à  la  gauche  de  la 
IVe  armée  orienter  par  avance  les  éléments  de  la  13e  division  vers  leur 
objectif.  Pour  cela  on  devait  les  faire  débarquer  plus  près  de  celui-ci, 
ou,  si  cela  n'était  pas  possible,  indiquer  plus  tôt  cet  objectif  à  leur  chef. 
Or,  cela  n'a  pas  été  fait,  peut-être  parce  que  la  destination  du  21^  corps 
n'a  été  arrêtée  définitivement  que  dans  la  soirée  du  6,  peut-être  aussi 
pour  une  autre  cause.  Quel  que  soit  le  motif  de  ce  retard,  il  n'en  reste 
pas  moins  que  le  retard  eut  lieu  et  que  l'intervention  du  21^  corps 
n'a  pu  se  produire  à  l'heure  précise  où  elle  était  le  plus  nécessaire. 
Avec  un  peu  plus  de  prévision  au  G.  Q.  G.  on  aurait  pu  gagner  une 
demi-journée,  sinon  davantage,  pour  l'entrée  en  ligne  du  21^  corps, 
et  les  affaires  eussent  pris  sans  doute  une  allure  beaucoup  plus  favo- 
rable. 

Poursuivant  le  récit  des  opérations  à  la  gauche  de  la  IV^  armée 
dans  la  journée  du  9  septembre,  M.  Gabriel  Hanotaux  montre  l'entrée 
en  ligne  de  la  seconde  division  du  21^  corps,  la  43e.  Cette  unité,  n'ayant 
achevé  ses  débarquements  que  le  .6  dans  la  soirée  et  plus  éprouvée 
encore  que  la  13e  par  les  luttes  antérieures,  est  obligée  de  laisser  en 
route  la  valeur  de  deux  bataillons  incapables  de  suivre.  Elle  doit, 
le  9,  déboucher  du  signal  d'Orgeval,  dans  le  camp  de  Mailly,  pour 
marcher  vers  le  Nord  à  l'Ouest  de  la  13e  et  se  rabattre,  si  possible 
sur  Maisons-en-Champagne  à  l'Est.  Or,  M.  Gabriel  Hanotaux,  sur  la 
foi  du  récit  allemand  de  Baumgarten-Crusius,  fait  déboucher  la  43e  divi- 
sion de  Trouan  et  de  la  ferme  des  Cavattes  (p.  183  et  186),  c'est-à-dire 
à  3  kilomètres  plus  à  l'Ouest  que  le  signal  d'Orgeval.  Il  allonge  donc 
ainsi  l'itinéraire,  bien  dur  cependant  déjà,  que  la  43®  division  a  dû 

(i)  C'est  par  erreur  que  ces  deux  éléments  sont  indiqué?,  t.  II,  p.  178, 
comme  étant  mis  aux  ordres  du  eénérai  Dumas. 


78  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

parcourir,  et  c'est  ainsi  peut-être  qu'il  est  amené  à  formuler  une  dis- 
crète critique  à  propos  de  l'intervention  très  attendue  mais  tardive 
de  cette  unité.  Ses  chefs  ont  fait  de  leur  mieux  poiir  arriver  au  but 
qui  leur  était  assigné,  ils  n'ont  pas  commis  la  faute  d'allonger  inutile- 
ment l'itinéraire  qui  leur  fut  imposé.  M.  Gabriel  Hanotaux  m'a  fait 
l'honneur  de  citer  mon  livre  les  Opérations  du  2i«  corps  (i).  Ceux 
qui  voudront  bien  s'y  reporter  trouveront  à  la  planche  V  l'itinéraire 
suivi  par  les  deux  divisions  du  21^  corps  et  pourront  rectifier  l'erreur 
involontaire  de  la  Bataille  de  la  Marne.  Son  éminent  auteur  com- 
prendra que  l'ancien  chef  du  21^  corps  ait  à  cœur  de  rectifier  une 
indication  le  rendant,  ainsi  que  son  subordonné,  le  général  Lan- 
quetot,  responsables  d'une  faute  qu'ils  n'ont  pas  commise. 

Si  le  21^  corps  n'a  pu,  dans  les  journées  des  8,  9  et  10  septembre, 
faire  sentir  son  action  à  l'heure  précise  où  elle  eût  été  triomphante, 
il  faut  en  demander  compte  au  G.  Q.  G.  qui  a  déterminé  la  zone  de 
débarquement  de  ce  corps  et  a  choisi  l'heure  à  laquelle  il  a  notifié 
sa  décision  définitive  sur  le  point  assigné  à  son  intervention  (2). 

L'exposé  de  la  marche  des  deux  divisions  du  21^  corps  m'a  entraîné 
quelque  peu,  et  je  reviens  en  arrière  pour  examiner  si  les  intentions 
prêtées  par  M.  Gabriel  Hanotaux  au  G.  Q.  G.  sur  l'action  de  la  IV^  ar- 
mée répondent  bien  à  la  réalité.  «  Jofïre,  dit-il  (3),  a  envoyé  dans  la 
trouée  de  Mailly  la  18^  division,  la  6^  division  et,  chose  plus  impor- 
tante encore,  il  a  confié  à  Langle  de  Cary  une  mission  analogue  à  celle 
de  Franchet  d'Esperey  :  de  même  que  celui-ci  aide  son  camarade  à  sa 
propre  droite,  de  Langle  de  Cary  doit  l'aider  à  sa  propre  gauche; 
en  un  mot  et  selon  les  termes  mêmes  des  instructions,  si  conformes  à 
la  méthode  stratégique  générale  de  J offre,  la  IV^  armée  intervient 
comme  «  réserves  »  de  la  IX«.  Jofïre  fait  couler  de  droite  et  de  gauche 
toutes  ses  forces  disponibles  au  fond  de  la  poche  défensive  française, 
pour  la  renforcer,  au  moment  où  Foch  pousse  contre  la  poche  offen- 
sive allemande  toutes  ses  forces  disponibles  pour  la  crever.  Beau 
métier  !  » 

On  est  en  droit  de  conclure  de  ces  lignes  que  la  pensée  du  généra- 
lissime est  de  faire  converger  les  actions  des  V^,  IX®  et  IV^  armées 
vers  un  objectif  commun  situé  en  face  de  l'armée  du  centre,  la  IX^, 
objectif  qui  tendrait  de  déborder  la  V^  armée  par  l'Ouest,  la  IV® 
par  l'Est.  S'il  en  était  ainsi,  la  gauche  de  la  IV^  armée  située  à  l'Est 
de  la  IX^  devait  incliner  vers  l'Ouest. 

Que  s'est-il  passé  dans  la  réalité?  Le  21^  corps  que  je  commandais 
forme,  à  partir  du  8  septembre,  la  gauche  de  la  IV^  armée  ;  c'est  donc 

(i)  Pion  et  Nourrit,  1922. 

(2)  On  signalera  à  la  même  page  186  du  tome  II  quelques  erreurs  maté- 
rielles. 

La  i3'  division  est  depuis  le  8  septembre  en  liaison  avec  le  12*  corps 
(23'  division),  et  non  avec  le  17V 

Il  est  indiqué  que  l'attaque  sur  Sompuis  est  menée  par  la  43*  division  ; 
c'est  la  i3*  qu'il  faut  lire,  et  il  conviendrait  d'ajouter  que  cette  attaque  est 
également  orientée  à  l'ouest  du  village,  ainsi  qu'en  témoignent  les  ordres 
donnés  par  le  commandant  du  21*  corps.  Cf.  Général  Legrand-Girarde,  o;?. 
cit.,  p.  161. 

(3)  T.  II,  p.  172. 


BIBLIOGRAPHIE  79 

à  lui  qu'aurait  incombé  la  mission  de  pousser  vers  l'Ouest  pour  lier 
son  action  à  celle  de  la  droite  de  la  IX^  armée.  Or,  les  ordres  très  précis 
que  j'ai  reçus  de  la  IV^  armée  prescrivaient  à  ma  division  de  gauche, 
la  43®,  de  marcher  sur  le  Nord  pour  se  rabattre  ensuite  vers 
Maisons-en-Champagne,  c'est-à-dire  vers  l'Est,  soit  dans  une  direc- 
tion diamétralement  opposée  à  celle  qu'aurait  comportée  une  action 
conjuguée  avec  la  droite  de  la  IX^  armée.  Il  m'est  donc  impossible  de 
partager  le  sentiment  de  l'auteur  de  la  Bataille  de  la  Marne  sur  la 
coopération  prévue  par  le  G,  Q.  G.  entre  les  IX^  et  IV®  armées. 

J'ajoute  qu'en  fait  le  rabattement  sur  Maisons-en-Champagne  n'a 
pu  être  exécuté  csàjjfeme  l'aurait  voulu  le  commandant  de  la  IV^  ar- 
mée; s'il  l'eût  été,  un  vide  aurait  été  créé  entre  cette  armée  et  la  IX^, 
et  leurs  actions  respectives  eussent  été  tout  à  fait  distinctes,  sans 
aucun  but  commun.  La  liaison  a  toutefois  existé  entre  elles  par  l'ini- 
tiative toute  naturelle  des  chefs  des  unités  voisines  (21^  corps  du 
côté  de  la  IV^  armée;  9®  division  de  cavalerie  et  ii^  corps  du  côté 
de  la  IX®).  Leurs  actions  ont  été  parallèles,  mais  non  point  conver- 
gentes. 

Je  bornerai  aux  faits  dont  j'ai  été  témoin  ou  acteur  l'examen  du 
brillant  récit  de  la  bataille  de  la  Marne.  Les  indications  qu'on  vient 
de  lire  n'ont  d'autre  but  que  de  contribuer  à  l'établissement  de  la 
vérité  historique  en  ce  qui  concerne  la  partie  du  champ  de  bataille 
où  le  21®  corps  a  opéré.  M.  Gabriel  Hanotaux  est  un  historien  trop 
avisé  et  trop  soucieux  de  justice  pour  ne  point  accueillir  ces  quelques 
rectiiications  d'un  combattant. 

Général  Legrand-Girarde. 


Commandant  Assollant.  —  L'Œuvre  de  la  marine  française  dans  la 
défense  du  canal  de  Suez.  Paris,  Challamel,  192 1,  in-8.  —  Lieute- 
nant de  vaisseau  Douin.  —  L'Attaque  du  canal  de  Suez.  Paris, 
Delagrave,    1922,  in-8,  115  p. 

Ces  deux  pubhcations,  qui  ne  doivent  pas  être  séparées,  apportent 
des  renseignements  intéressants  sur  une  partie  presque  inconnue  du 
front  de  guerre  :  le  canal  de  Suez,  cette  grande  voie  maritime,  vitale 
pour  les  Alliés,  à  laquelle  les  Allemands  ont  tôt  songé  à  s'attaquer. 
Au  début  de  1915,  une  armée  turco-allemande  de  40.000  hommes 
était  constituée  en  Syrie  sous  les  ordres  de  Djemal  pacha,  traversait 
la  Palestine,  le  désert  du  Sinaï,  et,  le  i®'  février,  15.000  hommes  de 
première  ligne  avec  un  équipage  de  ponts  et  de  l'artillerie  lourde 
étaient  réunis  devant  le  canal.  Le  2,  l'attaque  était  générale,  et  une 
centaine  de  Turcs  passaient  sur  la  rive  africaine,  où  ils  furent 
d'ailleurs  tués  ou  faits  prisonniers.  Cette  opération,  énergiquement 
menée,  surprit  nos  Alliés  qui  l'avaient  crue  impossible,  malgré  les  ob- 
servations de  l'escadrille  française  d'hydravions  débarquée  en  décembre 
à  Port-Saïd. 

Le  commandant  Assollant,  s 'appuyant  sur  des  documents  officiels, 
fait  ressortir  que  ce  fut  surtout  grâce  au  tir  de  deux  cuirassés  français 
que  les  Britanniques  échappèrent  à  un  désastre.  L'alerte  fut  chaude. 


8o  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

et  les  félicitations  des  autorités  d'Egypte  à  nos  marins  indiquent 
combien  nos  Alliés  apprécièrent  à  son  heure  le  service  rendu  par  notre 
marine.  Toutefois  les  communiqués  du  War  Of&ce,  rédigés  quelques 
jours  plus  tard,  restèrent  muets  sur  l'aide  française.  Il  était  bon  qu'un 
ofi&cier  français  rétablît  ce  point  d'histoire. 

Le  livre  du  capitaine  Douin  ne  s'occupe  que  de  l'attaque  du  2  fé- 
vrier; il  s'étend  beaucoup  sur  les  préliminaires  :  les  trois  premiers 
chapitres  (Situation  de  l'Egypte  en  1914.  Lutte  diplomatique.  Pré- 
paratifs militaires)  sont  d'un  grand  intérêt.  Le  travail  du  commandant 
Assollant  traite  l'ensemble  des  opérations  militaires,  principalement 
françaises,  tant  que  notre  marine  a  été  employée  à  la  défense  du  ca- 
nal. Il  s'arrête  au  mois  d'avril  1916:  à  cette  époque,  les  Britanniques, 
après  le  voyage  de  Lord  Kitchener  aux  Dardanelles  en  novembre  19 15, 
avaient  achevé  leurs  importants  travaux  de  défense  éloignée;  les 
hydravions  français  avaient  été  rappelés  en  France,  et  les  canons  de 
nos  cuirassés  étaient  hors  de  portée,  la  ligne  de  résistance  ayant  été 
établie  à  plus  de  25  kilomètres  du  canal. 

Les  études  des  deux  officiers  se  complètent  donc  l'une  par  l'autre  : 
celle  du  capitaine  Douin  exposant  ce  qui  s'est  passé  avant  et  pendant 
l'attaque,  celle  du  commandant  Assollant  traitant  de  l'attaque  et 
des  événements  postérieurs. 

Pour  la  partie  commune,  nos  renseignements  particuliers  nous  per- 
mettent de  signaler  un  petit  fait  qui  peut  intéresser  les  lecteurs  et 
qu'il  est  utile  de  faire  connaître  dans  l'intérêt  même  des  auteurs. 

La  rédaction  de  quelques  parties  du  récit  des  événements  des  2  et 
3  février  1915  est  la  même  dans  l'œuvre  des  deux  ofSciers,  L'un  aurait 
donc  copié  l'autre?  Voici  l'explication. 

Le  commandant  Assollant,  chef  de  la  Section  d'études  des  théâtres 
extérieurs  au  Service  historique  du  ministère  de  la  Guerre,  avait,  dès 
1920,  pour  la  grande  publication  entreprise  par  l'État-major  de  l'ar- 
mée, rédigé,  à  l'aide  des  archives  de  la  Guerre,  de  la  Marine,  des  Af- 
faires étrangères  et  de  la  Compagnie  du  Canal  de  Suez,  le  chapitre 
relatif  aux  opérations  du  canal  de  Suez. 

Après  lecture,  ce  chapitre  fut  trouvé  trop  touffu,  et  aussi  trop 
marin  ;  il  fut  décidé  que  le  ministère  de  la  Guerre  n'en  publierait 
qu'un  résumé.  Mais  la  Marine  trouvait  là  un  chapitre  tout  fait  de  son 
histoire  pendant  la  guerre,  et  sa  Section  historique  le  classait  dans 
ses  archives.  La  Compagnie  du  canal  de  Suez  conservait  également 
dans  sa  bibliothèque  une  expédition  de  ce  travail,  qui  n'était 
d'ailleurs  qu'une  partie  d'un  ouvrage  plus  complet  devant  paraître 
plus  tard  :  L'histoire  de  la  Compagnie  du  canal  pendant  la   guerre. 

C'est  ce  document  encore  inédit  qui  servit  de  source  pour  la  partie 
militaire  de  son  travail  au  lieutenant  de  vaisseau  Douin  (i)  :  dans  son 
manuscrit,  il  cita  in  extenso  des  "passages  du  récit  du  commandant 
Assollant,  récit  que  devait  pubUer  la  Revue  maritime.  Il  eut  très  loya- 
lement soin  d'indiquer  la  source  à  laquelle  il  avait  fait  ses  emprunts. 
L'autorisation  de  publication  n'ayant  pas  été  accordée  au  commandant 

(i)  Attaché  au  service  du  transit,  à  Ismaïlia,  de  la  compagnie  du  canal  de 
Suez. 


BIBLIOGRAPHIE  8l 

Assollant,  le  capitaine  Douin  crut  bon,  dans  l'intérêt  de  son  collègue 
de  la  Guerre,  de  supprimer,  au  courant  de  l'impression  de  son  volume, 
ses  références. 

Mais,  par  un  de  ces  retours  qu'il  est  inutile  de  chercher  à  comprendre, 
l'autorisation  différée  pendant  près  d'un  an  fut  accordée.  La  Revue 
maritime  publia  en  plusieurs  articles  l'Œuvre  de  la  marine  française 
au  canal  de  Suez.  Cette  étude  fut  ensuite  éditée  chez  Challamel,  à 
l'époque  même  où  Delagrave  éditait  l'Attaque  du  canal,  trop  tard 
pour  rétablir  les  premières  références.  Le  capitaine  Douin  s'était 
d'ailleurs  empressé  de  s'excuser  auprès  du  commandant  Assollant, 
lequel  lui  répondit  que,  ne  faisant  pas  œuvre  personnelle,  il  ne  cher- 
chait qu'à  apporter  sa  contribution  au  travail  général,  et  que  «  l'his- 
toire appartient  à  tout  le  monde  ».  Telle  est  l'explication  de  la  simi- 
litude de  rédaction  de  quelques  pages  dans  ces  deux  ouvrages. 

Ce  petit  fait  indique  néanmoins  la  bonne  entente  qui  ne  cesse 
d'exister  dans  le  corps  des  officiers  de  terre  et  de  mer,  occupés  à  écrire 
l'histoire  de  la  guerre,  et  dont  les  services  auraient  tout  intérêt  à  tra- 
vailler en  liaison  plus  étroite. 

La  collaboration  de  MM.  Douin  et  Assollant  continue,  elle  nous  ré- 
serve sans  doute  quelque  nouvelle  publication  intéressante  sur  l'œuvre 
française  en  Orient. 

Georges  Girard. 


A.  F,  Pribram.  —  Les  Traités  politiques  secrets  de  V Autriche-Hon- 
grie (1879-1914),  d'après  les  documents  secrets  des  Archives  de 
Vienne.  Tome  I  :  le  Secret  de  la  Triple- Alliance.  Traduit  par 
C.  Jordan.  Paris.  A.  Costes,  1923,  in-8,  435  pages. 

L'ouvrage  du  professeur  Pribram  est  un  des  travaux  historiques 
les  plus  importants  qui  aient  paru  depuis  la  guerre.  Les  spécialistes, 
qui  avaient  eu  déjà  mainte  occasion  d'en  apprécier  la  portée  et  la 
valeur,  seront  heureux  de  posséder  désormais  une  édition  française. 

Le  volume  se  compose  de  deux  parties.  Dans  la  première,  sont  réu- 
nis les  textes  des  traités  conclus  par  l'Autriche-Hongrift  avec  les  dif- 
férents États  d'Europe,  ainsi  que  les  notes  ou  les  instructions  les  plus 
importantes.  Tous  ces  documents  ont  un  caractère  commun  :  ce  sont 
des  «  accords  secrets  de  caractère  politique  ».  Les  actes,  «  auxquels  on 
ne  peut  attribuer  que  la  portée  de  lier  moralement  les  hommes  d'État 
dirigeants  »,  et  les  arrangements  militaires  ne  figurent  pas  dans  le 
recueil.  Mais  l'auteur  les  a  utilisés  et  parfois  reproduits  littéralement 
dans  ses  commentaires.  Il  est  superflu  d'insister  sur  l'intérêt  capital 
de  toutes  ces  pièces,  qui,  à  l'exception  de  cinq  d'entre  elles,  étaient 
restées  inconnues  jusqu'à  ce  jour. 

Dans  la  seconde  partie,  M.  Pribram  retrace  l'histoire  des  négocia- 
tions relatives  aux  cinq  traités  de  la  Triple-Alliance.  Ce  sont  les  dos- 
siers des  Archives  de  Vienne  qui  forment,  bien  entendu,  la  source 
essentielle  de  sa  documentation.  Il  a  pu  utiliser  pourtant,  dans  l'édi- 
tion française  de  son  ouvrage,  les  documents  qui  viennent  d'être  pu- 


82  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

bliés  à  Berlin,  sous  le  titveDie  Grosse  Politik  der  europ'âischen  Kabinette, 
et  qui  sont  relatifs  à  la  période  bismarckienne.  Le  récit  est  sobre, 
vigoureux;  il  abonde  en  aperçus  nouveaux  et  en  détails  précieux;  il 
est  construit  avec  une  simplicité  et  une  solidité  remarquables.  Sur 
un  sujet  si  délicat,  M.  Pribram  a  réussi  à  faire  une  belle  œuvre  d'his- 
toire. 

Sans  doute,  en  dépit  d'un  constant  effort,  il  ne  peut  pas  faire  abs- 
traction de  certains  sentiments  douloureux;  mais  il  laisse  une  impres- 
sion très  forte  de  maîtrise  de  soi  et  de  sincérité.  «  Ces  études  »,  dit-il 
dans  sa  préface,  «  n'ont  aucun  rapport  avec  la  politique  actuelle  »  ; 
c'est  l'expression  de  son  désir  de  savant.  Mais  en  fait  il  n'est  pas  pos- 
sible qu'il  en  soit  ainsi  :  quel  est  donc  l'homme  qui,  lorsqu'il  a  subi 
la  secousse  de  ces  événements  formidables,  lorsqu'il  en  ressent  per- 
sonnellement les  effets  dans  sa  vie  de  chaque  jour,  peut  échapper 
tout  à  fait  à  l'emprise  de  ses  sentiments?  Aussi  M.  Pribram  laisse-t-il 
percer,  çà  et  là,  quelques  appréciations  assez  vives,  qui  frappent 
d'autant  plus  le  lecteur  qu'elles  contrastent  davantage  avec  la  belle 
sérénité  de  l'ensemble  de  son  récit. 

L'œuvre  va  se  poursuivre.  Dans  un  second  volume,  qu'il  a  déjà 
préparé,  l'auteur  donnera  en  particulier  l'histoire  des  négociations 
conduites  par  l'Autriche-Hongrie  avec  la  Russie,  la  Serbie  et  la  Rou- 
manie; mais  il  veut  attendre,  pour  le  publier,  l'achèvement  de  la 
publication  allemande  de  documents,  afin  de  tenir  compte  des  éléments 
nouveaux  qu'elle  ne  inanquera  pas  d'apporter.  Il  suit  d'ailleurs,  avec 
grand  soin,  les  publications  de  documents  russes,  où  l'histoire  diplo- 
matique des  trente  années  qui  ont  précédé  la  guerre  mondiale  tient 
une  place  prépondérante.  La  rigueur  de  sa  méthode  et  de  son  sens 
critique  garantissent  la  valeur  de  ce  nouvel  ouvrage. 

P.  R. 


LES  REVUES  DU  TRIMESTRE 


La  Revue  d'histoire  de  la  guerre  mondiale  publiera,  dans  chacun 
de  ses  numéros,  une  liste  des  principaux  articles  récents,  relatifs  à  ia 
guerre,  et  aux  événements  contemporains  qui  en  sont  la  conséquence 
immédiate  (réparations,  règlement  de  la  question  d'Orient,  activité 
des  organismes  internationaux,  etc.).  Elle  procédera  pour  cela  au 
dépouillement  régulier  de  soixante-dix  périodiques,  et  signalera  en 
outre,  les  études  les  plus  importantes  qui  auront  pu  paraître  en 
dehors  de  ces  revues. 

Elle  espère  donner  ainsi  à  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'histoire 
de  la  guerre  un  instrument  de  travail  indispensable,  en  leur  évitant 
de  disperser  leur  effort. 

Les  revues  dépouillées  ont  été  choisies  parmi  les  grandes  revues 
générales,  les  revues  militaires,  et  les  périodiques  consacrés  spéciale- 
ment aux  questions  politiques,  économiques  et  sociales.  Ont  été  né- 
gligées les  revues  spéciales  (Revue  du  monde  musulman,  Pologne 
économique,  Revue    interalliée   des    questions    intéressant   les   mutilés, 


BIBLIOGRAPHIE  83 

par  exemple),  parce  que  toute  personne  qui  veut  suivre  ces  problèmes 
ne  peut  manquer  d'y  recourir  directement.  Ont  été  écartées  également 
certaines  revues,  dont  les  articles,  très  courts,  ont  presque  le  carac- 
tère d'une  chronique  (par  exemple,  en  Angleterre  Nation  and  Athenceimi, 
New  Statesman,  etc.)  parce  que  le  but  de  ce  dépouillement  n'est  pas 
de  suivre  l'évolution  de  l'opinion  contemporaine  sur  une  question 
d'actualité,  mais  de  signaler  les  études  qui  contiennent  des  faits  et  des 
renseignements  utiles  pour  le  travailleur. 

C'est  pour  la  même  raison  que,  parmi  les  articles,  ceux  qui  présen- 
tent uniquement  le  caractère  d'une  analyse  d'ouvrage  n'ont  pas  été 
retenus. 

Les  résultats  du  dépouillement  seront  groupés  sous  des  rubriques 
de  matières  :  Les  Origines  de  la  guerre.  —  Les  Opérations  militaires.  — 
L'Exécution  des  Traités.  —  Les  Réparations.  —  Les  Nations  pendant 
la  guerre,  etc.  Les  rubriques  fondamentales  reparaîtront  dans  chaque 
numéro.  Mais  des  rubriques  secondaires  pourront  être  ajoutées  pour 
adapter  le  cadre  à  la  variété  des  sujets  traités.  En  effet,  le  Traité  de  Ver- 
sailles ne  marque  pas  la  limite  chronologique  de  ces  études;  les  ques- 
tions dont  le  Traité  s'est  borné  à  prévoir  le  mode  de  règlement  (man- 
dats, plébiscites,  territoire  de  la  Sarre,  occupation  rhénane,  etc.) 
sont  encore  des  problèmes  de  l'histoire  de  la  guerre.  Enfin  l'acte  du 
28  juin  1919  n'a  pas  résolu  l'ensemble  de  la  situation  européenne  : 
c'est  à  ce  titre  que  la  revue  s'intéressera  à  la  question  russe,  à  la  ques- 
tion turque;  c'est  à  ce  titre  qu'elle  entend  suivre  les  soubresauts  de 
la  conscience  publique  qui  sont  en  quelque  manière  une  suite  directe 
de  la  guerre.  [N.  D.  L.  R.]. 


Liste  des  revues  dont  le  dépouiltement  .sera  régulièrement  assuré. 

Revues  françaises.  —  Action  nationale.  —  Bulletin  de  la  Ligue 
des  Droits  de  l'Homme.  —  Bulletin  de  la  Société  d'Études  documentaires 
et  critiques  sur  la  Guerre.  —  Correspondant.  —  Europe  nouvelle.  — 
Mercure  de  France.  —  Monde  nouveau.  — Revue  d'Artillerie.  — Revue 
de  Cavalerie.  —  Revue  d' Économie  politique .  — Reviiedes  Deux  Mondes. 

—  Revue  de  France.  —  Revue  du  Génie  militaire.  —  Revue  hebdoma- 
daire. —  Revue  militaire  française.  —  Revue  militaire  générale.  —  Revue 
de  Paris.  —  Revue  politique  et  parlementaire .  —  Revue  des  Questions 
coloniales  et  maritimes.  —  Revue  de  Science  et  Législation  financières. 

—  Revue  des  Sciences  politiques.  —  Revue  universelle.  —  Vie  des 
Peuples. 

Revues  anglaises.  —  Army  Quarterly.  —  Asiaîic  Review.  — 
Contemporary  Review.  —  Economie  Journal.  —  Foreign  Affairs.  — 
Fortnightly  Review.  —  Journal  of  the  Royal  United  Service  Institu- 
tion. —  Journal  of  the  Briiish  Institiite  of  International  Affaire.  — 
Reconstruction  de  l'Europe  (supplément  du  Manchester  Guardian).  — 
Round  Table.  —  United  Empire. 

Revues  américaines.    —  American  économie  Revieiv.  ■ —  American 


84  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

political  Science  Review.  —  Atlantic  Monthly.  —  Foreign  Affairs.  — 
Forum.  —  Infantry  Journal.  —  Political  Science  Quarterly. 

Revues  belges.  —  Bulletin  belge  des  Sciences  militaires.  —  Bul- 
letin de  la  Commission  des  Archives  de  la  Guerre.  — Revue  économique 
internationale.  —  Revue  générale. 

Revues  italiennes.  —  Giornale  degli  Economisti.  —  Nuova  Anto- 
logia.  —  Nuova  Rivista  Storica.  —  Oriente  moderno.  —  Politica.  — 
Problemi  italiani.  —  Vita  italiana. 

Revues  hollandaises.  —  Bulletin  of  the  central  Commission  for 
neutral  investigatioyi  of  the  causes  of  the  World  war. 

Revues  allemandes  (i).  —  Allgemeines  Statisiiches  Archiv.  — 
Berichte  der  Zentralstelle  fiir  Erforschung  der  Kriegsursachen.  — 
Deutsche  Nation.  — Deutsche  Rundschau.  —  Grenzhoten.  —  lahrbûcher 
fiir  N ationalœkonomie .  — Merkblàtter  z.  Schuldfrage.  — Mitteilungen 
des  Verbandes  deutscher  Kriegssammlungen.  —  Preussische  lahr^ 
biicher.  —  Suddeutsche  Monatshefte.  —  Weltwirtschaftliches  Archiv. 
—  Wiederaufbau.  — Wirtschaft  und  Statistik.  —  Wissen  îind  Wehr.  — 
Zeitschrift  fur  Politik. 

Revues  autrichiennes.  —  Historische  Blâtter.  —  Osterreischische 
Rundschau.  —  Neue  Reich. 

Revues  suisses.  —  Revue  militaire  suisse.  —  Schweizerische 
Vierteljahrschrift  fur  Kriegswissenschaft. 


Liste  méthodique  des  articles. 

Généralités. 

Ferrero  (Guglielmo).  —  The  European  Chaos.  —  Atl.  Monthly, 
janv.  1923,  pp.  116-121. 

Glasgow  (George).  —  Foreign  Afîairs.  Diplomacy  by  Conferencer. 
—  Contetnp.  Rev.,  janv.  1923,  pp.  100-116. 

Speranzini  (Q.).  —  Nella  dramma  europea.  —  Vita  ital.,  janv.  1923, 
pp.  90-106. 

Origines  de  la  Guerre. 

Beazley  (Raymond).  —  New  light  from  Russian  documents,  III. 
The  falsifications  of  the  «  Russian  Orange  book  of  1914  ».  IV,  General 
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(Londres),  janv,-fév,  1923,  pp,  155-156,   172-179. 

Japikse  (N.),  —  The  collection  of  diplomatie  documents  in  the 
German  foreign  Of&ce.  [Sur  la  collection  «  Die  Grosse  Politik  der  euro- 

(i)  Les  revues  allemandes  arrivent  actuellement  en  France  avec  tant  d'ir- 
régularité que  cette  partie  du  dépouillement  a  dû  être  ajournée. 


BIBLIOGRAPHIE  85 

pàischen  Kabinette,  1871-1914.]  —  Bull,  of  Central  Commission, 
janv.  1923,  pp.  34-47- 

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Déclaration  du  général  Dobrorolsky  sur  l'afEaire  du  Lokal-Anzeiger. 
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CHRONIQUE 


Les  groupements  consacrés  aux  études  d'histoire  de  !a  guerre.  — 

Existe-t-il,  en  dehors  de  la  Société  de  l'histoire  de  la  guerre,  des  grou- 
pements privés  qui  aient,  à  l'étranger,  le  même  but,  qui  poursuivent 
l'étude  objective  des  faits  dans  leur  ensemble,  et  qui  soient  à  même  de 
doniier  une  impulsion  aux  travaux  personnels  ?  Il  ne  le  semble  pas. 
Du  moins,  aucune  société  de  ce  genre  ne  paraît  avoir  encore  manifesté 
son  activité  par  des  publications.  La  Ligue  des  collectionneurs  de  guerre 
allemands  (Verband  deutscher  Kriegssammlungen),  qui  a  publié 
jusqu'ici  un  bulletin  trimestriel,  fort  bien  présenté,  ne  dépasse  pas  le 
programme  restreint  qu'elle  s'est  tracé  :  monnaies  de  guerre,  journaux 
du  front,  médailles;  toutes  ces  menues  curiosités  ne  sont  certes  pas  négli- 
geables, même  pour  l'histoire  générale;  mais  elles  n'ont  après  tout 
qu'un  intérêt  secondaire. 

Par  contre,  il  existe  plusieurs  groupements,  qui  se  sont  uniquement 
consacrés  à  l'étude  des  origines  de  la  guerre,  soit  parce  que  ce  problème 
pose,  en  effet,  pour  le  monde  tout  entier,  les  questions  les  plus  angois- 
santes, soit  parce  que  l'intérêt  politique  du  sujet  suscite  des  vocations 
plus  ardentes  que  tout  autre. 

En  France,  la  Société  d'études  documentaires  et  critiques  s'est  consti- 
tuée en  191 7.  Elle  a  été  formée  surtout  par  des  membres  de  la  Ligue 
des  Droits  de  l'Homme  qui  se  trouvaient  en  conflit,  sur  ce  point  par- 
ticulier, avec  la  majorité  du  Comité  directeur. 

Après  avoir  organisé,  pendant  la  guerre  même,  des  conférences, 
dont  quelques-unes  ont  été  publiées,  elle  a  fait  paraître  l'étude  de 
M.  Mathias  Morhardt  :  les  origines  de  la  guerre.  Certains  membres 
de  cette  Société  ont  publié  aussi  des  ouvrages,  qui  ne  portent  pas 
l'estampille  du  groupe,  mais  qui  répondent  à  sa  doctrine  et  à  son  but  : 
tel  M.  Pevet  (i),  M.  Demartial  (2),  M.  Gouttenoire  de  Toury  (3). 
Enfm,  depuis  l'été  dernier,  la  Société  a  imprimé  un  Bulletin,  dont  le 
troisième  numéro  a  paru  en  mars  1923. 

Sans  négliger  absolument  l'ensemble  des  questions  que  soulève  le 
problème  des  origines  de  la  guerre,  la  Société  d'études  documentaires 
s'attache  tout  particulièrement  à  l'attitude  du  gouvernement  fran- 
çais. Il  serait  même  plus  exact  de  dire  qu'elle  s'y  attaque,  car  la  forme 
de  ces  études  ne  vise  pas  à  la  modération.  Le  groupe  se  consacre 
à  découvrir  et  à  dénoncer  des  fautes,  avec  une  ardeur  inlassable. 

(i)  Les  Responsables  de  la  guerre.  Paris.  Librairie  de  l'Humanité,  1922. 

(2)  Les  Responsabilités  de  la  guerre.  Le  patriotisme  et  la  vérité,  Paris. 
Éditions  «  Clarté  »,  1020. 

(3)  Poincaré  a-t-il  voulu  la  guerre  .^  Paris.  Éditions*  Clarté  »,   1920. 


92  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Et  certes,  il  ne  faut  pas  condamner  d'abord  l'intransigeance  et 
la  rigueur  de  ces  principes,  mais  n'est-il  pas  permis  de  souhaiter  que 
la  Société  donne  à  tous  les  faits,  dans  l'ensemble  de  la  crise,  leur 
valeur  relative,  et  qu'elle  n'exagère  pas  l'importance  de  certains  dé- 
tails,   la  portée   de   certaines   réserves  ? 

Il  faut  reconnaître  d'ailleurs  que  son  activité  a  eu,  au  seul  point 
de  vue  de  la  documentation  historique,  un  intérêt  fort  appréciable. 
La  première,  elle  a  montré  l'obscurité  de  certains  problèmes;  la  pre- 
mière, elle  a  posé  des  questions,  elle  a  provoqué  des  polémiques  qui 
ont  amené  la  publication  de  nouveaux  documents. 

En  Allemagne,  l'Office  central  pour  l'étude  des  causes  de  la  guerre 
(Zentralstelle  fur  Erforschung  der  Kriegsursachen)  est  un  organe  offi- 
cieux, chargé,  en  fait,  d'une  mission  de  propagande.  Son  premier  chef, 
l'historien  suisse  Sauerbeck,  adonnédes  gages  multiples  au  germanisme. 
Le  comte  de  Montgelas,  qui  a  été  un  des  experts  de  la  Commission 
d'enquête  du  Reichstag  sur  les  faits  de  guerre,  et  qui  a  publié  tant 
d'études  minutieuses  sur  les  origines  du  conflit,  est  sans  doute  le  plus 
ferme  soutien  de  l'office.  Le  directeur  actuel  en  est  le  docteur  von 
Wegerer,  qui  a  fait  paraître  l'an  dernier  des  travaux  intéressants. 

La  Zentralstelle  avait  commencé,  en  1922,  la  publication  d'une 
série  de  brochures  :  c'est  ainsi  qu'elle  avait  fait  traduire  l'étude  du 
général  Dobrorolsky  sur  la  mobilisation  russe,  en  y  joignant  les  com- 
mentaires des  Allemands  les  plus  compétents.  Après  une  longue 
interruption,  elle  vient  de  reprendre  ce  genre   de  travaux. 

Mais  elle  établit  aussi  un  Bulletin  hebdomadaire  dactylographié,  qui 
donne  l'indication  et  le  résumé  des  articles  parus  dans  les  journaux 
et  revues,  en  Allemagne  et  à  l'étranger,  sur  les  questions  qui  forment 
l'objet  de  ses  études  :  c'est  un  dépouillement  très  étendu,  et  fort  utile. 
Depuis  peu  de  temps,  ce  bulletin  reproduit  in  extenso  certains  docu- 
ments inédits. 

En  Hollande,  enfin,  siège  la  Commission  centrale  neutre  pour  la 
recherche  des  causes  de  la  guerre  (Central  Commission  for  neutral  inves- 
tigation of  the  causes  of  the  world  war) ,  qui  étend  aussi  son  activité 
à  la  Suède,  la  Norvège  et  la  Suisse.  Elle  a  tenu,  en  janvier  1923,  à 
l'Université  de  Zurich,  son  IV^  Congrès,  sous  la  présidence  du  profes- 
seur Hermann  Bàchtold,  de  Bâle.  Le  colonel  Immenhauser  et  le  doc- 
teur Hans  Oehler  représentaient  le  Comité  suisse,  M.  Japikse,  vice- 
président  de  la  Société,  le  lieutenant  général  van  Terwisga,  et  M.  J. 
Bruna,  secrétaire  général,  représentaient  la  Hollande;  pour  la  Norvège 
siégeaient  M.  Hambro,  rédacteur  en  chef  du  Morgenbladet,  et 
M.  Christopher  Mayer,  capitaine  de  vaisseau;  pour  la  Suède,  M.  Reu- 
terskiôld,  professeur  de  droit  international  et  député,  et  le  docteur 
Arur  Forsell. 

L'origine  de  cette  Commission  est,  d'après  son  propre  récit,  un  appel 
signé  en  19 19  par  un  certain  nombre  de  personnalités  appartenant 
à  des  nations  neutres.  Il  s'agissait,  au  moment  où  l'article  231  du 
Traité  de  Versailles  venait  de  proclamer  la  responsabilité  des  Puis- 
sances centrales  dans  les  origines  de  la  guerre,  de  protester  en  somme 
contre  la  forme  d'un  tel  jugement,  et  de  déclarer  que,  seule,  une  Com- 
mission neutre,  qui  travaillerait  selon  «  les  principes  de  la  recherche 


CHRONIQUE  93 

historique  scientifique  »,  serait  qualifiée  pour  porter  une  appréciation. 
C'est  en  Norvège  qu'un  Comité  avait  d'abord  été  formé  pour  réaliser 
le  programme  impliqué  par  cet  appel.  L'appui  d'un  groupement  amé- 
ricain, formé  à  New- York  en  janvier  1921  «  pour  l'étude  des  causes 
de  la  guerre  »,  a  fourni,  en  grande  partie,  dit-on,  les  moyens  finan- 
ciers nécessaires.  Enfin  la  Commission  neutre,  telle  qu'elle  existe  au- 
jourd'hui, s'est  formée  en  juin  1922,  à  Stockholm. 

Elle  s'est  donné  pour  but,  non  seulement  de  rechercher  des  docu- 
ments et  de  réunir  des  témoignages,  mais  encore  de  publier  des  mono- 
graphies qui  montreront  les  conditions  politiques  et  économiques  des 
États  européens  et  des  relations  internationales  avant  la  guerre.  Le 
point  de  départ  adopté  en  principe  est  l'année  1890;  mais  les  auteurs 
de  monographies  auront  toute  liberté  de  remonter  au  delà,  jvisqu'à 
la  paix  de  Francfort,  par  exemple,  dans  toute  la  mesure  où  leurs 
recherches  pourront  les  y  amener. 

Il  est  bien  entendu  que  la  Commission  neutre  déclare  travailler 
dans  un  esprit  de  rigoureuse  objectivité  :  «  La  question  des  origines 
de  la  guerre  mondiale,  dit-elle,  doit  être  arrachée  au  domaine  des 
discussions  politiques,  et  doit  trouver  sa  solution  dans  une  étude  scien- 
tifique impartiale.  »  Quoique  cette  impartialité  ait  été  mise  en  doute 
à  plusieurs  reprises,  —  quoique,  en  Hollande  même,  certains  liisto- 
riens  aient  cru  devoir  se  tenir  à  l'écart  d'un  mouvement  dont  la  «  neu- 
tralité »  ne  leur  paraissait  pas  certaine,  —  il  faut  se  garder  d'un  juge- 
ment trop  rapide.  M.  N.  Japikse,  le  directeur  des  publications  histo- 
riques des  Pays-Bas,  est  un  historien  de  valeur,  qui  paraît  posséder, 
dans  la  Commission  neutre,  une  très  grande  influence.  Il  peut  sans 
doute  lui  donner  toute  l'orientation  technique  nécessaire.  Mais, 
dominé  à  son  insu  même  par  sa  formation  intellectuelle,  ne  sera-t-il 
pas  victime  d'une  inconsciente  sympathie  ? 

La  Commission  neutre  n'a  pas  encore  annoncé  la  date  de  ses  pre- 
mières publications.  Mais  le  Bulletin  qu'elle  édite  a  consacré,  en 
janvier  1923,  un  important  article  à  la  collection  de  documents  entre- 
prise par  le  gouvernement  allemand  sous  le  titre  :  Die  Grosse  Politik 
der  eiiropâischen  Kabinette  (1871-1914).  L'auteur  de  l'étude  —  c'est 
M.  Japikse  —  en  fait  le  plus  grand  éloge.  Mais,  précisément,  il  laisse 
apparaître,  en  dehors  de  toute  question  technique,  cette  sympathie 
instinctive  à  laquelle  il  était  fait  allusion  tout  à  l'heure.  Ce  recueil, 
dit-il,  pourra  fournir  la  preuve  de  l'innocence  de  l'Allemagne.  «  Main- 
tenant, devant  chaque  Allemand,  une  joyeuse  perspective  s'ouvre  : 
le  lourd  fardeau,  que  le  Traité  de  Versailles  a  imposé  à  son  pays,  pourra 
être  rejeté.  »  Sans  doute,  c'est  un  espoir  que  M.  Japikse  prête  à  l'Alle- 
magne. Mais  il  ne  paraît  pas  y  être  indifférent. 

Ce  sujet-là  —  il  faut  bien  le  reconnaître  —  est  de  ceux  qu'il  n'est 
pas  possible  d'aborder  sans  un  secret  désir  d'y  trouver  la  confirmation 
de  ses  sentiments  les  plus  intimes.  Pour  parvenir  à  l'impartialité,  il 
faut  un  effort  constant  sur  soi-même,  une  perpétuelle  surveillance 
de  ses  propres  jugements;  il  faut  aussi  le  courage  de  choquer  au  besoin 
des  opinions  déjà  classiques  et  des  intérêts  essentiels.  Mais  il  ne  faut 
pas  davantage  se  laisser  emporter  par  la  satisfaction  professionnelle 
de  formuler  une  conclusion  neuve,  par  la  passion  du  dénigrement  sys- 


94  HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 

tématique.  Voilà  des  conditions  bien  difficiles  à  réunir.  Il  est  tout  na- 
turel que  des  neutres  se  soient  crus  plus  capables  que  tous  les  autres 
de  réaliser  cet  idéal;  mais  il  n'est  pas  encore  certain  qu'ils  y  aient 
réussi. 

L'enseignement  de  l'histoire  de  ta  guerre  à  la  Sorbonne.  —  Par 

arrêté  rectoral  du  3  novembre  1922,  M.  Pierre  Renouvin,  agrégé 
d'histoire  et  géographie,  docteur  es  lettres,  a  été  chargé  à  la  Faculté 
des  Lettres  de  l'Université  de  Paris  d'un  cours  sur  1'  «  étude  critique 
des  sources  de  l'histoire  de  la  guerre  mondiale  ».  C'est  la  Société  de 
l'histoire  de  la  guerre  qui  a  procuré  à  l'Université  de  Paris  la  dotation 
financière  de  cet  enseignement,  dont  l'importance  est  évidente. 
M.  Renouvin,  un  ancien  combattant,  grand  mutilé,  s'est  trouvé  dé- 
signé par  sa  connaissance  toute  spéciale  du  sujet  :  il  est  le  chef  du 
service  de  la  documentation  à  la  Bibliothèque  et  Musée  de  la  Guerre, 
et  il  a  publié  dans  l'automne  de  1922,  en  collaboration  avec  M.  Charles 
Appuhn,  une  magistrale  «  Introduction  aux  tableaux  d'histoire  con- 
parée  de  Guillaume»,  qui  accompagna  la  traduction  française  de  l'ou- 
vrage de  l'ex-kaiser.  Le  cours  a  commencé  le  8  décembre  1922;  il 
a  cette  année  pour  sujet  :  «  Les  origines  immédiates  de  la  guerre.  » 

Les  travaux  de  !a  Société  d'histoire  moderne. —  La  Société  d'His- 
toire moderne,  groupement  très  actif  formé  surtout  de  professeurs  de 
l'enseignement  supérieur  et  de  l'enseignement  secondaire,  à  laquelle 
appartiennent  bon  nombre  de  professeurs  et  historiens  étrangers,  et  qui 
compte  vingt-trois  ans  d'existence,  a  consacré  plusieurs  de  ses  récentes 
séances  à  l'examen  et  à  la  discussion  de  questions  qui  intéressent  l'his- 
toire de  la  guerre,  savoir  :  MM.  Jacques  Ancel,  Le  témoignage  du  général 
Sarrail  sur  V expédition  de  Salonique  de  1915,  16  et  17;  —  M.  Pierre 
Conard,  les  Tableaux  synoptiques  de  Guillaume  II ;  —  lieutenant- 
colonel  Mayer,  Dans  une  division  territoriale  au  début  de  la  campagne  ; 
—  Weill-Raynal,  les  travaux  du  Comité  des  garanties,  institué  par 
la  Commission  des  réparations,  depuis  sa  création  en  mai  192 1  jusqu'à 
la  fin  de  l'année  1922.  Le  résumé  de  ces  communications  a  paru  dans 
le  Bulletin  de  cette  Société,  où  l'on  trouvera  aussi  des  comptes 
rendus  de  nombreux  ouvrages  relatifs  à  l'histoire  de  la  guerre. 

Le  Congrès  de  Bruxelles.  —  Au  «  V^  Congrès  international  des 
Sciences  historiques  »,  tenu  à  Bruxelles,  palais  des  Académies,  du 
8  au  15  avril  1923,  figuraient  plusieurs  communications  intéressant 
l'histoire  ou  les  sources  de  l'histoire  de  la  guerre  mondiale.  Nous 
nous  bornons  à  mentionner  ici,  dans  l'ordre  alphabétique  des  noms 
d'auteurs,  les  titres  de  ces  communications,  nous  réservant  de 
revenir  dans  notre  prochain  numéro  sur  les  plus  importantes  d'entre 
elles. 

Camille  Bloch,  la  Bibliothèque  et  le  Musée  de  la  Guerre,  institution 
nationale  française.  —  Baron  de  Dorlodot,  Une  Commune  belge  [Flo- 
rifîoux]  sous  l'occupation  allemande,  de  l'automne  1916  à  l'été  191 7. 
Les  déportations  et  les  réquisitions.  —  Gronsky,  la  Chute  de  la  monar- 


CHRONIQUE  95 

chie  en  Russie  en  1917,  L'analyse  juridique  de  l'acte  d' abdication  de 
l'empereur  Nicolas  II,  2/15  mars  1917.  —  Th.  Heyse,  L'organisa- 
tion d'une  bibliothèque  nationale  de  guerre.  —  Waldo  G.  Leland, 
les  Archives  de  la  guerre  aux  États-Unis.  —  Henri  Lemaître,  Collec- 
tions de  documents  relatifs  à  la  guerre  en  Italie.  —  Michel  Lhéritier, 
Documentation  pour  l'histoire  d'une  grande  ville  française,  [Tours] 
pendant  la  guerre.  —  Colonel  Maltese,  Le  travail  de  la  Section 
historique  de  l'état-niajor  italien  et  la  dernière  guerre.  —  Lieutenant- 
colonel  Merzbach,  Les  Archives  militaires  de  la  guerre  1914-1918  en 
Belgique.  —  Pierre  Renouvin,  Esquisse  d'une  collaboration  entre  les 
centres  d'études  d'histoire  de  la  guerre.  —  Vannerus,  Les  Archives  de 
la  guerre  en  Belgique;  leur  genèse;  leur  organisation;  les  résultats 
obtenus.  —  C.  K.  Webster,  The  Congress  of  Vienna  1814-1815  and 
the  Paris  Conférence   1919  :  a  comparison  and  a  contrast. 


Le  Gérant  :   A.  Costes. 


5410.  —  Tours,  Imprimerie  h.  Ap.rault  et  C" 


Revue  d'Histoire 

de  la 

Guerre  Mondiale 


La  genèse  du  plan  XVII 


(1) 


Si  la  période  comprise  entre  1871  et  1914  a  pu  justement 
s'appeler  la  «  paix  armée  »,  c'est  qu'en  effet  pendant  tout 
ce  temps  la  France  a  vécu  sous  la  menace  constante  d'une 
invasion  allemande.  Le  pays  s'en  est  si  bien  rendu  compte 
qu'il  s'est  imposé  pendant  44  ans,  pour  assurer  sa  défense,- 
des  sacrifices  tels  qu'avec  une  population  inférieure,  il  a 
réussi  à  se  créer  et  à  maintenir  un  état  militaire  longtemps 
égal  à  celui  de  son  adversaire,  et  qui  lui  cédait  de  bien  peu 
lorsqu'éclata  le  conflit  prévu,  fatal,  mais  qui  n'était  désiré 
par  personne  et  qu'aucun  gouvernement  français  ne  chercha 
jamais  à  provoquer.  Même  aux  époques  où  des  transforma- 
tions de  l'armement  nous  donnèrent  un  avantage  incontes- 
table, mais  forcément  transitoire  :  adoption  du  fusil  Lebel, 
création  du  canon  à  tir  rapide,  bien  loin  de  chercher  à  en 
profiter,  nous  sûmes  opposer  le  sang-froid  et  la  dignité  aux 
menaces  et  aux  insultes  telles  que  l'affaire  Schnœbelé,  les 
coups  de  Tanger  et  d'Agadir,  et  nous  contenter  de  parfaire 
nos  moyens  de  défense.  Si  nous  recherchâmes  des  alliances, 
ce  fut  dans  le  seul  but  de  maintenir  la  paix. 

Un  coup  d'œil,  jeté  sur  les  mesures  prises  successivement 
par  l'état-major  et  le  haut  commandement  français  pendant 

(i)  Le  présent  travail  est  basé  principalement  sur  le  premier  volume  du 
grand  ouvrage  élaboré  par  le  Service  historique  de  FÉtat-Major  de  l'armée, 
et  publié  sous  le  titre  :  Les  Armées  Françaises  dans  la'^,Grande  Guerre.  Un 
exemplaire  de  ce  volume  se  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale,  un  autre  à 
la  Bibliothèque-Musée  de  la  Guerre. 

7 


g8  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

cette  longue  période,  fera  ressortir  le  caractère  essentielle- 
ment «  défensif  »  de  notre  préparation  militaire  et  montrera, 
il  faut  l'espérer,  la  fausseté  de  l'accusation  qui  nous  a  été 
faite  d'avoir  voulu  une  guerre  de  revanche  et  de  l'avoir  pro- 
voquée. 

La  paix  de  Francfort  n'était  pas  encore  signée  que  l'insur- 
rection de  la  Commune  obligeait  à  reconstituer  notre  armée, 
tout  au  moins  à  former  hâtivement  avec  les  prisonniers 
rapatriés  d'Allemagne  des  troupes  solides,  qui  allaient  consti- 
tuer le  noyau  et  la  base  de  notre  réorganisation  militaire. 
A  peine  le  territoire  était-il  évacué  qu'on  se  mettait  au  travail 
pour  créer  à  la  frontière  cette  ligne  de  fortifications  juste- 
ment célèbre,  à  l'abri  de  laquelle  nous  comptions  préparer 
notre  défense  en  cas  d'agression.  On  sait  que  cette  œuvre 
de  sécurité  nécessaire  et  élémentaire  faillit,  à  peine  commencée, 
être  la  cause  d'une  nouvelle  guerre  provoquée  par  les  Alle- 
mands, furieux  de  voir  qu'au  lieu  d'être  une  nouvelle  Autriche 
et  de  renoncer  à  se  défendre,  la  France  voulait  rester  maî- 
tresse chez  elle  et  garder,  avec  son  indépendance  politique, 
l'intégrité  du  territoire  que  lui  avait  laissé  une  paix  désas- 
treuse. Mais,  après  cet  incident,  il  n'y  avait  pas  à  se  tromper 
sur  les  dispositions  de  nos  voisins,  et,  quelle  qu'eût  été 
l'utilité  en  1875  de  l'attitude  de  la  Russie  pour  maintenir 
la  paix,  le  peuple  français  sentit  dès  ce  moment  qu'il  ne  pou- 
vait compter  que  sur  ses  propres  forces  pour  assurer  son 
existence. 

Aussi  est-ce  de  cette  époque  que  date  réellement  notre 
réorganisation  militaire,  dont  l'idée  maîtresse  fut  celle  de 
la  c(  nation  armée  »,  conception  toute  nouvelle  chez  nous 
quoi  qu'on  ait  pu  dire  (i),  et  qui  trouva  sa  première  formule 


(i)  Si  l'on  était  surpris  de  cette  affirmation,  il  suffirait  de  rappeler  que 
non  seulement  on  n'avait  jamais  encore  en  France  organisé  dès  le  temps  de 
paix  l'utilisation  en  cas  de  guerre  de  tous  les  citoyens  en  état  de  porter  les 
armes,  mais  que,  lors  des  crises  les  plus  graves,  il  s'en  fallut  de  beaucoup 
que  l'ensemble  de  nos  troupes  mobilisées  ait  jamais  approché  d'un  effectif 
qui  put  mériter  le  nom  de  «  nation  armée  ».  Même  après  la  «  levée  en 
masse  »,  les  quatorze  armées  de  la  Convention  ne  représentèrent  pas  le  cin- 
quième de  ce  qu'aurait  fourni  la  loi  de  recrutement  de  iSjS,  si  elle  avait 
été  appliquée  au  chiffre  de  la  population  française  en  lygB.  La  proportion 
fat  encore  plus  faible  en  i8i3  et  1814,  et,  malgré  tous  ses  efforts,  le  Gouver- 
nement de  la  Défense  nationale  ne  put  organiser  et  transformer  en  combat- 


LA    GENÈSE    DU   PLAN    XVII  99 

dans  la  loi  de  recrutement  de  1875.  C'est  sur  cette  première 
base  que  l'état-major  de  l'armée  se  mit  au  travail  et  commença 
à  élaborer  les  plans  de  mobilisation,  de  transport  et  de 
concentration  nécessaires  pour  soutenir  une  lutte  que  les  dis- 
positions de  nos  voisins  venaient  de  montrer  toujours  mena- 
çante :  il  importe  de  suivre  les  modifications  successives 
de  ces  conceptions. 

I.  —  Les  plans  antérieurs  au  plan  xvii. 

Sans  doute  ces  transformations  furent  toujours  étroi- 
tement solidaires  de  nos  diverses  lois  de  recrutement.  Mais 
si  la  notion  du  devoir  militaire  étendu  à  tous  les  citoyens 
en  état  de  porter  les  armes  en  cas  d'invasion  est  restée  la 
base  de  notre  doctrine,  les  idées  en  matière  d'emploi  des 
réserves  avec  les  armées  de  campagne  n'ont  cessé  de  varier 
depuis  1875.  Nous  sommes  peu  fixés  sur  ce  qui  fut  préparé  à 
ce  sujet  au  lendemain  de  cette  chaude  alerte.  Mais  il  est 
certain  que,  si  la  guerre  avait  éclaté  alors,  notre  armée  ter- 
ritoriale, fortement  constituée  avec  les  anciens  combattants 
de  70-71,  aurait  pris  part  à  la  défense  du  territoire,  et  aurait 
rendu  au  moins  autant  de  services  que  les  créations  hâtives 
du  Gouvernement  de  la  Défense  nationale. 

Quant  aux  réservistes,  presque  tous  à  cette  époque  anciens 
soldats  des  armées  impériales  ou  de  la  garde  mobile,  ils 
n'auraient  pas  seulement  complété  et  entretenu  les  effectifs 
des  troupes  actives  ;  ils  auraient  formé  aussi  de  nombreuses 
unités  de  campagne.  Mais  dans  quelle  proportion,  c'est 
ce  que  nous  ignorons. 

Ce  n'est  en  effet  qu'à  partir  du  plan  X,  mis  en  vigueur 
le  10  mai  1889,  également  à  la  suite  d'une  nouvelle  et  grave 
alerte  :  l'affaire  Schnœbelé,  que  nous  possédons  des  rensei- 
gnements positifs  sur  ce  qui  était  préparé  en  matière  d'emploi 
des  unités  de  réserve.  Cette  fois,  leur  affectation  aux  troupes 

tants  plus  du  quart  des  hommes  disponibles.  A  ces  diverses  époques, 
l'absence  d'une  loi  organique  permanente  se  fit  cruellement  sentir  et  para- 
lysa les  efforts  les  plus  énergiques. Car  l'improvisation  ne  saurait  suffire  pour 
fournir  rapidement  les  armes,  les  munitions,  les  approvisionnements,  les 
cadres  surtout,  sans  lesquels  une  armée  ne  peut  exister.  L'exemple  tout 
récent  des  Américains  montre  bien  le  temps  que  demandera  toujours  sem- 
blable création,  même  quand  les  ressources  en  argent  et  en  matériel  sont 
illimitées  et  quand  la  sécurité  du  territoire  national  est  complète. 


100  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

de  campagne  est  prévue  avec  une  ampleur  qu'on  ne  devait 
plus  voir  par  la  suite,  puisqu'aux  i8  corps  d'armée  actifs 
devaient,  à  la  mobilisation,  s'en  ajouter  i8  autres,  obtenus 
par  la  formation  de  régiments  mixtes  d'infanterie  compre- 
nant chacun  un  bataillon  actif  et  deux  de  soldats  rappelés, 
création  qui  présente  une  curieuse  et  frappante  analogie 
avec  ce  qu'avait  été  «  l'amalgame  »  à  l'époque  révolution- 
naire. Pour  les  armes  spéciales  nécessaires  à  ces  corps  d'armée 
nouveaux,  on  devait  procéder  par  dédoublement  des  unités 
actives. 

Cette  organisation  remarquable  ne  devait  pourtant  pas 
durer  longtemps,  car,  dès  le  plan  XI,  il  n'est  plus  prévu 
que  9  corps  d'armée  supplémentaires  et  6  troisièmes  divisions 
affectées  chacune  à  6  des  corps  d'armée  actifs. 

Lors  de  l'adoption  du  plan  XIII,  nouvelle  réduction  à 
5  des  corps  d'armée  nouveaux.  Par  contre,  adjonction  d'une 
division  de  réserve  à  chaque  corps  actif  ;  puis,  dans  le 
plan  XIV,  suppression  complète  des  corps  de  nouvelle  for- 
mation. Il  ne  reste  plus  que  des  divisions  de  réserve,  formant 
trois  groupes  disposés  en  arrière  des  armées  de  première 
ligne. 

Lors  de  l'adoption,  le  15  février  1908,  du  plan  XVI,  l'affai- 
blissement de  notre  armée,  résultant  du  vote  de  la  loi  de 
deux  ans,  oblige  à  envisager  pour  les  troupes  de  seconde  ligne 
un  rôle  un  peu  plus  actif,  puisque  chaque  corps  de  l'intérieur 
mobilisé  s'adjoindra  une  brigade  de  réserve.  On  forme,  en 
outre,  22  divisions  de  réserve  et  9  de  territoriale.  Mais,  seul, 
est  admis  en  première  ligne  l'emploi  des  brigades,  à  côté 
des  unités  actives,  et  encore  est-il  recommandé  (nous  nous 
en  souvenons  tous)  de  les  affecter  à  des  missions  spéciales. 
Pour  les  autres,  quatre  groupes  de  divisions  de  réserve 
seront  concentrés  en  arrière  des  armées;  deux  divisions  de 
territoriale  seront  maintenues  dans  les  camps  de  l'intérieur, 
à  Auvours  et  à  la  Braconne. 

Peu  après,  en  février  191 1,  se  produit  la  proposition  du 
général  Michel,  inspirée  d'une  idée  neuve,  hardie,  et  qui  tout 
au  moins  valait  mieux  que  l'examen  hâtif  qui  la  fit  rejeter 
immédiatement.  Il  ne  s'agissait  de  rien  moins  que  de  dédou- 
bler, à  la  mobilisation,  chaque  régiment  d'infanterie  actif, 
de  façon  à  former  six  bataillons  actifs  sous  les'  ordres  du 
colonel  assisté  de  deux  lieutenants-colonels.  De  cette  façon. 


LA   GENESE    DU    PLAN    XVII  lOI 

chaque  brigade  active  aurait  pris  la  force  d'une  division, 
chaque  division  celle  d'un  corps  d'armée  et  chaque  corps 
d'armée  en  aurait  valu  deux.  Toutes  ces  unités  devaient  être 
employées  sur  le  front  d'une  manière  identique.  Sans  vouloir 
le  discuter  complètement,  on  ne  peut  méconnaître  le  très 
sérieux  avantage,  au  point  de  vue  «  humain  »,  d'un  projet 
dans  lequel  chaque  colonel,  conservant  à  la  mobihsation 
le  commandement  des  unités  nouvelles,  était  intéressé  à 
leur  donner  la  même  cohésion  qu'aux  anciennes,  au  lieu  de 
perdre  une  partie  de  ces  cadres,  qu'il  a  eu  tant  de  peine  à 
former,  et  qui  passent  à  des  unités  avec  lesquelles  il  n'aura 
plus  aucun  contact.  On  sait  que  l'échec  de  cette  proposition 
devait  amener  la  démission  de  son  auteur,  et  la  réorganisation 
du  haut  commandement  par  la  création  du  poste  de  «  chef 
d'état-major  général»,  dont  le  titulaire  devint  le  général  en 
chef  désigné. 

Ainsi  qu'on  a  pu  le  voir  par  ce  rapide  examen,  la  forma- 
tion, à  la  mobilisation,  de  grandes  unités  composées  de  réser- 
vistes fut  de  moins  en  moins  en  faveur  au  cours  des  années, 
et  la  confiance  dans  la  solidité,  au  moins  au  début  d'une 
guerre,  de  pareilles  créations  semble  avoir  été  plutôt  en 
diminuant.  Si  l'on  était  tenté  d'en  faire  un  grief  à  notre 
état-major,  il  ne  serait  que  juste  de  rappeler  qu'il  ne  saurait 
être  rendu  responsable  de  la  diminution  progressive  que  subi- 
rent la  durée  et  la  fréquence  des  périodes  d'instruction. 
On  s'explique  facilement,  qu'étant  lui-même  de  plus  en 
plus  imbu  des  théories  d'offensive  à  outrance,  amené  par 
suite  des  progrès  de  la  mobilisation  et  de  la  concentration, 
aussi  bien  chez  nous  que  chez  les  Allemands,  à  envisager 
l'ouverture  des  hostilités  au  jour  le  plus  rapproché  possible 
de  la  déclaration  de  guerre,  il  ait  été  tenté  de  séparer  de  plus 
en  plus  le  rôle  des  formations  actives  de  celui  qu'on  pouvait 
assigner  à  des  unités  formées  d'hommes  nullement  entraînés 
et  rarement  repris  en  main.  D'ailleurs,  la  difficulté  d'assurer 
le  commandement  et  d'organiser  les  états-majors  augmente 
très  rapidement  avec  l'élévation  du  rang  des  unités  que  l'on 
cherche  à  créer  de  toutes  pièces.  Le  projet  Michel  y  remé- 
diait dans  une  mesure  qui  n'a  peut-être  pas  été  suffisamment 
appréciée,  mais  son-  rejet  devait  amener  à  considérer  la 
division  comme  la  plus  forte  unité  qui  pût  utilement  être 
constituée,  au  moyen  de  réservistes,  car  le  groupement  (par 


102  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

trois  généralement)  de  ces  divisions  ne  saurait  être  assimilé 
à  la  formation  de  corps  d'armée,  par  suite  de  l'absence  des 
«  éléments  non  endivisionnés  »  et  de  son  caractère  tempo- 
raire. 

Les  projets  de  transport  et  de  concentration,  ou  plutôt 
de  déploiement  stratégique,  devaient  naturellement  dépendre 
non  seulement  des  mesures  admises  pour  la  mobilisation, 
mais  aussi  de  l'organisation  de  nos  défenses,  de  la  constitu- 
tion de  notre  réseau  ferré,  et  enfin  de  la  situation  politique. 
En  effet  si  l'Allemagne  restait  toujours  notre  principal 
adversaire  probable,  sinon  certain,  il  fallut  longtemps  compter 
avec  l'attitude  de  l'Italie,  parfois  même  de  l'Angleterre  et  de 
la  Belgique.  Enfin  la  valeur  de  la  coopération  russe  fut  tou- 
jours incertaine. 

On  ne  sait  à  peu  près  rien  des  mesures  préparées  avant 
1891,  mais  le  dispositif  adopté  à  cette  époque,  lors  de  la 
rédaction  du  plan  XI,  répartissait  nos  forces  en  une  masse 
centrale  sur  le  front  Charmes-Commercy,  qui  devait  être 
tenu  par  deux  armées,  une  troisième  étant  laissée  en  deuxième 
ligne  entre  Chaumont  et  Neufchâteau.  A  droite,  à  Épinal, 
une  armée  de  manœuvre  soutenue  par  ime  armée  de  réserve 
entre  Lure  et  Luxeuil,  à  gauche  deux  armées,  l'une  entre 
Bar-le-Duc  et  Sainte-Menehould,  l'autre  autour  de  Reims. 
D'autre  part,  les  14^  et  15^  corps  restent  sur  la  frontière  des 
Alpes.  En  faisant  adopter  ce  projet  par  le  conseil  supérieur 
de  la  guerre,  le  général  Saussier  exprimait  l'avis  que  le  dispo- 
sitif convenait  aussi  bien  à  l'offensive  qu'à  la  défensive, 
mais  se  gardait  bien  de  faire  connaître  ses  projets  d'opé- 
rations. Plus  tard,  cependant,  en  1896,  à  l'occasion  de  l'adop- 
tion du  plan  XIII,  il  annonçait  «  l'intention,  après  avoir 
assuré  le  flanc  droit  du  dispositif  par  la  possession  des  Vosges, 
de  marcher  sur  Sarrebourg,  et  de  faciliter  ainsi  aux  armées 
de  la  masse  centrale  le  débouché  en  avant  de  Nancy,  tandis 
qu'une  des  armées  de  manœuvre,  tout  en  masquant  Metz, 
leur  prêterait  l'appui  de  ses  corps  de  droite  ». 

Dans  le  plan  XIV,  apparaît  plus  nettement  encore  la  préoc- 
cupation de  réserver  le  plus  longtemps  possible  la  liberté 
de  décision  du  général  en  chef.  Les  débarquements  doivent 
placer  les  troupes  dans  un  «  dispositif  d'attente  «.  Pour  cela, 
on   constitue   vers   Nancy   une   avant-garde   générale,   puis 


LA   GENESE    DU    PLAN   XVII  IO3 

trois  armées  sur  le  front  Épinal,  Mirecourt,  Neufchâteau, 
Commercy,  une  armée  de  manœuvre  vers  Chaumont,  le 
tout  appuyé  en  arrière  par  trois  groupes  de  divisions  de  réserve. 
Cette  tendance  ne  fait  qu'augmenter  avec  la  prise  de  comman- 
dement du  général  Brugère,  qui,  «  estimant  que  les  plans 
antérieurs  correspondent  d'une  façon  trop  absolue  à  une 
idée  de  manœuvre  préconçue  »,  fait  adopter  «*  un  dispositif 
central  qui  pût  répondre  aux  diverses  éventualités  possibles  ». 
En  conséquence,  l'avant-garde  générale  étant  supprimée, 
on  aura  trois  armées  en  première  ligne,  une  de  5  corps  vers 
Épinal,  une  de  4  vers  Toul  et  Nancy,  une  de  5  sur  les  hauts 
de  Meuse,  face  à  Metz  ;  en  deuxième  ligne,  derrière  le  centre, 
une  armée  de  4  corps,  et  3  groupes  de  divisions  de  réserve 
à  Châlons,  Troyes  et  Vesoul,  On  y  joindra,  s'il  est  possible, 
les  troupes  du  Sud-Est,  formant  une  cinquième  armée  vers 
Vesoul.  Une  variante  devait,  peu  après,  prévoirla  réunion  d'une 
armée  vers  Revigny,  pour  parer  à  une  menace  du  côté  de  la 
Belgique,  éventualité  dont  on  commençait  à  se  préoccuper. 

Enfin  le  plan  XVI  «  doit  satisfaire  à  une  double  condition  : 
porter  en  germe  la  manœuvre  par  laquelle  le  général  en  chef 
se  propose  d'entamer  son  plan  de  campagne,  prévoir  dans 
la  mesure  du  possible  les  éventualités  qui  peuvent  se  pro- 
duire, de  façon  à  ne  pas  être  surpris  par  les  événements...  ». 
Mais,  en  réalité,  c'est  surtout  à  la  deuxième  condition  que 
l'on  pense,  car  «  l'emplacement  initial  des  troupes  sur  le 
terrain...  «est  «  étudié  surtout  en  vue  du  mouvement  »  et  de 
«  la  souplesse  »  du  dispositif.  On  formera  donc  un  plus  grand 
nombre  d'armées;  elles  seront  largement  espacées,  et  une 
armée  de  manœuvre  devra  être  prête  à  répondre  à  une 
menace  du  côté  du  territoire  belge. 

En  conséquence,  trois  armées  de  front  seront  réparties, 
la  F^  (5  corps  et  2  divisions  de  cavalerie)  dans  le 
quadrilatère  Chaumont,  Langres,  Épinal,  face  au  Nord-Est  ; 
la  IP  (2  corps)  dans  la  région  Saint-Dizier,  Joinville 
Gondrecourt,  Ligny-en-Barrois,  face  au  Nord-Est  ;  la  III^ 
(3  corps,  I  division  de  cavalerie)  dans  la  région  Bar-le- 
Duc,  Pierrefitte,  Revigny,  Heiltz-le-Maurupt,  face  à  l'Est. 
Aux  ailes,  la  IV^  armée  (2  corps  d'armée,  i  division  de  cava- 
lerie) dans  les  Vosges;  la  V®  (2  corps  d'armée,  i  division 
de  cavalerie)  derrière  l'Argonne,  dans  la  région  Ville-sur- 
Tourbe,  Mouthiers,  Vouziers,  face  à  l'Est,  et  3  divisions  de 


104  HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 

cavalerie  vers  Rethel.  Les  réserves  comprennent  :  la  VP  ar- 
mée, 2  corps  au  camp  de  Châlons,  2  au  nord  de  Brienne, 
le  19®  corps  à  Orléans,  les  14^  et  15®,  s'ils  sont  disponibles 
à  Dôle,  un  21^  corps,  venant  aussi  des  Alpes,  au  sud-est  de 
Paris.  Enfin  un  groupe  de  divisions  de  réserve  au  sud  de  la 
ligne  Dôle,  Dijon,  un  vers  Troyes,  un  dans  la  région  Sois- 
sons,  Oulchy,  Villers-Cotterets,  un  vers  Laon,  la  Fère  ;  une 
division  de  territoriale  à  Auvours,  une  autre  à  la  Braconne. 
La  couverture,  fortement  organisée,  doit  tenir,  jusqu'au 
11^  jour,  leMadon,  la  Moselle  et  la  Meuse,  en  occupant  de' 
suite  les  Vosges,  la  forêt  de  Haye,  les  côtes  de  Meuse  de  Toul  à 
Verdun,  en  couvrant  Belfort  entre  le  ballon  d'Alsace  et  la 
frontière  suisse.  Un  groupe  spécial,  entre  Verdun,  Conflans 
et  la  frontière  belge,  doit  protéger  le  rassemblement  de  la 
V^  armée  vers  Buzancy. 

En  somme,  ces  divers  projets,  sans  exclure  la  possibilité 
de  prendre  l'offensive,  aboutissaient  tous  à  un  dispositif 
«  d'attente  »,  parfaitement  justifié  d'ailleurs  pour  une  nation 
résolue  à  ne  pas  prendre  l'initiative  de  la  guerre  et  placée 
devant  un  adversaire  redoutable,  dénué  de  scrupules  et  très 
capable  d'opérer  une  attaque  brusquée  sans  déclaration  de 
guerre,  ayant  de  plus,  par  sa  constitution,  le  moyen  d'opérer 
sa  mobilisation  en  secret  pour  s'assurer  l'avance  sur  nous. 
Dans  toutes  ces  dispositions,  se  marquait  le  souci  d'utiliser 
la  barrière  fortifiée  que  nous  devions  au  général  Séré  de 
Rivières.  Enfin  l'idée  générale  était  toujours  de  réserver 
à  la  masse  principale  de  nos  forces,  barrant  la  trouée  de  Toul 
à  Épinal  et  fortement  appuyée  par  sa  droite  aux  Vosges 
et  à  Belfort,  la  possibilité  de  se  retirer  pas  à  pas  vers  le  Sud- 
Ouest,  c'est-à-dire  vers  le  centre  du  pays.  Le  souvenir  de  la 
guerre  de  1870  était  toujours  vivace,  et  ce  qu'on  craignait 
par-dessus  tout,  et  à  juste  titre,  était  une  manœuvre  contre 
notre  droite,  soit  par  Bâle,  soit  plus  au  Sud  à  travers  la  Suisse. 
Les  précautions  prises  de  ce  côté  dans  le  plan  XVI  sont 
à  cet  égard  caractéristiques,  et  l'on  a  su  depuis  que  cette 
éventualité  n'avait  rien  d'inadmissible.  Le  projet  d'attaque 
brusquée  contre  Épinal  a  bel  et  bien  été  préparé  par  les  Alle- 
mands, et,  s'ils  n'ont  pas  violé  la  neutralité  helvétique, 
c'est  qu'ils  ont  cru  plus  avantageux  de  commettre  ailleurs 
le  même  crime. 

Assurément,  on  peut  penser  que  cette  dernière  hypothèse. 


LA   GENÈSE    DU    PLAN    XVII  IO5 

celle  du  passage  des  Allemands  par  la  Belgique,  ne  fut  pas 
toujours  considérée  ni  comme  la  plus  probable,  ni  comme 
la  plus  dangereuse.  Cependant,  à  l'examen  du  plan  XVI, 
on  constate  que  de  sérieuses  précautions  étaient  prises  de 
ce  côté,  et  que  des  mesures  efficaces  pouvaient  être  exécutées 
en  temps  utile.  Si  l'on  considère  en  effet  l'armée  des  Vosges, 
celle  de  Neufchâteau,  celle  de  Saint-Dizier,  et  même  celle 
de  Bar-le-Duc,  comme  peu  aptes  à  se  déplacer  vers  le  Nord 
et  comme  vouées  à  combattre  sur  le  front  général  Verdun, 
Nancy,  Saint-Dié,  Belfort,  les  deux  corps  de  l'armée  de 
l'Argonne  pourront  toujours  agir  au  nord  de  Verdun,  avec 
le  corps  de  cavalerie  de  Rethel.  Les  deux  corps  de  Châlons, 
soutenus  par  les  deux  autres,  venant  par  chemin  de  fer  de 
Brienne,  peuvent  gagner  en  temps  utile  le  front  Mézières, 
Sedan,  Stenay.  A  leur  gauche  peuvent  venir  d'abord  le  groupe 
de  réserve  de  Laon,  puis  celui  de  Soissons,  plus  tard  celui  de 
Troyes,  et  les  diverses  forces  venant  de  Paris,  d'Orléans, 
de  Dôle  même.  Tous  ces  mouvements  ou  transports  peuvent 
se  faire  à  l'abri,  et  pour  que  l'ennemi  puisse  les  troubler, 
il  faudrait  qu'il  eût  pris  du  côté  belge  une  avance  que  la 
longueur  du  trajet  à  parcourir  rend  tout  à  fait  improbable. 
D'ailleurs,  grâce  à  l'ouvrage  du  général  von  Kûhl  et  à  sa 
savante  analyse  par  le  général  Douchy  (i),  on  sait  mainte- 
nant que  l'idée  de  violer  la  neutralité  belge  ne  prit  corps 
chez  nos  ennemis  qu'entre  1894  et  1899.  En  1900  encore, 
dit  von  Kuhl,  «  nous  concentrions  six  armées  sur  la  ligne  : 
Saint-With,  Trêves,  Sarrebrûck,  Sarrebourg,  Strasbourg, 
une  septième  était  échelonnée  derrière  l'aile  droite  à  Duren, 
Kall  et  au  Sud.  Les  F«  et  11^  armées  devaient  franchir  la 
Meuse  vers  Donchery,  Stenay,  couvertes  contre  les  Belges 
par  la  VII^  armée.  Plus  à  gauche,  la  IIP  armée  s'avançait 
au  delà  de  la  Meuse.  Les  IV^  et  V^  armées  s'emparaient  de 
Nancy,  Frouard,  Pont-à-Mousson  ;  se  couvrant  face  à  Toul, 
elles  franchissaient  la  Moselle  au  Sud  de  cette  place  et  se 
dirigeaient  vers  Neufchâteau.  La  VI^  armée  couvrait  le 
flanc  gauche.  Le  secteur  de  Verdun  à  Toul  ne  devait  pas  être 
attaqué  tout  d'abord.  La  presque  totalité  de  notre  armée 
était  employée  à  ces  opérations  »... 

(i)  Le  grand  État-Major  Allemand  avant  et  pendant  la  guerre  mondiale. 
Analyse  et  traduction  de  l'ouvrage  du  général  von  Kuhl.  Paris,  Payot,  1922, 
in-8,  157  pages. 


I06  HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 

Ainsi  qu'on  le  voit,  les  mesures  prises  de  notre  côté  à  cette 
époque,  en  particulier  la  constitution  d'une  masse  centrale 
dans  la  trouée  Toul-Épinal,  répondaient  parfaitement  aux 
projets  de  notre  adversaire.  Plutôt  que  de  se  laisser  attirer 
à  livrer  une  bataille  décisive  en  avant  de  cette  trouée,  on 
préparait  chez  nous  l'opinion  à  voir  Nancy  occupé  par  l'en- 
nemi dès  le  début  des  hostilités. 

Mais  c<  dans  les  années  suivantes,  continue  von  Kùhl,  le 
comte  Schlieffen  accentuera  progressivement  l'idée  d'enve- 
loppement. L'attaque  contre  le  front  fut  abandonnée.  L'aile 
gauche,  en  Lorraine,  reçut  une  mission  défensive.  La  presque 
totahté  des  forces  devait,  en  s'appuyant  à  gauche  sur  Metz, 
exécuter  le  grand  mouvement  d'enveloppement  et  de  con- 
version ;  traversant  comme  un  puissant  rouleau  la  Belgique 
et  le  nord  de  la  France,  nous  déborderions  toute  position 
française  rencontrée.  Le  théâtre  d'opérations  s'étendait  ; 
on  créait  de  la  place  pour  l'immense  armée  ». 

Et  plus  loin,  von  Kiihl  ajoute  :  «  Si  l'enveloppement  des 
Français,  tel  qu'il  avait  été  projeté  jusqu'alors,  réussissait, 
une  nouvelle  position  s'offrait  à  eux  sur  la  ligne  :  Aisne, 
Reims,  la  Fère.  Il  fallait  également  envelopper  cette  posi- 
tion. L'aile  droite  allemande  dut,  par  suite,  être  concentrée 
encore  plus  au  Nord,  pénétrer  encore  plus  avant  à  l'intérieur 
de  la  Belgique;  23 corps  d'armée  actifs,  12  et  demi  de  réserve 
et  8  divisions  de  cavalerie  (en  réahté  7,  fait  remarquer  le 
général  Douchy)  étaient  destinés  à  exécuter  cette  vaste 
conversion  à  gauche  autour  de  Verdun  comme  pivot.  Ils 
devaient  être  concentrés  dans  la  province  rhénane,  leur 
gauche  à  Metz.  Il  restait  en  Lorraine,  pour  protéger  le  flanc 
gauche  des  armées  :  sur  la  rive  droite  de  la  Moselle,  seulement 
3  corps  d'armée  et  demi,  un  corps  de  réserve  et  3  divisions 
de  cavalerie;  dans  Metz,  indépendamment  de  la  garnison 
de  guerre,  6  brigades  de  landwehr;  à  Strasbourg,  outre  la 
garnison,  une  division  de  réserve  ;  sur  le  Haut- Rhin,  3  bri- 
gades et  demie  de  landwehr.  En  Basse- Alsace,  une  brigade 
de  landwehr...  La  mission  des  troupes  de  Lorraine  était 
de  fixer  le  maximum  de  forces  françaises  avec  le  minimum 
de  troupes  allemandes.  C'est  pour  cette  raison  qu'on  avait 
envisagé  une  attaque  sur  Nancy  an  début  de  la  guerre...  » 

Il  s'agissait  de  nous  donner  le  change  et  d'attirer  notre 
attention  de  ce  côté 


LA   GENESE   DU   PLAN   XVII  I07 

Bien  que,  comme  le  fait  remarquer  le  général  Douchy, 
nous  ayons  eu  vent  de  cette  attaque,  il  ne  semble  pas  que 
nous  nous  soyons  laissés  prendre  à  cette  amorce,  car,  outre 
les  possibilités  de  faire  face  à  l'attaque  enveloppante  contre 
notre  gauche  déjà  données  par  le  plan  XVI,  une  variante 
adoptée  en  septembre  1911,  sans  modifier  le  plan  dans  son 
ensemble  et  sans  avoir  été  l'objet  d'une  discussion  au 
Conseil  supérieur  de  la  guerre,  «  reportait  plus  au  Nord  la 
concentration  d'une  partie  importante  de  nos  forces.  En 
effet,  la  V^  armée,  renforcée  éventuellement  du  19^  corps, 
devait  se  concentrer  entre  Amagne  et  Mézières,  tandis  que 
le  gros  de  la  VI®  était  poussé  dans  la  région  Reims,  Châlons, 
Sainte-Menehould.  Les  groupes  de  divisions  de  réserve 
devaient  se  concentrer,  le  i®^  à  Vesoul,  le  2®  à  Toul,  le 
3®  à  Sainte-Menehould,  Bar-le-Duc,  le  4®  à  Mézières  où  se 
rassemblerait  le  corps  de  cavalerie  (i^®,  3®  et  5®  divisions). 

Ajoutons  que,  depuis  longtemps,  l'éventualité  du  passage 
des  Allemands  par  la  Belgique  avait  été  étudiée  par  nous 
dans  de  nombreux  exercices  sur  la  carte,  que  des  manœuvres 
de  cadre  avaient  eu  pour  théâtre  la  frontière  belge,  en  par- 
ticulier la  région  de  Carignan,  et  que  des  reconnaissances  de 
généraux  et  d'of&ciers  d'état-major,  voyageant  en  vête- 
ments civils,  avaient  été  poussées  à  diverses  reprises  en 
Belgique  et  dans  le  Luxembourg.  Jamais,  hâtons-nous  de 
le  dire,  il  n'avait  été  question  d'une  offensive  de  notre  part 
dans  cette  région,  dont  nous  connaissions  bien  les  difficultés 
d'accès.  Le  thème  courant,  presque  banal,  de  ces  études 
était  l'attaque  que  nous  comptions  exécuter  contre  l'ennemi 
débouchant  de  l'Ardenne.  Ce  n'est  que  plus  tard,  peu  d'années 
avant  la  guerre,  que  ces  mêmes  reconnaissances  explorèrent 
le  pays  situé  sur  la  rive  gauche  de  la  Meuse,  la  région  de 
Couvin  et  de  Phihppeville,  mais  en  vue  de  rechercher  les 
moyens  de  venir  barrer  la  trouée  historique  de  Chimay. 
On  nous  aurait  bien  étonnés  si  l'on  nous  avait  dit  qu'il  s'agis- 
sait d'aller  chercher  l'adversaire  dans  ce  guêpier  de  forêts 
et  de  landes  désertes,  qu'un  grand  nombre  d'entre  nous 
avaient  parcouru. 

II.  —  Le  plan  XVII. 
Le  plan  XVII  allait  profondément  différer  de  tous  ceux 


I08  HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 

qui  l'avaient  précédé,  non  seulement  par  ses  dispositions, 
mais  par  les  conditions  dans  lesquelles  il  fut  établi. 

Jusque-là,  en  effet,  c'était  l'état-major  de  l'armée,  relevant 
du  ministre  de  la  Guerre,  qui  avait  été  chargé  de  préparer 
la  mobilisation,  les  transports  et  la  concentration.  Certes, 
les  divers  commandants  en  chef  désignés,  qui  s'étaient 
succédé,  avaient  dû  être  consultés,  mais  ils  n'avaient  pas 
dirigé  personnellement  ces  travaux,  et  leur  action  propre 
avait  été  limitée  à  la  conception  de  la  manœuvre  qu'ils  se 
proposaient  d'exécuter,  une  fois  mis  en  possession  de  leurs 
moyens  d'action.  Si  ce  système  n'était  pas  parfait,  il  ne  faut 
pas  le  condamner  sans  examen,  car  il  présentait  tout  au  moins 
un  avantage  :  celui  de  donner  aux  opérations  compliquées 
de  la  préparation  à  la  guerre  une  stabilité,  qui  aurait  absolu- 
ment fait  défaut  avec  les  changements  si  nornbreux  des 
généraux  désignés  pour  le  commandement.  Si  chaque  nouveau 
titulaire,  à  cette  époque  troublée,  avait  pu  revendiquer  le 
droit  de  tout  transformer  dans  notre  état  militaire,  on  serait 
arrivé  au  chaos.  C'était  au  général  en  chef  d'accepter  ou  de 
refuser  la  tâche  qui  lui  était  offerte,  et  c'était  à  l'état-major 
de  l'armée  de  lui  fournir  le  plus  de  forces  possible  et  dans 
un  dispositif  assez  souple  pour  qu'il  pût  garder  toute  l'indé- 
pendance de  ses  décisions  en  matière  d'opérations  militaires. 
Celles-ci  restaient  son  domaine  propre,  et  l'on  a  vu  que  les 
plans  de  campagne,  attribut  essentiel  des  commandants 
en  chef,  furent  élaborés  par  eux  seuls  et  ne  furent  connus 
en  général  que  de  leur  entourage  immédiat. 

Tout  autre  fut  la  situation  dès  la  création  du  poste  de 
chef  d'état-major  général.  Les  pouvoirs  qui  lui  furent  attri- 
bués furent  si  étendus  que  rien  de  ce  qui  concernait  la  pré- 
paration à  la  guerre  ne  fut  soustrait  à  son  autorité. 

Pendant  les  trois  années  qui  précédèrent  la  lutte,  le  nou- 
veau titulaire  —  il  convient  de  le  souligner  —  régla  seul,  et 
à  sa  guise,  la  concentration,  la  mobilisation,  l'instruction 
de  l'armée,  et  eut  même  une  influence  prépondérante  sur 
l'avancement  et  le  choix  des  généraux  investis  des  grands 
commandements. 

Le  plan  XVII  eut  pour  base  la  situation  politique  géné- 
rale telle  qu'on  l'appréciait  chez  nous.  On  admit  que  le  confllit 
latent  qui  existait  entre  l'Autriche  et  l'Italie  déterminerait 
probablement  cette  dernière  puissance   à  rester  neutre,  au 


LA   GENÈSE    DU    PLAN    XVII  lOQ 

début  du  moins  des  hostilités.  Par  contre,  le  développement 
formidable  de  l'armée  allemande  résultant  de  l'adoption 
de  la  loi  militaire  de  1913  devait  donner  à  cette  puissance 
la  possibilité  «  de  produire  un  brusque  effort  avec  ses  corps 
de  couverture,  puis  de  prendre  dans  un  délai  très  court 
une  offensive  victorieuse  ».  Les  grands  progrès  réalisés  par 
l'armée  russe  devaient  lui  permettre  d'entamer  les  opéra- 
tions dès  le  I5«  jour  de  la  mobilisation,  et  de  développer 
complètement  son  offensive,  avec  24  corps  d'armée  actifs, 
du  20^  au  23®  jour.  Par  contre,  l'Angleterre  «  ne  nous  a  pas 
assuré  sa  coopération  d'une  manière  certaine  et  n'a  même 
voulu  prendre  aucun  engagement  par  écrit  ».  Si  l'on  peut 
sans  témérité  escompter  l'appui  de  sa  flotte,  le  secours 
d'un  corps  expéditionnaire  comprenant  i  division  de  cava- 
lerie, 6  d'infanterie  et  4  brigades  montées,  qui  a  fait  l'objet 
d'une  entente  entre  les  états-majors,  reste  douteux.  «  Nous 
agirons  donc  prudemment  en  ne  faisant  pas  état  des  forces 
anglaises  dans  nos  projets  d'opérations.  » 

Ajoutons  que  le  concours  de  l'armée  belge,  alors  en  pleine 
période  de  transformation,  n'était  rien  moins  qu'assuré. 

En  conséquence,  et  grâce  au  renforcement  qu'allait  donner 
aux  cadres  la  loi  du  23  décembre  1912,  «  on  est  en  droit 
d'envisager  l'utilisation  de  certaines  divisions  de  réserve, 
dans  le  cadre  de  nos  armées  de  première  ligne,  où  elles  auront 
à  remplir  certaines  missions  dévolues  aux  unités  actives 
dans  le  plan  en  vigueur  ».  De  fait,  25  divisions  de  réserve 
devaient  être  créées.  Chacune  comprendrait  2  brigades, 
à  trois  régiments  de  2  bataillons  seulem.ent.  De  plus,  les 
brigades  de  réserve  adjointes  aux  corps  d'armée  actifs  étant 
supprimées,  chaque  division  active  serait  renforcée  d'un  régi- 
ment de  réserve. 

L'ensemble  de  nos  forces  devait  donc  comprendre  : 

20  corps  d'armée  à  2  divisions. 
I  corps  d'armée  à  3  divisions. 

25  divisions  de  réserve,   dont    4    affectées    aux    grandes 
places  du  Nord-Est. 

12  divisions  territoriales,  dont  8  de  campagne  et  4  de  place. 
I  brigade  territoriale. 

10  divisions  de  cavalerie. 

Des     éléments     d'armée     (artillerie     lourde,    troupes    de 
chemin  de  fer,  etc.). 


IIO  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Il  y  aurait  lieu  de  créer  de  toutes  pièces,  à  la  mobilisa- 
tion : 

957  bataillons  nouveaux  sur  un  total  de  1.643 
231  escadrons  —  —  596 

672  batteries  — ■  —  .  1.527 

339  unités  de  génie     —  —  528 

et  de  plus  : 

21  escadrilles  d'armée. 
2  escadrilles  de  cavalerie. 
5  dirigeables. 
4  compagnies  d'aérostiers. 

Au  total  :  3.580.000  hommes. 

On  comptait  sur  l'appoint  des  37^  et  38^  divisions  amenées 
d'Algérie  et  de  Tunisie.  Quant  aux  82.000  hommes  employés 
au  Maroc,  le  ministre  de  la  Guerre  réservait  sa  décision  pour 
le  dernier  moment,  et  il  n'en  était  pas  fait  état  dans  le  projet 
d'opérations. 

On  ne  saurait  donc  dire  qu'un  effort  n'avait  pas  été  fait 
dans  le  sens  de  l'utilisation  des  réserves.  Mais  comment 
expliquer  son  insuffisance,  puisque  l'ouvrage  même  du  Ser- 
vice Historique  de  l'armée  apporte  cette  déclaration:  «  On 
savait,  depuis  1905,  que  les  divisions  ou  brigades  de  réserve 
(allemandes)  pouvaient  être  groupées  en  corps  de  réserve, 
et  le  projet  militaire  (allemand)  prévoyait  même  la  consti- 
tution d'états-majors  -de  corps  de  réserve  ;  mais  en  ce  qui 
concerne  leur  emploi,  le  nouveau  plan  de  mobilisation  ap- 
portait des  précisions.  Il  disait  textuellement  :  Les  troupes  de 
réserve  sont  employées  comme  les  troupes  actives.  » 

C'est  en  mai  1914,  à  la  veille  de  la  guerre,  que  notre  2^  Bu- 
reau aurait  acquis  ces  précisions.  En  réalité,  nous  tenons 
de  source  certaine  qu'il  les  possédait  en  grande  partie  depuis 
longtemps,  mais  qu'  «  en  haut  lieu  »,  on  ne  voulut  pas  faire 
état  de  renseignements  qui  n'avaient  pas  encore  de  caractère 
officiel.  Quand  ils  prirent  ce  caractère,  il  était  peut-être  trop 
tard  pour  changer  notre  mobilisation.  Mais  on  s'explique 
mal  l'erreur  si  grave,  commise  parle  Commandement  au  début 
des  hostilités  dans  l'appréciation  des  effectifs  ennemis, 
surtout  lorsqu'on  lisait  dans  le  rapport  du  2^  Bureau  le  pas- 
sage suivant  :  «  A  partir  du  13^  jour,  les  Allemands  disposent 
donc,  sur  les  bases   de   concentration,   de  tous  leurs  corps 


LA   GENESE    DU    FLAN    XVII  "  III 

actifs  et  de  celles  de  leurs  divisions  de  réserve,  destinées  à 
participer  immédiatement  aux  opérations  actives  et  réunies 
pour  la  plupart  en  corps  de  réserve,  »  Voici  peut-être  la 
cause  de  cette  erreur  :  on  estimait  seulement  à  20  corps  d'armée 
actifs  (dont  6  en  couverture),  10  de  réserve,  8  divisions  de 
cavalerie  et  10  divisions  de  réserve,  les  forces  destinées  à 
agir  contre  la  France,  le  reste  devant  être  opposé  aux  Russes 
ou  maintenu  à  l'intérieur  de  l'Allemagne.  Si  l'on  s'attendait 
bien  à  ce  qu'une  grande  attaque  se  produisît  par  la  Bel- 
gique, on  estimait,  d'une  part,  que  le  nombre  des  quais  et 
chantiers  de  débarquement,  existant  dans  la  région  au  nord 
de  Trêves,  ne  permettait  guère  le  débarquement  de  plus  de 
II  corps  d'armée,  de  l'autre  «  qu'un  rôle  important  serait 
dévolu  au  groupe  d'armées  qui  se  rassemblerait  derrière 
la  position  de  Metz-Thionville,  et  on  croyait  toujours,  pour 
des  considérations  politiques  et  morales,  à  l'attraction  exercée 
sur  les  Allemands  par  le  plateau  lorrain  ». 

Si  les  prévisions  sur  le  nombre  des  divisions  actives  des- 
tinées à  agir  contre  la  France  était  à  peu  près  exactes,  l'er- 
reur commise  dans  l'estimation  des  forces  aptes  à  agir  au 
nord  de  Trêves  était  énorme,  puisqu'au  lieu  de  11  corps 
d'armée,  23  corps  débarquèrent  entre  Saint-Wirth  et  Juliers 
(Ire  armée,  7  corps;  II^,  6;  III^,  5;  IV^,  5),  à  la  droite  de  la  V^ 
(7  autres  corps)  qui  devait  se  rassembler  de  Trêves  à  Metz. 
Elle  devait  avoir  les  plus  graves  conséquences,  surtout 
quand  elle  se  cumula  avec  la  conviction  que  l'aile  marchante 
ennemie  ne  serait  composée  que  de  troupes  de  choix,  aux- 
quelles ne  serait  adj ointe  aucune  formation  de  deuxième  hgne. 

Les  idées  qui  dominèrent  le  plan  de  concentration  devaient 
profondément  différer  de  celles  dont  on  s'était  inspiré  jusque- 
là.  Le  souci  d'adopter  des  dispositifs  aussi  souples  que 
possible,  pour  ne  pas  empiéter  sur  la  Hberté  d'esprit  du  com- 
mandant en  chef,  s'effaça;  et,  comme  on  l'a  vu,  cette  transfor- 
mation ne  fut  possible  que  du  jour  où  la  préparation  à  la 
guerre  et  la  conduite  des  hostilités  furent  remises  à  une  seule 
personne. 

Malgré  l'incertitude  qui  régnait  sur  les  projets  allemands, 
sur  l'aide  que  dans  certaines  circonstances  ils  pourraient 
trouver  chez  les  Itahens  ou  même  chez  les  Autrichiens, 
malgré  le  doute  qui  devait  persister  si  longtemps  sur  le  con- 


112  HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 

cours  des  Anglais  et  des  Belges,  on  admit  qu'il  y  aurait  «  incon- 
vénient grave  à  retarder  la  mise  en  place  du  dispositif  jusqu'au 
moment  où  le  général  en  chef  aurait  obtenu  sur  l'ennemi 
des  renseignements  suffisants.  C'est  donc  l'intention  d'agir 
dans  un  sens  déterminé,  formulée  dans  le  plan  d'opérations 
initial,  qui  doit  servir  de  base  à  la  concentration,  si  bien 
qu'en  définitive  le  dispositif  adopté  doit  contenir  en  germe 
celui  de  la  première  bataille  ». 

C'était  le  triomphe  de  la  doctrine  de  l'idée  préconçue, 
professée  nettement  à  l'École  de  Guerre  et  devant  ceux  qu'on 
appelait  plaisamment  les  élèves  maréchaux.  Admissible 
pour  les  Allemands  résolus  à  prendre  l'initiative  de  la  guerre, 
connaissant  exactement  à  l'avance  leurs  moyens  et  ayant 
pu  choisir  leurs  objectifs,  elle  n'avait  que  des  inconvénients 
pour  nous. 

La  concentration  dut  se  faire  en  utilisant  dix  lignes  de 
chemin  de  fer  indépendantes,  affectées  chacune  à  i  ou  2  corps 
d'armée,  et  sous  la  protection  d'une  forte  couverture  fournie 
par  les  2^,  6^,  7^,  20^  et  21®  corps  et  comprenant  127  batail- 
lons, 20  escadrons,  114  batteries  montées,  148  escadrons 
endi\dsionnés,  21  batteries  à  cheval.  La  gauche  de  la  ligne 
occupée  devait  s'étendre  jusqu'à  Givet,  afin  d'être  en  mesure 
d'occuper  de  bonne  heure  les  passages  de  la  Meuse  entre 
ce  point  et  Namur,  si  l'ennemi  pénétrait  sur  le  territoire  belge. 
A  la  fin  des  transports,  nos  cinq  armées  devaient  occuper 
les  emplacements  suivants  : 

La  pe  (76^  8e,  13e,  14e,  21^  corps,  6e  et  8^  divisions  de 
cavalerie).  Quartier  général  Epinal.  Rassem- 
blée dans  la  zone  Charmes,  Arches,  Darney. 
La  IP  (9e,  15e,  i6e,  i8e  et  20^  corps,  2^  et  lo^  divisions 
de  cavalerie,  2^  groupe  de  divisions  de  réserve 
formé  des  59^,  68^  et  70^  divisions).  Quartier 
général  à  Neuf  château;  dans  la  zone  :  Pont-Saint- 
Vincent,  Mirecourt,  Vittel,  Neufchâteau,  Pagny- 
la-Blanche-Côte,  Vaucouleurs,  Blénod-les-Toul. 
La  IIP  (4e,  56  et  6®  corps,  7^  division  de  cavalerie,  le 
3®  groupe  de  divisions  de  réserve  formé  des 
54^»  55®  st  56e  divisions).  Quartier  général  à 
Verdun  ;  dans  la  zone  Saint-Mihiel,  Consenvoye, 
Damvillers.  Côtes  de  Meuse  au  sud-ouest  de 
Fresnes-en-Woëvre . 


LA   GENESE    DU    PLAN   XVII  II3 

La  IV^  (12e  et   17^  corps,  corps  colonial,   9^  division   de 
cavalerie) .  Quartier  général  à  Saint-Dizier;  dans 
la     région     Vanincourt,     Void,     Gondrecourt, 
Bar-le-Duc,  en  deuxième  ligne  par  conséquent. 
La  V^  (i^r,  2^,  3e,  loe^   ne    corps,  4^   division  de  cava- 
lerie, 52e  et  60^  divisions  de  réserve).   Quartier 
général    à    Rethel;    dans    la    zone    Aubenton, 
Poix-Terron,  Grand-Pré,  Apremont-en-Argonne, 
Suippes,  Juniville,   Rethel,   Chaumont-Porcien. 
Le  corps  de  cavalerie  (i^^,  3®,  5^  divisions)  vers  Mézières. 
Il  reste  à  la  disposition  du  général  en  chef  : 
Les  37«  et  38^  divisions  venant  d'Afrique. 
Éventuellement,  la  44^  venant  des  Alpes. 
Le  i^r  groupe  de  réserve  (58^,  63^,  68^)  rassemblé  vers 

Vesoul. 
Le  4®  groupe  de  réserve  (51^,  53^,  69®)  rassemblé  vers  Ver- 
vins,  Sissonne,  Neufchâtel-sur-Aisne. 
et,  à  la  disposition  du  ministre,  la  67^  division  de  réserve, 
au  camp  de  Mailly,  et  les  61  ^  et  62^  affectées  initialement  à 
la  défense  de  Paris. 

Si  l'on  compare  sur  la  carte  le  dispositif  de  concentra- 
tion résultant  du  plan  XVII  avec  ceux  qui  l'ont  précédé, 
on  ne  saurait  discerner  entre  eux  une  différence  bien  radicale, 
et  il  est  permis  d'en  conclure  que  le  nouveau  projet  ne  liait 
pas  les  mains  du  nouveau  commandant  en  chef  autant  qu'on 
aurait  pu  le  croire,  après  l'exposé  de  principes  qu'on  a  lu 
plus  haut.  Qu'une  maladie,  un  accident  ou  toute  autre  cause 
ait  fait  passer  le  4  août  1914,  la  direction  à  un  autre  général, 
celui-ci  aurait  eu  la  faculté  de  conduire  les  opérations  d'une 
façon  absolument  différente  de  celle  qui  était  décidée  par  son 
prédécesseur,  et  de  celle  qui  fut  adoptée  plus  tard.  Cependant 
le  dispositif  était  rendu  moins  souple  par  le  resserrement 
dans  le  sens  de  la  profondeur  qu'on  remarque  dans  les  zones 
de  concentration  de  certaines  armées,  notamment  des  P^ 
et  Ile.  Quant  à  la  III^,  elle  devait  se  trouver  à  peu  près 
déployée  en  avant  de  nos  lignes  fortifiées,  par  suite  exposée 
à  être  accrochée  rapidement.  Un  mouvement  de  rocade  de 
sa  part,  comme  celui  qu'on  exécuta  plus  tard,  du  reste,  à 
portée  de  l'ennemi,  pouvait  dans  certaines  circonstances 
devenir  dangereux. 

Pour  la  IVe  armée,  il  n'était  possible  de  l'engager  que 

8 


114  HISTOIRE    DE   LA   GUERRE 

dans  deux  directions  :  à  droite  de  la  III^,  entre  la  forêt  de 
Haye  et  la  région  au  nord  de  Toul,  région  étroite,  très  forte 
par  elle-même  et  par  les  nombreux  ouvrages  dont  elle  était 
hérissée,  et  qui  n'aurait  eu  de  valeur  que  dans  l'éventualité 
improbable  où  l'ennemi  aurait  bourré  en  forces  contre  notre 
centre.  La  porter  à  gauche  de  la  III^  par  voie  de  terre  était 
long  et  difficile.  Aussi  s'explique-t-on  la  variante  au  plan 
de  transport  qui,  décidée  dès  le  2  août,  l'amena  à  débarquer 
dans  la  région  de  Sainte-Menehould  ses  deux  corps  de  droite. 

Le  projet  d'opérations,  ou  plutôt  la  «  Directive  générale  » 
rédigée  à  l'avance,  s'exprime  en  ces  termes  : 

«  Des  renseignements  recueillis  et  des  études  comparatives 
auxquelles  il  a  été  procédé,  il  résulte  qu'une  grande  partie 
des  forces  allemandes  seront  vraisemblablement  concentrées 
sur  la  frontière  commune.  Il  est  possible  aussi  qu'elles  aient 
franchi  cette  frontière  sur  certains  points,  avant  que  puisse 
se  produire  notre  intervention  générale. 

«  En  tout  état  de  cause,  l'intention  du  général  comman- 
dant en  chef  est  de  se  porter,  toutes  forces  réunies,  à  l'attaque 
des  armées  allemandes. 

«  L'intervention  des  armées  françaises  se  manifestera 
sous  la  forme  de  deux  actions  principales,  se  développant, 
l'une  à  droite  dans  les  terrains  entre  les  massifs  forestiers 
des  Vosges  et  la  Moselle  en  aval  de  Toul,  l'autre  à  gauche 
au  nord  de  la  ligne  Verdun-Metz. 

«  Ces  deux  actions  seront  étroitement  soudées  par  des 
forces  agissant  sur  les  Hauts  de  Meuse  et  en  Woëvre. 

«  Les  1^6  et  n^  armées  opéreront  initialement  entre  le 
Rhin  et  le  cours  de  la  Moselle  en  aval  de  Toul,  prolongé  à 
l'ouest  de  cette  place  par  le  canal  de  la  Marne  au  Rhin  et 
la  ligne  de  Vaucouleurs-Gondrecourt. 

«  La  V^  armée  et  le  corps  de  cavalerie  agiront  au  nord 
de  la  ligne  Verdun-Metz. 

«  La  in^  armée  servira  de  liaison  entre  ces  deux  actions. 

«  La  IV®  armée  sera  provisoirement  disposée  en  seconde 
ligne,  en  état  de  s'engager  soit  au  sud,  soit  au  nord  de  la  III®. 

«  Les  deux  groupes  de  divisions  de  réserve  à  la  disposition 
du  commandant  en  chef  sont  initialement  placés  derrière 
les  ailes  du  dispositif  général.  » 

Réduit  à  ces  termes,  le  plan  de  campagne  apparaît  à  la 
fois  vague  et  singulièrement  restrictif.   Il  ne  vise,  en  effet, 


LA   GENESE    DU    PLAN    XVII  II5 

que  l'hypothèse  d'une  attaque  de  front  exécutée  par  l'ennemi 
le  long  de  la  «  frontière  commune  «  entre  la  France  et  l'Alle- 
magne, attaque  à  laquelle  il  est  répondu  par  une  contre- 
offensive  parallèle  et  à  peu  près  dénuée  de  toute  idée  de 
manœuvre.  ¥'  ^v 

Cependant  des  «  directives  particulières  »  précisent  le 
rôle  de  chaque  armée  et  semblent  quelque  peu  élargir  la 
conception  d'ensemble. 

A  l'aile  droite  du  dispositif,  la  P®  armée  doit  se  tenir 
«  prête  à  attaquer  dans  la  direction  générale  de  Baccarat, 
Sarrebourg,  Sarreguemines  »  pour  coopérer  à  l'offensive 
de  la  II®  armée  :  une  fraction  de  ses  forces,  qui  comprendra 
le  7®  corps  et  la  8®  division  de  cavalerie,  pénétrera  «  par  la 
trouée  de  Belfort,  le  col  de  la  Schlucht  et  les  passages  inter- 
médiaires, en  direction  générale  de  Colmar  »,  pour  retenir 
en  Alsace  les  troupes  allemandes  qui  pourraient  tenter  de 
déboucher  sur  le  versant  occidental  des  Vosges,  masquer 
la  tête  de  pont  de  Neuf-Brisach,  et  favoriser  un  soulève- 
ment des  populations  alsaciennes.  Ainsi  le  dispositif  général 
vient  s'appuyer  au  Rhin. 

La  II®  armée,  qui  oriente  son  attaque  en  direction  de 
Château-Salins,  Sarrebriick,  doit  s'assurer  d'abord  la  posses- 
sion de  la  tête  de  pont  de  Nancy  ;  pour  couvrir  son  flanc 
gauche  contre  une  intervention  des  forces  allemandes  venues 
de  Metz,  elle  dispose  du  2®  groupe  de  divisions  de  réserve. 

Ces  deux  armées,  dont  le  rôle  est  étroitement  solidaire, 
doivent  être  prêtes  à  commencer  leur  action  le  12®  jour  de 
la  mobilisation. 

C'est  également  ce  jour-là  que  doit  se  déclencher,  à  l'aile 
gauche  du  dispositif,  une  autre  action  offensive.  La  V®  armée 
débouchera  des  Hauts  de  Meuse  et  de  la  tête  de  pont  de 
Montmédy.  Si  la  neutralité  belge  n'a  pas  encore  été  violée 
par  l'adversaire,  elle  s'engagera  en  direction  générale  de 
Thionville,  dont  elle  doit  envisager  l'attaque  par  ses  corps 
actifs,  ou  l'investissement  par  ses  divisions  de  réserve.  Mais 
elle  se  couvrira  à  gauche  contre  une  intervention  possible 
de  l'ennemi,  qui  peut  s'être  engagé  pendant  ce  temps  en  ter- 
ritoire belge.  Le  corps  de  cavalerie  sera  précisément  à  même 
de  coopérer  à  cette  protection. 

Entre  ces  deux  masses  offensives  —  F®  et  II®  armée  d'une 
part,  et  V®  armée  de  l'autre  —  la  III®  armée,  qui  prend  appui 


Il6  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

sur  les  Hauts  de  Meuse,  en  face  de  Metz,  assure  la  liaison  ; 
elle  doit  se  tenir  prête,  en  outre,  «  soit  à  rejeter  sur  Metz  et 
Thionville  les  forces  ennemies  qui  en  auraient  débouché, 
soit  à  préparer  un  premier  investissement  de  la  place  de 
Metz,  sur  son  front  ouest  et  nord-ouest»;  enfin  elle  devra 
garder  disponibles  des  forces  suffisantes  pour  «  prolonger, 
suivant  les  circonstances,  l'action  de  la  11^  armée,  sur  la  rive 
droite  de  la  Moselle,  ou  celle  de  la  V^,  en  Wcëvre  septen- 
trionale ». 

La  IV^  armée,  qui  se  trouve  initialement  en  deuxième 
ligne,  devra  être  en  mesure  de  s'engager  toujours  à  partir 
du  12®  jour  de  la  mobilisation,  soit  à  la  droite,  soit  à  la  gauche 
de  la  III^  armée. 

Le  i®^  et  le  4®  groupes  de  divisions  de  réserve,  qui  sont 
appelés  à  intervenir  l'un  à  l'aile  droite,  l'autre  à  l'aile  gauche, 
doivent  pourtant  se  tenir  prêts  à  être  transportés  sur  un 
point  quelconque  de  la  ligne  d'opérations. 

Quelles  variantes  étaient  donc  prévues  pour  le  cas  où  l'ad- 
versaire, dès  le  début  des  opérations,  aurait  pénétré  en  Bel- 
gique ?  La  V^  armée  devait  aussitôt  marcher  vers  le  Nord- 
Est,  pour  déboucher  dans  la  région  de  Floreuxàlle  et 
Neufchâteau.  C'est  alors  que  la  IV®  viendrait  s'intercaler 
entre  la  III®  et  la  V®,  et  s'engagerait  en  direction  d'Arlon. 
Quant  au  corps  de  cavalerie,  il  pénétrerait  en  Belgique 
et  se  porterait  à  la  rencontre  des  colonnes  ennemies,  en 
particulier  de  «  celles  qui  s'avanceraient  par  le  Luxem- 
bourg belge,  au  sud  de  la  région  difficile  Houffalize- 
Saint-Hubert  »,  en  ayant  soin  de  porter  sur  Dinant  un  des 
régiments  d'infanterie  mis  à  sa  disposition  (le  148®).  L'occu- 
pation des  ponts  de  la  Meuse  entre  Namur  et  la  frontière 
serait  assurée  par  ce  régiment,  «  au  cas  où  le  gouvernement 
belge  n'aurait  pas  pris  l'initiative  de  cette  opération  ».  La 
mission  générale  du  corps  de  cavalerie  serait  alors,  «  après 
avoir  reconnu  et  retardé  les  colonnes  adverses  »,  de  couvrir 
la  V®  armée,  sur  son  flanc  gauche,  «  contre  tout  mouvement 
ultérieur  de  l'ennemi  qui  chercherait  à  s'étendre  plus  au  Nord 
pour  l'envelopper  ». 

Au  plan  de  campagne  était  jointe  une  «  Instruction  de 
couverture  »  précisant  la  mission  assignée  aux  troupes  qui, 
pouvant,  en  certains  cas,  être  mises  en  place  avant  la  mobi- 
lisation,   «  devaient    s'abstenir   d'une   manière    absolue   de 


LA   GENESE   DU   PLAN   XVII  II7 

franchir  la  frontière  et  de  se  livrer  à  des  actes  d'hostilité 
sur  le  territoire  ennemi  avant  d'en  avoir  reçu  l'ordre  exprès 
du  ministre  de  la  Guerre  ou  du  général  commandant  en  chef  )>. 
Venait  ensuite  un  «  Plan  de  renseignements  »  comprenant 
un  «  plan  de  recherches  pour  le  service  spécial,  un  Plan  d'explo- 
ration stratégique  aérienne  et  des  missions  d'exploration 
à  confier  à  la  cavalerie  ».  Il  convient  de  noter  la  préoccupa- 
tion qui  s'y  révèle  de  savoir  de  bonne  heure  «  si  les  Allemands 
violent  ou  s'apprêtent  à  violer  la  frontière  du  Luxembourg 
et  surtout  celle  de  la  Belgique...,  car  il  importe  essentielle- 
ment de  savoir  jusqu'où  s'étendent  au  Nord  les  rassem- 
blements importants  ;  s'ils  comprennent  des  formations 
actives,  ou  uniquement  des  formations  de  réserve  ». 

Ce  plan  de  campagne  entra  en  vigueur  à  la  date  du 
15  avril  1914.  Il  a  été  si  manifestement  condamné  par  les 
événements  qu'il  peut  sembler  superflu  de  le  critiquer 
aujourd'hui.  Cependant,  comme  il  s'est  trouvé  des  écri- 
vains pour  regretter  qu'il  n'ait  pas  été  poursuivi  intégrale- 
ment, il  n'est  pas  inutile  d'en  rechercher  la  valeur,  en  ne 
considérant  la  question  qu'au  point  de  vue  des  conditions 
permanentes,  et  indépendantes  de  la  surprise  stratégique  à 
laquelle  on  était  exposé. 

Même  portée  à  sa  plus  grande  extension,  l'offensive  fran- 
çaise était  limitée  au  Nord  à  la  ligne  Mézières-Neufchâteau, 
sauf  pour  le  corps  de  cavalerie,  de  telle  sorte  qu'elle  ne 
pouvait  en  aucun  cas  viser  à  l'enveloppement  de  la  droite 
adverse.  Vers  le  Sud,  même  poussés  jusqu'au  Rhin,  les  mou- 
vements prévus  ne  tendaient  pas  davantage  à  un  résultat 
analogue,  de  sorte  qu'il  ne  s'agissait  en  somme  que  d'une 
offensive  générale  front  contre  front,  excluant  toute  idée 
de  manœuvre.  Comme  l'a  densité  prévue  sur  tout  ce  déve- 
loppement était  à  peu  près  la  même  partout,  il  n'y  avait  pas 
là  non  plus  une  idée  de  rupture  ;  c'était  donc  de  la  stratégie  et 
de  la  tactique  linéaires  au  premier  chef. 

A  la  vérité,  on  pourrait  dire  que  le  succès  des  deux  attaques 
dirigées  l'une  contre  la  région  Sarreguemines-Sarrebriick, 
l'autre  vers  Arlon-Luxembourg,  réaliserait  l'enveloppement 
du  centre  allemand,  maintenu  dans  la  base  fortifiée  Metz- 
Thionville.  Mais  telle  ne  semble  pas  avoir  été  la  pensée 
directrice  du  plan  d'opérations,  car  la  V^  armée  a  la  mission 


Il8  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

de  rejeter  vers  le  Nord  les  forces  qu'elle  trouvera  devant 
elle.  Il  s'ensuit  que  les  offensives  sont,  en  somme,  divergentes. 
Si  l'on  ajoute  que  l'on  s'attend  à  voir  celle  de  gauche  menacée 
du  côté  Nord,  celle  de  droite  fatalement  coincée  entre  le 
camp  retranché  de  Metz  et  la  zone  fortifiée  Strasbourg- 
Molsheim,  sans  compter  tous  les  dangers  qui  peuvent  menacer 
la  ligne  du  Rhin  entre  Strasbourg  et  Bâle,  spécialement  du 
côté  de  Neuf-Brisach,  on  sera  amené  à  conclure  qu'au  point 
de  vue  de  la  stratégie  la  plus  générale  et  la  plus  élémentaire, 
le  plan  d'opérations  est  foncièrement  défectueux.  Les  risques 
sont  immenses  et  hors  de  proportion  avec  les  profits  que  l'on 
peut  espérer. 

Assurément  ces  objections,  et  bien  d'autres  encore,  auraient 
été  présentées  si  le  plan  d'opérations  avait  été  connu  à  l'avance 
de  ceux  qui  devaient  l'exécuter.  On  sait  qu'ils  ne  furent  pas 
admis  à  le  discuter.  Ni  le  Conseil  supérieur  de  la  guerre, 
ni  l'État-Major  ne  participèrent  à  l'élaboration  de  la  directive, 
et  la  Commission  d'enquête  dite  de  «  Briey  »  ne  put  savoir 
qui  l'avait  rédigée. 

E.  Desbrière. 


La  Pensée  politique  de  Gabriele  D'Annunzio 
et  l'affaire  de  Fiume. 


I.  —  Gabriele  d'Annunzio  jugé  par  les  Italiens. 

A  la  veille  de  la  guerre,  D'Annunzio  était  sévèrement  jugé 
par  les  Italiens.  Le  grand  public  reconnaissait  toujours  son 
génie  et  continuait  à  lire  ses  romans,  mais  sans  lui  accorder 
la  moindre  sympathie  ni,  à  plus  forte  raison,  la  moindre  estime  : 
on  lui  reprochait  les  désordres  de  sa  vie  privée,  sa  prodigalité, 
ses  dettes,  la  vente  aux  enchères  de  sa  villa,  et  jusqu'à  son 
exil  volontaire.  D'autre  part,  les  seuls  qui  auraient  pu  le 
défendre,  les  artistes  des  nouvelles  écoles,  les  futuristes, 
les  jeunes  écrivains  de  la  Voce  et  de  Lacerba,  groupés  alors 
autour  de  Giovanni  Papini,  lui  refusaient  leur  admiration, 
ou  tout  au  moins  y  apportaient  bien  des  réserves.  A  en  croire 
Papini,  D'Annunzio  ne  savait  même  pas  l'itahen.  C'était 
un  ciseleur  de  phrases,  un  chercheur  acharné  d'expressions 
anciennes,  une  sorte  d'antiquaire  parvenu,  un  collectionneur 
des  richesses  de  la  langue  ;  mais  le  sens  intime  du  toscan 
lui  manquait.  Il  est  vrai  que  Renato  Serra  —  avec  une 
impartiahté  sereine  —  avoue  (en  1913)  que  les  lettres  ita- 
hennes  ont  D'Annunzio  et  n'ont  que  lui,  mais  il  ne  l'avoue 
qu'à  regret  :  nous  en  sommes  fatigués,  dit-il,  et  il  est  temps 
qu'on  nous  en  déhvre  (i).  Enfin,  il  n'y  avait  qu'une  voix 
pour  tourner  en  ridicule  ses  prétentions,  ses  attitudes,  ses 
allures  théâtrales.  Les  journaux  satiriques  ne  le  représen- 
taient que  la  lyre  à  la  main  ou  tenant  Pégase  en  bride.  Ses 
drames  français  étaient  accueillis  en  Italie  par  des  éclats 
de  rire,  dont  nous  trouvons  l'écho  dans  le  Travaso  :  «  Je  te 
décoche,  pour    mon   compte,  une    flèche  de  plus   à   Saint- 

(i)  Le  Lettere,  Ed.  Bontempelli,  p.  53. 


120  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Sébastien  «,  annonce  intrépidement  Lucatelli  ;  puis  il  con- 
fesse avec  une  feinte  ingénuité  :  «  Ce  que  je  n'arrive  pas  à 
comprendre,  c'est  cette  histoire  de  flambeau  qu'il  faut  tou- 
jours agiter  sur  les  cimes  (i)...  »  Le  bon  sens  populaire, 
la  morale  bourgeoise,  la  littérature  d'avant-garde  concluaient 
ainsi  une  triple  et  singulière  alliance  contre  leur  ennemi 
commun  :  Gabriele  D'x^nnunzio. 

Quand  il  quitta  la  France,  en  mai  1915,  pour  aller  défendre 
en  Italie  la  cause  de  l'intervention,  on  lui  fit,  à  Gênes  et  à 
Rome,  un  accueil  triomphal.  Les  anciens  griefs  necomp-. 
talent  plus.  En  ces  heures  vraiment  tragiques,  son  éloquence 
passionnée  ne  semblait  plus  hors  de  propos  ;  et  parmi  ceux 
qui  naguère  lui  reprochaient  son  emphase,  beaucoup  lui 
pardonnaient  de  la  mettre  au  service  de  la  nation.  Non  pas 
tous  cependant.  Après  le  discours  de  Quarto  (5  mai),  les  éloges 
presque  unanimes  de  la  presse  ne  sufiirent  pas  à  couvrir 
quelques  voix  aiguës  et  discordantes.  Emilio  Cecchi  parla 
d'  «  exhibition  inconvenante  ».  Papini,  à  son  ordinaire,  se 
montra  brusque  et  violent  :  «  Le  porte-étendard  de  notre 
sainte  mère  Italie,  écrivait-il,...  garde  toujours  le  verbe 
et  l'attitude  d'un  grand-prêtre  célébrant  le  culte  sur  un  autel 
haut  comme  une  montagne,  avec  la  mer  derrière  le  dos,  et 
tous  les  cieux  ouverts  sur  sa  tête  ointe  et  bénie...  Là  où 
dix  paroles  jaillies  d'un  cœur  sincère  en  tumulte  suffiraient 
à  faire  trembler  un  peuple,  D'Annunzio  en  gaspille  cent 
et  deux  cents,  mais  c'est  le  cerveau  qui  les  dicte,  cerveau 
trop  conscient  de  la  virtuosité  d'une  main  experte,  accou- 
tumée à  l'artifice...,  et  cette  page  qui  pouvait  être  le  document 
d'un  siècle  et  le  signal  d'une  guerre  n'est  plus  qu'un  exercice 
de  somptueuse  écriture  et  un  illustre  exemple  de  mauvais 
goût...  L'Italie  est  contente  parce  que  l'Italie  a  pris  l'habi- 
tude d'apprécier  cette  marchandise-là  et  parce  que,  même 
aux  moments  les  plus  graves  de  sa  vie,  elle  veut  avoir  dans  les 
oreilles  son  air  de  mandohne  oratoire.  Mais  ce  n'est  pas  avec 
des  phrases  et  avec  des  eaux  de  vaisselles  classiques  que  l'on 
gagne  les  guerres,  quand  il  y  faut  de  gros  canons,  beaucoup 
d'argent  et  des  hommes  robustes...  Moi,  aux  jours  présents, 
je  donnerais  cent  D'Annunzio  et  cent  miUe  «  Oraisons  »  pour 


(i)  Corne  ti  erudisco  il  pupo  (recueil  des  articles  de  L.  Lucatelli  parus 
dans  le  Travaso),  p.   140  et  142. 


LA   PENSÉE    POLITIQUE    DE    GABRIELE    D'ANNU>*ZI0      121 

être  bien  sûr  qu'il  y  a,  sous  le  képi  du  général  Cadorna,  une 
demi-livre  de  génie  militaire  (i),  »  De  Robertis  (d'ailleurs 
interventiste,  comme  Papini)  ne  fait  pas  plus  de  cas  des 
oraisons  dannunziennes  :  «  Nous  espérions  seulement  qu'il  se 
tairait...  mais  non,  il  a  parlé  au  contraire.  Il  a  chanté 
comme  une  cigale...  partout  :  sur  la  mer,  dans  les  musées, 
dans  les  rues,  aux  balcons,  dans  les  jardins,  à  l'entrée  et 
à  la  sortie  du  Parlement.  Une  folie,  je  vous  dis.  » 

Il  serait  très  facile  d'opposer  aux  lignes  qui  précèdent  une 
foule  d'appréciations  enthousiastes  du  rôle  de  Gabriele  D'An- 
nunzio  durant  ce  fameux  mois  de  mai  1915  ;  mais  c'est  à 
dessein  que  nous  insistons  uniquement  sur  les  critiques  et 
que  nous  retenons  les  plus  cruelles,  car  il  n'est  pas  sans 
intérêt  d'établir  que,  si  une  tenace  et  injuste  légende  s'at- 
tache à  la  personne  de  D'Annunzio,  c'est  en  Italie,  d'abord, 
que  cette  légende  a  pris  naissance. 

Après  l'intervention  et  durant  toute  la  guerre,  ses  adver- 
saires les  plus  obstinés  durent  convenir  qu'il  se  conduisit 
en  soldat  irréprochable  ;  sa  popularité  fut  immense  ;  son 
portrait  était  partout,  en  face  de  celui  du  roi  lui-même, 
aux  devantures  des  libraires,  des  papetiers,  des  photogra- 
phes ;  le  public  applaudissait  aux  «  prières  »  et  aux  «  odes  » 
du  poète,  et  suivait  avec  passion  ses  vols  audacieux  sur  les 
villes  «  irrédentes  ». 

Mais  ce  n'était  là  qu'une  trêve  :  les  ennemis  de  D'Annunzio 
avaient  respecté  l'union  sacrée  et  rendu  justice  au  combattant. 
Dès  l'armistice,  l'opinion,  unanime  en  apparence,  mais 
secrètement  partagée,  se  montra  ce  qu'elle  était  réellement  ; 
admirateurs  et  détracteurs  du  poète  firent  paraître  des  sen- 
timents extrêmes  qu'exaspérèrent  bientôt  la  «  nuit  de  Ronchi  » 
et  l'occupation  de  Fiume  ;  pour  les  uns,  D'Annunzio  était 
un  dieu  ;  pour  les  autres,  un  bouffon  aussi  dangereux  que 
ridicule. 

Il  est  probable  que  plus  tard  on  s'étonnera  de  telles  ou- 
trances, mais  il  est  probable  aussi  qu'elles  resteront  tout  à 
l'honneur  de  D'Annunzio,  car  on  devra  impartialement  lui 
reconnaître  ce  mérite  de  n'avoir  jamais  inspiré  une  sympa- 
thie tiède  ou  une  haine  médiocre.  Ses  actes,  étant  toujours 


(i)    Giovanni    Papini,     Stroncature.    Florence,    éd.    de    la    Voce,    1916, 
p.  59-71. 


122  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE  ' 

la  conséquence  dernière  d'une  pensée  incapable  de  conces- 
sions, entraînent  l'adhésion  sans  réserve  ou  provoquent  à 
la  lutte  :  c'est  ainsi  que  Fiume  elle-même  se  divisa,  et  que  son 
libérateur  dut  en  distinguer  la  «  part  franche  «  et  la  «  part 
serve  ». 

Son  art,  autant  que  sa  politique,  propose  à  tout  instant 
une  option  décisive.  Quand  il  dit,  par  exemple,  dans  une  réu- 
nion d'officiers  :  «  Nous  chantions...  un  chant  qui  ne  pou- 
vait être  interrompu  que  par  la  foudre  (i)  »,  il  est  clair  que 
ses  auditeurs  n'ont  que  ce  choix  de  le  trouver  sublime  ou 
absurde  ;  il  en  est  de  même  quand  il  paraphrase  un  texte 
liturgique  —  les  Béatitudes  (2),  le  Pater  (3)  —  ou  qu'il  tire 
de  quelque  mystère  de  la  religion  chrétienne  une  comparaison 
qu'on  trouvera  magnifique  ou  sacrilège  :  «  L'ombre  de  la 
machine  ailée  est  semblable  à  l'ombre  de  la  croix...  (4)  », 
ou  :  «  Le  pain  de  guerre,  fait  de  main  pure,  est  pain  de  com- 
munion, où  la  Patrie  entière,  transsubstantiée,  vit  comme 
le  corps  du  Rédempteur  dans  l'offrande  eucharistique  (5).  » 

D'Annunzio  a  obtenu  ce  qu'il  devait  naturellement 
obtenir  :  l'admiration  et  le  dévouement  sans  réserve  des 
uns,  le  mépris  ou  la  haine  des  autres.  A  Fiume,  les  pauvres 
gens  se  mettaient  à  genoux  sur  son  passage  ;  aucun  des 
légionnaires  n'aurait  hésité  à  sacrifier  sa  vie  pour  la  cause 
du  Commandant  :  des  femmes  du  peuple  se  dépouillèrent 
de  leurs  anneaux  et  de  leurs  boucles  d'oreilles  pour  lui  offrir 
un  poignard  à  garde  d'or. 

La  ferveur  de  ses  amis  ne  le  cédait  en  rien  à  ce  fanatisme 
populaire,  comme  suffisent  à  nous  en  convaincre  quelques 
pages  lues  au  hasard  d'Edoardo  Susmel  ou  d'Alessandro 
Forti,  d'Alceste  de  Ambris  ou  de  Mario  Carli.  Ce  dernier, 
après  avoir  flétri  les  «  grotesques  tentatives  faites  pour 
déprécier  l'homme  qui  aujourd'hui,  à  Fiume,  est  investi 
du  droit  de  guider  les  destins  de  l'Italie  entière  »,  proclame  : 
«  D'Annunzio  n'est  pas  un  général,  et  il  s'est  montré  capable 
d'organiser  un  combat,  de  conduire  une  escadrille,  de  com- 
mander des  troupes. 

(i)  La  Riscossa,  p.  9. 

(2)  Per  la  più  grande  Italia,  p.  32. 

(3)  La  Riscossa,  p.  143. 

(4)  La  Riscossa,  p.  109. 

(5)  Devise  proposée  par  D'Annunzio  pour  une  médaille  à  décerner  aux 
boulangers  qui  auraient  cuit  le  meilleur  pain  de  guerre. 


LA   PENSEE   POLITIQUE   DE   GABRIELE   D  ANNUXZIO      I23 

«  Il  n'est  pas  un  diplomate,  et  s'il  était  allé  à  Par:  j  au  lieu 
de  Sonnino  et  de  Tittoni,  il  nous  aurait  obtenu  Fiume  sans 
tant  d'amertumes  et  d'angoisses.  Oui  le  connaît  bien  peut 
jurer  ceci. 

«  Il  n'est  pas  un  politique,  et  il  saurait  imposer  à  l'Italie 
un  gouvernement  éclairé  et  civilisateur,  s'il  prenait  la  place  de 
ceux  qui  aujourd'hui  se  révèlent  incapables  de  gouverner  (i).  » 

Et  cela  n'est  rien  encore.  M.  Salvemini  cite  malignement 
à  la  tribune  de  la  Chambre  (2)  la  dernière  phrase  d'un  dis- 
cours du  général  Tamaio  dont  voici  la  traduction  littérale  : 
«  D'Annunzio  unit  en  lui  le  divin  génie  de  Dante,  l'univer- 
salité transcendantale  de  Léonard  et  le  sublime  courage 
de  Garibaldi.  D'Annunzio  est  donc  Dieu  sur  terre.  « 

Les  plus  impitoyables  critiques  sont  la  contre-partie  de 
cet  enthousiasme  vraiment  idolâtre.  Toutes  les  ressources 
de  la  diffamation,  toutes  les  formes  de  la  médisance  ont  été 
mises  en  œuvre  contre  l'entreprise  fiumaine.  A  l'hostilité 
trop  naturelle  des  partis  gouvernementaux,  nittien  et  gio- 
littien,  s'est  accordée  celle  des  socialistes,  qui  ne  voyaient 
en  D'Annunzio  qu'un  impérialiste  brouillon  et  celle  de  la 
plupart  des  populaires  (catholiques),  soucieux  de  l'ordre, 
sincères  partisans  de  la  paix,  et  indignés  de  voir  prises  au 
sérieux  les  fantaisies  tapageuses,  gênantes  et  peu  orthodoxes 
d'un  surhomme  nietzschéen. 

La  revue  syndicaliste  //  Rinnovamento  n'avait  pas  même 
attendu  l'armistice  pour  laisser  voir  sa  mauvaise  humeur 
agressive  :  «  Qu'il  se  taise,  s'il  peut  !...  Les  combattants 
savent  se  taire...  Les  vrais  soldats  savent  travailler  dans  la 
solitude.  Aux  polichinelles  de  chanter  et  de  discourir... 
Eia  !  Eia  !  (3)  »  ;  et  don  Francesco  Olgiati,  collaborateur 
de  la  revue  catholique  Vita  e  Pensiero,  publie,  au  lendemain 
du  traité  de  RapaUo,  une  longue  étude,  que  protège  l'impri- 
matur des  autorités  ecclésiastiques,  et  où  les  événements 
de  1919  et  1920  sont  rapportés  de  manière  à  ne  laisser  à 
D'Annunzio  qu'un  rôle  secondaire  et  de  toute  façon  nui- 


(i)  Mario  Carli,  Con  D'Annunzio  a  Fiume,  p.  69. 

(2)  Séance  du  7  août  1920. 

(3)  Noter  que  le  Rinnovamento,  indépendant  et  à  tendances  nationalistes, 
n'était  pas  suspect  de  *  défaitisme  »  coname  les  organes  du  socialisme 
«  orthodoxe  ». 


124  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

sible  (i).  Ici  d'ailleurs,  le  ton  reste  digne  et  mesuré  jusque 
dans  cette  conclusion  énergique  :  «  Désormais  Gabriele  D'An- 
nunzio  est  mort  dans  la  conscience  des  Italiens.  Et,  à  vrai 
dire,  il  était  temps.  » 

Citons  enfin  une  brochure  d'Armando  Simonetti  :  D'An- 
nunzio  et  le  cas  Finme  (2).  L'auteur,  nettement  hostile 
à  D'Annunzio,  s'efforce  vers  l'impartialité  :  le  poète  aurait 
occupé  Fiume  dans  une  bonne  intention,  mais  il  a  porté 
atteinte  à  la  discipline,  il  n'a  su  organiser  qu'un  gouverne- 
ment de  parade,  il  n'a  été  bon  qu'à  «  passer  des  revues,  à 
lancer  des  proclamations,  à  distribuer  des  médailles,  à  donner 
des  ordres  et  des  contre-ardres  et  à  jeter  son  «  je  veux  » 
à  la  face  de  toute  la  nation  (3)  ».  M.  Simonetti  semble  repro- 
cher indistinctement  tout  cela  au  «  soi-disant  gouverneur  » 
comme  une  «  mise  en  scène  »  inutile  ;  mais  gouverner,  bien 
ou  mal,  n'est-ce  pas  tout  justement  imposer  une  direction, 
c'est-à-dire  faire  connaître  sa  volonté  et  veiller  à  ce  qu'elle 
soit  accomplie  ?  De  même,  quand  nous  lisons  que  D'Annunzio 
est  «  trop  poète  pour  avoir  l'intuition  du  réel  (4)  »,  ne  sommes- 
nous  pas  en  droit  de  demander  quel  est  donc  ce  réel,  que  la 
poésie  empêche  de  voir  ?  Hâtons-nous  d'ailleurs  de  rendre 
à  M.  Simonetti  le  même  hommage  qu'à  don  Francesco  Olgiati  : 
chez  eux  la  condamnation  absolue  de  l'action  et  de  la  pensée 
dannunziennes  est  l'aboutissement  d'une  étude  approfondie 
et  s'exprime  sans  le  moindre  écart  de  langage  (5).  M.  Sal- 
vemini  résume  plus  crûment  sa  pensée,  à  Montecitorio, 
quand  il  s'écrie  :  «  Le  commandement  suprême  de  Fiume 
est  devenu  un  lupanar  (6).  » 

De  l'abondante  littérature  qu'inspirèrent  les  événements 
de  Fiume  nous  n'avons  pu  donner  que  peu  d'exemples. 
Il  serait  d'aiUeurs  inutile  de  les  multiplier.  D'un  auteur  à 
l'autre,  le  ton  diffère,  la  valeur  est  inégale,  les  tendances 
tout  opposées,  mais  ils  ont  ceci  de  commun  que  D'Annunzio 
laisse  chez  eux  comme  un  reflet  de  sa  propre  intransigeance 

(1)  Francesco  Olgiati,  Uomini  piccoli  e  iiomini  grandi.  Milan,  192 1, 
p.  213-293. 

(2)  D' Annun^io  e  il  caso  Fiume.  Rome,  1919. 

(3)  P.  46. 

(4)  Ibid.,  p.  5i  («  troppo  poeta  per  intuire  il  reale  *). 

(5)  L'étude  de  Fr.  Olgiati,  écrite  après  le  Traité  de  Rapallo,  est  naturel- 
lement la  plus  complète. 

(6)  Séance  du  7  août  1920. 


LA   PENSÉE   POLITIQUE    DE   GABRIELE   d'ANNUNZIO      125 

et  de  sa  propre  passion.  On  n'a  rien  écrit  sur  lui  qui  n'ait  plus 
ou  moins  favorisé  une  légende,  qui  n'ait  contribué  à  dresser 
et  à  faire  vivre  le  personnage  de  l'histrion  ou  du  demi-dieu. 
Il  se  peut  que,  malgré  tous  nos  efforts,  nous  ajoutions, 
ne  fût-ce  que  quelques  lignes,  à  ce  folklore.  Toutefois,  pour 
plus  de  prudence,  nous  nous  contenterons  ici  :  i^  de  donner 
un  résumé  chronologique  très  succinct  des  faits  (de  no- 
vembre 1918  à  décembre  1920)  ;  2°  d'exposer,  d'après  les 
seuls  écrits  de  D'Annunzio,  les  principes  qui  inspirèrent  sa 
politique. 

II.  —  Gabriele  D'Annunzio  a  Fiume. 

Le  30  octobre  1918,  c'est-à-dire  cinq  jours  avant  la  signa- 
ture de  l'armistice  austro-itaUen,  la  ville  de  Fiume  avait 
proclamé  par  un  plébiscite  sa  volonté  de  devenir  italienne. 
Dès  lors  la  «  question  de  Fiume  »  se  posa. 

Le  Pacte  de  Londres,  en  effet,  ne  prévoyait  pas  cette  solu- 
tion ;  mais  le  Pacte  de  Londres  pouvait  être  revisé  sur  ce 
point,  —  et  la  manifestation  spontanée  des  habitants  de  la 
ville  devait  avoir  son  importance  aux  yeux  de  qui  affirmait 
le  droit  des  peuples  à  disposer  d'eux-mêmes.  Ainsi  jugeait-on 
en  Italie,  et  la  presse,  qui  se  montrait  unanimement  favorable 
à  l'annexion  de  Fiume,  faisait  confiance  à  la  Conférence  de 
la  Paix. 

Les  premiers  soupçons  se  firent  jour  durant  le  mois  de 
janvier  1919.  Presque  aussitôt,  le  3  février  dans  le  Popolo 
d'Italia,  le  5  dans  le  Coniere  délia  Sera,  Edoardo  Susmel 
lança  «  au  sanhédrin  de  Paris  »  un  cri  de  défi  et  d'indignation. 
Au  cours  des  semaines  qui  suivirent,  il  devint  évident  que 
les  Alliés  —  et  notamment  le  président  Wilson  —  n'accep- 
taient pas  la  thèse  italienne.  Les  journaux  protestèrent 
vivement,  et  se  plaignirent  de  ce  que  des  intérêts  matériels 
prévalaient  contre  le  droit. 

Le  14  avril,  Ossoinack,  député  de  Fiume  élu  à  l'unanimité 
et  plénipotentiaire  de  Fiume  à  la  Conférence,  eut  un  entretien 
avec  le  président  Wilson,  à  qui  il  exposa  la  situation  géo- 
graphique, ethnique  et  économique  du  «Corpus  separatum  (i)  ». 
«  Connaissant    les    sentiments    du    peuple,    conclut-il,...    je 

(1)  Cet  entretien  est  reproduit  dans  le  livre  d'Ed.  Susmel:  Città  di 
passione,  p.  1S0-190. 


126  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

décline  pour  ma  part  toute  responsabilité  quant  aux  suites 
que  pourrait  avoir  toute  solution  autre  que  l'annexion 
de  Fiume  au  Royaume  d'Italie  ».  Sur  le  moment,  Wilson  se 
contenta  de  répondre  à  Ossoinack  que  «  la  Conférence  ferait 
justice  ))  ;  mais,  quelques  jours  plus  tard,  il  exposa  claire- 
ment son  propre  point  de  vue  dans  un  «  message  au  peuple 
américain  »,  où  les  prétentions  italiennes  sur  l'Istrie,  le 
Quarnaro  et  la  Dalmatie  étaient  qualifiées  impérialistes. 
C'est  alors  que  MM.  Orlando  et  Sonnino  quittèrent  Paris 
(24  avril). 

Depuis  longtemps  déjà,  D'Annunzio  avait  pris  la  défense 
de  Fiume.  Le  11  février  1918,  au  retour  de  la  «  Beffa  di  Buc- 
cari  »,  il  écrivait  :  «  Notre  sillage  téméraire  a  porté  plus  à 
l'Est  les  frontières  assignées  par  Dante  et  justement  rempli 
la  lacune  du  Pacte  de  Londres  (i).  »  Dès  qu'il  lui  apparut 
que  la  Conférence  ne  se  montrerait  pas  aussi  disposée  à  com- 
bler cette  lacune,  il  publia  sa  fameuse  ÉpUre  aux  Dalmates 
(10  janvier  1919),  trop  connue  pour  qu'il  soit  nécessaire  de 
rappeler  en  quels  termes  violents  et  pittoresques  y  sont 
décrits  les  peuples  français,  anglais  et  américain. 

D'Annunzio  ne  pouvait  donc  qu'applaudir  au  geste  des 
délégués  italiens  quittant  la  Conférence  et  à  leur  retour 
triomphal.  De  leur  séjour  à  Rome  datent  ses  premières 
allusions  nettes  à  la  possibilité  d'un  coup  de  main  sur  Fiume  : 
le  4  mai,  déployant  devant  la  foule  le  «  drapeau  du  Timave  » 
qu'il  avait  promis  de  porter  lui-même  à  Trieste,  il  dit  :  «  Je 
voudrais  que  Rome  le  consacrât  et  me  commandât  de  le  porter 
non  pas  à  Trieste  d'abord,  mais  à  Fiume.  » 

Quand  MM.  Orlando  et  Sonnino  repartirent  pour  Paris 
(5  mai),  D'Annunzio  s'indigna  :  «  Figurez-vous,  dit-il  quelque 
temps  plus  tard  au  capitaine  Mario  Carli,  que  j'avais  pensé 
à  les  retenir  par  la  force;  mais  j'aurais  eu  besoin  de  vous 
et  de  vos  soldats  (2).  » 

Le  24  mai,  jour  anniversaire  de  l'intervention  italienne, 
il  voulut  prononcer  un  discours  à  VAîigusteo  de  Rome.  Ce 
discours,  interdit  par  la  censure,  fut  imprimé  et  distribué 
secrètement.  D'Annunzio  y  critiquait  l'œuvre  de  la  Confé- 
rence,  œuvre  destructrice  de  la  victoire  italienne  ;  il  blâ- 


(i)  La  Beffa  di  Buccari,  p.  52. 

(2j  Mario  Carli,  Con  d' Atinun:[io  a  Fiume,  p.  33. 


LA   PENSEE    POLITIQUE    DE    GABRIELE    D  ANNUNZIO      I27 

mait  l'attitude  des  Alliés,  —  reconnaissant  d'ailleurs  que 
le  «  tigre  celtique  décrépit  »  n'était  pas  toute  la  France, 
non  plus  que  le  «  jovial  Gallois  «  toute  l'Angleterre  ;  enfin 
il  reprochait  à  Orlando  sa  «  trahison  »  et  sa  «  fuite  nocturne 
du  5  mai  »  ;  «  laissons-le,  disait-il,  à  ses  lamentables  pour- 
parlers et  à  sa  triste  fatigue  d'échiné  ».  D'Annunzio,  tout 
prêt  à  la  révolte  ouverte  contre  un  gouvernement  «  renon- 
ciataire  »,  n'attendait  qu'une  occasion  d'agir,  quand  les  évé- 
nements de  juillet  précipitèrent  la  crise. 

La  population  fiumaine  voyait  avec  déplaisir  les  garnisons 
étrangères,  et  surtout  notre  base  navale,  installée  (depuis 
janvier)  dans  le  bassin  Nazario  Sauro,  car  les  marins  fran- 
çais ne  cachaient  pas  assez  leurs  sympathies  pour  les  you- 
goslaves de  Susak.  Les  2  et  6  juillet  1919,  des  rixes  se  pro- 
duisirent entre  Français  et  Italiens.  Il  y  eut  un  mort  dans 
chaque  camp,  —  peut-être  davantage.  La  Conférence  nomma 
une  Commission  d'enquête  composée  des  quatre  généraux  : 
de  Robilant  (Italien),  Naulin  (Français),  Watts  (Anglais) 
'3t  Summeral  (Américain).  Cette  Commission  conclut  (le 
10  août)  en  exigeant  :  de  la  ville  de  Fiume,  la  dissolution  du 
Conseil  national  et  de  la  Légion  des  volontaires  fiumains  (i)  ; 
—  de  l'Italie  :  une  réduction  de  sa  garnison  fiumaine  ;  — 
de  la  France  :  la  suppression  de  sa  base  navale.  La  police 
serait  désormais  confiée  aux  forces  américaines  et  britan- 
niques. 

Conformément  à  ce  que  la  Commission  d'enquête  avait 
décidé,  les  navires  français  se  retirèrent  ;  le  corps  des  volon- 
taires fut  dissout  (mais  aussitôt  reformé,  sous  un  autre 
nom,  par  le  capitaine  Host-Venturi)  ;  et  deux  régiments 
de  grenadiers  italiens  quittèrent  la  ville  (25  et  27  août)  au 
milieu  des  acclamations.  Enfin,  le  10  septembre,  apparurent 
les  premiers  policiers  et  douaniers  britanniques.  Fiume 
entrait  dans  sa  «  phase  anglaise  ». 

Cependant,  à  Ronchi,  où  s'étaient  repliés  les  grenadiers 
sardes,  un  «  coup  de  force  »  se  préparait.  Sept  officiers  (ceux 
qu'on  appela  les  sept  de  Ronchi),  auxquels  vint  se  joindre 
Gabriele  D'Annunzio,  avaient  décidé  de  revenir  à  Flum^e, 
entraînant  avec  eux  leurs  hommes,  et  de  déloger  de  la  ville 
les  troupes  régulières,  italiennes  ou  alliées.  Les  volontaires 

(i)  Constituée  depuis  le  i3  juin. 


128  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

du  capitaine  Venturi  devaient  venir  à  leur  rencontre.  L'expé- 
dition, bien  concertée,  réussit  pleinement.  On  réquisitionna 
des  camions  automobiles,  et  D'Annunzio  quitta  Ronchi  ' 
dans  la  nuit  du  ii  au  12,  suivi"  d'un  contingent  important 
de  grenadiers,  d'arditi,  de  mitrailleurs  et  de  volontaires. 
Le  général  Pittaluga,  commandant  la  place  de  Fiume,  voulut 
arrêter  les  rebelles  avant  leur  entrée  dans  la  ville,  et  se  porta 
à  leur  rencontre.  Il  ordonna  à  D'Annunzio  de  faire  halte 
au  nom  de  l'intérêt  du  pays.  D'Annunzio  refusa.  Le  général 
Pittaluga  lui  fit  comprendre  qu'il  avait  des  instructions 
précises  et  serait  obligé  de  s'y  conformer.  D'Annunzio  l'inter- 
rompit :  «  Je  saisis.  Vous,  général,  vous  feriez  tirer  sur  mes 
soldats  qui  sont  frères  des  vôtres.  Eh  bien,  faites  feu  d'abord 
sur  moi.  »  Et  il  ajouta,  désignant  sur  sa  poitrine  l'insigne 
des  mutilés  :  «Vous  n'aurez  jamais  de  meilleure  cible.  »  Le 
général  céda,  et  D'Annunzio  entra  à  Fiume  le  12  sep- 
tembre 191 9,  à  II  heures  du  matin. 

Le  Conseil  National  prit  aussitôt  le  pouvoir,  et  son  pré- 
sident Grossich  déclara  que  «  Fiume  était  annexée  à  l'Italie  ». 
Les  drapeaux  étrangers  furent  abaissés  avec  les  honneurs 
d'usage,  et  les  contingents  aUiés  quittèrent  la  ville,  les  14 
et  15  septembre.  Quant  aux  réguhers  itahens,  ils  se  joigni- 
rent aux  «  légionnaires  «.  «  L'Italie  officielle  (dit  Susmel) 
cédait  le  pas  à  l'Italie  garibaldienne  (i).  » 

Du  moins  était-elle  obligée  d'en  reconnaître  l'existence. 
Dès  que  les  alhés  furent  partis,  le  15  septembre,  le  général 
Badoglio,  commandant  les  forces  italiennes  en  Istrie,  ordonne 
le  blocus  de  Fiume  par  terre  et  par  mer,  tandis  qu'en  peu 
de  jours,  grâce  à  l'arrivée  de  nouveaux  volontaires  venus 
de  tous  les  points  de  l'Italie,  et  grâce  surtout  au  fait  que  les 
troupes  envoyées  contre  la  ville  faisaient  immédiatement 
cause  commune  avec  les  rebelles,  le  nombre  des  volontaires 
atteignit  10.000.  Fiume  gardait  en  outre  quatre  vaisseaux, 
dont  un  cuirassé,  le  Dante  Alighieri. 

Le  20  septembre,  les  pouvoirs  furent  remis  par  le  Conseil 
National  entre  les  mains  de  D'Annunzio,  et  un  des  premiers 
actes  de  son  gouvernement  fut  de  décréter  l'état  de  siège 
(édit  du  15  octobre).  Le  ton  de  l'édit  était  d'une  rare  énergie, 
notamment  dans  les  articles  suivants  :  «  3»  on  devra  considérer 

(i)  Città  di  passione,  p.  244 


LA    PENSÉE    POLITIQUE    DE    GABRIELE    D  ANNUNZIO      I29 

comme  ennemi...  quiconque  professe  des  sentiments  hos- 
tiles à  la  cause  de  Fiume  ;  4°  la  peine  de  mort  sera  immé- 
diatement appliquée  ».  Le  Sfco/o  (19  octobre  1919)  remarquait 
à  ce  sujet  que  l'interprétation  littérale  de  ces  articles  con- 
duirait à  fusiller  tous  les  Yougoslaves  de  Fiume,  sans  procès, 
puisque  c'était  leur  droit  et  leur  devoir  d'être  hostiles  à 
l'annexion.  Mais  pour  bien  montrer  à  quel  point  la  ville  était 
unanime,  pour  confirmer  en  quelque  sorte  le  plébiscite  du 
30  octobre  1918,  D'Annunzio  décida  le  renouvellement  du 
Conseil  National.  Les  élections  eurent  lieu  le  26  octobre. 
Tous  les  Fiumains,  hommes  et  femmes,  âgés  de  plus  de  20  ans, 
furent  électeurs.  Il  y  eut  10.444  inscrits  et  7.154  votants 
qui,  presque  tous  (environ  7.000),  votèrent  pour  la  liste 
d'  «  Union  nationale  »,  c'est-à-dire  pour  l'Italie. 

D'Annunzio,  raffermi  dans  son  pouvoir,  parla  et  agit 
au  nom  du  peuple  fiumain  ;  il  déclara  que  «  le  Gouvernement 
de  Fiume  voulait  être  seul  responsable  de  son  attitude  devant 
la  Conférence  et  devant  le  monde,  et  qu'il  se  préparait  à 
repousser  la  violence  —  de  quelque  côté  qu'elle  vînt  — 
par  la  violence  ».  Autrement  dit,  le  Gouvernement  de  Romie 
devait  faire  appliquer  le  Pacte  de  Londres,  tandis  que  Fiume, 
agissant  pour  son  compte,  se  déclarerait  italienne.  Le  pro- 
gramme de  D'Annunzio  était  vaste.  Il  voulait  rattacher  à 
l'Italie  non  seulement  le  Corpus  separatiim  (c'est-à-dire 
Fiume  et  son  district),  mais  Idria,  Postumio,  Castelnuovo 
et  tout  l'archipel  du  Ouarnaro,  y  compris  les  îles  d'Arbe  et 
de  Veglia  (i).  Enfin,  le  14  novembre,  il  se  rendit  à  Zara  sur 
un  vaisseau  de  guerre  et  demanda  au  vice-amiral  Millo, 
commandant  les  forces  italiennes,  de  donner  sa  parole  d'hon- 
neur qu'il  n'évacuerait  «  aucune  partie  de  la  Dalmatie  con- 
cédée à  l'Italie  par  le  Pacte  de  Londres  ».  La  plus  grande 
partie  de  la  presse  italienne,  même  nationaliste,  désapprouva 
cette  manifestation. 

Du  12  septembre  jusqu'au  raid  de  Zara,  ce  fut  le  temps  des 
grandes  audaces,  de  l'unanimité  enthousiaste,  —  la  période 
«  fraîche  et  joyeuse  »  de  la  dictature  dannunziènne.  Plus  triste 
fut  le  long  hiver  de  Zara  à  San  Remo  (novembre  1919- 
avril  1920).  Fiume  reste  attachée  à  sa  décision  première  et 
proclame  encore  à  plusieurs  reprises  son  «  italianité  »,  mais 

(1)  On  trouve  ce  programme  esquissé  dans  Italia  e  vita,  éd.  la  Fionda, 
p.  30-41  (Discours  prononcé  le  24  octobre  1919). 

9 


130  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

la  misère,  conséquence  du  blocus,  est  cruelle.  «  A  Rome  et 
à  Paris,  écrit  Edoardo  Susmel,  on  oubliait  que  noire  port 
était  désert,  que  son  inertie  absolue  condamnait  plus  de 
7.000  ouvriers  au  chômage,  que  la  prolongation  du  blocus 
menaçait  de  nous  conduire  à  la  famine,  que  notre  circula- 
tion monétaire  était  irrégulière  et  notre  commerce  paralysé, 
que  ce  peuple...  n'avait  d'autre  aliment  que  la  très  pure 
flamme  de  sa  foi  et  de  son  amour  (i).  »  Pour  les  adversaires 
de  D'Annunzio  —  Fiumains,  Italiens  et  étrangers  —  cette 
situation  précaire  devenait  un  argument  sans  réplique.  Les 
socialistes  de  Fiume  adressèrent  cet  appel  «  aux  prolétaires 
du  monde  entier  «  :  «  Frères,  sauvez-nous.  La  faim,  la  prison, 
la  torture...  et  le  poignard  homicide  des  arditi  vont  nous 
faire  périr.  Le  despote  fou  et  ses  sicaires  n'ont  aucune  pitié 
pour  ceux  qui  ne  veulent  pas  crier  :  Eia,  da,  alalàl...  Le 
chômage  et  la  faim  régnent  en  souverains  sur  la  ville  (2) .  » 

Cependant  le  gouvernement  de  Fiume  consentait  à  des 
pourparlers  et  envoyait  des  délégués  à  Rome.  Giu^ati  et 
Rizzo  eurent  un  entretien,  au  début  de  décembre,  avec  le 
comte  Sforza  ;  ils  revinrent  avec  un  projet  d'accord  que  le 
Conseil  National  approuva  en  principe,  tout  en  laissant  la 
décision  à  D'Annunzio  ;  et  D'Annunzio  rompit  les  pour- 
parlers (21  décembre). 

Ils  furent  repris  en  janvier  1920,  mais  sans  résultats. 
D'autre  part,  la  Conférence  semblait  se  désintéresser  du 
problème  adriatique,  et  les  «  négociations  directes  »  Nitti- 
Trumbic  se  prolongeaient  sans  aboutir  à  quoi  que  ce  fût. 

La  Conférence  de  San  Remo  (19-27  avril)  n'apporta 
qu'une  nouvelle  désillusion  :  à  la  demande  de  la  délégation 
yougoslave,  la  question  de  Fiume  fut  laissée  hors  du  débat. 
Les  pourparlers  Nitti-Trumbic  furent  repris  à  Pallanza 
(lo-ii  mai),  mais  immédiatement  arrêtés  par  la  chute  du 
deuxième  ministère  Nitti  (12  mai).  L'attente  se  prolongeait 
au  delà  des  prévisions  les  plus  pessimistes  et  aggravait  la 
détresse  des  Fiumains.  Il  devenait  urgent  d'aboutir  à  une 
solution. 

Alceste   de   Ambris,   «  chef  de   cabinet   du  commandant 

(i)  Città  di  passione,  p.  3oi. 

(2)  Cet  appel,  dont  nous  ne  donnons  ici  que  les  premières  lignes,  fut 
publié  dans  Apanti  (29  mars  1920).  reproduit  et  commenté  dans  la  Stampa 
(3o  mars). 


LA    PENSEE   POLITIQUE    DE    GABRIELE    D  ANNUNZIO      I3I 

D'Annunzio  »,  publia,  en  juillet,   une  brochure  sur  la  Qties- 
tion  de  Finme  (i).   Il  rappelait,  dans  un  chapitre  intitulé 


deVeglia 


.  —  .  —  .  —  .-. —  Frontière  italo-autiichienne  de  1914. 

Frontière  italo-yougoslave  du  traité  de  Rapallo  (frontière  actuelle). 

+  +-I-++4-+4-  Frontière  de  l'armistice  et  du  pacte  de  Londres. 
^^^_^^-^^^  Ligne  Wilson  (Projet  du  9  décembre  1919). 
Compromis  du  14  janvier  1920. 


Documents  rétrospectifs,  les  principaux  projets  de  la   Con- 
férence : 

1°  Le  mémorandum,  signé  de  Clemenceau,  Polk  et  Croswe, 

(i)  La  Questione  di  Fiume.  Roma,  la  Fionda,   1920. 


132  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

remis  à  M.  Scialoj.a  le  9  décembre  1919.  Aux  termes  de  ce 
document,,  la.  frontière  italienne  suivait,  sensiblement  à 
l'ouest  de  Fiume  et  de  San  Pietro  del  Carso,  une  ligne  com- 
munément appelée  ligne  Wilson. 

De  plus,  entre  l'Italie  et  la  Yougoslavie  s'étendait  une 
sorte  à' Etat-tampon  neutralisé,  comprenant  Fiume  et  un  vaste 
arrière-pays  yougoslave  et  peuplé  de  200.000  Yougoslaves 
contre  40.000  Italiens,  presque  tous  Fiumains.  De  Ambris 
critique  vivement  cette  solution.  Elle  porte,  dit-il,  «  la 
marque  américaine  ».  En  effet,  «  l'idéal  de  Wilson  et  des 
ploutocrates  ses  amis  était  un  petit  État  sans  unité  géogra- 
phique et  ethnique,  avec  une  population  peu  nombreuse  et, 
par  conséquent,  facile  à  contenter  des  miettes  du  capitalisme 
américain  (i)  ».  En  somme,  «  un  autre  Panama  ».  D'Annunzio 
ne  s'était  même  pas  donné  la  peine  de  discuter  le  mémo- 
randum ;  il  en  avait  simplement  apprécié  la  forme  mesurée 
et  courtoise,  déclarant  que  «  cette  redoutable  corde  de  potence 
était  offerte  aux  Fiumains  avec  une  grâce  plus  que  byzan- 
tine (2)  ». 

2°  Le  compromis  du  14  janvier  (3).  La  nouvelle  frontière 
italo-yougoslave  passait  à  l'est  de  la  ligne  Wilson,  mais  encore 
bien  en  deçà  de  celle  du  Pacte  de  Londres.  L'  «  État-tampon  » 
était  supprimé.  Fiume  seule  et  le  Corpus  separatum  restaient 
autonomes.  Le  faubourg  slave  de  Susak  revenait  à  la 
Yougoslavie. 

Alceste  de  Ambris  critique  également  ce  compromns  et 
expose  dans  un  autre  chapitre  quelles  sont,  selon  lui,  les 
solutions  acceptables.  «  Parmi  les  divers  projets  présentés 
jusqu'ici,  celui  qui  répond  le  mieux  à  la  volonté  de  Fiume 
est  l'application  du  Pacte  de  Londres,  —  en  laissant  à  Fiume 
(qui  reste  exclue  de  ce  pacte)  le  soin  de  protéger  son  bon 
droit  par  ses  propres  moyens  (4).  »  Elle  demanderait  alors 
son  annexion  à  l'Italie,  et,  au  cas  où  elle  ne  l'obtiendrait  pas, 
l'indépendance  de  son  territoire  et  l'autonomie  de  son  port 
qui   deviendrait    port  franc.   Au   surplus,   l'application    dn 


(Il P.  42. 

(2)  La  Vedetta  d'Italia,  4  janvier  1920. 

(3)  Compromis  entre  le    projet  du  9  décembre  et  une  contre-proposition 
ita-iienne  du  6  janvier  1920. 

(4)  La    Questione   di  Fiume,   p.   46.  On   reconnaît  ici  la  pensée  même  de 
G.   D'Annunzio. 


LA   PENSÉE    POLITIQUE   DE    GABTŒELE    d'ANNUNZIO      I33 

traité  de  Londres  lui   garantirait  la  contiguïté  territoriale 
avec  le  royaume  d'Italie. 

Le  Gouvernement  de  Fiume,  se  sentant  abandonné  par 
Rome,  inclina  peu  à  peu  à  cette  deuxième  solution.  Dès  le 
début  de  l'année  1920,  on  parle  dans  la  ville  de  l'autonomie 
prochaine.  Ces  bruits  prématurés  sont  démentis,  le  23  mars, 
par  une  note  signée  :  De  Ambris  ;  mais,  le  2  avril,  l'oppor- 
tunité de  constituer  une  république  indépendante  est  discutée 
en  séance  secrète  par  le  Conseil  National.  L'éohec  on  la  len- 
teur des  négociations  de  Paris,  de  Londres,  de  San  Remo 
et  de  Pallanza,  — peut  être  aussi  le  retour  de  Giolitti  au  pou- 
voir, —  déterminent  enfin  la  décision.  Le  14  août,  cette 
décision  est  rendue  publique  aux  applaudissements  des 
Fiumains,  réunis  dans  le  théâtre  Fenice. 

La  constitution  du  nouvel  État,  rédigée  par  D'Annunzio, 
parut  dans  les  journaux  italiens  dii  i^''  septembre.  Quant 
à  la  proclamation  officielle  de  l'indépendance,  elle  devait 
avoir  lieu  le  12,  premier  anniversaire  de  l'entrée  de  D'An- 
nunzio, mais  elle  fut  avancée  de  trois  jours  pour  que  MM.  Gio- 
litti et  Millerand,  qui,  précisément  le  12  septembre,  devaient 
se  rencontrer  à  Aix-les-Bains,  fussent  mis  en  face  du  fait 
accompli. 

Il  est  à  remarquer  que,  même  alors,  l'ancien  programme 
annexionniste  ne  fut  pas  renié  par  D'Anmmzio,  qui  préféra 
au  nom  de  République  celui  de  «  Régence  du  Carnaro  » 
(Reggenza  del  Carnaro),  le  mot  «  régence  »  devant  indiquer 
le  caractère  temporaire  du  nouveau  régime.  Le  Conseil 
municipal  de  Fiume  prit  acte  de  la  proclamation  et  déclara 
reconnaître  le  gouvernement  provisoire  présidé  par  D'An- 
nunzio. 

La  Reggenza  vécut  cinq  mois  d'une  vie  précaire  et  troublée. 
Dès  le  début,  Giohtti  avait  déclaré  qu'il  se  désintéressait 
de  la  proclamation  du  9  septembre.  De  fait,  sans  en  tenir 
compte,  il  continua  de  négocier  avec  le  Gouvernement  de 
Belgrade  et  aboutit  enfin  à  un  accord. 

Le  traité  de  Rapallo  fut  signé  le  12  novemb)re  1920  par 
Giolitti,  Sforza,  Bonomi  d'une  part  ;  Vesnitch,  Trumbic, 
Stoianovitch  d'autre  part.  Le  sort  de  Fiume  était  réglé 
par  l'article  4  ;  la  ville  formait  le  centre  d'un  État  indépendant 
constitué  :  1°  par  l'ancien  Corpus  separatum  ;  2°  par  une  étroite 
bande  de  territoire  istrien  destinée  à  assurer  sa  contiguïté 


134  HISTOIRE    DE   LA    GUERRE 

avec  le  Royaume  d'Italie.  Les  îles  du  Quarnaro  étaient  par- 
tagées :  Cherso  et  Lassin  attribuées  à  l'Italie,  Arbe  et  Veglia 
à  la  Yougoslavie. 

On  sait  la  fin  tragique  de  l'aventure  fiumaine.  La  «  Régence  » 
refusa  de  reconnaître  le  traité  de  Rapallo,  et  le  gouverne- 
ment de  Giolitti  se  chargea  de  le  faire  appliquer.  Le  30  no- 
vembre, le  général  Caviglia  envoya  un  ultimatum  au  com- 
mandant D'Annunzio,  lui  accordant  dix  jours  pour  se  sou- 
mettre, et  notamment  pour  faire  évacuer  par  ses  légionnaires 
les  îles  d'Arbe  et  de  Veglia.  D'Annunzio  se  prépara  à  une 
résistance  désespérée.  L'armée  régulière  investit,  bombarda, 
et  attaqua  Fiume  à  l'époque  de  Noël.  Ce  furent  les  cinq  «  jour- 
nées sanglantes  »  du  24  au  28  décembre,  —  au  cours  des- 
quelles D'Annunzio  fut  blessé  à  la  tête  —  et  qui  se  terminèrent 
par  sa  démission  ou,  pour  mieux  dire,  par  son  abdication. 
Il  la  fit  connaître  par  une  lettre  datée  du  29  décembre  et 
dont  voici  les  derniers  mots  :  «  Il  ne  me  reste  rien  hors  mon 
courage.  J'attends  que  le  peuple  humain  me  demande  de 
sortir  de  la  ville  où  je  ne  suis  entré  que  pour  son 
salut.  Je  laisse  à  sa  garde  mes  morts,  ma  douleur  et  ma 
victoire  (i).  » 


III.  —  La  pensée  politique  de  Gabriele  d'Annunzio. 

Pour  ceux  qui  dénient  à  D'Annunzio  toute  pensée  poli- 
tique, c'est  déjà  prendre  .parti  que  d'en  parler.  Mais  peut-on 
croire  que  seize  mois  d'efforts,  de  résistance  obstinée,  de 
tension  vers  le  même  but  puissent  s'expliquer  par  le  vain 
désir  de  jouer  un  rôle  et  l'entêtement  de  le  tenir  jusqu'au 
bout  ?  N'est-ce  pas  plutôt  faire  preuve  d'un  scepticisme 
passionné  que  de  nier  l'existence  d'une  pensée  à  l'origine 
d'une  aussi  longue  série  d'actions  cohérentes,  —  alors  surtout 
que  cette  pensée  fut  assez  éclairée  de  conscience  pour  se 
traduire  non  seulement  en  actes,  mais,  par  l'artifice  normal 
du  langage,  en  une  abondante  littérature  ? 

Gabriele  D'Annunzio  croit  à  la  valeur,  à  la  puissance 
efficace  de  l'action  humaine.  L'homme  crée  l'événement  — 


(i)  Alceste  de  Ambris,  Dalla  f rode  al  fratricidio,  p. 


LA   PENSEE    POLITIQUE    DE    GABRIELE    D'ANNUNZIO       I35 

OU  mieux,  il  le  sculpte,  insinuant  sa  volonté  parmi  ses  causes  (i). 
Conscient  de  cette  puissance,  son  premier  devoir  sera  de  l'exer- 
cer, de  l'accroître  par  son  audace  (2)  et  d'éviter  de  toutes 
façons  qu'elle  soit  réduite  en  servitude.  L'orgueil  audacieux 
et  l'esprit  de  révolte  qui  rendirent  possible  la  conjuration  de 
Ronchi  sont  comme  répandus  dans  toute  l'œuvre  de  D'An- 
nunzio,  depuis  les  Laiidi  jusqu'à  la  Riscossa,  mais  rien  ne 
les  résume  mieux  que  la  réponse  qu'il  fit,  le  12  septembre  1919, 
à  l'aide  de  camp  du  général  Pittaluga  :  «  Je  ne  connais  pas 
de  supérieurs  (3).  »  Certes,  ce  mot  ne  doit  pas  nous  induire 
à  penser  que  l'idéal  de  D'Annunzio  est  le  nivellement 
social  :  chez  lui,  tout  au  contraire,  l'indiscipline  n'est  qu'un 
excès,  une  forme  extrême  du  sentiment  aristocratique. 
L'État,  selon  la  théorie  qu'il  développait  dans  les  Vierges 
aux  rochers,  sl  pour  tâche  d'élever  une  classe  d'hommes 
supérieurs.  Ceux-ci  ne  doivent  considérer  que  leur  but,  c'est- 
à-dire  leur  propre  ascension,  et  ne  se  priver  d'aucun  moyen. 
Au  besoin,  ils  seront  cruels,  —  la  vie  n'est-elle  pas  cruelle  ? 
qui  veut  la  combattre  doit  se  munir  d'armes  égales  ;  et  une 
des  formes  de  cette  cruauté  sera  le  mépris  du  vaincu.  D'An- 
nunzio ne  pardonne  la  défaite  ni  à  ses  amis  ni  à  ses  enne- 
mis ;  elle  lui  fait  constamment  horreur,  et  elle  ne  lui  inspire 
—  à  la  très  grande  consternation  de  certains  esprits  plus 
humains,  comme  don  Francesco  Olgiati  (4)  —  ni  attendris- 
sement ni  indulgence. 

Tel  est  le  premier  aspect  de  sa  pensée  :  un  aristocratisme 
assez  brutal  fondé  sur  la  force,  —  un  aristocratisme  nietzs- 
chéen, a-t-on  coutume  de  dire  pour  en  ramener  la  com- 
plexité à  un  seul  mot  ;  mais  ce  terme  commode  n'est  pas 
tout  à  fait  juste,  car  il  laisse  trop  dans  l'ombre  ce  que  D'An- 
nunzio doit  ici  à  l'Italie  du  xv®  siècle. 

De  même  que  les  hommes  supérieurs  doivent  imposer  leur 
loi  par  la  violence,  ainsi  devront  faire  les  nations  supérieures  : 

(i)  Nous  lisons  au  début  de  la  BeJ^a  di  Buccari  (p.  7)  :  «.  Jamais  l'influence 
de  l'homme  sur  l'événement  ne  m'était  apparue  si  manifeste.  Je  voyais 
l'événement  en  forme  solide  dans  la  mâchoire  de  Costanzo  Ciano...  » 

{2)  Mémento  audere  semper  fut  une  des  devises  de  G.  D'Annunzio. 

(3)  Cf.  Ed.  Susmel,  op.  cit.,  p.  241. 

(4)  Fr.  Olgiati,  Uomini  piccoli  e  uomini  grandi,  p.  234-235.  On  a  sou- 
vent reproché  à  D'Annunzio  les  quelques  mots  sur  Dogali  auxquels  Olgiati 
lait  allusion.  Plus  tard  on  lui  reprochera  sans  doute  ses  insultes  à  Vltalia 
incaporeltata. 


136  HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 

de  là  cet  impérialisme  et  cette  mystique  de  la  guerre  qui 
forment  la  partie  la  plus  apparente  de  la  politique  dannun- 
zienne  et  qui,  en  Italie  autant  que  hors  d'Italie,  lui  furent 
si  souvent  reprochés.  D'Annunzio  aime  les  mots  antiques 
où  la  puissance  romaine  s'afhrme  :  Teneo  te,  Asia  ;  teneo  te, 
Africa  (i).  Hicmanebimits  opiime.  Possideo  quia  possideo  (2)  ; 
et  il  aime  aussi  la  guerre  pour  eUe-même  :  «  Plus  sera  large 
l'offrande  et  plus  haut  sera  le  prodige,  dit  une  des  pages 
lyriques  de  la  Leda  ;  ainsi  je  comprends  que  la  terre  et  la 
guerre  sont  toutes  deux  d'essence  divine  et  unies  par  un 
pacte  inviolable  (3).  »  De  telles  maximes  et  de  plus  hardies 
encore  abondaient  dans  son  œuvre  ancienne,  mais  à  force 
d'y  avoir  tenu  les  3-eux  fixés  —  comme  sur  un  spectacle 
singulièrement  attachant  et  horrible  —  certains  critiques 
semblent  avoir  perdu  la  claire  vision  de  tout  le  reste.  En 
mai  1915,  Olgiati,  très  surpris  que  D'Annunzio  se  déclarât 
interventiste,  écrivait  :  a  Un  volume  de  D'Annunzio  en  l'hon- 
neur de  Guillaume  II  ne  m'aurait  pas  étonné.  Je  le  suis  au 
contraire  de  voir  le  poète  inciter  l'Italie  à  la  guerre  contre 
les  Empires  centraux  quand  ces  empires  tentent  de  réaliser 
un  programme  purement  dannunzien  (4).  »  Il  va  sans  dire 
que  cette  surprise  est  feinte  :  l'auteur  veut  simplement 
étaler  à  nos  yeux  l'illogisme  flagrant  d'une  pensée  qu'il  a 
entrepris  de  détruire.  Malheureusement,  il  tombe  ici  à  faux, 
et  son  étude,  très  nourrie  de  faits  et  d'idées  justes,  en  est 
tout  entière  ébranlée.  L'impérialisme  est  le  privilège  des 
nations  supérieures  ;  il  n'est  donc  légitime  qu'à  certaines 
conditions,  — à  la  condition  surtout  d'être  créateur  de  beauté, 
—  et  il  impose  certains  devoirs.  Les  Empires  centraux  ont- 
ils  rempU  ces  conditions,  accompli  ces  devoirs  ?  La  question 
reste  posée,  et  M.  Olgiati  la  suppose  trop  vite  résolue.  La  force, 
qu'il  s'agisse  de  celle  d'un  individu  ou  de  celle  d'un  Etat, 
ne  trouve  pas  sa  justification  en  elle-même,  mais  dans  le 
style  «  qui  est  le  juste  relief  formel  de  cette  force  et  de  la 
destination  de  cette  force  (5)  ». 


(!)  VAla  d'Italia  è  liberata,  p.  87. 

(2)  Italia  e  vita,  p.  2g. 

(3)  La  Leda  sens^a  cigno.  Ed.  Trêves,  p.  202. 

(4)  Phrase    reprise   par  Fr.  Olgiati,    Uotnini   piccoli  e    uomini  grandi, 
p.  271. 

(5)  L'Ala  dltalia  è  liberata,  p.  3o. 


LA   PENSÉE    POLITIQUE   DE    GABRTELE    d'ANNUNZIO       I37 

Le  tort  des  Empires  centraux  n'est  pas  de  faire  de  la  vio- 
lence un  argument,  mais  d'emplo3^er  cette  violence  à  «  abolir 
ime  grande  civilisation  au  profit  d'une  autre  qui  ne  la  vaut 
pa^  (i)  )),  «  Au  Latin,  appartient  l'empire  (2)  «;  et  il  lui  appar- 
tient légitimement,  car  «  l'esprit  créateur  de  la  latinité  n'est 
autre  qu'une  harmonie,  une  discipline  de  toutes  les  forces 
qui  concourent  à  la  formation  de  l'homme  libre  (3)  ». 

Nous  n'essayerons  pas  de  dissimuler  que  nous  nous  trou- 
vons ici  en  présence  d'une  sorte  de  dogme,  ou  mieux,  d'un 
postulat,  — et  qu'il  nous  est  loisible  de  le  rejeter.  Mais  toutes 
les  doctrines  n'ont-elles  pas  ceci  en  commun  qu'on  trouve 
nécessairement,  en  remontant  vers  leur  source,  un  point 
où  entre  en  jeu  ce  que  Nietzsche  appelait  la  «  conviction  » 
du  philosophe  ?  C'est  un  article  de  foi,  c'est  une  «conviction  » 
chez  D'Annunzio  que  la  supériorité  latine.  Il  ne  nous  reste 
qu'à  l'accepter  comme  telle  et  à  chercher,  s'il  est  possible, 
de  quels  éléments  eUe  est  faite. 

Elle  paraît  l'être,  en  premier  lieu,  d'un  sentiment  très 
fort  de  la  grandeur  de  Rome  et  de  la  civilisation  italienne. 
Il  est  presque  inutile  que  D'Annunzio  proclame  :  «  Nous 
voulons  éprouver  notre  romanité  (4)  »,  il  lui  suffit,  pour 
nous  montrer  à  quel  point  il  l'éprouve,  d'évoquer  «  la  volonté 
de  l'Aigle  romaine,  qui  précédait  par  toute  la  terre  la  marche 
cadencée  des  légions  (5)  ».  Pour  l'Itahe  chrétienne  son  amour 
est  aussi  vif,  moins  tendu  peut-être,  et  parfois  même  attendri, 
comme  quand  il  parle  de  «  la  grâce  antique  de  nos  petites 
villes,  dignes  toujours  que  nos  saints  les  portent  sur  la 
paume  de  leurs  mains  (6)  ». 

Mais  la  force,  la  vitalité  héroïque,  la  supériorité  de  sa  race 
lui  apparaissent  surtout  dans  la  jeunesse  de  l'Italie  nou- 
velle, dans  ce  peuple  d'enfants  robustes  qui  encombre  les 
rues  des  bourgades,  «  bonne  matière  humaine  »  dont  une  part 
est  destinée  «  à  une  sagace  émigration  (7)  ». 

[\)  La  Riscossa,  p.  35. 

(2)  Ode  alla  nazione  serba  (publiée  dans  le  Carrière  délia  Sera, 
24  novembre  iqi5). 

|3)  IlMinistro  Costantinesco  a  Fiiime.  (Article  publié  dans  le  Bollettino 
ufjiciale  du  Commandement  de  Fiume,  28  avril  1920.) 

(4)  Discours  du  24  mai  igig. 

(5)  L'Ala  d'italia  è  liber ata,  p.  27. 

(6)  La  Riscossa,  p.  26. 

(7)  LWla  d'italia  è  liberata,  p.  SS-Sg. 


138  HISTOIRE    DE   LA   GUERRE 

Toutefois,  l'Italie  seule  ne  suffirait  pas  à  assumer  dans 
le  monde  la  dure  tâche  civilisatrice  qui  incombe  à  la  lati- 
nité. L'union  est  nécessaire.  «  Les  aurores  les  plus  belles 
ne  sont  pas  encore  nées,  »  écrivait  D'Annunzio  en  août  1914 
dans  l'Ode  à  la  résurrection  latine  (i)  ;  il  répète  cette  phrase 
mot  pour  mot  (2)  dans  ce  discours  du  24  mai  1919  où  il 
adresse  à  la  France,  autant  qu'aux  autres  alliés,  d'amers 
reproches  ;  et  en  janvier  1920,  il  déclare  à  un  personnage 
français  que  le  devoir  de  la  France  et  de  l'Italie,  en  face  de 
la  paix  anglo-saxonne,  est  de  reconsolider  le  bloc  latin  (3). 
Ainsi,  alors  même  qu'il  semblait  le  plus  éloigné  de  nous,  il 
n'a  jamais  désespéré  de  l'union  latine.  Cette  union,  qui 
pour  beaucoup  n'est  qu'une  audacieuse  utopie,  fut  l'objet 
de  ses  plus  sérieuses  préoccupations  politiques  et  le  but  de 
ses  plus  constants  efforts.  «  Permettrons-nous  que  la  France, 
l'Italie  et  l'Espagne  vivent  une  vie  inquiète  et  agitée  au 
milieu  de  géants  sûrs  d'eux-mêmes,  sans  autre  but  que  de 
profiter,  pour  leurs  particularismes,  des  luttes  entre  les 
grands  ?  ou  préférerons-nous  aller  résolument  au-devant  de 
quelques  sacrifices  pour  constituer  ce  système  latin,  le  plus 
splendide  de  tous  les  empires  ?  »  A  cette  question  que  posait, 
au  début  de  la  guerre,  M.  G.  Antonio  Borgese  (4),  D'An- 
nunzio a  répondu  bien  des  fois,  et,  à  Fiume,  mieux  que  par 
des  mots.  Pour  lui,  en  effet,  Fiume  n'est  pas  seulement  la 
frontière  orientale  de  l'Italie,  mais  celle  du  monde  latin, 
et  c'est  la  latinité  tout  entière  qu'il  a  entrepris  d'y  défendre  (5). 

Il  a  voulu  la  défendre  contre  les  autres,  mais  aussi  (et  ce 
n'est  pas  la  partie  la  mains  audacieuse  de  son  programme) 
contre  elle-même  :  contre  l'Italie  officielle,  contre  la  France 
de  Clemenceau  qui  ont  signé  la  «  paix  anglaise  ».  On  sait  le 
peu  d'indulgence  de  la  Vedetta  d'Italia,  le  journal  dannunzien 
de  Fiume,  pour  la  politique  française  ;  mais  il  faut  croire 
que  la  sévérité  parfois  brutale  dont  nous  y  sommes  l'objet 
est  une  marque  d'affection,  si  nous  en  jugeons  par  les  excès 
où  elle  se  porte  quand  elle  s'exerce  contre  l'Italie.  Il  n'y  a 

(i)  Publiée  dans  le  Figaro,  i3  août  1914. 

(2)  E  forse  le  più  belle  aurore  latine  non  sono  ancor  nate. 

(3)  Cf.  le  Matin  du  16  janvier  1920. 

(4)  L  Italie  contre  l'Allemagne,  éd.  Pavot  (trad.  M.  T.  Laignel),  p.  244. 

(5)  Un  grand  nombre  de  textes  pourraient  être  allégués  ici.  Rappelons 
seulement  l'adresse  citée  plus  haut  au  ministre  roumain  Constantinesco,  de 
passage  à  Fiume. 


LA   PENSÉE    POLITIQUE    DE    GABRIELE    D  ANNUNZIO       I39 

plus  alors  de  mots  assez  durs.  L'organe  fiumaniste  doit  faire 
appel  à  la  plus  étonnante  invention  verbale  pour  prolonger 
et  soutenir  dignement  l'invective  contre  l'Italie  des  «  renon- 
ciataires  »,  contre  ses  ministres,  MM.  Orlando,  Nitti  ou  Gio- 
litti,  et  contre  ses  inopportunes  «  Commissions  d'enquête  (i)  )>. 

L'indiscipline  et  le  nationalisme,  la  révolte  contre  les 
puissances  latines  et  le  sentiment  de  la  latinité  se  concilient 
d'ailleurs  sans  peine,  si  nous  voulons  bien  admettre  que 
D'Annunzio  soutient  contre  les  hommes  d'argent,  contre 
les  «  croupiers  »  de  la  Conférence,  quels  qu'ils  soient,  la  poli- 
tique de  V esprit.  Fiume  n'est  pas  un  amas  de  maisons,  l'objet 
matériel  d'un  marchandage,  mais  une  terre  latine  ;  et  ce 
qu'on  y  défend,  ce  n'est  pas  une  ville,  un  port  franc,  une  voie 
ferrée,  mais  un  principe  ou,  pour  parler  le  langage  poétique 
de  D'Annunzio  :  un  Esprit. 

«  Il  y  a,  d'une  part,  un  célèbre  sépulcre  pharisaïque, 
blanchi  au  dehors  ;  et,  de  l'autre,  il  y  a  un  esprit. 

«  Il  y  a,  d'une  part,  un  célèbre  banc  d'usure  recouvert 
d'un  faux  linceul  d'Arimathée  ;  et,  de  l'autre,  il  y  a  un 
Esprit. 

«  Il  y  a,  d'une  part,  un  de  nos  misérables  larrons  qui  donne 
larmes  et  salive  en  échange  des  soufflets  et  des  rebuffades  ; 
et,  de  l'autre,  il  y  a  un  Esprit  (2).  » 

Ainsi  ce  n'est  pas  contre  l'Italie  et  contre  la  France  que 
D'Annunzio  prend  la  défense  de  l'esprit  latin  et  des  terres 
latines,  mais  contre  une  Italie  et  une  France  qui,  se  reniant 
elles-mêmes,  acceptent  docilement  les  conditions  que  leur 
imposent  leurs  alliés  plus  riches.  L'ennemi  véritable,  pour 
D'Annunzio,  c'est  le  monde  anglo-saxon  et,  plus  singuliè- 
rem.ent  :  l'Angleterre.  Avant  la  guerre,  il  reprochait  aux 
Empires  centraux  leur  politique  de  commerçants  «  réalistes  » 
et  leurs  incessantes  manoeuvres  pour  maintenir  divisé  et 
pour  dominer  le  monde  latin.  Aussi  fut-il  toujours,  en  dépit 
du  soi-disant  programme  nietzschéen  de  ces  empires,  le 
plus  ennemi  de  leurs  ennemis  —  tra  i  nemici,  il  nemicissimo  (3) , 
Or  ce  sont  précisément  les  mêmes  reproches  qu'il  adressait 


(i)  Contre  l'Italie  nittienne  et  l'enquête  sur  Caporetto,  cf.  Italia  o  morte, 
p.  11-12;  à  propos  de  l'invention  verbale  fiumaine,  voir  dans  Mario  M.  Mar- 
tini, la  Passione  di  Fiume,  p.  i2.''-i27,  l'explication  du  mot  Cagoia. 

(2)  Italia  0  morte,  p.  48  ;  le  miserabile  truffière  est  M.  Oriando. 

(3)  La  Beffa  di  Buccari,  p.  i3. 


140  HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 

constamment  à  l'Angleterre.  Il  écrivait,  à  propos  de  la  Con- 
férence de  Washington  :  «  Que  veut  l'Angleterre  ?  Elle  veut 
conserver  sa  suprématie  actuelle  avec  le  moins  de  dépense 
possible...  Dans  la  Méditerranée  elle-même,  dans  notre  mer... 
elle  se  propose  d'établir  sa  suprématie  sur  les  deux  nations 
latines.  Elle  veut  être  plus  forte  que  l'Italie  et  que  la  France, 
plus  forte  que  l'Italie  -et  la  France  réunies.  Elle  veut  abolir 
les  traditions  du  passé,  elle  veut  méconnaître  les  nécessités 
du  présent,  elk  veut  fermer  la  route  à  l'avenir  (i).  »  Quand 
il  s'écrie  :  «  Libérons-nous  de  l'Occident.  Tournons  le  dos 
à  l'Occident  qui  ne  nous  aime  pas  et  ne  veut  pas  de  nous  (2)  )), 
c'est  à  deux  nations  siutout  qu'il  pense  ;  à  celle  qu'il  nomm.e 
aussitôt  après  «  l'impitoyable  ploutocratie  transatlantique  », 
et,  parmi  les  pays  d'Europe,  à  celui  qui  représente  le  mieux, 
pour  lui,  cette  civilisation  occidentale  fîère  d'une  industrie 
sans  but,  insolente  et  satisfaite,  dont  il  croit  urgent  de  nous 
libérer.  «  Notre  victoire  sera  celle  des  opprimés  (3)  »,  disait 
une  proclamation  officielle  du  Gouvernement  de  Fiume  ; 
et  ce  Gouvernement  ne  cessa  d'af&rmer  qu'il  faisait  sienne 
la  cause  de  tous  les  peuples  injustement  dominés  par  l'Em- 
pire britannique  :  Irlandais,  Hindous,  Arabes,  Égyptiens 
ou  Maltais  (4). 

Mais  celui  qui  fait  profession  de  magnifier  la  force  et 
de  mépriser  les  faibles,  est-il  bien  dans  son  rôle  quand  il 
défend  les  opprimés  ?  Cette  question,  embarrassante  à  pre- 
mière vue,  ne  l'est  pas  plus,  à  la  réflexion,  que  celle  de 
don  Olgiati  :  Pourquoi  D'Annunzio  n'a-t-il  pas  pris  le  parti 
de  Guillaume  II  ?  L'iUogisme  apparent  —  comme  à  la  sur- 
face —  a  même  ici  cet  avantage  de  nous  avertir  que  l'unité 
que  nous  cherchons  doit  se  trouver  dans  une  région  plus 
intérieure  de  la  pensée.  Rappelons-nous  que  D'Annunzio 
exige  de  la  force  qu'elle  tende  à  une  harmonie,  qu'elle  soit 
elle-même  une  harm.onie  ;  et  que,  pour  lui,  «  l'esprit  »,  même 
«  désarmé  (5)  »,  n'a  jamais  signifié  la  faiblesse.  Or,  comme 

(i)  Lettre  adressée  au  New-York  American. 

(2)  L'Ala  d'Italia  è  liberata,  p.  89-40. 

(3)  Commandement  de  Fiume.  Actes  et  Communiqués  du  Bureau  des  Re- 
lations extérieures,  p.  6. 

(4)  Cf.  Actes  et  Communiqués...  p.  6-7  ;  1 1-12  ;   17-20  ;  23-27. 

(5)  «  Toutes  les  baïonnettes  de  Zagreb  n'eurent  pas  raison  de  l'esprit 
désarmé.  »  Italia  e  vita,  p.  i3.  (A  propos  de  Témeute  qui  à  Fiume  précéda 
l'armistice  austro-italien.) 


LA    PENSÉE    POLITIQUE    DE    GABRIELE    D'ANNUNZIO      I4I 

la  puissance  de  l'argent  lui  paraît,  entre  toutes,  dépourvue 
de  beauté  et  de  «  style  »,  il  suffit  que  l'oppresseur  soit  l'argent 
pour  qu'il  se  range  d'instinct  du  côté  de  la  victime.  Il  n'y  a 
pas  moins  de  vingt-cinq  pages  dans  Italia  o  morte  (i)  pour 
opposer  au  sacrifice  de  Fiume  l'indifférence  satisfaite  de  Rome. 
Nulle  part  nous  ne  voyons  mieux  ce  qui  apparaît  à  D'An- 
nunzio  le  dernier  degré  de  la  bassesse.  Quand  il  veut  flétrir 
la  nation  sans  courage,  aussitôt  il  la  montre  enricliie,  ou  dési- 
reuse de  s'enrichir,  attachée  aux  plaisirs  de  la  table.  Elle 
fait  ses  trois  repas,  «  non  pas  cinq,  comme  les  policiers  anglais 
de  Fiume,  mais  trois  au  moins...  Furit  ardor  edendi  ».  A  cette 
fureur  répond,  à  Fiume,  l'héroïsme  le  plus  ardu  :  celui  de 
la  pauvreté  et  de  la  faim.  D'Annunzio  en  cite  de  nombreux 
traits,  en  donne  une  foule  d'exemples,  et  chaque  fois  il  est 
question  de  pauvres  gens  qui  pour  leurs  frères  se  sont  privés, 
car  «  ils  ne  vivent  pas  de  pain,  mais  de  ferveur  (2)  »,  de  leur 
maigre  ration  quotidienne.  Et  D'Annunzio,  à  qui  sa  sensualité 
attentive  (3)  a  sans  doute  révélé  le  prix  infini  du  jeûne,  se 
sent  pleinement  en  communion  avec  ce  peuple  sobre  vivant 
pour  une  idée,  défiant  seul  le  monde  capitahste,  «  levé  seul 
contre  l'immense  pouvoir  constitué  des  larrons,  des  usuriers 
et  des  faussaires  (4)  ». 

Car  D'Annunzio  peut  se  sentir  en  communion  avec  une 
foule  populaire,  —  comme  avec  une  troupe  de  soldats,  — 
en  cela  bien  différent  de  Nietzsche  pour  qui  les  hommes  réunis 
en  multitude  ne  furent  jamais  que  «  le  troupeau  »  et  qui 
écrivait  :  «  Là  où  le  peuple  mange  et  boit,  et  même  là  où  il 
adore,  la  mauvaise  odeur  est  inévitable.  » 

Notons  que  D'Annunzio  n'a  aucune  sympathie  pour  les 
sociahstes  ;  mais  d'autres  raisons  entrent  ici  en  compte.  Le 
désir  intéressé  de  se  substituer  aux  riches  lui  est  naturelle- 
ment aussi  odieux  que  l'empire  même  de  la  richesse.  La 
révolution  ne  se  justifie  que  si  elle  tend  à  imposer  une  nou- 
velle conception  de  la  vie,  plus  élevée  que  l'ancienne  ;  comme 
l'impériahsme,  elle  n'est  légitime  qu'autant  qu'elle  est 
créatrice  de  beauté.  Tendue  vers  des  fins  matérielles,  elle 
est  absurde,  inutile,  condamnée  d'avance. 

(i)  P.  i3  sqq. 

(2)  P.  3b. 

(3)  Au  point  qu'il  écrivit,  au  retour  d'un  raid  naval  très  audacieux  :  «  Dopo 
il  momento  eroico,  corne  dopo  la  voluttà,  l'aninia  é  triste.  > 

(4)  Italia  e  vita,  p.  70-71. 


142  HISTOIRE    DE   LA    GUERRE 

Antonio  Bruers,  — -  dans  une  étude  publiée  il  y  a  plus  de 
dix  ans,  mais  que  les  événements  ont  singulièrement  rajeunie 
et  que  vient  de  rééditer  la  Fionda  (i),  —  dit  que  le  grand, 
le  rare  mérite  de  D'Annunzio  est  de  n'avoir  pas  craint  de 
considérer  la  beauté  comme  une  fin  en  soi  et  que  pour  cette 
audace  il  devait  nécessairement  sembler  illogique  (2).  C'est, 
en  effet,  l'importance  absolue  donnée  par  lui  à  certaines 
nécessités  d'ordre  esthétique  qui,  au  Parlement  et  hors  du 
Parlement,  l'a  fait  osciller  de  l'extrême-droite  à  l'extrême- 
gauche  sous  les  regards  étonnés  du  public  et  des  politiciens 
de  Montecitorio.  Selon  que  son  imagination  est  plus  vive- 
ment frappée  de  la  grandeur  du  passé  ou  de  celle  qu'il  pré- 
voit dans  l'avenir,  il  défend  la  cause  de  la  plus  rigoureuse 
tradition  ou  se  laisse  entraîner  aux  derniers  excès  du.  futu- 
risme. Comme  il  invite  les  Génois  de  1914  à  se  souvenir  des 
hauts  faits  d'Andréa  Doria  (3),  il  donne  aux  recrues  de  1918 
le  conseil  d'oublier  leur  histoire,  d'en  déchirer  les  pages  et 
de  rembourrer  de  ses  illustres  exemples  les  chaussures  humides 
des  fournisseurs  de  l'armée  (4).  Mais  ces  écarts  de  pensée 
ont  une  commune  et  noble  origine  :  la  nostalgie  d'une  civi- 
lisation parfaite,  dont  le  dernier  et  peut-être  le  meilleur 
témoignage  est  la  constitution  qu'il  donne  à  la  Régence  du 
Carnaro. 

Tels  passages  de  ce  document  (sur  les  dix  corporations  ou 
sur  la  musique)  furent  plusieurs  fois  cités  par  les  critiques  de 
D'Annunzio  sans  commentaires  (3),  comme  s'ils  étaient  par 
eux-mêmes  suffisamment  dérisoires.  Et  pourtant,  les  juger 
tels,  ce  n'est  rien  prouver  contre  eux.  D'Annunzio  n'a  pas 
la  folie  des  grandeurs,  disait  Bruers  :  c'est  notre  époque 
positiviste  qui  a  la  folie  des  petitesses  (4),  Et  n'est-ce  pas 
cette  seconde  et  plus  dangereuse  folie  qui  nous  a  empêchés 
de  concevoir  comment  la  prise  de  possession,  non  pas  seule- 
ment d'une  ville,  mais  du  monde  entier,  peut  se  justifier 
par  le  désintéressement  des  fins  poursuivies,  et  comment 
une  «  volonté  de  révolte  »  peut  être  inséparable  d'une  «  vo- 

(i)    Gabriele     d'Annuns^io    e    il     moderno     spirito      italico.     Roma,    la 
Fionda,  1921. 

(2)  P.  103-104. 

(3)  Per  la  piii  grande  Italia,  La  Sagra  dei  Mille. 

(4)  La  Riscossa,  p.  161. 

(5)  Par  exemple  chez  Olgiati,  op.  cit.,  p.  286-287. 
(6j  Bruers,  op.  cit.,  p.  123-124. 


LA   PENSÉE    POLITIQUE    DE    GABRIELE    d'ANNUNZIO      I43 

lonté  de  rénovation  (i)  »  ?  Nous  resterons  sur  ce  doute,  en 
remarquant  une  dernière  fois  qu'il  n'en  fut  jamais  un  pour 
Gabriele  D'Annunzio  lui-même,  qui  osa  dire  aux  légionnaires 
de  Fiume,  le  31  décembre  1919  :  «  Nous  n'avons  désobéi 
à  personne  puisque  nous  avons  obéi  à  l'amour.  Nous  n'avons 
rien  dérobé  puisque  tout  était  nôtre  (2).  » 

Paul-Henri  Michel. 


(i)  Cf.  Italia  e  vita,  p.  bj. 
(2)  Italia  e  vita,  p.  5j. 


DOCUMENTS 


La  mobilisation  de  l'armée  russe  en  1914 


Le  témoignage  du  général  Dobrorolsky  (Suite). 

Les  12/25,  13/26,  14/27  juillet  furent  des  jours  d'angoisse 
pour  les  optimistes.  Au  début,  Serge  Dmitriévitch  Sazonoff, 
ministre  des  Affaires  étrangères,  était  du  nombre.  Par  cet 
optimisme  seul,  peut  s'expliquer  son  adhésion  persistante  à 
la  mobilisation  partielle  et  l'appui  que  trouva  en  lui  à 
Peterhof  la  confiance  qu'on  voulait  avoir  dans  son  efficacité. 
L'état  d'esprit  qui  régnait  là  était  très  compréhensible. 
La  conscience  de  l'énorme  responsabilité  encourue,  des 
pressentiments  fâcheux  y  produisirent  une  lutte  intérieure 
et  des  hésitations  compréhensibles.  Et  comme  conséquence 
directe  de  cet  état  d'esprit,  on  cherchait  le  salut  dans  une 
mobilisation  partielle  contre  l'Autriche.  Mais  le  ministre 
des  Affaires  étrangères  comme  le  ministre  de  la  Guerre  aurait 
dû  voir  clairement  que  des  mesures  militaires  de  cette  espèce 
ne  pouvaient  que  fournir  à  l'ennemi  de  nouvelles  occasions 
de  devenir  encore  plus  arrogant  :  cette  résolution  plaçait 
notre  armée  dans  les  conditions  les  plus  défavorables  qu'on 
pût  imaginer  pour  le  début  de  ses  opérations. 

Comme  exemple  du  ferme  propos  de  bien  souligner  les 
relations  amicales  avec  l'Allemagne,  on  peut  citer  un  inci- 
dent qui  se  produisit  au  sujet  d'un  vapeur  allemand  de 
commerce  à  Cronstadt  le  14/27  juiUet. 

Ce  vapeur  excita  la  défiance  du  commandant  de  la  for- 
teresse, et  les  observations  faites  alors  établirent  qu'il  y 
avait  à  bord  un  poste  de  télégraphie  sans  fil   dont  usait  le 

(1)  Article  paru  dans  le  recueil  intitulé  Voïenny  Sbor)iik  [Revue  militaire] 
(Belgrade,  1921,  i"  fascicule). 


LA   MOBILISATION   DE    L'ARMEE    RUSSE    EN    I914         145 

capitaine  pour  rémission  de  radiotélégrammes.  Comme, 
depuis  le  12  juillet,  l'état  de  guerre  était  déclaré  dans  le  rayon 
militaire  de  la  forteresse  et  qu'il  était  contraire  à  toutes  les 
règles  d'avoir  dans  ce  rayon  des  postes  de  télégraphe  privés, 
et  à  plus  forte  raison  étrangers,  pouvant  servir  à  l'espionnage, 
sur  le  rapport  du  commandant  au  très  haut  personnage 
commandant  la  circonscription,  ce  dernier  ordonna  d'arrêter 
le  capitaine,  de  retenir  le  vapeur  avec  défense  de  sortir  du 
port  et  de  s'emparer  du  poste  de  sans  fil.  L'ambassadeur 
d'Allemagne  protesta  énergiquement,  et  le  résultat  fut  le 
jour  même  un  ordre  que  donna  le  souverain  au  grand-duc 
commandant  la  circonscription  de  libérer  le  capitaine  et 
de  ne  pas  retenir  le  navire  ;  ce  personnage  recevait  en  même 
temps  une  lettre  écrite  par  l'empereur  de  son  auguste  main, 
où  était  exprimé  un  blâme  au  sujet  des  mesures  prises  contre 
le  navire  d'un  État  ami. 

Le  15/28  juillet,  jour  de  la  déclaration  de  guerre  de  l'Au- 
triche-Hongrie  à  la  Serbie,  son  optimisme  abandonne  tout 
à  coup  Sazonoff;  il  est  traversé  par  la  pensée  qu'une  guerre 
générale  est  inévitable,  et  il  appelle  l'attention  de  lanouch- 
kevitch  sur  la  nécessité  de  ne  pas  retarder  plus  longtemps 
la  mobilisation  de  notre  armée.  Le  langage  tenu  par  le  mi- 
nistre des  Affaires  étrangères  sur  la  mobilisation  trahissait 
maintenant,  d'après  lanouchkevitch,  quelque  étonnement 
de  ce  fait  qu'elle  n'eût  pas  commencé  plus  tôt. 

Le  soir  du  15/28  juillet,  deux  oukases  impériaux  furent 
préparés  pour  la  signature,  l'un  concernant  la  mobilisation 
générale,  l'autre  la  mobilisation  partielle. 

Le  premier  projet,  celui  qui  ordonnait  la  mobilisation  géné- 
rale, comprenait  l'appel  des  réservistes  de  toutes  les  classes 
dans  tous  les  gouvernements  et  régions  de  la  Russie  d'Eu- 
rope [et  d'Asie],  le  territoire  de  la  circonscription  militaire 
de  l'Amour  et  dix  cercles  des  gouvernements  de  Viatka 
et  de  Perm  étant  exclus  de  la  mesure. 

On  décida  de  ne  mobiliser  les  troupes  dans  le  district 
de  l'Amour  et  dans  les  dix  cercles  mentionnés  que  deux  se- 
maines plus  tard,  parce  que  le  i^'^  et  le  ii^  corps  sibériens 
disposaient  même  en  temps  de  paix  de  forces  de  guerre. 
La  mobilisation  définitive  de  ces  corps  devait  se  faire  au 
moyen  des  réservistes  des   dix    cercles  mentionnés  (i).  Les 

(i)  A  cause  du  marque  de  réservistes  dans  la  région  de  l'Amour. 

10 


146  HISTOIRE    DE   LA   GUERRE 

réservistes  devaient  être  conduits  à  la  frontière  occidentale 
par  chemin  de  fer,  pendant  que  les  corps  se  mettaient  en 
marche,  afin  d'éviter  que  les  réservistes  n'eussent  à  traverser 
deux  fois  la  Sibérie  entière  (i). 

L'oukase  de  mobilisation  partielle  prévoyait  la  mobili- 
sation des  troupes  et  l'appel  des  réservistes  des  quatre  circons- 
criptions militaires  de  Kief,  Odessa,  Moscou  et  Kazan. 

On  prépara  un  projet  de  manifeste  pour  l'appel  de  la  réserve 
(opoltchenia)  ;  mais  la  territoriale  ne  devait  être  appelée 
qu'après  que  serait  terminé  l'appel  des  réservistes. 

Le  matin  du  16/29  juillet,  le  général  lanouchkevitch  me 
remit,  pour  l'exécuter,  l'oukase  de  mobilisation  générale 
signé  de  mon  maître  et  empereur,  où  le  premier  jour  de 
la  mobilisation  était  fixé  au  17/30  juillet.  L'oukase  devait 
être  soumis  au  Sénat  dirigeant  pour  pouvoir  être  publié; 
mais  auparavant  il  fallait  s'entendre  avec  les  ministres  de 
la  guerre,  de  la  marine  et  de  l'intérieur,  afin  qu'ils  signassent 
le  télégramme,  car,  selon  la  loi,  c'est  après  cette  signature 
seulement  que  l'ordre  de  mobilisation  pouvait  être  com- 
muniqué aux  commandants  des  trcupes,  aux  gouverneurs 
généraux  et  aux  gouverneurs. 

Je  me  rappelle  encore  nettement  ces  visites  aux  ministres. 
Le  ministre  de  la  Guerre  Soukhomlinoff  était  très  réservé 
durant  ces  jours  où  se  jouaient  nos  destinées,  comme  si  son 
dessein  eût  été  que  le  premier  rôle  dans  le  département  de 
la  guerre  revînt  à  lanouchkevitch.  Pendant  ces  journées, 
lanouchkevitch,  avec  une  autorité  que  l'on  ne  lui  aurait 
pas  supposée,  fit  figure  de  chef  du  département  le  plus  impor- 
tant à  cette  époque. 

Chaque  fois  qu'on  allait  dans  son  cabinet,  on  le  trouvait 
tenant  en  main  l'un  des  trois  appareils  téléphoniques  qui 
le  reliaient  soit  à  la  résidence  impériale  d'Alexandria,  soit 
à  l'un  des  ministères,  soit  enfin  à  la  ville.  Son  visage  habi- 
tuellem.ent  empreint  de  réserve  trahissait  en  ces  jours  un 
trouble  profond,  sa  pâleur  et  les  poches  qu'il  avait  sous  les 
yeux  témoignaient  de  nuits  sans  sommeil  passées  au  travail  ; 
quatre  mois  auparavant,  alors  qu'il  était  un  modeste  direc- 
teur d'académie,  il  n'aurait  certes  pu  prévoir  que  la  terrible 


(i)  Les  officiers  des  deux  corps  furent  envoyés  en  temps  utile  dans  les 
cercles. 


LA    MOBILISATION    DEL  ARMEE    RUSSE    EN    19x4         I47 

responsabilité  de  la  mobilisation  générale  russe  pèserait 
un  jour  si  lourdement  sur  ses  épaules. 

Soukhomlinoff  comprenait  manifestement  que  la  Russie 
serait  entraînée  dans  une  lutte  dépassant  ses  forces,  et  il 
aurait  bien  voulu  maintenant  qu'on  oubliât  l'article  incen- 
diaire publié  quelques  mois  avant  sur  son  initiative  dans  les 
Birjevia  Viédomosti  :  «Xa  Russie  ne  veut  pas  la  guerre,  mais 
ne  la  craint  pas  non  plus.  »  Pendant  ces  heures  graves,  il 
abandonna  intentionnellement,  à  ce  qu'il  semble,  le  bâton 
de  commandement  au  chef  d'état-major  général,  qui  devait 
peu,  de  jours  après  devenir  chef  d'état-major  du  généralis- 
sime. Si  à  ce  moment-là  nous  avions  eu  aux  postes  les  plus 
élevés  du  département  militaire  des  hommes  différents  :  un 
homme  qui  eût  davantage  l'amour  du  pays  et  qui  pensât 
plus  en  homme  d'État,  comme  D.  A.  Milioutine  par  exemple, 
et  un  autre  qui  connût  mieux  les  secrets  de  la  victoire  et 
qui  comprît  mieux  l'armée  et  ses  besoins,  comme  N.  N. 
Obroutcheff,  la  guerre  aurait  pu  être  retardée  jusqu'à  un 
moment  plus  favorable. 

Lorsque  j'allai  trouver  le  ministre  de  la  Marine,  l'amiral 
Grigorovitch,  il  ne  voulut  pas  croire  que  je  lui  apportais 
le  télégramme  de  mobilisation  générale  à  signer.  «  Quoi,  la 
guerre  avec  l'Allemagne  ?  Notre  flotte  n'est  pas  en  état 
de  se  mesurer  avec  la  flotte  allemande  »  dit  le  ministre. 
«  Kronstadt  ne  préservera  pas  la  capitale  d'un  bombarde- 
ment. »  Il  appela  au  téléphone  Soukhomlinoff  et  pria  qu'on 
lui  confirmât  qu'il  devait  signer.  Lorsqu'il  eut  reçu  une  ré- 
ponse affirmative,  il  donna  sa  signature,  le  cœur  gros. 

A  l'île  Selagine,  dans  le  cabinet  du  ministre  de  l'Intérieur 
Maklakoff,  régnait  une  atmosphère  de  prières.  Juste  en 
face  du  bureau,  devant  lequel  était  assis  le  ministre,  il  y 
avait,  sur  une  étroite  tablette  recouverte  d'un  linge,  quel- 
ques grandes  icônes,  devant  lesquelles  brillait  une  lampe 
d'église  et  brûlaient  quelques  cierges. 

Il  commença  aussitôt  à  parler  des  révolutionnaires,  qui, 
d'après  les  renseignements  venus  des  autorités  compétentes, 
attendaient  la  guerre  avec  impatience,  afin  de  terminer  ce 
qu'ils  avaient  commencé  durant  la  guerre  avec  le  Japon. 
«  Chez  nous,  la  guerre  ne  peut  pas  être  populaire  dans  les 
masses  profondes  du  peuple,  et  les  idées  révolutionnaires 
sont  plus  à  la  portée  du  peuple  qu'une  victoire  sur  l'Aile- 


148  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

magne.  Mais  on  n'échappe  pas  à  sa  destinée...  »  Et  le  mi- 
nistre,  en   faisant   le   signe   de   croix,  signa  le  télégramme. 

Il  me  fallait  alors  me  rendre  au  bureau  central  télégra- 
phique pour  expédier  le  télégramme  historique.  C'était  le 
16  /29  juillet,  vers  9  heures  du  soir.  Le  directeur  principal  des 
postes  et  télégraphes  avait  été  averti  à  l'avance  de  l'envoi 
d'un  télégramme  de  la  plus  haute  importance.  Après  être 
entré  dans  le  cabinet  du  directeur  du  télégraphe  à  Péters- 
bourg,  je  lui  tendis  le  télégramme,  et  je  demeurai  afin  d'as- 
sister en  personne  à  sa  transmission  aux  quatre  coins  de 
l'Empire  russe.  En  ma  présence,  on  fit  taper  le  télégramme 
par  plusieurs  machines  à  écrire,  pour  l'expédier  en  même 
temps  par  tous  les  appareils  qui  reliaient  Pétersbourg  aux 
principaux  centres  de  l'Empire,  d'où  la  dépêche  devait 
être  transmise  dans  toutes  les  villes  des  gouvernements 
et  des  circonscriptions  territoriales.  Il  existait  une  instruc- 
tion spéciale  pour  l'envoi  du  télégramme  de  mobilisation. 
Pendant  sa  transmission,  aucun  autre  télégramme  ne  pou- 
vait être  expédié. 

L'imposante  salle  du  Central  télégraphique  de  Pétersbourg 
avec  ses  appareils  au  nombre  de  quelques  douzaines  était 
prête  à  recevoir  le  télégramme  de  mobilisation. 

Mais  à  ce  moment,  vers  9  heures  et  demie  du  soir,  le  général 
lanouchkevitch  m'appelle  au  téléphone  et  m'ordonne  de 
•retenir  le  télégramme  jusqu'à  l'arrivée  du  capitaine  d'état- 
major,  Tugan-Baranowski...  Ce  dernier  entre  et  me  dit 
qu'il  m'a  couru  après,  à  travers  la  ville,  pour  m'apporter 
l'ordre  impérial  de  ne  pas  envoyer  le  télégramme  de  mobili- 
sation générale.  La  mobilisation  générale  était  suspendue,  et 
à  sa  place,  par  ordre  souverain,  on  devait  reprendre  la 
mobilisation  partielle,  conformément  au  plan  précédemment 
arrêté.  Je  repris  aussitôt  le  texte  et  les  copies  du  télégramme 
de  mobilisation  générale  ;  j'avertis  le  directeur  du  télé- 
graphe et  partis.  La  décision  nouvelle  avait  pour  cause  le 
télégramme  de  Guillaume  à  l'Empereur,  où  il  était  dit  : 
«  Si  la  Russie  mobilise  ses  troupes  contre  l 'Autriche-Hongrie, 
le  rôle  de  médiateur  que  j'ai  accepté  sur  ton  instante 
prière  sera  compromis,  sinon  impossible.  Tout  le  poids  de 
la  décision  pèse  sur  tes  épaules,  et  tu  portes  la  responsabilité 
de  la  guerre  ou  de  la  paix.  » 

Le    télégramme    de    mobilisation  partielle   aux   comman- 


LA   MOBILISATION    DE    L'ARMÉE    RUSSE    EN    I914         149 

dants  militaires  des  cercles  de  Kief,  Odessa,  Moscou  et 
Kazan,fut  expédié  plus  tard  vers  minuit,  les  16/29-17/30  juillet, 
par  l'intermédiaire  du  capitaine  Tugan-Baranowski. 

Je  rentrai  dans  le  cabinet  du  chef  d'état-major  général  et 
ne  pus  cacher  tout  mon  chagrin  du  changement  qui  s'était 
produit.  Il  était  clair  que  tout  le  poids  des  confusions  et 
du  gâchis  qui  allaient  se  produire  (car  indubitablement  la 
mobihsation  générale  suivrait  dans  quelques  jours),  reposerait 
sur  nous,  gens  de  l'état-major  général. 

lanouchkevitch  me  transmit  les  paroles  de  Sa  Majesté  : 
lui,  l'Empereur,  assumait  toute  la  responsabihté  de  l'ordre 
de  mobihsation  partiehe  ;  les  dirigeants  du  département 
de  la  guerre  avaient  fait  tout  ce  qui  était  en  leur  pouvoir 
pour  en  venir  à  la  mobihsation  générale,  mais  l'Empereur 
avait  résolu  de  n'y  pas  procéder. 

D'après  ce  qui  précède,  les  exposés  faits  dans  la  presse 
(articles  de  Wladimir  Nabokoff  dans  le  Roui)  qui  reposent 
sur  les  données  du  procès  SomMow/wo^  doivent  être  considérés 
comme  tout  à  fait  faux.  Au  reste,  il  faut  en  dire  autant  du 
journal  de  Soukhomlinoff,  qui  a  paru  dans  ces  derniers  jours 
à  Helsingfors  et  dont  des  extraits  ont  été  pubhés  dans  les 
Poslednia  Izvestia  (i)  quand  il  prétend  que,  de  leur  propre 
autorité,  Soukhomhnoff  et  lanouchkevitch  n'ont  rien  changé 
à  la  mobilisation  générale  d'abord  décidée  et  ont  trompé 
l'Empereur. 

Cette  idée  ne  pouvait  naître  qu'en  1917,  après  la  chute  de 
la  monarchie;  en  réalité,  en  1914,  ni  l'un  ni  l'autre  n'aurait 
désobéi  à  son  souverain  (2). 

Ainsi  le  17/30  juillet  était  le  premier  jour  de  la  mobih- 
sation pour  les  circonscriptions  mihtaires  de  Kief,  Odessa, 
Moscou  et  Kazan,  c'est-à-dire  pour  les  régions  situées  au  sud, 
au  centre  et  à  l'est  de  la  Russie  d'Europe.  Les  troupes  des 
circonscriptions  de  Pétersbourg,  Vilna,  Varsovie,  le  Caucase, 
le  Turkestan  et  les  trois  circonscriptions  militaires  de  Sibérie, 
ne  reçurent  pas  d'ordre  de  mobihsation.  Le  nord,  le  nord- 

(i)  Il  me  semble  que  ce  journal,  s'il  n'est  pas  apocryphe,  a  été  dans  tous 
les  cas  antidaté  et  écrit  après  la  chute  de  Soukhomlinoff  et  après,  ou  im- 
médiatement avant,  le  procès. 

(2)  Cette  désobéissance  aurait  été  sue  de  l'empereur  le  lendemain,  car  on 
ne  peut  garder  secrète  une  mobilisation  générale  à  laquelle  des  millions 
d'hommes  prennent  part. 


150  HISTOIRE    DE   LA   GUERRE 

ouest  et  l'ouest  de  la  Russie  d'Europe,  la  région  du  Don, 
le  Caucase,  le  Turkestan,  la  Sibérie  entière  et  toutes  les  ré- 
gions cosaques  n'étaient  pas  touchés  par  la  mobilisation.  La 
flotte  non  plus  n'était  pas  mobilisée. 

Le  17/30  juillet,  à  11  heures  du  matin,  le  général  lanouchke- 
vitch  m'appela  au  téléphone  et  me  dit  :  «  Il  y  a  espoir  que  la 
situation  s'améliore;  tenez-vous  prêt  à  venir  me  parler  avec 
tous  les  docum.ents,  à  mon  premier  appel,  tout  de  suite  après 
midi.  » 

lanouchkevitch  avait  persuadé  Sazonoff  de  représenter 
à  l'Empereur  tout  le  danger  d'une  mobilisation  partielle  qui, 
au  point  de  vue  politique,  pouvait  être  considérée  comme  un 
manquement  à  nos  devoirs  d'alliés  envers  la  France;  cela 
permettrait  à  Guillaume  d'extorquer  au  gouvernement  fran- 
çais une  promesse  de  neutralité,  et  quand  nous  serions  em- 
pêtrés dans, notre  mobilisation  partielle,  il  nous  déclarerait 
la  guerre  et  profiterait  de  notre  manque  de  préparation. 

Vers  I  heure  de  l'après-midi,  lanouchkevitch  fut  appelé 
au  téléphone  par  Sazonoff,  qui  déclara  que  l'Empereur 
avait  trouvé  juste,  d'après  les  dernières  nouvelles  reçues 
de  Berlin,  de  décréter  la  mobilisation  générale  de  l'armée 
et  de  la  flotte. 

«  Alors,  faites  vos  ordres,  mon  général,  et  ensuite...  dis- 
paraissez pour  toute  la  journée  (i)...  »  ajouta  le  ministre. 

lanouchkevitch  me  fit  appeler  aussitôt  après  et  me  fit 
part  de  cette  conversation. 

Il  fallait  donc  envoyer  tout  de  suite  un  nouveau  télégramme 
de  mobilisation  générale,  suivant  lequel  le  jour  suivant, 
c'est-à-dire  le  18/31  juillet,  serait  le  premier  jour  de  la 
mobihsation  pour  l'ensemble  du  territoire  russe.  Dans  ces 
conditions  il  ne  pouvait  y  avoir  aucune  confusion  dans  les 
quatre  circonscriptions  militaires  où  la  mobilisation  partielle 
avait  été  ordonnée;  d'après  les  règles  générales,  il  n'y  avait 
encore,  le  premier  jour,  aucun  mouvement  de  troupes  ou 
embarquement  de  réservistes  ou  de  chevaux.  Les  premières 
vingt-quatre  heures  étaient  mises  à  la  disposition  des  réser- 
vistes pour  leur  permettre  de  régler  leurs  propres  affaires.  Les 
transports  commençaient  le  deuxième  jour  de  la  mobilisa- 
tion. Si  donc  à  Kief,  Odessa,  Moscou  et  Kazan,  pendant  le 

(i)  Cette  phrase  est  en  français  dans  le  texte. 


LA   MOBILISATION   DE   L'ARMÉE   RUSSE   EN    I914         15I 

premier  jour  de  la  mobilisation  partielle,  amvait  l'ordre  que 
le  lendemain  serait  le  premier  jour  de  la  mobilisation  générale, 
la  mobilisation  partielle  était  comme  absorbée  dans  la  mobi- 
lisation générale,  l'ordre  de  mobilisation  partielle  se  trouvait 
en  fait  annulé,  et,  dans  ces  circonscriptions  militaires,  la  mobi- 
lisation commençait  comme  ailleurs  le  18,  sauf  que,  dans  ces 
circonscriptions,  il  y  avait  successivement  deux  premiers  jours 
de  mobilisation.  En  un  mot,  par  cette  décision,  tout  le  mal 
résultant  de  l'ordre  de  mobilisation  partielle  était  arrêté; 
il  y  avait  seulement  un  jour  de  retard  dans  la  mobilisation. 

Il  fallait  de  nouveau  retourner  chez  les  trois  ministres 
pour  faire  signer  le  télégramme  qui  fixait  au  18/31  juillet 
le  premier  jour  de  la  mobilisation  générale,  celui  de  la 
veille  n'étant  naturellement  plus  valable. 

A  ce  moment  avait  lieu  au  palais  Marie  une  séance  extra- 
ordinaire du  Conseil  des  ministres,  sous  la  présidence  de 
Goremykine.  lanouchkevitch  s'y  rendit  aussi.  Il  me  proposa 
de  venir  avec  lui,  puisque,  étant  donné  les  circonstances, 
tous  les  ministres  seraient  présents,  et  que,  pendant  une 
suspension  de  séance,  on  pourrait  obtenir  d'un  seul  coup 
toutes  les  signatures  nécessaires.  C'est  ce  que  nous  fîmes. 
Le  télégramme  était  prêt.  Vers  5  heures  de  l'après-midi,  je 
le  portai  au  Central  télégraphique.  Les  mêmes  dispositions 
que  la  veille  furent  prises.  Involontairement  je  fus  amené  à 
me  demander  si,  cette  fois,  on  réussirait  à  expédier  le  télé- 
gramme. Je  pensais  aux  paroles  de  Sazonoff  :  «  Et  disparaissez 
pour  toute  la  journée.  »  A  6  heures  du  soir,  tous  les  appareils 
étaient  prêts  à  recevoir  le  télégramme  de  mobilisation. 

J'entrai  dans  la  salle.  Un  silence  solennel  régnait  parmi  les 
télégraphistes,  hommes  et  femmes.  Chacun  était  assis  devant 
son  appareil  et  attendait  la  copie  du  télégramme,  pour 
envoyer  dans  tous  les  coins  de  l'Empire  russe  la  grande  nou- 
velle de  la  levée  du  peuple  russe  pour  la  grande  lutte. 

Quelques  minutes  après  6  heures,  tandis  qu'un  silence 
absolu  régnait  dans  la  salle,  les  appareils  commencèrent  à 
taper.  C'était  l'instant  où  s'ouvrait  la  grande  époque... 
Pour  qu'un  contrôle  fût  possible,  des  avis  de  réception  étaient 
demandés;  j'attendis  ces  réponses  dans  la  salle.  Vers  7  heures 
arrivèrent  les  réponses  de  tous  les  points  en  relation  télé- 
graphique directe  avec  Pétersbourg,  c'est-à-dire  les  centres 
les  plus  importants  de  la  Russie  d'Europe  et  d'Asie  :  le  télé- 


152  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

gramme  de  mobilisation  avait  été  exactement  transmis. 
Le  sort  en  était  jeté.  La  décision  était  déjà  connue  dans 
toutes  les  grandes  villes  de  notre  immense  pays.  Nul  recul 
n'était  plus  possible.  Le  prologue  du  drame  historique  avait 
commencé. 

Le  même  jour,  tard  dans  la  soirée,  une  question  fut  posée 
télégraphiquement  par  l'état-major  de  la  circonscription 
militaire  de  Kief  en  raison  de  la  situation  peu  claire  créée 
par  la  réception  des  télégrammes  de  mobilisation.  On  deman- 
dait s'il  n'y  avait  pas  malentendu.  On  envoya  aussitôt 
un  télégramme  explicatif.  Il  n'y  eut  pas  d'autres  demandes. 
Cela  signifiait  que  partout  la  mobilisation  avait  commencé 
sans  confusion.  On  apposa,  de  bonne  heure  le  matin,  et  en 
grand  nombre,  dans  les  rues  de  Pétersbourg,  les  affiches 
rouges  de  mobilisation  générale  des  réservistes.  Des  affiches 
blanches  annoncèrent  l'état  de  guerre  pour  Pétersbourg  et 
les  environs. 

Les  dépêches  des  agences  firent  connaître  que  le  même 
jour  18/31  juillet,  en  Allemagne  et  en  Autriche-Hongrie, 
l'ordre  de  mobilisation  avait  été  donné.  En  Autriche,  la  mobi- 
lisation partielle  de  certains  corps  avait  eu  lieu  plus  tôt, 
en  même  temps  qu'était  adressé  l'ultimatum  à  la  Serbie. 

Le  19  juillet  (i^^  août),  l'empereur  d'Allemagne  déclara  la 
guerre  à  la  Russie.  Le  dimanche  20  juillet  (2  août),  eut  lieu 
au  palais  d'hiver  la  réception,  demeurée  dans  toutes  les 
mémoires,  par  l'Empereur,  du  cartel  allemand. 

A  partir  du  deuxième  jour  de  la  mobilisation,  c'est-à-dire 
du  19  juillet  {1^^  août),  les  réservistes  commencèrent  à  se 
déverser  dans  les  cadres  de  l'armée.  On  commença  de 
rassembler  les  chevaux,  et  là  où  cela  était  prévu  pour  l'état 
de  guerre,  les  voitures,  autos  et  camions  automobiles  de  la 
population. 

Les  délais  de  mobilisation  et  de  mise  sur  pied  de  guerre 
variaient  suivant  les  troupes  et  les  services,  allant  de  quelques 
heures,  pour  les  régiments  de  cavalerie  de  la  frontière,  à 
quelques  semaines,  pour  les  troupes  de  deuxième  catégorie 
et  les  formations  du  train.  Pour  la  territoriale,  il  y  avait 
encore  d'autres  délais. 

Après  la  mobilisation  de  l'armée  commença  l'appel  de 
la  territoriale.  Le  décret  sur  l'appel  de  la  territoriale  de 
première  catégorie  fut  signé  une  semaine  après  le  commen- 


LA   MOBILISATION    DE   L'ARMEE    RUSSE    EN    I914  153 

cernent  de  l'appel  des  réservistes,  le  25  juillet  (7  août). 
Mais  là  on  s'en  remit  au  ministre  de  la  guerre  du  soin 
d'appeler  lui-même  les  hommes  au  fur  et  à  mesure  des 
besoins,  suivant  leur  classe  et  leur  rayon.  Il  y  avait  environ 
3  millions  de  réservistes  non  gradés  et,  l'un  dans  l'autre, 
10  millions  de  territoriaux.  Il  fallait  que  leur  appel  répondît 
aux  possibilités  pratiques  d'équipement,  armement  et  en- 
tretien. Le  ministère  avait  à  résoudre  un  problème  vérita- 
blement gigantesque  qui  se  posait  pour  la  première  fois 
dans  la  vie  de  l'État.  L'histoire  ne  fournissait  aucun  précé- 
dent valable.  Beaucoup  d'ouvrages  spéciaux  avaient  traité 
du  «  peuple  en  armes  »  de  notre  temps  ;  mais,  dans  la  pratique, 
il  n'y  avait  pas  d'exemple  de  cette  levée  générale,  et  elle 
présentait  de  prodigieuses  difficultés.  En  réalité,  le  problème 
aurait  dû  être  résolu  de  la  façon  suivante  : 

A  l'aide  de  considérations  stratégiques,  on  eût  fixé  l'impor- 
tance de  l'armée  dont  l'État  devait  disposer,  y  compris  les 
formations  auxiliaires,  pour  obtenir  un  résultat  dans  le  plus 
bref  délai.  Tout  le  reste  du  contingent  des  hommes  mobili- 
sables eût  été  destiné  à  combler  les  vides  de  l'armée  de 
première  ligne.  Ce  contingent  aurait  dû  être  préparé,  instruit, 
puis  envoyé  au  front  suivant  le  besoin  qui  se  serait  fait 
sentir  de  formations  de  remplacement. 

Afin  d'obtenir  une  préparation  satisfaisante,  et  aussi  pour 
ne  pas  imposer  à  la  population  de  vexations  inutiles,  il  aurait 
fallu  fixer  exactement  :  1°  la  durée  minima  de  l'instruction 
de  ces  réserves,  et  2°  le  contingent  nécessaire  pour  un  temps 
donné,  mettons  un  mois. 

•Toutes  ces  données  ne  pouvaient  être  demandées  qu'à 
l'expérience,  et,  avant  la  guerre,  il  n'y  avait  pas  eu  d'expé- 
rience faite. 

Il  était  naturel  que  l'on  s'efforçât  plutôt  d'avoir  sous  la 
main  un  effectif  surabondant  que  de  risquer  d'en  avoir  un 
insuffisant.  Finalement  le  système  du  peuple  en  armes  conduisit 
dans  la  pratique  à  avoir  pendant  la  guerre  dans  toute  l'étendue 
de  l'Empire  russe  un  réseau  serré  de  dépôts  de  troupes,  dans 
lesquels  devaient  être  exercées  les  réserves.  Il  eût  fallu,  dès 
le  temps  de  paix,  disposer  ce  réseau  de  façon  à  remplir  la 
tâche  très  importante  de  diriger,  dans  un  délai  donné,  le 
matériel  humain  vers  les  troupes  de  première  ligne,  pour 
les   maintenir  en  tout   temps  au  niveau  voulu  en  quantité 


154  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

comme  en  qualité.  C'est  le  système  bien  connu  des  troupes 
de  remplacement.  Malheureusement  ce  système  n'avait  pas 
été.  étudié  et  préparé  chez  nous  en  temps  de  paix.  D'après 
le  plan  de  mobilisation  en  vigueur  chez  nous,  on  avait  prévu 
i88  formations  de  remplacement,  non  compris  les  régiments 
de  cavalerie.  Pour  ces  i88  formations,  il  n'existait  d'autres 
cadres  que  ceux  qui  se  tiraient  des  troupes  de  campagne, 
et  le  nombre  des  formations  était  insuffisant.  Même  si  l'on 
admettait  le  chiffre  de  lo.ooo  hommes  pour  l'effectif  de 
chaque  formation  (ce  qui  pratiquement  n'eût  pas  été  pos- 
sible), cela  donnait  en  tout  moins  de  2  miUions  d'hommes  ; 
de  plus,  les  formations  de  réserve  étaient  de  capacité  pas- 
sablement inégale  ;  et  enfin  peut-on  avoir  des  corps  de 
10.000  hommes  ?  Au  début,  le  «  grand  programme  »  dont  il 
a  déjà  été  question  envisageait  la  formation  de  500  batail- 
lons de  réserve  de  deuxième  catégorie  ;  mais  malheureuse- 
ment>  ces  formations,  elles  aussi,  n'avaient  pas  été  étudiées 
au  début  de  la  guerre. 

On  avait  seulement  dans  le  plan  de  mobilisation  dressé 
le  registre  des  hommes  disponibles.  C'est  pourquoi  au  début 
de  la  guerre,  si  étonnant  que  cela  soit,  les  troupes  en  campagne 
souffraient  d'un  déficit  chronique,  tandis  que  des  dizaines 
de  milliers  d'hommes  valides  se  cachaient  à  l'arrière  sous 
toutes  sortes  de  prétextes.  Cette  plaie  de  la  guerre  nationale 
ne  pouvait  être  évitée  que  par  un  système  soigneusement 
préparé  de  troupes  de  réserve.  On  aurait  dû  maintenir 
dans  le  réseau  serré  des  formations  de  réserve  tout  le  surplus 
des  réservistes  appelés,  tous  les  blessés  ou  malades  guéris, 
ainsi  que  les  recrues  des  dernières  classes.  Ce  ne  sont  pas 
les  droujines  de  la  territoriale,  mais  bien  les  troupes  de  ré- 
serve qui  auraient  dû  donner  l'armée  de  deuxième  ligne,  dont  la 
tâche  principale  eût  été  d'envoyer  sans  interruption  des  ren- 
forts au  front,  afin  de  maintenir  l'armée  active  au  niveau  voulu. 

Pour  bien  des  raisons  qu'il  serait  instructif  d'examiner  à 
part,  le  réseau  des  réserves  n'avait  pas  été  étudié  par  notre 
état-major  général,  et  c'est  pourquoi  il  fallut  l'improviser 
pendant  la  guerre,  alors  que  les  conditions  nécessaires  à 
un  travail  tranquille  et  méthodique  faisaient  complètement 
défaut.  Nul  n'a  oublié  quelle  chose  informe  devenaient 
nos  bataillons  de  réserve,  où  s'entassaient  peu  à  peu  jusqu'à 
dix  compagnies  de  i.ooo  hommes  chacune. 


LA    MOBILISATION    DE    L'ARMÉE    RUSSE    EN    I914  155 

Mais  nous  y  reviendrons...  Comment  se  passait  la  mobi- 
lisation de  notre  armée  active  ? 

Les  premières  nouvelles  qui  arrivèrent  de  partout  à  la  sec- 
tion de  mobilisation  de  l'état-major  étaient  très  satisfaisantes. 

On  pouvait  naturellement  être  complètement  rassuré  en  ce 
qui  concerne  les  troupes  de  première  ligne  et  l'armée  de  cadres. 
Animées  d'un  sentiment  national  profond,  sentant  venue 
l'heure  qui  marquait  la  fin  de  longues  années  de  prépara- 
tion et  le  commencement  des  dures  épreuves,  nos  troupes 
avaient  acquis  pendant  la  paix  une  pratique  suffisante  de  la 
mobilisation.  Pendant  les  dernières  années  avant  la  guerre, 
on  avait  accordé  une  attention  suffisante  à  cette  partie  de 
la  préparation.  Sauf  pendant  la  durée  des  exercices  de  camp 
et  l'instruction  des  recrues,  le  reste  de  l'armée  dans  toutes 
les  circonscriptions  militaires  accomplissait  à  grande  échelle 
ce  qu'on  appelait  les  exercices  de  contrôle  de  la  mobi- 
lisation (poviérotchnia  mohilisatsii) .  On  nommait  chaque 
fois  des  commissions  militaires  qui  suivaient  de  très  près 
la  marche  de  ces  mobihsations  ;  on  rédigeait  des  rapports  où 
étaient  signalées  toutes  les  fautes  commises,  et  ces  fautes, 
on  s'appliquait  ensuite  soigneusement  à  les  éviter. 

Il  existait,  en  outre,  une  autre  forme  de  pratique  de  la 
mobihsation,  des  essais  de  mobihsation  avec  appel  des  réser- 
vistes et  présentation  des  chevaux  par  la  population. 

Des  crédits  suffisants  étaient  accordés,  et  ces  exercices 
étaient  à  double  fin,  instructifs  à  la  fois  pour  les  troupes  et 
les  réservistes,  et  pour  les  autorités  locales  chargées  de 
l'immatriculation  et  de  l'appel  des  réservistes,  et  de  la  réqui- 
sition des  chevaux.  Justement  deux  mois  avant  la  mobilisation 
effective,  un  exercice  de  cet  ordre  avait  eu  lieu  dans  la  cir- 
conscription mihtaire  d'Odessa  pour  la  34^  brigade  d'ar- 
tillerie à  lékatérinoslav. 

L'expérience  montra  que  l'on  pouvait  être  sans  crainte 
au  sujet  de  la  mobilisation  des  troupes  de  campagne. 

Mais  bientôt,  pendant  la  mobihsation  effective,  commen- 
cèrent d'arriver  des  nouvelles  alarmantes  sur  des  troubles 
causés  par  les  réservistes  dans  les  heux  de  rassemblement 
où  commandaient  les  chefs  de  districts  mihtaires. 

Dans  le  district  de  Barnaul,  du  gouvernement  de  Torask, 
dans  les  gouvernements  de  Perm,  Orel  et  Mohilev,  il  y  eut 
une  grande  effervescence  parmi  des  dizaines  de  milUers  de 


156  HISTOIRE    DE    LA   GUERRE 

réservistes,  uniquement  parce  qu'ils  s'étaient  enivrés  d'eau-de- 
vie.  On  avait  prévu  que  pareils  désordres  étaient  probables,  et 
notre  loi  (le  règlement  militaire,  édition  de  1912)  permettait 
la  fermeture  complète  de  tous  les  débits  d'eau-de-vie 
pendant  toute  la  période  de  mobilisation;  toutefois  l'ar- 
ticle du  règlement  ordonnant  la  fermeture  de  ces  débits 
(monopole  de  l'État)  n'avait  été  introduit  que  dans  la 
nouvelle  édition  de  la  loi,  après  une  longue  opposition  du 
ministre  des  Finances,  qui  avait  réussi,  pour  des  raisons 
fiscales,  à  limiter  cette  défense  au  temps  où  les  réservistes 
ne  seraient  pas  encore  incorporés,  et,  de  plus,  à  ne  pas  l'étendre 
à  tout  le  territoire,  mais  à  la  limiter  aux  points  de  rassem- 
blement des  réservistes  et  aux  régions  éloignées  des  voies 
ferrées. 

Suivant  la  loi  donc,  une  fois  écoulé  le  flot  des  réservistes, 
le  monopole  de  l'alcool  pourrait  de  nouveau  avoir  son  plein 
effet.  Cela  ne  suffisait  pas.  C'est  pourquoi,  à  la  veille  de  la 
mobilisation,  le  15/26  juillet  1914,  le  ministre  de  la  Guerre 
écrivit  au  ministre  des  Finances,  et  insista  pour  que  les  débits 
d'eau-de-vie  fussent  fermés  partout,  et  non  seulement  pen- 
dant la  durée  de  la  mobilisation,  mais  aussi  jusqu'à  ce 
que  fût  complètement  terminée  la  concentration  stratégique 
des  troupes  à  la  frontière. 

Le  ministre  des  Finances  donna  son  consentement  dès  la 
veille  de  la  mobilisation,  et  il  en  résulta  l'ordonnance  impé- 
riale interdisant  la  vente  de  l'eau-de-vie  dans  tout  l'empire 
pendant  toute  la  durée  de  la  mobilisation. 

Les  révoltes  causées  par  l'ivrognerie  des  réservistes  déter- 
mxinèrent  le  gouvernement  à  interdire  la  vente  de  l'eau-de-vie 
et  du  vin  pour  toute  la  durée  de  la  guerre.  Ainsi  commença 
en  Russie  la  période  de  sobriété,  qui  fut  extraordinairement 
bienfaisante  pour  le  peuple.  Que  l'on  se  rappelle  comment 
cette  mesure  amena  certaines  communes  rurales  et  urbaines 
à  décider  l'interdiction  à  perpétuité  du  commerce  de  l'eau- 
de-vie. 

La  révolution  annula  ces  mesures  bienfaisantes,  et  la  pé- 
riode révolutionnaire  bolchevique  de  la  vie  russe  est  marquée, 
entre  autres,  par  le  renouveau  des  bacchanales  alcooliques, 

Les  révoltes  causées  par  l'ivrognerie  pendant  la  mobili- 
sation, malgré  la  défense  de  vendre  de  l'eau-de-vie,  s'expli- 
quent par  le  fait  que  des  bandes  de  réservistes  pénétrèrent 


LA   MOBILISATION    DE    L  ARMEE    RUSSE    EN    I914  157 

par  effraction  dans  les  magasins  fermés  et  les  dépôts  gouver- 
nementaux d'eau-de-vie  et  pillèrent  les  approvisionnements. 
On  envoya  de  Pétrograd  l'ordre  de  prendre  les  mesures 
les  plus  sévères  pour  empêcher  les  réservistes  de  s'enivrer, 
et,  dans  deux  cas,  des  gouverneurs  furent  destitués  parce 
qu'ils  n'avaient  pas  pris  des  mesures  efficaces  pour  le  réta- 
blissement de  l'ordre. 

Ce  fut  là  d'une  manière  générale  un  manquement  grave 
dans  la  marche  de  la  mobilisation,  mais  sans  conséquence 
pour  le  résultat  final.  Un  deuxième  manquement  s'observa  : 
dans  des  cas  manifestement  très  nombreux,  les  hommes 
appelés  purent  se  soustraire  à  la  mobilisation  parce  que  la 
loi  elle-même  prévoyait  des  sursis  et  des  dispenses  d'appel 
pour  toutes  sortes  de  raisons.  L'espèce  d'institut  devenu  si 
célèbre  pendant  la  guerre  des  Hussards  culs-terreux  (Sem- 
gusary)  (i)  avait  ses  racines  dans  la  loi  et  prit  naissance 
pendant  la  mobilisation. 

Je  pense,  entre  autres,  au  flot  de  requêtes  et  de  sollicita- 
tions de  toutes  sortes,  écrites  et  orales,  qui  déferla  durant 
ces  jours  et  qui,  par  l'intermédiaire  de  la  section  de  mobilisa- 
tion, parvenait  au  ministre  de  la  Guerre,  demandant  l'exemp- 
tion ou  tout  au  moins  un  sursis  d'appel. 

Ces  sortes  de  requêtes  ne  provenaient  pas  de  la  masse 
du  peuple,  mais  des  personnes  de  notre  société  cultivée  et 
de  la  «  bourgeoisie  ».  Et  l'on  essayait  de  tous  les  moyens 
de  pression  pour  en  assurer  l'efficacité.  En  première  ligne 
venait  naturellement  la  protection,  sous  la  forme  de  lettres 
de  recommandation  et  de  prières,  de  personnes  qui,  par  leur 
origine  et  leur  situation  dans  le  monde  de  la  bureaucratie,  ap- 
partenaient à  la  classe  la  plus  élevée. 

On  combattit  ce  fléau,  mais,  il  faut  le  reconnaître,  sans 
succès  le  plus  souvent.  La  protection  est  un  des  fléaux  fon- 
damentaux de  la  vie  russe,  et  l'on  ne  peut  le  combattre  qu'en 
unissant  toutes  les  forces  de  la  société  elle-même.  Mais  dans 
les  jours  de  fièvre  de  la  mobilisation,  on  avait  autre  chose  à 
faire.  Pendant  les  journées  de  la  mobilisation,  alors  qu'un 
certain  enthousiasme  patriotique  régnait  parmi  la  popula- 
tion, cette  ombre  au  tableau  n'apparaissait  pas  encore 
complètement,    comme    ce    fut    le    cas   plus    tard,    lorsque 

(i)  Analogues  à  nos  «  embusqués  ». 


158  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

commencèrent  les  jours  sombres  de  la  longue  guerre.  L'im- 
portance de  cette  ombre  croissait  en  raison  directe  de  nos 
insuccès  militaires. 

Grâce  à  notre  immense  richesse  en  matériel  humain,  ces 
défections  ne  pouvaient  pas  exercer  d'influence  appréciable 
sur  les  résultats  de  la  mobjHsation  de  notre  armée  de  cam- 
pagne. L'effectif  du  temps  de  guerre  avait  été  aisément 
atteint,  et  tous  les  corps  de  troupes  et  les  services  mihtaires 
arrivèrent,  dans  le  délai  pré\ni,  à  effectif  complet  (i)  dans  le 
territoire  de  concentration. 

Les  délais  de  mobihsation  des  troupes  étaient,  comme  on 
l'a  déjà  dit,  très  divers,  et  dépassaient  un  mois  pour  les 
corps  de  troupes  de  deuxième  catégorie  et  pour  les  régi- 
ments cosaques  de  troisième  catégorie.  Les  armées  de  cam- 
pagne définitivement  prêtes  étaient  le  vingtième  jour  de  la 
mobihsation  sur  leur  terrain  de  concentration.  Nos  armées, 
la  III^  sous  le  haut  com.mandem.ent  du  général  Russki,  et 
la  VHP  sous  celui  du  général  Broussiloff,  commencèrent 
les  opérations  d'attaque  en  Gahcie  orientale  le  7/20  août, 
c'est-à-dire  le  \'ingt  et  unième  jour,  calculé  à  partir  du 
premier  jour  de  la  mobihsation,  et  \inrent  en  contact  avec 
l'ennemi  le  10  /23  août  ;  le  13  /26  août,  sur  tout  le  front  de  la 
Ille  armée,  eurent  lieu  avec  les  troupes  austro-hongroises  des 
combats  sérieux  qui  aboutirent  pour  nous  à  un  succès  notable. 

La  période  des  guerres  est  loin  d'être  close  dans  le  monde. 
Bien  mieux,  on  peut  dire,  et  ce  ne  sera  pas  un  paradoxe,  que 
la  guerre  mondiale,  qui  a  commencé  en  1914,  dure  encore. 
Le  dernier  acte  de  ce  grand  drame  historique  n'est  pas  encore 
joué,  comme  nous  le  disions  au  début  de  cet  article. 

Il  est  inévitable  que  le  peuple  russe,  avec  ses  150  milhcns 
d'hommes,  y  prenne  part,  comme  il  fut  iné\'itable  qu'il 
prît  part  à  toutes  les  phases  antérieures  de  la  lutte. 

Le  futur  gouvernement  national  de  notre  grand  pays, 
après  son  relèvement,  aura  à  cœur  la  reconstitution  de  l'armée, 
qui  sera  l'une  des  pierres  angulaires  de  son  œuvre  de  res- 
tauration.  Sans  année  aucun  État  ne  peut  vivre.  Il  faudra 

(0  La  qualité  des  troupes,  cest-à-dire  la  présence  parmi  elles  de  per- 
sonnes appartenant  à  une  classe  cultivée, eût  naturellement  été  plus  élevée, 
si  certains  des  représentants  de  cette  classe  ne  s'étaient  pas  dérobés  à  l'appel 
ou  efforcés  d'obtenir  des  postes  dans  la  zone  des  étapes.  Le  recrutement 
des  officiers  de  rang  inférieur  n'a  pas  été  assuré  de  façon  satisfaisante  pen- 
dant la  grande  guerre.  Mais  il  y  aura  lieu  de  traiter  à  part  ce  point. 


LA    MOBILISATION    DE    L  ARMEE    RUSSE    EN    I914  I59 

alors  tenir  compte  dans  tous  ses  détails  de  la  grande  expé- 
rience de  notre  mobilisation  en  1914. 

Cette  mobilisation  se  poursuivit  avec  succès,  brillamment, 
comme  l'ont  reconnu  toute  la  société  russe  et  ses  représen- 
tants les  plus  éminents  (i),  parce  que  cette  opération  mili- 
taire et  politique  avait  été  étudiée  avec  soin,  dans  tous  ses 
détails,  en  temps  utile. 

Il  faut  absolument,  sans  perdre  de  temps,  réunir  tous  les 
résultats  de  l'expérience  pratique  de  cette  mobilisation, 
afin  de  pouvoir,  quand  l'heure  sonnera,  remédier  aux  man- 
quements qui,  dans  notre  mobilisation  de  1914,  ont  empêché 
d'employer  pour  le  mieux  les  forces  vitales  de  la  Russie. 

20  juin  (3  juillet)  1921. 

Serge  Dobrorolsky. 


A  l'interprétation  qu'un  puhliciste  allemand  avait  donnée 
de  ce-  témoignage,  le  général  Dobrorolsky  a  répondu  en  1922 
par  un  second  article  (2)  qtti  complète  et  précise  sa  pensée  sur 
quelques  points  essentiels.  En  voici  le  texte  : 

Dans  deux  numéros  du  journal  berlinois  Nachrichtenhlatt 
iiher  Ostfragen,  parus  le  2  et  le  4  décembre,  M.  Heinz  Fenner 
a  donné  de  longs  extraits  de  mon  article  sur  la  mobilisation 
russe  en  1914,  en  les  accompagnant  de  commentaires  aux- 
quels il  est  nécessaire  de  répondre,  dans  l'intérêt  de  la  vérité 
historique. 

En  soulignant  certains  faits  dans  la  suite  des  mesures 
militaires  prises  en  vue  d'une  guerre,  et  en  ne  reproduisant 
pas  mon  article  en  entier,  M.  Heinz  Fenner  laisse  paraître 
une  tendance  bien  marquée  à  établir  la  culpabilité  de  la 
Russie,  qui  aurait  prématurément  créé  une  atmosphère  de 

(i)  A  la  séance  solennelle  de  la  Douma  d'Empire,  en  août  1914,  le  ministre 
de  la  Guerre,  général  A.  Soukhomlinoff,  si  impopulaire  dans  les  cercles  de  la 
Douma,  fut  accueilli  par  une  acclamation  générale,  sous  l'influence  de  l'ex- 
traordinaire réussite  de  la  mobilisation.  Je  me  souviens  d'un  mot  d'un 
membre  bien  connu  de  la  Douma,  lorsqu'il  pénétra  dans  le  cabinet  du  di- 
recteur de  la  mobilisation  ;  il  dit  que  le  ministre  de  la  Guerre  avait  effacé 
toutes  ses  fautes  envers  la  représentation  populaire  et  la  société  russe  par 
le  succès  de  la  mobilisation. 

(2)  Voïenny  Sbornik  'Revue  militaire),  fascicule  2.  Cette  traduction, 
comme  la  précédente,  a  été  faite,  d'après  le  texte  russe,  par  M.  et  Mme  Ch. 
Appl-hn.  [N.  D.  L.  R.] 


l60  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

guerre,  et  rendu  ainsi  complètement  impossible  le  règlemxent 
à  l'amiable  du  conflit  austro-serbe. 

Je  me  propose  de  réfuter  l'un  après  l'autre  les  commen- 
taires de  l'auteur  allemand. 

Pour  commencer,  il  s'attaque  à  l'instruction,  citée  par  moi, 
du  général  Ianouchke\itch,  sur  la  nécessité,  en  cas  de 
mobilisation  partielle,  de  ne  donner  à  l'Allemagne  aucun 
prétexte  pour  y  voir  un  acte  d'hostilité  contre  elle.  L'auteur 
déclare  cette  instruction  illogique  et  dépour\Tie  de  toute 
sincérité  ;  pour  le  démontrer,  il  s'appuie  sur  ce  que  je  dis  de 
l'alliance  austro-allemande,  alliance  si  étroite  que  les  deux 
États  formaient  un  bloc  :  IanouclLk;e\"itch  n'a  donc  pu 
croire  réellement  qu'une  mobilisation  partielle  pût  être 
dirigée  contre  F  Autriche-Hongrie  seulement. 

Tout  ce  passage  de  M.  Heinz  Fermer  montre,  une  fois  de 
plus,  l'impossibihté  pratique  de  cette  mobilisation  partielle, 
dont  on  a  eu  l'idée  pendant  quelques  jours,  en  juillet  1914, 
dans  les  hautes  sphères  gouvernementales. 

L'écrivain  allemand  ne  veut  même  pas  admettre  mainte- 
nant qu'on  ait  pu  y  penser  sincèrement.  D'un  autre  côté, 
était-il  possible,  par  une  mobilisation  partielle,  d'intimider 
les  deux  membres  principaux  de  l'aUiance  qui  unissait  les 
États  de  l'Europe  centrale  ? 

Cette  idée  dangereuse  d'une  mobihsation  partielle  est 
restée  en  faveur  chez  nous  jusqu'au  17/30  juillet  à  midi; 
même  après  que  Pourtalès  eut  averti  Sazonoft,  le  16  jzg,  que 
la  mobilisation  partielle  contre  l'Autriche  devait,  en  vertu 
d'une  clause  du  traité  d'aUiance,  déclencher  automatique- 
ment la  mobihsation  générale  en  Allemagne,  cette  déclaration 
n'eut  pas  d'abord  le  pouvoir  de  la  faire  abandonner  ;  comme 
on  le  sait,  pendant  24  heures,  à  la  date  du  7/30  juillet,  c'est 
ime  mobihsation  partieUe  s'étendant  à  quatre  circonscrip- 
tions de  la  Russie  d'Etu-ope  qui  a  été  proclamée.  Ce  fait 
ne  montre-t-il  pas  très  clairement  quel  amour  notre  gouver- 
nement avait  de  la  paix,  pour  le  maintien  de  laqueUe 
il  consentait  à  courir  le  risque  d'une  catastrophe,  en  cas 
que  la  mobihsation  générale  dût  être  substituée  à  la  mobih- 
sation partielle,  non  pas  après  un  jour,  mais  après  plusieurs 
joiu-s. 

Plus  loin,  l'auteur  s'arrête  à  la  date  du  11/24  juiUet,  jour 
où  se  tint,  à  17  heures,  à  la  suite  de  l'ultimatimi  autrichien, 


LA   MOBILISATION   DE   L' ARMÉE   RUSSE   EN    I914         16I 

un  conseil  des  ministres  à  Krasnoïé-Sélo,  et  où  furent  décidées 
les  premières  mesures  à  prendre  en  cas  de  guerre,  entre  autres 
l'établissement  d'une  période  de  pré-mobilisation  dans 
l'Empire.  C'est  sur  ce  point  qu'insiste  surtout  l'écrivain 
allemand  :  il  y  voit  la  preuve  qu'à  cette  date  du  11  /24  juillet, 
le  «  parti  militaire  russe  »  avait  déjà  décidé  la  guerre,  alors 
qu'à  Berlin  on  conserva  longtemps  encore  l'espoir  d'une  solu- 
tion pacifique.  Dans  l'exemple  qu'on  donne  de  l'initiative 
prise  par  certaines  autorités,  dans  les  districts  frontières, 
concernant  la  réquisition  des  chevaux,  il  veut  voir  l'effet 
d'un  ordre  secret  (i). 

On  pourra  discuter  longtemps  et  abondamment  sur  le 
point  de  savoir  si  telle  ou  telle  autre  mesure,  prise  en  vue 
d'une  guerre  éventuelle,  a  été  dictée  par  une  sage  prévoyance, 
ou  par  le  désir  de  provoquer  le  voisin  et  de  l'entraîner  plus 
sûrement  dans  un  conflit  armé. 

Actuellement,  tout  le  monde  sait  que  la  Russie  n'était 
pas  prête  à  la  guerre,  surtout  au  point  de  vue  militaire  tech- 
nique ;  or  cette  insuffisance  de  préparation,  nous  la  connais- 
sions, à  l'état-major  russe,  avant  la  guerre.  Soukhomlincff 
certes  ne  l'ignorait  pas  (2)  ;  et,  moi-même,  j'en  parle  en 
détail  dans  mon  article  à  propos  du  grand  programme  «  de 
renforcement  des  forces  armées  ».  L'auteur  allemand  ne 
reproduit  pas  mon  opinion  sur  ce  point  ;  c'est  pourquoi, 
lorsqu'il  conclut  à  la  décision  bien  arrêtée  du  «  parti  mi- 
Irtaire  russe  »,  sa  conclusion  est  tendancieuse,  et  ne  peut 
être  acceptée  par  quiconque  a  lu  mon  article  sans  parti  pris. 

Nous  n'étions  pas  prêts  à  la  guerre,  et  ne  pouvions,  en  con- 
séquence, la  désirer  ;  mais  d'autant  plus  avions-nous  raison 
de  prendre  des  mesures  de  sécurité.  C'était  notre  devoir 
envers  notre  Patrie.  Chaque  gouvernerhent  prenait  les  dis- 
positions les  plus  conformes  aux  intérêts  vitaux  de  son  pays. 
L'Angleterre,  avec  beaucoup  de  prévoyance,  n'avait  pas 
démobilisé  sa  flotte  après  ses  manœuvres  dans  la  mer  du 
Nord,  en  juin  1914.  En  Allemagne,  le  chef  suprême  partit 
au  milieu  de  juillet  pour  une  croisière  sur  les  côtes  de  Nor- 


<i)  Il  ajoute  cependant  que  cela  ne  ressort  pas  directement  des  «  explica- 
tions données  par  Dobrorolsky  ». 

(2)  Voir  sa  conversation  avec  Basili,  directeur  des  affaires  politiques  au 
ministère  des  Affaires  étrangères,  telle  que  l'a  rapportée  Recouly  dans  un 
article  de  la  Repue  de  France  (ib  novembre  1921). 

11 


102  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

vège,  parce  qu'en  Allemagne  tout  était  prêt.  Chez  nous, 
il  fallait,  de  toute  nécessité,  chercher  quelque  palliatif  aux 
inconvénients  découlant  de  l'étendue  de  notre  territoire 
et  de  la  faiblesse  de  nos  armements  dans  les  districts  fron- 
tières et  dans  quelques  autres.  Mais  il  y  a  loin  de  ces  mesures 
préventives  à  la  guerre,  au  moins  pour  ceux  qui  ne  la  dési- 
rent pas. 

M.  H.  Fenner  estime  que  les  mesures  militaires  prises  par 
le  gouvernement  russe,  le  ii  /24  juillet,  et  le  décret  établissant 
l'état  de  pré  mobilisation  (i),  montrent  qu'en  fait  notre 
mobilisation  était  commencée  à  ce  moment,  devançant  de 
huit  jours  la  mobilisation  officielle. 

Le  terme  de  mobilisation  a  un  sens  précis  et  bien  déter- 
miné. Il  signifie  pour  tous  les  États  le  rejtforcement  de  l'armée 
du  temps  de  paix  par  des  contingents  de  réservistes,  de  che- 
vaux et  de  véhicules,  qui  lui  permettent  d'atteindre  ses 
effectifs  du  temps  de  guerre.  Or  aucune  des  mesures  prises 
le  11/24  juillet  ne  prévoyait,  pareille  augmentation  des 
effectifs.  Ni  un  réserviste,  ni  un  cheval,  ni  un  véhicule  ne 
furent  appelés  avant  le  décret  de  mobilisation.  Le  fait  que, 
dans  le  gouvernement  de  Souvalki,  il  y  eut  un  commencement 
d'appel,  ne  doit  pas  être  généralisé,  et,  à  moins  de  parti  pris 
tendancieux,  on  ne  peut  le  citer  comme  une  preuve  que  les 
mesures    ordonnées    étaient    des    mesures    de    mobilisation. 

Dans  un  des  prochains  numéros  du  Voïenny  Sbornik, 
j 'aurai  l'occasion  de  traiter,  à  l'aide  de  documents  français, 
des  mesures  analogues  prises  par  l'Allemagne  bien  avant 
que  la  mobilisation  ne  fût  décrétée  :  dès  le  12/25  juillet, 
alors  que  la  France  ne  lui  avait  fourni  aucun  prétexte  pour 
agir  ainsi,  l'Allemagne  a  commencé  à  «préparer  sa  mobilisa- 
tion »  sur  sa  frontière  occidentale. 

L'esprit  tendancieux  de  l'auteur  se  manifeste  clairement 
dans  sa  façon  d'interpréter  le  télégramme  du  17/30  juillet 
envoyé  par  Sa  Majesté  l'Empereur  au  Kaiser,  et  dont  voici 
le  texte  :  «  Je  te  remercie  de  tout  cœur  de  ta  dépêche.  Je 
ferai  partir  Tatistcheff  ce  soir  avec  des  instructions.  Les 
mesures  militaires  actuellement  en  vigueur  ont  été  prises 
il  y  a  cinq  jours  pour  nous  protéger  à  la  suite  des  prépara- 
tifs de  l'Autriche.  Je  souhaite  de  tout  cœur  que  ces  mesures 

(1)  Son  deuxième   article  débute  par  cette  affirmation  (numéro  du  6   dé- 
cembre du  journal  déjà  mentionné). 


LA   MOBILISATION   DE   l'ARMÉE   RUSSE   EN   I914         163 

n'entravent  en  rien  ton  action  médiatrice,  en  laquelle  j'es- 
père beaucoup.  Nous  avons  besoin  que  ta  grande  influence 
sur  l'Autriche  l'amène  à  s'entendre  avec  nous  (i).  » 

La  phrase  soulignée  inspire  à  l'auteur  allemand  des  doutes 
sur  la  sincérité  de  ce  télégramme.  Il  estime  qile  les  m.esures 
militaires,  mentionnées  par  le  Tsar,  ne  peuvent  être  celles 
qui  avaient  été  décidées  par  le  Conseil  des  ministres  le 
II  /24  juillet.  Pour  lui,  elles  doivent  sous-entendre  la  mobilisa- 
tion générale,  qui  n'a  été  décrétée  que  le  16/29  juillet. 

Il  ne  m'appartient  pas  de  commenter  le  sens  du  télégramme 
de  Sa  Majesté.  Et  si  je  m'y  arrête,  c'est  uniquement  pour 
montrer  clairement  avec  quelle  partialité  l'auteur  allemand 
s'efforce  de  démontrer  les  intentions  belliqueuses  du  gou- 
vernement russe,  alors  que,  pour  tout  lecteur  impartial,  il 
saute  aux  yeux  que  la  phrase  soulignée  se  rapporte  aux 
mesures  prises  le  11  /24  juillet,  et,  entre  autres,  à  l'état  de 
Prémohilisation  (2). 

Pour  déterminer  le  jour  initial  de  notre  mobilisation  géné- 
rale, et  c'est  de  la  plus  haute  importance  pour  qui  veut 
pénétrer  les  véritables  desseins  du  haut  commandement, 
l'auteur  allemand  s'arrête  à  deux  dates  :  la  date  à  laquelle 
fut  signé  le  décret  impérial  ordonnant  ia  mobilisation  géné- 
rale, et  la  date  à  laquelle  cet  ordre  fut  transmis  par  le  télé- 
graphe de  Pétrograd  à  toutes  les  villes  de  l'Empire.  Comme 
je  l'ai  expliqué  dans  mon  article,  la  signature  de  l'ordre  de 
mobilisation  eut  lieu  dans  la  matinée  du  16/29  juillet,  et 
l'ordre  de  transmission  fut  d'abord  donné  à  10  heures  le  soir 
du  même  jour  (16/29);  puis,  ainsi  que  je  l'ai  relaté  en  détail, 
retardé  d'un  jour  et  reporté  au  lendemain  17/30  à  18  he^ires. 
C'est  à  ce  moment  que  le  télégraphe  transmit  enfin,  dans  les 
régions  les  plus  reculées  de  l'Empire  russe,  l'ordre  impérial, 
revêtu  de  la  signature  de  trois  ministres,  de  mobiliser  l'armée 
et  la  flotte,  et  de  compter  comme  premier  jour  de  la  mobili- 
sation le  18/31  juillet. 

L'auteur    allemand    cependant    s'attache    à    démontrer 

(1)  N'ayant  pas  sous  la  main  le  texte  officiel,  je  traduis  celui  qui  est 
publié  par  le  journal  allemand.  La  phrase  en  italique  a  été  soulignée  par 
l'auteur  allemand. 

(2)  Ces  mesures  édictées  le  11/24  juin  sont  entrées  en  vigueur  le  12/25,  et 
r  «  état  de  prémobilisation  »  fut  décrété  le  i3/26.  La  dépêche  de  Sa  Majesté 
est  du  17,  et  ce  délai  de  cinq  jours  correspondrait  pleinement  avec  les 
mesures  prises. 


164  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

l'importance  de  la  première  date,  celle  de  la  signature  du 
décret  impérial.  Il  veut,  avec  son  parti  pris  habituel,  persuader 
à  ses  lecteurs  qu'en  dépit  de  ses  télégrammes  pacifiques 
à  Guillaume,  l'Empereur  de  Russie,  en  signant  le  décret 
de  mobilisation  générale  le  matin  du  16/29  juillet,  avait 
déjà  irrévocablement  décidé  de  faire  la  guerre. 

Et  cependant  la  lecture  impartiale  de  mon  essai  conduit 
nécessairement  à  une  conclusion  tout  à  fait  différente.  Le 
décret  de  mobilisation  générale  fut  en  effet  signé  le  16/29  juillet 
au  matin.  Mais  lorsque,  le  soir  du  même  jour,  je  me  rendis 
à  22  heures  au  central  télégraphique  afin  de  transmettre 
le  décret  dans  les  provinces  en  indiquant  le  17/30  comui9 
premier  jour  de  la  mobilisation,  j'en  fus  empêché  par  ordre 
supérieur,  et  le  télégramme  ne  fut  pas  expédié.  En  revanche, 
deux  heures  plus  tard,  un  autre  télégramme  fut  envoyé,  pres- 
crivant la  mobihsation  partielle  de  quatre  districts  mili- 
taires contre  l'Autriche-Hongrie.  L'Empereur  de  Russie 
donna  l'ordre  verbal  d'arrêter  l'exécution  de  son  décret, 
et  se  résolut  donc  à  faire  un  sacrifice  exceptionnellement 
grand  et  significatif  :  il  transforma  la  mobilisation  générale 
en  mobilisation  partielle.  Pourquoi  ?  Uniquement  afin  de 
tenter  un  suprême  effort  pour  sauvegarder  la  paix  en  Europe 
et  éviter  les  horreurs  d'une  guerre  mondiale... 

Selon  toute  apparence,  l'auteur  allemand  se  propose  de 
continuer  dans  son  journal  à  commenter  mon  étude  sur 
la  mobilisation  russe.  Les  extraits  copieux  qu'il  en  a  donnés 
jusqu'ici  ne  vont  pas  au  delà  de  la  suspension  de  l'ordre  de 
mobilisation  générale  au  soir  du  16/29  juillet.  Aussi  vais-je 
attendre,  pour  conclure,  la  fin  de  ses  articles. 

Voyant  quelle  attention  M.  Heinz  Fenner  a  donnée  à  mon 
étude,  je  ne  doute  pas  qu'il  ne  lise  avec  le  même  soin  cette 
petite  note.  Il  montrera  par  là  qu'en  entreprenant  son  essai 
critique,  il  n'avait  d'autre  but  que  de  servir  la  vérité  histo- 
tique  et  de  contribuer  à  l'étude  complexe  des  «  journées  tra- 
giques »  qui  ont  précédé  la  guerre. 

Est-il  possible  d'apprécier  équitablement  la  responsabilité 
devant  l'histoire  des  principaux  acteurs  de  cette  guerre, 
en  s'attachant  à  telle  mesure  prise  par  l'un  d'eux,  à  tel  moment 
déterminé,  alors  que  c'est  seulement  l'ensemble  de  toutes 
les  mesures  prises  et  de  tous  les  moments  qui  a  rendu  la  guerre 
inévitable  ? 


LA   MOBILISATION   DE   L' ARMÉE   RUSSE   EN   1914         165 

On  ne  peut,  pour  juger  de  l'attitude  plus  ou  moins  belli- 
queuse prise  par  les  différents  États  européens,  user  d'un 
seul  et  même  instrument  de  mesure.  Cette  attitude  devait 
dépendre,  pour  chaque  nation,  de  son  degré  de  culture  et 
de  ses  ressources  physiques,  de  ses  richesses  matérielles, 
du  niveau  atteint  par  sa  technique  et  de  son  développement 
moral.  Alors  que  les  relations  internationales  se  tendaient 
de  plus  en  plus,  le  gouvernement  de  chaque  pays  devait, 
en  prenant  les  mesures  nécessaires  à  sa  sécurité,  avoir  égard 
à  toutes  les  exigences  de  la  situation,  et  régler  sa  conduite 
sur  le  degré  de  préparation  à  la  guerre  de  la  nation,  sans  se 
■préoccuper  des  autres  nations.  On  ne  peut  prendre  comme  point 
de  départ  cette  proposition  fausse  que  la  préparation  à  la 
guerre  était  identique  en  Russie,  en  Autriche-Hongrie  et 
en  Allemagne.  Il  suffit  de  rappeler  les  difficultés  que  nous 
avions  à  surmonter,  par  suite  de  l'étendue  de  notre  territoire, 
de  l'insuffisance  de  notre  réseau  de  voies  ferrées,  et  de  la  len- 
teur de  toutes  les  communications  administratives.  C'était 
pour  chaque  gouvernement  un  devoir  envers  la  nation  de 
mettre  sans  retard  en  vigueur,  pour  accroître  son  aptitude 
à  faire  la  guerre,  des  mesures  calculées  en  raison  inverse  de 
son  aptitude  naturelle  en  temps  de  paix.  La  guerre  n'a  pas 
été  déclenchée  par  telle  mesure  militaire  ou  telle  autre. 
Sans  se  plonger  dans  l'histoire  des  dernières  années  de  la 
paix  armée  en  Europe,  on  peut  dire  qu'elle  a  été  décidée 
de  façon  irrévocable  le  jour  où  fut  envoyé  au  gouvernement 
serbe  un  ultimatum  contenant  des  exigences  que  n'importe 
quel  pays  eût  jugées  absolument  incompatibles  avec  sa  dignité, 
et  par  le  gouvernement  qui  a  pris  la  décision  d'envoyer 
cet  ultimatum  insolent  et  impérieux.  Mais  l'Autriche-Hongrie, 
ne  fût-ce  que  par  considération  pour  ses  alliés,  n'aurait 
jamais  pu  adresser  cet  ultimatum  sans  accord  préalable 
avec  son  puissant  voisin  et  ami. 

Le  10/23  juillet  1914,  la  guerre  européenne  fut  décidée 
irrévocablement  dans  les  conseils  secrets  de  la  Triple-Alliance. 

Lieutenant  général 
Serge  Dobrorolsky. 


BIBLIOGRAPHIE 


L'HISTOIRE  DE  LA  GUERRE  ET  LES  ARCHIVES  LOCALES 

Dans  une  très  intéressante  communication  qu'il  a  présentée  au  Congrès 
international  d'histoire  de  Bruxelles,  M.  Michel  Lhéritier,  agrégé  de 
l'Université,  a  étudié  la  Documentation  pour  l'histoire  d'une  grande- 
ville  française  pendant  la  guerre.  Il  a  pris  pour  exemple  la  ville  de 
Tours,  dont  la  municipalité  l'a  chargé  d'écrire  une  monographie. 

Après  avoir  défini  l'intérêt  des  archives  départementales  et  munici- 
pales, des  archives  des  Chambres  de  commerce  et  des  œuvres  d'assistance, 
il  a  montré  avec  finesse  dans  quelle  mesvire  la  confrontation  de  ces  dif- 
férentes  sources  de  documents,  en  les  combinant  avec  les  renseignements 
de  presse,  pouvait  permettre  d'étudier  la  vie  morale,  la  vie  économique 
et  sociale  de  la  ville. 

De  ces  observations,  nous  détachons  les  passages  suivants,  qui  dé- 
crivent l'état  des  archives  municipales,  et  qui  suggèrent  les  mesures  à 
prendre  pour  l'utilisation  et  la  conservation  de  l'ensemble  de  ces  docu- 
ments locaux. 

Dans  quel  état  sont  ces  archives?  On  s'est  préoccupé  jusqu'à  pré- 
sent, je  crois,  plutôt  de  les  multiplier  que  de  les  mettre  en  ordre.  On 
y  distingue  trois  éléments.  Le  premier  élément  ce  sont  les  registres 
de  correspondance  du  maire,  correspondance  active  seulement,  cor- 
respondance du  maire  au  préfet,  correspondance  du  maire  aux  par- 
ticuliers, ces  particuliers  étant  parfois  des  autorités,  le  général  ou 
le  ministre,  ou  de  simples  particuliers,  habitants  de  la  ville.  Les 
procès-verbaux  de  séance  forment  le  second  élément  ;  pour  les  séances 
du  Conseil  municipal,  leur  procès-verbal  fournit  la  principale 
matière  du  bulletin  municipal  qui  est  imprimé  et  qui  fait  pendant 
aux  publications  départementales  du  rapport  du  préfet  et  du  procès- 
verbal  des  séances  du  Conseil  général  ;  pour  les  séances  des  commis- 
sions générales  ou  particulières,  les  procès-verbaux  sont  restés  manus- 
crits, on  les  trouve  consignés  à  peu  près  régulièrement  à  la  suite,  mais 
souvent  mal  écrits,  dans  des  registres  qui  ont  été  quelquefois  com- 
mencés par  les  deux  bouts.  Le  troisième  élément  est  constitué  enfin 
par  des  liasses,  renfermant  chacune  un  certain  nombre  de  dossiers, 
réservés  chacun  à  une  affaire  et  contenant  tous  les  documents  utiles, 
documents  manuscrits,  rapports  ou  correspondance,  documents 
imprimés,  même  périodiques  et  quotidiens.  Ces  liasses  n'ont  malheu- 
reusement pas  de  numéro  d'ordre;  on  ne  les  distingue  que  par  leur 
objet,  et  il  s'ensuit  des  confusions,  des  chevauchements,  des  erreurs 


BIBLIOGRAPHIE  167 

Les  archives  locales  de  guerre  forment  dans  les  diverses  adminis- 
trations, dans  les  diverses  sociétés,  une  masse  considérable,  et  encom- 
brante qui  plus  est.  Ceux  qui  n'ont  pas  le  goût  des  vieux  papiers,  et 
il  en  est  malheureusement  beaucoup,  songeront  assez  tôt  peut-être 
à  s'en  débarrasser,  si  la  chose  n'est  déjà  faite.  C'est  une  raison  déci- 
sive pour  que  les  documents  soient  triés  de  façon  à  tenir  le  minimum 
de  place. 

La  question  du  tri  est  infiniment  délicate.  Tout  n'est  pourtant  pas 
indispensable  à  conserver.  J'ai  pu  m'en  rendre  compte  par  moi- 
même,  non  seulement  en  dépouillant  les  archives  comme  historien, 
mais  encore  en  confectionnant  les  pièces  destinées  à  devenir  des 
documents,  quand  j'ai  été  mêlé  à  l'administration  d'œuvres  de  guerre. 
Parmi  ces  œuvres,  la  plus  importante  était  la  Croix-Rouge,  et  c'est 
elle  que  je  prends  pour  exemple.  Des  documents  nombreux  étaient 
rédigés  pour  un  même  blessé.  J'avais  toute  une  correspondance  de 
demandes  d'évacuation.  On  établissait  des  bulletins  nombreux, 
bulletin  46,  bulletin  44,  dont  j'ai  eu  le  plaisir  de  retrouver  le  modèle 
au  xviiie  siècle  en  étudiant  l'histoire  du  marquis  de  Tourny.  Tous 
ces  documents  divers  ne  sont  pas  également  intéressants.  Il  y  a  des 
doubles  à  détruire.  Ma  correspondance  de  demandes  d'évacuation 
est  tout  à  fait  bonne  à  brûler.  On  conservera  seulement  les 
documents  qui  peuvent  servir  encore  à  établir  la  situation  du  blessé, 
ceux  qui  peuvent  servir  aux  administrateurs  comme  pièces  justifi- 
catives; on  conservera  surtout  ceux  —  et  ils  ne  sont  pas  nombreux  — 
qui  intéressent  proprement  l'histoire,  statistiques  d'hospitalisation, 
statistiques  financières,  comptes  rendus  de  fêtes,  pièces  concernant 
les  rapports  de  la  Société  avec  le  Service  de  Santé,  du  délégué  ré- 
gional avec  les  administrateurs,  des  administrateurs  avec  les  infir- 
mières surtout  quand  ces  rapports  ne  sont  pas  excellents.  On  pourra 
procéder  de  même  pour  les  archives  départementales,  municipales, 
en  se  débarrassant  du  fatras  encombrant. 

Le  triage  fait,  un  classement  s'impose.  Il  est  délicat,  à  cause  de 
l'intérêt  difiérent  des  pièces  conservées,  intérêt  particulier  des 
administrateurs,  intérêt  particulier  de  certaines  personnes,  intérêt 
particulier  de  l'histoire  à  venir.  Cette  distinction  d'intérêts  divers 
ne  peut  malheureusement  pas  déterminer  le  classement.  Je  m'en 
suis  aperçu  pour  ma  part,  quand  j'ai  eu  à  classer  les  archives  d'une 
centaine  d'hôpitaux.  Le  classement  d'origine  est  très  difficilement 
modifiable.  Les  dossiers  bien  ou  mal  établis  devront  rester  à  peu  près 
tels  qu'ils  ont  été  conservés.  Quand  aucun  ordre  n'est  observé,  quand 
les  documents  sont  pêle-mêle,  des  dossiers  devront  naturellement 
être  établis,  tels  qu'ils  auraient  dû  l'être  au  moment  de  la  guerre. 
Les  dossiers  établis  devront  non  seulement  conserver  le  titre  qu'ils 
portent  le  plus  souvent,  mais  recevoir  de  plus  un  numéro  d'ordre 
et  un  numéro  de  série,  d'après  un  classement  qui  devrait  être  uni- 
forme dans  toutes  les  villes,... 

Le  meilleur  moyen  pour  assurer  la  conservation  des  archives  lo- 
cales de  guerre  serait  peut-être  qu'elles  fussent  centralisées  dans  un 
établissement  communal. 

La  personne  préposée  à  leur  conservation  devrait  dépendre  à  la 


l68  HISTOIRE  DE  LA   GUERRE 

fois  de  l'administration  communale  et  de  l'administration  centrale 
du  musée  national,  de  la  bibliothèque  nationale  de  la  guerre,  à  laquelle 
les  archives  nationales  de  la  guerre  pourraient  être  aussi  rattachées. 

Cette  même  personne  préposée  à  la  conservation  des  archives  lo- 
cales de  la  guerre  devrait  aussi  dans  notre  pensée  rédiger  des  inven- 
taires qui  seraient  établis  dans  toutes  les  villes  sur  le  même  modèle, 
qui  seraient  assez  détaillés  et  qui  constitueraient  pour  l'historien  de 
guerre  le  meilleur  instrument  d'information. 

Trouverait-on  facilement  ce  conservateur  idéal  que  l'on  voudrait 
naturellement  rétribuer  le  moins  possible?  Je  crois  que  oui.  Beaucoup 
de  personnes,  beaucoup  d'anciens  fonctionnaires  s'intéressent  aux 
organisations  de  guerre,  auxquelles  ils  ont  collaboré,  et  la  ville  de 
Tours  me  fournit  l'exemple  intéressant  d'un  secrétaire  général  de 
mairie  qui  est  resté  en  exercice  jusqu'à  la  fin  de  la  guerre,  qui  a 
accumulé  à  l'Hôtel  de  Ville  les  archives  de  guerre  et  qui  s'est  voué 
presque  passionnément  à  m'aider  pour  composer  l'histoire  dont  je 
vous  entretiens.  Mais  ce  n'est  pas  tout  de  trier,  de  classer,  de  con- 
server, d'inventorier.  Les  archives  sont  mortes,  stériles,  inutiles,  tant 
que  l'on  ne  s'occupe  pas  de  les  mettre  en  œuvre. 

En  énumérant  tout  à  l'heure  ce  que  j'ai  trouvé  dans  les  archives 
de  Touraine,  —  et  je  répète  qu'on  trouverait  autant  et  peut-être  plus 
dans  d'autres  villes  françaises  ou  étrangères,  —  je  crois  avoir  démon- 
tré du  même  coup  que  leur  mise  en  œuvre  s'impose.  Elle  s'impose 
pour  l'histoire  qui  conserve  le  souvenir  du  passé,  dans  l'espoir  d'éclai- 
rer le  présent  et  de  préparer  l'avenir.  Elle  s'impose  pour  l'urbanisme 
qui  étudie  les  villes  en  elles-mêmes  comme  des  organes  vivants.  Elle 
s'impose  pour  l'économie  politique,  pour  l'économie  sociale,  pour  la 
science  du  droit.  Elle  s'impose  pour  les  savants  et  pour  le  public 
français  ou  étranger. 

Comment  doit  s'opérer  cette  indispensable  mise  en  œuvre  ?  En  plus 
des  inventaires  qui  coûteraient  cher,  publiera-t-on  des  documents? 
Beaucoup  peuvent  se  trouver  déjà  dans  les  bulletins  municipaux. 
Nous  cro3"ons  que  d'une  façon  générale  les  analyses  que  fourniraient 
les  inventaires  dispenseraient  de  publier  les  documents  in  extenso. 
Ce  qu'on  voudra  surtout  multiplier  ce  sont  des  monographies  de 
viJles,  des  monographies  d'institutions,  et  des  études  comparatives 
aboutissant  à  l'établissement  de  graphiques  et  de  statistiques.... 


LES  LIVRES  NOUVEAUX 


Jean  de  Pierrefeu.  —  Pluiarque  a  menti.  Paris,  Bernard  Grasset, 
1923,  in-i6,  350  pages. 

Ce  livre  est,  dit-on,  un  événement.  Il  donne  lieu  à  des  controverses 
retentissantes.  Inutile  de  dire  qu'on  n'en  trouvera  ici  nul  écho.  Sans 
aucun  parti  pris  d'aucune  sorte,  nous  rechercherons  simplement  dans 
quelle  mesure  M.  Jean  de  Pierrefeu  a  servi  la  seule  cause  qui  nous  pas- 
sionne, celle  de  la  vérité  historique. 


BIBLIOGRAPHIE  I69 

Les  questions  qu'il  traite  sont  de  deux  sortes,  des  questions  de  prin- 
cipe et  des  questions  de  fait. 

Sur  la  première  des  questions  de  principe  et  la  plus  essentielle, 
comment  ne  pas  être  d'accord  avec  l'auteur  quand  il  dénonce  impi- 
toyablement —  avec  toute  l'autorité  que  peut  avoir  en  la  matière  l'an- 
cien rédacteur  du  «  communiqué  »  —  la  continuation  du  «  bourrage 
de  crâne  »,  les  «  manœuvres  de  l'histoire  officielle  »,  le  «  jeu  éternel  des 
faiseurs  de  légende  »,  et  quand  il  nous  convie  à  faire  preuve  d'une 
salutaire  défiance  devant  les  documents  officiels  «  plus  faits  pour  cou- 
vrir des  responsabilités  que  pour  établir  la  vérité  historique  »  ? 

Tout  au  plus  pourrait-on  lui  objecter  doucement  qu'il  enfonce  une 
porte,  sinon  ouverte,  du  moins  entr'ouverte  et  que,  sans  doute  pour 
les  besoins  de  la  cause,  il  exagère  un  peu.  Il  y  a  quelque  injustice  à 
confondre  historiographes  et  historiens.  Les  historiographes  que  vise 
Jean  de  Pierrefeu  n'ont  peut-être  pas  toute  l'importance  qu'il  leur 
attribue.  Et  pour  ce  qui  est  des  liistoriens,  nul  d'entre  eux  n'ignore  que 
la  méfiance  à  l'égard  du  document  officiel,  comme  de  tout  document 
d'ailleurs,  est  le  premier  devoir  professionnel.  L'histoire  critique  de  la 
guerre  se  fait  et  se  fera.  On  ne  peut  pas  dire  qu'  «  une  incroyable 
conspiration  du  silence  existe  en  France  à  l'heure  actuelle  »  :  la  Société 
de  l'Histoire  de  la  Guerre  et  ses  publications  en  sont  la  meilleure 
preuve.  On  ne  peut  pas  dire  que  «  le  paysage  officiel  de  la  guerre, 
chef-d'œuvre  de  trompe-l'œil  et  de  convention  »,  soit  «  solennellement 
dressé  dans  l'enceinte  [de l'Institut  ou]  de  la  Sorbonne»  :  car  autour  de 
la  chaire  où  professe  notre  ami  P.  Renouvin,  il  est  sûr  qu'on  travaille 
en  toute  indépendance,  et  avec  une  répugnance  égale  à  celle  de  Jean 
de  Pierrefeu  pour  toute  espèce  de  «  paysage  officiel  »  ou  de  «  trompe- 
l'œil  ». 

Une  deuxième  question  est  de  savoir  s'il  est  licite  à  un  «  pauvre 
civil  »  de  discuter  des  choses  militaires.  Évidemment  ce  n'est  pas 
l'avis  des  militaires,  et,  parmi  eux,  même  les  plus  libres  esprits,  comme 
le  lieutenant-colonel  Tournés,  pensent  que  l'histoire  militaire  ne  peut 
être  écrite  que  «  par  un  homme  de  métier  ».  Pour  avoir  osé  pénétrer 
sur  ce  terrain  réservé,  je  me  suis  fait  récemment  rappeler  à  l'ordre. 
On  ne  s'étonnera  donc  pas  que,  sur  ce  point  encore,  je  donne  pleine- 
ment raison  à  Jean  de  Pierrefeu.  Oui,  on  peut  admettre  avec  lui  que 
«  l'art  militaire  n'est  pas  incompatible  avec  l'intelligence  ni  peut-être 
même  avec  la  raison,  telles  qu'elles  sont  l'une  et  l'autre  dévolues  au 
commun  des  hommes  ».  D'ailleurs,  le  système  de  la  nation  armée  ne 
tend-il  pas  à  diminuer  chaque  jour  la  distance  qui  sépare  le  civil  du 
militaire;  et  qu'appellera-t-on  en  définitive  homme  de  mérier? 
L'officier  qui  a  accumulé  les  années  de  caserne  et  de  manœuvres  ou 
le  civil  qui  a  fait  la  guerre  ?  Maintenant  que  «  la  défense  du  pays  est 
chose  publique  comme  la  politique  »,  on  ne  peut  nous  dénier  un  «  droit 
de  regard  »  :  c'est  même  plus  qu'un  droit,  c'est  un  devoir.  «  La  grandeur 
de  Rome  s'est  édifiée  justement  sur  ceci  que  l'éUte  des  citoyens  s'in- 
téressait passionnément  à  la  chose  militaire.  Les  mêmes  dons  portèrent 
le  citoyen  et  le  soldat  au  premier  rang.  »  L'expérience  de  la  guerre 
nous  incline  à  accepter  ces  formules,  jusque  dans  ce  qu'elles  ont  de 
plus  audacieux  :  il  est  bon  et  il  est  nécessaire  qu'à  tous  égards,  dans 


170  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

le  domaine  de  l'histoire  comme  dans  le  domaine  de  l'action,  l'armée 
de  métier  s'accommode  du  voisinage  de  la  nation  armée  et  accepte 
sa  collaboration,  sans  arrière-pensée. 

La  troisième  thèse  de  Jean  de  Pierrefeu,  on  pourrait  dire  le  leit- 
motiv qui  revient  à  toutes  les  pages  de  son  livre,  est  que,  dans  cette 
guerre,  «  l'événement  a  régné  en  tyran  absolu...  Le  génie  personnel 
n'a  eu  jamais  si  peu  de  part  à  l'histoire  du  monde  :  des  nations  ont 
combattu,  et  c'est  le  génie  des  nations  qui  a  imposé  la  solution  iné- 
vitable contenue,  dès  le  premier  jour,  dans  l'énoncé  du  problème. 
L'homme  a  subi,  il  n'a  pas  commandé.  Les  meilleurs,  en  appliquant 
des  facultés  secondaires  de  bon  sens,  d'intelligence  et  de  valeur  mo- 
rale, ont  contribué  à  mettre  un  peu  d'ordre,  d'équUibre  et  d'écono- 
mie dans  ce  gigantesque  chaos  qui  menaçait  de  tout  submerger. 
Pour  le  reste,  c'est  la  collectivité,  ce  sont  des  équipes  plus  ou  moins 
anonymes  qui  ont  fourni  le  plus  clair  du  labeur  ».  On  ne  saurait  mieux 
dire,  et  nul,  du  moins  parmi  ceux  qui  ont  vu  la  guerre  de  près,  n'y 
contredira.  Sans  doute  il  convient  de  rendre  justice  aux  hommes  qui, 
à  certaines  heures  critiques,  ont  assumé  sans  faiblir  les  plus  écra- 
santes responsabilités  ;  mais,  ce  faisant,  il  faut  aussi  se  garder  de 
«  plutarquiser  »  à  tout  propos,  et  hors  de  propos,  comme  c'est  le  cas 
quand  il  s'agit  de  cette  guerre  formidable  «  qui  nous  a  roulés  comme 
des  épaves  »  ;  il  faut  ne  pas  oublier  surtout  que,  durant  quatre  années 
(exception  faite  pour  les  huit  jours  de  la  première  «  Marne  »),  nous 
n'avons  fait  que  reculer  ou  piétiner  dans  le  sang,  jusqu'au  moment 
où  la  supériorité  écrasante  des  effectifs  et  du  matériel  nous  a  été 
acquise  enfin  :  où  trouver  place  dans  tout  cela  pour  le  génie  d'un 
grand  capitaine  ?  Certes  les  meilleurs  parmi  les  chefs,  au  fond  d'eux- 
mêmes,  ont  dû  être  choqués  de  l'outrance  de  certains  panégyristes. 
Ce  rappel  à  la  modestie  était  donc  nécessaire  et  légitime. 

En  résumé,  sur  toutes  les  questions  de  principe,  nous  sommes  d'ac- 
cord. Et  pour  avoir  soutenu  ces  justes  thèses  avec  un  talent  qui  sait 
captiver  l'attention,  infiniment  de  verve,  d'éloquence,  d'esprit  et  de 
cœur,  félicitons  sans  réserves  Jean  de  Pierrefeu. 

On  est  plus  embarrassé  quand  on  en  vient  aux  questions  de  fait. 
Au  juste,  quel  a  été  le  dessein  de  l'auteur?  Apporter  un  témoignage 
personnel,  ou  critiquer  les  témoignages  et  les  documents  déjà  connus? 
Hors  de  l'une  ou  l'autre  voie,  on  peut  dire  qu'il  n'y  a  point  de  salut 
pour  l'historien.  Mais  Jean  de  Pierrefeu  ne  se  pique  point  d'être 
historien,  sa  fantaisie  ailée  ne  saurait  s'accommoder  de  la  rigidité  de 
la  méthode  historique.  Il  veut  commenter  les  événements  en  toute 
liberté,  il  veut  discuter  —  à  sa  manière  —  stratégie  et  tactique;  il 
nous  convie  au  besoin  à  prendre  avec  lui  l'état  d'âme  «  kriegspielien  »  ; 
au  cours  d'une  récente  controverse,  n'a-t-il  pas  été  jusqu'à  déclarer 
tout  net  qu'il  préférait  à  l'étude  des  documents  «  l'examen  psycho- 
logique et  logique  des  situations  »  ?  Tout  cela,  bien  que  fort  sédui- 
sant, ne  laisse  pas  d'être  un  peu  inquiétant. 

Qu'on  en  juge  par  la  première  partie  du  livre  consacrée  au  début 
des  opérations  :  —  plan  XVII  et  bataille  des  frontières.  Voici  deux  des 
principaux  chapitres  intitulés  :  Joffre  et  C®  ou  le  complot  d'un  état- 
major  bergsonien  et  Le  plan  XVII  appliqué  ou  Bergson  contre  Lanrezac. 


BIBLIOGRAPHIE  I7I 

On  ne  s'attendait  guère  à  trouver  Bergson  en  cette  affaire.  Ma  lecture 
terminée,  je  persiste  à  croire  qu'il  n'y  est  guère  à  sa  place.  Sans  atta- 
cher à  ce  jeu  d'esprit  plus  d'importance  que  l'auteur  lui-même,  on 
peut  bien  faire  remarquer  que  la  folle  doctrine  d'offensive  à  outrance 
prônée  par  le  colonel  de  Grandmaison  et  adoptée  par  toute  la  jeune 
école  d'état-major  sort  en  droite  ligne  des  Études  militaires  du  capi- 
taine Gilbert  parues  de  1888  à  1891  dans  la  Nouvelle  Revue  française, 
à  une  époque  où  le  bergsonisme,  qui  naissait  à  peine  (i),  n'exerçait 
certainement  aucune  influence  sur  les  milieux  militaires.  Jean  de 
Pierrefeu  nous  assure  que  Lanrezac,  «  vieux  soldat,  était  nourri  comme 
tous  les  Français  de  son  âge  aux  principes  de  la  raison  cartésienne  »  : 
généralisation  hardie;  car,  s'il  en  est  ainsi,  comment  expliquer  qu'ap- 
partenant à  la  même  génération,  Joffre  et  Foch  et  Castelnau  et  quel- 
ques autres  fussent  réfractaires  auxdits  principes  ?  Et  si  Joffre,  de- 
venu l'homme  d'un  état-major  bergsonien,  peut  être  qualifié  «  image 
vivante  du  bon  sens  et  de  la  prudence  paysanne  »,  comment  expli- 
quer que  ce  même  bon  sens,  manifesté  par  le  cartésien  Lanrezac,  soit 
pour  l'auteur  «  une  qualité  que  ne  devait  point  apprécier  l'entourage 
du  généralissime  »  ?  Ces  spéculations,  forcément  hasardeuses,  au  fond 
paraissent  destinées  surtout  à  renouveler  d'une  façon  piquante  un 
sujet  déjà  fort  rebattu.  Renouvelé,  il  l'est  sans  doute,  littérairement 
parlant,  et  ces  pages  abondent  en  aperçus  ingénieux,  en  trouvailles 
d'expression.  Historiquement,  il  l'est  moins;  il  ne  peut  l'être  que  par 
l'apport  de  nouveaux  témoignages,  par  une  étude  approfondie  des 
textes,  basée  sur  l'exacte  notion  des  réalités  de  la  guerre.  C'est  ainsi  que, 
dans  le  détail  même,  ces  pages  si  suggestives  prêtent  plus  d'une  fois 
à  la  critique.  Parlant  du  plan  XVII,  Jean  de  Pierrefeu  laisse  entendre 
que  l'état-major,  par  goût  de  l'aventure  et  recherche  de  l'événement 
décisif,  a  «  voulu  jouer  de  finesse,  ...  encourager  les  Allemands  à  se 
décider  pour  la  manœuvre  débordante  »  ;  c'est  pourquoi  «  il  lui  impor- 
tait de  paraître  se  laisser  surprendre  ».  Trop  subtile  exégèse  que  dé- 
mentent les  faits  et  les  textes  :  le  Haut  Commandement  ne  croyait 
pas  à  la  manœuvre  débordante,  tout  simplement  parce  qu'il  avait 
mal  calculé  les  effectifs  ennemis,  parce  qu'il  ne  voulait  pas  admettre 
l'entrée  en  ligne  des  corps  de  réserve,  ni  que  l'adversaire  oserait  en- 
freindre la  règle  du  jeu  en  «  perdant  le  contact  protecteur  du  pivot 
de  Metz  ».  Au  reste,  Jean  de  Pierrefeu  ne  le  reconnaît-il  pas  lui-même 
quand  il  nous  signale,  quatre  pages  plus  loin,  que  l'État-major  igno- 
rait complètement  «  la  présence  des  20  corps  de  réserve  allemands 
dans  l'armée  d'invasion  »  ?  Le  respect  de  la  vérité  historique  nous  oblige 
à  ajouter  que  ces  «  20  corps  de  réserve  »  étaient  exactement  13,  et  que 
si  «  Joffre  et  C'^  »  ne  voulaient  pas  les  connaître,  l'État-major  affirme 
cependant  les  avoir  connus  (2).  De  même,  étudiant  la  bataille  des 
frontières,  Jean  de  Pierrefeu  se  montre  préoccupé  surtout  de  rendre 
pleine  justice  au  général  Lanrezac.  qu'il  loue  sans  réserves  :  d'un 

(i)  La  thèse  de  Bergsov,  l'Easai  sur  les  données  immédiates  de  la  cons- 
cience, est,  si  je  ne  me  trompe,  de  1889. 

(2)  Les  Armées  françaises  dans  la  Grande  Guerre,  publication  de  la  Sec- 
tion historique  de  l'Etat-major  de  l'armée,  tome  I,  p.  Sg. 


172  HISTOIRE    DE   LA   GUERRE 

point  de  vue  purement  sentimental,  on  ne  peut  que  l'approuver,  et 
déplorer  la  disgrâce  brutale  qui  a  privé  l'armée  française  d'un  chef 
de  la  plus  haute  valeur,  qui  a  privé  ce  chef  du  rôle  actif  auquel  il 
pouvait  justement  prétendre.  D'un  point  de  vue  strictement  histo- 
rique, il  me  paraît  impossible,  après  examen  impartial  des  faits, 
d'échapper  à  la  conclusion  que  j'ai  formulée,  et  que  je  m'excuse  de 
citer  :  «  Du  moment  que  Jofîre  restait  général  en  chef  et  French 
commandant  des  troupes  britanniques,  le  déplacement  de  Lanrezac 
(je  n'ai  pas  dit  la  disgrâce)  s'imposait  (i)  .  »  Il  serait  trop  long  —  et 
d'aUleurs  superflu  —  de  reprendre  ici  toute  cette  discussion.  Je  note 
seulement,  en  ce  qui  concerne  Charleroi,  que  la  défaillance  du  Haut 
Commandement  me  paraît  plus  grave  encore  qu'à  Jean  de  Pierrefeu  : 
car  celui-ci  croit  que,  le  23  août  au  soir,  le  général  Jofîre  ignorait  encore 
qu'à  la  droite  de  la  V^  armée,  la  IV^  armée  était  battue;  or  les  docu- 
ments établissent  que  le  23  août  au  matin,  Jofîre  savait  que  la  IVe  ar- 
mée était  en  difîiculté  et  que  «  notre  offensive  était  momentanément 
arrêtée  »;  il  télégraphiait  pourtant  à  Lanrezac  que  la  IV^  armée 
était  engagée  «  dans  de  bonnes  conditions  »  sur  le  front  Paliseul- 
Bertrix-Meix  devant  Virton.  De  Charleroi  à  Guise,  il  paraît  inexact 
d'écrire  que  «  chaque  jour  le  G.  Q.  G.  donne  à  Lanrezac  l'ordre 
d'attaquer  »  :  cet  ordre,  U  ne  l'a  reçu  pour  la  première  fois  que  dans  la 
journée  du  27.  Quant  au  combat  de  Guise,  Jean  de  Pierrefeu  juge  qu'il 
constitue  une  nouvelle  faute  du  Haut  Commandement,  pour  avoir 
retardé  le  mouvement  de  retraite,  et.  par  contre-coup,  nous  avoir 
obhgés  à  abandonner  la  ligne  de  l'Aisne;  mais  il  serait  tout  aussi  aisé 
de  démontrer  que  ce  coup  de  boutoir  a  été  nécessaire  et  profitable, 
nécessaire  parce  qu'il  a  dégagé  tout  à  la  fois  la  VI^  armée  et  l'armée 
britannique,  profitable  parce  qu'il  a  contraint  la  I^e  armée  allemande 
de  se  rapprocher  de  la  H^,  de  resserrer  ainsi  son  dispositif  vers  l'Est 
et  d'abandonner  la  direction  Sud  pour  la  direction  Sud-Est. 

Très  caractéristique  de  la  manière  de  l'auteur  est  un  court  chapitre 
intitulé  Méditation  sur  un  point  d'histoire.  Ce  point  d'histoire  est  bien 
connu  :  il  s'agit  de  l'incident  d'Onhaye,  qui,  le  23  août,  s'est  produit 
à  la  droite  de  la  V^  armée  et  a,  pour  une  part,  déterminé  le  général 
Lanrezac  à  ordonner  la  retraite.  Jean  de  Pierrefeu  confronte  à  ce 
sujet  deux  textes,  l'un  du  général  Mangin  —  témoin  oculaire  —  qui 
a  écrit  :  «  La  division  de  réserve  a  cédé  devant  l'attaque  de  toute 
l'armée  saxonne  von  Hausen  :  l'armée  Lanrezac  est  tournée  par  la 
droite.  Le  général  d'Esperey  lance  contre  ce  nouvel  assaillant  ses 
seules  forces  disponibles,  deux  bataillons  actifs  conduits  par  leur 
général  de  brigade  (Mangin)  qui  rétablissent  la  situation  en  reprenant 
de  haute  lutte  le  village  d'Onhaye.  »  L'autre  texte,  du  général  Lanrezac, 
dit  que  «  la  fraction  du  i'^'  corps  envoyée  en  soutien  de  la  division 
(de  réserve)  parvient  à  destination  sans  incident  à  la  tombée  de  la 
nuit.  Les  bataillons  (de  réserve)  se  sont  ralliés  vaille  que  vaille...  et 
observent  les  sorties  d'Onhaye  que  l'ennemi  n'a  pas  dépassé;  le  parti 
allemand  se  dérobera  pendant  la  nuit;  il  était,  paraît-il,  moins  fort 
qu'on  ne  l'avait  cru.  «  Les  deux  textes   lui  paraissent  entièrement 

(i)  Joffre  et  Lanre\ac,  p.  i25-i26. 


BIBLIOGRAPHIE  I73 

contradictoires,  et  cette  contradiction  l'émeut  :  «  Que  dire  d'une 
divergence  de  vues  aussi  forte  !  Si  les  travaux  des  historiens  sont 
suspects,  faut-il  douter  aussi  des  témoignages  des  acteurs  du  drame  ?  » 
Comment  !  S'il  faut  en  douter  ?  On  serait  tenté  de  croire  à  une  naïveté, 
s'il  ne  s'agissait  de  notre  auteur:  mettons  donc  «fausse  naïveté  »;  car 
il  n'est  pas  un  témoignage,  même  oculaire,  devant  lequel  le  doute  ne 
s'impose;  c'est,  si  j'ose  dire,  l'enfance  de  l'art.  Mais,  à  y  regarder  de 
plus  près,  ces  textes  sont-ils  vraiment  si  contradictoires  et  ne  peut-on 
essayer  de  les  concilier  ?  Le  général  Mangin  a  le  droit  de  parler  de 
«  l'attaque  de  toute  l'armée  saxonne  »,  car  la  III^  armée  von  Hausen 
a  effectivement  tenté  de  franchir  la  Meuse  le  23  août  et  de  tourner 
la  V^  armée.  Et  le  général  Lanrezac  a  le  droit  de  ne  parler  que 
«  d'un  parti  allemand  moins  fort  qu'on  ne  l'avait  cru  »,  car  —  ce  que 
le  général  Mangin  omet  d'ajouter  —  la  III^  armée  a  échoué  presque 
partout  dans  sa  tentative  ;  seules  des  fractions  de  la  24^  division 
active  ennemie  ont  réussi  à  forcer  le  passage  de  la  Meuse  au  gué 
d'Hastières  et  à  prendre  pied  sur  le  plateau  d'Onhaye.  Il  est  vraisem- 
blable de  croire  avec  le  général  Lanrezac  —  en  attendant  la  publi- 
cation des  ordres  ou  d'autres  témoignages  —  que  ce  n'est  pas  2  ba- 
taillons actifs,  mais  «  le  gros  de  la  division  Deligny  »  qui  a  été  chargé 
de  parer  à  une  menace  aussi  grave;  et  il  est  non  moins  vraisemblable 
de  croire  avec  le  général  Mangin  que  c'est  à  la  tête  de  2  bataillons 
seulement  qu'il  a  repris  Onhaye  (i).  Le  général  Lanrezac  ne  parle  pas, 
il  est  vrai,  de  cette  reprise  «  de  haute  lutte  »  ;  le  parti  allemand  s'est 
dérobé,  dit-il,  pendant  la  nuit;  mais  rien  n'empêche  de  supposer  qu'il 
s'est  dérobé  après  avoir  perdu  Onhaye.  Jean  de  Pierrefeu  aurait  pu 
consulter  à  ce  sujet  un  autre  témoignage  qui  a  été  publié,  celui  du 
commandant  Boudhors  :  envoyé  en  renfort  avec  le  5^  bataillon  du 
2016  régiment  d'infanterie,  cet  officier  raconte  qu'il  rejoignit  Mangin 
à  Onhaye,  en  fin  de  journée,  «  au  milieu  des  maisons  enflammées 
qui  s'écroulaient  et  alors  que  les  balles  piquaient  le  sol  tout  autour 
de  nous  (2)  ».  Onhaye  avait  donc  été  repris  avant  la  nuit,  et  repris  de 
vive  force  (3).  Et  la  morale  de  cette  histoire  est  qu'il  n'y  aurait  pas  d'his- 
toire possible  si  l'on  devait  s'arrêter  à  la  moindre  contradiction  appa- 
rente des  textes  :  il  faut  ou  résoudre  cette  contradiction  par  un  exa- 
men attentif  et  critique,  ou  se  reporter  à  d'autres  textes. 

Tous  les  autres  événements  de  la  guerre  sont  étudiés  dans  le  même 
esprit;  les  chapitres  qui  s'y  rapportent  ont  donc,  à  notre  avis,  les 
mêmes  qualités  et  les  mêmes  défauts.  Et  comme  les  quahtés  sont 
infiniment  plus  sympathiques  que  les  défauts  ne  sont  répréhensibles, 
il  serait  de  mauvais  goût  d'insister.  Il  faut  louer  au  contraire  Jean 
de  Pierrefeu  d'avoir  osé  projeter  quelque  lumière  sur  cette  périodedou- 

(1)  Le  rédacteur  du  Service  historique  dit:  2  bataillons  de  la  8*  brigade 
et  3  bataillons  de  la  5i*  D.  R.  [Les  Armées  françaises  pendant  la  Grande 
Guerre,  tome  1,  p.  472). 

(2)  GiNiSTY  et  Gagneur,  Histoire  de  la  guerre  par  les  combattants, 
I,  p.  144. 

(3)  A  19  h.  3o,  à  la  baïonnette,  d'après  le  récit  du  Service  historique;  le 
fait  ne  paraît  pas  contestable. 


174  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

loureuse  de  la  guerre  de  tranchées,  dont  les  historiographes  préfèrent 
ne  pas  parler,  sauf  quand  ils  arrivent  à  «  l'année  de  Verdun  »;  mais 
1915  les  gêne;  1915  c'est  «  le  jeu  cruel  du  grignotage  »  et  le  plus  lamen- 
table gaspillage  de  sang  français;  aussi  1915  compte-t-il  à  peine  dans 
les  histoires  officielles.  Parti  en  guerre  contre  les  historiographes, 
que  Jean  de  Pierrefeu  ne  s'est-il  consacré  exclusivement  à  l'étude  de 
cette  période  sacrifiée,  et  marquée  de  tant  de  sacrifices  !  Son  livre  y 
eût  perdu  peut-être  en  surface,  il  y  eût  gagné  en  profondeur,  et  le 
but  visé  par  l'auteur  eût  été  pleinement  atteint  :  d'une  part,  «  arra- 
cher à  la  légende  quelques  faits  vrais  dont  nous  tirerons  pour  l'avenir 
d'utiles  leçons  »,  d'autre  part,  empêcher  «  que  l'amnistie  de  la  gloire 
ne  fasse  sortir  de  l'ombre,  plus  audacieux  que  jamais,  les  coupables 
de  nos  défaites  ». 

Jules  Isaac. 


Un  'Livre  Noir.  —  Diplomatie  d'avant-guerre,  d'après  les  documents 
des  archives  russes.  Tome  II.  Paris,  librairie  du  Travail,  1923, 
in-8,  591  pages. 

Les  nouveaux  documents  publiés  par  M.  René  Marchand  concer- 
nent avant  tout,  comme  les  précédents,  les  relations  franco-russes  : 
ce  sont  les  lettres  et  les  télégrammes  adressés  au  gouvernement  de 
Pétersbourg  par  son  ambassadeur  à  Paris  qui  forment  le  centre  de 
l'ouvrage.  Aux  dépêches  expédiées  entre  le  i^r  janvier  19 13  et  le 
5  août  1914,  l'éditeur  a  joint,  en  appendice,  plus  de  150  pièces,  em- 
pruntées à  la  même  source,  pour  les  années  1911  et  1912  :  celles-ci 
auraient  dû,  dit-il,  être  insérées  dans  le  tome  I^',  si  elles  avaient  pu 
être  traduites  en  temps  utile.  Et  comme  le  même  volume  comprend 
aussi  des  rapports  rédigés,  à  l'usage  du  Tsar,  parle  ministre  des  Affaires 
étrangères  Sazonoff,  le  président  du  Conseil  Kokovtsefî,  le  vice- 
directeur  de  la  Chancellerie  Basily;  comme  il  reproduit  les  protocoles 
des  Conférences  militaires  franco-russes  en  1911-1913;  comme  il 
donne  enfin,  çà  et  là,  quelques  télégrammes  émanant  de  M.  Sazonofî, 
de  M.  BenckendorfiE,  ambassadeur  russe  à  Londres,  dont  les  uns 
se  trouvent  insérés  dans  l'ensemble  de  la  correspondance  d'Isvolsky, 
tandis  que  les  autres  en  sont  distincts,  —  les  recherches  n'y  seront 
pas  plus  faciles  que  la  lecture  n'en  est  aisée.  Ajoutez  à  cela  le  grand 
nombre  des  addenda  et  des  corrections  :  voilà  pour  la  présentation 
matérielle. 

La  présentation  «  technique  »  n'est  pas  plus  satisfaisante.  L'édi- 
teur ne  veut  masquer  ni  omissions  ni  lacunes,  af&rme-t-il;  mais  il 
n'explique  pas  pourquoi  il  a  recueilli,  par  exemple,  quelques  pièces 
isolées,  parmi  toutes  celles  qu'ont  pu  signer  Sazonoff  ouBenckendorfi; 
et  il  laisse  à  penser  que  ce  choix  a  été  tout  à  fait  arbitraire.  Il  s'efforce 
de  donner,  dit-il,  toutes  les  «  indications  précises  »;  et  il  n'a  pas  songé 
à  mentionner  l'heure  de  départ  ou  de  réception  des  télégrammes,  qui 
a,  au  moins  pour  les  événements  de  juillet  1914,  une  si  grande  impor- 
tance. Il  n'a  pas  renoncé  enfin  au  procédé  un  peu  puéril  qui  consiste  à 
imprimer  en  gros  caractères  les  passages  «  particulièrement  impor- 


BIBLIOGRAPHIE  I75 

tants  »,  en  découpant  ainsi,  dans  le  document,  une  phrase,  dont  la 
suite  du  développement  vient  bien  souvent  corriger  le  sens.  Ce  sont 
des  erreurs  et  des  insuffisances  qui  rebutent  tout  lecteur  averti, 

A  vrai  dire,  l'origine  de  ces  défauts  s'explique  par  les  conditions 
mêmes  du  travail. L'éditeur  du  Livre  Noirn'a,  pas  toujours  eu  sous  les 
yeux  les  pièces  elles-mêmes  :  bien  souvent,  il  ne  les  connaît  qu'indi- 
rectement, —  c'est  lui-même  qui  le  déclare  — ;  il  utilise  la  publication 
faite  par  le  gouvernement  des  Soviets  en  1922  (i),  et  le  gros  recueil 
de  von  Siebert.  Parmi  les  textes  qu'il  présente  au  public  français,  les 
historiens  en  connaissaient,  ou  pouvaient  déjà  connaître  la  majeure 
partie.  Et  c'est  pour  cela  sans  doute  que  l'apparition  de  ce  nouveau 
volume  n'a  provoqué  ni  grande  curiosité,  ni  vive  polémique. 

Parmi  les  pièces  qui  retiendront  l'attention,  il  faut  citer  d'abord 
les  rapports  du  président  du  Conseil  Kokovtseff  à  la  suite  de  son 
voyage  à  Paris,  Berlin  et  Rome  pendant  l'automne  de  1913;  la  longue 
lettre  d'Isvolsky  à  Sazonoff,  du  14  août  1913,  qui  donne  des  vues  inté- 
ressantes sur  les  conséquences  européennes  de  la  deuxième  guerre 
balkanique,  la  note  où  le  ministre  des  Affaires  étrangères  russe  résume 
les  entretiens  qu'il  a  eus  avec  M.  Poincaré  en  août  1912,  à  Péters- 
bourg.  En  ce  qui  concerne  les  origines  immédiates  de  la  guerre,  outre 
les  documents  que  la  propagande  allemande  avait  déjà  réunis  et 
répandus  largement  l'an  dernier,  sous  le  titre  Les  Falsifications  du 
Livre  Orange  russe,  le  Livre  Noir  donne  deux  pièces  au  moins  qui 
n'avaient  pas  été,  croyons-nous,  signalées  jusqu'ici.  L'une  est  une 
fort  intéressante  appréciation  que  porte  l'ambassadeur  russe  à 
Londres,  le  26  juillet  1914,  sur  l'opinion  publique  anglaise  et  sur 
l'attitude  de  sir  Edward  Grey.  L'Angleterre,  dit-il,  «  n'est  pas  encore 
assez  réveillée  ».  C'est  une  opinion  qui  répond  tout  à  fait  à  celle  de 
M.  Paul  Cambon.  L'autre  est  une  lettre  de  l'empereur  Nicolas  à 
Sazonoff,  le  27  juillet,  où  apparaît  pour  la  première  fois  l'idée  d'un 
recours  au  tribunal  de  la  Haye.  «  En  moi,  dit  le  Tsar,  l'espoir 
de  la  paix  n'est  toujours  pas  éteint.  » 

L'impression  générale  que  laisse  l'ensemble  de  ce  volume  ne  modi- 
fiera pas  sensiblement  les  jugements  que  l'on  avait  déjà  pu  porter 
sur  les  relations  franco-russes  au  cours  de  la  crise  de  1912-1913. 
Certes  l'examen  de  la  correspondance  d'Isvolsky  montre  que  le  récent 
Livre  Jaune  sur  les  affaires  balkaniques  n'a  pas  publié  tous  les  docu- 
ments de  nos  archives  :  mais  la  simple  lecture  du  recueil  officiel  fran- 
çais permettait  déjà  de  s'en  rendre  compte.  Certes,  l'ensemble  des 
documents  prouve  que  le  gouvernement  du  tsar  s'est  senti,  à  partir 
de  1912,  beaucoup  plus  sûr  de  la  France  qu'il  ne  l'était  auparavant; 
mais  par  ailleurs,  —  et  c'est  le  point  capital,  —  les  intentions  pa- 
cifiques du  gouvernement  français,  la  volonté  de  ne  pas  laisser  la 
Russie  entreprendre  une  action  isolée  qui  risquait  d'amener  des 
complications  européennes,  le  désir,  tout  en  ménageant  l'alliance, 
et  tout  en  cherchant  à  la  renforcer  par  la  conclusion  d'une  con- 
vention navale  anglo-russe,  de  ne  pas  se  laisser  entraîner   dans  une 

(1)  Matériaux  pour  servir  à  l'histoire  des  relations  franco-russes  :  igio- 
1914,  Moscou,  1922,  in-8,  733  p.  (en  russe). 


176  HISTOIRE   DE  LA   GUERRE 

aventure,  s'affirment  à  plusieurs  reprises,  aussi  bien  dans  la  corres- 
pondance d'Isvolsky  que  dans  les  rapports  de  Sazonoff  et  de  Kokovt- 
sefî.  Il  importe  peu  dès  lors  que  Benckendorff  ait  éprouvé,  en 
février  191 3,  à  Londres  une  «  impression  »  différente. 

D'ailleurs,  un  lecteur  que  préoccuperait  surtout  le  point  de  vue 
politique  pourrait  faire  une  expérience  suggestive  ;  puisque  M.  René 
Marchand  met  en  vedette  les  passages  qu'il  juge  accablants  pour  un 
régime  ou  un  gouvernement,  il  serait  possible  de  lire  d'abord  un  à  un 
ces  fragments,  en  feuilletant  l'ouvrage.  Et  l'on  aurait  bien  du  m.al  à 
partager  toute  l'indignation  de  l'éditeur. 

Pierre  Renouvin. 


The  Path  to  Peace  (Le  sentier  de  la  paix),  by  the  author  of   The 
Pomp  of  Power.  London,  Hutchinson,  s.  d.,  in-8,  416  pages. 

M.  Laurance  Lyon,  l'auteur  «  anonyme  »  de  The  Pomp  of  Power^ 
après  avoir  étudié  dans  ce  livre  les  petites  intrigues  et  les  dessous  de 
la  guerre  mondiale,  a  réuni  sous  le  titre  The  Path  to  Peace  une  série 
de  chapitres  assez  disparates  et  d'une  valeur  très  inégale  consacrés 
à  l'étude  hâtive  de  certains  problèmes  de  guerre  (entre  autres  celui 
des  rapports  entre  les  pouvoirs  civils  et  l'état-major  en  Angleterre 
et  en  Allemagne)  et  de  questions  européennes  d'après-guerre. 

M.  L.  Lyon,  ancien  membre  du  Parlement,  semble  être  le  type  du 
c  monsieur  bien  informé  »,  ou  tient  à  le  paraître.  Il  a  connu  personnel- 
lement ou  approché  la  plupart  des  hommes  d'État  d'Europe,  surtout 
les  français,  et  s'attarde  à  en  faire  des  portraits  parfois  amusants. 
Le  malheur  est  qu'envieux,  peut-être,  du  succès  obtenu  par  le  colonel 
Repington  et  soucieux  de  montrer  que  lui  aussi  dîne  avec  d'importants 
personnages,  il  cède  à  la  tentation  de  confier  au  lecteur  d'inutiles 
fragments  d'un  journal  plein  d'informations  d'un  intérêt  souvent  pé- 
rimé. Qu'il  nous  apprenne  qu'en  mai  1920,  M.  Painlevé  a  brigué  la 
succession  éventuelle  de  M.  Cambon  à  l'ambassade  de  Londres  et  fait 
sonder  dans  cette  intention  les  milieux  politiques  anglais,  passe 
encore;  mais  peu  nous  importe  que  M.  Caillaux  achète  ses  gâteaux 
lui-même  chez  le  pâtissier,  ce  que  ne  fait  aucun  ex-premier  ministre 
anglais,  et  que  M.  Joseph  Reinach  professe  une  grande  admiration 
pour  Gambetta. 

Cette  réserve  faite,  The  Path  to  Peace  contient  heureusement  des 
chapitres  plus  substantiels  dans  lesquels  l'auteur  développe  une 
critique  sévère  de  la  tortueuse  politique  opportuniste  de  Lloyd  George 
«  Prince  des  Amateurs  »  et,  ce  qui  est  plus  original  et  plus  rare  dans 
les  livres  édités  en  Angleterre,  la  conviction  qu'une  étroite  alliance 
franco-anglaise  est  indispensable  au  salut  de  la  Grande-Bretagne. 

Le  chapitre  intitulé  a  Lloyd  George  and  Haig  »  confirme  les  asser- 
tions du  général  sir  Frederick  Maurice  (Intrigues  of  the  war).  Nous 
y  voyons  les  manœuvres  de  Lloyd  George  contre  sir  Douglas  Haig, 
dans  les  talents  militaires  duquel  il  n'a  aucune  confiance. 

Le  Premier  n'est  pas  homme  à  affronter  l'opinion  publique  et  le  Par- 
lement pour  faire  écarter  un  général  qu'il  juge  au-dessous  de  sa  tâche. 


BIBLIOGRAPHIE  177 

Après  le  succès  des  offensives  partielles  du  général  Pétain  en  191 7,  il 
fait  demander  à  celui-ci  de  venir  à  Londres  exposer  dans  une  conférence 
interalliée  et  devant  sir  Douglas  Haig  sa  méthode  de  guerre.  L'exposé 
de  Pétain  aidera  à  démontrer  au  War  Cabinet  l'insuffisance  du  gé- 
néral anglais  resté  partisan  de  la  guerre  d'usure.  Mais  Haig  se  dérobe 
à  l'invitation,  et  Pétain,  qui  est  passé  par  Montreuil  avant  d'arriver 
à  Londres,  se  refuse  à  toute  critique  qui  puisse  desservir  son  compa- 
gnon d'armes.  Lloyd  George  insiste  cependant.  Le  colonel  Duffieux, 
chef  du  bureau  des  opérations  au  G.  Q.  G.  français,  est  à  son  tour 
invité  à  venir  développer  la  méthode  du  commandement  français. 
Même  insuccès.  Lloyd  George,  ce  qui  est  plus  grave,  reste  sourd  aux 
demandes  de  renforts    de    Haig,    dont    l'effectif    est  en    déficit  de 
200.000  hommes,  alors  que  l'Angleterre  regorge  de  troupes  immédia- 
tement utilisables,   et  porte  ainsi  sa  lourde  part  de  responsabilité 
dans  la  défaite  de  Saint-Quentin,   qui,   solution  paradoxale,  sauve 
Haig  en  le  subordonnant  au  maréchal  Foch,  commandant  suprême. 
Lloyd  George  n'en  reste  pas  moins  l'homme  qui  a  gagné  la  guerre; 
réélu,  il  règne  en  dictateur,  empiétant  à  la  fois  sur  les  prérogatives 
de  la  Couronne  (affaire  des  honneurs)  et  sur  les  droits  du  Parlement. 
Il  ignore  la  responsabilité  collective  du  cabinet,  relègue  délibérément 
à  l'écart  certains  ministres,  lord  Curzon  entre  autres,  et  accroît  déme- 
surément le  personnel  et  les  fonctions  du  Secrétariat,  organe  irres- 
ponsable puisqu'il  échappe  au  contrôle  du  Parlement.  Tout-puissant, 
il  pouvait  présider  à  la  reconstruction  de  l'Europe;  mais  la  politique 
du  gouvernement  anglais  a  varié  plus  de  vingt  fois  sous  la  conduite 
capricieuse  d'un  seul  homme,  alors  que  celle  de  la  France  est  restée 
constante  sous  cinq  ministères  différents.  L'Allemagne  seule  a  béné- 
ficié de  cette  confusion  et  des  incidents  que  le  Premier  anglais  a 
suscités  à  plaisir  dans  les  conférences.  M.  Lyon  raconte  complaisam- 
ment  de  quelle  façon,  à  Gênes,  une  des  manœuvres  de  Lloj^d  George 
tourna  à  sa  confusion,   et  comment  le  récit  d'une   interview  destinée 
à  émouvoir  les  lecteurs  du  Petit  Parisien  atteignit  ceux  du  Times, 
au  grand  mécontentement  du  ministre  anglais. 

Le  moindre  défaut  de  cette  politique  a  été  de  compromettre  la 
reconstruction  de  l'Europe  et  d'amener  un  relâchement  de  l'Entente. 
Or,  l'Angleterre  ne  peut  se  désintéresser  d'un  conflit  toujours  pos- 
sible en  Europe.  Les  perfectionnements  des  armements  ont  détruit 
les  avantages  que  son  insularité  donnait  à  la  Grande-Bretagne; 
la  frontière  anglaise  se  confond  désormais  avec  celle  de  la  France  du 
Nord.  Devant  une  Allemagne  toujours  dangereuse  et  qui  sera  de  plus 
en  plus  tentée,  par  la  disproportion  entre  le  chiffre  de  sa  population 
et  celui  de  la  France,  de  faire  naître  une  guerre,  l'intérêt  bien  entendu 
de  la  Grande-Bretagne  est  de  soutenir  son  ancienne  alliée. 

En  quoi  les  prétentions  de  la  France  sont  fondées  en  matière  de 
réparations,  quoi  qu'en  disent  les  «  oracles  du  Manchester  Guardian  », 
et  comment  la  mauvaise  volonté  de  l'Allemagne  justifie  la  politique 
du  gouvernement  français,  l'auteur  s'efforce  de  l'établir  dans  les  cha- 
pitres :  «  Réparations  »,  «  Germany  »,  «  the  Ruhr  ».  Il  regrette  de  ne 
pas  voir  les  troupes  anglaises  à  côté  des  belges  et  des  françaises  dans 
la  Ruhr.  La  neutralité  bienveillante  de  M.  Bonar  Law  est  un  progrès 

12 


178  HISTOIRE    DE   LA   GUERRE 

sur  la  politique  d'opposition,  dangereuse  parce  qu'inavouée,  de  Lloyd 
George  contre  la  France;  mais  que  l'Angleterre  se  garde  de  devenir 
une  simple  spectatrice  à  la  façon  des  États-Unis,  elle  n'a  même 
pas  la  mauvaise  excuse  qu'ont  ceux-ci  d'invoquer  la  distance  à  l'appui 
de  leur  indifférence. 

Ces  idées,  malheureusement,  sont  éparses  dans  des  chapitres  diffus, 
semés  d'anecdotes,  de  souvenirs,  entrecoupés  de  longues  digressions, 
où  la  bonne  volonté  du  lecteur  est  soumise  à  de  rudes  épreuves.  Celle 
de  l'auteur  est  infatigable,  bien  que  la  diversité  des  questions  qu'il 
aborde  et  la  complexité  de  chacune  d'elles  lui  interdisent  d'établir 
solidement  les  considérations  générales  qu'il  se  plaît  à  énoncer. 

Mais  pourquoi  M.  Lyon  néglige-t-il  si  souvent  de  citer  ses  sources, 
et  surtout  (par  excès  de  modestie  ou  de  prudence?)  de  citer  son  nom 
en  tête  de  l'ouvrage? 

F.  Debyser. 

Ray  Stannard  Baker.  —  Woodrow  Wilson  and  World  Seulement 
(V\"ilson  et  le  règlement  mondial).  New- York,  Page  and  C°,  1922, 
3  vol.  in-8. 

La  contribution  américaine  à  l'histoire  de  la  paix,  si  importante 
déjà  —  elle  va  des  ouvrages  de  Lansing  et  Baruch  à  ces  différents 
exposés  des  délégués  américains  recueillis  dans  le  volume  intitulé  : 
Ce  qui  réellement  se  passa  à  Paris  (i)...  —  s'est  enrichie  d'une  œuvre 
nouvelle,  qui,  par  l'ampleur  de  son  sujet  et  sa  riche  documentation,  se 
hausse  au  premier  plan.  C'est  une  étude  de  la  politique  américaine 
et  une  histoire  de  la  Conférence  à  la  fois  que  nous  apporte  M.  Baker, 
d'après  les  papiers  personnels  du  président  Wilson  et  les  pièces  offi- 
cielles de  la  Conférence,  procès-verbaux  des  Conseils  des  Dix,  des 
Quatre,  ainsi  que  des  différentes  commissions.  La  reproduction 
d'une  importante  série  de  documents  clôt  ce  remarquable  ouvrage, 
à  la  fois  exposé  historique  et  témoignage  direct.  Chef  du  bureau  de 
presse  à  la  délégation  américaine,  attaché  ensuite  au  Conseil  suprême 
économique,  l'auteur  a  suivi  de  près  les  négociations,  il  en  a  respiré 
l'atmosphère,  et  c'est  avec  une  passion  qui  parfois  se  contient  mal 
qu'il  en  retrace  aujourd'hui  le  cours. 

Après  avoir,  par  son  intervention,  décidé  du  sort  de  la  guerre,  le 
gouvernement  américain  s'est  efforcé  de  déterminer  les  conditions 
de  la  paix  :  véritable  arbitre,  le  président  Wilson  a  enregistré,  le 
6  octobre  et  le  4  novembre,  l'adhésion  successive  de  l'Allemagne 
et  des  Alliés  au  programme  des  Quatorze  Points.  Mais  vague  et  im- 
précis, ce  dernier  n'offrait  en  général  aucune  base  nettement  définie 
de  négociation,  et  l'histoire  de  la  Conférence  est  celle  des  larges  diver- 
gences de  vues  qui  se  manifestèrent  entre  la  politique  américaine 
et  les  politiques  alliées,  —  en  particulier  celle  de  la  France. 

Par  son  attitude  au  sujet  des  garanties  nécessaires  à  sa  sécurité 
et  des  réparations  à  obtenir  de  l'Allemagne,  la  politique  française 
a   soulevé   l'opposition    américaine.    A   quel   point   la   soulève-t-elle 

(i)  Dont  une  traduction  française  vient  de  paraître. 


BIBLIOGRAPHIE  I79 

encore,  nous  le  voyons  aux  termes  vifs  de  M.  Baker.  Il  dénonce  «  l'hys- 
térie de  la  peur  française  »,  à  laquelle  «  la  sûreté  et  le  progrès  du  monde 
entier  »  ne  peuvent  être  sacrifiés.  Il  se  félicite  de  ce  que  le  programme 
économique  de  la  France  a  été  rejeté;  car  il  aurait  ruiné  le  monde 
en  l'entraînant  vers  la  «  régression  économique  et  la  banqueroute  de 
notre  système  de  civilisation  ». 

En  1919,  le  président  Wilson  repousse  l'idée  de  neutralisation  des 
pays  rhénans  :  l'occupation  militaire  limitée  à  quinze  années  et  le 
projet  d'un  pacte  de  garantie,  voilà  la  conclusion  du  débat.  En  ce  qui 
concerne  les  réparations,  la  France  accepte  de  limiter  ses  demandes 
à  l'indemnisation  des  dommages  et  au  paiement  des  pensions,  mais 
ne  peut  consentir  à  la  fixation  prématurée  d'un  forfait,  proposée  par 
la  délégation  américaine;  celle-ci  d'ailleurs  se  gardait  de  l'imposer, 
ce  qui  eût  impliqué  de  sa  part  la  concession  réciproque  d'un  règlement 
à  l'amiable  des  dettes  interalliées. 

S'il  a  rencontré  la  résistance  française,  le  programme  wilsonien 
a,  par  ailleurs,  trouvé  l'appui  de  la  politique  anglaise,  et  cet  appui 
ne  lui  a  fait  défaut  que  dans  le  règlement  des  réparations,  où  la  France 
et  l'Angleterre  étaient  unies  dans  un  accord  sans  lendemain.  Aucun 
obstacle  grave  au  rapprochement  anglo-américain,  qui  ne  tardera 
pas  à  se  réaliser  sous  la  forme  d'une  rivalité  amicale;  la  Conférence 
de  Washington  et  les  accords  du  Pacifique  sont  déjà  en  germe  dans 
le  mémoire  de  l'amiral  Benson,  qui  en  191g  revendique  pour  les 
États-Unis  l'égalité  navale  avec  la  plus  forte  puissance  maritime. 
Pendant  les  négociations  de  la  paix,  la  politique  anglaise  soutient 
constamment  les  thèses  de  la  délégation  américaine,  quand  elle 
n'en  outre  pas  la  tendance  :  même  résistance  à  l'occupation  des  pays 
rhénans,  au  régime  spécial  de  la  Sarre...  Les  États-Unis  et  l'Angle- 
terre ont  la  même  conception  de  la  Société  des  Nations,  «  instrument, 
écrit  Baker,  pour  maintenir  le  bon  ordre  dans  la  politique  internatio- 
nale, pendant  que  les  bateaux  navigueraient  et  que  les  marchands 
feraient  leurs  affaires  ».  Leurs  vues  économiques  générales  sont  com- 
munes: c'est  le  même  libéralisme  économique  au  service  de  rêves  d'ex- 
pansion. L'Angleterre  a  cependant  un  sens  aigu  des  conditions  difiS- 
ciles  où  se  trouve  le  continent  pour  relever  les  ruines  de  la  guerre  :  d'où 
une  politique  de  reconstruction  européenne  qui,  en  1920,  après  l'iso- 
lement volontaire  des  États-Unis,  fera  succéder  à  l'arbitrage  améri- 
cain l'essai  d'un  arbitrage  anglais,  —  ce  dernier  s'efîorçant  de  jouer 
dans  l'application  du  traité,  comme  le  premier  avait  joué  dans  son 
élaboration . 

Germain  Calmette. 

LES  REVUES  DU  TRIMESTRE 

Le  no  I  de  la  revue,  pp.  83-84,  a  donné  la  liste  des  périodiques 
dépouillés  régulièrement  (i).  Cette  liste  doit  être  modifiée  ainsi  qu'il 
suit; 

(1)  Voici  l'indication  des  périodiques  qui,  sans  figurer  sur  la  liste  des 
dépouillements  réguliers,  sont  représentés  dans  ce  numéro  par  un  ou  plu- 


l8o  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Supprimer.  —  Bulletin  de  la  Société  d'Etudes  documentaires  et 
critiques  et  Merkblâtter  ziir  Schùldfrage,  dont  la  pub'icatioa  a  cessé. 

Ajouter.  —  Revue  de  cavalerie,  Revue  des  Troupes  coloniales,  Revue 
d'Infanterie,  Revue  maritime,  ainsi  que  Quaterly  Review.  [N,  D.  L.  R.]. 

Les  origines  de  !a  guerre. 

Bazergue  (Albert).  —  Guillaume  II  mémorialiste  et  historien.  — 
Rev.  pol.  et  pari.,  lo  avril  1923,  pp.  49-103. 

Fischer  (Eugen).  —  Der  Sinn  der  russisch-franzôsischen  Militàr- 
konvention.  —  Preuss.  Jahrb.,  avril  1923,  pp.  65-98. 

Rendu  VIN  (Pierre).  — A  propos  des  origines  de  la  guerre.  La  mobi- 
lisation russe.  —  Cahiers  Droits  de  l'Homme,  10  mai  1923,  pp.  195-199. 

Wegerer  (Alfred  v.).  —  Ruhreinbruch  und  Kriegsschuldfrage.  — 
Deut.  Rund.,  avril  1923,  pp.  15-19. 

Wegerer  (Alfred  v.).  —  Das  Extrablatt  der  «  Lokal-Anzeiger  ». 
Eine  Antwort  auf  Eduard  Bernsteins  Artikel  in  no  40  d.  «  Glocke  ». 
—  Glocke,  30  avril  1923,  pp.  115-119. 

ZuGARO  (Fulvio).  —  Le  Egemonie  militari  in  Europa  avanti  e 
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Les  opérations  militaires  :  Généralités. 

Aston  (George).  —  Haig  and  Foch.  —  Quart.  Rev.,  avril  1923, 
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Gémeau  (Lieutenant-Colonel).  —  Les  «  tanks  »  dans  l'armée  bri- 
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Henry  (Colonel).  —  De  l'organisation  du  terrain.  Évolution  pen- 
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Lecomte  (Colonel).  —  La  stratégie  de  LudendorfE  (fin).  —  Rev. 
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de  Paris.  —  Corresp.,  10  avril  1923,  pp.  1-29. 

sieurs  articles:  Annales  de  Géographie,  Correspondance  d'Orient,  Econo- 
mie Nouvelle,  Economiste  français,  Economiste  européen.  Grande  Revue, 
Nation  and  Athenœum,  Opinion,  Orient  et  Occident,  Paix  par  le  Droit, 
Revue  de  l'Intendance  militaire.  A  l'avenir,  chaque  numéro  contiendra  une 
liste  semblable  à  celle-ci.  [N.  D.  L.  R.] 


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l82  HISTOIRE   DE   LA.  GUERRE 

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Rev,  D.  Mondes,  15  avril  1923,  pp.  792-823. 

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avril  1923,  pp.  409-415. 

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et  mai  1923,  pp.  279-291,  358-373. 

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France  et  de  l'Afrique  du  Nord  pendant  la  guerre  1914-1918.  —  Rev. 
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KuHN  (Joachim).  —  Die  Franzôsische  Presse  der  Gegenwart.  — 
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France,  15  mai  1923,  pp.  354-367. 

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259-260,   291-292. 


184  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

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Syrie.  —  Corresp.  d'Orient,  mars  1923,  pp.  129-134. 

(i)  Le  texte  de  la  concession  Chester  a  été  donné  par  ['Europe  Nouvelle 
du  la  mai  igaS,  p.  59g. 


CHRONIQUE 


Les  faits  et  les  controverses  (i).  —  Il  serait  vain  de  prétendre, 
dès  maintenant,  au  calme  et  à  la  sérénité  :  les  moindres  faits  de  l'his- 
toire de  la  guerre  provoquent  des  polémiques  souvent  très  vives. 
Sans  ignorer  toute  la  part  que  l'intérêt  personnel  ou  la  passion  poli- 
tique ne  manquent  pas  d'y  apporter,  il  ne  faut  pas  oublier  qu'elles 
sont  souvent  la  seule  occasion  des  progrès  de  nos  connaissances. 
Pour  pénibles  qu'elles  soient  parfois,  elles  sont  utiles,  et  même  néces- 
saires, à  l'histoirien. 

I.  —  Les  travaux  du  Service  historique  de  l'armée  viennent  de  pro- 
voquer une  de  ces  controverses.  Dans  un  article  de  la,  Dépêche  de  Tou- 
louse, du  12  mai  1923,  le  collaborateur  militaire  de  ce  journal  a  ratonté 
que  l'Imprimerie  nationale  avait  achevé,  dès  le  mois  de  mars  dernier, 
l'impression  du  premier  volume  de  la  collection  les  Armées  françaises 
dans  la  Grande  Guerre,  établie  par  les  soins  du  Service  historique 
de  l'armée.  Mais,  dit  la  Dépêche,  la  distribution  de  ce  volume  a  été 
interdite  par  le  ministre  de  la  Guerre  (2).  Le  journal  suggérait,  en 
outre,  que  l'influence  du  général  de  Castelnau  n'aurait  pas  été  étran- 
gère à  cette  décision,  pour  des  raisons  toutes  personnelles.  Le  prési- 
dent de  la  Commission  de  l'armée  a  répondu,  dans  une  interview 
publiée  par  la  Libre  Parole  du  17  mai  :  il  juge  en  effet  cette  publica- 
tion fort  «  inopportune  »  ;  il  ne  l'a  pas  caché  au  roinistre  de  la  Guerre, 
mais  ce  sont  des  motifs  «  d'ordre  psychologique  »  qui  l'ont,  dit-il; 
déterminé  à  donner  cette  appréciation...  «  Le  lecteur  de  ce  volume 
resterait  sous  la  pénible  impression  de  l'efiEondrement  de  notre  dé- 
fense, impression  qui  ne  persisterait  point  s'il  pouvait  lire,  immédia- 
tement après,  le  volume  où  l'on  verra  le  rétablissement  de  nos  armées 
sur  la  Marne  »  :  voilà  pourquoi  il  importe  de  «  différer  »  la  publication. 
Mais  le  général  ajoute  qu'un  historique  fidèle  de  la  guerre  lui  paraît 
une  «  illusion  ». 

II.  —  L'ancien  chef  de  l'état-major  italien,  bien  qu'il  «  déplore  »  aussi 
toute  controverse,  n'hésite  pas  à  réveiller  une  vieille  querelle.  Le 
général  Cadorna  a  publié,  dans  la  Rassegna  italianadu  i^^mai  1923,  un 
long  article;  il  veut  répondre  «  à  la  légende  créée  en  France  et  répan- 

(i)  Sous  ce  titre,  la  revue  publiera  dans  chacun  de  ses  numéros  une 
chronique  strictement  impartiale,  qui  permettra  de  suivre  les  principales 
discussions  relatives  aux  événements  de  la  guerre  et  d'appeler  l'attention 
sur  certains  témoignages  et  documents  nouveaux,  sans  en  faire  l'objet  d'au- 
cun commentaire. 

(2)  Le  dépôt  légal  en  a  été  pourtant  eflectué. 


CHRONIQUE  187 

due  à  l'étranger  par  la  propagande  française,  légende  qui  consiste 
à  dire  que  l'organisation  et  la  ténacité  de  la  résistance  italienne  sur 
la  Piave,  après  Caporetto,  sont  dues  à  l'intervention  personnelle 
du  maréchal  Foch  ».  Certes,  le  grand  chef  français,  dès  son  arrivée 
au  G.  Q.  G.  de  Trévise,  le  30  octobre  1917,  a  pris  des  décisions  et 
donné  des  conseils  ;  mais  ni  les  unes,  ni  les  autres  n'étaient  nécessaires  ; 
l 'état-major  italien  avait  déjà  fait  précisément  tout  ce  qui  lui  était 
ainsi  suggéré.  D'ailleurs,  il  est  inexact  de  prétendre  que  les  alliés 
avaient  prévu  l'offensive  de  Caporetto;  au  contraire,  ils  avaient  refusé 
de  croire  aux  renseignements  qui  signalaient  de  fortes  concentrations 
austro-allemandes  sur  le  front  italien,  et  invité  le  général  Cadorna 
à  leur  rendre  les  200  pièces  d'artillerie  qui  lui  avaient  été  prêtées 
peu  de  temps  auparavant.  Enfin  le  maréchal  Foch  se  serait  opposé  à 
l'entrée  en  ligne  des  troupes  françaises  sur  la  partie  du  front  choisie 
par  l'état-major  italien,  c'est-à-dire  sur  la  ligne  Ponte  di  Priula  à 
Ponte  di  Vidor;  il  aurait  préféré  engager  ses  forces  plus  au  Nord. 

Les  déclarations  du  général  Cadorna  sont  appuyées,  dans  le  Corriere 
délia  Serra  du  i^r  mai,  par  un  article  du  colonel  Angelo  Gatti,  qui 
donne  un  récit  des  conférences  de  Rapallo  (5  et  6  novembre  191 7), 
où  il  avait  accompagné  le  président  du  Conseil  Orlando.  C'est  l'état- 
major  italien,  dit-il,  qui  voulait  arrêter  la  retraite  sur  la  ligne  de  la 
Piave;  c'est  lui  seul  qui  en  a  assuré  la  défense  :  au  début  de  novembre, 
en  fait  de  renforts  alliés,  Cadorna  n'avait  encore  que  des  promesses. 

La  thèse  italienne  s'affirme  ainsi,  avec  beaucoup  de  vigueur,  en 
face  de  la  thèse  française  qu'avait  exposée  la  Revue  des  Deux  Mondes 
en  juillet  1920  (i).  La  presse  italienne  avait  accueilli  avec  empresse- 
ment les  déclarations  de  l'ancien  chef  d'état-major.  Mais  un  com- 
muniqué gouvernemental,  en  rappelant,  avec  quelque  brutalité, 
que  «  le  nom  de  cet  homme  était  lié  à  deux  désastres  »,  est  venu  couper 
court  à  la  campagne. 

m.  —  La  presse  allemande  vient  de  publier  un  document 
intéressant  pour  l'histoire  des  négociations  secrètes  ;  c'est  un  com- 
muniqué de  la  2^  Sous-Commission  de  la  Commission  d'enquête 
parlementaire,  qui  étudie  «  les  possibilités  de  paix  en  191 7  (2)  ». 
Par  l'intermédiaire  de  personnalités  belges,  le  baron  von  Lancken 
avait  reçu  avis  que  «  des  hommes  politiques  français  influents  se- 
raient disposés  à  se  rencontrer  avec  lui  ».  A  la  fin  de  l'été,  «  l'idée  d'une 
rencontre  avec  Briand  sembla  se  préciser.  On  fixa  un  entretien 
pour  le  23  septembre  en  Suisse  ».  Lancken  s'y  rendit,  mais  il  apprit 
que  M.  Briand  «  était  obligé  de  différer  son  voyage  »;  après  une  se- 
maine d'attente,  il  rentra  en  Allemagne.  «  L'affaire  fut  enterrée.  » 
Tels  sont  les  faits  que  croit  avoir  établis  la  Commission  d'enquête 

(1)  La  Jîn  d'une  légende.  La  mission  du  maréchal  Foch  en  Italie  (2g  oc. 
tobre-24  novembre  1917).  —  L'auteur  anonyme  de  cet  article  s'inscrit  en 
taux  contre  l'allégation  selon  laquelle  Foch  «aurait  déconseillé  au  Comman- 
dement en  chef  italien  la  résistance  sur  la  Piave  ».  11  cite  au  moins  un  docu- 
ment décisif  :  la  note  remise  par  Foch  et  Robertson  à  Cadorna,  le  3i  oc- 
tobre 1917. 

(2)  Dsrliner  lageblatl  du  18  mai  1923. 


l88  HISTOIRE   DE  LA   GUERRE 

allemande.  Ils  ont  été  soulignés  et  interprétés  dans  l'Action  fran- 
faise  du  20  mai. 

IV.  —  Le  24  mai,  un  article  de  la  Vossische  Zeitung  a  attiré  de 
nouveau  l'attention  sur  un  document  qui  n'était  pais  inconnu  (le 
Journal  l'avait  signalé  et  en  avait  donné  une  traduction  lors  de  la 
Conférence  de  la  paix,  sur  la  foi  d'un  journaliste  suisse)  mais  qui 
n'avait  pas  provoqué  jusqu'ici,  semble-t-il,  de  polémique  violente. 
C'est  un  télégramme  du  chargé  d'afiaires  bavarois  auprès  du  Saint- 
Siège,  Ritter.  Le  26  juillet  1914,  ce  diplomate  écrivait  à  son  gouver- 
nement : 

«  Le  Pape  approuve  une  attitude  rigoureuse  de  l' Autriche-Hongrie 
à  l'égard  de  la  Serbie.  Le  cardinal  secrétaire  d'État  espère  que,  cette 
fois,  r Autriche-Hongrie  tiendra  le  coup  (standhalten) .  Il  se  demande 
quand  elle  pourrait  donc  faire  la  guerre,  si  elle  n'est  pas  décidée 
une  bonne  fois  à  couper  court  à  un  mouvement,  venu  de  l'étranger, 
qui  a  provoqué  le  meurtre  de  l'archiduc,  et  qui  constitue  une  menace, 
au  point  de  vue  de  la  situation  actuelle  de  l'Empire,  pour  sa  durée 
même.  Dans  ses  déclarations,  se  découvre  la  crainte  qu'éprouve  la 
Curie  romaine  à  l'égard  du  panslavisme.  » 

A  Rome,  la  publication  de  ce  document  aurait  produit  quelque 
émotion.  D'après  un  nouvel  article  de  la  Vossische,  du  28  mai,  Ritter 
aurait  été  appelé  à  fournir  des  explications.  Dans  la  presse  italienne, 
on  insinuait  que  les  déclarations  reproduites  par  le  chargé  d'affaires 
étaient  l'expression  d'un  sentiment  personnel  du  cardinal  Merry  del 
Val,  et  que  Pie  X  y  aurait  été  tout  à  fait  étranger. 

La  ((  documentation  de  guerre  »  en  Belgique.  —  Le  Congrès 
international  des  Sciences  historiques  à  Bruxelles,  que  nous  annon- 
cions dans  notre  premier  numéro,  a  eu  notamment  l'avantage  de  rap- 
procher les  délégués  des  Services  historiques  des  armées  belge, 
française  et  italienne,  les  représentants  des  bibliothèques  spéciales 
constituées  en  France,  en  Angleterre,  en  Belgique  et  en  Hongrie 
et  les  spécialistes  américains  les  plus  qualifiés.  Il  leur  a  donné  l'oc- 
casion de  comparer  leurs  méthodes  et  de  définir  les  principes  géné- 
raux et  communs  du  travail  de  documentation  (i).  A  ce  titre, 
l'exemple  de  la  Belgique  est  intéressant  pour  tous  les  autres  pays,  car 
l'effort  des  différentes  institutions  consacrées  à  l'histoire  de  la 
guerre  y  a  déjà  obtenu  d'excellents  résultats,  en  dépit  des  res- 
sources  médiocres   dont  elles   disposent. 

La  «  Section  historique  de  l' état-major  de  l'armée  »  dirigée  par 
le  colonel  Mertzbach  a  recueilli  les  archives  du  commandement  et 
des  troupes  belges.  Il  commence  déjà  à  les  exploiter,  en  publiant 
dans  le  Bulletin  belge  des  Sciences  militaires  un  résumé  des  opérations. 

La  «  Commission  des  archives  de  la  guerre  »  a  un  rôle  tout  à  fait 
original  :  sous  la  direction  remarquable  de  M.  Vannérus,  elle  est  chargée 

(i)  Voir,  dans  ce  même  numéro,  un  aperçu  des  travaux  exécutés  suivant 
le  programme  de  la  fondation  Carnegie,  sous  la  direction  du  professeur 
Shotweli,  et  un  extrait  des  observations  présentées  au  Congrès  par 
M.  Lhéritier  sur  les  archives  locales. 


CHRONIQUE  189 

S  de  réunir  les  éléments  «  qui  permettent  d'écrire  l'histoire  de  la  popu- 
lation civile  pendant  les  années  de  guerre  ».  Ce  sont  les  dossiers  trouvés 
dans  les  «  Kommandantur  »,  les  archives  abandonnées  par  la  IV^  ar- 
mée allemande  au  moment  de  l'armistice,  le  fonds  de  la  «  Finanzabtei- 
lung  »  du  gouvernement  général.  Ce  sont  les  documents  d'origine  belge: 
archives  des  œuvres  d'assistance;  pièces  relatives  aux  «  services  de 
renseignements  »  qui  ont  fonctionné  en  Belgique  pendant  la  guerre; 
publications  clandestines.  La  Commission  publie  un  Bulletin,  qui 
donne  une  idée  très  exacte  de  la  richesse  et  de  la  variété  de  ce  dépôt. 
Enfin,  une  Bibliothèque  nationale  de  la  guerre  est  en  voie  de  cons- 
titution, grâce  à  l'activité  de  M.  Heyse.  Le  programme  en  a  été  défini 
dans  une  brochure  toute  récente  (i)  ;  il  a  pu  mettre  à  profit  les  expé- 
riences déjà  faites  à  l'étranger;  aussi  la  ligne  générale  en  est-elle  bien 
dessinée,  les  principes  solides,  les  détails  étudiés  avec  beaucoup  de 
soin.  L'œuvre  sera  certainement  importante. 

Les  publications  de  la  Dotation  Carnegie.  —  La  «  Dotation 
Carnegie  »  pour  la  paix  internationale  (Carnegie  Endowment  for 
international  peace)  a  pour  objet,  selon  la  charte  de  sa  fondation  en 
1910,  de  procéder  à  une  vaste  enquête  sur  les  causes  de  la  guerre 
et  sur  les  moyens  de  la  prévenir.  Il  était  naturel  qu'elle  appliquât 
particulièrement  son  effort  à  l'étude  du  conflit  qui  s'est  déchaîné 
sur  le  monde  en  1914.  S'inspirant  de  préoccupations  réalistes,  elle 
a  pensé  que  c'est  d'abord  du  point  de  vue  économique  et  social  qu'il 
importe  de  connaître  les  effets  et  les  répercussions  de  la  guerre  mon- 
diale. Elle  a,  en  conséquence,  entrepris  de  publier  l'histoire  économique 
de  cette  guerre  dans  chaque  pays  belligérant  ou  neutre.  Sous  la  direc- 
tion générale  et  l'impulsion  remarquablement  intelligente  de  M.  Shot- 
well,  professeur  d'histoire  à  l'Université  Columbia,  de  New- York, 
ancien  conseiller  de  la  délégation  américaine  à  la  Conférence  de  la 
paix,  des  Comités  nationaux  de  recherches  ont  été  constitués  en  An- 
gleterre, Autriche,  Belgique,  Danemark,  France,  Italie;  il  y  en  aura 
d'autres.  Leur  rôle  est  d'établir  le  programme  des  monographies  à 
faire,  et  de  recruter  les  historiens  et  les  économistes  à  qui  pourra  être 
confié  le  soin  de  les  préparer  et  rédiger,  à  l'aide  des  documents  de  toute 
nature  que  les  auteurs  pourront  se  procurer,  y  compris  les  souvenirs 
personnels.  Une  totale  objectivité  scientifique  doit  caractériser 
l'entreprise,  dont  il  est  superflu  de  montrer  l'importance. 

Il  est  impossible  de  donner  ici  la  nomenclature  des  membres  de 
tous  les  Comités  nationaux.  On  trouvera  naturel  que  nous  nous  bor- 
nions à  faire  connaître  le  Comité  français,  et  à  publier  les  titres  des 
monographies  projetées  par  lui  ainsi  que  les  noms  des  auteurs. 

Le  Comité  français  se  compose  de  :  M.  Charles  Gide,  professeur 
au  Collège  de  France,  président;  et  des  membres  suivants  :  MM.  Arthur 
Fontaine,  président  du  Conseil  d'administration  du  Bureau  interna- 
tional du  Travail;  Henri  Hauser,  professeur  à  la  Sorbonne;  Charles 

(i)  Heyse  (Th),  r Organisation  d'une  bibliothèque  nationale  de  la  guerre. 
Gand,  Vanderpoorter,  1923,  44  pages. 


igO  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

Rist,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de  Paris;  J.   T.  Shotwell,  ex 
ofjicio. 

Voici  le  programme  des  publications  qui  sont  préparées  sous  le 
contrôle  de  ce  Comité  : 

GÉNÉRALITÉS. 

Camille  Bloch,  directeur  de  la  Bibliothèque  du  Musée  de  la  Guerre, 
chargé  de  cours  à  la  Sorbonne  :  Bibliographie  méthodique  générale 
de  l  histoire  économique  et  sociale  de  la  guerre.  (Sous  presse.)  — 
Henri  Hauser,  professeur  à  la  Sorbonne  :  Problèmes  du  régio- 
nalisme. —  Pierre  Renouvin  :  Réorganisations  administratives 
et  constitutionnelles  nécessitées  par  la  politique  de  guerre.  —  Bou- 
TiLLiER  DU  RETAiL,  bibliothécaire  du  Ministère  du  Commerce  : 
Les  services  administratif  s  pendant  la  guerre  (histoire  et  archives). — 
Henri  Chardon,  conseiller  d'État:  Conclusion  générale.  La  Répu- 
blique et  l'esprit  de  paix. 

POLITIQUE  com:merciale  intérieure 

Charles  Rist,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de  Paris  :  Les  change' 
ments  réels  du  commerce  français  pendant  la  guerre,  au  point  de 
vue  géographique,  de  la  nature  des  produits,  des  quantités,  des  valeurs. 

—  Clémentel,  sénateur,  ancien  ministre  :  La  politique  commer- 
ciale  :  a)  Prohibitions,  tarifs  douaniers  en  général;  b)  Pohtique 
d'approvisionnements  en  matières  premières,  coton,  régime  des 
consortiums,  chambres  de  commerce.  —  Politiques  spéciales 
entre  Alliés  (Amérique,  Italie,  Angleterre)  et  neutres.  —  Denys- 
CocHiN  ,  ancien  ministre  du  blocus,  et  J.-E.-P.  GouT,  ministre 
plénipotentiaire  :  Blocus  à  l'égard  des  neutres,  à  l'égard  de  l'en- 
nemi. Contrôle  postal. 

POLITIQUE    intérieure    DE    PRODUCTION    ET    DE    CONSOMMATION 

Augé-Laribé  :  L'agriculture  pendant  la  guerre.  —  Peyerimhof, 
professeur   à   l'École   des   Sciences    politiques  :    Charbon.   Pétrole. 

—  Général  Chevalier,  ancien  directeur  de  l'artillerie  :  Les  bois, 
d' œuvre  pendant  la  guerre.  —  Arthur  Fontaine,  conseiller  d'État  : 
L'industrie  en  général  pendant  la  guerre  (comprendra  la  vie  des 
industries  «  non  spécialisées  »  pour  la  guerre,  les  déplacements 
d'industries,  les  progrès  et  les  décadences).  —  Albert  Aftalion,  pro- 
fesseur à  la  Faculté  de  droit  de  Lille  :  Effets  de  la  guerre  sur 
l'industrie  textile.  —  Blanchard,  professeur  à  l'Université  de 
Grenoble  :  Aménagement  des  forces  électriques  et  hydrauliques. 
Monographies.  —  Albert  Thomas,  président  du  Bureau  inter- 
national du  Travail  :  L'organisation  des  industries  de  gtierre  (par- 
tie générale  et  documents)  avec  les  monographies  suivantes  con- 
cernant la  même  étude,  mais  pour  la  partie  descriptive  seulement. 

—  Pinot,  secrétaire  général  du  Comité  des  Forges  :  La  métallur- 
gie, les  mines  métalliques.  —  Mauclère,  contrôleur  général  de 
l'armée,   délégué    de    la    France   au    Comité    des  garanties  :   Les 


CHRONIQUE  191 

industries  chimiques.  —  Colonel  Dhé,  ancien  directeur  de  l'aéro- 
nautique :  Les  industries  de  l'aéronautique.  —  Peschaud,  secré- 
taire général  de  la  Compagnie  des  chemins  de  fer  Paris-Orléans  : 
Politique  et  fonctionnement  des  transports  par  chemins  de  jer,  avec, 
comme  annexes,  des  monographies  diverses  sur  :  a)  le  rôle  spécial 
joué  par  les  chemins  de  fer  de  l'État  pendant  la  guerre;  h)  les 
efforts  de  construction  de  la  Compagnie  du  Nord  avant  et  après 
la  guerre,  —  Henri  Cangardel,  ancien  administrateur  de  l'Ins- 
cription maritime  :  Politique  et  fonctionnement  des  transports  par 
mer  (marine  marchande).  —  Georges  Hersent,  ingénieur,  membre 
du  Conseil  supérieur  de  l'enseignement  technique  :  Fonctionne- 
ment des  ports.  —  Pocard  de  Kerviler,  ingénieur,  chef  du 
service  des  voies  navigables   en  France  :    Voies  d'eau  intérieures. 

LES   PRIX 

Adolphe  PiCHON  et  Pierre  Pinot,  maîtres  des  requêtes  au  Conseil 
d'État  :  La  politique  d'alimentation  et  le  rationnement  (Ministère 
du  ravitaillement  :  pain,  viande,  céréales,  café). — March,  ancien 
directeur  de  la  Statistique  générale  de  la  France  :  Etude  statis- 
tique du  mouvement  des  prix  pendant  la  guerre  (y  compris  les 
salaires).  Coût  de  la  vie.  —  Ch.  Gide,  professeur  au  Collège  de 
France,  et  Daudé-Bancel  :  Politique  et  fixation  des  prix;  rôle  des 
coopératives,  etc. 

LES    QUESTIONS    OUVRIÈRES 

OuALiD,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de  Strasbourg,  et  Picque- 
nard,  directeur  du  travail  :  Salaires,  tarifs,  conventions  collectives, 
grèves,  relations  entre  patrons  et  ouvriers  :  a)  politique  du  Ministère 
de  l'armement;  h)  politique  du  Ministère  du  travail,  —  Cre- 
HANGE,  sous-directeur  du  travail  :  Placement  et  chômage.  —  Frois, 
membre  du  Conseil  supérieur  d'hygiène  :  Santé,  travail  des  femmes, 
—  Roger  Picard,  docteur  en  droit,  professeur  au  Conservatoire 
des  Arts  et  Métiers  :  le  Syndicalisme  :  a)  développement  du  mou- 
vement syndical  pendant  la  guerre;  b)  orientation;  c)  relations 
des  syndicats  avec  les  pouvoirs  publics,  —  Colonel  Weil  : 
Main-d'œuvre   étrangère  et  coloniale. 

QUESTIONS    DÉMOGRAPHIQUES 

HuBER,  directeur  de  la  Statistique  générale  de  la  France  :  a)  Popu- 
lation, déplacements,  vie  sociale,  natalité,  mariages,  divorces;  b)  Dé- 
placements des  fortunes.  —  Sellier,  conseiller  général  de  la  Seine  : 
Problème  du  logement  et  urbanisme,  localités  surpeuplées  pendant 
la  guerre,  mesures  prises  pour  le  logement  et  le  loyer,  etc.  —  Docteur 
Léon  Bernard  :  Hygiène,  syphilis,  tuberculose,  épidémies.  Plus 
une  monographie  sur  :  l'Alcoolisme. 

questions  financières 
G.  JÈZE,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de  Paris  :  Les  dépenses  de 


192  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

guerre  ;  avec  chapitre  spécial  sur  les  marchés  de  guerre.  —  Ch.  Gide  : 
Le  coût  de  la  guerre  en  France.  —  Truchy,  professeur  à  la  Faculté 
de  droit  de  Paris  :  Le  financement  de  la  guerre  (emprunts,  im- 
pôts, etc.,  etc.).  —  Decamps,  directeur  des  études  économiques 
à  la  Banque  de  France  :  Les  changes,  mouvements  des  changes  et 
politique  suivie.  —  Aupetit,  secrétaire  général  de  la  Banque  de 
France  :  Le  marché  monétaire  et  financier.  La  Bourse  et  les  banques, 
y    compris    la    Banque    de    France. 

QUESTIONS    RÉSULTANT    DE    LA    POLITIQUE    SPÉCIALE     DE    LA    FRANCE 

Demangeon,  professeur  à  la  Sorbonne  :  Les  régions  envahies  pendant 
la  guerre  et  depuis.  —  Pierre  Caron,  ancien  chef  du  service  des 
réfugiés  au  ministère  de  l'Intérieur:  Les  réfugiés.  —  Ed.  Michel  : 
Les  dommages  de  guerre.  —  Boulin,  inspecteur  divisionnaire  du 
travail  :  L'organisation  du  travail  dans  les  régions  envahies.  — 
Collinet,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de  Paris,  et  Paul  Stahl, 
ingénieur  civil  :  L'organisation  du  ravitaillement  dans  les  régions 
envahies. 

Organisation  de  la  vie  économique  de  quelques  grandes  villes.  — 
Sellier  :  Paris.  —  Herriot,  ancien  ministre,  maire  de  Lyon  : 
Lyon.  —  H.  Brenier,  président  de  la  Chambre  de  Commerce  de 
Marseille  :  Marseille.  —  Courteault  :  Bordeaux.  —  Gignoux,  chef 
du  service  de  l'organisation  interalliée  au  ministère  du  Com- 
merce :  Bourges.  —  Levainville  :  Rouen. 

Politique  coloniale.  —  Girault,  professeur  à  la  Faculté  de  droit  de 
Poitiers  :  les  Colonies.  —  Aug.  Bernard,  professeur  à  la  Sorbonne  : 
l'Afrique  du  Nord. 

questions  diverses 

G.  Delahache,  directeur  des  Archives  et  de  la  Bibliothèque  mu- 
nicipales de  Strasbourg  :  l'Alsace-Lorraine.  —  Cahen-Salvador  : 
Les  prisonniers  de  guerre.  —  Cassin  et  Ville-Chabrolle  :  Les 
mutilés. 


Le  Gérant  :  A.  Costes. 


5439.  —  Tours,  Imprimerie  E.  Arrault  et  C*. 


a"^ 


Revue  d*Histoire 

de  la 

Guerre  Mondiale 


Les  Bombardements  de  la  Côte  anglaise 
par  la  FloHe  allemande  (1914-1916) 

(Conditions   générales) 


Communication  du  lieutenant  de  vaisseau  en  retraite  Cogniet,  à  l'As- 
semblée Générale  de  la  Société  d'Histoire  de  la  Guerre,  le  28  juin 
1923. 


iWessieurs, 

Les  opérations  de  la  flotte  de  haute  mer  allemande  qui  ont 
amené  ou  recherché  les  bombardements  de  la  côte  anglaise 
sont  les  seules  opérations  offensives  menées  par  l'ensemble 
des  forces  de  cette  Hochseeflotte,  et,  à  ce  titre,  elles  méritent 
une  attention  particulière  dans  l'étude  de  la  guerre  navale  en 
général,  de  la  guerre  des  forces  navales  de  surface  en  particu- 
lier. 

Avant  d'essayer  de  vous  en  donner  une  idée,  je  voudrais 
vous  dire  un  mot  des  conditions  de  ce  genre  de  guerre  souvent 
oubliées,  même  par  les  marins  constructeurs  de  théories. 

Sur  mer,  la  guerre  ne  peut  se  faire  qu'avec  l'aide  d'engins 
très  spéciaux,  que  les  progrès  de  la  science  industrielle  ont 
rendu  très  compliqués,  très  grands,  très  coûteux,  très  longs 
à  construire,  si  longs  même  à  construire  qu'il  est  presque  tou- 

13 


194  HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 

jours  impossible  d'en  faire  de  toutes  pièces  pendant  la  durée 
d'une  guerre  :  on  ne  peut  donc  les  risquer  qu'à  bon  escient, 
et  la  question  de  la  quantité  et  de  la  qualité  du  matériel  exis- 
tant joue  un  rôle  prépondérant. 

Ces  engins  ne  peuvent  être  maintenus  longtem.ps  sur  une 
position  à  la  mer  ;  il  leur  faut  venir  fréquemment  en  contact 
avec  certains  points  très  spécialement  outillés  et  approvision- 
nés des  côtes,  pour  réparations  et  ravitaillements.  Il  ne  peut 
donc  être  question  d'occupation  permanente  de  positions  au 
large,  au  moins  par  les  mêmes  navires.  La  mer  étant  une  sur- 
face uniforme  et  horizontale,  ces  engins  ne  peuvent  y  trouver 
d'abri  ou  de  protection  :  leur  faculté  de  résistance  dépend 
uniquement  de  leurs  armes,  leur  salut  peut  encore  dépendre 
de  leur  fuite,  c'est-à-dire  de  leur  vitesse.  Un  groupe  de  navires 
plus  faible  qu'un  autre  ne  peut  donc  résister  à  celui-ci  sur  une 
position  en  attendant  des  secours  :  il  lui  faut  ou  périr  rapide- 
ment ou  fuir,  s'il  le  peut.  D'autre  part,  il  n'y  a  pas  de  routes 
déterminées  en  haute  mer,  celle-ci  peut  être  parcourue  dans 
toutes  les  directions,  à  condition  qu'il  y  existe  la  profondeur 
d'eau  nécessaire  :  on  ne  peut  donc  déterminer  à  l'avance  la 
direction  de  l'attaque. 

Enfin,  sur  les  côtes,  les  navires  peuvent  trouver  des  abris 
rendus  facilement  inaccessibles  à  l'attaque  des  navires  enne- 
mis. Les  forces  navales  peuvent  donc  être  momentanément 
retirées  du  jeu,  sans  que  les  navires  de  l'adversaire  puissent 
les  contraindre  à  y  paraître  ;  elles  peuvent  être  remises  en 
jeu  à  moins  que,  de  points  assez  rapprochés,  l'adversaire  ne 
surveille  la  sortie  de  leurs  abris,  avec  des  forces  suffisantes 
pour  les  empêcher  de  nuire. 

Dans  leurs  spéculations  théoriques,  les  marins  eux-mêmes 
oublient  souvent  ces  réalités  brutales  ;  mais,  dans  les  appli- 
cations concrètes,  consciemment  ou  inconsciemment,  ils  en 
tiennent  compte,  souvent  dans  une  trop  faible  mesure,  sur- 
tout lorsqu'elles  heurtent  leurs  théories. 

Les  marins  allemands  donc,  très  imbus  des  théories  de 
l'offensive,  si  en  faveur  dans  les  milieux  des  armées  de  terre, 
se  sentent  assez  gênés,  pour  l'établissement  de  leurs  plans 
d'opérations,  par  ces  circonstances  contradictoires.  Cela  se 
manifeste  dans  leur  ordre  général  d'opérations  pour  la  mer 
du  Nord.  Celui-ci,  rédigé  évidemment  sous  l'inspiration  de 
von  PohI,  qui  n'est  pourtant  pas  un  mystique  de  la  théorie, 


BOMBARDEJ/iENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE 


195 


comme  il  le  prouvera,  reconnaît  nettement  que  l'infériorité 
quantitative  du  matériel  des  Allemands  leur  interdit  d'aller 
défier  les  Anglais  en  bataille  rangée  et  même  d'accepter  leur 
défi  ;  mais  il  adm.et  implicitement  que  les  Anglais  ne  manque- 
ront pas,  eux  qui  en  ont  les  moyens  (en  théorie),  d'appliquer 
ces  maximes  merveilleuses  de  l'offensive  et  qu'ils  viendront, 
tout  au  moins  par  un  blocus  rapproché,  essayer  de  mettre 
toutes  les  forces  allemandes  hors  d'état  de  nuire.  Alors,  par 
l'emploi  des  nouveaux  engins  insidieux  de  la  guerre  sur  mer 
(mines  et  torpilles  ;  torpilleurs  et,  si  possible,  disent-ils,  sous- 
marins),  engins  dans  le  maniement  desquels  ils  se  croient 
passés  maîtres,  ils  pensent  provoquer  la  destruction  ou  la  mise 
hors  de  combat  d'un  nombre  suffisant  de  ces  grands  navires 
de  bataille,  si  longs  à  construire,  et  arriver  ainsi  à  une  quasi 
égalité  des  forces  de  bataille.  Alors  on  passera  à  l'offensive. 
C'est  au  moins  ce  que  prévoit  l'ordre  d'opérations  dont  voici 
le  texte  intégral  : 

ORDRE   D'OPÉRATIONS   POUR   LE   THEATRE  DE   LA   GUERRE 
EN   MER   DU  NORD 

S.  M.  le  Kaiser  a  ordonné  ce  qui  suit  pour  la  conduite  de  la  guerre 
en  Mer  du  Nord  : 

1.  Le  but  des  opérations  doit  être  d'endommager  (schadigen)  la  flotte 
anglaise  par  des  pointes  (Yorstbsse)  offensives  contre  les  forces  de 
combat  employées  à  la  surveillance  ou  au  blocus  de  la  baie  alle- 
mande, en  même  temps  que  par  une  action  offensive  de  mines,  et, 
si  possible,  de  sous-marins,  action  offensive  sans  bornes  (rucksicht- 
lose)  portée  jusqu'à  la  côte  anglaise. 

2.  Après  avoir  amené  une  égalisation  des  forces  par  cette  m.anière 
de  conduire  la  guerre,  on  devra  chercher,  après  une  préparation 
et  un  rassemblement  de  toutes  nos  forces,  à  engager  notre  flotte 
dans  une  bataille  dans  des  conditions  favorables. 

Si,  auparavant,  une  occasion  favorable  se  présente  déjà,  on  devra 
(on  aura  l'obligation  de)  l'utiliser  à  fond. 

3.  La  guerre  contre  le  commerce  doit  être  conduite  conformément  à 
l'ordonnance  sur  les  prises.  Le  chef  des  forces  de  haute  mer  règle 
l'importance  qu'on  doit  donner  à  cette  guerre  dans  nos  eaux. 

Les  navires  prévus  pour  faire  la  guerre  au  commerce  dans  les 
eaux  lointaines  doivent  être  expédiés  aussitôt  que  possible. 
Par  ordre  suprême  :  le  Chef  de  VAdmiralstab,  signé  VON  POHL. 

Malheureusement  cet  ordre  ne  correspond  pas  à  la  réalité 
des  faits.  Précisément  pour  éviter  les  attaques  de  nuit  par  les 


196  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

torpilleurs,  les  attaques  de  jour  par  les  sous-marins,  les  bar- 
rages de  mines  invisibles  et  possibles  dans  les  eaux  peu  pro- 
fondes de  la  partie  sud  de  la  mer  du  Nord,  les  Anglais  n'ont 
pas  de  forces  de  surveillance  ou  de  blocus  rapproché  :  ils  ont 
retrouvé  dans  leurs  traditions  historiques  maritimes,  qui  sont 
solides  et  profondément  étudiées  et  méditées,  la  pratique  avan- 
tageuse du  blocus  à  distance,  qu'ils  jugent  seule  applicable 
dans  les  conditions  du  moment  et,  basant  leur  grande  flotte  sur 
la  rade  de  Scapa  Flow,  dans  les  Orcades,  ils  se  contentent  de 
barrer  la  sortie  de  la  mer  du  Nord  par  des  croisières  étendues 
entre  la  Norvège  et  les  Shetlands. 

Les  seules  opérations  offensives  permises  au  commande- 
ment en  chef  allemand  sont  donc  les  mouillages  de  mines  par 
surprise,  près  des  côtes  de  Grande-Bretagne,  et  les  croisières 
de  sous-marins  qui,  au  grand  étonnement  et  au  grand  embar- 
ras des  Anglais,  s'étendent  jusqu'aux  îles  Orcades,  jusqu'à 
cette  base  de  Scapa  précisément  choisie  parce  qu'on  la 
croyait  protégée  par  son  éloignement  contre  les  opérations 
des  torpilleurs  (ce  qui  est  exact)  et  des  sous-marins  (ce 
qui  ne  l'est  pas). 

Les  mouillages  de  mines  par  surprise  sont  possibles,  mais 
dangereux  pour  les  exécutants  à  cause  des  forces  de  pa- 
trouille anglaises  :  le  Konigin  Luise  avait  bien  mouillé  des 
mines  devant  la  Tamise,  le  5  août  1914,  mais  il  avait  été  coulé  ; 
si,  dans  la  nuit  du  25  au  26  août  1914,  le  Nautilus  et  V Albatros 
avaient  réussi  à  poser  des  mines  très  au  large  de  la  Tyne 
et  de  l'Humber,  le  Kolberg  et  le  Nautilus  avaient  dû  renon- 
cer à  en  poser  le  17  octobre  devant  le  Firth  of  Forth,  à  cause 
des  patrouilles  anglaises  rencontrées  au  large  ;  et  ce  même 
jour,  17  octobre,  les  4  torpilleurs  du  commandant  Thiele 
avaient,  avant  d'avoir  réussi  à  en  poser  devant  la  Tamise, 
été  tous  coulés  par  des  torpilleurs  de  patrouille  anglais. 

Le  commandement  en  chef  allemand  en  concluait  que,  si 
l'on  voulait  continuer  ces  opérations  de  mouillage  de  mines, 
il  fallait  soutenir  les  navires  chargés  de  les  effectuer  par 
des  forces  de  combat,  capables  de  refouler  les  navires  de 
patrouille,  par  exemple  par  ces  croiseurs  de  bataille  qui 
sont  si  forts  et  si  rapides.  Mais  la  grande  valeur  de  ceux-ci 
incitait  à  les  faire  soutenir  à  quelque  distance  par  des  cui- 
rassés. La  logique  du  raisonnement  entraînait  à  faire  sortir 
en  soutien  toute  la  flotte  de  haute  mer.  On  risquait  une 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE 


197 


rencontre  avec  la  Grand  Fleet,  une  bataille  décisive.  Or, 
pour  des  raisons  de  conduite  générale  de  la  guerre,  le  Kaiser 
et  ses  conseillers  immédiats,  le  G.  Q.  G.,  le  chancelier  Beth- 
mann  Hollweg,  le  chef  du  cabinet  naval,  amiral  von  Muller, 
le  chef  de  VAdmiralstab,  amiral  von  Pohl,  ne  voulaient  à 
aucun  prix  risquer  la  flotte  :  celle-ci  devait  être  maintenue 
intacte  et  menaçante,  pour  continuer  à  assurer  la  protection 
des  côtes  allemandes  de  la  mer  du  Nord  et  la  libre  navigation 
dans  la  Baltique,  en  effrayant  la  flotte  russe  et  surtout  en 
exerçant  une  pression  politique  sur  les  trois  puissances  Scan- 
dinaves, dont  la  neutralité  était  obligatoire  pour  permettre 
à  l'Allemagne  de  vivre,  à  l'armée  de  se  ravitailler  et  de 
consacrer  l'intégralité  de  ses  forces  à  sa  double  tâche,  dans 
l'Est  et  dans  l'Ouest. 

Oublieuse,  ou  inconsciente,  des  conditions  générales  de 
la  guerre  et  des  conditions  particulières  de  la  guerre  sur 
mer,  confiante  dans  la  qualité  du  personnel  et  du  matériel, 
jalouse  de  rivaliser  avec  les  exploits  des  armées  de  terre, 
déconcertée  de  la  forme  imprévue  que  les  réalités  impo- 
saient aux  opérations  navales,  imbue  des  théories  sur  la 
valeur  de  l'offensive,  formée  enfin  par  la  masse  des  officiers 
qui,  en  somme,  n'avait  ni  responsabilité,  ni  renseignements 
suffisants,  l'opinion  générale  des  officiers  de  marine  avait 
poussé  le  commandant  en  chef,  un  peu  malgré  lui  semble- 
t-il,  à  réclamer  plus  de  liberté  d'action,  au  risque  d'une  ba- 
taille générale,  que  certains,  poussés  par  la  théorie  ou  la 
passion  du  jeu,  envisageaient  comme  nécessaire.  II  est  difficile 
de  dire  si  ces  derniers  voyaient  juste  :  c'était  un  coup  de  dés, 
avec  de  grandes  probabilités  de  perte.  Ce  qu'on  peut  dire 
aujourd'hui,  c'est  que  le  moment  de  risquer  ce  coup  de  dés 
était  bien  le  moment  dont  je  vais  vous  parler,  je  veux  dire 
ces  mois  de  novembre  et  décembre  1914,  où  des  navires  nom- 
breux et  importants  de  la  flotte  anglaise  étaient  répandus  sur 
la  surface  entière  des  océans  à  la  poursuite  des  croiseurs 
allemands  de  von  Spee,  si  difficiles  à  localiser.  Des  discus- 
sions assez  acerbes  entre  les  amiraux  du  G.  Q.  G.,  le  secrétaire 
d'Etat  Tirpitz,  la  fraction  de  l'Etat-Major  général  de  la  Marine 
restée  à  Berlin,  le  commandement  en  chef  de  la  flotte  abouti- 
rentj  le  6  octobre,  à  une  décision  basée  sur  les  raisons  déjà 
écrites,  de  ne  pas  exposer  la  flotte  à  des  rencontres  avec  des 
forces  supérieures,  et  même,  de  ne  pas  l'exposer  à  des  actions 


198  HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 

pouvant  entraîner  de  grosses  pertes,  tout  en  continuant  la 
guerre  de  mines  et  de  sous-marins. 

L'embarras  du  commandement  était  grand.  Les  renseigne- 
ments qu'il  avait  sur  la  position  des  forces  anglaises  étaienï 
médiocres  :  la  situation  insulaire  de  la  Grande-Bretagne  fai- 
sait très  aléatoire  et  très  lente  la  transmission  des  renseigne- 
ments  d'agents,  renseignements  qu'il  était  d'ailleurs  très  diffi- 
cile de  recueillir  à  cause  de  la  situation  de  la  base  principale 
de  la  flotte  dans  les  îles  perdues  des  Orcades.  D'ailleurs,  la 
valeur  de  ces  renseignements,  excellente  et  nécessaire  à  beau- 
coup de  points  de  vue,  est  à  peu  près  nulle,  relativement  aux 
positions  momentanées  des  navires  de  guerre  :  ceux-ci  se 
déplacent  trop  rapidement  et  dans  des  directions  trop  varia- 
bles et  impossibles  à  prévoir  ;  en  une  vingtaine  d'heures,  la 
Grand  Fleet  toute  entière,  avec  tous  ses  moyens  de  combat, 
pouvait  être  à  6  ou  700  kilomètres  du  point  où  elle  avait  été 
reconnue. 

Cependant,  depuis  le  milieu  d'octobre,  ces  renseignements 
d'agents  signalaient  avec  persistance  la  présence  de  grandes 
forces  navales  anglaises  dans  l'Ouest  de  l'Ecosse  et  même  en 
Irlande  :  craignant  des  attaques  de  sous-marins  dans  la  rade 
encore  non  protégée  de  Scapa,  l'amiral  Jellicoe  avait,  en  effet, 
adopté  momentanément  comme  bases  de  la  Grand  Fleet,  Loch 
Ewe  et  Loch  Na  Keal  en  Ecosse  et  aux  Hébrides,  Lougb 
Swilly  en  Irlande.  Les  expéditions  de  sous-marins  à  travers 
la  mer  du  Nord  confirmaient  ces  dires  :  la  mer  du  Nord  avait 
paru  vide  de  grandes  escadres,  vide  même  de  grands  navires 
de  bataille. 


I 


Après  les  insuccès  du  17  octobre,  déjà  signalés  (destruction 
des  4  torpilleurs  mouilleurs  de  mines  ;  échecs  du  Kolberg 
et  du  Nauiilus),  le  commandement  en  chef  crut  donc  pouvoir 
revenir  à  la  charge  et  se  risquer,  le  28  octobre,  à  proposer  à 
l'agrément  obligatoire  du  Kaiser,  par  l'intermédiaire  du  chef 
de  VAdmiralstab,  l'opération  de  mouillage  de  mines  ci-après  : 

Le  mouillage  de  mines  devait  avoir  lieu  auprès  de  Yarmouth, 
à  la  sortie  des  chenaux,  que  des  renseignements  précis  (re- 
cueillis sur  le  vapeur  anglais  Glitra  capturé  et  détruit  le  17 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISFi 


199 


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200  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE  '     " 

octobre  par  le  sous-marin  U.  17)  montraient  comme  utilisés 
par  la  navigation  commerciale,  très  active  sur  la  côte  Est 
d'Angleterre  ;  pendant  ce  temps  les  croiseurs  de  bataille  s'a- 
vanceraient jusqu'à  la  ligne  Smiths  Knoll-bateau  feu  Haak 
pour  soutenir  éventuellement  les  mouilleurs  de  mines  et  pour 
détruire  les  forces  de  patrouille  anglaises  qui  s'y  trouveraient  ; 
les  P  et  IIP  escadres  de  cuirassés  avec  leurs  croiseurs  d'éclai- 
rage se  trouveraient  à  ce  moment  environ  à  40  milles  au  N.  du 
bateau  feu  de  Terschelling  et,  avec  une  ligne  de  sous-marins, 
dans  l'Ouest,  serviraient,  bien  qu'éloignés  de  près  de  170 
kilomètres,  de  position  de  repli  aux  croiseurs  de  bataille. 
Comme  on  le  voit,  il  n'était  pas  question  de  bombarder  les 
côtes  anglaises  ;  ce  fut  pourtant  cette  opération  qui  donna- 
lieu,  sans  que  le  Kaiser  et  VAdmiralstab  en  fussent  avertis, 
semble-t-il,  au  premier  bombardement  de  ces  côtes. 

Yarmouth  est  le  port  le  plus  rapproché  des  côtes  alleman- 
des, et  il  en  est  à  environ  400  kilomètres  ;  il  est  en  même  temps 
très  éloigné,  relativement,  de  Scapa  (plus  de  800  kilomètres). 
Profitant  de  la  longueur  de  la  nuit  à  cette  époque,  les  croi- 
seurs allemands  pouvaient  quitter  de  nuit  la  baie  allemande 
et  se  trouver  au  petit  jour  en  position  de  mouiller  leurs  mines.. 
Dans  l'obscurité,  naviguant  comme  de  coutume  les  feux  mas- 
qués, ils  devaient  passer  inaperçus  des  très  rares  navires  de 
patrouille  anglais  et  agir  par  surprise.  Etant  donnés  les  rensei- 
gnements que  l'on  avait  sur  la  position  des  forces  anglaises, 
les  Allemands  avaient  quasi  certitude  de  ne  pas  rencontrer 
des  forces  navales  supérieures  et  ne  pouvaient  craindre  que 
des  sous-marins  anglais  au  retour  ;  encore  cette  éventualité 
était-elle  peu  probable  et  présentait-elle  peu  de  risques. 

Le  29  octobre,  pressé  sans  doute  par  des  renseignements, 
le  commandement  demande  par  télégramme  l'autorisation 
d'exécuter  l'expédition  proposée.  Cette  autorisation  est  don- 
née :  sans  doute  les  renseignements  du  moment  enlevaient-ils 
toute  crainte  au  Chef  de  VAdmiralstab  et  au  Kaiser  ;  cepen- 
dant ceux-ci  recommandaient  de  se  servir  d'un  éclairage 
par  croiseurs,  dirigeables  et  avions,  dans  le  nord  de  la  Hoch- 
seef lotte.  On  sent  d'ans  les  textes  une  certaine  émotion  fébrile, 
l'émotion  d'un  premier  pas.  Cette  émotion  était  évidemment 
partagée  par  la  flotte  :  on  discutait  et  rediscutait,  dans  les 
états-majors  amiraux,  les  mesures  à  prendre  et  les  chances  de 
succès.  Au  milieu  de  ces  discussions,  quelqu'un  fit  remarquer 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE  20I 

qu'en  mouillant  des  mines  en  plein  jour  près  de  la  côte  anglai- 
se, on  portait  un  coup  d'épée  dans  l'eau,  puisque  les  Anglais 
avaient  toute  chance  d'observer  ce  mouillage,  et  par  consé- 
quent d'éviter,  puis  de  draguer  ces  mines  ;  l'amiral  Hipper, 
commandant  les  forces  d'éclairage,  ne  voulait  plus,  comme  une 
mère  poule  de  ses  poussins,  s'éloigner  si  peu  que  ce  soit  de 
ses  croiseurs  légers,  et  il  comptait  les  accompagner  avec  ses 
croiseurs  de  bataille  jusque  sur  la  côte  anglaise  ;  il  proposa 
alors,  au  dernier  moment,  sem.ble-t-il,  de  détourner  l'attention 
des  Anglais  en  lançant  sur  le  port  de  Yarmouth,  dont  il  se 
trouverait  alors  à  portée  de  tir,  quelques  obus.  Cette  propo- 
sition est  l'origine  des  bombardements,  de  la  côte  anglaise. 
Une  tempête  d'Est  fit  retarder  de  3  ou  4  jours  l'opération  pro- 
jetée. 

Enfin,  le  2  novembre,  à  16  h.  30  (1),  l'amiral  Hipper  part 
avec  4  croiseurs  de  bataille  et  4  croiseurs  légers  ;  il  a  tellement 
crainte  de  ne  pas  pouvoir  courir  assez  vite,  s'il  est  poursuivi, 
et  de  voir  les  torpilleurs,  qu'il  devait  em.mener,  être  forcés  de 
réduire  leur  vitesse  par  une  grosse  mer  possible,  qu'il  renonce 
à  leur  escorte,  pourtant  si  utile  (mais  à  l'époque  on  ne  la  ju- 
geait pas  encore  indispensable)  contre  les  sous-marins.  Il  fait 
un  petit  crochet  vers  le  Nord  pour  dépister  les  sous-marins 
anglais  qui  pourraient  se  trouver  dans  le  voisinage.  Le  temps 
est  très  sombre,  l'horizon  brouillé  ne  permet  pas  de  faire  le 
point  par  observations  des  hauteurs  d'astres.  Jusqu'à  la  lon- 
gitude de  Tershelling,  la  mer  est  déserte.  Ensuite  de  petites 
masses  sombres,  de  petits  feux  brillant  dans  la  nuit  :  ce  sont 
des  bateaux  de  pêche.  Parmi  eux,  les  Allemands  soupçonnent 
des  navires  de  patrouille  anglais  et  font  écouter  par  leurs 
postes  de  T.  S.  F.  des  émissions  possibles  :  on  n'entend  rien. 
Le  petit  jour  gris  arrive  ;  les  navires  de  pêche  anglais  arborent 
leur  pavillon,  ils  se  croient  en  présence  de  navires  amis.  Mais 
on  approche  de  la  côte  et  des  bancs  dangereux,  au  sud  et 
très  près  desquels  on  doit  passer.  Hipper  demande  à  ses  croi- 
seurs leur  position  estimée  :  il  y  a  des  variantes  de  10  milles 
(18  kilomètres),  et  cependant  l'erreur  est  beaucoup  plus  gran- 
de :  le  navire  amiral  se  croit  20  milles  (37  kilomètres)  plus 
près  de  terre  qu'il  n'est  en  réalité.  N'en  soyons  pas  trop  éton- 

(1)  Toutes  les  heures  mentionnées  ici  sont  des  heures  allemandes,  c'est-à- 
dire  sont  en  avance  d'une  heure  sur  le  temps  moyen  de  Greenwich.et  par  suite 
d'à  peu  près  autant  sur  le  temps  solaire  vrai  près  des  cotes  d'Angleterre. 


202  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

nés  :  les  courants  sont  très  irréguliers  en  mer  du  Nord  ;  les  na- 
vires allemands  avaient  fait  quelques  crochets  pour  éviter  ou 
pour  examiner  des  navires  aperçus;  et,  d'ailleurs,  on  a  toujours 
tendance  à  forcer  les  estimations  dans  un  sens  défavorable 
quand  on  approche  d'un  danger.  La  visibilité  est  médiocre  ;  les 
bouées,  les  bateaux  feux  marquant  les  bancs  de  la  côte  an- 
glaise ont  pu  être  déplacés,  les  difficultés  de  l'opération  se 
montrent  :  on  ne  sait  pas  bien  où  l'on  est,  on  risque  de 
s'échouer.  Dès  6  h.  30,  Hipper  fait  commencer,  au  jugé  et  à 
de  larges  intervalles,  pas  du  tout  aux  points  prévus,  un  m.ouil- 
lage  de  mines  qu'il  interrompt  à  diverses  reprises.  Enfin,  avec 
près  d'une  liieure  de  retard,  une  bouée  portant  un  nom  de  banc 
quelques  coups  de  sonde,  la  silhouette  caractéristique  d'un  ba- 
teau feu  permettent  de  se  reconnaître.  Se  détachant  d'une  ban- 
de sombre  qui,  sous  un  voile  de  brume  gris,  indique  la  terre,  ap- 
paraissent à  7  ou  8.000  miètres  deux  petits  torpilleurs  de  pa- 
trouille anglais,  qui  font  un  signal  de  reconnaissance.  Hipper 
se  dirige  sur  eux.  Dans  la  hâte  et  l'émoi  d'une  première  affaire, 
le  feu  est  ouvert  en  très  grand  désordre  contre  ces  navires, 
puis  une  centaine  d'obus  sont  lancés  contre  la  ligne  du  rivage, 
qu'on  devine  tout  juste,  à  une  distance  qui  est  appréciée  très 
différemment  (13  à  20.000  mètres  !)  par  les  navires  allemiands. 
Il  n'est  pas  étonnant  que  les  résultats  en  soient  quasi  nuls. 
Les  250  coups  tirés  sur  les  navires  de  patrouille  anglais  ne 
sont  pas  plus  efficaces  ;  ces  navires  s'échappent  dans  la  brume 
et  dans  la  fumée.  L'affaire  est  très  courte  et  dure  de  8  h.  12 
à  8  h.  26.  Les  croiseurs  allemands  se  sauvent  et  rentrent  sans 
encombre. 

Les  Anglais  sont  tout  à  fait  surpris.  C'est  le  bruit  des  tirs 
simultanés  contre  la  côte  et  les  navires  de  patrouille  qui  leur 
révèle  la  présence  des  navires  allemands,  invisibles  dans  la 
brum.e.  Trois  sous-marins,  qui  allaient  quitter  Yarmouth,  se 
hâtent  de  leurs  faibles  jambes,  et,  bien  entendu  ne  peuvent 
arriver  sur  les  lieux  que  près  d'une  heure  trop  tard  ;  l'un  d'eux 
saute  sur  une  mine,  je  ne  puis  ici  donner  le  détail  des  ordres 
et  mouvements  un  peu  désordonnés  et  décousus  que  provo- 
quent, aux  divers  échelons  du  commandement,  les  renseigne- 
ments incomplets  qui  leur  parviennent  successivement.  Je  dirai 
seulement  que  l'Amirauté  a  cru  un  moment  que  ce  bombarde- 
ment insignifiant  n'était  qu'une  feinte  préliminaire  à  des  opé- 
rations plus  sérieuses,  soit  contre  les  forces  navales  anglaises 


BOMBARDEMEIvrrS  DE  LA  COTE  ANGLAISE 


203 


coopérant  aux  combats  qui  se  livraient  alors  à  l'embouchure 
de  l'Yser,  soit  encore,  malgré  l'invraisemblance,  pour  effec- 
tuer un  débarquement.  Les  forces  principales  anglaises  à 
Lough  Svviily  (Irlande),  à  Scapa,  dans  la  Manche,  sont  mises  en 
mouvement.  Mais,  comme  on  s'aperçoit  très  vite  que  les  forces 
ailem.andes  rentrent  chez  elles,  l'émoi  se  calme,  et  on  examine 
la  situation. 

11  est  manifestement  impossible  d'empêcher  le  renouvelle- 
ment d'une  semblable  incursion,  si  l'on  n'est  pas  prévenu  des 
mouvements  des  forces  navales  allemandes,  dès  leur  départ, 
que  dis-je  ?  dès  avant  leur  départ,  s'il  s'agit  d'une  incursion  sur 
une  bonne  partie  de  la  côte  Est  d'Angleterre  (1).  On  ne  peut 
avoir  la  prétention  de  maintenir  des  sous-marins  en  patrouille 
continuelle,  et,  d'ailleurs  sans  doute  insuffisante,  ou  de  mouil- 
ler des  mines,  dangereuses  aussi  pour  les  amis,  devant  tous 
les  points  menacés.  On  ne  peut  et  on  ne  veut  maintenir  des 
navires  de  surface  en  croisière  près  des  côtes  allemandes, 
pour  voir  et  signaler  les  forces  navales  allemandes  prenant 
la  mer  ;  et  puis  il  faudrait  compter  sur  les  nuits  sombres,  sur 
la  brume.  Les  sous-marins  anglais  qui,  en  petit  nombre,  veil- 
lent dans  la  baie  allemande  voient  très  mal  :  qu'est-ce  que 
deux  ou  trois  petits  cercles  de  huit  ou  dix  kilomètres  de  rayon 
sur  la  surface  de  cette  mer  ?  Enfin  leur  T.  S.  F.  est  tout  à 
fait  insuffisante  à  cette  époque. 

Le  problème  serait  donc  insoluble  si,  à  ce  moment  même, 
d'après  des  publications  de  personnes  qualifiées  :  Fisher, 
Premier  Lord  naval,  Filson  Young,  officier  de  complément  à 
l'Etat-Major  de  Beatty,  les  Anglais  ne  parvenaient  à  monter 
un  admirable  système  de  captation  et  de  déchiffrement  des 
radiotélégrammes  ennemis,  en  même  temps  qu'une  organisa- 
tion de  stations  radiogoniométriques  très  nombreuses  qui  leur 
font  connaître  les  directions  dans  lesquelles  se  trouvent  les 
navires  émetteurs  d'un  signal  de  T.  S.  F.  (2).  Avec  deux  ou 
trois  directions  simultanées,  on  a  donc  leur  position  approxi- 
mative ;  mais  il  faut  encore  connaître  le  nom  du  navire  émet- 

(1)  Songez  que  grosso  modo  il  y  a  seulement  de  4  à  GOO  kilomètres  d'Héli- 
goland  aux  por'tf;  de  cette  côte  entre  Yarmouth  et  l'île  Farn,  que  la  distance 
de  ces  mêmes  ports  à  Scapa  varie  de  500  à  800  kilomètres,  qu'il  faut  plus 
de  cinq  heures  pour  allumer  les  feux  et  faire  sortir  la  Grand  Fleel,  que  cinq 
heures  à  20  nœuds  font  encore  185  kilomètres. 

(2)  Voir  Fischer,  JSlemorics.  Londres,  Hodder,  1919,  in-8,  pnssim  ;  et 
Filson  Young,  WiihlbeB allie  Cruisers.  Londres,  Cassell,  11)21, in-8,  p.  127. 


204  HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 

teur,  le  distinguer  entre  mille  autres,  il  faut  encore  traduire  la 
série  de  chiffres  ou  de  lettres  lancée  dans  l'espace,  il  faut 
comprendre  l'importance  de  la  traduction,  la  situer,  en  tirer 
des  conclusions.  Et  il  faut  faire  tout  cela  avec  une  certitude 
presqu'absolue  et  suffisamment  vite,  pour  en  obtenir  une 
valeur  pratique  pour  les  mouvements  des  flottes.  Ce  ne  peut 
être  réalisé  que  par  une  organisation  gigantesque  et  métho- 
dique, centralisée  à  terre  et  à  l'aide  d'un  puissant  service 
de  renseignements.  Les  Allemands,  bien  qu'occasionnellement 
en  possession  de  codes  et  de  chiffres  anglais,  ne  savent 
le  faire  (1),  pendant  les  deux  premières  années  de  la  guerre^ 
c'est-à-dire  pendant  la  période  qui  nous  occupe.  Mais  l'Ami- 
,rauté  y  réussit,  elle  croit  même  y  réussir  si  parfaitement 
que  Fisher  et  Filson  Young  prétendent,  dans  leurs  publi- 
cations, que  les  Anglais  lisaient  clairement  tout  ce  que  disaient 
les  Allemands  ;  ils  exagèrent  sans  doute,  il  y  avait  des  trous, 
pas  mal  de  trous  ;  mais  il  est  aujourd'hui  facile  de  cons- 
tater, d'après  les  ouvrages  déjà  cités  de  Fisher  et  de  Filson 
Young,  de  l'Amirauté  allemande,  et  aussi  de  Jellicoe  ou  de 
l'Amirauté  britannique,  que  des  positions  de  navires  allemands 
ont  été  retransmises  aux  navires  anglais  8  minutes  après  l'é- 
mission révélatrice,  et  des  traductions  de  télégrammes  une 
heure,  une  heure  un  quart  après  leur  envoi  par  les  Alle- 


(1)  Dans  le  3»  volume  de  la  publication  ofTicielle  du  Marine  Archiv  :  Krieg 
in  der  Nordsee,  Berlin,  Mittler,  1922,  p.  98,  note,  on  lit  : 

«  Il  est  très  remarquable  que  les  Anglais  aient  déjà  (en  décembre  1914) 
emplo3'é  ce  procédé  (le  déchiffrement)... Il  n'est  pas  non  plus  impossible  que, 
par  une  observation  systématique  et  grandiosement  organisée  des  com.mu- 
nications  radiotélcgraphiques  allemandes  et  par  des  recherches  de  déchiffre- 
ment conséquentes,  ils  n'aient  découvert  les  procédés  de  chiffrement  des 
radiotélégrammes  allemands,  procédés,  qui,d'après  les  connaissances  actuel- 
les, n'utilisaient  que  des  clefs  très  peu  sûres.  Nous  (les  Allemands)  l'avons 
bien  réussi,  à  notre  tour,  mais  sans  doute  après  que  l'installation  de  stations 
d'observation  de  T.  S.  F.  à  terre  eût  remédié  à  nos  très  défectueux  prépa- 
ratifs de  guerre  à  ce  sujet.  Au  moment  en  question,  le  centre  de  gravité  des 
services  allemands  d'observation  de  T.  S.  F.  résidait  dans  les  stations  flot- 
tantes de  la  Hochseeflotte,  dont  plusieurs  sans  doute  étaient  chargées  d'ob- 
server les  communications  ennemies  sur  diverses  longueurs  d'onde.  Mais, 
bien  que  l'Admiralstab  envoyât  des  clefs  prétendues  employées  en  Angle- 
terre, le  service  de  déchiffrement  ainsi  constitué  travaillait  trop  lourdement 
et  trop  lentement  pour  que  les  radiotélégrammes  anglais  captés  fussent  tra- 
duits aussitôt  et  pussent  être  utilisés  par  le  commandement  pour  ses  décisions. 
On  ne  reconnut  malheureusement  pas  assez  tôt  que  les  Anglais  étaient  en 
situation  de  déchiffrer  les  radiotélégrammes  allemands, et  il  en  résulta  un 
désavantage  stratégique  considérable  pour  le  commandement  de  la  flotte 
allemande.  » 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE  205 

mands.  Et  pareil  fait  prouve  une  organisation  prodigieuse,  dont 
Filson  Young  fait  honneur  au  capitaine  de  vaisseau  Reginald 
Hall.  Jusqu'à  la  fin  de  la  guerre,  avec,  je  crois,  la  seule  excep- 
tion d'avril  1918,  les  forces  anglaises  connaîtront  la  sortie 
des  forces  principales  allemandes  dès  avant  leur  départ,  elles 
connaîtront  souvent  leur  composition,  parfois  leurs  points  de 
direction  probables  ;  elles  pourront,  mais  par  intervalles  trop 
larges  et  trop  irréguliers,  déterminer  quelques-unes  de  leurs 
positions  successives.  II  peut  paraître  étonnant  que,  dans 
ces  conditions,  les  Anglais  n'aient  pas  réussi  à  écraser  les 
forces  allemandes  lors  des  sorties  qui  menaient  celles-ci  suffi- 
samment loin.  Mais  des  circonstances  de  mer,  de  visibilité, 
d'erreurs  de  navigation,  dans  une  certaine  mesure  aussi  les 
silences  de  T.  S.  F.  des  Allemands  qui  se  méfient,  mais  ne  peu- 
vent se  taire  entièrement,  l'éloignement  de  la  base  de  Scapa,  et 
quelques  défauts  d'organisation  et  de  commandement  anglais, 
une  ou  deux  chances  extraordinaires,  ont  sauvé  les  Allemands 
d'un  désastre  lors  de  ces  sorties,  si  peu  nombreuses  d'ailleurs 
qu'on  peut  rapidement  les  énumérer  toutes  :  bombardements 
d'Hartlepool  (16  décembre  1914),  de  Lowestoft  (25  avril  1916), 
Dogger  Bank  (24  janvier  1915),  Jutland  (31  mai  1916  et  19 
août  1916).  Après  cette  date,  quand  les  Allemands  se  rendirent 
compte  des  dangers  courus,  ils  ne  s'éloignèrent  plus  de  leurs 
bases,  sauf  une  fois  en  avril  1918. 

Se  basant  donc  sur  le  bon  fonctionnement  de  ce  service, 
les  Anglais,  à  la  suite  du  bomibardement  de  Yarmouth,  pro- 
cèdent seulement  à  un  regroupement  de  leurs  forces.  Ils  m 
croient  pas  que  les  Allemands  risqueront  le  gros  de  leur  flotte 
et  veulent  seulement  parer  à  de  nouvelles  incursions  de  bom- 
bardement (à  la  guerre  on  croit  toujours  au  renouvellement 
de  ce  qui  est  arrivé  en  dernier  lieu)  ou  à  des  débarquements 
(l'épouvantail  d'un  débarquement  a  été  tellement  agité  en 
Angleterre  qu'il  en  est  resté  quelque  chose,  beaucoup  même, 
dans  la  vision  de  têtes  pourtant  calmes  et  lucides,  comme  cel- 
les de  bien  des  chefs  de  l'Amirauté  et  de  l'armée  britannique). 
La  Grand  Fleet  retourne  à  Scapa,  malgré  les  dangers  que  pré- 
sente ce  mouillage  à  peine  protégé  ;  une  de  ses  escadres  sera 
toujours  prête  à  appareiller  ;  les  croiseurs  de  bataille  sont  dé- 
tachés à  Cromarty  ce  qui  ne  les  rapproche  guère  ;  à  chacune 
des  deux  extrémités  des  côtes  exposées,  à  Rosyth  et  à  Sheer- 
ness,  il  y  a  respectivement  la  3^  escadre  et  la  5^^  escadre  de 


20 6  HISTOIRE   DE    LA   GUERRE 

cuirassés.  A  Rosyth  est  encore  la  3^  escadre  de  croiseurs,  à 
Harvvich  deux  flotilles  de  torpilleurs  avec  quelques  croiseurs 
légers  et  les  grands  sous-marins.  Enfin  de  vieux  cuirassés 
sont  dans  l'Humber  et  la  Tyne,  des  canonnières  dans  le 
Wash,  des  navires  de  patrouille  et  quelques  sous-inarins  cô- 
tiers  un  peu  partout.  L'Amirauté  commandera  les  mouvements 
des  forces  de  la  zone  située  au  sud  de  Flamborough  Head, 
Jeîlicoe  ceux  de  la  zone  sise  au  nord.  A  la  mer,  une  fois  les  es- 
cadres réunies,  Jelîicoe  commandera  le  tout.  C'est  dans  cette 
disposition  (1)  que  ces  forces  se  trouveront  lors  du  deuxième 
bombardem.ent  de  la  côte  anglaise,  le  16  décembre  1914,  à 
Scarborough  et  Hartlepool. 


II 


Les  Allemands,  en  effet,  ont  été  très  satisfaits  et  très  encou- 
ragés par  l'heureuse  issue  de  l'opération  un  peu  hâtive  et  fé- 
brile contre  Yarmouth.  Tout  en  reconnaissant  l'insignifiance 
des  résultats  matériels  obtenus,  ils  se  rendent  compte  de  ce 
qu'on  peut  attendre  d'une  opération  de  bombardement  bien 
prévue,  menée  avec  confiance,  et  spécialement  préparée. 

Exam.inant  encore  les  documents  confidentiels  pris  sur  le 
Glitra,  ils  constatent  que  devant  Scarborough  et  Hartlepool 
il  existe  un  large  passage  signalé  com.me  libre  de  mines,  qu'il 
est  recommandé  de  suivre  la  côte  anglaise  de  très  près  aux 
navires  faisant  route  le  long  de  celle-cL  Aux  approches  des 
ports  envisagés,  les  terres  sont  hautes,  faciles  à  reconnaître, 
les  eaux  sont  profondes  ;  la  navigation  sera  plus  facile.  On 
pense  d'ailleurs  à  faire  vérifier  ces  renseignements  par  des 
observations  prises  d'un  sous-marin,  le  U.  27,  qui,  sans  se 
faire  voir,  séjourne  dans  ces  parages  du  21  au  26  novembre. 
L'opération  est  décidée  pour  le  29,  puis  remise  par  les  Alle- 
mands, dont  le  service  de  renseignements  signale  que  les 
Anglais  en  ont  eu  connaissance  par  déchiffrement  de  télégram- 
mes. La  clef  de  chiffrement  est  changée,  mais,  comme  ils 

(l)  Elle  a  été  xivement  critiquée,  mais  ce  n'est  pas  le  lieu  d'examiner  ces 
discussions  techniques.  Ces  mesures  étaient  prises  d'ailleurs  d'après  l'avis 
de  vieux  et  sages  amiraux  anglais  qui  ont  un  peu  trop  coufiance  dans  le  \ieux 
matériel  et  les  vieilles  théories  traditionnelles. 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE 


207 


l'avouent  aujourd'hui  (1)  les  Allemands  ne  sont  pas,  à  cette 
époque,  très  forts  en  cryptograpMe  ;  ce  changement  est  insuf- 
fisant pour  dérouter  les  services  de  renseignements  anglais 
bien  montés,  bien  dressés  et  bien  pourvus  :  l'Amirauté  n'en 
est  pas  gênée,  nous  disent  Fisher  et  Filson  Young  ;  la  suite 
d'ailleurs  le  prouve. 

Sachant  par  les  allusions  de  la  presse  et  par  d'autres 
renseignements  (on  en  parlait  à  Londres  dans  les  milieux 
bien  informés)  que  des  croiseurs  de  bataille  anglais  ont  été 
envoyés  dans  l'Atlantique  à  la  recherche  de  Spee  (ces  rensei- 
gnements paraissent  se  confirmer  le  10  décembre  avec  les 
nouvelles  du  succès  de  l'amiral  Sturdee  aux  Falklands), 
VAdiniralsîcb  de  Berlin  insiste  pour  qu'on  reprenne  le 
projet  :  les  croiseurs  de  bataille  et  quelques  croiseurs  légers 
doivent,  en  deux  groupes,  bombarder  simultanément  Hartle- 
pool  et  Scarborough,  pendant  qu'un  croiseur  léger  posera  des 
mines  en  travers  du  chenal  de  navigation  imposé  par  l'Ami- 
rauté. Le  gros  des  forces  doit  s'avancer  jusqu'à  une  position 
de  rendez-vous  située  à  200  kilomètres  environ  dans  l'est 
d'Hartlepool,  et  y  attendre,  en  croisant,  le  ralliement  des  forces 
ayant  bombardé  la  côte  anglaise. 

La  distance  entre  Hartlepool  et  la  côte  allemande  est  trop 
considérable  pour  être  parcourue  en  une  nuit,  et,  comme  on 
veut  arriver  avec  le  lever  du  jour  sur  les  côtes  anglaises, 
pour  échapper  à  la  vue  des  forces  de  patrouille,  il  faut 
bien  faire  une  partie  de  la  route  de  jour.  Hipper,  avec  ses 
5  croiseurs  de  bataille,  4  croiseurs  légers  et  2  flotilles  de  tor- 
pilleurs, appareille  donc,  le  15  à  3  heures  d'u  matin,  pour  passer 
de  nuit  dans  la  région  où  les  sous-marins  ou  chalutiers  de 
patrouille  anglais  peuvent  être  en  surveillance  des  mouve- 
ments de  la  flotte  allemande.  Il  court  ensuite  au  nord-ouest 
jusqu'à  la  nuit,  comme  s'il  voulait  sortir  de  la  m.er  du  Nord, 
afin  de  tromper  les  navires  qui  pourraient  le  voir.  A  la  nuit  il 
pique  droit  sur  Whitby.  II  fait  beau,  les  croiseurs  allemands 
voient,  et  cherchent  à  éviter  le  voisinage  de  quelques  navires 
de  pêch'e.  Mais,  à  la  fin  de  la  nuit,  en  approchant  de  terre,  le 
temps  force  tellement  qu'Hipper  doit  renvoyer  à  7  h.  35  ses 
torpilleurs  et  ses  croiseurs  légers  ;  ceux-ci  ont  signalé  à  7  h.  08 
que  la  mer  est  très  grosse  près  de  terre  et  qu'ils  ne  pourront 

(1)  Voir  la  note  p.  204. 


208  HISTOIRE  DE  LA   GUERRE 

sans  doute  continuer  leur  route  avec  les  torpilleurs  qui  ne 
pourraient  suivre  à  grande  vitesse  ;  se  passant  de  leur  aide 
et  de  leur  protection  contre  des  sous-marins  éventuels,  mais 
peu  probables,  l'amiral  allemand  poursuit  sa  route,  enhardi 
par  l'expérience  du  3  novembre.  La  côte  apparaît,  d'abord 
confuse,  signalée  par  les  lueurs  des  hauts  fourneaux  ;  vers 
7  h.  40,  les  hautes  terres  de  Whitby  sont  en  vue  sous  des  voiles 
de  brouillard  ;  comme  il  avait  été  convenu,  les  navires  alle- 
mands se  séparent  en  deux  groupes. 

Le  premier  fait  route  très  près  de  terre  (à  2  ou  3  ki- 
lomètres), comme  le  recommandent  les  documents  confiden- 
tiels anglais  surpris,  pendant  20  ou  30  minutes  :  cette  assu- 
rance, presque  imprudente,  détone  avec  l'émoi  fébrile  de  l'opé- 
ration devant  Yarmouth.  Elle  est  d'aillleurs  sans  inconvé- 
nient :  le  jour  se  levait  pourtant  ;  la  portée  de  visibilité  variait 
de  5  à  10  kilomètres  et,  bien  qu'à  8  h.  14  le  premier  groupe 
aperçoive  Hartlepool,  ce  n'est  qu'à  8  h.  45  que  les  stations- 
vigies  de  la  côte  anglaise  lui  font  des  signaux  de  reconnais- 
sance ;  mais  les  Allemands,  qui  connaissent  ces  signaux,  y 
répondent  correctement.  Ils  sont  donc  pris  pour  des  Anglais  et 
signalés  comme  tels,  bien  que  les  services  de  patrouille  de  la 
côte  aient  été  alertés  depuis  la  veille  par  l'Amirauté. 

Cette  erreur  est  dévoilée  un  quart  d'heure  plus  tard  :  vers 
9  heures,  au  moment  où  ils  arrivent  devant  Hartlepool,  les 
croiseurs  allemands  canonnent,  de  5  à  7.000  mètres,  4  torpil- 
leurs   anglais   brusquement   apparus   sortant   des   voiles    de 
brouillard  déchiquetés  par  la  tempête  ;  dans  la  grosse  mer,  et 
devant   le   feu   des   Allemands,   ces   torpilleurs   renoncent   à 
s'approcher  pour  lancer  leurs  torpilles  (bien  que  les  Allemands 
prétendent  en  avoir  vu  trois  passer  près  d'eux)  ;  ils  font  demi 
tour  ;  les  Allemands,  préoccupés  par  le  bombardement  à  effec- 
tuer, ne  les  poursuivent  pas  (le  tir  a  duré  7  minutes,  de  9  h.  09 
à  9  h.  16)  ;  les  torpilleurs  disparaissent  dans  la  brume  et  la 
fumée  sans  grands  dommages,  bien  que  les  Allemands  aient 
cru  en  voir  couler  deux.  On  croit  toujours  que  l'ennemi  a  reçu 
plus  de  mal  qu'il  n'est  vrai,  et  on  croit  aussi  avoir  échappé 
à  des  dangers  bien  plus  grands  que  ceux  auxquels  on  a  été 
exposé.  Ayant  donc  tiré  pendant  environ  7  minutes,  les  Alle- 
mands poursuivent  leur  route  à  petite  vitesse,  prennent  les  po- 
sitions de  bombardement  prévues,  où  très  tranquillement,  avec 
une  audace  qui  frise  l'imprudence,  ils  se  tiennent  environ  vingt 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE  2C9 

minutes  (9  h.  26  à  9  h.  46),  à  des  distances  de  2  à  5.000  mè- 
tres. II  y  a  là  deux  faibles  batteries  anglaises  (en  tout  3  canons 
de  152  m/m)  qui  ne  sont  pas  intervenues  quand  les  Allemands, 
déjà  à  leur  portée,  ont  canonné  les  torpilleurs  anglais,  mais 
qui  répondent  maintenant  aussitôt,  et  assez  mal,  à  travers  la 
fumée  et  la  poussière  des  obus  allemands,  en  touchant  quatre 
fois  le  Blucher,  trois  fois  le  Seydlitz  et  une  fois  le  Moltke,  tuant 
et  blessant  une  dizaine  d'hommes,  mais  sans  produire  des  effets 
de  quelque  importance.  Les  Allemands,  eux,  dirigent  leurs  tirs 
sur  les  batteries,  les  usines,  les  chantiers  de  construction, 
l'entrée  du  port.  Le  bombarden^ent  ne  dure  que  16  minutes, 
mais  on  tire  vite  sur  mer,  surtout  de  si  près  :  1.150  obus  de  petit 
et  moyen  calibre  sont  lancés  et  causent  de  nombreux  dégâts 
aux  usines,  aux  chantiers  de  construction,  et  aussi  à  sept  égli- 
ses, cinq  hôtels  et  plus  de  deux  cents  maisons  particulières  où 
de  nombreux  habitants  de  tout  sexe  et  de  tout  âge  sont  tués  ou 
blessés.  Et  pourtant  ces  obus  sont  destinés  à  des  tirs  contre 
des  navires  protégés  et  sont  de  peu  d'efficacité  contre  la  terre  : 
beaucoup  n'éclatent  pas,  leurs  fusées  à  retardement  n'éprou- 
vant pas  les  chocs  suffisants  :  les  Allemands,  pourtant  si  mé- 
thodiques, n'avaient  pas  prévu  les  bombardements  contre  la 
côte  anglaise  et  avaient  négligé  de  créer  un  matériel  spécial  ;  et 
ils  n'emploient  pas  leurs  canons  de  gros  calibre.  Le  petit  croi- 
seur anglais  Patrol  est  touché,  en  sortant  du  port  pour  courir  à 
l'ennemi  ;  il  s'échoue  sur  la  barre,  où  l'eau  n'est  pas  assez 
haute  par  la  grosse  mer.  Le  petit  sous-marin  détaché  à  la 
défense  d'Hartlepool,  et  ignoré  des  Allemands,  le  C.  9,  n'est 
pas  de  veille  en  mer,  mais  il  est  alerté  depuis  minuit  ;  il  sort  au 
milieu  des  obus,  et  malgré  des  chocs  violents  sur  la  barre,  il 
réussit  à  gagner  le  large  et  s'approche  des  Allemands  pour 
leur  lancer  une   torpille    :   à  9   h.   55  (d'après  les  croquis, 
toujours  douteux)  il  ne  serait  guère  qu'à  1.800  ou  2.000  mètres 
des  navires  allemands  ;  mais  ceux-ci  s'éloignent  rapidement, 
la  torpille  d'ancien  modèle  ne  pourrait  les  atteindre  ;  à  deux 
ou  trois  minutes,  le  C.  9  aurait  donc  manqué  son  occasion. 
Le  premier  groupe  allemand  se  dirige  ainsi  sans  encombre  vers 
le  rendez-vous  prescrit  au  second  groupe. 

Celui-ci  a  couru  vers  le  Sud,  longeant  la  terre  de  très  près 
pendant  une  demi-heure,  avant  de  bombarder  la  vigie,  les  ca- 
sernes, la  gare,  la  station  de  T.  S.  F.  et  la  ville  sans  défense 
de  Scarborough,  en  lançant,  de  9  h.  00  à  9  h.  23,  333  obus  de 

14 


210  HISTOIRE   DE   LA  GUERRE 

15  c/m  et  443  de  8  c/m,  8.  Pendant  ce  temps,  malgré  la  gros- 
se mer,  le  croiseur  léger  Kolberg  pose  ses  mines  (9  h.  14  à 

9  h.  41)  un  peu  au  sud  (3  milles,  5)  de  Scarborough,  exacte- 
ment en  travers  du  chenal  imposé  à  la  navigation  par  l'Ami- 
rauté, 

Le  2^  groupe  remonte  alors  vers  le  Nord,  bombarde  en  pas- 
sant la  station  vigie,  et  par  suite  aussi  les  maisons  voisines,  de 
Whitby   (106   coups   de    15   c/m   et   82   de   8   c/m,8   entre 

10  h.  05  et  10  h.  06)  ;  le  mât  de  signaux  est  abattu.  A  10  h.  31, 
les  deux  groupes  allemands  se  retrouvent  ;  le  rassemblement  se 
fait  en  fuite  vers  l'Est.  Il  y  a  plus  de  deux  heures  et  demie 
qu'ils  sont  près  de  la  côte. 

Pendant  ces  mouvements  des  navires  d'Hipper,  des  événe- 
ments importants  s'étaient  passés  en  arrière.  Le  gros  des 
forces  allemandes  était  parti,  à  la  tombée  de  la  nuit,  des  estuai- 
res de  la  Jade  et  de  l'Elbe  ;  précédé  à  quelque  dix  ou  douze 
kilomètres  par  un  rideau  de  croiseurs  et  de  torpilleurs,  il 
s'avançait  sans  encombre  vers  le  point  de  rendez-vous 
(540  41'  N.  2°  58'  E.)  qu'il  devait  atteindre  à  7  h.  00  :  quand 
à  6  h.  30,  encore  en  pleine  nuit,  un  torpilleur,  à  l'extrême  aile 
droite  de  l'avant-garde  allemande,  alors  en  dehors  de  la 
formation  pour  aller  reconnaître  un  navire  de  pêche,  aperçoit 
cinq  masses  sombres  :  ce  sont  les  torpilleurs  anglais,  en  avant- 
garde  eux  aussi,  qui  le  canonnent  sans  succès.  Aussitôt  averti, 
le  commandant  en  chef  allemand  von  Ingenohl  fait  fuir  ses 
escadres  dans  la  direction  opposée  «  pour  éviter,  dit-il,  une 
attaque  des  flotilles  anglaises,  par  cette  nuit  très  som- 
bre ».  Bien  qu'à  7  h.  10  les  torpilleurs  anglais  aient  dis- 
paru, bien  que  le  jour  approche,  Ingenohl  ne  reprend  pas  sa 
route  vers  le  rendez-vous  ;  il  se  dirige  vers  ses  bases,  tant  il 
craint  d'en  être  coupé,  tant  il  se  sent  mal  à  l'aise  en  supposant 
des  forces  anglaises,  de  composition  ignorée,  dans  le  voisi- 
nage. Il  est  vrai  qu'il  ne  peut  compter  sur  l'éclairage  aérien 
recommandé  par  le  Haut  Commandement,  ni  sur  un  éclairage 
sérieux  par  ses  croiseurs  trop  faibles,  numériquement  et  indi- 
viduellement, et  de  vitesse  trop  réduite  par  rapport  à  l'ennemi 
et  à  leurs  propres  cuirassés.  Il  est  vrai  qu'il  a  cru  aussi  avoir 
dépassé  la  limite  permise  pour  l'emploi  à  distance  de  ses 
cuirassés  sans  autorisation  spéciale. 

Mais,  chose  beaucoup  plus  grave,  Ingenohl  n'avertit  pas  de 
sa  décision  les  forces  qu'il  a  lancées  contre  la  côte  anglaise 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE  2  T  I 

SOUS  les  ordres  d'Hipper  (1).  Même  quand  celui-ci,  à  10  h.  44, 
signale  qu'il  a  terminé  son  opération,  la  Hochseeflotts  ne  lui 
annonce  pas  qu'elle  n'est  pas  au  point  prévu.  Ce  n'est  qu'à 
.11  h.  43,  et  sur  demande  d'Hipper,  qu'Ingenohl  annonce  à 
celui-ci  que  le  gros  des  forces  allemandes  regagne  ses  ports 
à  toute  vitesse  et  se  trouve  à  plus  de  150  milles  (près  de  300 
kilomètres)  des  croiseurs  de  bataille.  Ceux-ci  se  sentent  aban- 
donnés et  gravement  compromis  quand,  à  12  h.  39,  ils  reçoi- 
vent l'avis  que  les  croiseurs  légers  (qui,  on  s'en  souvient,  ont  été 
renvoyés  à  cause  du  mauvais  temps)  sont  tombés  sur  le 
«  gros  de  l'ennemi  »,  disent-ils,  et  ce  à  environ  100  kilomètres 
dans  l'est  d'Hipper,  sur  la  route  de  retour  de  celui-ci  (2).  Dans 
les  grains  de  pluie,  les  bandes  de  brouillard  qui  troublent 
et  font  varier  de  4  à  14.000  mètres  la  visibilité,  grâce  à  d'ha- 
biles et  alertes  mouvements  et  à  l'emploi  des  signaux  de 
reconnaissance  anglais  surpris,  par  suite  aussi  d'erreurs  de 
manœuvre  ennemies,  les  croiseurs  légers  en  question  réussis- 
sent à  échapper  successivement  à  la  vue  des  deux  groupes 
de  forces  anglaises,  et  rentrent  sans  encombre. 

L'amiral  Hipper,  lui,  hésite  un  moment.  A  12  h.  45,  il  pense 
d'abord  s'échapper  par  le  sud,  par  la  route  la  plus  directe, 
qui,  en  même  temps,  le  rapproche  de  ses  croiseurs  légers  qu'il 
a  renvoyés,  mais  dont  il  est  responsable.  Mais  quand  vers 
13  h.  35,  par  un  signal  du  Siralsund,  il  a  connaissance  d'e  la 
présence  dans  les  forces  anglaises  des  croiseurs  de  bataille 
de  Beatty,  plus  rapides  et  plus  puissants  que  les  siens,  il  se 
décide,  pour  éviter,  si  possible,  de  se  laisser  voir  par  des  navi- 
res anglais  quelconques,  à  faire  un  crochet  vers  le  nord  là  où, 
selon  toutes  vraisemblances,  on  n'ira  pas  le  chercher,  là  où  il  a 
le  plus  de  chances  de  n'être  pas  vu  avant  la  nuit.  Il  maintient 
ses  forces  groupées,  malgré  les  conseils  du  commandant  du 
rapide  Derfflinger  (von  Reuter),  qui  voudrait  laisser  les  croi- 
seurs de  bataille  se  disperser  et  profiter  de  leur  vitesse  ;  et  il  les 
ramène  vers  Heligoland,  malgré  les  propositions  du  Moltke 
(von  Levetzovv)  et  du  Derfflinger  qui,  craignant  que  les 
Anglais  ne  les  guettent  dans  la  baie  allemande,  avec  au 

(1)  Ce  n'est  pas  poiir  garder  un  silence  de  T.  S.  F.,  car  il  se  sert  i^  plusieurs 
reprises  de  celle-ci  pour  des  ordres  à  donner  au  gros  des  forces. 

(2)  Pour  comprendre  ces  mouvements  en  apparence  embrouillés,  il  faut 
bien  se  souvenir  de  la  séparation  des  forces  allemandes  en  trois  groupes; 
1°  Hipper,  2"  ses  croiseurs  légers  renvoyés,  et  3° le  gros  des  forces  avec  Inge- 
Hohl. 


212  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

moins  des  torpilleurs  et  des  sous-marins,  voudraient  qu'on 
passe  au  nord  du  Danemark,  et  qu'on  rentre  par  le  passage 
délicat  et  dangereux  du  petit  Belt.  Ces  détails  montrent  l'in- 
quiétude régnant  dans  la  division  si  exposée.  Elle  rentre  pour- 
tant, non  sans  s'être  dispersée  accidentellement  dans  la  nuit 
ténébreuse,  et  avoir  péniblement  atterri  à  la  sonde. 

Jusqu'ici,  comme  vous  l'avez  remarqué,  je  ne  vous  ai  guère 
parlé  que  des  mouvements  des  Allemands  ;  c'est  afin  de  vous 
permettre  de  mieux  juger  les  coups.  Comme  je  l'ai  noté 
ailleurs  (1),  ce  n'est  pas  sur  ce  qui  s'est  passé  réellement, 
sur  des  graphiques  établis  après  coup,  que  les  décisions  sont 
prises  à  la  guerre,  mais  bien  d'après  les  renseignements 
incomplets,  souvent  faux,  souvent  contradictoires,  que  les 
chefs  ont  au  moment  même,  selon  les  impressions  que  ces 
renseignements  et  les  événements  éveillent  en  eux.  Je  vais  vous 
dire  ce  qu'ont  fait  les  Anglais,  mais  très  brièvement  :  si  je  vous 
disais  tout  ce  que  l'on  sait  sur  ces  opérations  de  bombar- 
dement, ce  que  l'on  suppose,  et  si  je  commentais  tout  cela,  il 
faudrait  lire  des  volumes,  étaler  des  atlas  de  plans. 

En  somme,  malgré  l'aid-e  apportée  par  la  brillante  organi- 
sation dont  je  vous  ai  parlé,  les  Anglais  ont  joué  un  peu  à 
colin-maillard,  leurs  mouvements  ont  été  assez  désordonnés. 
Mais  il-  ne  faut  pas  en  rire,  ni  leur  jeter  la  pierre  :  c'est  la 
«  loi  de  la  mer  »,  comme  dirait  Kipling-  Les  renseignements 
sont  vagues,  incomplets,  contradictoires,  les  situations 
changent  de  la  façon  la  plus  inattendue  sur  un  champ  d'opé- 
rations où  toutes  les  directions  sont  permises,  et  où  l'on 
passe  son  temps  à  poursuivre  un  ennemi  qu'on  ne  voit  pas, 
et  dont  on  apprend,  par  intervalles  désordonnés,  de  très  rares 
positions,  souvent  inconciliables  avec  les  suppositions  logiques. 

Donc,  par  déchiffrement  d'un  T.  S.  F.  allemand,  nous 
dit  Filson  Young,  les  Anglais  savent,  dans  la  nuit  du  14  au  15 
décembre,  que  «  4  croiseurs  de  bataille,  5  croiseurs  légers  et 
des  torpilleurs  doivent  quitter  l'Ems  (c'était  la  Jade),  le  15 
au  matin  »,  pour  une  opération  sur  les  côtes  anglaises.  Vous 
voyez  l'imperfection  du  renseignement  :  l'Amirauté  et  Jellicoe 
ignorent  que  la  Hochseeflotte  sort  en  soutien  ;  ils  ne  savent 
pas  où  le  coup  doit  frapper.  Ils  mettent  en  jeu  le  dispositif 
prévu   pour   prévenir  un   débarquement   ou   intercepter  les 

(1)    Revue  Maritime,  octobre  1921  et  mars  1923. 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE  213 

croiseurs  retour  d'un  raid.  Les  3^  et  5^  escadres  de  bataille, 
respectivement  à  Rosyth,  et  à  Sheerness,  sont  alertées,  ainsi 
que  les  forces  d''Harwich|,  (qui  vont  prendre  poste  devant 
Yarmouth  où  l'Amirauté  les  retient),  et  tout  le  service  de 
patrouille  (1)  qui  envoie  croiser  quelques  torpilleurs  devant 
les  côtes.  L'escadre  de  cuirassés  de  veille  à  Scapa  sort,  mais 
2  croiseurs  et  tous  les  torpilleurs  qui  doivent  l'accompagner 
sent  contraints  de  rebrousser  chemin,  non  sans  avaries,  par 
Ja  mer  terrible  creusée  par  le  vent  et  le  courant,  dans  le 
Pentland  Firth.  Cette  escadre,  la  2^  (6  cuirassés),  commandée 
par  le  vice-amiral  Warrender,  va  rejoindre  l'escadre  de 
croiseurs  de  bataille  (4  bâtiments)  de  Beatty  qui  sort  de 
Cromarty  avec  7  torpilleurs,  et  la  3®  escadre  de  croiseurs 
(4  bâtiments)  qui  sort  de  Rosyth.  La  1"  escadre  de  croiseurs 
légers  (commodore  Goodenough)  rejoint  Beatty  en  venant  de 
Scapa. 

L'amiral  Warrender,  qui  commande  le  groupe  des  forces 
mobiles  chargé  d'intercepter  les  forces  allemandes  revenant 
d'un  raid,  fait  route  sur  un  point  qu'il  doit  atteindre  à  8  h.  30, 
le  16  (par  54°10'N.  et  3°00'E.),  et  qui  se  trouve  donc  à  une  cin- 
quantaine de  kilomètres  au  sud  du  point  où  le  gros  des  forces 
allemandes  doit,  à  partir  de  7  heures,  attendre  les  croiseurs 
bombardeurs.  Bien  choisie  pour  protéger  toute  la  côte,  cette 
position  est  telle  que  les  forces  anglaises  et  allemandes  au- 
raient dû  se  rencontrer  et  se  combattre.  En  fait,  les  forces  de 
Warrender  doivent  passer,  vers  1  heure  du  matin,  une  dizaine 
de  kilomètres  sur  l'arrière  des  forces  de  l'amiral  Hipper.  Mais, 
comme,  sur  mer,  il  ne  reste  aucune  trace  du  passage  des  for- 
ces, même  les  plus  considérables,  comme  il  fait  nuit,  les  An- 
glais ne  peuvent  se  douter  de  rien. 

Mais  ils  rencontrent  plus  tard  un  torpilleur  d'avant-garde 
allemand,  le  V.  155.  Après  l'avoir  canonné  entre  6  heures  et 
demie  et  7  heures,  les  torpilleurs  anglais  recherchent, 
retrouvent  et  signalent,  vers  8  heures,  les  croiseurs  et  tor- 
pilleurs (en  particulier  le  croiseur  Roon)  qui  forment  main- 
tenant l'arrière-garde  du  gros  de  la  flotte  allemande  en 
retraite-  Beatty  ne  le  sait  qu'à  9  heures,  par  défaut  de  trans- 

(1)  Une  ligae  de  sous-marins  est  aussi  établie  en  barrage  s'ctendant  nord 
et  sud  de  TericheUing  ;  utile  si  l'opération  avait  eu  la  mèine  direction  que 
«elle  du  3  novembre  (la  dernière,  toujours),  elle  ne  sert  à  ri;a  ;  elle  est  diffi- 
cilement déplacée  en  partie,  et  envoyée  tard  à  l'ouvert  de  la  baie  allemande. 


2Ï4  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

mission  de  T.  S.  F.  ;  et,  tandis  qu'il  s'élance  â  leur  poursuite 
avec  Warrender,  arrive  la  nouvelle  du  bombardement  de 
Scarborough.  Les  amiraux  anglais  font  alors  route  vers  la 
brèche  dans  les  champs  de  mines,  où  doivent  passer  les 
Allemands  après  leur  bombardement  de  la  côte  anglaise  ;  mais 
les  croiseurs  légers  qui  éclairent  Beatty  aperçoivent,  brus- 
quement apparus  dans  la  brume,  les  croiseurs  légers  alle- 
mands qui  reviennent.  Ceux-ci  s'échappent,  comm.e  je  l'ai  dit,à 
Beatty,  qui  continue  vers  l'ouest  et  aurait  eu  contact  avec 
Hipper,  s'il  n'était  pas  revenu  en  arrière  à  13  h.  30,  à  la 
nouvelle  que  Warrender  a  rencontré  des  croiseurs  légers 
allemands,  toujours  les  mêmes.  L'Amirauté,  pendant  ce  temps, 
envoie  un  télégramme  des  croiseurs  de  Hipper,  surpris  et 
déchiffré  (en  une  heure  environ),  donnant  la  position,  la  route 
et  la  vitesse  de  ceux-ci  (route  qui  n'est  plus  exacte  et  paraît 
peu  vraisemblable).  La  situation  n'est  pas  claire.  Ces  posi- 
tions si  diverses,  si  éloignées,  où  l'on  a  vu  des  forces  alle- 
mandes, sem.blent  aux  amiraux  anglais  impossibles  à  coordon- 
ner logiquement.  Les  conclusions  qu'ils  doivent  en  tirer  ins- 
tantanément  (c'est  toujours  ainsi  qu'il  faut  opérer  sur  mer) 
leur  font  faire  des  manœuvres,  sans  doute  logiques  sur  ïe 
moment,  mais  certainement  défectueuses,  à  juger  après  coup, 
quand  on  connaît  le  détail  des  mouvements  des  deux  partis  ; 
manœuvres  peut-être  un  peu  trop  impulsives  (1)  chez  Beatty 
qui  court  à  droite  et  à  gauche  partout  où  on  signale  l'ennemi, 
même  quand  il  n'a  guère  chance  de  le  retrouver  avant  la 
nuit,  comme  par  exemple  à  13  h.  30,  lorsqu'il  veut  rejoindre 
les  croiseurs  légers  allemands  qui  fuient  devant  lui  à  plus  de 
cinquante  kilomètres. 

Les  Anglais  sont  très  mécontents  d'avoir  manqué  leur  coup, 
très  irrités  du  bombardement,  sérieux  cette  fois,  de  leurs 
côtes.  Ils  invoquent  le  droit  des  gens  qui  défend  bien  l'attaque 
des  villes  ouvertes,  mais  qui  le  défend  avec  de  telles  restric- 
tions que  les  Allemands  peuvent  ergoter.  Nous  ne  les  suivrons 
pas  dans  cette  discussion  ;  vous  savez  où  elles  entraînent. 

Plus  pratiquem.ent,  les  Anglais  songent  à  améliorer  leur 

(1)  Précisément,  ces  qualités  impulsives  ont,pourles  raisons  que  je  viens 
de  dire,  la  plus  grande  valeur  chez  un  amiral  et  peuvent  en  faire  un  grand 
homme  de  mer  (Nelson,  par  exemple)  ;  mais  ici  elles  desservent  Beatty 
comme  elles  ont  souvent  d'ailleurs  desservi  Nelson,  qui  «  a  eu  la  chance 
de  vivre  à  son  époque. 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE  21 5 

service  de  protection  de  la  côte  :  Beatty  et  ses  croiseurs  de 
bataille  (qui  seront  plus  tard  renforcés  par  4  ou  5  autres 
unités,  retour  des  opérations  contre  von  S'pee)  descendent  de 
Cromarty  à  Rosytb.  Le  progrès  est  sensible.  Jellicoe  sortira 
désormais  avec  toutes  ses  escadres  de  bataille,  puisqu'on 
sait  que  toute  la  Hochseeflotte  sort  en  soutien.  C'est  cette 
manière  de  procéder  qui  durera  jusqu'à  la  fin  de  la  guerre. 

En  Allemagne,  si  l'on  est  très  heureux  du  bombardement 
réalisé  sans  pertes,  on  éprouve  un  dépit  enragé  quand  on 
reconnaît,  après  étude  des  renseignements  recueillis,  que, 
sans  la  décision  prise  par  Ingenohl  de  rebrousser  chemin 
en  abandonnant  ses  croiseurs  avancés,  des  forces  allemandes 
d'une  supériorité  écrasante  (1)  rencontraient  des  forces  an- 
glaises déjà  importantes,  hors  de  portée  de  tout  soutien 
possible-  La  prise  de  contact  se  faisait  forcément  de  très  près, 
étant  données  les  circonstances  de  visibilité.  Un  succès  que 
l'on  croyait  certain  et  inappréciable  avait  été  manqué  par  la 
pusillanimité  et  l'erreur  de  jugement  du  commandant  en  chef. 
Dans  une  lettre  du  9  janvier  1915,  Tirpitz  s'écrie  :  «  Le  16 
décembre,  Ingenohl  a  eu  le  sort  de  la  patrie  allemande  entre 
les  mains  et  il  l'a  laissé  échapper.  »  Le  sous-chef  de  VAdmi- 
ralstabf  Behncke,  dit,  dans  un  rapport  sur  l'affaire,  qu'on  ne 
peut  avoir  espoir  d'une  utilisation  énergique  d'occasions  favo- 
rables avec  un  pareil  chef.  Ces  hautes  personnalités  étaient 
l'écho  de  telles  critiques  que  le  Haut  Commandement  ordonna 
une  enquête,  avant  la  fin  de  laquelle  Ingenohl  fut  démonté, 
pour  avoir  encore  laissé  ses  croiseurs  de  bataille  sans  soutien 
lors  de  l'affaire  du  Dogger  Bank.  Et  dans  la  plupart  des 
cerveaux  des  amiraux  et  capitaines  de  la  flotte  allemande 
allait  maintenant  flotter  ce  rêve  :  atteindre  et  détruire  des 


(1)  Allemands        Anglais 

Cuirassés  superdreadnoughts  . .  G  6 

Cuirassés  dreadnoughts 8  0 

Cuirassés  anciens   8  0 

Croiseurs  de  bataille 5a  4 

Croiseurs  cuirassés 2  4 

Croiseurs  16g3rs    l+ia  4 

Torpilleurs    53  + 16a  7  (moins 2  avariés) 

Les  bâtiments  marqués  a  étaient,il  est  vrai,assez  éloignés  (forces  d'Hipper). 

11  faut  remarquer  que,  sauf  pour  un  certain  nombre  de  torpilleurs,  les 
bâtiments  anglais  étaient  plus  rapides  que  les  bâtiments  allemands  de  même 
classe.  Les  superdreadnoughts  devaient  pourtant  avoir  des  vitesses  pratiques 
comparables,  peut-être  meilleures  chez  les  Allemands. 


2l6  HISTOIRE  DE   LA  GUERRE 

fractions  isolées  de  l'ennemi.  Mais  la  recherche  pratique  de 
la  réalisation  de  ce  rêve  n'était  pas  facile  :  il  vous  vient  en 
mémoire  ce  conseil  tenu  par  les  rats,  et  si  souvent  aussi  tenu 
par  des  guerriers,  bien  intentionnés  sans  doute,  mais  irres- 
ponsables et  mal  renseignés.  Il  faudra  attendre  plus  d'un  an, 
et  le  commandement  de  l'amiral  Scheer,  pour  que  des  essais 
théoriques  et  prudents  de  réalisation  soient  entrepris  et  vite 
abandonnés. 


III 


Aussitôt  après  le  16  décembre,  Ingenohl,  devenu  à  la 
réflexion  plus  audacieux,  projette  une  expédition  qui  ira  por- 
ter des  mines  devant  le  Firth  of  Forth,  presque  devant  l'antre 
du  lion.  Mais  il  est  retenu  par  le  mauvais  temps  qui  règne 
en  janvier  et  la  crainte,  d'ailleurs  inexacte,  que  les  Anglais 
n'embouteillent  ses  ports. 

L'opération  est  remplacée  au  pied  levé  par  une  croisière 
de  balayage  du  Dogger  Bank,  à  effectuer  par  le:;  croiseurs  de 
bataille.  Cette  croisière  est  imprudemment  ordonnée  par  un 
T.  S.  F.,  que  les  Anglais  déchiffrent  tout  au  long,  nous  dit 
Filson  Young.  Les  croiseurs  de  bataille  allemands  sont  donc 
retrouvés  et  poursuivis  par  les  croiseurs  de  bataille  anglais 
plus  nombreux,  plus  rapides  et  plus  forts.  Un  combat  en 
retraite  s'ensuit  :  les  Allemands  y  perdent  le  Bliïcher,  mais, 
par  désir  de  combattre  à  grande  distance,  par  crainte  de 
sous-marins  inexistants,  et  sans  doute  aussi  par  suite  des 
graves  avaries  de  combat  du  navire  du  commandant  en  chef 
Beatty,  les  Anglais  ne  poussent  pas  l'affaire  à  fond  et  laissent 
échapper  le  reste  des  navires  allemands. 

Pour  des  raisons  de  politique  intérieure,  afin  de  consolider 
la  situation  du  ministre  de  la  Marine  Churchill  et  de  ranimer 
la  confiance  du  pays,  pour  agir  aussi  sur  l'opinion  et  la  con- 
duite des  neutres,  les  Anglais  affectent  de  croire  et  répandent 
le  bruit  qu'ils  ont  empêché  les  Allemands  d'effectuer  un  nou- 
veau bombardement  et  qu'ils  leur  ont  donné  une  sévère  leçon. 
Les  Allemands,  mécontents,  comme  je  l'ai  dit,  de  ce  que  leurs 
croiseurs  n'aient  pas  été  soutenus,  remplacent  leur  comman- 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE 


217 


dant  en  chef  Ingenohl  par  von  Pohl,  qui,  lui,  croit  aussi  à  la 
leçon. 

Le  nouveau  chef  ne  veut  pas  risquer  la  flotte  ;  il  partage 
trop  les  idées  du  G.  Q.  G.  d'où  il  sort,  et  d'où,  comme  chef 
de  VAdmiralstab,  il  vient  de  lancer  le  blocus  de  l'Angleterre 
par  les  sous-marins.  Pendant  son  commandement,  il  cherche, 
et  réussit  dans  les  limites  du  possible,  à  remédier  aux  défauts 
du  matériel  que,  dans  la  flotte  allemande,  comme  ailleurs,  la 
pratique  de  la  guerre  a  révélés  :  insuffisance  de  l'éclairage 
par  des  croiseurs  presque  forcément  de  vitesse  insuffisamment 
supérieure  à  celle  des  cuirassés  (on  y  remédiera  par  l'utilisa- 
tion d'appareils  aériens,  en  particulier  Zeppelins)  ;  insuffisance 
du  nombre  et  de  la  qualité  des  dragueurs  de  mines  ;  insuffisan- 
ce de  la  protection  des  soutes  et  passages  de  munitions  contre 
les  projectiles  ennemis  ;  insuffisance  du  calibre  de  l'artillerie 
des  croiseurs  légers  et  des  torpilleurs.  Il  s'attache  encore  à 
l'amélioration  de  la  protection  contre  les  explosions  sous- 
marines,  à  l'organisation  et  à  l'étude  de  la  protection  des 
forces  navales  contre  les  sous-marins.  Et  il  existe  bien  d'au- 
tres défauts  auxquels  il  songe  et  auxquels  on  ne  peut  porter 
remède.  Comme  il  l'a  dit,  d'après  un  propos  de  sa  femme, 
pendant  son  commandement  «  la  flotte  allemande  est  comme 
un  crabe  qui  change  sa  carapace  »  ;  c'est  certainement  un 
mauvais  état  pour  courir  se  battre.  Aussi  n'y  pense-t-il  point. 
Fidèle  à  son  principe  de  ne  pas  risquer  la  flotte,  au  plan  d'opé- 
rations du  début  de  la  guerre,  qui  est  son  œuvre,  il  ne  sort 
que  rarement  et  à  courte  distance  pour  protéger  des  mouilla- 
ges de  mines  intensifs,  loin  dans  la  mer  du  Nord,vers  le  Dogger 
Bank,  sur  les  routes  entre  les  bases  anglaises  et  les  côtes 
allemandes.  Il  ne  pourra  rencontrer  les  Anglais,  qui  ne  vien- 
dront pas  si  bas,  retenus  un  peu  eux  aussi  par  le  besoin 
d'améliorer  «  leur  carapace  »,  et  qui  ne  tiennent  pas  à  se 
jeter  à  l'aveuglette  dans  des  champs  de  mines,  dont  les 
pêcheurs  leur  ont  vite  donné  connaissance.  Il  faut  auparavant 
les  localiser  et  s'assurer  de  la  sécurité  de  certaines  routes 
nécessaires.  D'ailleurs  les  Anglais  mouillent,  depuis  janvier 
1915,  des  champs  de  mines  dans  la  baie  d'Héligoland,  pour 
gêner  les  sorties  des  navires  allemands,  surtout  des  sou- 
marins  ;  les  Allemands  en  mouillent  aussi  pour  gêner  les 
incursions  des  sous-marins  anglais,  et,  peu  à  peu,  se  crée,  pour 
durer  jusqu'à  la  fin  de  la  guerre,  une  sorte  de  ceinture  de 


2l8  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

mines  qui  s'appuie  aux  côtes  d'Allemagne,  et  que  les  Allemands 
creusent  par  le  dedans,  tandis  que  les  Anglais  la  renforcent  par 
le  dehors.  Des  passages  doivent  être  créés  et  maintenus  dans 
cette  ceinture,  et  ce  n'est  pas  une  mince  besogne  pour  les 
flottilles  de  dragage  allemandes  qu'on  doit  sans  cesse  ren- 
forcer et  soutenir  par  des  forces  légères  :  torpilleurs  et 
croiseurs  (1), 

En  somme  donc,  pas  de  bombardements  pendant  l'année 
1915.  En  janvier  1916,  mortellement  malade,  Pohl  passe  à 
Scheer  le  commandement  d'une  flotte  très  améliorée,  mieux 
outillée  pour  la  guerre,  munie  de  dirigeables  nombreux,  qui 
ont  fait  leurs  preuves  dans  des  raids  sur  l'Angleterre.  Scheer 
et  ses  conseillers  immédiats,  von  Trotha,  son  chef  d'état 
major,  von  Levetzow,  son  chef  du  bureau  des  opérations,  ont 
fortement  critiqué  l'attitude  réservée  de  la  flotte  en  1914- 
1915.  Ils  veulent  «  faire  quelque  chose  »,  mais,  quand  ils  sont 
aux  prises  avec  la  réalité,  avec  la  responsabilité  du  comman- 
dement, ils  ne  font  que  reprendre  les  projets  anciens  en  les 
améliorant.  Le  rêve  de  détruire  quelques  fractions  de  la  fiotte 
anglaise,  par  des  combats  de  surface  en  haute  mer,  cherche 
à  se  réaliser.  Sans  doute  on  sait  à  la  Hochseeflotte  que  la 
Grand  Fleet  ne  sort  plus  que  concentrée,  mais  on  sait  aussi 
que  sa  base  de  Scapa  est  lointaine,  que  quelques  vieux 
cuirassés  sont  à  Sheerness,  à  Douvres  ;  en  bombardant  encore 
Yarm.outh,  on  pense  les  faire  sortir,  les  atteindre  hors  de 
portée  de  tout  secours  important  venant  de  la  Grand  Fleef.  Si 
un  succès  de  ce  genre  doit  avoir  peu  d'influence  matérielle  sur 
la  guerre,  il  peut  en  avoir  au  point  de  vue  moral  ;  on  pourra 
le  clamer  devant  l'opinion  des  belligérants  et  des  neutres.  Par 
l'emploi  d'un  éclairage  à  grande  distance  constitué  par  des 
Zeppelins,  on  com.pte  être  assuré  d'être  prévenu  à  temps  de 
l'approche  de  forces  importantes  anglaises,  et  par  suite  avoir, 
au  besoin,  le  temps  de  se  réfugier  sans  dommages  dans  les 
ports  allemands. 

Mais  les  dirigeables  ne  peuvent  guère  marcher  plus  d'une 
douzaine  d'heures  sans  avoir  une  avarie  quelconque  à  l'un 
de  leurs  nombreux  et  légers  moteurs  ;  ce  n'est  pas  assez  pour 


(1)  Tous  ces  mouillages  de  mines  ont  étrangement  restreint  les  zones  de 
navigation,  et  par  suite  d'opérations  possibles,  en  mer  du  Nord.  Il  faut  bien 
s'en  souvenir  quand  on  étudie  la  guerre  dans  cette  région. 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE  21^ 

leur  permettre  de  rentrer  après  un  voyage  jusqu'à  la  côte 
anglaise  :  il  faut  donc  non  seulement  qu'ils  profitent  du  beau 
temps,  mais  qu'ils  ne  trouvent  pas  de  vents  d'est  pendant  la 
route  de  retour.  Ces  temps  sont  rares  et  difficiles  à  prévoir.  Les 
occasions  de  porter  un  coup  le  seront  aussi,  et  seront  remises 
de  jour  en  jour. 

Laissons  de  côté  la  sortie  du  5  mars,  qui  semble  n'avoir 
été  qu'un  essai  préliminaire  de  l'expédition  réalisée  le  25 
avril  ;  cette  tentative  a  été  interrompue  par  le  manque  d'éclai- 
rage aérien  en  arrière  (les  dirigeables  avaient  attaqué  l'An- 
gleterre la  nuit  précédente  et  n'étaient  pas  disponibles)  et 
sans  doute  aussi,  par  des  déchiffrements  de  télégrammes 
ennemis,  car,  à  cette  époque,  comme  Schcer  nous  le  montre, 
dans  son  livre  (1),  les  Allemands  commencent  à  savoir  se 
servir  assez  vite  de  la  captation  et  du  déchiffrement  des 
radios. 

Passons  donc  à  l'expédition  du  25  avril  1916,  qui  amena 
le  troisième  et  dernier  bombardement  de  la  côte  anglaise.  Il  ne 
s'agissait  plus  de  canonner  de  près  et  à  petite  vitesse,  comme 
l'avait  fait  Hipper,  le  15  décembre  1914,  et  comme  il  était 
nécessaire  de  le  faire  si  l'on  voulait  produire  des  dégâts  im- 
portants :  les  risques  étaient  trop  grands  ;  il  pouvait  y  avoir 
des  sous-marins  anglais  alertés  et  en  position  d'attaquer,  et 
puis  le  but  principal  de  l'opération  était,  comme  je  l'ai  dit, 
d'attirer  quelques  faibles  forces  anglaises  à  portée  de  grandes 
forces  allemandes.  Le  bom.bardement  devait  être  effectué,  par 
surprise,  au  lever  du  jour  par  les  croiseurs  de  bataille  courant 
très  vite  et  entourés  d'une  nuée  de  torpilleurs  et  de  croiseurs 
contre  les  sous-marins.  Pour  remédier  aux  difficultés  de  navi- 
gation éprouvées  en  1914,  deux  sous-marins  de  la  flottille 
des  Flandres  furent  placés,  en  guise  de  bouées  parlantes, 
pour  servir  de  points  d'atterrissage.  D'autres  sous-marins 
de  la  flottille  des  Flandres  surveillaient  la  sortie  des 
ports  anglais  du  Sud.  Des  sous-marins  de  la  Hochseeflofte 
veillaient  devant  le  Firth  of  Forth  et  des  mines  avaient  été 
mouillées  dans  le  voisinage.  Les  dirigeables  devaient  attaquer 
les  côtes  anglaises  pendant  la  nuit  précédente,  rallier  la 
Hochseeflotfe  au  retour,  l'éclairer  et  en  recevoir  assistance  ; 

(1)  Deutschlands  HocksccfloKe  im   WtUkriege,  Berlin,  Sclierl,   1G20,  in-8, 
pages  180  et  ISG. 


220  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

trois  dirigeables  anciens  devaient  partir  d'Allemagne  vers  la 
fin  de  la  nuit  et  s'assurer,  par  des  croisières  poussées  à  3  ou 
400  kilomètres,  que  rien  ne  pouvait  menacer  les  forces  alle- 
mandes pendant  leur  route  de  retour.  Le  gros  des  forces  alle- 
mandes devait  venir  se  placer  à  peu  près  sur  le  parallèle  du 
Texel,  à  mi-distance  entre  les  côtes  anglaises  et  hollandaises. 
De  vastes  champs  de  mines  avaient  été  placés,  (sans  doute 
dans  la  sortie  préliminaire  du  5  mars),  à  une  certaine  distance 
dans  le  nord-ouest  de  cette  position,  et  devaient  agir  sur  les 
forces  anglaises  accourant  des  bases  de  Rosyth  ou  de  Scapa. 

Dès  le  21,  la  Grand  Fleet  est  attirée  à  la  mer  vers  les  côtes 
danoises  et  suédoises  par  la  fausse  nouvelle  d'une  sortie  des 
forces  allemandes  ;  elle  s'approche  même,  le  22  et  le  23,  de 
Horns  Riff,  dans  la  brume  et  non  sans  avaries.  Les  Allemands 
savent  qu'elle  est  dehors,  qu'elle  ne  peut  rester  trois  jours  à 
la  mer  sans  rentrer  renouveler  le  combustible  de  ses  torpil- 
leurs, indispensables  pour  la  protéger  contre  les  sous-marins. 
Et  en  effet,  elle  rallie  Scapa  dans  la  journée  du  24. 

Le  24,  à  midi,  Scheer  appareille  donc  en  toute  confiance  et, 
bien  qu'une  mine  ait  forcé  à  rentrer  le  Seydlitz  avarié  et  con- 
traint la  Hockseefloîte  à  sortir  par  le  chenal  dragué,  près  des 
îles  hollandaises  d'où  on  peut  la  signaler,  Scheer  poursuit 
son  expédition,  qui  s'exécute  conformément  au  plan- 

L'atterrissage  se  fait  parfaitement  sur  les  sous-marins  pré- 
vus, vers  5  heures.  A  peu  près  au  même  moment,  le  croiseur 
léger  Rostock,  en  flanc  garde  sur  la  gauche,  signale  quel- 
ques croiseurs  et  torpilleurs  ennemis  dans  l'ouest-sud-ouest. 
Le  commandant  des  croiseurs  allemands,  contre-amiral  Bb- 
dicker,  étant  tout  proche  de  la  côte,  entreprend  d'abord  le 
bombardement,  courant  très  vite  au  sud,  puis  au  nord  ;  il 
canonne,  de  5  h.  10  à  5  h.  40,  Lov/estoft,  puis  Great  Yarmouth, 
entre  12  à  14.000  mètres  ;  ces  deux  localités  répondent  à 
peine  :  la  distance  est  trop  grande.  Les  dégâts  causés  à  la 
terre  sont  peu  considérables. 

Vers  5  h.  30,  les  forces  anglaises  signalées,  qui  sont  les 
forces  d'Harwich  alertées  et  qui  consistent  en  3  croiseurs 
légers,  2  conducteurs  de  flotilles  et  16  destroyers  (1),  se 
sont  approchées  des  croiseurs  de  flanc  garde  allemands  et 

(1)  Ces  na\àres  sont  tous  des  iiaNires  ultra  rapides,  plus  rapides  que  tous 
les  navires  allemands,  précisément  choisis  à  cause  de  leur  situation  risquée 
de  forces  d'éclairage  et  de  patrouille. 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE  22 1 

les  canonnent  à  environ  12.000  mètres.  Les  croiseurs  légers 
allemands  ne  répondent  pas  car  la  distance  est  jugée  trop 
grande  pour  leur  faible  artillerie.  Mais  les  croiseurs  de  ba- 
taille de  l'amiral  Bodicker,  ayant  terminé  leur  bombardement, 
courent  sur  eux  pour  les  refouler,  et  ouvrent  le  feu  avec  leurs 
grosses  pièces  à  14.000  mètres.  Le  chef  des  forces  d'Harwich, 
Commodore  Tyrwhitt,  se  dérobe  devant  cet  ennemi  trop  puis- 
sant en  se  dispersant  derrière  des  nuages  de  fumée,  non 
sans  que  le  croiseur  Conquest  ait  été  touché  trois  fois  à 
bâbord  derrière,  ait  eu  un  canon  démoli,  son  appareil  T.  S.  F. 
démonté,  23  hommes  tués  et  15  blessés,  et  que  le  destroyer 
Laertes  ait  eu  une  chaufferie  démolie  et  4  hommes  brûlés. 
L'amiral  Bodicker  n'insiste  pas  et  s'éloigne  pour  rentrer  en 
Allemagne.  Le  commodore  Tyrwhitt  ne  peut  reprendre  son 
contact,  une  fois  ses  forces  ralliées  et  la  fumée  dispersée. 

Pendant  ce  temps,  Scheer  avec  la  Hochseeflotie  est  à  envi- 
ron 70  milles  (120  ou  130  kilomètres)  dans  le  nord-est.  Dès 
qu'à  6  heures,  il  reçoit  avis  que  le  contre-amiral  Bodicker  a 
terminé  son  opération,  il  prend  la  route  du  retour  ;  quoi  qu'il 
en  dise,  il  ne  tient  pas  à  s'attarder  ;  il  ne  montre  que  bien 
peu  de  patience  à  attendre  ces  forces  anglaises  qu'il  voulait 
attirer  ;  il  y  a  d'ailleurs,  dans  les  parages,  quelques  sous- 
marins  anglais  que  lui  signalent  ses  torpilleurs  et  aux  attaques 
desquels  il  se  dérobe-  Le  dirigeable  L.  19  l'a  déjà  rallié  à 
5  h.  30,  poursuivi  par  des  avions  anglais  qui  l'abandonnent 
à  la  vue  de  la  flotte  allemande.  Deux  autres  Zeppelins  L.  11 
et  L.  23  arrivent  à  peu  près  en  même  temps.  La  Hochsecflottc 
a  donc  un  bon  éclairage  tactique,  elle  serait  prévenue  long- 
temps à  l'avance  de  l'approche  de  forces  nng!ais;es.  Elle  n'a 
d'ailleurs  rien  à  craindre.  Le  24  après-midi,  la  Grand  Flett 
est  à  Scapa,  et  charbonne  avec  précipitation  :  elle  sait  que  la 
Hochseeflottc  est  à  la  mer,  mais  malgré  la  rapidité  étonnante 
avec  laquelle  elle  se  ravitaille,  elle  ne  peut  repartir  qu'à  minuit 
vers  le  sud.  Un  simple  coup  d'œil  sur  la  carte  vous  montrera 
que  cette  chasse  est  inutile  :  à  midi  le  gros  des  forces  anglai- 
ses est  à  peine  à  la  latitude  du  Firth  of  Forth  ;  si  la  5"  et  la  3^ 
escadres  de  bataille  sont  respectivement  à  35  et  70  milles  plus 
au  sud  et  les  croiseurs  de  bataille  de  Beatty  encore  plus  en 
avant,  il  est  évident  que  les  Allemands  sont  encore  une  fois 
bien  manques. 

Ce  bombardement,  bien  qu'assez  insignifiant,  excite  vive- 


222  HISTOIRE  DE   LA  GUERRE 

ment  l'opinion  publique  anglaise,  qui,  depuis  l'affaire  du  Dog- 
ger  Bank,  avait  cru  que  les  Allemands  n'oseraient  plus  insul- 
ter les  côtes  britanniques.  L'Amirauté  s'émeut  un  peu  moins  : 
elle  espère  toujours  que  la  Grand  Fleet  surprendra  un  jour  la 
Hochseeflotte,  et  elle  sait  bien  qu'un  concours  de  circonstances 
exceptionnelles  a  voulu  que  Jellicoe  ait  à  rentrer  faire  du 
charbon  juste  au  moment  oii  il  lui  aurait  fallu  courir  pour 
intercepter  le  raid  allemand.  Cependant,  comme  il  semble 
qu'avec  le  nouveau  commandant  en  chef  la  Hochseeflotte 
va  montrer  plus  d'activité,  la  3*  escadre  de  bataille  descend 
à  Sheerness,  des  monitors  sont  placés  le  long  de  la  côte 
abandonnée  depuis  quelque  temps  déjà  par  les  vieux  cuiras- 
sés :  les  craintes  de  débarquement  se  réveillent  et,  malgré 
les  besoins  des  armées  en  France  (c'est  l'année  de  Verdun, 
de  la  Somme),  des  forces  militaires  importantes  restent  en 
Angleterre  qui  n'en  sortiront  qu'aux  époques  si  graves  d'avril 
1918. 

En  Allemagne,  on  est  très  satisfait  des  faibles  résultats 
matériels  obtenus,  en  raison  de  leur  importance  morale.  La 
sécurité  assurée  par  les  Zeppelins  et  le  service  de  renseigne- 
ments paraît  au  commandement  en  chef  de  la  Hachseeflotîe 
devoir  permettre  de  reprendre,  avec  un  temps  favorable,  de 
nouveaux  bombardements,  sans  crainte  d'intervention  de  la 
Grand  Fleet.  II  paraît  au  contraire  plus  douteux  que  l'on  puisse 
attirer  des  fractions  isolées  de  la  flotte  anglaise.  Ce  sont 
au  moins  les  conclusions  que  l'on  peut  tirer  du  dernier  raid  ; 
et  pendant  toute  la  guerre  navale,  en  Allemagne,  on  a  ratiociné 
sur  la  dernière  affaire,  on  en  a  scruté  les  détails  et  on  s'est  tou- 
jours imaginé  que  ce  qui  s'était  produit  une  fois  devait  se 
reproduire  la  fois  suivante,  sans  se  souvenir  qu'expérience 
unique  n'est  pas  preuve.  Il  faut  reconnaître  aussi  que  le  nom- 
bre suffisant  d'expériences  n'existait  pas  et  que  les  très  rares 
constatations  que  l'on  faisait  avaient  bouleversé  un  peiTles 
théories  du  temps  de  paix. 

Parce  que  ce  bombardement  est  le  dernier  réalisé,  vous 
avez  cru,  messieurs,  que  cet  exposé  s'arrêtait  là.  Permettez- 
moi  de  retenir  encore  quelques  minutes  votre  attention  sur 
les  deux  dernières  opérations  de  bombardement  prévues,  mais 
avortées,  qui  ont  amené  l'une  la  bataille  de  Jutland  et  l'autre 
les  opérations  du  19  août  1916,  et  qui  ont  définitivement 
dégoûté  les  Allemands  de  risquer  leur  Hochseeflotte, 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE  223 

Donc,  Scheer,  encouragé  par  le  succès  du  bombardement 
du  25  avril  1916,  prépare  une  autre  opération.  Cette  fois,  il 
compte  créer  dans  la  mer  du  Nord  une  vaste  zone,  dans 
laquelle  il  pourra  se  mouvoir  sans  crainte  de  voir  la  Grand 
Fleet  y  pénétrer  inopinément.  Cette  zone  sera  entourée  par 
ce  qu'il  appelle  une  ceinture  de  sûreté  de  dirigeables  étendue 
de  Lindesnaes  (Norvège)  à  Peterhead  (Ecosse),  le  long  de 
la  côte  est  d'Angleterre,  et  dans  les  Hoofden  (mer  anglo- 
hollandaise).  Evidemment  cette  ceinture  de  sûreté  n'agira  que 
de  jour.  Il  compte  donc  traverser  la  mer  du  Nord  pendant  les 
longues  heures  de  clarté  de  ces  mois  voisins  du  solstice  d'été, 
arriver  avant  l'obscurité  devant  les  usines  et  établissements 
de  Sunderland  (au  nord  d'HartIepool)  où  il  sait  qu'il  n'y  a  ni 
raines,  ni  sous-marins.  Il  rentrera  ensuite  de  nuit,  bien  assuré 
de  ne  pouvoir  être  surpris  par  des  forces  supérieures,  puisque, 
par  hypothèse,  celles-ci  ne  seront  pas  à  l'intérieur  de  sa  cein- 
ture de  sûreté  avant  la  tombée  du  jour.  Les  sous-marins,  dont 
il  a  un  grand  nombre  à  sa  disposition  depuis  l'arrêt  du  blocus 
des  côtes  ouest  d'Angleterre  (25  avril  1916),  seront  mis  à 
l'affût  près  du  Firth  of  Forth  et  de  Scapa.  Ils  y  partent  le  23  ; 
tout  est  prêt  :  pas  de  mines  devant  Sunderland,  signale 
le  U.  47.  Mais,  de  jour  en  jour,  il  faut  remettre  l'opération  :  le 
temps  très  spécial  nécessaire,  comme  je  vous  l'ai  déjà  dit,  à 
l'utilisation  des  dirigeables  ne  s'établit  pas.  Une  expédition 
avait  été  annoncée  à  la  Hochseefloîte  ;  Scheer  ne  voulait  pas 
s'en  dédire  :  pour  maintenir  son  prestige,  il  faut  faire  quelque 
chose.  Il  se  décide  alors  pour  une  petite  expédition  sans  im- 
portance vers  le  Skagerrak,  mais  il  l'annonce  par  T.  S.  F.  à 
ses  sous-marins.  Les  Anglais,  captant  et  déchiffrant  ses  radio- 
télégrammes,  connaissent  son  départ  et  son  objectif.  Ils  se 
rendent  vers  le  Skagerrak  et  c'est  la  rencontre  du  jutland, 
amenée  comme  vous  le  voyez  par  la  modification  instantanée 
d'un  projet  de  bombardement.  Bien  entendu,  je  ne  vous  par- 
lerai pas  de  cette  bataille,  dont  on  a  tant  dit  et  tant  écrit, 
mais  il  faut  se  défier  d'une  partie  de  ce  que  l'on  a  publié,  car  on 
l'a  fait  à  tort  et  à  travers  bien  souvent,  et  souvent  aussi  dans 
des  intentions  de  propagande  personnelle  ou  nationale. 

En  conclusion  de  son  rapport  sur  cette  bataille,  Scheer 
affirme  l'impuissance  de  la  Hochseeflotte  à  vaincre  la  résis- 
tance que  les  forces  navales  alliées  opposent  au  libre  accès 


224  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

des  mers  pour  l'Allemagne  et  ne  voit  qu'une  solution  :  la 
guerre  de  sous-marins  sans  restrictions. 

Pour  des  raisons  politiques  et  militaires,  le  Haut  Comman- 
dement allemand  n'en  veut  pas  encore  ;  mais  il  veut  qu'on 
fasse  quelque  chose  pour  appuyer  la  propagande  menée 
grand  train.  Scheer  reprend  donc  son  projet  sur  Sunderland, 
avec  quelques  modifications  à  propos  des  sous-marins,  qu'il 
veut  employer  en  lignes  de  barrage.  Le  18  août  au  soir,  la 
HOchseeflotte  sort,  la  Grand  Fleet  le  sait,  sort  à  la  nuit,  mais 
elle  ne  sait  où  se  porter,  elle  court  d'abord  vers  le  sud,  puis 
elle  rebrousse  chemin  en  rencontrant  les  sous-marins  et  en 
apprenant  qu'un  grand  nombre  de  Zeppelins  sont  placés  au 
nord  :  ceux-ci  ne  l'ont  pas  vue  parce  qu'elle  était  partie  et 
entrée  dans  la  ceinture  de  sûreté  pendant  la  nuit  précédente. 
Ce  n'est  qu'à  partir  de  12  h.  environ  que  Jellicoe  prend  la 
route  qui  le  mène  sur  les  navires  allemands,  il  s'en  rapproche, 
il  le  sait  par  les  avis  de  T.  S-  F.  qui  lui  parviennent  de  terre, 
il  s'en  croit  même  si  près  qu'il  donne  des  ordres  de  répartition 
des  objectifs  entre  les  navires  de  sa  flotte.  Mais  il  a  beau 
courir  au  sud,  il  ne  voit  rien. 

Que  s'est-il  passé  ?  Par  suite  d'une  heureuse  erreur  de 
reconnaissance  d'un  de  ses  dirigeables,  Scheer  a  renoncé  à 
sa  route  pour  courir  au  sud-est,  vers  des  forces  anglaises 
inférieures,  qu'il  compte  annihiler.  Mais  pendant  qu'il  marche 
vers  celles-ci  en  s'éloignant  de  Jellicoe,  il  apprend  d'un  de  ses 
sous-marins  l'approche  de  la  Grand  Fleet.  Il  se  sauve  à  toute 
vitesse,  — il  en  est  temps  encore,  —  et  rentre  sans  encombre. 

Une  fois  au  port,  il  se  rend  compte  du  danger  qu'il  a  couru  : 
il  avait  toutes  chances  de  perdre  la  Hochseefloite  ;  il  ne  fallait 
pas  compter  sur  la  sécurité  fournie  par  les  dirigeables  et,  mal- 
gré les  précautions  les  plus  minutieuses,  les  Anglais  connais- 
saient toujours  les  sorties  allemandes.  La  flotte  allemande  ne 
so-rtira  plus  en  masse  :  les  bombardements  de  la  côte  anglaise 
sont  bien  finis,  en  réalité  et  en  projet. 

Les  Allemands  vont  se  consacrer  désormais,  un  peu  tard, 
à  intensifier  la  guerre  de  sous-marins  sans  restrictions,  comme 
ils  disent,  sans  pitié  et  sans  foi,  comme  disent  leurs  victimes, 
guerre  qui  mena  la  cause  des  Alliés  à  deux  doigts  de  sa 
perte,  au  témoignage  des  plus  hautes  autorités  anglaises, 
mais  qui  échoua  par  l'énergie  et  le  courage  des  marins  des 
navires    de    guerre    et    de    commerce,    par    l'accumulation 


BOMBARDEMENTS  DE  LA  COTE  ANGLAISE  22$ 

incroyable   des  moyens   matériels,   dont  pouvaient  disposer 
l'Entente  et  les  Etats-Unis  d'Amérique. 

J'ai  abusé  de  votre  attention  un  peu  trop  longuement,  et 
je  n'ai  pourtant  pas  pu  vous  dire  tout  ce  que  j'aurais  voulu 
que  l'on  sût  à  ce  propos  en  France,  où  l'on  oublie  trop  volon- 
tiers les  questions  maritimes,  pourtant  indispensables  à  bien 
connaître  en  cette  époque  de  politique  mondiale,  et  par  suite 
navale. 

.      .._  André  CoGNiET.        ..     '. 


15 


m  weimar 
d  ks  Livres  scolaires  aîîemaiids 


«  Dans  toutes  les  écoles,  renseignement  doit  avoir  pour  but 
la  formation  du  civisme,  les  capacités  de  travail  personnel  et 
professionnel,  et  cela  dans  l'esprit  de  la  nationalité  allemande 
et  de  la  réconciliation  des  peuples  »  (im  Geiste  des  deiitschen 
Volkstums  und  der  Vœlkerversœhnung).  Tel  est  le  très  remar- 
quable §  1  de  l'art.  148  de  la  Constitution  de  Weimar,  trop 
peu  connu  dans  notre  pays.  Comment  cette  disposition  fut- 
elle  introduite  dans  la  loi  constitutionnelle  ?  Comment  a-t-elle 
été  appliquée  jusqu'ici  dans  les  livres  scolaires  de  la  nouvelle 
République  ?  Notre  étude,  en  essayant  de  répondre  à  ces 
questions,  pourra  contribuer  à  éclairer  quelque  peu  la  psycho- 
logie de  l'Allemagne  d'après-guerre. 

La  genèse  de  l'art.  148  et  des  autres  articles  relatifs  à 
l'éducation  et  à  l'école  (Budung  und  Schulé)  est  déjà  caracté- 
ristique (1).  A  la  première  réunion  de  l'Assemblée  Nationale, 
ni  le  gouvernement  ni  les  partis  n'osent  introduire  dans  la 
Constitution  du  Reich  une  législation  détaillée  concernant 
l'école.  Craignant  sans  doute  d'empiéter  sur  les  prérogatives 
des  Etats,  le  gouvernement  se  contente  de  proposer  deux 
courts  articles  (19  et  20)  relatifs  à  la  liberté  d'enseignem.ent 
et  aux  rapports  de  l'Ecole  et  de  l'Eglise.  Quant  au  projet  de 
l'Assemblée,  il  tient  dans  les  cinq  paragraphes  d'un  seul 
article  (art.  31)  rédigé  dans  le  même  esprit.  Mais  au  sein  de 
la  commJssion  se  produit  un  revirement  complet  :  «  Tous  les 
partis  reconnaissent  la  nécessité  pour  le  nouveau  Reich  de 

(1)  Cf.  pour  ces  détails  :  Johannes  Hoffmann  :  Schule  iind  Li'hrer  in  der 
Rcichsverfassung(3eTUn,  Vonvârls  1921).  La  brochure  du  Prof.  D'  Ficyerle  : 
Dte  Verjassuncj  des  Beutschcn  Reiches  (Munich, 1919)  pa5se  absolument  sous 
silence  l'élaboration  de  l'art.  148,  dont  l'auteur  lui-même  a  eu  î'inilialivc. 


L'ARTICLE    148   DE   LA  CONSTITUTION  DE   V/EIMAR  227 

collaborer  à  la  culture  des  esprits.  »  A  la  première  lecture, 
l'art.  31  est  développé  par  la  commission  en  huit  para- 
graphes tenant  plus  d'une  page.  L'article  31  §  f,  ne  parle 
encore  que  de  la  base  «  de  caractère  national  allemand  » 
{deutsclie  V olksîiïmlichkeit)  que  d'oit  avoir  l'enseignement. 
A  sa  deuxième  séance,  la  commission  rédige  ces  nouvelles 
dispositions,  sous  une  forme  deux  fois  plus  longue,  en  neuf 
articles  (139-147)  :  nous  voyons  ici  apparaître,  à  côté  du 
caractère  national  de  l'éducation,  l'esprit  de  réconciliation  des 
peuples  qui  doit  l'imprégner.  Enoncée  d'abord  à  l'art.  145, 
cette  disposition  passera  à  l'art.  148  dans  la  rédaction 
définitive. 

C'est  au  Dr  Beyerle,  du  parti  populaire  bavarois,  membre 
par  conséquent  du  Centre,  qu'est  due  l'expression  «  esprit 
de  réconciliation  des  peuples  ».  Celle-ci  fui  naturellement 
combattue  par  la  droite,  en  particulier  par  deux  pasteurs 
oublieux  des  préceptes  évangéîiques,  le  trop  célèbre  Traub, 
disciple  de  Naumann,  et  Mumm.  Les  socialistes,  au  con- 
traire, par  la  bouche  de  M""*'  la  députée  Bios,  défendirent 
victorieusement  cette  addition  :  «  Non,  dit-elle,  nous  autres, 
femmes  et  mères,  tenons  justement  à  ce  que  ce  mot  entre  dans 
la  Constitution.  Nous  voulons  que  la  réconciliation  des 
peuples  soit  introduite  dans  l'école,  et  nous  prendrons  soin, 
comme  femmes  et  comme  mères,  que  cet  esprit  passe  du 
peuple  allemand  aux  autres  peuples,  afin  que  des  guerres 
comme  celle  que  nous  avons  vue,  et  qui  miènent  à  l'effon- 
drement économique,  ne  soient  enfin  plus  possibles.  » 

Députés  du  Centre  et  socialistes  firent  si  bien  en  séa.nce 
plénière  que  l'expression  passa.  «  Il  est  remarquable,  constate 
Hoffmann,  membre  de  la  commission,  que  l'Assemblée 
Nationale,  malgré  la  guerre  et  le  Traité  de  Versailles,  ins- 
crivit dans  la  Constitution  l'idée  de  la  paix  des  peuples  et 
de  la  solidarité  humaine,  au  temps  où  les  peuples  se  détes- 
taient encore.  » 

Le  11  août  1919,  la  Constitution  était  promulguée,  et  la 
loi  ordonnait  de  faire  régner  dans  les  écoles  du  Reich  l'esprit 
de  réconciliation  internationale.  Mais  la  loi  ne  suffit  pas. 
surtout  quand  elle  se  borne  à  proclamer  un  principe.  Même 
dans  un  pays  centralisé  comme  le  nôtre,  un  règlement  d'admi- 
nistration doit  venir  la  préciser  et  la  compléter.  A  plus  forte 
raison    dans    un    Etat    de    caractère    semi-fédératif    comme 


228  HISTOIRE   DE  LA   GUERRE 

l'Allemagne,  où  chaque  Etat  devait  fixer  par  un  règlement 
spécial  les  modalités  d'application  de  la  loi  constitutionnelle. 

L'art.  148  fut  la  pierre  de  touche  des  bonnes  ou  des 
mauvaises  dispositions  des  Etats  en  matière  de  politique 
internationale.  Les  ministères  nationalistes  n'obéirent  qu'en 
rechignant,  firent  traîner  les  choses  en  longueur  ;  d'autres, 
socialistes,  saisirent  aussitôt  avec  joie  l'occasion  de  propager 
dans  la  jeunesse  les  idées  pacifistes-  Nous  nous  contenterons 
de  citer  ici  deux  types  opposés  d'attitudes,  celui  de  la  Prusse, 
et  celui  du  Brunswick. 

L'Etat  de  Frédéric  II,  bureaucratique  et  réactionnaire,  ne  put 
se  résoudre  à  élaborer  un  projet  d'application  de  l'impudent 
article  qui  osait  parler  de  réconciliation.  En  avril  1921,  rien 
n'était  encore  décidé.  Le  14  novembre,  la  Ligue  allemande 
pour  la  Société  des  Nations  m'écrivait  :  «  Le  ministère  des 
Cultes  prussien  avait  institué  une  commission  scolaire,  qui 
devait  procéder  à  une  révision  et  à  une  modification  des 
livres  de  classe  dans  le  sens  de  l'art.  148.  Malheureusement 
les  travaux  de  cette  commission  n'ont  pas  dépassé  la  phase 
des  déclarations  purement  théoriques,  car  les  autorités  com- 
pétentes manquent  visiblement  des  moyens  et  de  la  volonté 
nécessaires  pour  exécuter  franchement  ce  que  la  Constitution 
déclare  indispensable.  »  A  quel  point  cette  révision  des  livres 
scolaires  d'après-guerre  s'impose,  c'est  ce  que  nous  verrons 
plus  loin.  Mais  le  ministère  prussien  n'a  même  pas,  croyons- 
nous,  publié  les  «  déclarations  purement  théoriques  »  dont 
parlait  notre  correspondant  :  nous  n'en  avons  trouvé,  en  effet, 
trace  nulle  part. 

Si  la  bureaucratie  prussienne  s'est  montrée  une  fois  de  plus 
nationaliste  et  rétrograde,  incapable,  en  vingt-sept  mois, 
d'appliquer  l'art.  148,  la  petite  République  de  Brunswick 
avait,  par  contre,  donné  un  bel  exemple  de  courage  et  d'esprit 
pacifique  en  publiant,  dès  le  14  septembre  1920,  un  plan 
modèle  d'éducation  pacifiste,  conciliée  avec  l'amour  de  la 
grande  et  de  la  petite  patrie  (1). 

L'enseignement  doit,  en  parlant  du  pays  natal  (Heimai), 
et  en  tenant  ensuite  compte  des  sentiments  du  peuple  allemand 

(1)  La  République  de  Thuringe  a  entrepris  il  y  a  six  mois  une  campagne 
directe  auprès  des  élèves,  par  des  tracts  distribués  dans  les  écoles  secondai- 
res et  supérieures  ;  ces  brochures  sont,  paraît-il,  imbues  du  même  esprit  que 
le  règlement  du  Brunswick. 


L'ARTICLE   148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIMAR  229 

pris  dans  son  ensemble,  s'élargir  jusqu'au  concept  de  l'huma- 
nité :  tel  est  le  principe  posé  tout  d'abord  (1). 

Ce  principe  est  ensuite  appliqué  aux  diverses  matières 
d'enseignement.  Pour  la  lecture  libres  l'enfant  se  nourrira  des 
œuvres  des  poètes  et  écrivains  appartenant  à  toute  l'humanité. 
En  histoire,  les  élèves  «  partant  de  leur  petite  patrie  et  d'un 
exposé  détaillé  de  l'histoire  d'Allemagne,  doivent  jeter  un 
coup  d'œil  d'ensemble  sur  les  relations  internationales  au 
cours  des  siècles,  et  apprendre  ainsi  à  connaître  le  pays 
natal,  la  nation,  l'humanité  comme  des  sphères  d'existence 
qui  se  complètent  et  se  conditionnent  nécessairement.  Les 
guerres  doivent  être  considérées  non  comme  les  points  culmi- 
nants des  développements  historiques,  mais  surtout  comme  la 
destruction  des  conquêtes  de  la  civilisation  humaine.  Par 
contre,  il  faut  insister  avant  tout  sur  l'histoire  de  la  culture  qui 
est  celle  du  travail  humain,  et  exposer  à  grands  traits  sa  mar- 
che, depuis  ses  débuts  jusqu'à  son  niveau  actuel  ». 

En  ce  qui  concerne  Vinstruction  civique,  le  maître  devra 
«  exposer  les  institutions  actuelles,  les  comparer  à  celles  des 
autres  peuples,  mettre  sous  les  yeux  des  enfants  la  valeur 
importante  des  organisations  entre  Etats  et  de  celles  qui  leur 
sont  supérieures,  ainsi  que  des  organismes  internationaux 
basés  sur  le  droit  des  gens,  afin  que  s'éveille  ainsi  peu  à  peu  la 
conscience  d'une  communauté  européenne,  puis  d'une  commu- 
nauté mondiale  ». 

En  géographie,  on  devra  «  faire  passer  l'enfant  du  pays  à 
l'humanité,  et,  par  une  formation  plus  complète  du  maître, 
faire  mieux  comprendre  l'étranger  et  juger  plus  justement  les 
autres  peuples.  Il  faudra  montrer  aussi  les  relations  économi- 
ques des  peuples  et  la  nécessité,  imposée  par  le  développe- 
ment de  l'économie  mondiale,  de  collaborer  à  la  production 
humaine  ». 

L'histoire  naturelle  ne  devra  plus  se  contenter  de  la  lutte 
pour  la  vie  ;  elle  complétera  cette  notion  en  montrant  l'appari- 
tion, dans  certaines  espèces,  de  l'entr'aide  et  de  la  communauté 
sociale.  Enfin,  il  conviendra,  dans  l'enseignement  des  langues 
vivantes,  d'avoir  en  vue  l'œuvre  de  réconciliation,  par  le  choix 
judicieux  des  textes  étrangers- 

Nous  avons  tenu  à  reproduire  en  grande  partie  ce  règle- 
Ci)  Cf.  Die  Pâdagogische  Reform  (Hambourg,  15  déc.  1920). 


230  HISTOIRE   DE  LA   GUERRE 

ment  :  sa  sagesse  prouve  une  fois  de  plus  qu'il  existe  en 
Allemagne  des  milieux  —  hélas  !  encore  trop  restreints  — 
avec  lesquels  il  ne  serait  pas  impossible  de  s'entendre  et  qui 
cherchent  à  amender  l'esprit  détestable  de  l'éducation  à  la 
prussienne. 


Dans  ces  conditions,  lorsque  j'entrepris  de  me  livrer  à  une 
enquête  sur  les  livres  scolaires  allemands,  sur  leurs  tendances 
actuelles  au  point  de  vue  des  relations  internationales,  je  fus 
séduit  par  le  double  intérêt  que  devait  présenter  cette  étude  : 
connaître  la  mentalité  des  éducateurs  d'outre-Rhin  et  savoir 
dans  quelle  mesure  ils  appliquaient  l'art,  148  de  la  Consti- 
tution. 

Mais  lorsque,  dès  le  mois  d'avril  1921,  je  demandai  à  mes 
correspondants  des  titres  de  nouveaux  livres  scolaires,  lors- 
que, fin  juillet,  je  renouvelai  mes  questions  au  cours  d'un 
voyage  à  Stuttgart,  j'appris  que  ces  ouvrages  étaient  excessi- 
vement rares,  pour  ne  pas  dire  introuvables  :  la  crise  écono- 
mique rendait  presque  impossible  le  remplacem.ent  des  vieux 
stocks.  Je  fis  alors  paraître  des  annonces,  j'écrivis  à  divers  édi- 
teurs, et  j'appris  avec  étonnement  que.  le  nombre  des  livres 
nouveaux  était  beaucoup  plus  grand  qu'il  ne  paraissait  au 
premier  abord,  car  maints  auteurs,  pour  échapper  à  l'art. 
148,  ou  au  récit  gênant  de  la  défaite  et  de  la  Révolution, 
avaient  fait  réimprimer  sans  modifications  des  ouvrages  de 
l'époque  impériale.  Ils  s'étaient  contentés  de  ne  pas  les  signa- 
ler comme  nouvelles  éditions  et  de  conserver  l'ancienne  date, 
antérieure  la  plupart  du  temps  à  1914,  et  toujours  à  1917, 
pour  ne  pas  parler  des  revers  ni  de  la  chute  de  l'empire. 
Avec  un  peu  de  bonne  volonté  de  la  part  de  l'administration 
scolaire,  ces  réimpressions  pouvaient  passer  comme  stocks 
d'avant-guerre. 

Si,  avant  d'examiner  en  détail  les  livres  postérieurs  à  la 
Révolution,  nous  jetons  un  coup  d'œil  sur  ces  ouvrages  con- 
servés par  fraude,  nous  verrons  s'y  étaler  la  mentalité  prus- 
sienne   que    l'école    inculquait    à    toute    l'Allemagne    impé- 


L'ARTICLE    148   DE   LA   CONSTITUTION  DE   WEIMAR  23 1 

riale  (1).  L'histoire  y  est  enseignée  d'une  manière  tout  à  fait 
partiale  et  tendancieuse.  A  partir  de  la  Réforme,  l'écolier 
n'apprend  plus  que  les  hauts  faits  de  la  Prusse  et  la  louange 
de  ses  rois  :  le  Grand  Electeur,  le  roi-sergent,  Frédéric  II,  la 
reine  Louise,  le  vieux  Guillaume,  Frédéric  III,  Guillaume  II, 
tous  les  Hohenzollern  ont  été  bons,  humains,  exempts  de  tout 
égoïsme,  préoccupés  uniquement  du  bien  du  peuple  et  de  la 
grandeur  de  la  Prusse  et  de  l'Allemagne.  Quant  aux  autres 
nations,  le  malheureux  petit  Allemand  les  ignore  :  s'il  en  en- 
tend parler,  c'est  seulement  pour  connaître  leur  faiblesse, 
leurs  défauts,  leur  félonie,  leur  jalousie,  ou  leur  haine  vis-à-vis 
des  Etats  germaniques.  Dieu  abandonne  d'ailleurs  ces  nations 
égarées  à  leur  triste  sort,  pour  ne  protéger  et  guider  que 
l'Allemagne  prussienne  :  «  Dieu  abat  les  ennemis  de  l'Alle- 
magne... Dieu  frappe  Napoléon  (en  1812)...  Dieu  nous  a 
donné  la  fortune...  Nous  ne  craignons  rien  au  monde  que 
Dieu...  »  Beaucoup  de  phrases  analogues  reviennent  dans  ces 
manuels  comme  un  îeit-motiv.  Comment  l'écolier  soumis  à  cette 
suggestion  incessante  ne  finirait-il  pas  par  croire  que  le  peuple 
auquel  il  appartient  est  l'élu  de  Dieu  ? 

Mais  passons  aux  livres  scolaires  édités  pendant  la  guerre 
même.  Pour  montrer  jusqu'où  pouvaient  aller  la  passion  et 
la  stupidité  chauvines,  nous  citerons  deux  ouvrages,  de  carac- 
tère très  différent,  mais  imbus  du  même  esprit  détestable. 

Le  premier  est  un  recueil  de  Plus  de  600  devoirs  sur  la 
guerre  mondiale  1914-15  pour  rédactions  et  narrations  libres 
dans  les  écoles  (2).  L'auteur,  probablem.ent  un  pédagogue, 
a  bien  fait  de  garder  l'anonymat,  —  car  les  sujets  qu'il  a 
imaginés  ne  font  guère  honneur  à  son  esprit. 

Citons  au  hasard  : 

Elevage  de  bons  chevaux  de  guerre  dans  les  haras. 
La  fabrique  de  canons  Krupp  à  Essen. 

(1)  Nous  avons  examina  les  séries  primaires  (lectures  historiques)  de 
Neubauer,  Neubauer-Rosiger,  Nenbauer-Jaenicke,  Sej'fert  et  quelques  ano- 
n^ines  ainsi  que  le  Manuel  secondaire  de  Koch  (Oberprima)  tous  réimprimés 
avec  fausse  date.  Deux  livres  de  lecture  publiés  à  Coblenz  ont  même  été  réim- 
primés avec  lu  date  de  1920,  mais  sans  en  modifier  l'esprit  monarchiste.  Ce  fait 
est  dénoncé  par  Junge  Menschen  (Hambourg,  août  1921). 

(2)  Ubcr  600  Auf (jaben  ûber  den  WeUkrieg  1914/15  zu  freien  Aufsâlzen  und 
hUederschrijlen  in  Schulen  (Halle  a.  d.  s.  Verlag  H.  Gesenius). —  Voir  de  nom- 
breux exemples  de  ce  genre  dans  la  brochure  de  W.  Borner  :  Erzichung  ziir 
Friedensgesinniinq  (1921).  Nous  n'insistons  pas  ici  sur  ces  ouvrages  qui 
montrent  seulement  la  nécessité  d'un  énorme  câort  d'épuration. 


232      "■ HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Pourquoi  l'Allemagne  a  dû  toujours  rester  fortement  armée,  avoir 
une  armée  et  une  flotte  prêtes  à  se  battre. 

La  jalousie  croissante  de  l'Angleterre  à  l'égard  de  l'Allemagne. 

Le  désir  de  vengeance  constant  de  la  France  à  l'égard  de  l'Alle- 
magne. 

Comment  la  France  est  notre  ennemi  héréditaire. 

Monaco  et  sa  honteuse  signification. 

La  peur  des  Anglais  en  présence  des  dirigeables  allemands. 

L'Agence  Reuter,  fabrique  de  mensonges  de  guerre. 

Les  bonnes  qualités  que  la  guerre  éveille  chez  les  soldats. 

Comment  nos  ennemis  ont  si  souvent  violé  le  droit  des  gens,  etc. 
etc.. 

L'autre  ouvrage  est  une  collection  de  Lectures  sur  la 
guerre  mondiale  composée  par  deux  Oberlehrer  (1).  On  y 
trouve  des  poèmes  de  la  portée  morale  et  de  la  valeur  litté- 
raire du  suivant  : 

Là-bas,  là-bas,  l'ennemi  est  tapi  dans  les  lâches  tranchées. 
Nous  l'attaquons,  et  ce  chien  croit 
Qu'il  y  aurait  quartier  aujourd'hui. 
Tuez  tous  ceux  qui  crient  grâce, 
Tuez-les  tous  comme  des  chiens  ; 
Le  plus  d'ennemis,  le  plus  d'ennemis  possible, 
;     C'est  ce  qu'il  faut  demander  en  cette  heure  de  vengeance. 

De  pareils  livres  sont-ils  encore  en  usage  ?  Nous  l'ignorons. 
En  tous  cas,  grâce  à  l'art.  148,  les  associations  de  maîtres 
démocrates,  de  parents  et  de  jeunes  gens,  peuvent  les  dénoncer 
aux  autorités  scolaires.  Celles-ci  leur  opposent  naturellement 
la  force  d'inertie  dans  les  Etats  où  le  gouvernement  n'est  pas 
«  de  gauche  ». 

Avant  de  citer  l'opinion  de  quelques  histoires  scolaires  sur 
Ico  grandes  questions  posées  par  la  guerre  mondiale,  on  nous 
permettra  de  porter  sur  elles  un  jugement  d'ensemble.  Les 
ouvrages  postérieurs  à  la  Révolution  que  nous  avons  pu  exami- 
ner ne  formulent  d'ordinaire  contre  le  gouvernement  impérial 
ni  accusations,  ni  critiques.  Les  pages  relatives  à  la  guerre 
sont  venues  simplement  s'ajouter  aux  autres,  mais  l'esprit  du 
livre  lui-même  n'a  pas  été  modifié.  L'adoration  de  l'Empire 
bismarckien  et  de  la  Prusse  des  Hohenzollern  subsiste  à  tel 
point  que  nous  pourrons  passer  en  revue  à  la  fois  les  juge- 

(1)  Hano\Te,  Verlag  von  Karl  Mayer,  1915. 


L'ARTICLE  148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIMAR  233 

ments  extraits  de  livres  antérieurs  ou  de  livres  postérieurs  à 
1918. 


Quelles  sont  d'abord,  d'après  nos  pédagogues  d'outre-Rhin, 
les  causes  lointaines  de  la  catastrophe  ?  —  Ce  n'est  certes 
pas  la  mentalité  belliqueuse  des  souverains  allemands  !  Guil- 
laume II  est  pacifique  et  démocrate.  II  n'a  pas  l'ombre  d'ambi- 
tions personnelles  ;  il  ne  désire  que  le  bonheur  de  son  peuple. 

Tel  livre  destiné  aux  classes  inférieures  (1)  des  gymnases 
de  Saxe  cherche  avant  tout  à  faire  croire  que  l'empereur  reçut 
une  éducation  démocratique,  «  une  bonne  éducation  bour- 
geoise ».  Comme  camarades,  il  eut  de  petits  paysans  à  la 
campagne,  de  petits  bourgeois  à  Berlin  ;  comme  maîtres,  des 
instituteurs.  Puis,  au  gymnase  de  Cassel,  il  fut  très  bon  élève, 
passa  son  Abitur^  entra  dans  l'armée,  «  très  heureux  d'être 
lieutenant,  car  il  aimait  être  soldat  ».  11  devint  ensuite  un 
joyeux  étudiant.  Une  fois  monté  sur  le  trône,  il  développe 
l'industrie  et  excite  ainsi  la  jalousie  des  autres  peuples. 
Il  devient  le  protecteur  de  la  paix  qu'il  considère  comme  indis- 
pensable au  travail.  Il  conclut  des  alliances,  augmente  l'armée 
pour  protéger  la  paix  {si  vis  pacem....  )  Il  crée  aussi  dans  la 
même  intention  une  flotte.  Il  fait  voter  des  lois  pour  les  tra- 
vailleurs, etc. 

Cette  activité  pacifique  de  l'empereur  fut  brusquement  interrompue 
par  l'explosion  de  la  guerre  mondiale.  Des  ennemis  envieux  et  avides 
de  vengeance,  qui  déjà  plusieurs  années  auparavant  s'étaient  unis 
pour  anéantir  l'empire  allemand  grandissant  et  sa  fidèle  alliée  l'Au- 
triche-Hongrie,  forcèrent  l'empereur  à  tirer  le  glaive.  Plein  de  cou- 
rage et  de  confiance  en  Dieu,  il  regarda  en  face  le  terrible  danger 
et,  par  des  paroles  enflammées,  il  appela  au  combat  le  peuple  alle- 
mand, son  armée  et  sa  marine  (2). 

(1)  Les  livres  pour  les  tout  petits  enfants  débordent,  quand  ils  parlent  des 
souverains,  de  sentimentalisme  puéril.  Exemple  :  «  Clier  et  bon  Kaiser,  ac- 
cepte aussi  mes  petits  souliaits.  Je  te  les  apporte  d'une  manière  aussi  bonne  que 
je  le  puis...  Que  le  Bon  Dieu  t'accorde  de  vivre  en  paix  avec  joie  .  ,  etc.,  etc. 
(Norddeutsches  Lescbuch  fUr  Ein  oder  Zweiklassige  Volkssclmlcn,  1918.  Poésie 
pour  le  jour  de  naissance  du  Kaiser,  n°  224.)  Livre  encore  en  usage  en  1922. 

(2)  Seyfert  :  Geschichlliche  Erzûhlungen  fur  die  niederen  Klassen  der Sâ- 
cbsischen  Hochscimlen  (1921).  Même  esprit  dans  les  lectures  pour  la  Sexta 
(1921). 


234  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Nous  trouvons  ici  la  fameuse  théorie  de  la  jalousie  des 
autres  nations  éveillée  par  la  prospérité  allemande,  jalousie 
qui  leur  fit  élaborer  leur  plan  d'encerclement  : 

Pendant  25  ans, —  raconte  un  livre  pour  la  sixième  (1  ),  —  Guillaume  II 
avait  réussi  avec  une  grande  abnégation  à  maintenir  la  paix  pour 
le  bien  de  l'empire,  mais  alors  la  plus  terrible  des  guerres  éclata,  causée 
par  la  jalousie,  la  vengeance  et  l'impérialisme  de  nos  ennemis.  Le  roi 
Edouard  VII  d'Angleterre  avait  cherché  et  trouvé  dans  toute  l'Europe, 
et  même  ailleurs,  des  alliés  pour  anéantir  l'Allemagne,  car  il  crai- 
gnait de  voir  la  domination  anglaise  sur  les  mers  ébranlée  par  la 
croissance  des  flottes  de  guerre  et  de  commerce  allemandes.  La  France 
voulait  se  venger  de  ses  défaites  et  reprendre  l'Alsace-Lorraine  ;  la 
Russie  comptait  sur  la  dissolution  de  l'Autriche  pour  prendre  Cons- 
tantinople  et  avoir  un  accès  à  la  Méditerranée.  Pendant  des  années, 
les  trois  puissances  élaborèrent  des  accords  et  des  traités  secrets, 
dans  lesquels  on  assurait  à  la  France  la  rive  gauche  du  Rhin,  à  la 
Russie  Constantinople,  et  on  réussit  à  entraîner,  dans  cette  conjura- 
tion contre  l'Allemagne,  le  Monténégro,  la  Serbie  et  la  Belgique  (2)... 

Neubauer,  dans  son  livre  d'histoire  pour  VOberprima  (3),  se 
permet  seul  quelques  critiques  à  l'égard  du  gouvernement 
impérial. 

Son  manuel  ne  dit  pourtant  pas  un  mot  des  efforts  faits  à 
La  Ha3'e  pour  mettre  un  terme  aux  armements  ;  il  avoue  seu- 
lement que  l'Allemagne  repoussa  en  1898  l'offre  de  Cham- 
berlain d'une  alliance  avec  l'Angleterre. 

On  craignit  de  se  mettre  mal  avec  la  Russie  sans  pouvoir  cependant 
compter  sur  l'Angleterre,  et  on  ne  voulut  pas  renoncer  à  la  flotte 


(1)  Lehrbuch  der  Gescbichte  fur  hiJhere  Lehransiallen  (Sexla)  par  une  So- 
ciété de  professeurs,  sous  la  direction  du  D''  Grœbe  (1918)  ;  chap.  xii. 

(2)  Neubauer-Sej-fert  fait  presque  exactement  le  même  récit  aux  élèves 
des  Ecoles  primaires  supérieures.  (Lehrbuch  der  Geschichie  fur  Sàchische 
Realschulen  (1920,  t.  ii).  L'Allemagne  et  l'Autriche  «s'efforçant  toujours  de 
maintenir  la  paix  »  continuaient  à  se  développer.  Leurs  progrès  aggravaient 
toujours  l'opposition  de  la  France  «  encore  inconsolée  de  la  perte  de  l'Alsace- 
Lorraine,  avec  la  Russie  particulièrement  hostile  aux  Habsbourg  à  cause  de 
leur  empire  balkanique,  avec  l'Angleterre  qui  craignait  notre  rapide  dévelop- 
pement économique.  Aussi  ces  trois  paj's  s'allièrent-ils  en  une  Triple-Entente, 
dans  le  dessein  d'anéantir  {vernichten)  l'Allemagne.  Ils  gagnèrent  à  leurs 
idées  le  Japon,  le  Monténégro,  la  Serbie,  et  la  «  neutre  »  Belgique  (p.  212). 

Puis,  c'est  Edouard  Yll  qui  excite  le  monde  contre  l'Allemagne  ;  c'est  le 
ser\'ice  de  trois  ans  en  France,  l'argent  français  qui  va  construire  des  che- 
mins de  fer  et  équiper  l'année  en  Russie.  L'Allemagne  connaît  le  danger, 
elle  renforce  ses  armements  et  voit  venir  la  guerre  avec  confiance. 

(3)  Lehrbuch  der  Geschichie  (5.  TeU,  1921). 


L'ARTICLE    148   DE   LA   CONSTITUTION  DE   WEIMAR  235 

en   construction.   Ce   fut   une   décision   importante   pour  l'histoire  du 
monde  (p.  179). 

Mais  n-ous  retrouvons  ici  toujours  le  même  grief  : 

Les  Russes  réclamaient  de  la  France  l'augmentation  de  son  armée  ; 
ainsi  fut  réintroduit,  en  1913,  le  service  de  3  ans.  Le  nouveau  président 
Foincaré  était  un  zélé  partisan  de  la  revanche.  L'Angleterre  s'était 
déjà  montrée  deux  fois  prête  à  la  guerre  (1905  et  1911).  En  1913,  elle 
avait,  il  est  vrai,  collaboré  une  fois  avec  l'Allemagne  au  maintien 
de  la  paix,  mais  elle  continuait  en  même  temps  ses  préparatifs  mili- 
taires. Il  existait  un  traité  secret  franco-anglais  et  franco-anglo-belge, 
dans  la  crainte  d'une  invasion  allemande. 

Un  filet  de  plus  en  plus  serré  enveloppait  l'Allemagne,  qui  ne  pouvait 
compter  que  sur  l'aide  de  l'Autriche-Hongrie  et  de  la  Turquie,  deux 
Etats  pourris  intérieurement.  Bethmann-KoUweg  espérait  toujours  un 
accord  avec  l'Angleterre,  mais  des  négociations  menées  à  Berlin 
avec  Haldane  pour  en  arriver  à  un  traité  de  neutralité,  n'aboutirent 
pas. 

En  1913,  l'état  d'esprit  belliqueux  gagna  des  cercles  plus  étendus 
en  France  et  en  Russie,  il  s'exprima  par  des  articles  de  journaux  et 
des  discours  d'officiers  supérieurs,  etc.  (1). 

Le  même  Neubauer,  collaborant  avec  Rosiger  (2),  se  montre 
encore  plus  acerbe  dans  ses  accusations.  «  Les  Russes,  disent 
les  auteurs,  ont  poussé  la  France  à  armer  et  à  rétablir  le  ser- 
vice de  trois  ans.  » 

Le  nouveau  et  ambitieux  président  Poincaré,  —  racontent-ils,  —  était 
un  zélé  partisan  de  la  revanche.  Entre  l'Angleterre  et  la  France, 
il  y  avait  depuis  des  années  des  accords  miUtaires,  en  vue  d'une  action 
commune  sur  terre  et  sur  mer.  Ces  machinations  aboutirent  à  des 
pourparlers  avec  le  gouvernem.ent  belge  (En  note  :  Actes  de  Bruxelles  : 
en  1906,  Atlas  belges  annotés  par  l'Etat-major  anglais),  qui,  en  1839, 
avait  été  déclaré  neutre.  II  était  prévu  que  les  troupes  anglaises  et 
françaises  marcheraient  par  la  Belgique,  et  qu'Anvers  devait  servir 
de  base  d'opérations  à  la  flotte  britannique  (p.  216). 

Le  livre  prétend  enfin  qu'à  la  veille  de  la  guerre  des  négo- 
ciations furent  engagées  entre  l'Angleterre  et  la  Russie  pour 
organiser  une  action  navale  commune  dans  la  Baltique. 

Voici  comment  le  manuel  expose  les  responsabilités  des 
Alliés  : 


(1)  Le  récit  de  la  gnerre  va  de  la  page  190  à  la  page  222.  Sa  longueur  est 
donc  à  peu  près  la  même  que  chez  Jaenicke. 

(2)  Lehrbuch  der  Gesclùchtc  fur  liôliere  Lehraiislaltcn  (5.  Tcil  1920). 


236  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

La  Russie  épiait  l'occasion  favorable.  Quant  à  la  France, 
elle  ne  chercha  nullement,  nous  l'avons  vu  déjà,  à  apaiser  la 
Russie,  car, 

pour  une  grande  partie  de  la  population  française,  que  la  presse 
recommençait  sans  cesse  à  exciter,  il  paraissait  tout  naturel  que 
l'Alsace-Lorraine  dût  être  reconquise,  et  cette  espérance  a  déterminé 
la  politique  française.  Les  gouvernements  français  de  la  dernière  dizaine 
d'années  surtout  —  depuis  la  conclusion  de  l'Entente  avec  l'Angleterre 
—  ont  eu  presque  tous  la  même  idée  :  arriver  à  cette  guerre. 

Les  énormes  prêts  à  la  Russie,  les  Trois  ans  et  l'Entente 
sont  cités  ainsi  comme  autant  de  preuves  de  l'humeur  belli- 
queuse de  la  France. 

Quelle  haine  féroce  des  Allemands  remplissait  (en  France)  la  plus 
grande  partie  de  la  population,  les  déclarations  de  savants  en  vue,  les 
mauvais  traitements  infligés  aux  prisonniers  de  guerre  et  aux  pri- 
sonniers civils,  la  condamnation  de  médecins  allemands,  etc.,  l'ont 
très  clairement  prouvé. 

Quant  à  l'Angleterre,  toute  sa  perfide  politique  de  ces 
dernières  années  tendait  à  la  guerre. 

En  face  de  cette  alliance,  conclue  par  le  désir  insatiable  de  conquête, 
la  soif  de  vengeance  et  l'esprit  d'épicier  froidement  calculateur,  l'état 
d'esprit  régnant  en  Allemagne  était  profondément  grave,  mais  fer- 
mement, résolu,  presque  solennel,  après  que  la  première  émotion  eût 
été  surmontée. 

Le  4  août,  l'Empereur  proclame  1'  «  union  sacrée  ».  Et  le 
livre  se  termine  ainsi  : 

11  s'agissait  de  notre  existence,  il  fallait  défendre  les  biens  les  plus 
nobles  de  la  civilisation  allemande.  Les  églises  étaient  pleines  ;  d'in- 
nombrables mobilisés  y  recevaient  la  communion  avec  leur  famille. 
De  toutes  les  couches  de  la  population,  les  volontaires  engagés  pour 
la  guerre  venaient  en  masse  rejoindre  les  drapeaux.  Les  amphithéâtres 
des  Universités  et  les  hautes  classes  des  Ecoles  se  vidèrent  :  c'était 
comme  en  1813.  Le  même  esprit  de  sacrifice  résolu  et  de  dévouement 
absolu  au  pays  remplissait  la  population  ouvrière  allemande.  Dans 
le  peuple  allemand  se  découvrirent  des  forces  spirituelles  et  morales, 
d'une  profondeur  et  d'une  puissance  saisissantes  (p.  222). 

Et,  prudemment  cet  ouvrage,  daté  de  1920,  s'arrête  là  (1). 

(1)  Un  autre  manuel  d'histoire  des  mêmes  auteurs,  destiné  aux  établisse- 
ments secondaires  du  sud-ouest  de  l'Allemagne  (Lehrbuch  der  Geschichte  fur 


L'ARTICLE   148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIMAR  237 

Tous  ces  manuels  paraissent  ainsi  obéir  au  même  mot 
d'ordre  :  la  jalousie  et  la  haine  de  l'étranger,  causes  de 
1'  «  encerclement  ».  Le  Kaiser  n'a  jamais  armé  que  pour  pro- 
téger la  paix,  et  ses  ennemis  ne  l'ont  fait  que  pour  préparer 
la  guerre... 

Mais  passons  au  récit  des  événements  de  1914,  et  en 
particulier  de  l'acte  injustifiable  qui  marqua  les  débuts  de 
la  campagne  allemande,  la  violation  de  la  neutralité  belge. 
Aucun  livre  ne  la  condamne,  et  la  plupart  accusent  la  vic- 
time ! 

Le  président  Poincaré  allait,  —  dit  Neubauer-Rosiger,  —  au  devant  de 
la  guerre  en  pleine  connaissance  de  cause  ;  il  voulait  seulement  pouvoir 
compter  sûrement  avec  l'aide  anglaise.  Fidèles  à  leur  pacte  avec  la 
France,  Asquith  et  Grey  n'ont  rien  fait  pour  maintenir  la  paix,  ils 
ont,  au  contraire,  travaillé  sciemment  à  faire  éclater  la  guerre.  Cepen- 
dant l'Allemagne  faisait  tout  pour  calmer  l'Autriche,  alors  que  nul  ne 
cherchait  à  faire  entendre  raison  à  Pétersbourg. 

Dès  le  2  août,  des  troupes  françaises  passaient  la  frontière.  Quant 
au  gouvernement  anglais,  il  cherchait  un  prétexte  pour  faire  accepter 

die  hôheren  Lehranslalten  von  Sûd-West  Deulscbland ) ,  et  daté  de  1921,  révèle 
le  même  procédé.  Il  s'arrête  en  1916;  3  pages  seulement  (299-302), sont  con- 
sacrées aux  débuts  de  la  guerre. 

Nous  y  relevons  les  mêmes  jugements  sur  la  politique  des  trois  alliés,  qui 
obligea  l'Allemagne  à  s'armer. 

Nous  citerons  ici  ces  explications  un  peu  difïérentes  de  celles  du  livre  pré- 
cédent : 

»  Dans  leurs  manœuvres  navales,  l'Angleterre  et  la  France  s'exerçaient 
à  bloquer  la  Manche.  Déjà  depuis  longtemps  elles  s'étaient  entendues  pour 
dresser  un  plan  de  campagne  commun.  Les  Anglais  pensaient  débarquer 
en  Slesvig  et  en  Belgique.  Depuis  des  années,  ils  possédaient  les  renseigne- 
ments les  plus  exacts  sur  les  chemins  et  les  sentiers,  les  casernements  et  les 
approvisionnements  de  la  Belgique,  ils  les  avaient  résumés  dans  des  livres 
secrets  pour  les  ofTiciers,  en  violation  flagrante  des  traités  internationaux 
relatifs  à  la  neutralité.  C'était  un  secret  européen  que  la  prochaine  guerre 
franco-allemande  se  passerait  en  Belgique  :  les  Français  espéraient  ainsi  faire 
irruption  dans  le  bassin  industriel  bas-rhénan.  »  (p.  300.) 

«  Dès  le  2  août  les  troupes  françaises  violaient  la  frontière  allemande,  et 
l'ambassadeur  demanda  là-dessus  ses  passeports.  » 

Les  gouvernants  français  espéraient  «  non  seulement  regagner  la  frontière 
du  Rhin,  mais  rendre  l'Allemagne  impuissante  pour  longtemps  «.(p.  302.) 

«  La  guerre  mondiale  fut  le  résultat  du  travail  souterrain  de  l'Angleterre 
poursuivi  pendant  des  années...  »  «  Mais  le  prétexte,  l'Angleterre  le  trouva 
dans  la  violation  de  la  Belgique...  »  «  L'Allemagne,  par  souci  de  son  existence, 
se  vit  contrainte  de  demander  à  passer  par  la  Belgique.  » 

«  Grave  et  conscient  des  grands  sacrifices  futurs,  mais  plein  d'enthousiasme 
et  de  dévouement,  le  peuple  allemand  partit  pour  la  plus  terrible  et  la  plus 
énorme  guerre  qu'ait  connue  l'histoire.  » 

Le  récit  s'arrête  là.  L'ouvrage  se  termine  par  une  généalogie  des  Hohenzol- 
lern  qui  ne  porte  pas  de  date  d'abdication,  (p.  303.) 


238  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

la  guerre  à  la  population.  Il  le  découvrit  bientôt  dans  la  violation 
de  la  neutralité  belge,  hypocrisie  éhontée,  puisque  l'Angleterre  elle- 
même  était  décidée  à  ne  pas  respecter  la  neutralité  de  ce  pays,  et  s'était, 
au  contraire,  entendue  avec  son  gouvernement,  par  un  accord  mili- 
taire détaillé,  prévoyant  naturellement  la  marche  de  ses  troupes  par 
la  Belgique. 

Ainsi,  rAllemagne  ne  pouvait  tenir  sa  promesse  ;  elle  dut 
agir  comme  Frédéric  II  vis-à-vis  de  la  Saxe  en  1786. 

Elle  ne  pouvait  laisser  inoccupé  un  pays  par  lequel,  d'après  des 
nouvelles  sûres,  une  attaque  menaçant  ses  territoires  industriels  et 
charbonniers  devait  passer,  et  dont  l'attitude  politique  était  très 
suspecte. 

Ainsi,  pas  un  mot  de  pitié  pour  la  Belgique,  celle-ci  est,  au 
contraire,  traitée  en  coupable  ! 

Nous  retrouverons  les  mêmes  idées  dans  le  «  Manuel  d'his- 
toire pour  les  classes  supérieures  de  l'enseignemient  secon- 
daire ».  Pourtant  l'auteur,  le  Dr  H.  Jaenicke,  se  montre  animé, 
dans  la  préface,  d'un  esprit  assez  moderne  ;  il  veut,  dit-il, 
«  montrer  les  relations  politiques  des  pays  et  des  peuples  de  la 
terre  ».  «  La  description  des  guerres  et  des  batailles,  surtout 
de  celles  de  la  guerre  de  30  ans  et  de  celles  de  7  ans,  seront 
réduites  à  l'essentiel  et  au  typique  »  ;  mais  il  ne  faut  pas  dans 
l'avenir,  ajoute-t-il,  traiter  seulement  en  passant  nos  grands 
souverains,  hommes  d'Etat  et  généraux,  car  ce  serait  con- 
traire à  la  vérité  scientifique  (pp.  VI-VII). 

Nous  ne  pourrons  ici  nous  étendre  sur  son  histoire  de 
la  guerre,  qui  comprend  près  de  150  pages  (77-212).  La 
cause  attribuée  à  la  catastrophe  est  toujours  l'envie  ou  la  haine 
de  l'Entente  ;  l'occasion,  c'est  le  crime  de  Serajevo.  Mêm.es 
détails  que  dans  les  autres  livres  sur  les  débuts  de  la  guerre 
(violation  de  l'Alsace  par  les  Français,  prétexte  de  la  neu- 
tralité belge  saisi  par  l'Angleterre  pour  intervenir).  La  psy- 
chose de  guerre  est  décrite  en  ces  termes  : 

La  perfidie  de  l'Entente  cause  une  extraordinaire  excitation,  ennoblie 
par  un  saint  enthousiasme  et  par  la  joie  du  sacrifice. 

C'est  l'union  sacrée  ;  le  Kaiser,  ses  fils  et  les  princes  s'exposent  aux 
dangers  de  la  guerre  (p.  180). 

L'Allemagne  est  pleine  de  confiance  dans  l'issue  de  la  lutte. 

Quant  aux  Alliés,  ils  ont  aussi  confiance,  —  ajoute  l'auteur  — ,  mais 
surtout  dans  l'argent  de  l'Angleterre  (1). 

(1)  Le  petit  lycéen  de  6»  apprend  les  mêmes  légendes  que  son  grand  cama- 
rade de  Obcrprima.  Ecoutez  ce  que  lui  raconte  son  manuel  d'histoire,  déjà 


L'ARTICLE   148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIMAR  239 

Le  manuel  de  Neubauer  (1),  bien  que  supérieur  à  tous  les 
autres  en  ce  qu'il  se  permet  de  critiquer  parfois  la  politique 
allemande,  n'en  raconte  pas  moins  de  la  même  manière  les 
débuts  de  la  guerre  :  Quand  la  guerre  éclata,  «  Grey  ne  fit 
pas  d'efforts  sérieux  pour  retenir  la  Russie  »...  «  Lorsque  le 
tsar  demanda  de  remettre  à  plus  tard  la  mobilisation,  sur  une 
dépêche  reçue  de  Guillaume  II,  le  ministre  de  la  Guerre  lui 
mentit,  prétendant  que  celle-ci  était  déjà  commencée.  Le 
lendemain,  on  «  retourna  »  le  tsar,  et  la  mobilisation  fut  ordon- 
née »...  «  La  Russie  et  la  France  voulaient  la  guerre,  l'An- 
gleterre avait  borné  ses  efforts  à  essayer  de  faire  céder  l'Au- 
triche »  (2). 

Neubauer  ne  se  contente  pas  d'ajouter  quelques  détails  au 
récit  traditionnel  :  cette  fois  —  fait  unique  d'ans  ces  manuels 
—  quelques  réserves  apparaissent  : 

cité:  (  Lehrhiich  der  Gcschichie  fur  hôh.  Lehranstollen.  Coîlcct.  Grœbe.  )  L'ex- 
plosion de  la  guerre  fut  hâtée  par  un  acte  scandaleux  (Serajcvo)...  Le  gou- 
vernement austro-hongrois  réclama  satisfaction  à  la  Serbie  et  voulut  faire 
rechercher  les  coupables  dans  ce  pays  par  des  policiers  autrichiens.  Comme 
la  Serbie,  sur  le  conseil  de  la  Russie,  refusait  cette  satisfaction,  l'Autriche 
lui  déclara  la  guerre.  La  Russie  mobilisant  alors  son  armée,  rAJlcmagne  lui 
déclara  la  guerre,  bien  que  le  kaiser  se  fût  efiorcé  d'abord  de  maintenir  la 
paix.  La  France  qui  était  déjà  toute  équipée  et  s'était  assuré  le  concours  de 
l'Angleterre,  fit,  avant  toute  déclaration,  pénétrer  ses  troupes  sur  le  terri- 
toire allem.and  dans  les  Vosges,  et  ne  répondit  pas  à  une  question  (??)  de 
l'Allemagne  qui  lui  déclara  alors  la  guerre. 

«Comme  le  chancelier  proclamait  le  4  août,  que, pour  attaquer  la  France, 
il  fallait  passer  par  la  Belgique,  l'Angleterre  saisit  ce  prétexte  pour  déclarer 
la  guerre  à  l'AJlemagne  à  cause  de  la  violation  de  la  neutralité  belge.  Cette 
conduite  perfide  de  l'Angleterre,  notre  parente  de  race,  qui  conçut  bientôt  le 
plan  de  faire  périr  de  faim  l'Allemagne  entière,  y  compris  femmes  et  en- 
fants, éveilla  chez  tout  Allemand  une  haine  ardente  centre  la  perfide  Albion, 
haine  qui  s'exprime  en  ces  vers  : 

Que  nous  importent  Russes  et  Français  ? 

Balle  pour  balle  et  coup  pour  eoup. 

Nous  ne  les  aimons  ni  ne  les  haïasons. 

Nous  protégeons  Vislulc  cl  Wasgau. 

Nous  n'avons  qu'une  haine. 

Tous  nous  aimons,  tous  nous  haïssons. 

Nous  avons  un  seul  ennemi,  l'Angleterre.  » 

(1)  Ibid.,  p.  193. 

(2)  Ensuite  même  histoire  de  violation  de  la  frontière  par  les  Français. 
(L'assassinat  de  Jaurès,  dans  une  note,  est  interprété  comme  uusigue  de  la 
volonté  de  guerre  de  la  France.) 

Aucun  mot  de  la  neutralité  belge.  Le  récit  est  à  peu  près  le  même  que  dans 
le  livre  précédent.  L'invasion  du  territoire  belge  est  justifiée  par  1'  «  état  de 
légitime  défense  de  l'Allemagne  :  la  guerre  était  l'aboutissement  de  la  poli- 
tique d'encerclement.  C'étaient  nos  ennemis  qui  poursuivaient  des  vues  de 
conquêtes.  » 


240  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Certes,  la  politique  du  gouvernement  allemand  n'avait  pas  tou- 
jours été  heureuse.  Elle  avait  laissé  beaucoup  trop  libre  jeu  à  l'Autri- 
che-Hongrie  dans  le  conflit  avec  la  Serbie.  Elle  avait  eu  tort  de  croire 
à  la  localisation  possible  du  conflit  ;  elle  avait  ignoré  les  grands  prépa- 
ratifs russes  et  n'avait  pas  vu  qu'en  cas  de  conflit  elle  devait  toujours 
compter  avec  l'Angleterre  comme  adversaire.  Quand  le  gouvernement 
déclara  la  guerre,  il  sous-estima  l'action  de  l'opinion  publique  dans  le 
monde  et  la  calomnie  empoisonnée  de  l'Angleterre.  La  campagne  de 
presse  menée  par  tous  les  moyens  contre  l'impérialisme,  l'autocratie 
et  le  Junkertum  allemands  commença  aussitôt  dans  le  monde  entier. 
L'ambitieuse  Angleterre  parut  ainsi  être  le  champion  du  droit  des 
petites  nations  et  de  la  pensée  démocratique. 

Après  cet  effort  pour  expliquer  la  mauvaise  réputation  de 
l'Allemagne  dans  le  monde  au  cours  de  la  guerre,  des  injures 
à  l'adresse  des  adversaires  : 

Ce  fut  r  «  union  contre  l'Allemagne  de  l'ambition  sans 
mesure,  de  la  haine  profonde  et  de  la  soif  de  revanche,  de 
l'égoïsme  froidement  calculateur  du  boutiquier  ». 

Du  côté  de  l'Allemagne,  c'était  l'union  sacrée  : 

«  Des  millions  de  volontaires  affluaient  sous  les  drapeaux  ; 
c'était  comme  en  1813.  » 


Il  serait  trop  long  de  reprendre,  d'après  nos  manuels,  le 
récit  des  opérations  militaires  de  1914-1918.  Nous  nous  bor- 
nerons à  indiquer  les  points  sur  lesquels  nos  auteurs  sont 
en  général  d'accord  :  la  bataille  de  la  Marne  a  arrêté  l'avance 
de  l'armée  allemande  et  a  déterminé  son  retranchement  dans 
des  positions  préparées  d'avance.  Les  ennemis  de  l'Allema- 
gne ont  violé  impudemment  les  lois  de  la  guerre.  Par  contre, 
aucune  violation  de  ces  lois  par  l'Allemagne  n'est  mentionnée. 

La  guerre  sous-marine  sans  restrictions  a  amené  l'interven- 
tion américaine  :  elle  n'est  pourtant  pas  blâmée.  Les  manuels 
rédigés  pendant  la  guerre  affectent  de  considérer  le  sous-marin 
comme  l'arme  de  la  victoire. 

Citons  quelques  passages  typiques,  pour  illustrer  ces  indi- 
cations : 

Toute  la  mobilisation  s'effectue  pour  le  mieux.  Le  plan  de  blocus 


L'ARTICLE    148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIAUR  241 

anglais    nous    fait    décréter    la    mobilisation    économique,    racontent 
Jaenicke  et  Neubauer  (1). 

La  guerre  aurait  fini  en  quelques  mois  à  notre  avantage  si  nos 
ennemis  s'étaient  tenus  dans  les  limites  du  droit  des  gens.  (Singulière 
explication  de  la  durée  de  la  campagne  !) 

Quels  sont  ces  méfaits  des  alliés  ? 

L'Angleterre  élargit  la  notion  de  contrebande  de  guerre.  Elle  organise 
une  propagande  anti-allemande  calomniatrice,  nous  traitant  de  Huns, 
de  Barbares,  disant  que  nous  avions  bombardé  exprès  des  monuments 
artistiques,  traité  cruellement  les  populations  soumises  à  l'occupation 
et  les  prisonniers. 

En  réalité,  nos  ennemis  ne  négligeaient  aucun  moyen  de  combat,  si 
affreux  fiît-il  (balles  dum-dum,  guerriers  de  couleur  les  plus  sauva- 
ges) ;  ils  firent  subir  les  plus  terribles  cruautés  aux  habitants  des 
territoires  occupés  ainsi  qu'aux  soldats  (Prusse  orientale,  Alsace,  Ga- 
licie). 

Les  Anglais  poussèrent  des  Allemands  prisonniers  devant  eux  pen- 
dant les  attaques  ;  les  Russes,  leurs  propres  paysans,  pour  cacher 
leurs  mouvements.  On  bombarda  de  paisibles  villes  ouvertes  comme 
Fribourg,  Karlsruhe,  et  les  Anglais  refusèrent  de  sauver  des  Allemands 
naufragés.  L'Amérique,  soi-disant  neutre,  fournit  dès  le  début  des 
munitions  à  nos  adversaires  (2). 

Mais,  «  d'après  le  mot  de  Hindenburg  »,  conclut  le  manuel, 

(1)  Ibid.,  p.  183. 

(2)  p.  199,  il  est  parlé  de  la  guerre  sous-marine  sans  restrictions  qui  fait 
intervenir  l'Amérique.  Pas  un  mot  de  critique,  naturellement  I 

A  propos  de  cette  même  guerre  sous-marine  sans  restrictions,  les  lignes 
suivantes  nous  montrent  bien  encore  dans  quel  esprit  étaient  rédigés  les 
livres  scolaires  de  la  guerre  (Collection  Grœber.,  ibid.,  pp.  47-50.) 

«  Avec  elle  (la  guerre  sous-marine),  nous  est  mis  dans  la  main  le  glaive 
qui,  selon  les  prévisions  humaines,  abattra  l'Angleterre.  La  bonne  Provi- 
dence (!)  qui  donna  à  la  diligente  abeille  l'aiguillon,  a  donné  à  l'Allemagne 
les  sous-marins  et  leurs  guides  intrépides  pour  sauver  le  peuple  allemand... 
L'Amérique  ne  changera  rien  à  la  marche  du  destin.  Elle  recevra  tôt  ou 
tard  son  salaire,  comme  tous  les  coupables  l'ont  eu  :  la  Belgique  qui  a  vendu 
sa  neutralité  aux  puissances  occidentales...  (et  a  donné  ainsiun  prétexte  à 
l'Angleterre  pour  «  sa  »  guerre),  la  Serbie  qui  alluma  la  torche  en  Europe, 
le  Monténégro,  la  Russie  et  enfin  l'Italie.  Car  dans  la  vie  des  peuples  comme 
dans  celle  des  individus  <*  toute  faute  se  venge  sur  terre  »  (*). 

Ainsi  finit  cette  histoire  de  la  guerre.  Pas  l'ombre  d'un  soupçon  de  cul- 
pabilité ou  môme  d'imprudence  de  la  part  de  l'Allemagne  ! 

Même  optimisme  officiel  dans  le  manuel  pour  la  cinquième  :  La  guerre 
aérienne  est  victorieuse  :  plus  de  30  attaques  sur  le  port  (sic)  de  Londres  et 
les  défenses  des  côtes  anglaises. 

En  1917,  guerre  sous-marine  sans  restrictions  contre  «  notre  ennemi  mor- 
tel »,  l'Angleterre.  Résultats  terribles,  mais  cette  guerre  amène  l'intervention 
de  l'Amérique  qui  ne  peut  plus  vendre  de  matériel  aux  alliés  et  qui,  «  pour 
sauver  son  bien  suprême,  son  or  »,  se  lie  à  la  Quadruple  Entente, 

(•)  Gœthc. 

16 


242  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

«  elle  s'est  engagée  dans  une  mauvaise  affaire  et  ne  détour- 
nera pas  le  destin  :  l'histoire  du  monde  est  le  tribunal  du 
monde  ». 

Il  est  piquant  de  penser  que  cette  conclusion,  si  hardiment 
optimiste,  est  réimprimée  sans  modifications  dans  les  éditions 
postérieures  à  la  débâcle,  —  lorsque  les  calculs  de  Tirpitz  se 
sont  montrés  si  grossièrement  faux. 


* 
** 


Les  deux  ouvrages  de  Jaenicke  et  de  Neubauer  (Cours  su- 
périeur) sont,  de  tous  les  manuels  que  nous  avons  pu  lire, 
les  plus  détaillés  et  les  moins  timides,  quand  il  s'agit  d'abor- 
der le  récit  délicat  des  revers,  de  l'effondrement  de  l'Empire 
et  de  la  révolution  allemande. 

Chez  Neubauer,  nous  retrouvons  l'indépendance  d'esprit 
relative  que  nous  avons  signalée  plus  haut. 

Dans  le  récit  des  opérations  militaires,  l'auteur  se  permet 
d'apprécier,  voire  de  critiquer  les  chefs  de  son  pays.  Après 
la  Marne,  il  dit  par  exemple  : 

Le  plan  de  surprendre  la  France  avait  «  raté  »  et  la  guerre  désor- 
niais  devait  être  longue  et  faibles  les  chances  de  victoire  (p.  208). 

Il  avoue  aussi  que  la  lutte  pour  Verdun  fut  «  très  onéreuse 
et  sans  issue  »,  que  le  blocus  de  l'Allemagne  fut  très  efficace 
à  partir  de  1916. 

Tandis  qu'en  Angleterre  et  en  France  on  arrive  à  créer  l'union  des 
esprits  par  la  guerre,  en  Allemagne,  le  moral  se  dissolvait  peu  à  peu, 
grâce  à  la  propagande  victorieuse  de  l'Entente  (Northcliffe  et  sa 
presse)  qui  prêchait  la  lutte  contre  le  militarisme  et  l'autocratie  impé- 
rialiste allemande  (p.  214). 

Pas  plus  qu'ailleurs,  la  guerre  sous-marine  sans  restric- 
tion n'est  blâmée.  Mais  la  proposition  de  paix  du  prince 
Sixte,  faite  par  l'empereur  d'Autriche,  à  l'insu  de  Czernin, 
est  m.entionnée,  de  même  que  la  résolution  de  paix  du  Reichs- 
tag  en  1917. 

La  retraite  du  front  élastique  est  aussi  racontée,  mais  les 
destructions  systématiques  sont  passées  sous  silence. 


L'ARTICLE  148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIMAR  245 

Enfin  vient  l'aveu  des  échecs  de  1918  et  de  la  démoralisa- 
tion à  l'avant  et  à  l'arrière  : 

Alors,  le  8  août,  Anglais  et  Français,  à  l'aide  de  tanks  et  de  brouillard 
artificiel,  réassirent  une  surprise,  ce  fut  le  Jour  noir  (sur  la  Somme). 
Jls  firent  énormément  de  prisonniers,  et  les  troupes  qui  retournaient  à 
l'arrière  criaient  à  celles  qui  montaient  en  ligne  :  «  Renards,  briseurs 
de  grève  !  »  (Curieux  aveu  dans  un  manuel  scolaire  !) 

On  dut  abandonner  tout  le  terrain  gagné,  il  n'y  avait  plus  de  réser- 
ves, on  se  retira  derrière  la  ligne  Siegfried.  Fin  septembre,  celle-ci 
fut  brisée  (p.  213). 

En  même  temps,  l'état  de  l'Autriche  était  désespéré,  et  les  Tchèques 
désertaient  en  masse. 

En  Allemagne,  c'est  la  dissolution  intérieure  croissante  ;  la  propa- 
gande de  l'Entente  devient  toujours  plus  efficace,  on  espère  une  paix 
ce  conciliation,  et  on  méconnaît  la  volonté  d'anéantir  l'Allemagne  qui 
rinime  les  ennemis.  L'esprit  public  n'est  soumis  à  aucune  direction 
unique.  Il  y  a  rivalité  entre  le  gouvernement  et  l'Etat-major  général 
<p.  216). 

Chose  curieuse,  dans  son  manuel  écrit  en  collaboration 
avec  Seyfert  (1),  pour  les  écoies  réaies,  le  même  Neubauer 
se  montrait  bien  plus  dénué  de  sens  critique.  Témoin  les  af- 
firmations suivantes  :  De  juillet  à  novembre  1918,  on  «  garde 
toujours  la  vieille  confiance  dans  la  victoire  »,  On  abandonne 
«  le  territoire  de  lutte  dévasté  »  (par  qui  ?  le  manuel  ne  le  dit 
pas). 

On  recule,  mais  sans  être  battu  : 

Nulle  part  les  adversaires  ne  réussirent  à  rompre  le  front  des  héros 
allemands  qui  reculaient  en  luttant  et  suivant  un  plan. 

L'écroulement  de  l'Empire  provient  de  la  défaite  des  Turcs, 
des  Bulgares  et  de  l'Autriche.  Ce  sont  alors  les  offres  de  Wil- 
son  et  l'armistice.  La  Conférence  de  Versailles  se  réunit  enfin 
«  pour  voir  comment  on  pourrait  anéantir  l'Allemagne  détes- 
tée ».  Elle  élabore  440  «  honteux  articles  »,  «  détruisant  notre 
fière  armée  »  et  nous  réduisant  en  esclavage- 
Rien  ne  reflète,  dans  la  paix  honteuse  de  Versailles,  les  idées  de 
justice  et  de  noble  humanité  dont  s'est  si  souvent  targué  le  président 
Wilson.  L'Allemagne  fut  la  victime  d'ennemis  pleins  de  haine  (p.  224). 

Jeanicke  est  tout  aussi  partial  et  aveugle  que  Neubauer- 

(1)  Xeubauer-Scyfert  :  Lchrbuch  dcr  Gjsdndile  fur  sâchsisch;  Rsalschuln. 
Déjà  cité. 


244  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Seyfert.  II  blâme  la  motion  de  paix  du  Reichstag,  en  1917  : 
«  elle  donna  l'impression  que  nous  étions  à  bout  »,  sans  dire  un 
mot  de  la  situation  critique  de  l'Autriche  qui  la  détermina. 
Wilson  est  accusé  d'utiliser  les  dissensions  intérieures  de  l'Al- 
lemagne et  de  chercher  à  provoquer  une  révolution. 

A  la  page  205,  enfin,  l'effondrement  de  l'Allemagne  est  mis 
en  grande  partie  sur  le  compte  des  social-démocrates  qui 
veulent  terminer  le  massacre  et  transformer  l'Allemagne  en 
République  sociale.  Une  fois  de  plus,  nous  voyons  rééditer  la 
légende  du  coup  de  poignard  dans  le  dos  : 

Les  socialistes  choisirent  le  moment  oîi  l'Allemagne  se  défendait 
contre  un  monde  d'ennemis  impitoyables  pour  anéantir  le  soi-disant 
militarisme.  Le  général  Maurice  a  dit  :  L'armée  allemande,  qui  se  main- 
tenait toujours  en  novembre  1918  sur  le  sol  ennemi,  a  été  poignardée 
par  derrière,  par  sa  propre  patrie  (p.  205). 

Après  cette  citation  vengeresse,  l'auteur  indique  pourtant 
la  chute  des  alliés  de  l'Allemagne  comme  autre  cause  de  la 
défaite,  et  infirme  ainsi  sa  propre  thèse. 

Passons  au  récit  de  la  révolution  et  au  traité  de  paix.  Le 
Cours  Supérieur  de  Neubauer  est  encore  ici  le  moins  mauvais 
des  manuels  d'histoire. 

Le  changement  de  régime  n'est  pas  attribué  uniquement 
à  la  social-démocratie.  Les  mutineries  de  Kiel  —  avoue-t-il  — 
eurent  lieu  pour  s'opposer  à  une  sortie  ultime  de  la  flotte,  et, 
à  Berlin,  la  révolution  ne  rencontra  «  aucune  résistance  ». 

Mais  si  le  livre  de  Neubauer  est  conçu  dans  un  esprit  plus 
indépendant  que  les  autres  ouvrages,  il  n'en  critique  pas 
moins  très  am.èrement  le  traité  de  Versailles,  sans  d'ire  un 
seul  mot  de  la  Société  des  Nations,  ni  des  motifs  qui  ont  pu 
inciter  les  Alliés  à  prendre  des  précautions  contre  l'Allemagne. 
Il  est  surtout  indigné  par  le  fait  que  dans  le  traité  de  paix 
de  Versailles,  «  l'Allemagne  se  reconnaît  coupable  d'avoir 
causé  cette  guerre  (art.  1)  (1),  et  qu'ainsi,  elle  est  responsable 
de  tous  les  dommages  »  (art.  4). 

Dans  l'organisation  du  plébiscite  de  Malmédy,  «  on  viola 
absolument  la  liberté  de  vote  ». 

Cette  paix,  dont  les  conditions  éhontées  dépassent  tout  ce  qu'on 
peut  imaginer,  tend  à  violenter  et  à  asservir  partout  le  germanisme. 

(1)  Il  y  a  erreur  ici  sur  l'article. 


L'ARTICLE  148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIMAR  245 

Seuls,  les  Allemands  ne  peuvent  invoquer  le  principe  de  libre  déter- 
nimation  :  3  millions  et  demi  d'Allemands  sont  ainsi  retenus  en  Tché- 
co-Slovacuie,  1  et  demi  en  France  (?),  100.000  en  Roumanie,  Slavie 
et  Bulgarie,  50.000  en  Danemark. 

Ce  traité  tend  à  «  souiller  de  manière  durable  le  nom  alle- 
mand »  (par  l'aveu  de  la  faute,  le  procès  du  kaiser,  etc.)  ;  à 
enlever  son  indépendance  à  l'Allemagne  (par  les  réparations, 
le  régime  des  fleuves  internationaux,  etc.)  ;  à  désarmer  tota- 
lement l'Allemagne  (par  l'occupation,  l'interdiction  de  fortifier 
ses  frontières,  la  réduction  de  l'armée)  ;  à  la  ruiner  enfin  (par 
les  frais  énormes  d'occupation,  la  perte  des  colonies,  des  mines, 
etc.)  L'ouvrage  se  termine,  sans  conclusion  générale,  par  un 
résumé  de  la  Constitution  républicaine,  lequel  omet  d'ailleurs 
les  dispositions  de  l'art.  148  relatives  à  l'esprit  de  réconcilia- 
tion des  peuples  qui  doit  pénétrer  l'enseignement  (1). 

Parcourons  maintenant  Jaenicke. 

Tout  le  récit  de  la  révolution  est  rempli  de  traits  hostiles  à 
la  social-démocratie  et  à  l'Entente.  C'est  Wilson  qui  déclanche 
la  révolution,  «  richement  soutenue  par  l'or  bolchevique  ». 

C'est  Erzberger,  notre  plénipotentiaire,  et  notre  gouvernement  qui 
acceptent  presque  sans  résister  toutes  les  exigences  dé  Foch,  repré- 
sentant l'Entente  (p.  209). 

Ce  sont  les  Français  qui  s'installent  avant  le  traité  en  Alsace- 
Lorraine,  et  les  traîtres  qui  chez  nous  veulent  s'allier  à  la  France  et  à 
la  Pologne  contre  la  Prusse. 

C'est  enfin  le  traité  de  Versailles,  conçu  par  des  ennemis 
«  qui  avaient  la  ferme  volonté  d'anéantir  l'Allemagne  »•  Pas 
un  mot  du  Pacte  de  la  Société  des  Nations  (p.  213).  Ainsi, 

(1)  Le  récit  des  événements,  bien  que  beaucoup  plus  bref,  est  le  môme 
dans  Neubauer-Sej-fert.  Mais  il  y  manque  la  critique  du  traité  de  paix. 

Ce  manuel  reconnaît  d'abord  que  la  révolution  a  été  déclanchée  par  la 
déclaration  de  Wilson  (23  octobre  1918)  qui  disait  ne  pas  vouloir  traiter  avec 
l'Empereur.  Le  livre  rappelle  que  l'Empereur  ne  voulut  pas  abdiquer.  Il  y 
eut  des  émeutes  dans  les  ports,  puis  à  Munich,  Stuttgart.  Des  émissaires  russes 
excitaient  la  population  à  Kiel,  Hambourg,  Lubeck.  Le  7,  les  socialistes 
exigent  l'abdication.  Deux  jours  après,  l'Empereur  quitte  l'armée  et  <i  va  » 
en  Hollande  ;  les  autres  princes  abdiquent  en  novembre.  Puis  vient  un  bref 
récit  de  la  suite  des  événements, sans  commentaires:  le  gouvernement  des  six 
commissaires  socialistes,  les  pouvoirs  locaux  aux  Conseils  des  ouvriers  et 
soldats,  l'Assemblée  de  ^Yeimar,  enfin  le  résumé  de  la  Constitution.  L'ar- 
ticle 148  sur  l'éducation  pacifique  y  est  mentionné.  Enfin,  sont  décrits  les 
incertitudes  de  la  situation  et  les  essais  de  coups  d'Etat  de  droite  et  de  gau- 
che. «  Puisse  à  notre  pauvre  patrie  être  enfin  réservés  paix  et  repos.  »  Telle 
est  la  conclusion,  écrite  en  juin  1920  (pp.  203  à  228). 


2^6  '  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

«  le  monde  est  ébranlé,  et  pour  longtemps.  L'Allemagne  est 
exclue  de  la  Société  des  Nations  projetée  (?),  et  peut-être 
plus  bas  qu'elle  ne  l'a  jamais  été  (1)  ». 

La  révolution  est  l'œuvre  de  la  social-démocratie,  soutenue 
par  les  bolchevicks  russes  et  par  la  perfide  propagande  de 
Wilson  contre  l'Empire  :  tel  est,  en  somme,  le  mot  d'ordre  des 
manuels.  Ils  feignent  d'ignorer  totalement  que  la  chute  du 
régime  a  eu  pour  causes  la  défaite  militaire  et  l'écœurement 
général  des  troupes  battues  et  des  populations  affamées  par 
le  blocus.  Quant  au  nouveau  régime,  il  n'est  pas  attaqué  de 
front,  mais  on  s'efforce  souvent  de  le  rabaisser  par  des  insi- 
nuations calomnieuses.  Nulle  part  on  ne  reconnaît  que  les 
inextricables  difficultés,  au  milieu  desquelles  il  se  débat,  ne 
sont  que  le  lourd  héritage  des  fautes  et  des  crimes  de  l'empire 

Tel  livre  de  lecture  (2)  décrit  avec  une  sympathie  évidente 
la  conduite  du  Kaiser  pendant  la  guerre  : 

Comme  chef  suprême  de  l'armée,  il  mena,  avec  ces  Messieurs  du 
Grand  Etat  Major,  les  entreprises  grandioses  de  la  guerre.  Tantôt  il 
résidait  à  l'ouest,  tantôt  le  rapide  chemin  de  fer  l'emportait  vers  le 
lointain  Orient,  tantôt  il  visitait  ses  fidèles  alliés,  le  vénérable  empe- 
reur François-Joseph  à  Vienne  et  le  tzar  des  Bulgares  dans  les 
Balkans.  Il  décore,  réconforte  les  blessés,  etc..  Il  était  plein  de  douleur 
devant  ces  misères,  mais  la  conscience  qu'il  n'avait  pas  voulu 
cette  atroce  guerre,  et  la  foi  ferme  en  la  victoire  finale  de  l'Allemagne, 
le  soutenaient.  La  tête  haute,  il  acceptait  toutes  les  injures  des  ennemis, 
qui  repoussaient  la  m.ain  pacifique  qu'il  leur  tendait.  Le  peuple  allemand 

(1)  La  conclusion  de  l'ouvrage  est  prudente  et  vague.  Après  avoir  parlé 
des  leçons  del'histoire  et  de  l'utilité  des  divers  partis,  l'auteur  ajoute:  «Mais 
notre  sens  national  est  toujoursfaible.Ilsedévelopperaitplusfortement enfin 
si  nous  reconnaissions  que  notre  position  géographique  spéciale,  au  milieu 
des  nations  européennes,  réclame  aussi  de  nous  des  efforts  particuliers  :  tra- 
vail honnête,  activité  de  fer,  fidélité  au  devoir,  discipline  joyeuse  et  sérieux 
moral.  Le  manquement  à  ces  devoirs  est  expié  par  notre  peuple  plus  dure- 
ment que  par  tout  autre  :  il  nous  faut  nous  relever  maintenant  de  la  plus  ter- 
rible chute,  causée  par  une  lourde  faute  contre  notre  mission  dans  le  monde.  » 
(Suit  la  Constitution,  où  l'art.  148  est  cité.) 

La  dernière  phrase  est-elle  un  aveu  ?  Quel  aveu  ?  Il  est  impossible  de  le 
dire,  car  il  nous  a  failu  constater,  hélas  I  dans  les  150  pages  relatives  à  la 
guerre,  l'absence  de  toute  criticjue,  je  dirais  même  de  toute  ombre  de  critique 
vis-à-vis  des  chefs  civils  ou  militaires  de  l'Aliemagne,  le  choix  systématique 
de  tous  les  faits  justifiant  leur  conduite,  et  la  suppression  de  tout  ce  qui  au- 
rait pu  être  le  moins  du  monde  favorable  à  l'eunemi  ou  à  la  social  démocratie. 
Toujours  la  même  méthode  de  l'histoire  tronquée,  malgré  le  réel  intérêt  de 
l'ouvrage  qui  ne  s'arrête  pas  heureusement,  comme  tant  d'autres,  avant  le 
récit  des  revers  I 

(2)  Seyfert  :  Gcscliiclilliche  Erzôhlungen,  etc. 


L'ARTICLE  148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIMAR  247 

avait  confiance  en  ses  chefs  et  faisait  volontiers  les  plus  grands 
sacrifices  de  richesses  et  de  sang  pour  le  salut  de  la  chère  patrie. 

Quatre  ans,  il  a  supporté  courageusement  les  souffrances  de  la  guerre 
dans  l'espoir  d'une  issue  victorieuse.  Puis  vint,  en  automne  1918, 
l'effondrement.  Ses  ennemis  trop  supérieurs  en  forces  repoussèrent  ses 
vaillantes  armées  ;  dans  le  pays  même  éclata  une  révolution.  Le  9 
novembre  1918,  Guillaume  II  fut  forcé  de  renoncer  pour  toujours  au 
trône  d'empereur  d'Allemagne  et  de  roi  de  Prusse.  Il  alla  habiter  en 
Hollande  avec  son   épouse. 

De  l'empire,  cette  fière  création  du  prince  de  Bismarck,  on  fit,  au  bout 
de  48  ans,  une  République  avec  un  Président  à  sa  tête. 

Une  page  consacrée  à  l'empereur  —  quatre  mots  à  la  Répu- 
blique ! 

L'abdication  du  prince  de  Saxe  est  racontée  tout  à  fait  dans 
le  même  esprit,  en  louant  discrètement  la  monarchie  et  en 
l'opposant  à  la  république. 

L'ouvrage  de  Seyfert  est  suivi  d'une  petite  instruction  civi- 
que, —  chose  très  rare  jusqu'ici,  bien  que  l'on  annonce  actuel- 
lement l'apparition  de  manuels  de  ce  genre.  Nous  y  notons 
toujours  la  même  méthode.  Elle  consiste  à  parler  surtout  des 
affaires  de  l'ancien  régime  et  à  ne  consacrer  que  quelques 
mots,  témoignant  par  leur  sécheresse  d'un  mépris  secret,  aux 
dispositions  de  la  Constitution  actuelle. 

«  Je  suis  un  petit  Allemand  —  commence  ce  chapitre.  Mon  pays  est 
le  Reich  allemand.  II  est,  depuis  le  9  novembre  1918,  un  Etat  libre 
(Freistaat),  ou  République,  avec  un  président  choisi  par  le  peuple  à 
sia  tête.  Auparavant,  il  était  gouverné  par  un  empereur.  Le  18  janvier 
1871,  il  avait  été  fondé.  Alors  se  réunirent  en  association  25  Etats 
allemands  (par  la  guerre  de  1870  en  arriva  un  de  plus,  l' Alsace-Lor- 
raine), et  ils  choisirent  le  roi  de  Prusse,  comme  chef  de  la  confé- 
dération ;  celui-ci  prit  comme  tel  le  titre  d'empereur  d'Allemagne. 

L'Etat  allemand  auquel  j'appartiens  est  l'Etat  libre  de  Saxe.  La  Saxe 
est  ma  petite  patrie  où  régnait  le  roi  Frédéric-Auguste  II,  de  la 
maison  de  Wittelsbach,  jusqu'à  soh  abdication  du  13  novembre  1918.  » 

Suivent  onze  lignes  sur  l'armée  allemande,  ce  qui  est  énor- 
me quand  on  pense  que  le  résumé  a  environ  une  page,  et  qu'il 
s'agit  de  l'armée  d'avant  1918.  Quant  à  l'organisation  actuelle, 
elle  est  écrite  en  ces  termes  laconiques  : 

La  révolution  allemande  (!)  a  supprimé  l'armée  permanente  et  la 
flotte.  C'est  maintenant  la  Reichswehr,  formée  de  volontaires,  qui  est 
la  gardienne  de  l'ordre  dans  la  patrie. 


248  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Sur  cette  phrase,  qui  contient  une  forte  inexactitude,  se 
termine  l'appendice  du  manuel  de  Seyfert  (1)  (p.  145). 

Citons  pour  terminer  quelques  exemples  d'excitations  direc- 
tes à  la  revanche. 

Lierman  et  Pappritz,  dans  leur  Livre  allemand  de  Lee- 
tare  (2),  ont  introduit  dans  l'édition  de  1920  deux  poésies 
de  Paul  Warnecke  qui  ont  ce  caractère. 

La  première,  intitulée  1870,  contient  la  strophe  qui  suit  : 

O  Allemagne  que  le  monde  voyait  si  glorieuse,  puise  de  la  conso- 
lation dans  les  journées  de  Metz  et  de  Saint-Privat.  Comme  des 
couronnes  de  chêne,  comme  des  fleurs  de  la  campagne  ensoleillée  te 
parent  les  noms  de  Spichern,  Sarrebruck,  Wœrth,  et  Mars-la-Tour. 

Oh  !  quoi  que  l'on  t'ait  pris,  quelque  mal  que  l'on  t'ait  fait,  des 
jours  viendront  semblables  à  ceux  que  nous  avons  vus  ! 

Ainsi  finit  le  poème. 

L'autre  poésie  Ce  que  nous  avons  perdu,  passe  en  revue 
tous  les  territoires  enlevés  à  l'Allemagne  et  conclut  ainsi  : 

Toi  qui  es  asservi  à  l'erreur  (?),  réveille-toi,  secoue  la  honte,  pense 
au  jour  de  la  vengeance,  au  jour  de  la  liberté.  Ne  laisse  pas  s'éteindre 
ton  ardeur  qui  flambait  jusqu'au  ciel.  Tu  auras,  ainsi  que  tes  héritiers, 
une  digne  et  sublime  tâche. 

Tu  ne  dois  jamais  l'oublier  :  sois  fort  et  fidèle.  Ce  que  Dieu  t'a  donné 
tu  le  recouvreras  alors.  Grave-le  profondément  dans  le  cœur  de  tes 
garçons  :  ce  que  nous  avons  perdu  ne  doit  pas  l'être. 

Autre  exemple  :  Dans  la  collection  de  vulgarisation  très 
répandue  :  Aus  Natur  und  Geisteswelt,  nous  relevons,  dans 
la  nouvelle  édition  d'un  opuscule  sur  la  chanson  populaire  al- 
lemande par  Bruinier,  l'étrange  conclusion,  ajoutée  dans  la 
6*  édition  (1921),  chez  Teubner. 

(1)  Un  fait  typique  qui  nous  a  été  révélé  par  la  Frankfurter  Zeilung 
(5  janvier  1922)  montre  combien  l'esprit  de  l'ancien  régime  cherche  souvent 
à  reparaître  dans  les  li\Tes  de  la  jeune  République.  En  décembre  1921,  le 
journal  socialiste  Mûnchner  Posl  dénonçait  le  livre  d'histoire  utilisé  dans 
les  classes  supérieures  des  gjTnnases  bavarois  comme  contenant,  à  côté  de 
l'apologie  des  belliqueux  Hohenzollern,  des  phrases  malsonnantes  à  l'égard 
du  gouvernement  actuel,  et  en  particulier  du  Président  Ebert.  Il  était  dit 
à  peu  près  :  «  Un  ou^Tle^  sellier,  Ebert,  est  devenu  Président  de  la  Républi- 
que ».  Le  3  jamier,  le  ministère  des  Cultes  de  Bavière  s'est  décidé  à  promul- 
guer un  décret  rendant  désormais  le  visa  des  autorités  universitaires  obli- 
gatoire pour  tout  livre  même  simplement  réédité  destiné  aux  écoles.  La  dépê- 
che de  Munich  ne  dit  d'ailleurs  pas  si  le  livré  incrimé  a  été  retiré  des  mains 
des  élèves. 

(2)  Deutsches  Lesebuch  (1920),  p.  345  et  355. 


L'ARTICLE  148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIMAR  249 

L'Allemand  ne  porte  pas  longtemps  de  chaînes.  Non,  pas  l'Allemand. 
Je  ne  verrai  probablement  pas  le  jour  où  tous  les  enfants  revenus  au 
foyer  tomberont  dans  les  bras  de  la  mère  Germanie  ;  je  ne  puis  qu'y 
rêver.  Mais  ce  jour  viendra,  le  jour  où  les  frontières  de  l'ouest,  du 
sud  et  de  l'est  seront  de  nouveau  telles  que  Dieu  les  a  tracées,  et 
non  telles  que  les  fixa  la  stupide  étroitesse  des  V/elches  et  des 
Sarmates  maudits.  Et  alors  le  jour  de  la  chanson  sera  revenu. 
Comme  Drusus,  ils  seront  tous  abattus  par  Dieu,  ceux  qui  attentent 
à  la  liberté  allemande. 

La  polémique  se  glisse  enfin  jusque  dans  les  colonnes  des 
dictionnaires  (1).  Ainsi,  dans  la  dernière  édition  (1921)  du 
dictionnaire  de  Meyer  Meyers  Konversationslexikon,  très  ré- 
pandu en  Allemagne  dans  les  classes  et  les  familles,  nous 
retrouvons,  à  l'article  «  Guerre  mondiale  »  (Weltkrieg),  le 
même  exposé  tronqué  de  la  guerre  et  de  ses  origines  :  il  n'est 
pas  dit  un  mot  de  la  neutralité  belge  !  «  L'Allemagne  fit  mar- 
cher ses  troupes  à  travers  la  Belgique,  ce  que  l'Angleterre 
saisit  aussitôt  comme  prétexte  de  guerre.  » 

De  même,  à  l'article  «  Société  des  Nations  »  (Vœlkerbund), 
nous  lisons  cette  définition  :  «  Association  des  puissances 
alliées  et  associées  contre  (sic)  l'Allemagne..  La  Société  des 
Nations  est  ouverte  aux  neutres.  » 

Toutes  les  occasions  sont  bonnes,  on  le  voit,  pour  protester 
contre  le  traité  de  paix  et  exciter  la  population  contre  les 
Alliés  ;  tous  ces  ouvrages  soumettent  la  jeunesse  à  une  dan- 
gereuse suggestion  incessante. 


* 
** 


En  résumé,  ces  livres  sont  imbus  de  l'esprit  monarchiste  et 
nationaliste  le  plus  caractérisé  et  le  plus  dénué  de  sens 
critique  :  l'histoire  est  enseignée  comme  un  dogme.  D'après 
elle,  les  souverains  allemands  ont  toujours  été  infaillibles  ; 

(1)  Nous  la  retrouvons  même  dans  un  livre  —  qui  le  croirait  ?  —  d'histoire 
naturelle  (Naturkunde  du  D'  E.  Dûll,  Munich),  pour  la  5^  des  gymnases. 
L'auteur  se  répand  à  tout  propos  en  invectives  contre  les  ennemis  de  l'Alle- 
magne :  «  les  territoires  volés  par  l'Angleterre  »  (p.  212)  ;  «  la  jalousie  furieuse 
et  aveugle  de  nos  adversaires  »  (p.  239)  ;  «  la  barbare  (!)  Belgique  »  (p.  197)  : 
«  Toujours  l'Allemand  devra  rester  un  combattant,  pour  défendre  ses  con- 
quêtes »,  etc.,  etc.  (p.  133).  Ce  livre,  qui  vient  de  nous  être  signalé  comme 
étant  en  usage  en  Bavière,  montre  bien  à  quel  point  la  réaction  sévit  dans  ce 
pays. 


250  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

tout  ce  qui  pourrait  les  déconsidérer  est  passé  sous  silence. 
Jamais  l'historien  n'essaie  d'expliquer  à  l'enfant  la  psychologie 
de  l'étranger  ou  de  lui  en  décrire  la  civilisation.  Les  autres 
Etats  sont  toujours  supposés  obéir  aux  motifs  les  plus  bas. 

En  ce  qui  concerne  les  diverses  catégories  de  livres  sco- 
laires, nos  observations  se  résument  ainsi  : 

Les  Lectures  choisies,  très  peu  littéraires  et  surtout  histo- 
riques, louent  sans  cesse  les  vertus  des  souverains.  Aucune 
de  celles  examinées  par  nous  ne  se  rapporte  à  la  dernière 
guerre. 

De  même,  dans  les  livres  pour  tout  petits,  pas  d'allusions 
à  la  guerre.  Mais,  dans  le  cours  entier  de  ses  études,  l'élève 
ne  trouvera  jamais  rien  dans  ses  livres  sur  la  culture  étran- 
gère, presque  rien  sur  la  civilisation  morale  de  son  propre 
pays-  Par  contre,  à  partir  de  la  Réforme,  il  entendra  chaque 
année  l'éloge  incessant  et  exclusif  de  la  Prusse  et  de  sa 
dynastie. 

Pour  la  guerre  mondiale  et  la  révolution  enfin,  l'enfant  ne 
trouvera  encore  dans  les  manuels  qu'une  histoire  falsifiée  et 
tronquée  partout  de  la  même  manière,  comme  suivant  un  mot 
d'ordre  général. 


* 
** 


Ainsi,  l'image  que  tous  ces  livres  scolaires  nous  donnent 
de  l'éducation  allemande  d'après  guerre  est  loin  d'être  satis- 
faisante. Elle  est  même  faite  pour  nous  rem.plir  d'inquiétude  : 
va-t-on  perpétuer,  dans  les  esprits  de  la  génération  qui  vient, 
les  mensonges  et  les  erreurs,  ces  vérités  tronquées,  censurées, 
déformées,  à  l'usage  d'une  seule  nation,  dont  tous  les  peuples 
ont,  hélas,  pris  plus  ou  moins  l'habitude  durant  les  terribles 
années  de  crépuscule  européen,  de  1914  à  1918  ? 

Il  serait  naturellement  ridicule  de  penser  que  les  livres 
allemands  vont,  au  lendemain  de  la  défaite,  enseigner  franche- 
ment à  la  jeunesse  la  thèse  de  la  responsabilité  allemande. 
Il  est  pourtant  permis  d'estimer  que  l'école  républicaine 
devrait  dans  ses  manuels  dénoncer  les  erreurs  et  les  crimes  de 
l'ancien  régime,  l'immoralité  foncière  de  sa  politique,  de  la 
raison  d'Etat,  faire  comprendre  les  inquiétudes  de  l'étranger 
en  présence  de  la  WeltpoUtik,  ne  pas  laisser  croire  enfin  que 
la  révolution  et  la  République  sont  responsables  de  l'état 


L'ARTICLE  148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIMAR  25 1 

lamentable  dans  lequel  une  guerre  voulue  et  prolongée  par 
le  gouvernement  impérial  a  mis  l'Allemagne. 

Rien  ne  s'oppose  autant  à  la  réconciliation  des  peuples,  si 
difficile  et  si  lente  après  une  telle  catastrophe,  et  pourtant 
inscrite  dans  la  Constitution  allemande,  que  ces  travestisse- 
ments de  la  vérité  qui,  même  quand  l'adversaire  n'est  pas 
attaqué  ouvertem.ent,  donnent  toujours  de  lui  une  image 
déformée  et  avilie.  Mais  l'article  148  n'en  existe  pas  moins  ; 
il  pourrait  constituer  l'arme. la  plus  efficace  d'ans  la  lutte  contre 
l'esprit  de  guerre  en  Allemagne.  On  nous  signale  l'apparition 
de  livres  nouveaux,  imbus  de  l'esprit  pacifique  et  démocra- 
tique (1),  et  —  chose  peut  être  plus  importante  —  quantité 
de  maîtres,  de  l'enseignement  primaire  surtout,  se  montrent 
hostiles  à  l'enseignement  de  la  haine  et  de  l'impérialisme. 

D'ores  et  déjà,  les  groupements  républicains  et  socialistes 
d'instituteurs,  de  professeurs  et  même  d'étudiants  mènent  le 
bon  combat  contre  les  livres  scolaires  chauvins.  C'est  ainsi 
que  le  Maître  Libre  (2)  dénonçait,  l'an  dernier,  les  poésies  hai- 
neuses introduites  dans  le  recueil  de  Liermann  et  Pappritz, 
que  la  Revue  Jeunes  Gens  (3)  (août  1921)  signalait  de  même 
les  deux  livres  monarchistes  de  Gabriel  et  Suprian.  Et,  dans  les 
deux  cas,  paraît-il,  le  retrait  des  ouvrages  incriminés  a  été 
obtenu. 

Les  Jeunesses  allemandes  —  associations  de  grands  élèves, 
de  jeunes  ouvriers  et  d'étudiants  —  ont  fait  plus  :  elles 
ont  organisé  l'an  dernier,  à  Leipzig,  un  bureau  central, 
auquel  doivent  être  signalées  les  infractions  à  l'art.  148, 
commises  dans  les  livres  ou  dans  l'enseignement,  et  qui  se 
charge  des  démarches  auprès  des  autorités.  La  presse  socia- 


(1)  Cette  étude,  commencée  au  début  de  1922,  n'a  pu  utiliser  que  peu  de 
matériaux  postérieurs  à  la  fin  de  1921.  Pourtant,  nous  devons  à  la  vérité 
de  signaler  la  publication  courageuse,  par  le  Professeiu-  Wernecke,  d'une 
série  de  livres  scolaires  favorables  à  notre  pays.  Ces  ouvrages  ont  eu  un  tel 
succès  dans  certains  milieux  démocratiques  du  Sud  et  de  l'Ouest  qu'ils  ont 
été  vite  épuisés.  Mais  ils  ne  seront  pas  de  sitôt  adoptés  par  les  écoles  1 

Il  existe  22  de  ces  petits  ouvrages  tout  l'i  fait  empreints  de  l'esprit  large- 
ment humain  de  nos  livres  de  lecture  français.  L'un  d'eux  porte  le  titre  typi- 
que :  La  France  peut-elle  être  noire  modèle?  (Edités  chez  l'auteur,  Natzungen 
en  Westphalie  (1920  à  1922). 

(2)  Dcr  Freie  Lehrer.  Organe  du  Syndicat  des  instituteurs  et  institutrices 
socialistes  d'Allemagne.  Mensuel  (Berlin). 

(3)  Junge  Menschen.  Organe  de  la  jeunesse  allemande,  mensuel. 


252  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

liste  et  pacifiste,  enfin,  accueille  toutes  les  réclamations  de 
même  nature,  qui  ont  souvent  obtenu  satisfaction. 

Quant  à  l'œuvre  positive  de  reconstruction  de  l'enseigne- 
ment sur  sa  nouvelle  base,  elle  a  été  entreprise  et  se  poursuit 
aujourd'hui  dans  nombre  de  publications  pédagogiques, 
notamment  dans  les  deux  revues  déjà  citées,  dans  le  Nouveau 
Devenir  (1),  dans  la  Nouvelle  Education  (2),  dans  la  Réforme 
Pédagogique  (3),  etc. 

Le  Maître  Libre  consacre  son  numéro  de  décembre  1921 
tout  entier  à  «  l'Esprit  de  réconciliation  des  peuples  ».  II  y 
publie  une  série  d'articles,  écrits  par  des  maîtres,  sur  l'appli- 
cation de  l'art.  148.  Woogd  signale  dans  le  premier  de  ces 
articles  {Désarmement  moral)  les  excitations  chauvines  qui, 
dans  tous  les  pays,  cherchent  à  perpétuer  les  haines  nées  de 
la  guerre.  En  ce  qui  concerne  l'Allemagne,  il  reconnaît  les 
difficultés  de  la  lutte  contre  le  chauvinisme,  dues  aux  terribles 
circonstances  actuelles,  et  adresse  un  appel  chaleureux  à  la 
jeunesse  et  aux  maîtres-  Ensuite,  Bleier  défend  le  pacifisme 
radical  :  la  jeunesse  aime  ce  qui  est  fort.  Soyons  énergiques, 
combattifs,  pour  défendre  l'humanité  contre  le  nationalisme, 
e^  nous  rallierons  les  jeunes. 

Erich  Mangels  considère  l'esprit  de  réconciliation  comme 
inséparable  de  la  lutte  contre  la  concurrence  brutale  dans 
tous  les  domaines,  et  pour  l'entraide  et  la  coopération.  Hen- 
ningsen  esquisse  enfin  un  plan  de  lutte  contre  l'esprit  de 
haine  insufflé  aux  enfants,  tandis  qu'Erich  Witte  montre  sans 
peine  quelles  vues  largement  humaines  les  éducateurs  trou- 
vent dans  les  grands  classiques  allemands. 

«  Je  réclame,  conclut-il,  que  la  lecture  de  nos  grands 
classiques  soit  employée  à  élever  notre  jeunesse  dans  l'esprit 
de  Weimar,  pour  tuer  l'esprit  de  Potsdam.  Il  nous  faut  rede- 
venir les  disciples  de  Schiller,  de  Gœthe,  de  Kant  et  de  Herder 
après  avoir  été  pendant  d'es  dizaines  d'années  uniquement 
ceux  de  Bismarck  et  de  Bulow,  deTreitschke  et  de  Bernhardi. 
Faire  connaître  à  notre  jeunesse  l'esprit  de  ces  grands  hommes 
de  Weimar,  c'est  l'élever  dans  l'esprit  de  réconciliation  des 
peuples  (4).  » 

(1)  Das  Neue  Werden. 

(2)  Die  Neue  Erziehung  (Berlin).  Mensuel. 

(3)  Die  Pàdagogische  Rejorm.  (Hebdom.  Hambourg).  •    ,  •♦ 

(4)  Witte  a  eu  en  1921  un  conflit  avec  son  Directeur.  Celui-ci  avait  fait 


L'ARTICLE  148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIMAR  25] 

Chaque  numéro  de  la  Nouvelle  Education  contient  un  sup- 
plément édité  par  la  Ligue  allemande  pour  la  Société  des  Na- 
tions, sous  la  direction  du  Docteur  Elisabeth  Rotten.  M"^  Rot- 
ten,  qui  est  à  la  tête  de  la  Section  pédagogique  de  la  Ligue,  est 
animée  du  meilleur  et  du  plus  intelligent  des  zèles  :  elle  s'est 
attachée  à  donner  à  l'éducation  une  base  véritablement 
humaine.  Dans  une  brochure  intitulée  :  Devoirs  d'une  éduca- 
tion future  pour  la  Société  des  Nations  (1),  elle  recherche 
et  expose  les  idées  qui  unissent  les  hommes  et  sont  com- 
munes à  tous,  pour  les  substituer  dans  l'éducation  à  celles 
qui  les  divisent.  Elle  passe  en  revue  les  pédagogues  qui, 
depuis  Pestalozzi  (2),  ont  voulu  développer  dans  chaque 
enfant  les  bons  côtés  de  l'universelle  nature  humaine. 

Dans  une  autre  brochure  L'éducation  de  l'esprit  de  paix  (3), 
Wilhelm  Bœrner  traite  un  sujet  analogue,  bien  que  d'une 
manière  toute  différente.  Ce  n'est  plus  une  introduction 
générale  à  l'éducation  humaine  ;  c'est  une  œuvre  de  polé- 
mique acerbe  et  très  bien  documentée  contre  le  chauvinisme 
à  l'école,  suivie  d'un  plan  détaillé  d'enseignement  pénétré  de 
l'esprit  de  paix  (4).  Une  esquisse  analogue  se  trouve  dans  la 
brochure  du  Dr  Erich  Witte,  éditée  par  «  la  Nouvelle 
Patrie  »  et  destinée  à  renseigner  les  éducateurs  sur  le  déve- 
loppement des  idées  pacifistes  et  sur  les  ouvrages  où  ils  pour- 
ront les  puiser  (5). 

sur  lui  un  rapport  l'accusant  «  de  faire  de  la  politique  »  en  classe  —  parce  qu'il 
traitait  sans  parti  pris  les  questions  internationales.  Le  Collège  provincial 
fut  saisi,  puis  le  Ministère.  Après  un  long  échange  de  vues  relatives  à  l'inter- 
prétation de  l'article  148,  le  Ministère  dut  reconnaître, que  «  cet  article  avait 
force  de  loi  »  et  ne  pouvait  être  contredit  par  aucun  règlement.  Mais  il  a  fallu 
près  de  deuv  ans  pour  que  Witte  obtienne  justice  I  On  voit  par  là  si  l'adminis- 
tration est  gênée  par  l'art.  148.(Cf.le  récit  del'atTairedans  Dcr  Freie  Beamle, 
26  août  1922.  «  Réaction  scolaire  et  République  ».) 

(1)  Aufgahen  KilnfUger  Voelkerbunderziehung,  von  D' Elisabeth  Rotten. 
Préface  de  F.  W.  Fôrster.)  Berlin  1920.  Rowohlt  Verlag. 

(2)  Pestalozzi  avait  compris  l'énorme  puissance  du  facteur  moral,  si  mé- 
connu par  les  successeurs  de  Bismarck  :  "  Je  saurais  donner  à  celui  qui  me 
suivrait,  dit  Pestalozzi,  une  puissance  en  Europe  plus  forte  que  celle  de  Bona- 
parte... » 

(3)  Erzieimng  zur  Friedensgesinnimg,  Stuttgart,  1921.  (FriededurchRecht 
Verlag.) 

(4)  Ce  plan  est  tellement  semblable  au  règlement  de  l'Etat  de  Brunswick 
que  nous  croyons  inutile  de  le  citer  ici. 

(5)  Df  Erich  Witte  :  Der  Unlerricht  im  Geisleder  Vôlkerversôhnung  (Ber- 
lin, 1921).  Voici  les  directives  excellentes  qu'il  donne  et  que  nous  reprodui- 
sons ici  à  titre  d'exemple. 


254  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

De  toutes  les  branches  de  l'enseignement,  l'histoire  est  sans 
nul  doute  celle  que  se  disputent  le  plus  âprement  le  natio- 
nalisme et  l'esprit  nouveau  :  la  place  faite  à  cette  matière 
dans  les  livres  examinés,  l'importance  accordée  par  les  réfor- 
mateurs aux  méthodes  d'exposition  historique  en  font  foi. 
C'est  qu'il  est  impossible  de  ne  pas  mêler  des  idées  politiques 
au  récit  des  événements  modernes,  et  surtout  à  l'exposé  des 
faits  récents  si  discutés,  comme  la  guerre  et  la  révolution. 
L'empire  de  Bismarck  avait  son  histoire,  à  la  Treitschke,  dont 
l'esprit  infeste  encore  les  livres.  Sa  méthode  est  inconciliable 
avec  l'art.  148,  avec  la  République,  et  les  maîtres  animés  de 
l'esprit  nouveau  travaillent  à  le  faire  comprendre. 

Ainsi,  en  1921,  la  question  de  l'enseignement  historique  a 
été  agitée  dans  deux  importants  Congrès  :  celui  de  l'Union 
des  professeurs  d'histoire  (Verband  deutscher  Geschichts- 
lehrer)  tenu  à  Leipzig  en  mars-avril,  et  le  Kaltiirtag  de  Dresde 
(juin,  organisé  par  le  «  Syndicat  des  maîtres  socialistes  » 
{Arbeitsgemeinschaft  sozialdeinokraiischer  Léhrer). 

A  Leipzig,  on  n'envisagea  pas  de  mesures  bien  draconien- 
nes contre  l'ancien  enseignement  ;  on  se  contenta,  après  des 

I.  Histoire  des  guerres.  —  1.  Traiter  brièvement  l'histoire  des  guerres  et 
plus  longuement  celle  de  la  culture.  2.  Expliquer  aux  élèves  l'inanité  de 
toute  gueiTe  de  conquête,  la  folie  d'une  guerre  de  revanche  et  l'action  anti- 
civilisatrice  de  toutes  les  guerres  ;  exposer  les  suites  néfastes  des  guerres  et 
en  particulier  de  la  guerre  mondiale  (suites  politiques,  économiques  et  mora- 
les,' pertes  d'hommes).  3.  Apprécier  objectivement  les  origines  de  toutes  les 
guerres.  Ne  jamais  glorifier  ni  les  guerres,  ni  les  personnalités  historiques 
qui  les  ont  déchaînées.  4.  Mettre  spécialement  en  relief  tous  les  cas  dans  les- 
quels des  différends  internationaux  ont  été  aplanis  par  des  arbitrages.  5.  Ex- 
pliquer les  poésies  guerrières  au  point  de  vue  pacifiste. 

77.  Juger  avec  équité  les  autres  peuples,  ne  pas  surestimer  le  peuple  alle- 
mand. 

777.  Faire  de  la  vie  internationale  et  du  droit  des  peuples  des  objets  d'ensei- 
gnement. 1.  Exposer  la  vie  internationale  des  dernières  décades  et  faire  res- 
sortir l'importance  internationale  des  grands  hommes  honorés  par  toutes 
les  nations,  des  poètes,  inventeurs,  etc.  2.  Exposer  les  éléments  du  droit  des 
gens  actuel  et  la  position  des  divers  peuples  vis-à-vis  de  ce  droit.  3.  Intro- 
duire des  morceaux  relatifs  à  la  vie  internationale  et  au  droit  des  gens  dans 
les  livres  de  lecture  ;  tenir  compte  de  ces  sujets  dans  l'enseignement  des  lan- 
gues étrangères. 

IV.  Les  Maîtres.  Organiser  des  conférences  spéciales,  pour  donner  aux 
maîtres  l'occasion  de  se  familiariser  avec  le  droit  international  actuel  et  les 
idées  pacifistes.  Instituer  une  épreuve  sur  ces  matières  à  l'examen  d'Etat 
des  candidats  aux  postes  de  l'enseignement. 

V.  Epuration  des  bibliothèques  scolaires.  Supprimer  tous  les  ouvrages  mili- 
taristes et  nationalistes  actuels  et  les  reniplacer  par  ceux  dont  la  lecture  con- 
tribue à  élever  les  enfants  dans  un  esprit  de  réconciliation  des  peuples. 


L'ARTICLE  148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  V/EIMAR  255 

exposés  de  B-randt  et  de  Friedrich,  de  réclamer  l'introduction 
dans  les  classes  de  livres  d'histoire  descriptifs,  au  lieu  des 
simples  tables  chronologiques  pour  lesquelles  on  fait  actuel- 
lement campagne  (!)•  Le  vœu  n'était  d'ailleurs  pas  aussi 
anodin  qu'il  en  avait  l'air  ;  car  se  contenter  exclusivement  de 
ces  tables,  c'est  laisser  au  maître  l'entière  liberté  de  com- 
menter à  sa  guise  les  événements,  c'est  le  soustraire  à  tout 
contrôle,  lui  permettre  d'introduire  dans  sa  classe  la  pro- 
pagande verbale  qui  lui  plaît.  Et  l'on  sait,  hélas,  quelle 
formation  réactionnaire  la  plupart  des  professeurs  ont  reçue 
dans  les  Universités  !  Tel  est  l'avis  de  Kawerau,  spécialiste 
en  ces  matières  :  il  soutient  que  «  toute  réforme  de  l'ensei- 
gnement doit  partir  d'en  haut,  c'est-à-dire  des  Universités  ': 
celles-ci  mettent  trop  souvent  l'enseignement  de  l'histoire  au 
service  du  nationalisme  et  des  traditions  guerrières.  Le  déplo- 
rable esprit  de  Treitschke  y  apparaît  encore  toujours  »  (2). 

A  l'appui  de  cette  thèse,  Kavi^erau  cite  plusieurs  ouvrages 
destinés  aux  étudiants,  futurs  maîtres  :  La  guerre  de  1914-18, 
par  le  Colonel  Immanuel,  où  apparaît  «  la  plus  vétusté 
méthode  de  sincérité  apparente,  cachant  la  corruption  interne  » 
et  aussi  les  Réflexions  historiques  de  Kauffmann,  Berndt  et 
Tomuschat,  qui  rendent  les  socialistes  responsables  de  toutes 
les  catastrophes,  «  élucubration  dont  le  loyalisme  vis-à-vis  de 
la  famille  royale,  de  la  patrie  et  de  Dieu  laisse  paraître  à  cha- 
que ligne  l'esprit  du  xvF  siècle  ». 

Et  Kawerau  de  conclure  :  «  Ce  sont  toujours  les  mêmes  dé- 
fauts que  nous  observons  partout,  que  ce  soit  chez  les  philolo- 
gues ou  chez  les  militaires,  chez  les  «  héros  »  de  la  guerre 

(1)  Les  maîtres  partisans  de  la  réforme  radicale  de  l'enseignement  n'étaient 
pas  venus  au  Congrès.  CL  Nene  Erziehiing,  1921,  n"  9.  Kawerau  (article  inti- 
tulé Geschichte)  commente  ce  congrès.  Chose  curieuse  le  Deutsches  Friedens- 
cariell — Fédération  des  sociétés  pacifistes  et  démocratiques — a  réclamé,  le 
18  octobre  1922,  du  ministère  prussien,  la  mesure  inverse,  —  la  suppression 
du  livre  d'histoire  obligatoire  :  «  car  presque  partout  sont  employés  les  vieux 
livres  monarchistes  et  militaristes...  le  Neubauer  par  exemple.  »  Ces  diver- 
gences de  vues  montrent  que  tantôt  le  livre  est  en  retard  sur  le  maître,  tan- 
tôt le  maître  devrait  être  poussé  par  un  livre  avancé.  Les  livres  dont  il  s'agit 
sont  d'ailleurs  intitulés  «  livres  de  lecture  »,  mais  contiennent  surtout  de  l'his- 
toire, comme  nous  l'avons  dit  plus  haut.  LTn  autre  edort  pour  se  débarrasser 
de  ces  vieux  livres  indésirables,  par  une  voie  détournée  a  été  fait  par  les  maî- 
tres saxons  :  ils  ont  réclamé  du  ministère  l'autorisation  de  remplacer  les 
livres  de  lecture  par  des  ouvrages  écrits  pour  la  jeunesse.  Le  ministère  a  au- 
torisé cette  substitution  \  titre  d'essai.  {Junge  Menschen,  mars  1923,  p.  49.) 

(2)  Cf.  Bœrner,  loc.  cit. 


256  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

OU  chez  ses  bardes,  l'absence  totale  de  psychologie  de  leur 
propre  peuple  ou  des  autres  nations,  la  méconnaissance  des 
facteurs  et  des  phénomènes  sociaux.  » 

L'auteur  indique  ensuite  une  série  d'ouvrages  historiques 
récents  faits  au  contraire  pour  éveiller  chez  le  futur  maître  le 
sens  critique^  totalement  négligé  par  l'enseignement  dogmati- 
que des  Universités.  Sens  critique,  sentiment  des  responsabi- 
lités —  telles  doivent  être  les  bases  de  l'éducation  civique 
de  l'élève-maître,  dont  l'école  profitera  à  son  tour. 

A  Dresde  (1),  les  maîtres  socialistes  ont  réclamé  surtout  que 
l'histoire  insiste  sur  le  développement  social,  en  prenant  comme 
point  de  départ  tangible  les  restes  du  passé  que  les  enfants 
peuvent  voir  autour  d'eux  :  «  On  croit  souvent,  dit  Henningsen 
que,  dans  le  nouvel  enseignement  historique,  nous  ne  voudrions 
plus  dire  un  mot  des  guerres.  C'est  une  erreur.  Ce  sont  les  glo- 
rifications de  la  guerre  et  les  histoires  de  guerres,  suivant  l'an- 
cienne formule  que  nous  voulons  éliminer.  Mais  naturellement, 
on  montrera  aux  écoles  de  Berlin  la  Colonne  de  la  Victoire 
et  l'Arsenal  comme  des  symboles  des  guerres  de  1864  à  1871, 
et  aussi  l'intérieur  du  Reichstag  comme  le  signe  d'une  époque 
pleine  d'orgueil  et  dénuée  de  culture...  » 

Au  cours  de  la  discussion  qui  a  suivi,  Schrœter  a  dénoncé, 
—  comme  le  faisait  Kawerau,  —  les  livres  tendancieux  intro- 
duits dans  toutes  les  bibliothèques  de  maîtres,  et  Trinks  a 
avoué  que  l'art.  148,  commandant  la  réconciliation  internatio- 
nale, «  était  le  point  le  plus  faible  de  l'enseignement  »,  celui 
que  l'on  cherchait  à  passer  sous  silence. 

A  la  fin  de  1921,  la  Nouvelle  Patrie  a  publié  une  remarqua- 
ble brochure  du  Dr  Kawerau,  où  se  trouvent  mises  au  point 
toutes  les  idées  agitées  dans  les  congrès  ou  dans  les  revues. 
C'est  un  exposé  systématique  de  ce  que  doit  être  un  enseigne- 
ment sociologique  de  l'histoire  (2).  Nous  y  retrouvons  d'abord 
la  lutte  contre  l'histoire  dogmatique,  à  «  clichés  »  :  «  Le  récit 
historique  jugeait  jusqu'ici  les  événements  du  point  de  vue  de 
la  domination  prussienne,  point  de  vue  Hohenzollern-capita- 
liste-chrétien.  Il  y  avait  les  Raubkricge  (guerres  de  brigandage) 

(1)  Cf.  Der  Neiie    Geschichtsuntenicht   (Verhandlungen  des  1.  Sozialdem. 
Kulturtages  in  Dresden).  Berlin,  1921.  (Vorwârts.) 

(2)  D'  Siegfried  Kawerau  :  Soziologiscber  Ausbau  des  Gcsckichtsunterrichls. 
Berlin,  1921  (Neues  Vaterland.) 


L'ARTICLE  148  DE  LA  CONSTITUTION  DE  WEIMAR  257 

de  Louis  XIV,  les  Habsbourg  «  félons  »  et  «  infidèles  »...  Tout 
était  jugé,  censuré,  étiqueté,  estampillé.  L'enseignement  futur 
de  l'histoire  aura  un^e  base  sociale  ;  sans  aucune  censure 
morale,  il  reviendra  toujours  au  problème  fondamental  :  que 
fit-on  pour  le  bien  de  la  communauté  ?  Quelle  était  la  situation 
du  peuple  ?  Comment  se  développait  l'aide  mutuelle  dans  la 
vie  sociale  ?  Y  avait-il  des  «  progrès  »  ?  etc..  (p.  9).  » 

C'est  ensuite  la  condamnation  de  l'histoire  providentielle  et 
fataliste,  —  celle  du  «  vieux  Dieu  allemand  »,  celle  qui  croit 
que  «  guerres  et  batailles,  grands  débats  parlementaires  et 
révolutions  constituent  l'essentiel  de  l'histoire,  que  ces  événe- 
ments n'arrivent  qu'une  fois,  grâce  au  destin  ou  par  une  incom- 
préhensible décision  de  Dieu,  et  qu'ils  se  sont  passés  exacte- 
ment comme  on  nous  les  raconte  »  (p.  13). 

L'auteur  réagit  enfin  contre  le  culte  du  «  grand  homme  », 
souverain,  général  ou  même  écrivain  ;  car  cette  superstition 
nous  incite  au  laisser-aller,  à  l'abandon  de  nos  responsabilités, 
«  à  ces  sentiments  écœurants  et  moutonniers  qui  nous  font 
suivre  le  bélier  conducteur,  qu'il  s'appelle  Bismarck  ou  Napo- 
léon, Hindenburg  ou  Lénine  »  (p.  39).  A  l'histoire  des  faits  et 
des  grands  hommes,  Kawerau  oppose  l'histoire  du  développe- 
ment social,  la  résurrection  de  l'état  social  passé  :  les  bons 
romans  historiques  seront  ici  pour  les  maîtres  d'un  secours 
précieux 

* 

Partis  de  l'Assemblée  Nationale  de  Weimar,  nous  avons 
parcouru  la  collection,  trop  peu  renouvelée  encore,  des  livres 
scolaires  (1),  pour  traverser  enfin  le  camp  des  réformateurs 
Ces  derniers,  brandissant  les  articles  de  la  Constitution,  don- 
nent l'assaut  à  la  vieille  école  à  la  prussienne  et  portent  tous 
leurs  efforts  contre  son  côté  le  plus  faible,  —  l'enseignement 

(1)   Signalons  encore  deux  nouvelles  brochures  récemment  parues  : 

1.  V Enseignement  de  l'histoire  dans  l'Etat  démocro/zçuc  (Geschichtsunter- 
richt  im  Volksstaat)  :  Base,  critique,  organisation(Librairie  historique  d'Ar- 
thur Wolf  (70  pages).  Cette  étude  résume  les  tendances  de  l'Enseignement 
historique  des  dix  dernières  années  et  leur  oppose  des  conceptions  nou- 
velles que  nous    avons  indiquées. 

2.  Contre  le  romantisme  guerrier  à  l'Ecole  (Wider  die  Kriegsromantik  in 
der  Schule)  par  le  D'  Paul  EJarth  (16  pages).  Pamphlet  contre  l'apologie 
de  la  guerre  et  des  guerriers  et  pour  la  célébration  du  travail  utile,  dans 
l'enseignement  historique. 

17 


258  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

de  l'histoire...  Ainsi  dans  le  monde  de  l'école  —  ce  microcos- 
me— comme  dans  le  monde  de  la  politique,  les  deux  Allemagne 
sont  opposées.  La  lutte  est  dure  et  sera  longue,  mais  la  victoire 
des  idées  démocratiques  outre-Rhin  est  indispensable  à  la  paix 
du  monde.  Espérons  que  la  section  des  relations  intellectuelles 
de  la  Société  des  Nations  pourra,  après  la  crise  actuelle,  aider 
les  trop  rares  démocrates  allemands  à  introduire  dans  leur 
pays  une  éducation  vraiment  humaine,  à  la  place  du  dressage 
nationaliste  (1). 

Puisse  en  Allemagne,  comme  partout  ailleurs,  être  ainsi 
appliqué  un  jour  l'article  148,  dans  un  enseignement  débar- 
rassé des  «  vérités  nationales  »,  censurées  et  tronquées,  et  atta- 
ché uniquement  à  la  Vérité  humaine  (2)  !  Ainsi  s'accomplira  la 
parole  de  Gœthe  :  «  Etre  clair  oblige  à  comprendre  ;  —  com- 
prendre, c'est  arriver  à  la  tolérance,  —  et  la  tolérance  seule 
peut  procurer  une  paix  où  s'exercent  toutes  les  énergies  et  les 
facultés  naturelles  de  l'homme  ». 

Edmond  Duméril 
Agrégé  de  l'Université. 

(1)  Nous  nous  sommes  arrêtés  au  milieu  de  1922,  avons-nous  dit  plus  haut. 
De  plus,  pour  être  absolument  précise  une  encjuête  de  ce  genre  devrait  don- 
ner le  nombre  d'exemplaires  vendus,  pour  chaque  livre  considéré.  C'est  ce 
qu'il  est  à  peu  près  impossible  de  faire. 

(2)  La  question  est  à  l'ordre  du  jour.  Cf.  le  Congrès  d'Education  morale, 
Genève,  août  1922  :  l'Enseignement  de  l'Histoire)  ;  l'Enquête  sur  la  guerre 
et  les  livres  scolaires  de  tous  pays,  organisée  par  la  Dotation  Carnegie  ;  la 
fondation  de  la  section  des  relations  intellectuelles  à  la  S.  D.  N.,  etc. 


DOCUMENTS 


Témoignage  du  Général  Danîîoff 

Après  avoir  présenté  ici  même  les  souvenirs  du  général  DobrO' 
rolsky,  la  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre  a  sollicité  de  M.  le 
général  Daniloff,  ancien  Quartier-Maître  général  des  armées  russes, 
quelques  précisions  sur  les  questions  délicates  que  soulève  ce  docu- 
ment. Le  général  a  bien  voulu  adresser  à  M.  André  Honnorat, 
président  de  la  Société,  la  lettre  suivante,  dont  nos  lecteurs  appré- 
cieront le  haut  intérêt. 


Paris,  le  31  juillet  1923. 
8,  rue  Rafîet  (xvr). 


Monsieur  le  Président, 


Je  m'empresse  de  répondre  aux  questions  que  vous  avez 
bien  voulu  me  poser  par  la  lettre  du  3  juillet,  et  ce  d'autant 
plus  volontiers  que  les  buts  poursuivis  par  la  Société  de  l'His- 
toire de  la  Guerre  ne  peuvent  que  m'être  éminemment  sympa- 
thiques. 

Je  dois,  cependant,  commencer  par  faire  une  réserve  préala- 
ble. L'article  du  général  Dobrorolsky,  dont  vous  avez  eu  l'obli- 
geance de  me  faire  parvenir  la  traduction  française,  fait  état 
de  mon  absence,  lors  du  déclanchement  des  complications  po- 
litiques qui  aboutirent  à  la  grande  guerre,  en  1914  :  j'étais, 
effectivement,  en  mission  officielle  au  Caucase,  d'oti  je  fus 
rappelé  d'urgence,  ne  rentrant  à  Saint-Pétersbourg  que  le  26 
juillet.  En  conséquence,  mes  souvenirs  personnels  ne  peuvent 
se  rapporter  qu'aux  jours  postérieurs  à  cette  date. 


26o  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

1).  Y-a-t-il  eu  divergence  de  vues  entre  le  Haut  Commande- 
ment et  le  ministère  des  Affaires  étrangères,  entre  le  25  et  le 
29  juillet  ? 

Il  est  certain  que  M.  Sazonoff,  ministre  des  Affaires  étran- 
gères, ne  ressemblait  nullement  —  en  tant  que  personnalité 
intellectuelle  et  caractère  —  ni  au  ministre  de  la  Guerre, 
général  Soukhomlinoff,  ni  au  chef  d'Etat-Major,  général 
Yanouchkevitch.  Néanmoins,  il  m'est  impossible  de  définir  par 
les  termes  «  divergence  de  vues  »  l'état  d'esprit  qui  animait 
les  chefs  responsables  du  ministère  de  la  Guerre  et  des  Af- 
faires étrangères,  aux  jours  si  lourds  d'angoisse  des  27-29 
juillet  1914.  Le  chef  et  le  directeur  responsable  du  département 
des  Affaires  étrangères,  M.  S.  Sazonoff,  étant  animé  d'un  désir 
véritablement  passionné  d'éviter  la  guerre  menaçante,  s'em- 
ployait naturellement  à  ne  point  compliquer  l'atmosphère  po- 
litique par  la  moindre  imprudence.  Telle  était  aussi  la  pensée 
directrice  des  cercles  militaires  autorisés. 

Sous  l'influence  de  cette  pensée,  le  chef  d'Etat-Major,  ré- 
cemment promu  à  ces  fonctions  et  pas  encore  pleinement  au 
courant  de  l'appareil  technique  de  mobilisation  et  du  plan 
d'opérations  militaires,  n'a-t-il  pas  pu,  momentanément  il  est 
vrai,  se  laisser  séduire  par  l'hypothèse  de  n'opérer  qu'une 
mobilisation  partielle,  en  réponse  aux  armements  si  intenses  et 
précipités  de  l'Autriche-Hongrie  ?  Est-il  surprenant  que, 
pacifique  comme  il  l'était,  le  ministre  des  Affaires  étrangères: 
pût,  qu'il  dût  même,  préconiser  cette  même  solution  (mobili- 
sation partielle),  ne  fût-ce  que  pendant  quelques  jours  ?  Le 
contraire  eût  été  étrange,  me  semble-t-il. 

2)  L'ordre  de  mobilisation  générale  avait-il  été  signé  le  29, 
comme  le  dit  le  général  Dobrorolsky,  puis  révoqué  d'ans  la 
soirée  du  même  jour,  et  transformé  en  un  ordre  de  mobilisation 
partielle  ? 

Mes  souvenirs  touchant  cette  question  concordent  avec  le 
récit  du  général  Dobrorolsky  ;  je  dois  cependant  y  apporter 
quelques  éclaircissements  supplémentaires. 

A  mon  retour  du  Caucase  à  Saint-Pétersbourg,  je  trouvai' 
le  chef  d'Etat-Major  dans  une  certaine  hésitation  d'esprit, 
quant  à  la  façon  dont  nous  devions  répondre,  sous  le  rapport 
des  mesures  militaires,  aux  événements  se  développant  si  pré- 
cipitamment. Je  présentai  au  général  Yanouchkevitch  un  rap- 
port motivé,  insistant  sur  l'inopportunité  absolue  du  projet  de: 


LA  MOBILISATION  RUSSE  EN  1914  261 

mobilisation  (partielle)  de  4  circonscriptions  militaires  seule- 
ment (celles  de  Kieff,  Odessa,  Moscou  et  Kazan)  :  pareille 
mesure  n'étant,  à  mon  point  de  vue,  qu'une  improvisation  in- 
tempestive démolissant  les  dispositions  et  calculs  essentiels 
de  notre  mobilisation  générale.  Dans  mon  argumentation,  je 
ne  me  bornai  point  à  énumérer  les  énormes  difficultés  techni- 
ques, ainsi  que  les  grands  dangers,  que  nous  encourions  néces- 
sairement dans  l'éventualité  plus  que  probable  où  une  mobi- 
lisation partielle  aurait  à  être  suivie  par  une  mobilisation 
générale.  Je  développai  aussi  les  répercussions  nuisibles  de  la 
mesure  envisagée  sur  notre  plan  d'opérations  de  guerre.  Cet 
aspect  de  la  question  n'ayant  pas  encore  été  effleuré  par  des 
publications  quelconques,  je  me  permettrai  de  l'esquisser  ici 
à  grands  traits. 

Notre  plan  (le  plan  d'opérations  militaires)  n'envisageait 
(quoique  spécifiant  deux  modalités  de  déploiement)  qu'une 
seule  éventualité  en  cas  de  guerre  occidentale,  celle  d'une 
guerre  simultanée  contre  nos  deux  voisins  réunis  —  l'Allema- 
gne et  l'Autriche-Hongrie.  Les  liens  politiques  étroits,  oui 
unissaient  ces  deux  grandes  puissances  en  une  seule  allian\.>, 
hostile  à  la  Russie,  ne  permettaient  aucunement  d'escompter 
un  conflit  armé  avec  une  de  ces  deux  puissances,  sans  l'inter- 
vention automatique  de  l'autre.  Pour  nous  tous,  c'était  une 
vérité  de  la  Palisse.  Selon  le  plan  de  déploiement  stratégique 
accepté  par  le  Grand  Etat-Major,  nous  avions  en  vue  de  nous 
servir  des  avantages  que  nous  offrait  la  configuration  enve- 
loppante de  la  frontière  vers  la  Galicie.  Dans  ces  fins,  notre 
plan  de  guerre  prévoyait  le  déploiement,  dès  le  début  de  la 
guerre,  sur  le  territoire  des  circonscriptions  militaires  de  Var- 
sovie et  de  Kieff,  de  16  corps  d'armée,  sans  compter  les 
divisions  de  réserve.  En  fait,  ces  contingents  furent,  peu  après 
le  commencement  des  hostilités,  augmentés  de  deux  corps 
d'armée  de  première  ligne.  Dès  lors  que  notre  mobilisation  par- 
tielle écarterait  la  mise  sur  pied  de  la  circonscription  de  Var- 
sovie, nous  étions  conduits,  par  cela  même,  à  abandonner  toute 
possibilité  de  déploiement  stratégique  sur  le  territoire  de  cette 
circonscription,  perdant  par  conséquent  notre  situation  favo- 
rable initiale  mentionnée  ci-dessus  (position  enveloppante  par 
rapport  au  théâtre  d'opérations  de  la  Galicie  autrichienne).  Au 
surplus,  nos  troupes  de  la  région  de  Varsovie  demeurant  sur 
le  pied  du  temps  de  paix  courraient  le  grave  danger  d'être 


262  HISTOIRE  DE'  LA  GUERRE 

surprises  par  une  brusque  attaque  des  armées  austro4^ongroi- 
ses,  dont  la  concentration  était  beaucoup  plus  rapide  que  la 
nôtre.  Mais  ce  n'est  pas  tout.  Quelques  critiques  nous  repro- 
chent d'avoir  porté,  lors  de  notre  déploiement  stratégique  au 
début  de  la  guerre,  contre  les  Austro-Hongrois,  des  forces 
insuffisantes.  Ces  critiques  sont  parfaitement  justifiées,  pour 
autant  que  l'on  reste  dans  la  sphère  des  considérations  pu- 
rement théoriques.  Il  y  a  beau  temps  que  l'on  sait  que  la  meil- 
leure stratégie  est  la  stratégie  du  plus  fort.  Mais,  en  l'occur- 
rence, on  perd  de  vue  une  circonstance  éminemment  importan- 
te :  nos  engagements  solennels  envers  notre  noble  alliée,  la 
France,  engagements  qui  comprenaient  la  concentration  de  for- 
ces assez  nombreuses  contre  l'Allemagne,  étant  évident  par  ail- 
leurs que  nous  n'allions  pas  traiter  ces  engagements  comme 
un  «  chiffon  de  papier  »  (1).  Limitant  notre  mobilisation  aux 
4  circonscriptions  précitées,  nous  n'aurions  disposé  que  de 
13  C.  A.  sur  le  pied  de  guerre,  encourant  tous  les  risques  pro- 
venant du  nombre  trop  restreint  de  nos  contingents  armés.  Il 
est  essentiel  d'avoir  présent  à  l'esprit  que,  dans  les  dernières 
années  d'avant-guerre,  l'Autriche-Hongrie  avait  sensiblement 
accru  et  perfectionné  son  appareil  militaire  ;  qu'en  conséquen- 
ce, sa  force  armée  était  à  elle  seule  (sans  parler  des  Allemands") 
tout  à  fait  imposante  ;  bref,  que  cette  puissance  était  un  ad- 
versaire militaire  de  première  force  ne  pouvant  être  maîtrisé 
que  par  un  effort  militaire  aussi  sérieux  que  rapide. 

Dans  ces  conditions,  les  prétentions  émises  subséquemment 
dans  cette  question  de  mobilisation  de  nos  armées  dans  les 
régions  limitrophes  de  l'Allemagne,  par  le  gouvernement  de 
l'Empereur  Guillaume,  de  pareilles  prétentions  n'ont  aucune 
raison  d'être.  Peut-on  par  exemple  s'imaginer,  ne  fiit-ce  qu'un 
instant,  que  les  gouvernements  d'Espagne  ou  d'Italie  auraient 
envisagé  comme  une  menace  dirigée  contre  eux  la  mobilisa- 
tion des  armées  françaises  dans  les  départements  limitrophes 
de  l'Espagne  et  de  l'Italie,  miobiiisation  provoquée  par  les  com- 
plications politiques  surgies  entre  la  France  et  l'Allemagne  ? 
Quelle  meilleure  preuve  peut-on  citer  à  l'appui  de  la  thèse  qui 
soutient  qu'une  mobilisation  partielle  eût  été  extrêmement  ha- 
sardeuse pour  la  Russie,  que  l'exemple  donné  par  cette  même 

(1)  Je  suis  entré  dans  le  détail  de  toutes  ces  questions  dans  mon  arti- 
le  :  «Les  premières  opérations  de  l'armée  russe  en  1914.»  (Voyez les  fas- 
cicules de  mai  et  juin  de  la  Revue  Militaire  Française.) 


■       LA  MOBILISATJON  RUSSE  EN  .1914  263 

Allemagne,  répondant  à  notre  mobilisation  dirigée  contre  l'Au- 
triche-Hongrie,  non  pas  par  une  mise  sur  pied  de  guerre  de 
telles  de  ses  armées  destinées  à  combattre  sur  le  front  russe 
(c'eût  été  en  fait  quelques  C.  A.  seulement),  mais  bien  par  une 
mobilisation  générale  et  complète  de  toutes  les  forces  armées 
du  Reich,  nonobstant  le  fait  que  la  France  n'avait,  à  ce  mo- 
ment-là, pris  aucune  disposition  de  mobilisation  ! 

3)  L'Etat-Major  a-t-il  continué  néanmoins  l'exécution  de  la 
mobilisation  générale  dans  la  nuit  du  29  au  30,  ainsi  que  Souk- 
homlinoff  l'a  affirmé  lors  du  procès  de  1917  ? 

Tant  dans  le  Journal  quotidien  àt  l'ancien  ministre  de  la 
Guerre,  général  Soukhomlinoff,  que  da:hs  les  mémoires  de  l'ex- 
Kaiser  Guillaume  II,  l'on  peut  trouver  des  affirmations  rela- 
tives à  la  soi-disant  non-observance  des  ordres  de  l'Empereur 
Nicolas  de  Russie  concernant  la  mobilisation. 

J'oppose  un  démenti  formel  à  ces  élucubrations  malveil- 
lantes. 

En  fait,  une  mobilisation  partielle  de  4  circonscriptions  fut 
décrétée  en  Russie,  dans  la  nuit  du  29  au  30  juillet,  le  premier 
jour  en  devant  être  le  30  juillet  (et  commençant  à  minuit  la 
veille,  c'est-à-dire  du  29  au  30). 

Le  décret  impérial  promulgant  une  mobilisation  générale 
de  l'ensemble  de  l'armée  russe  sur  tous  les  territoires  de  l'Em- 
pire (sauf  toutefois  celle  de  la  circonscription  militaire  de 
l'Amour,  en  Sibérie,  —  exception  provoquée  par  des  considé- 
rations d'ordre  technique)  ne  fut  pris  que  dans  la  soirée  du  30 
juillet,  étant  entendu  que  le  premier  jour  de  mobilisation  géné- 
rale serait  le  31  juillet  (à  minuit  dans  la  nuit  du  30  au  31). 
En  sorte  que  la  mobilisation  en  Russie,  depuis  minuit  dans  la 
nuit  du  29  au  30  jusqu'à  minuit  du  30  au  31,  ne  s'effectua  en 
réalité  que  dans  les  4  circonscriptions  militaires  suivantes  : 
Kieff,  Odessa,  Moscou  et  Kasan  ;  qu'elle  n'assuma  par  consé- 
quent que  le  caractère  d'une  mobilisation  partielle,  et  ne  com- 
prenant que  la  mise  sur  pied  de  treize  corps  d'armée.  Tous  ces 
faits  sont  à  l'heure  actuelle  tellement  bien  tirés  au  clair  qu'ils 
demeurent  en  dehors  de  toute  contestation  possible.  Ces  mêmes 
faits  sapent  par  la  base  la  légende  malintentionnée,  comme 
quoi  la  mobilisation  générale,  révoquée  au  soir  du  29  juillet  par 
l'Empereur  Nicolas  II,  aurait  néanmoins  continué  à  être  exécu- 
tée. La  seule  idée  de  pouvoir  enfreindre  un  décret  impérial,  dé- 
cret d'une  pareille  gravité,  était  absurde  par  elle-même.  Le  mé- 


26"4  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

canisme  de  l'administration  publique  fonctionnait  à  ce  moment 
là  en  Russie  de  façon  parfaitement  régulière,  et  pour  cette 
raison,  un  cas  de  désobéissance  criminelle  à  un  ordre  émanant 
de  l'autorité  suprême,  ne  pouvait  nullement  avoir  lieu.  D'ail- 
leurs la  non-observance,  dans  une  si  grave  affaire  d'état,  d'un 
ordre  impérial  eut  provoqué  un  châtiment  exemplaire. 

Il  sera  intéressant  de  connaître  les  raisons  qui  engagèrent 
l'Empereur  Nicolas,  après  la  décision,  prise  par  lui  le  29  juillet, 
de  commencer  dans  la  nuit  une  mobilisation  générale,  de  don- 
ner contre-ordre  ce  même  soir  du  29,  se  bornant  à  décréter  une 
mobilisation  partielle,  c'est-à-dire  dans  4  circonscriptions  (dé- 
cret qui  fut,  comme  nous  l'avons  vu,  mis  en  application). 

A  cet  endroit  de  notre  récit,  il  y  a  lieu  de  mettre  en  lumière 
un  fait  important  :  l'Empereur  Nicolas,  se  trouvant  en  corres- 
pondance personnelle  par  télégraphe  avec  l'Empereur  Guillau- 
me, reçut  dans  la  soirée  du  29  un  télégramme  de  ce  dernier, 
télégramme  qui  lui  parut  rassurant.  C'est  alors  que,  mû  par  un 
espoir  renaissant  de  pouvoir  arriver  à  une  solution  pacifique 
du  conflit,  l'Empereur  Nicolas  envoie  immédiatement  sa  ré- 
ponse, remerciant  Guillaume  de  son  télégramme  «  apaisant  et 
amical  »  et  exprimant  l'opinion  qu'il  serait  indiqué  de  déférer 
la  question  austro-serbe  au  tribunal  international  de  La  Haye. 
Faisant  suite  presqu'immédiatement  à  l'envoi  de  ce  télégram- 
me, daté  du  16/29  juillet,  8  h.  20  min.  du  soir,  un  ordre 
impérial  fut  donné,  ordre  qui  fut,  à  l'en  croire,  communiqué  au 
général  Dobrorolsky  le  29  juillet  vers  9  h.  1/2  du  soir  environ, 
contremandant  la  mobilisation  générale  et  la  remplaçant  par 
une  mobilisation  partielle.  La  juxtaposition  de  ces  deux  indi- 
cations de  date  peut  servir  d'indice  expliquant  les  mobiles  qui 
incitèrent  l'Empereur,  lequel  caressait  toujours  l'espoir  de  con- 
server la  paix,  à  révoquer  sa  décision  concernant  la  mobilisa- 
tion générale  de  l'armée  russe. 

Les  espérances  pacifiques  de  l'Empereur  de  Russie  furent 
malheureusement  brisées  tôt  après.  Dès  1  heure  de  la  nuit, 
dans  la  nuit  du  29  au  30,  l'Empereur  Guillaume  expédiait  un 
télégramme  en  réponse  au  nouvel  appel  du  Tsar  en  faveur 
d'une  solution  pacifique.  Ce  télégramme  ne  dit  mot  de  l'opi- 
nion du  monarque  allemand  quant  à  l'opportunité  de  soumet- 
tre le  différend  austro-serbe  au  tribunal  de  La  Haye,  et  le  ton 
de  la  dépêche  toute  entière  marque  nettement  l'absence  du  dé- 
sir de  rechercher  une  solution  pacifique  du  conflit. 


■      LA  MOBILISATION  RUSSE  EN  .1914  2^5 

Il  y  a  tout  lieu  de  souligner  cette  circonstance  que  ni  le  té- 
légramme susmentionné  de  l'Empereur  Nicolas  (daté  du  29 
juillet,  8  h.  20  m.  du  soir),  contenant  la  très  importante  pro- 
position de  déférer  le  différend  austro-serbe  au  tribunal  de  La 
Haye,  ni  les  premières  lignes  du  télégramme  responsif  de  l'Em- 
pereur Guillaume  (du  30  juillet,  1  h.  du  matin)  —  dont  le  texte 
prouve  péremptoirement  que  ce  télégramme  est  bien  une  répon- 
se directe  au  télégramme  du  Tsar  et  à  son  invite  généreuse 
en  faveur  de  la  paix,  —  ne  furent  publiés  dans  le  Livre  Blanc 
allemand,  lequel  contient  cependant  tous  les  autres  télégram- 
mes échangés  entre  les  deux  Empereurs  dans  la  période  du  24 
juillet  au  2  août  (1).  Toutefois,  l'on  peut  trouver  le  texte 
complet  (traduction  russe,  le  texte  original  étant  anglais)  des 
d'eux  télégrammes  sous  forme  de  supplément  au  Livre  Blanc 
allemand,  édité  par  la  librairie  Mellier  (à  Saint-Pétersbourg) 
en  1915.  Ces  télégrammes  furent  publiés  dans  le  supplément 
en  question,  sur  la  base  d'une  copie  des  télégrammes  authen- 
tiques échangés  par  les  deux  Empereurs,  copie  que  le  Sous- 
Directeur  de  la  Chancellerie  des  Affaires  étrangères,  M.  N. 
de  Basily,  remit  à  l'éditeur.  M.  N.  de  Basily  m'a  tout  récem- 
ment encore  personnellement  confirmé  l'absolue  authenticité 
des  textes  télégraphiques  en  question. 

4)  Enfin,  est-il  possible  de  déterminer  les  raisons  qui  ont 
poussé  le  Tsar,  dans  l'après-midi  du  30,  à  donner  définitive- 
ment l'ordre  de  mobilisation  générale,  et  de  fixer  l'heure  exacte 
de  cette  décision  ?  (Sur  ce  point,  les  souvenirs  du  général 
Dobrorolsky  et  ceux  de  M.  Paléologue  ne  sont  pas  d'accord.) 

Je  ne  puis  donner  de  réponse  documentaire  à  la  première 
partie  de  la  question  que  vous  me  posez.  J'estime  toutefois,  et 
je  ne  crains  point  de  faire  erreur  à  ce  sujet,  j'estime  que  la 
décision  définitive  que  prit  S.  M.  l'Empereur  de  décréter  la 
mobilisation  générale  fut  liée  à  des  renseignements  inquiétants 
venant  de  Berlin.  Je  dois  rappeler  que  le  30  juillet,  vers  1  h. 
après-midi,  parut  à  Berlin  l'édition  ordinaire  de  l'officieux 
Lokal-Anzeiger  et  qu'elle  contenait  en  toutes  lettres  la 
nouvelle  de  la  mobilisation  de  l'armée  allemande.  Cette  nou- 
velle fut  immédiatement  télégraphiée  à  Saint-Pétersbourg,  tout 
d'abord  par  le  correspondant  de  l'Agence  télégraphique  de 
Saint-Pétersbourg,  M.  Markoff,  ensuite  par  notre  ambassa- 

(1)  Edition  Berger-Levrault,  à  Paris. 


2^€  HISTOIRE  DE  LA  mJERRE 

deur  à  Berlin,  M.  Sverbeieff.  Nous  reçûmes  également  d'au- 
tres renseignements,  extrêmement  inquiétants,  d'Allemagne 
aussi  bien  que  d'Autriche. 

Quant  au  moment  exact  où  la  décision  fut  prise  de  procéder 
à  une  mobilisation  générale,  mes  souvenirs  personnels  se  rap- 
prochent beaucoup  de  ceux  de  M.  Paléologue.  Je  me  souviens 
notamment,  et  de  façon  assez  nette,  d'un  Conseil  extraordinai- 
re qui  se  tenait,  vers  3  heures  de  l'après-midi  du  30  juillet,  dans 
le  bureau  du  chef  de  l'Etat-Major  général.  Y  assistaient,  ou- 
tre celui-ci  :  les  ministres  des  Affaires  étrangères  et  de  la 
Guerre,  MM.  Sazonoff  et  Soukhomlinoff.  Ce  conseil  devait  se 
passer  avant  la  décision  de  procéder  à  une  mobilisation  géné- 
rale, puisque,  pendant  que  le  Conseil  avait  lieu,  me  trouvant  à 
causer  dans  la  salle  voisine  avec  M.  N.  de  Basily,  je  lui  expli- 
quais les  conséquences  graves  qui  pourraient  résulter  de  la 
mobilisation  partielle  en  cours  d'application. 

L'ensemble  des  faits  ci-dessus  développés  fait  partie  de  mes 
souvenirs  relatifs  à  la  participation  de  la  Russie  (en  19Î4-191'5) 
dans  la  guerre  mondiale,  souvenirs  que  j'espère  pouvoir  ache- 
ver et,  si  possible,  faire  paraître  à  l'anniversaire  décennal 
(1914-1924)  de  celle-ci.  Si  toutefois  vous  jugiez  opportun, 
Monsieur  le  président,  de  faire  connaître  ces  faits,  dès  aujour- 
d'hui, au  public  français,  en  faisant  paraître  dans  la  Revue 
(f Histoire  de  la  Guerre  Mondiale  la  présente  lettre,  je  mets 
celle-ci  très  volontiers  à  votre  entière  disposition,  étant  bien 
entendu  que  j'y  mets  la  seule  condition  d'une  publication  inté- 
grale de  ma  lettre. 

Veuillez  agréer,  Monsieur  le  président,  l'assurance  de  ma 
considération  la  plus  distinguée. 


GÉNÉRAL  JouRY  (Georges)  Daniloff 

Quartier-Maître  de  l'Etat-Major  général  russe  de  1909  à  1914 
et  des  armées  russes  d'août  1914  à  septembre  1915. 


BIBLIOGRAPHIE 


LES  ORIGINES  DE  LA  GUERRE  :  NOUVEAUX  PERIODIQUES 

La  bibliographie  des  bulletins  ou  revues  qui  concernent  ces  étu- 
des est  toujours  complexe  et  souvent  incertaine.  Dès  maintenant, 
les  indications  qui  étaient  exactes  en  avril  ou  en  mai  dernier  (1)  sont 
en  partie  périmées  ;  celles  que  nous  donnons  aujourd'hui  le  seront 
peut-être  dans  quelques  mois.  II  faut  en  prendre  son  parti  :  la  forme 
de  ces  publications  est  sujette  à  des  transformations  fréquentes  ;  leur 
périodicité  même  n'est  pas  toujours  assurée.  C'est  précisément  le  but 
de  cette  Revue  que  de  donner,  le  plus  possible,  un  guide  méthodique 
et  régulier  au  milieu  de  ces  incertitudes. 

La  Société  d'Etudes  documentaires  et  critiques  a  cessé,  avec  le  n°  4, 
la  publication  de  son  «  Bulletin  Officiel  ».  Mais  M.  Gustave  Dupin, 
(Ermenonville),  a  entrepris  de  publier  une  petite  revue,  intitulée  Pour 
la  Vérité,  oiî  sont  insérées  de  menues  études  :  traductions  d'articles 
étrangers,  analyses  d'ouvrages,  communications  faites  à  la  Société. 

L'Office  Central  pour  l'étude  des  causes  de  la  guerre  (Zentralstelle 
îiir  Erforschung  der  Kriegsursachen)  a  cessé  d'établir  son  bulletin  heb- 
domadaire dactylographié  ;  il  a  maintenant  une  revue,  La  question 
des  responsabilités  de  la  guerre  (Die  Kriegsschuldfrage),  dont  le 
premier  numéro  porte  la  date  de  juillet  1923.  Sous  la  direction  de 
M.  von  Wegerer,  cette  revue  publie  des  études  dont  nos  lecteurs 
trouveront  la  nomenclature  à  la  rubrique  «  Les  Revues  du  Tri- 
mestre »  ;  en  outre,  elle  donne  des  bibliographies  et  continue  le 
dépouillement  de  presse,  que  contenait  l'ancien  bulletin  hebdomadaire. 
L'esprit  de  cette  nouvelle  publication  est  conforme  aux  traditions 
de  l'Office  :  c'est  une  œuvre  de  propagande.  L'historien  Hans 
Delbriick,  qui  l'a  annoncée,  le  27  juin,  aux  lecteurs  de  la  Deutsche 
Allgemeine  Zeitung,  n'a  pas  caché  qu'il  y  voyait  une  «  arme  »  très 
efficace  pour  la  vulgarisation  des  thèses  allemandes.  C'est  à  «  l'opi- 
nion internationale  »  qu'elle  s'adresse. 

Ainsi  les  préoccupations  critiques  restent  toujours  à  l'arrière-plan. 
Ce  sont  des  publications  «  de  combat  »  qui  naissent  encore.  Elles  ne 
sont  pas  toutes  négligeables,  même  au  point  de  vue  de  l'historien  : 
dans  ce  parti-pris,  il  peut  y  avoir  un  mot  juste  ;  dans  cette  argumen- 
tation contestable,  un  document  intéressant.  L'effort  doit  consister 
d'abord  en  un  travail  de  sélection. 

(1)  Voir  n°  1,  p.  91. 


268  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

LES  LIVRES  NOUVEAUX 


Colonel  Normand.  —  La  dépense  de  Liège,  Namur,  Anvers  en  1914. 
—  Paris,  Fournier,  1923,  in-8,  184  p.,  13  croquis  et  5  cartes. 

Dans  cet  ouvrage,  le  colonel  Normand  étudie,  non  seulement  au 
point  de  vue  technique,  mais  aussi  au  point  de  vue  tactique,  les 
opérations  qui  se  sont  déroulées  devant  les  places  de  guerre  belges. 

Le  plan  suivi  est  le  même  pour  toutes  les  places  :  la  situation 
générale  est  examinée  à  la  date  du  commencement  du  siège,  puis 
la  force  de  la  place  :  organisation  du  camp  retranché,  valeur  de  la 
garnison,  etc.  Après  cette  étude  des  troupes  belges  et  de  leurs  moyens 
de  défense,  l'auteur  examine  le  corps  de  siège  allemand,  sa  force, 
ses  projets  d'attaque.  Il  passe  ensuite  à  l'historique  des  journées 
jusqu'au  moment  de  la  reddition  de  la  ville  ou  des  forts.  Faisant 
œuvre  plus  militaire  qu'historique,  le  colonel  Normand  présente,  après 
chaque  étude,  un  chapitre  de  conclusions  où  il  résume  les  conséquences 
de  la  résistance  belge  et  les  enseignements  à  tirer  du  siège. 

La  partie  graphique  est  très  développée  dans  cet  ouvrage  :  les 
forts  de  Liège,  Namur,  Anvers  ont  un  modèle  type  donné  en  exemple  ; 
des  cartes  montrent  l'organisation  générale  des  camps  retranchés  ; 
des  croquis  indiquent,  pour  certains  forts,  les  dégâts  qui  furent 
commis  par  les  projectiles  allemands. 

Dans  l'ensemble,  ce  qui  ressort  de  la  lecture  de  cet  intéressant 
volume,  c'est  le  manque  de  préparation  des  deux  forteresses  de 
Liège  et  de  Namur.  L'héroïsme  et  la  valeur  des  troupes  ne  sont  pas 
mises  en  jeu  :  l'ensevelissement  des  garnisons  sous  les  ruines  du 
fort  de  Loncin  ou  du  fort  de  Suarlée  en  sont  la  preuve.  Mais  que 
pouvaient  faire  ces  unités  dans  des  forts  entourés  par  l'ennemi,  soumis 
à  un  bombardement  violent,  sans  aucune  liaison  avec  le  monde 
extérieur,  et  même  avec  le  commandant  du  camp  retranché  ?  L'histoire 
de  Liège  est  très  instructive  à  cet  égard  :  la  ville  est  occupée  par  les 
Allemands,  quand  tous  les  forts  sont  encore  entre  les  mains  des 
Belges  ;  les  intervalles  sont  percés,  les  ouvrages  bétonnés  et  cuirassés 
sont  intacts,  mais  le  commandement  est  désorganisé  par  la  brusque 
irruption  de  la  brigade,  dont  Ludendorf  a  pris  la  direction.  Les  forts 
sont  livrés  à  eux-mêmes  ;  et  c'est  ce  qui  permettra  aux  Allemands 
de  concentrer  leurs  efforts  sur  les  différents  ouvrages  successivement, 
sans  craindre  une  riposte  sérieuse  de  la  part  des  Belges. 

A  Namur,  la  situation  est  semblable,  mais  la  présence  de  la  5^  Ar- 
mée française,  qui  se  trouve  à  quelques  kilomètres  au  sud-ouest, 
aurait  pu  modifier  les  choses.  Si  la  forteresse  protège  la  droite  de 
l'armée  française,  il  ne  semble  pas  que  nos  troupes  aient  fait  sentir 
une  influence  même  morale  ;  les  quelques  bataillons  français,  qui  se 
battent  à  Namur,  prennent  part  à  une  contre-attaque,  et  c'est  tout  ; 
il  n'y  a  pas  là  cette  coopération  de  l'armée  de  campagne  et  de  la 
forteresse  qui  devait  sauver  Verdun. 

Anvers  tient   plus   longtemps.   Pourtant   la   place   ne   sera   pas  le 
réduit  de  la  défense  belge.  C'est  sur  l'Yser  que  se  fera  la  résistance 


BIBLIOGRAPHIE  269 

acharnée,  c'est  là  que  se  manifestera  jusqu'au  bout  l'indépendance 
belge,  alors  que  tous  les  écrivains,  tous  les  stratèges  avaient  dépeint 
la  métropole  de  l'Escaut  comme  le  cœur  même  de  la  Belgique  envahie. 

Cent  trente  kilomètres  de  camp  retranché,  deux  lignes  de  défense 
organisées  avec  des  forts  et  des  ouvrages  intermédiaires  récents,  des 
inondations  tendues  grâce  à  la  faible  élévation  du  terrain  —  tout 
semblait  permettre  un  siège  de  longue  durée.  Aussi  les  Allemands 
ne  cherchèrent  pas  à  investir  la  place,  ils  procédèrent  par  des  attaques 
brusquées  sur  une  partie  du  front. 

Le  résultat,  c'est  qu'à  Anvers,  comme  à  Liège  et  à  Namur,  les  forces 
de  la  défense  peuvent  se  replier  et  concourir  ultérieurement  à  la 
défense  du  pays. 

C'est  ce  qui  ressort  de  la  lecture  de  cet  ouvrage  :  Liège,  Namur, 
Anvers  sont  des  victoires  géographiques,  des  villes  prises,  ce  ne  sont 
pas  des  succès  stratégiques  oîi  des  armées  sont  battues  et  obligées 
de  livrer  leurs  armes.  Les  Allemands  ont  traversé  la  Belgique,  ils 
n'ont  pas  vaincu  les  Belges. 

R.  V. 

Reginald  Kann.  —  Le  Plan  de  campagne  allemand  de  1914  et  son 
exécution.  —  Paris,  Payot,  1923,  in-8,  305  pages. 

L'ouvrage  de  M.  R.  Kann  me  semble  être  un  des  travaux  les  plus 
importants  qui  aient  paru  depuis  la  fin  de  la  guerre.  L'auteur  y  était 
préparé  par  de  nombreuses  études  de  détail  ;  il  a  fait  un  gros  effort 
de  documentation  et  de  critique  ;  il  en  expose  les  résultats  avec  une 
clarté,  une  vigueur,  et  une  sûreté,  qui  rassurent  le  lecteur,  et  qui 
l'incitent  à  la  confiance.  Un  examen  attentif  ne  dément  pas  cette 
première  impression. 

Après  avoir  étudié,  d'après  les  ouvrages  de  von  Kûhl  et  de 
W.  Foerster,  l'évolution  du  plan  de  campagne  allemand,  et  souligné 
les  modifications  maladroites  que  Moltke  avait  fait  subir  au  plan 
Schlieffen,  M.  Kann  met  d'abord  en  relief  les  défauts  fondamentaux  du 
haut  commandement  allemand.  Le  G.  Q.  G.  est  un  organisme  trop 
lourd,  qui  hésite  à  se  déplacer,  et  qui  reste  trop  loin  du  front  ;  aussi 
les  communications  avec  l'avant  sont-elles  précaires  ;  c'est  pour  cela 
fjue  les  commandants  d'armées,  dans  la  carence  du  commandement, 
sont  incités  à  prendre  des  initiatives  graves,  qui  sont  le  caractère 
le  plus  frappant  de  cette  campagne,  et  qui  constituent  l'une  des 
causes  de  son  échec. 

Le  plan  allemand  se  développe.  La  prise  de  Liège  est  obtenue 
assez  vite  pour  que  la  marche  des  armées  ne  soit  pas  retardée  d'un 
seul  jour.  Mais,  dans  l'exécution,  Moltke  commet  et  laisse  commettre 
des  erreurs  :  en  Lorraine,  il  cède  à  l'insistance  du  prince  Rupprecht 
de  Bavière  et  donne  l'ordre  d'attaquer,  sans  attendre  que  les  armées 
françaises  soient  engagées  à  fond  ;  au  lieu  de  prendre  l'adversaire 
dans  un  étau,  on  l'aborde  ainsi  presque  de  front.  En  Belgique,  le 
commandant  en  chef  «  abdique  »  entre  les  mains  de  Biilow,  qui 
commande  la  IP  armée   :  lorsqu'il  lance  les  ordres  du  20  août,  par 


270 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


exemple,  il  ne  précise  pas  la  portée  que  doit  avoir  l'enveloppement 
de  la  gauche  française,  si  bien  que  Biilow  pousse  droit  devant  lui, 
sans  permettre  à  la  1"  armée  (von  Klùck)  de  tenter  la  manœuvre 
débordante  qu'elle  préconise. 

Le  24  août  au  soir,  les  armées  françaises  sont  en  retraite  ;  mais 
l'enveloppement  n'a  pas  été  obtenu.  Le  «  nouveau  Cannes  »  n'aura 
pas  lieu.  En  somme,  c'est  ce  jour-là  que  le  plan  allemand  a  échoué  : 
mais  l'Etat-Major  allemand  ne  s'en  est  pas  rendu  compte  aussitôt. 
Peut-être  est-ce  pour  cela  qu'il  a  décidé  de  transporter  vers  le  front 
russe  ces  deux  corps  d'armée,  dont  l'absence  devait  se  faire  sentir  si 
rudement  par  la  suite. 

C'est  le  27,  —  trois  jours  après  la  victoire,  —  que  Moltke  donne 
une  «  instruction  générale  »  pour  la  suite  des  opérations.  H  indique 
pour  direction  à  son  aile  droite  1"  armée)  la  vallée  de  la  Seine,  en  aval 
du  confluent  de  l'Oise  ;  il  entend  donc  déborder  Paris  ;  mais  le  pour- 
rait-il, avec  les  effectifs  dont  il  dispose  ?  D'ailleurs,  il  reconnaît  que 
son  aile  marchante  pourra  être  amenée  à  infléchir  son  mouvement 
vers  le  sud,  si  elle  se  heurte  à  une  résistance  trop  forte.  Moltke 
affaiblit  donc  la  portée  de  son  ordre,  et  ne  se  réserve  pas  le  droit  de 
prescrire  lui-même  la  modification  de  l'axe  de  marche. 

Le  29,  von  Klûck  s'oriente  en  effet  vers  Noyon  ;  le  30,  Moltke 
approuve  implicitement  cette  grave  décision  :  La  I  "  armée  allemande 
va  défiler  le  long  du  camp  retranché  de  Paris. 

H  est  certain  que  Moltke,  alors,  a  senti  le  danger  :  Dès  la  nuit 
du  2  au  3  septembre,  il  donne  à  la  V^  armée  la  mission  de  protéger 
le  flanc  des  forces  allemandes,  en  prenant  une  formation  échelonnée. 
Kliick  n'en  tient  pas  compte.  C'est  le  5  au  soir,  seulement,  qu'il  se 
décide  à  arrêter  son  mouvement  en  avant.  Mais  déjà  l'armée  Maunoury 
vient  d'attaquer  son  IV*  C.  A.  R.  La  bataille  de  la  Marne  est 
commencée  :  Kliick  est  surpris  en  pleine  manœuvre.  Et  pourtant,  le 
chef  de  la  I"  armée  continue  de  risquer  le  tout  pour  le  tout.  Il 
s'efforce,  dans  les  journées  du  6  au  7  septembre,  d'envelopper  par  le 
nord  l'armée  Maunoury,  et  il  affaiblit  pour  cela  sa  défensive  sur  la 
Marne.  La  Marne  est  franchie  :  la  IP  armée  se  replie,  et  entraîne  la  I". 
La  rupture  du  front  allemand  est  en  grande  partie,  dit  M.  Kann,  l'œuvre 
de  l'obstination  de  von  Kliick. 

Ainsi  le  plan  allemand  était  «  fort  acceptable  »  ;  l'armée,  excellente  ; 
mais  l'Etat-Major  Général  n'a  pas  su  suivre  une  idée  et  l'imposer  aux 
exécutants.  La  passivité  étonnante  de  Moltke  a  permis  les  erreurs  de 
Bûlow  et  les  initiatives  hasardeuses  de  Klùck  :  Voilà  la  conclusion 
de  l'auteur. 

Le  ton  de  cet  exposé  est  toujours  mesuré,  les  conclusions  fermes. 
Je  répète  qu'on  le  lit  avec  un  vrai  sentiment  de  sécurité.  Comme  dans 
toute  œuvre  d'une  pareille  ampleur,  il  y  a  pourtant  ça  et  là  des 
points  qui  semblent  appeler  quelques  observations.  A  titre  d'exemple, 
j'en  citerai  deux. 

L'analyse  que  donne  M.  Kann  de  la  genèse  du  plan  de  campagne 
est  intéressante.  Il  paraît  croire  pourtant  que  Schlieffen  a  toujours 
été  résolu  à  respecter  la  neutralité  des  Pays-Bas.  Moltke  affirme  le 


BIBLIOGRAPHIE 


271 


contraire  :  «  Schlieffen  voulait  même  faire  marcher  l'aile  droite  de 
l'armée  allemande  à  travers  la  Hollande  méridionale  î>  (le  Limbourg). 
—  «J'ai  modifié  cela  >,  dit-il  (1)  «  pour  ne  pas  pousser  les  Pays-Bas 
dans  le  camp  adverse.  »  C'est  un  témoignage  qu'il  ne  me  paraît  pas 
possible  de  négliger. 

Le  récit  de  l'action  en  Lorraine  —  qui,  d'ailleurs,  occupe  dans 
l'ensemble  du  volume  une  place  trop  réduite  - —  pose  un  autre 
problème  :  celui  du  transfert  de  corps  d'armée  vers  l'aile  droite,  après 
le  succès  du  20  août.  M.  Kann  ne  l'a  pas  négligé,  mais  il  ne  semble  pas 
avoir  fait  état  d'un  témoignage  intéressant,  bien  qu'un  peu  imprécis, 
celui  du  colonel  Bauer  (2).  Attaché  à  l'Etat-Major  Général,  cet  officier 
a  été  envoyé  au  Q.  G.  de  la  VP  armée,  après  la  prise  du  fort 
de  Manonvillers  (27  juillet)  ;  à  une  date  qu'il  ne  précise  malheureu- 
sement pas,  il  était  de  retour  au  G.  Q.  G.  et  présentait  à  Moltke 
son  compte  rendu  :  une  offensive  sur  la  ligne  de  Moselle  était  «  hors 
de  question  »  ;  une  attaque  contre  Nancy-Frouard  était  possible,  mais 
inopportune.  11  semblait  que  le  commandement  français  déplaçait  ses 
troupes  de  Lorraine  ;  il  fallait  donc  s'attendre  à  un  renforcement  de 
l'aile  gauche  adverse.  «  Le  général  de  Moltke,  dit  Bauer,  se  rangea 
à  mon  avis,  mais  un  ordre  à  la  VI^  armée  n'intervint  pas.  »  L'aile 
droite  allemande  ne  reçut  pas  de  renforts. 

Ces  exemples  n'infirment  pas,  d'ailleurs,  les  conclusions  de  M.  Kann. 
Ils  montrent,  seulement,  quelles  retouches  légères  peut  mériter  encore 
ce  remarquable  travail. 

P.  R. 

Lemke  (Michel).  —  250  dneï  v  tsarskoï  stavkié  (250  jours  au  grand 
quartier  général  impérial.  25  septembre  1915-2  juillet  1916).  Pétro- 
grad.  Imprimerie  d'Etat,  1920.  In-4°,  XVIII,  850  pages. 

Le  capitaine  d'état-major  Lemke,  qui  avait  quitté  le  service  militaire 
en  1898  et  qui  s'était  consacré  aux  études  historiques,  est  mobilisé 
en  1914,  et  versé  dans  un  régiment  d'infanterie  comme  officier  ins- 
tructeur ;  à  la  suite  d'un  accident,  il  est  désigné  pour  collaborer  au 
journal  militaire  :  Nach  Viestnik,  édité  par  l'état-major  du  front 
Nord-Ouest,  puis  appelé  à  la  «  Stavka  »,  au  G.  Q.  G.,  à  Mohilev,  où 
il  arrive  le  25  septembre  1915. 

On  l'affecte  au  service  des  relations  entre  le  G.  Q.  G.  et  la  Presse, 
sous  les  ordres  du  général  Noskof. 

Du  jour  où  il  se  trouve  attaché  à  ce  service  qui  l'intéresse  au 
premier  chef,  il  se  jure  de  profiter  de  sa  situation  pour  noter  soi- 
gneusement et  systématiquement  dans  son  «  Journal  »  tout  ce  qui  se 
passera  autour  de  lui. 

Dans  une  courte  préface,  le  capitaine  Lemke  dit  que  sa  décision 
fiît  renforcé  par  la  conscience  qu'il  avait  un  devoir  à  remplir  devant 
l'histoire. 

(1)  Moltke,  Erinneriingen,   Briefe,  Dokumenle,  Stuttgart,  1922,  p.  17. 

(2)  Bauer,  Der  Grosse  Kricg  im  Feld  and  /Zeima/,Tubingen,1922,  p.  58. 


2-72  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

«  Les  matériaux  qui  m'ont  servi,  dit-il,  sont  les  documents  qui  me 
passaient  par  les  mains,  sans  avoir  été  censurés  ni  transformés.  Je 
les  copiais  tous  dans  mon  service,  sur  place,  à  la  Direction,  dans  ma 
chambre,  au  théâtre,  au  restaurant,  et  surtout  au  service  secret  du 
télégraphe. 

«  D'autre  part,  mes  entretiens  quotidiens  avec  des  personnes  bien 
informées,  qui  ne  se  doutaient  pas  que  mes  questions  avaient  un  but 
documentaire  bien  déterminé,  m'étaient  une  source  précieuse  de 
renseignements  ;  je  notais  immédiatement  les  paroles  ou  les  points 
importants  de  l'entretien,  je  les  contrôlais  ensuite.  Ces  notes,  qui 
remplissaient  les  innombrables  poches  de  mon  costume  d'officier, 
étaient  déchiffrées,  triées,  mises  en  ordre  lorsque  je  me  trouvais  seul 
enfermé  derrière  de  triples  portes  verrouillées.  Dès  que  mes  cahiers- 
étaient  remplis,  je  les  expédiais  à  Pétersbourg.  > 

Sans  doute,  cette  façon  de  procéder  pourrait  provoquer  des  appré- 
ciations sévères.  L'auteur  ne  s'en  cache  pas.  «  Je  risquais,  dit-il, 
le  maximum  de  châtiment  »  ;  mais  il  s'était  vite  aperçu  qu'au  G.  Q.  G. 
€  tout  se  passait  à  la  russe  >  et  que  cette  hardiesse  pouvait  réussir. 
Que  l'histoire  en  bénéficie,  on  peut  aisément  le  lui  accorder  (1).  If 
tient  beaucoup  à  affirmer  qu'il  a  été  «  aussi  objectif  que  possible  » 
sans  renoncer  pourtant  à  apprécier  et  à  juger. 

Dès  son  arrivée  à  Mohilev,  le  capitaine  Lemke  constate  que  l'âme 
du  G.  Q.  G.  se  compose  de  quelques  personnages  :  du  général  Alexeïef, 
chef  d'état-major  du  grand-duc  Nicolas,  des  généraux  Poustovoï- 
tenko,  Borissof,  du  colonel  Noskof,  chef  du  service  de  renseignements  ; 
les  autres  sont  des  «  meubles  ». 

Nous  pénétrons  immédiatement  dans  les  coulisses  du  G.  Q.  G.  ; 
les  notes  se  suivent  longues  ou  brèves,  quelques-unes  d'une  ou  deux 
lignes  seulement,  mais  toutes  caractéristiques. 

Le  capitaine  Lemke  voit  de  près  le  grand-duc  Nicolas,  chef  suprême 
des  armées  ;  il  se  rend  compte  de  la  fausseté  des  accusations  portées 
contre  lui.  Au  lieu  du  soudard,  de  l'ivrogne  brutalisant  généraux  et 
officiers,  que  dépeignent  ses  ennemis  à' la  cour,  il  trouve  un  chef 
énergique,  grand  patriote,  qui  doit  lutter  contre  tous  les  hommes 
sans  valeur  que  lui  impose  l'entourage  de  l'Empereur.  Il  enregistre 
la  grosse  faute  commise  par  Nicolas  II  lorsque  celui-ci,  craignant  la 
popularité  du  grand-duc,  l'éloigné  au  Caucase,  pour  se  mettre  a 
la  tête  de  l'armée. 

Il  cite  les  extraits  des  journaux  allemands  qui  se  réjouissent  de  ce 
changement  heureux  pour  l'Allemagne.  De  tous  côtés,  le  G.  Q.  G. 
reçoit  des  plaintes  :  on  manque  de  matériel  et  de  munitions  ;  là  où  il 
y  a  des  armes,  on  les  laisse  se  détériorer. 

Le  général  Gilinski,  ancien  gouverneur  de  Varsovie,  méprisé  par 

(1)  D'autant  plus  que,  selon  la  remarque  du  capitaine  Lemke,  beau- 
coup de  documents  ont  été  détruits  lors  des  événements  de  mars  et  octo- 
bre 1917  ;  les  copies  qu'il  en  possède  prennent  donc  un  intérêt  plus  grand 
encore. 


Bibliographie  273 

les  officiers,  connu  pour  son  besoin  de  luxe  et  son  incapacité,  est  en- 
voyé en  France  comme  représentant  de  l'armée  russe. 

«  Il  faut  être  le  tsar  pour  envoyer  un  pareil  dindon  dans  un  paj^s 
où  l'on  estime  l'esprit.  » 

Le  tsar  conserve  au  G.  Q.  G.  une  vieille  ruine,  le  général  Bezobrazof, 
vieillard  gourmand  et  incapable,  mais  protégé  de  la  cour. 

Les  silhouettes  de  ce  genre  abondent  dans  le  récit  de  Lemke. 
Poustovoïtenko  voudrait  «  rajeunir  »  tout  le  G.  Q.  G.  ;  mais  les  in- 
fluences de  cour  l'en  empêchent. 

A  la  figure  d'Alexeïef  l'auteur  oppose  celle  de  Janouchkevitch,  chef 
d'état-major  du  ministre  de  la  Guerre.  Janouchkevitch,  créature  de 
Soukhomlinof,  officier  de  salon,  gai,  brillant  causeur,  militaire  et  ad- 
ministrateur d'occasion,  soucieux  du  décorum,  paresseux,  inquiet 
des  rivaux  possibles,  ne  connaît  son  métier  et  les  affaires  que  par  les 
rapports  qu'on  lui  fait. 

Alexeïef,  actif,  formé  par  une  vie  laborieuse  et  pauvre,  est  un  homme 
de  sentiments  doux,  mais  de  caractère  ferme  ;  ne  parlant  qu'à  bon  es- 
cient et  utilement,  militaire  jusqu'au  fond  de  l'âme,  affable  pour  tous, 
dépourvu  de  pompe,  il  est  incapable  d'intrigue. 

Des  extraits  de  la  correspondance  entre  ces  deux  hommes  illustrent 
ces  courtes  esquisses. 

Les  conversations  des  officiers  sont  des  plus  intéressantes,  pour 
suivre  la  transformation  qui  s'est  faite  dans  les  esprits  depuis  un  an  de 
guerre  :  un  lieutenant,  Kroupine,  aide  de  camp  d'Alexeïef,  attaché  par 
son  éducation  aux  traditions  impériales,  est  resté  étranger  et  indiiicrent 
aux  questions  politiques  et  sociales.  Après  un  an  passé  au  front, 
il  comprend  que  le  gouvernement  et  la  société  sont  deux  antipodes, 
et  que  le  gouvernement  a  laissé  échapper  le  moment  oîi  il  pouvait 
conduire  la  Russie  à  un  grand  avenir  :  «  1905  ne  m'avait  rien  dit  au 
cœur  ni  à  l'esprit  ;  1914-1915  m'ont  tout  révélé.  » 

L'auteur  est  impitoyable  pour  les  spéculateurs  de  l'arrière,  pour 
les  «  affairistes  »  de  haute  marque,  tels  que  le  fameux  prince  An- 
dronnikof. 

La  silhouette  falote  du  tsar  apparaît  à  chaque  instant.  Nicolas  II 
se  traîne  d'état-major  en  état-major  ;  en  lui  présente  des  officiers, 
mais  il  ne  voit  pas  le  soldat  qui  souffre  et  gronde  ;  il  promène  son 
inaction.  Lorsqu'il  porte  sur  son  uniforme  la  croix  de  Saint-Georges  — 
insigne  des  combattants  —  il  répond  avec  un  geste  d'indifférence 
aux  compliments  :  «  II  ne  faut  pas  me  féliciter,  je  ne  l'ai  pas  méritée.  » 

Bien  entendu,  Raspoutine  tient  sa  place  dans  l'ouvrage,  car  les 
échos  de  ses  exploits  arrivent  au  front  ;  il  détruit  le  reste  de  respect 
que  l'on  conservait  pour  la  famille  impériale. 

En  février  1916,  la  propagande  pour  la  paix  fait  de  plus  en  plus  de 
progrès.  Les  soldats  sont  fatigués  de  lutter  sans  enregistrer  de  vic- 
toires et  de  voir  la  gabegie  de  l'arrière.  Un  immense  et  douloureux 
grondement  s'élève  des  tranchées  glacées  et  parvient  au  G.  Q.  G.,  qui 
s'en  émeut.  Les  officiers  eux-mêmes  ont  perdu  confiance  dans  le  haut 
commandement  (p.  158). 

18 


2-74  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

M.  Lemke  étant  chargé  des  relations  entre  l'état-major  et  la  presse 
nous  renseigne  sur  les  conditions  dans  lesquelles  les  correspondants 
de  guerre  ont  été  admis  sur  le  front  ;  il  nous  donne  des  indications  sur 
la  censure,  sur  les  accords  passés  avec  certains  journaux  au  sujet  de 
la  propagande.  Ces  renseignements  seront  utiles  pour  la  lecture  des 
grands  périodiques  de  Pétrograd  et  de  Moscou. 

Au  sujet  de  la  France,  les  notes  sont  rares  et  brèves.  La  présence 
du  général  Pau  au  G.  Q.  G.  n'est  même  pas  l'objet  d'un  commentaire  ; 
l'auteur  se  borne  à  signaler  le  départ,  incognito,  du  général  pour  le 
Caucase,  où  il  va  «  soigner  sa  goutte  ». 

Le  30  novem.bre  1915,  M.  Paul  Doumer  arrive  au  G.  Q.  G.  et  demande 
l'envoi  de  divisions  russes  en  France  ;  le  général  Biélaïef,  qui  fait  fonc- 
tion de  chef  d'état-major,  refuse. 

Le  capitaine  Lemke,  qui  juge  impitoyablement  toutes  les  faiblesses 
et  les  tares  de  son  pays,  rend  hommage  au  commandement  et  aux 
soldats  français. 

Le  5  avril  1916,  il  assiste  à  une  conférence  sur  «  la  France  en 
armes  »  du  professeur  Legras,  envoyé  en  mission  en  Russie. 

«  La  conférence  a  été  utile  à  notre  état-major  qui,  maintenant 
encore,  après  70  jours  de  Verdun,  croit  que  c'est  la  Russie  seule  qui 
fait  la  guerre.  » 

Le  7  mai,  il  écrit  :  «  L'opinion  du  ccmmiandement  sur  les  Français 
a  changé  depuis  Verdun.  Partout  à  l'état-major  on  entend  répéter  : 
Les  Français  sont  des  maîtres  ;  ce  sont  des  «  ûs  ».  Mais  cela  ne  nous 
stimule  pas.  Nous  constatons  le  fait  de  la  supériorité  de  nos  alliés,  et 
c'est  tout.  » 

Cet  aperçu  ne  peut  donner  une  idée  de  la  multiplicité  ni  de  la  va- 
riété des  notes  contenues  dans  le  «  Journal  »,  dont  la  lecture  est  pas- 
sionnante et  l'utilité  indiscutable. 

WlLFRID  Lerat. 

Wir^'STON  Churchill,  premier  Lord  de  l'Amirauté  de  1911  à  1915.  — 
The  V/orld  crisls,  1911-1914.  (La  crise  mondiale  de  1911  à  1914). 
Londres,  Thornton  Buttei-wortts,  1923,  in-8,  536  pages.  Cartes 

Le  rôle  de  M.  Winston  Churchill  comme  premier  lord  de  l'Amirauté 
a  été  si  important  et  si  discuté  qu'on  lira  avec  le  plus  grand  intérêt 
le  premier  volume,  seul  encore  paru,  de  l'important  ouvrage  que  cet 
homme  d'Etat  a  consacré  à  dépendre  son  œuvre.  On  lui  rendra  assu- 
rément la  justice  de  ne  pas  avoir  cherché  à  échapper  aux  responsa- 
bilités, ni  de  contester  la  part  capitale  qu'il  a  prise  à  toutes  les  mesures, 
même  d'ordre  nettement  technique,  stratégique  et  militaire,  adoptées 
par  l'Amirauté,  aussi  bien  avant  que  pendant  la  guerre.  Ancien  offi- 
cier de  cavalerie,  passionné  pour  les  questions  maritimes,  il  devait 
déployer  dans  son  poste  une  activité  considérable  et  ne  pas  hésiter  à 
payer  de  sa  personne,  en  particulier  dans  les  tranchées  d'Anvers. 
Profondément  dévoué  à  l'alliance  française,  c'est  à  lui  qu'on  dut 
d'arrêter  à  temps  la  démobilisation  à  la  fin  des  manœuvres  de  1914, 


BIBLIOGRAPHIE  275 

ce  qui  permit  à  la  flotte  de  gagner  ses  ports  de  guerre  avant  même 
que  l'Angleterre  se  soit  décidée  à  sortir  de  la  neutralité  ;  et  nous  ne 
devons  pas  oublier  avec  quelle  ardeur  il  soutint  la  cause  de  l'Entente 
devant  ses  collègues  du  cabinet  britannique. 

Le  récit  des  opérations  n'ajoute  pas  beaucoup  à  ce  que  nous  a  révélé 
le  magistral  ouvrage  du  regretté  Sir  Juîian  Corbett.  Pourtant  Winston 
Churchill  nous  fait  mieux  connaître  les  méthodes  de  commandement 
de  l'Amirauté  et  l'effort  gigantesque  qu'elle  sut  accomplir.  Des  pages 
comme  celles  où  sont  représentés  Winston  Churchill  et  ses  collabora- 
teurs, dans  le  War  Row  suivant  pas  à  pas,  et  minute  par  minute, 
sur  une  carte  gigantesque,  les  mouvements  des  croiseurs  allemands 
venant  bombarder  Hartlepool  et  échappant,  grâce  au  brouillard, 
aux  forces  disposées  pour  leur  couper  la  retraite,  sont  d'un  intérêt 
tout  particulier. 

E.  Desbrière. 


Service  with  fighting  Men  —  An  account  of  the  work  of  the  Ame- 
rican Young  Men  Christian  Associations  in  the  World  War  (Le  Service 
avec  les  Combattants  —  Compte  rendu  de  l'oeuvre  des  Associations 
américaines  de  Jeunes  Gens  Chrétiens  pendant  la  guerre  mondiale).  — 
Association  Press,  New-York  (347,  Madeson  Avenue),  1922,  2  vol., 
636  et  664  pages. 

Les  deux  gros  volumes  publiés  par  la  célèbre  Y.  M.  C.  A.,  si  connue 
et  si  populaire  pendant  la  dernière  guerre,  présentent  un  intérêt  très 
supérieur  à  celui  qu'aurait  le  simple  exposé  de  l'œuvre  immense, 
mais  spéciale,  accom.plie  par  les  associations  américaines  de  bien- 
faisance pendant  la  dernière  guerre. 

Que  les  organisateurs  aient  montré  une  activité,  un  dévouement, 
une  habileté  administrative  extrêmes,  on  s'en  doutait.  Mais  on  sera 
frappé  de  la  hauteur  de  vues,  du  libéralisme,  et  surtout  de  la  pro- 
fonde connaissance  de  la  psychologie  du  soldat  citoyen,  montrés  par 
les  dirigeants  de  la  Y.  M.  C.  A.  Ajoutons  que  l'on  trouve  dans  leur 
rapport  une  foule  de  renseignements  tout  à  fait  nouveaux  sur  le  re- 
crutement des  troupes  américaines,  leur  constitution  et  leur  emploi 
dans  la  lutte. 

Quand  on  pense  que,  parmi  les  soldats,  il  y  eut  dans  certains  corps 
jusqu'à  30  %  d'illettrés,  on  comprendra  mieux  l'utilité  des  cantines, 
que  nous  avons  vu  s'élever  partout  à  l'enseigne  du  triangle  rouge. 
Il  ne  s'agissait  pas  seulement  d'y  préparer  aux  hommes  des  douceurs 
matérielles,  mais  aussi  d'y  organiser  les  conférences,  où  leur  furent 
expliquées  les  raisons  pour  lesquelles  ils  se  battaient. 

E.  Desbrière. 

H.   Galli.  —  La  défense  et  la  victoire  de  Reims.   Paris,   Garnier 
(1921),  in-18°,  213  pages. 

Le  nom  de  certaines  villes  apparaîtra  dans  l'histoire  de  la  guerre 
avec  une  singulière  auréole  de  gloire   :  Liège,  Verdun  ont  reçu  du 


276 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


gouvernement  de  la  République  et  de  gouvernements  alliés  des  décora- 
tions, en  témoignage  des  sièges  ou  des  combats  qui  se  sont  déroulés 
sous  leurs  murs.  Reims,  sans  avoir  eu  les  mêmes  récompenses,  a  tout 
de  même  reçu  la  Légion  d'Honneur  com.me  compensation  du  long 
martyr  subi  par  les  maisons  de  la  ville.  Ce  n'est  pas  par  ironie  que 
nous  parlons  du  martyr  des  maisons  et  que  nous  passons  sous  silence 
les  mérites  de  la  population  civile.  Quand  on  lit  l'ouvrage  du  député 
de  Paris,  on  constate  que  la  population  de  la  grande  cité  champe- 
noise ne  fut  jamais  très  nombreuse  au  cours  de  la  guerre,  et  qu'elle 
avait  été  évacuée  complètement  au  printemps  1918.  Il  n'y  avait  plus 
que  la  garnison  qui,  pendant  les  longs  mois  d'angoisse  de  l'été  1918, 
supporta  sans  faiblir  les  bombardements  et  les  assauts,  au  milieu 
des  ruines  désertes  et  fumantes  de  la  cité.  Or  la  citation  qui  accom- 
pagne la  croix  de  la  Légion  d'Honneur,  accordée  à  la  ville,  ne  fait  pas 
n-.ention  de  la  garnison  : 

«  Ville  martyre  qui  a  payé  de  sa  destruction...,  population  sublime 
«  qui,  à  l'exemple  d'une  municipalité  modèle...,  a  montré  dans  l'avenir 
«  de  la  France  une  foi  profonde.  » 

Un  tel  oubli  est  une  injustice,  et  c'est  peut-être  cette  injustice  qui 
fait  écrire  à  M.  Galli  que  les  Chambres  auraient  pu  décréter  : 

«  La  garnison  de  Reims  a  bien  mérité  de  la  patrie.  » 

Nous  ne  sommes  plus  à  l'époque  où  les  citadins  de  Lille  ou  de  Brian- 
çon,  par  exemple,  pouvaient  concourir  par  les  armes  à  la  défense  de 
leur  ville  ;  actuellement  ils  ne  peuvent  plus  que  maintenir,  par  leur 
moral,  l'esprit  de  leurs  défenseurs,  heureux  encore  quand  l'autorité 
militaire  ne  fait  pas  évacuer  la  population  pour  être  plus  libre  dans 
ses  mouvements. 

Dans  les  récompenses,  il  serait  juste  de  ne  pas  oublier  les  unités  qui 
ont  défendu  avec  leur  sang  des  cités  déjà  illustres  dans  l'histoire  de 
notre  pays. 

En  l'espèce  la  garnisan  de  Reims  se  trouve  payée  de  ses  fatigues  : 
le  livre  du  député  de  Paris  est  un  magnifique  panégyrique  des  vail- 
lantes unités  qui  ont  tenu  sous  la  rafale  pendant  de  longs  mois. 
Aucune  formation  n'est  oubliée  :  I"  corps  colonial,  134°  divi- 
sion d'infanterie,  régiments  actifs,  bataillons  sénégalais,  bataillons 
territoriaux,  compagnies  de  mitrailleuses  de  position,  batteries  d'ar- 
tillerie. Le  rôle  du  commandement  local  est  indiqué,  et  l'observa- 
teur de  la  m.ontagne  de  Sinaï,  bien  connu  des  combattants  de  la  ré- 
gion, a  son  petit  paragraphe.  Tout  le  monde  est  «  à  sa  place  »,  ce  qui 
fait  de  ce  livre  un  précieux  instrument  de  travail. 

La  valeur  de  cet  ouvrage  tient  surtout  à  sa  docum.entation. 
M.  Galli  a  eu,  à  sa  disposition,  des  documents  officiels  pour  écrire  la 
«  défense  et  la  victoire  de  Reims».  Membre  de  la  commission  de 
l'armée,  il  a  pu  consulter  les  rapports  des  enquêtes  faites  à  la  suite 
du  27  mai,  il  a  eu  entre  les  mains  les  historiques  du  corps  colonial  et 
d?.  certaines  divisions,  il  a  tenu  à  lire  les  ouvrages  qui  ont  paru  sur 
ces  unités  ayant  combattu  dans  les  parages  de  la  ville.  Il  fait  des 
citations  de  ces  ouvrages  ou  des  documents  officiels,  pour  animer  le 


BIBLIOGRAPHIE  277 

récit  des  opérations.  Comme  certains  de  ces  rapports  étaient  inédits, 
il  lève  un  coin  du  voile. 

Dans  les  numéros  du  début  de  l'année  1923,  la  Revue  des  Troupes 
Coloniales  a  publié  une  étude  semi-officielle  de  la  défense  de  Reims 
par  le  corps  colonial.  L'étude  est  plus  sèche  que  le  livre  de  M.  Galli, 
mais  elle  est  beaucoup  plus  technique.  Le  député  de  Paris  traite  plutôt 
les  faits  anecdotiques,  la  revue  militaire  les  questions  stratégiques  et 
tactiques.  Les  deux  travaux  se  complètent  et,  par  eux,  on  se  trouve 
en  présence  d'une  histoire  des  batailles  autour  de  Reims  en  1918. 

On  pourrait  regretter  que  M.  Galli  n'ait  pas  assez  montré  le  rôle 
du  commandant  de  la  IV"  armée  au  cours  de  ces  opérations.  Le 
général  Gouraud  fut  toujours  préoccupé  du  sort  de  Reims  ;  il  tenait 
à  voir  cette  ville  entre  nos  mains,  car  c'était  là  que  s'appuyait  la 
gauche  de  son  armée,  il  fit  tout  ce  qui  lui  était  possible  pour  aider  le 
corps  colonial  ;  deux  allusions  rappellent  seules  cette  attitude.  De  mê- 
me, à  notre  avis,  la  manœuvre  du  général  Mazillier  ne  ressort  pas 
assez.  Le  commandant  du  corps  colonial  sut  faire  mouvoir  ses  réserves 
et  les  employer  fort  judicieusement.  Cette  manœuvre  par  lignes  inté- 
rieures, dans  l'intérieur  d'une  ville,  fut  une  des  causes  du  succès  de 
la  défense  de  Reims. 

Pour  conclure,  cet  ouvrage  est  très  intéressant,  très  documenté  ;  il 
mérite  d'être  lu  attentivement  par  tous  ceux  qui  s'occupent  de  l'his- 
toire de  la  guerre.  Il  montre  l'influence  d'une  ville  sur  les  opérations 
militaires  et  le  rôle  de  musoir  que  peuvent  jouer  les  édifices  publics, 
les  bâtiments  privés,  les  jardins,  etc.,  dans  la  défense  d'un  pays. 

R.  V. 

H.  BiDOU.  —  G.  GuÉBARD.  —  A.  LiESSE.  —  Général  Malleterre.  — 
A.  Tardieu.  —  G.  Teissier.  Les  conséquences  de  la  Guerre.  Paris, 
Alcan,  1921,  in-12,  189  pages. 

Il  est  intéressant  de  relire,  avec  un  peu  de  recul,  des  conférences 
d'actualité  passée.  C'est  l'occasion  que  nous  donne  ce  petit  volume,  où 
se  trouvent  réunies  quatre  conférences  qui  furent  prononcées  devant 
la  Société  des  anciens  élèves  et  élèves  de  l'Ecole  libre  des  Sciences 
politiques  en  1919.  A  cette  date,  la  paix  n'était  pas  chose  faite,  le 
traité  de  Versailles,  a  fortiori  les  traités  de  Sèvres,  Neuilly,  Saint- 
Germain,  etc.,  n'étaient  pas  signés.  Il  y  avait  quelque  courage  à  disser- 
ter sur  les  conséquences  militaires,  économiques  et  financières  de  la 
guerre,  il  y  avait  encore  plus  de  courage  à  se  laisser  imprimer,  car 
les  prophéties  faites  peuvent  ne  pas  se  réaliser.  C'est  ainsi  que  nous 
sommes,  hélas  !,  loin  de  ce  qu'entrevoyait  M.  Bidou,  quand  il  décla- 
rait que  les  Allemands  «  encaissent  leur  défaite  »  et  qu'  «  ils  paieront 
ce  qu'il  faudra  j>.  Nous  voyons  par  contre  déjà  précisée  la  rivalité 
franco-anglaise,  rivalité  se  manifestant  d'abord  en  Orient,  avant  de 
venir  se  montrer  au  grand  jour  sur  le  Rhin.  Nous  avons  un  certain 
sourire  mélancolique,  quand  nous  voyons  le  conférencier  constater 
avec  peine  que  la  livre  est  à  trente  francs,  maintenant  que  nous 
l'avons  vue  monter  à  quatre-vingt-trois  francs. 


2^8  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Mais  ce  livre  est  intéressant  et  sa  lecture  est  utiie.  «  Produire  et 
économiser  »  est  une  phrase  qui  revient  sans  cesse  dans  la  conférence 
de  Ni.  Liesse  ;  ceia  pourrait  être  notre  devise  à  l'heure  présente, 
de  manière  à  lutter  victorieusement  contre  toutes  les  conséquences  de 
la  guerre  qui  peuvent  être  funestes  pour  notre  pays. 

R.  V. 


Commandant  Perreau.  —  Victoire  chère  et  Paix  de  dupes.  Tome  II, 
Péripéties  et  conclusions.  Paris,  Catin,  1923,  in-8°,  ÎX-253  pages. 

Le  commandant  Perreau  nous  donne,  dans  ce  nouveau  volume,  la  suite 
des  réflexions  historiques  et  philosophiques  que  la  guerre  lui  a  sug- 
gérées. Il  vibre  d'indignation  à  la  pensée  des  fautes  et  des  erreurs 
qui  ont  été  commises  par  les  grands  chefs  pendant  la  tourmente  de 
1914-1918.  Mais,  à  ce  point  de  vue,  le  commandant  Perreau  juge  peut- 
être  les  faits  passés  avec  sa  mentalité  présente,  avec  l'expérience  des 
quatre  années  vécues  au  front  ;  il  oublie,  semble-t-il,  que  la  guerre 
fut  une  école  pour  tout  le  monde,  cù  tous  nous  avions  à  apprendre, 
aussi  bien  au  point  de  vue  tactique  qu'au  point  de  vue  stratégique.  Ce 
qu'il  y  a  de  plus  intéressant  dans  cet  ouvrage,  ce  sont  les  souvenirs 
personnels  du  com.mandant.  Il  nous  met  en  présence  du  travail 
inconnu  et  pourtant  glorieux  des  unités  territoriales  qu'il  a  comman- 
dées, travail  si  utile,  exécuté  malgré  les  bombardements  quotidiens, 
sur  tous  les  points  du  front. 

R.  V. 

Capitaine-Lieutenant  Joachim  Lietzmann.  —  Auf  verlorenen  Posten. 
Unter  der  Flagge  des  Grafen  Spee  (A  propos  de  postes  perdus.  Sous 
le  pavillon  du  Comte  Spee).  Ludwigshafen,  B.  Lhotzky,  1922,  in-16, 
195  pages. 

Relation  d'un  officier  embarqué  sur  le  Gneisenau,  un  des  navires  de 
l'escadre  de  l'amiral  von  Spee,  du  voyage  de  cette  escadre  dans  le 
Pacifique  et  des  combats  du  Coronel  et  des  îles  Falkland.  Plus  anec- 
dotique  qu'historique,  ce  récit  ne  m.anque  pas  d'intérêt,  mais  n'ajoute 
pas  grand  chose  à  ce  que  l'on  savait  déjà. 

Ed.  D. 

Capitaine  de  Vaisseau  R.  S.  Gwatkin  Williams.  —  Under  the  black 
enseign.  (Sous  le  pavillon  noir.)  Londres,  Hutchinson,  s.  d.,  in-8, 
238  p.,  pi.  et  carte  h.  t. 

Charmant,  amusant  et  intéressant  récit  des  aventures  dans  les  mers 
arctiques  du  commandant  du  croiseur  britannique  Intrepid.  On  peut 
juger  de  ce  qu'a  été  la  tâche  sur  la  côte  mourmane  et  dans  la 
mer  Blanche  des  unités  chargées  de  protéger,  contre  les  mines  et  les 
sous-marins,  les  navires  alliés  qui  ravitaillèrent  la  Russie  en  munitions 
de  guerre.  Certains  récits  de  torpillage  sont  particulièrement  dramati- 


BIBLIOGRAPHIE  279 

ques  et  forment  le  plus  probant  réquisitoire  contre  la  barbarie, 
souvent  jointe  à  la  lâcheté,  et  la  fausseté  montrées  par  les  comman- 
dants de  sous-marins  allemands. 

Ed.  D. 


LES  REVUES  DU  TRIMESTRE 

La  liste  des  périodiques  dépouillés  régulièrement  a  subi  les  modi- 
fications suivantes  (1)  : 

Supprimer.  —  Berichte  dcr  Zentralsîelle...  (dont  la  publication  a 
cessé). 

Ajouter.  —  Kriegsschuldfrage  (publication  nouvelle).  Militcir-Wo- 
ckenblatt,  Revue  de  Genève. 

Les  origines  de  !a  guerre. 

Bach  (August).  —  Der  franzosische  Regierung  und  die  russische 
Mobilmachung  1914.  —  Kriegsschuldfrage,  août  1923,  pp.  30-33. 

Delbruck  (Hans).  —  Die  Behandlung  der  Kriegsschuldfrage.  — 
Kriegsschuldfrage,  juil.  1923,  pp.  1-3. 

Delbruck  (Hans).  —  Richtigstellung  eines  Irrtums.  —  Glocke,  9 
juil.  1923,  pp.  387-399. 

Delbruck  (Hans).  —  Kriegsschuldiskussion  mit  Ausiandern.  — 
Kriegsschuldfrage,  août  1923,  pp.  22-25. 

***.  —  Ein  italienischer  Historiker  zur  Kriegsschulfrage.  —  Kriegs- 
schuldfrage, août  1923,  pp.  21-22. 

MONTGELAS  (Max).  —  Verwertung  der  JRandbemerkungen  Kaiser 
Wilhelras.  —  Kriegsschuldfrage,  août  1923,  pp.  25-27. 

Wegerer  (Alfred  v.).  —  Der  angebliche  «  Kronrat  »  vom  29,  juil 
1914.  —  Kriegsschuldfrage,  juil.  1923,  pp.  8-12. 

Wendel  (Hermann).  —  Kriegsschuldlitteratur.  —  Glocke,  18  juin 
1923,  pp.  315-319. 

La  luttie  militaire.  Conditions  générales. 

AVAiONiER  (Camille).  —  La  propagande  allemande  par  l'espéranto 
pendant  la  guerre  1914-1918.  —  Arch.  gr.  guerre,  n"  41,  pp.  1277-1319. 

Baucq  (Philippe).  —  Journal  de  ma  captivité.  —  Revue  des  Deux 
Mondes,  15  juin,  1"  et  15  juil.  1923,  pp.  756-779,  126-160,  349-350. 

(1)  Périodiques  qui,  sans  figurer  sur  la  liste  des  dépouillements  réguliers, 
sont  représentés  dans  ce  numéro  par  un  ou  plusieurs  articles  : 

Alsace  française,  Archives  de  la  Grande  Guerre,  Asie  française.  Bulletin 
de  l'Institut  Intermédiaire  international.  Correspondance  d'Orient,  Éco- 
nomie nouvelle,  Glocke,  Grande  revue,  Litterary  Digest,  ÎMarche  de  France, 
Nouvelle  Revue,  Paix  par  le  droit,  Parjement  et  opinion,  Revue  blcuei 
Revue  Contemporaine,  Revue  des  Études  Coopératives,  Yale  Review. 
(N.  D.  L.  R.) 


28o  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

DOjViBROWSKI  (Stéphane).  —  Les  Empires  centraux  et  la  lutte  pour 
le  recrutement  des  Polonais  pendant  l'occupation.  (1914-1918).  — 
Arch.  gr.  guerre,  n°  41.  pp.  1336-1356. 

***.  —  The  Ex-Kaiser's  youngest  son  as  a  py.  —  Lit.  Dig.,  7  juil. 
1923,  pp.  45-47. 

Gebsattel  (v.).  —  Gedanken  iiber  die  strategische  Verwendung  der 
deutschen  Réitérai  im  Weltkriege.  —  Militar-Wochenbl,  10  juil.  1923^ 
pp.  1-3. 

Kretzschmann.  —  Die  franzosischen  Eisenbahnen  wahrend  des 
Krieges.  —  Milifàr-Wochenbl.,  10  juin  1923,  pp.  709-712. 

Lichtervei.de  (Cte  Louis  de).  — Plutarque  a-t-il  menti  ?  Revue 
générale,  15  juil.  1923,  pp.  93-99. 

Selliers  (Général  de).  —  L'Armée  allemande  de  1914.  —  Flambeau^ 
31  juil.  1923,  pp.  437-455. 

Front  occidentaL 

Falls  (Cyril).  —  An  aspect  of  the  battle  of  Amiens,  1918  [with 
maps].  Army  quart,  juil.  1923,  pp.  298-306. 

Grasset  (Commandant).  —  Une  bataille  de  rencontre.  Ethe  (22 
août  1914).  —  Rev.  milit.  française,  1"  août  1923,  pp.  248-266. 

Kuhl  (v.).  —  Das  franzosische  Kavalleriekorps  Sordet  im  Bewe- 
gungskrieg  im  August  und  September  1914.  —  Militar  Wochenbl.,  15 
mai  1923,  pp.  679-683. 

Kuhl  (v.).  —  Die  Schlacht  bei  Montdidier  ani  8  August  1918.  — 
Milifàr-Wochenbl.,  25  juin  1923,  pp.  727-730. 

Leb.as  (Général).  —  L'Evacuation  de  Lille  en  août  1914.  Responsa- 
bilités. —  Act.  nat.  juin  1923,  p.  321-330. 

Lebas  (Général).  —  L'évacuation  de  Lille  en  août  1914.  Le  rôle  du 
Général  Percin.  —  Act.  nat.,  juil.  1923,  p.  16-23. 

Lefranc  (Capitaine).  —  La  percée  du  9  mai  1915  en  Artois.  — 
Rev.  milit.  française,  1"  août  1923,  pp.  190-205. 

Tournes  (Lieutenant-Colonel),  ^r-  La  défense  d'un  fort  moderne.  Le 
fort  de  Vaux  en  mars  1916.  —  Rev.  milit.  française,  1"  mai,  1"  juin 
1923,  pp.  202-216,  306-324. 

Verguin    (Colonel).    —   L'artillerie    divisionnaire    dans    l'offensive. 

[La  46'^  division  le  4  nov.  1918.]  —  Rev.  Artillerie,  15  juin  1923, 
pp.  533-566. 

Fronts  orientaux. 

Albrock  (V.).  —  Der  Endkampf  in  Mazedonien  1918.  —  Militar 
Wochenbl.,  25  juin  1923,  pp.  732-733. 

Bujac  (Colonel).  —  Campagne  de  septembre-octobre  1916  en 
Transylvanie.  —  Bull,  belge  se.  milit.,  juil.  1923,  pp.  749-772 

Kuhl  (v.).  —  Der  russische  Aufmarsch  im  August  1914.  —  Militar- 
Wochenbl.,  25  juil.  1923,  pp.  27-30. 

Loir  (Colonel).  —  Une  opération  de  cavalerie  en  Pologne.  — 
Rev.  de  Paris,  1"  août  1923,  pp.  606-625. 


BIBLIOGRAPHIE  281 

Œhmichen  (Lieutenant-Colonel).  —  L'engagement  de  la  coalition  en 
Orient  (1914-1916).  —  Rev.  milit.  française,  1"  juil.-l"  août  1923, 
pp.  5-26,  145-162. 

Opérations  navales. 

Chack  (Capitaine  de  frégate).  —  La  bataille  des  Falkland  (suite 
et  fin).  —  Rev.  Marit.,  juin  1923,  pp.  72S-761. 

Opérations  aux  colonies. 

***.  —  Etude  sur  les  opérations  de  l'Est  africain  allemand  par  les 
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CHRONIQUE 


Les  faits  et  les  controverses. 

—  Le  Comité  national  d'études  avait  donné  pour  programme  à  sa 
•séance  du  mois  de  juin,  tenue  sous  la  présidence  de  M.  Gauvain  :  «  Le 
rôle  du  haut  commandement.  »  La  publication  du  livre  de  M.  de 
Pierrefeu  donnait  à  cette  question  un  caractère  d'  <i:  actualité  2>  in- 
contestable. 

M.  Henry  Bidou,  dans  une  forme  vivante,  a  présenté  un  aperçu  his- 
torique du  rôle  du  haut  commandement  français  pendant  la  guerre. 
Il  a  montré,  par  le  récit  rapide  des  événements  décisifs,  l'action  que 
■pouvait  exercer  —  et  qu'exerçait  en  fait,  selon  lui,  —  l'Etat-major 
général.  Il  s'est  élevé  contre  la  thèse  du  «  hasard  »  ;  mais  il  a  reconnu, 
et  il  a  répété  à  plusieurs  reprises,  que  les  idées  stratégiques  étaient 
«  simples  ». 

M.  le  général  Debeney,  en  prenant  la  parole  après  le  conférencier, 
avec  une  grande  sûreté  de  pensée  et  une  rare  autorité,  n'a  pas  sug- 
géré des  conclusions  différente-*.,  Sans  doute,  il  s'est  gardé  de  faire 
un  exposé  systématique,  et  il  s'est  borné  à  présenter  quelques 
réflexions  ;  sans  doute  aussi,  il  n'a  pas  négligé  le  rôle  moral  du  chef, 
sans  en  préciser  pourtant  les  modalités.  Mais  c'est  à  l'effort  d'orga- 
nisation et  d'armement  qu'il  a  consacré  l'essentiel  de  sa  causerie. 

L'un  et  l'autre  de  ces  exposés  pourraient  donner  matière  à  une 
discussion.  Mais  le  compte  rendu  de  la  séance  n'est  pas  encore  im- 
primé :  C'est  donc  seulement  dans  la  partie  bibliographique  de  notre 
prochain  numéro  qu'il  en  sera  donné  un  examen  critique. 

—  La  Société  d'histoire  moderne,  dans  sa  séance  du  3  Juin  1923,  a 
entendu  une  communication  de  M.  Jules  Isaac,  professeur  au  Lycée 
Saint-Louis,  sur  la  «  question  des  réserves  et  leur  utilisation  en  1914  ». 
Après  avoir  présenté  les  thèses  «  diamétralement  opposées  »  qui  ont 
été  soutenues  à  ce  sujet,  M.  Isaac  a  donné,  en  se  plaçant  au  point  de 
vue  historique,  «  quelques  précisions  »  fort  intéressantes.  La  discus- 
sion très  animée  qui  a  suivi  a  porté  sur  trois  points  :  La  corrélation 
entre  les  faits  de  la  politique  intérieure  et  extérieure  française  de 
1889  à  1914  et  la  place  réservée  aux  formations  de  reserve  dans  les 
plans  de  campagne. —  Les  éléments  de  conviction  que  possédait 
l'Etat-major  français  de  1914  sur  l'utilisation  probable  des  corps  de 
réserve  allemands.  —  Le  chiffre  des  hommes  instruits  que  l'Allemagne 
€t  la  France  pouvaient  mettre  en  ligne  à  la  première  heure. 


28d  histoire  de  la  guerre 

h\.  Isaac  a  bien  voulu  accepter  de  donner  à  la  Revue  d'histoire  de 
la  Guerre  mondiale  le  texte  intégrai  de  son  exposé,  que  nous  serons 
heureux  de  publier. 

—  Selon  un  article  de  la  K'àlnlsche  Zeitung  du  28  juillet,  les  ser- 
vices des  archives  russes  envisageraient  la  publication  de  nouveaux 
documents  relatifs  aux  origines  de  la  guerre.  Ce  sont,  d'une  part,  des 
rapports  établis  par  Sazonofî  pendant  son  séjour  à  Londres  en  1913  : 
le  gouvernement  anglais  aurait  poussé  la  Russie  à  une  attaque  pro- 
chaine contre  l'Allemagne.  D'autre  part,  ce  sont  des  lettres  de  l'Impé- 
ratrice Alexandra  ;  elles  montreraient  l'entourage  du  Tsar  et,  Nico- 
las II  lui-même,  convaincus  qu'ils  devaient  choisir  entre  une  révolu- 
tion de  palais  et  une  guerre  victorieuse.  Mais  il  paraît  que  le  gou- 
vernement des  Soviets  ne  s'est  pas  encore  prononcé  sur  l'opportunité 
de  la  première,  au  m.oins,  de  ces  publications. 

L'Assenibiée  Générale  de  la  Scciété  de  l'Histoire  de  la  Giicrre. 

La  Socicfé  a  tenu  son  assemblée  annuelle  le  28  juin  1923,  dans  une 
des  salles  de  la  Biblioîkcque-Musée  de  la  Guerre,  39,  rue  du  Colisée. 
M.  André  Honnorat  présidait  cette  séance,  assisté  de  M.  Maurice 
BOA'iP.^RD,  vice-président. 

M.  Georges  Bourdon,  secrétaire  général,  a  donné  lecture  du  rapport 
suivarJ  : 

Messieurs, 

Une  fois  encore,  votre  Secrétaire  Général  rencontre  la  funèbre 
tradition  qui,  chaque  année,  l'oblige  à  déposer,  sur  le  seuil  de  son 
rapport,  la  couronne  des  morts. 

M.  Jules  Aîathorez  était  venu  à  nous  dès  le  premier  moment,  et  il 
avait  paru  tout  naturel  qu'il  prît  place  dans  le  Conseil  d'administra- 
tion. Ce  n'est  point  cependant  sa  qualité  d'inspecteur  des  finances 
qui  l'y  appelait  principalement,  car  les  finances  de  notre  Société 
naissante  n'étaient  pas  encore  au  point  de  requérir  le  concours  de 
plusieurs  spécialistes  ;  mais  cet  homme  de  chiffres  était  aussi,  avait 
commencé  par  être  homme  d'histoire.  Il  avait  reçu,  en  effet,  les 
sévères  et  probes  disciplines  de  l'Ecole  des  Chartes,  et  l'archiviste 
paléographe  qu'elles  avaient  formé  n'était  jamais  entré  en  sommeil. 
C'est  à  celui-ci  que  l'on  doit  de  savantes  études,  remarquables  par 
lîi  méthode  et  la  lucidité,  sur  les  plus  complexes  des  problèmes,  ceux 
qui  touchent  à  la  mystérieuse  chimie  qui  gouverne  les  am.algames 
ethniques  dont  se  compose  un  peuple.  Le  grand  ouvrage  qu'il  laisse, 
et  dont  le  premier  tome  parut  en  1920,  est  celui  où,  sous  le  titre 
Les  Etrangers  en  France  sous  l'ancien  régime,  il  étudie  «  l'histoire 
de  la  formation  de  la  population  française  ».  Sur  la  dernière  guerre, 
absorbé  par  l'achèvement  de  cette  œuvre  importante,  il  n'avait  encore 
eu  le  temps  de  publier  qu'un  bref  opuscule,  mais  où  se  retrouve  le 
souci  des  recherches  démographiques  où  il  se  plaisait,  La  Guerre  et 
ses  conséquences  ethnographiques  en  France.  Vous  ne  vous  doutiez 


CHRONIQUE  287 

pas,  je  suppose,  que,  parmi  tant  d'assauts  subis  par  le  sang  français, 
une  infiltration  d'Arméniens  s'était  produite  dans  notre  pays  du 
xnr  au  xviii"  siècle  :  grâce  à  lui,  nous  en  fûmes  informés  en  1918. 
Et  nous  savons  aussi  que  le  temps  de  Henri  IV  connut  son  «  Union 
sacrée  »,  et  que  celle-ci  produisit  des  «  conséquences  économiques  ». 
C'est  ainsi  que,  menant  de  front  ses  études  historiques  et  économiques  et 
ses  fonctions  administratives,  Aï.  Jules  Mathorez  poursuivait,  de  son 
pas  tranquille,  l'esprit  et  le  regard  ouverts  en  même  temps  à  toutes 
les  curiosités  de  la  vie  moderne,  l'existence  la  mieux  remplie.  11  fut 
pour  nous  le  collègue  le  plus  serviab'e,  le  compagnon  le  plus  alerte. 
il  aimait  de  causer,  et  sa  conversation  ne  se  trouvait  jamais  à  court. 
Nous  lui  avions  demandé,  il  y  a  deux  ans,  de  partager  avec  Al.  Alonnier 
le  fardeau  de  la  trésorerie.  A  vrai  dire,  il  lui  fut  léger.  II  y  a,  dans 
sa  fin  prématurée,  une  grande  iniquité.  Il  avait  cinquante  ans  à  peine, 
étant  né  à  Saint-Nacaire  en  1873,  et  nous  avons  appris  avec  stupeur 
qu'il  venait  de  disparaître,  sans  même  nous  douter  qu'il  fût  mialade. 
Noire  Société  doit  à  sa  mémoire  un  tribut  de  reconnaissance,  que  j'ai 
conscience  d'acquitter  bien  insufïisam.ment  ce  soir  :  lequel  d'entre 
nous  se  défendra  de  conserver  le  plus  cordial  souvenir  de  cet  homme 
charmant  et  disert,  de  ce  chercheur  consciencieux  et  subtil,  de  cet 
écrivain  fidèle  aux  bonnes  méthodes,  et  qui,  par  surcroît,  trésorier 
chargé  du  recouvrement  des  cotisations,  apporta,  dans  l'exercice  de 
cette  fonction,  tant  de  bonhom.ie  et  de  réserve  discrète  ? 

Ce  n'est  pas  comme  historien  que  Al.  Charles  Risler  siégeait  dans 
notre  Conseil  d'administration.  Son  bagage  littéraire  se  borne  en 
effet  à  un  petit  ouvrage  qu'il  fit  paraître,  au  lendemain  de  la  guerre 
de  1870,  en  collaboration  avec  M.  Laurent  Atthalin,  La  défense  de 
Neufbrisach.  Alais  sa  présence  parm.i  nous  avait,  comme  celle  de 
l'admirable  docteur  Bûcher,  une  valeur  de  symbole.  Tous  deux,  à 
deux  années  de  distance,  sont  morts,  et  c'est  donc  à  deux  reprises 
que  le  deuil  de  la  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre  s'est  confondu 
avec  le  deuil  de  l'Alsace. 

Al.  Charles  Risler  était  originaire  de  Thann.  Il  y  était  né  en  1843, 
et,  si  nous  croyions  au  merveilleux,  nous  pourrions  observer  que  déjà 
cette  seule  date  marquait  la  direction  de  sa  vie.  Il  fut  ardemment 
Français  ;  il  le  devint  davantage  encore  après  1871  ;  et,  le  11  novem- 
bre 1918,  il  connut  souverainement  la  virile  exaltation  de  l'orgueil 
patriotique.  Alais  il  fut  républicain  autant  qu'il  était  Français,  et,  pour 
mieux  dire,  sa  foi  politique  était  fille  de  sa  foi  nationale.  Pareil  aux 
grands  patriotes  de  43,  frère  d'âme  des  Ferry  et  des  Floquet  comme 
il  était  le  frère  de  leur  sang,  baigné,  lui  aussi,  dans  le  rayonnement 
d'un  Gambetta,  comment  eût-il  distingué  entre  la  France,  accou- 
cheuse des  Droits  de  l'homme,  et  la  Répubiiçue,  soldat  de  la  liberté 
et  de  la  fraternité  hum.aines,  lumière  jaillie  de  l'obstiné  labeur  de  dix 
siècles  ?  Des  hommes  de  cette  forte  génération,  en  qui  la  raison  tra- 
vaillait sous  l'aiguillon  d'une  pensée  où  il  y  eut  du  mystique.  M.  Char- 
les Risler  fut  l'un  des  derniers,  sinon  le  dernier  témoin.  Sa  vie,  en 
somme,  fut  belle  et  pleine.  Il  avait  débuté  par  s'adonner  à  l'étude  de 
la  chimie.  Vint  la  guerre  de  70,  qui  allait  bouleverser  ses  projets  et 


288  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

changer  sa  carrière.  Il  s'engage,  et  le  voilà  bientôt,  officier,  enfermé 
dans  Neufbrisach  investi.  Ils  sont  trois  amis  à  partager  le  sort  tra- 
gique :  lui,  Laurent  Atthalin,  qui  devait  parvenir  aux  grades  élevés  de 
la  magistrature,  et  l'ingénieur  Canet,  qui  allait,  plus  tard,  donner  un 
canon  à  l'armée  reconstituée  de  la  France.  La  ville  est  bientôt  réduite 
à  capituler,  et  Risler  est  emmené,  avec  la  garnison,  en  captivité.  Après 
la  paix  de  défaite,  le  cœur  brisé,  il  dit  adieu  à  son  Alsace  et  se  fixe 
à  Paris.  Vers  1885,  il  est  nommé  maire  du  septième  arrondissement, 
et  vous  savez  qu'il  le  demeura  durant  trente-cinq  ans,  jusqu'au  moment 
où,  se  sentant  vieilli  et  fatigué,  il  se  retira.  Il  est  mort  à  75  ans,  après 
■une  vie  honorée  et  digne,  entouré  de  l'estime  publique,  ayant  coura- 
geusement accompli  son  devoir  municipal  pendant  les  quatre  années 
de  la  guerre.  Lui  du  moins,  plus  favorisé  que  tant  de  compagnons  de 
sa  jeunesse,  il  eut  le  privilège  de  vivre  assez  longtemps  pour  assister 
aux  revanches  de  l'histoire  et  pour  rentrer,  derrière  le  drapeau,  dans 
sa  chère  ville  de  Thann  redevenue  française.  Qu'un  Charles  Risler 
ait  été  des  nôtres,  c'est  un  titre  d'honneur  pour  notre  Société,  et  nous 
saluons  sa  mémoire  avec  une  affliction  respectueuse. 

Messieurs, 

Le  bilan  de  l'année  qui  s'achève  sera,  nous  l'espérons,  de  nature  à 
vous  affermir  dans  la  confiance  que  vous  avez  mise  dans  les  destins 
de  la  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre  en  lui  apportant  votre  concours. 
Cette  année  a  été  bien  remplie  et,  si  j'avais  souci  de  vous  attirer  le 
long  des  pentes  d'un  Capitole  et  de  faire  valoir  l'activité  de  votre 
Conseil  d'administration,  il  me  serait  aisé,  en  reprenant  ce  soir  les 
fermes  de  mon  rapport  de  l'an  dernier,  de  vous  donner  discrètement 
à  entendre,  sans  avoir  besoin  d'y  insister,  que  plus  de  fructueux  travail 
a  été  réalisé  qui  n'avait  été  promis. 

Sans  m'astreindre  à  suivre  l'ordre  chronologique,  je  dois  consigner 
ici,  en  premier  lieu,  l'apparition  de  la  Revue  d'Histoire  de  la  Guerre 
mondiale  —  notre  Revue  —  dont  vous  avez  tous  reçu  le  premier  nu- 
-méro,  daté  d'avril  1923.  Cette  publication  réalise  enfin  le  projet  qui 
naquit  en  nos  esprits  dans  l'heure  même  oii  s'y  formait  la  concep- 
tion de  notre  Société.  Une  œuvre  telle  que  la  nôtre  ne  saurait,  non 
plus  que  les  œuvres  similaires,  se  passer  d'un  organe  permanent, 
qui  établisse  entre  ses  membres  la  liaison  nécessaire  et  lui  perm.ette 
d'accomplir  la  principale  de  ses  destinations,  qui  est  de  mettre  au 
jour  des  documents,  de  susciter  des  recherches,  de  grossir  sans  cesse 
le  dossier  de  l'histoire  par  la  publication  de  travaux  originaux.  A  peine 
étions-nous  constitués  que  déjà  nous  songions  aux  moyens  de  créer 
cet  organe,  et  vous  vous  souvenez  sans  doute  des  tâtonnements  oîi 
nous  entraîna  notre  projet,  des  avatars  qu'il  revêtit.  Nous  avions  peu 
d'argent,  et  la  matière  était  coiîteuse.  Nous  commençons  par  lancer, 
en  1920,  un  timide  fascicule,  assurément  fort  bien  imprimé  et  présenté 
avec  convenance,  mais,  avec  son  format  réduit  et  son  petit  nombre  de 
pages,  d'une  modestie  excessive.  Ce  n'était  pas  cela  qu'il  nous  fallait, 
■et  nous  interrompîmes  l'expérience.  Deux  ans  après,  nous  entrons  en 


CHRONIQUE  289 

relations  avec  un  éditeur  qui  nous  paraissait  capable  des  longs 
desseins,  et  nous  acceptons  de  prendre  sous  notre  patronage  et  notre 
direction  la  revue  dont  il  venait  de  commencer  la  publication,  et  qui 
fût  devenue  l'organe  attitré  de  la  Société.  Durant  plusieurs  mois, 
M.  Camille  Bloch  s'y  dévoue  ;  mais  des  dissentiments  d'ordre  adminis- 
tratif, sur  lesquels  il  n'est  pas  opportun  de  nous  arrêter,  nous  obligent 
à  rompre  notre  traité,  et  il  advint,  si  je  ne  me  trompe,  que  cette  revue 
en  mourut,  ou  peu  s'en  faut  ;  mais  il  advint  aussi  qu'ayant  si  bien 
avancé,  nous  nous  retrouvions  pourtant  au  même  point. 

Nous  comprîmes  alors  que  nulle  autre  solution  n'aurait  de  caractère 
efficace  que  celle  qui  mettrait  en  nos  seules  mains  un  organe  dont  nous 
serions  entièrement  les  maîtres.  Déjà  nous  nous  sentions  moins  ti- 
mides. Géré  avec  prudence,  notre  petit  budget  s'était  accru  de  quel- 
ques économies,  et,  par  surcroît,  des  ressources  nouvelles  étaient  ve- 
nues à  nous.  De  cette  favorable  situation  et  de  la  volonté  persévérante 
que  votre  Conseil  apportait  en  cette  affaire,  est  née  la  revue  dont 
le  second  numéro  est  sous  presse.  Elle  est  modeste  encore,  mais  nous 
sommes  assurés  cette  fois  qu'à  moins  de  catastrophe,  elle  est  durable 
et  continuera  son  chemin  régulier  en  progressant.  Elle  est  imprimée 
avec  soin  par  l'éditeur  Costes,  à  des  conditions  qui  ne  pèsent  pas 
trop  lourdement  sur  notre  budget,  et  elle  a  déjà  ce  premier  mérite, 
que  l'on  aurait  bien  tort  de  négliger,  d'être  accueillante  au  regard 
et  au  toucher.  Pour  sa  rédaction,  le  premier  numéro,  avec  les  subs- 
tantielles études  de  M.  Charles  Appuhn  et  du  Colonel  Desbrière,  notre 
collègue,  est  un  irrécusable  témoin  du  haut  intérêt  qu'elle  présente  et 
des  promesses  qu'elle  contient.  Au  reste,  il  suffira  d'ajouter  que  la  plus 
grande  partie  des  travaux,  des  documents,  des  comptes  rendus  qui  y 
seront  publiés,  sortiront  de  la  grande,  vivante  et  laborieuse  maison  où 
nous  sommes,  et  que  la  pleine  direction  en  est  assumée  par  M.  Camille 
Bloch,  avec  l'assistance  de  M.  Pierre  Renouvin,  rédacteur  en  chef. 
Voilà  donc  lancée  dans  le  monde  notre  Revue.  Elle  promet  d'être 
trimestrielle  ;  mais  elle  ne  dévoile  pas  le  fond  de  sa  pensée,  et  vous 
auriez  tort  de  la  croire  sur  parole.  En  réalité,  elle  est  gonflée  d'illu- 
sions. Elle  ne  doute  pas  que  ne  lui  viennent  des  abonnés,  elle  se  per- 
suade que  notre  budget  grossira,  et  elle  rêve  de  grossir  à  mesure  son 
épaisseur  et  d'accélérer  le  rythme  de  sa  périodicité.  Nous  ne  deman- 
dons qu'à  partager  son  espoir  ;  mais  nous  sommes  en  droit  de  penser 
que,  dès  maintenant,  elle  fait  honneur  à  notre  Société. 

Nous  avons  en  outre  poursuivi  les  publications  commencées,  et  nous 
en  avons  entrepris  de  nouvelles. 

L'an  dernier,  je  prenais  acte  de  l'apparition  du  premier  volume  du 
Catalogue  méthodique  du  fonds  allemand  des  Bibliothèque  et  Musée 
de  la  Guerre,  qui  devait  être  complet  en  trois  volumes.  Les  tomes  II 
et  III  sont  maintenant  parus  ;  il  n'y  manque  plus  que  la  table,  qui  fera 
120  pages  environ,  qui  est  prête  et  paraîtra  avant  la  fin  de  cette 
année.  Ainsi  est  achevé  le  premier  des  Catalogues  sorti  de  cette  usine 
exemplaire  qu'est  la  Bibliothèque  de  la  Guerre,  et  ce  catalogue,  déjà 
répandu  et  consulté  dans  le  monde  entier,  oîi  il  propage  les  fortes  et 

19 


290 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


loyales  vertus  de  la  science  française,  est  un  monument.  La  propa- 
gande pour  notre  pays,  c'est  par  de  telles  œuvres  qu'elle  se  fait  le  plus 
sûrement,  et  nous  pouvons  concevoir  quelque  fierté  que  notre  Société, 
éditrice,  y  ait  sa  part. 

C'est  à  elle  encore  que  l'on  doit  la  publication,  avec  une  préface  de 
M.  Raymond  Poincaré,  de  l'Introduction  aux  Tableaux  d'histoire  de 
Guillaume  II,  œuvre  magistrale  oià  sont  dévoilés  les  mensonges,  ré- 
futés les  sophismes,  dénoncées  les  malfaçons  de  ces  «  Tableaux  »  oii, 
sous  le  masque  d'une  forme  faussement  impassible,  Guillaume,  arran- 
geant l'histoire,  a  pensé  faire  tenir  toutes  les  inventions  de  la  pro- 
pagande allemande  sur  les  origines  et  les  responsabilités  de  la  guerre. 
Cette  réfutation  sans  réplique,  dont  le  retentissement  fut  considérable, 
même  hors  de  notre  pays,  et  qui  est  l'ouvrage  de  M.  Charles  Appuhn 
et  de  M.  Pierre  Renouvin,  fait  le  plus  grand  honneur  non  seulement  à 
ses  auteurs,  mais  à  la  riche  documentation  et  aux  saines  méthodes  de 
cette  Bibliothèque  de  la  Guerre,  à  laquelle  tous  deux  sont  étroitement 
attachés,  et  à  laquelle  il  faudra  bien  que  l'on  se  décide  quelque  jour 
à  donner  le  seul  nom  qui  convienne  à  sa  grandiose  destination,  celui 
d'  «  Institut  d'histoire  universelle  ». 

Un  autre  sujet  de  satisfaction  s'est  offert  cette  année  à  notre  So- 
ciété. Grâce  à  elle,  l'étude  de  l'histoire  de  la  grande  guerre  est  offi- 
ciellement entrée  en  Sorbonne,  oij,  sur  notre  initiative  et,  il  faut  le 
dire,  à  nos  frais,  mais,  bien  entendu,  sur  le  vote  favorable  du  Conseil 
de  la  Faculté,  devant  lequel  M.  Paul  Appell  a  généreusement  plaidé 
notre  cause,  a  été  créée  une  chaire  nouvelle.  On  a  compris  que,  si  le 
temps  n'est  point  encore  venu  de  formuler,  sur  les  innombrables  et  com- 
plexes problèmes  de  la  guerre,  des  conclusions  définitives,  il  est  ce- 
pendant nécessaire  d'examiner  et  de  commenter  les  documents,  d'ex- 
poser sur  la  table  d'expérimentation  les  matériaux  de  l'histoire,  de  les 
confronter  et  d'en  peser  la  valeur,  de  faire  jaillir  les  éléments  de 
vérité  qui  déjà  s'en  dégagent,  sans  omettre,  le  cas  échéant,  d'en  signaler 
les  lacunes.  Pour  ce  premier  et  indispensable  travail  de  défrichement 
et  d'élimination,  qui  exige  une  méthode  rigoureuse,  un  sûr  discerne- 
ment, l'habitude  d'interroger  les  textes  et  le  sens  aigu  de  ce  que  l'on 
doit  à  la  vérité,  c'est  encore  chez  nous,  je  veux  dire  au  cœur  même  de 
la  Bibliothèque  de  la  Guerre  comme  au  cœur  de  notre  Société,  que  le 
Conseil  de  la  Faculté,  par  un  choix  juste  et  flatteur,  est  venu  chercher 
le  jeune  maître  le  mieux  capable  de  l'assumer,  et  M.  Pierre  Renouvin 
fut  investi.  Qu'il  me  permette  de  le  féliciter,  mais  plus  encore  de  le 
remercier.  Ce  n'est  pas  à  la  Sorbonne  qu'il  a  commencé  de  servir, 
jusqu'au  plus  héroïque  sacrifice,  son  pays  ;  mais,  les  armes  tombées,  il 
continue  de  se  donner  à  son  service,  qui  se  confond  avec  celui  de 
la  vérité,  en  projetant  sur  les  mensonges  de  la  propagande  ennemie, 
dont  le  monde  est  enténébré,  la  lumière  de  sa  lucide  critique.  Cela 
aussi,  c'est  de  bonne  et  solide  besogne  française.  Elle  ne  comporte 
ni  instruments  faussés,  ni  matières  frelatées.  Claire  et  sonore,  elle 
repose  sur  le  dur  granit  de  la  science.  Nous  avons  toujours  dit,  parce 
que  nous  sommes  certains  de  notre  bon  droit,  que,  contre  la  calomnie, 
nous  n'appelions,  pour  notre  secours  et  notre  réconfort,  que  la  vérité 


CHRONIQUE  291 

nue.  Quiconque  travaille  pour  elle  est  au  service  de  la  France,  et  vous 
voyez  bien  que  M.  Pierre  Renouvin,  penché  sur  les  documenîs  et 
n'écoutant  que  les  voix  de  la  science,  n'a  pas  cessé,  comme  aux  jours 
tragiques,  de  monter  la  garde. 

Dans  cette  première  année  de  cours,  il  a  étudié  les  origines  im- 
médiates de  la  guerre,  c'est-à-dire  les  événements  qui,  du  crime  de 
Serajevo,  ont  conduit  le  monde  à  la  déclaration  de  guerre.  Dans  la 
deuxième  année,  il  se  propose  de  traiter  un  sujet  d'ordre  militaire. 
Ce  qu'il  convient  de  constater  ici,  c'est  l'autorité  avec  laquelle  s'est 
d'emblée  affirmé  l'enseignement  nouveau  qui,  de  novembre  à  avril,  a 
attiré,  chaque  semaine,  un  public  nombreux  et  informé.  Aussitôt  que 
M.  Pierre  Renouvin  aura  rédigé  ses  substantielles  leçons,  ce  sera 
notre  fonction  de  les  publier,  et  ceux  qui  ne  les  ont  point  entendues 
se  rendront  compte  alors  de  tout  ce  que  notre  collègue  y  a  mis  de 
sagacité,  de  force  démonstrative  et  d'amour  désintéressé  du  vrai. 

Voilà,  messieurs,  les  signes  les  plus  notables  de  l'activité  de  notre 
Société  au  cours  de  cette  année.  Je  n'y  ajoute  que  pour  mémoire  que 
nous  n'avons  pas  cessé  de  poursuivre  la  publication,  commencée  en 
1922,  du  Bulletin  mensuel  de  documentation  internationale,  qui,  don- 
nant, de  mois  en  mois,  le  catalogue  des  ouvrages  entrés  dans  les 
collections  de  la  Bibliothèque  ainsi  que  les  principaux  de  ceux  qui 
sont  annoncés,  constitue  un  répertoire  sans  pareil,  un  instrument  uni- 
versel de  documentation. 

Est-ce  tout  ?  Oui,  pour  cette  année  —  j'entends  pour  l'année  so- 
ciale qui  prend  fin  aujourd'hui.  Mais,  comme  la  vie,  votre  Société, 
Messieurs,  continue,  et,  loin  de  s'endormir  sur  le  travail  accompli,  elle 
est  toute  déjà  à  celui  qui  l'attend.  C'est  qu'on  ne  la  laisse  guère  res- 
pirer, et  il  s'en  faut  qu'elle  s'en  plaigne  :  pour  aller  vite  et  loin,  il  lui 
suffit  de  se  mettre  au  môme  pas  que  l'institution  dont  elle  est  la 
fraternelle  compagne.  C'est  demain  qu'elle  s'apprête  à  publier,  comme 
elle  a  fait  pour  le  Catalogue  allemand,  le  Catalogue  méthodique  du 
fonds  italien  de  la  Bibliothèque  de  la  Guerre,  qui  formera  un  fort 
volume  de  400  pages.  Plus  tard,  suivront  le  Catalogue  anglais  et  tous 
les  autres.  Le  Catalogue  italien  est  entièrement  prêt,  grâce  aux  soins 
de  M.  Henri  Michel,  chef  de  section  à  la  Bibliothèque,  et,  seule,  une 
difficulté  budgétaire  a  empêché  de  l'envoyer  encore  à  l'imprimerie. 

Une  autre  publication,  d'un  intérêt  capital,  est  déjà  fort  avancée, 
et  nous  espérons  pouvoir  la  mettre  en  mains  avant  la  fin  de  l'année  : 
c'est  le  Recueil  de  documents  sur  l'histoire  de  la  question  des  répa- 
rations, établi  par  M.  Germain  Calmette.  11  est  superflu  d'insister  sur 
la  valeur  documentaire  d'un  ouvrage  où  seront  réunis,  pour  la  première 
fois,  tous  les  protocoles,  toutes  les  conventions,  les  correspondances 
diplomatiques,  les  accords  et  les  désaccords  des  conférences  suc- 
cessives, toutes  les  pièces  enfin  —  j'allais  dire  toutes  les  laines  de 
cette  tapisserie  de  Pénélope,  qui,  depuis  ce  jour  du  28  juin,  —  quatre 
ans  aujourd'hui  !  —  où  des  mains  toutes  frétillantes  de  candeur  signè- 
rent à  Versailles  un  certain  parchemin,  jusqu'au  matin  brumeux  de 
l'entrée  à  Essen,  constituent  l'histoire  décevante,  enchevêtrée,  et  pour- 
tant trop  claire,  des  réparations. 


292 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


Nous  nous  disposons  aussi  à  éditer  successivement,  en  vertu  d'un 
contrat  signé,  une  série  de  quatre  ouvrages  du  docteur  Grelling,  dont 
le  premier  portera  le  titre  de  La  Campagne  innocentiste  en  Allemagne. 
Le  docteur  Grelling  est,  on  le  sait,  le  courageux  auteur  de  ce  livre 
J'accuse,  qui,  en  pleine  guerre,  eut  en  France  le  retentissement  d'un 
coup  de  foudre,  et  de  ceux  qui  suivirent.  En  accordant  son  patronage 
aux  publications  nouvelles  du  docteur  Grelling,  notre  Société  n'oublie 
pas  que  la  manière  de  cet  auteur,  si  recommandable  qu'il  soit  par  la 
hardiesse  de  sa  sincérité,  n'est  pas  exempte  d'esprit  polémique,  et 
qu'il  se  maintient  malaisément  dans  les  hautes  régions  de  la  sérénité 
historique.  Mais  les  livres  du  docteur  Grelling  possèdent  aussi  une 
valeur  documentaire  qui  suffit  à  leur  donner  du  prix  .  ix  yeux  de 
l'historien,  et  ils  sont  en  outre  un  témoignage  éclatant  de  l'état  d'esprit 
de  ce  petit  groupe  de  républicains  allemands  qui,  réfugiés  en  Suisse 
pendant  la  guerre,  ont  eu  l'honnêteté  d'apercevoir  le  crime  monstrueux 
perpétré  par  l'impérialisme  allemand,  le  courage  de  le  dénoncer,  et 
qui,  patriotes,  dévoués  au  bon  renom  et  au  salut  de  leur  patrie,  con- 
tinuent dans  la  paix  l'œuvre  d'assainissement  et  de  liquidation  qu'ils 
ont  entreprise.  C'en  est  assez  —  sans  doute  l'estimerez-vous  —  pour 
justifier  l'initiative  de  votre  Conseil  d'administration. 

Dans  ce  rapide  compte  rendu,  je  n'aurai  garde  d'oublier  la  parti- 
cipation de  notre  Société  au  Congrès  d'Histoire  qui  se  tint,  ce  prin- 
temps, à  Bruxelles.  Elle  y  fut  brillamment  représentée  par  M.  Camille 
Bloch,  qui,  devant  le  Congrès,  fit  un  exposé  de  l'oeuvre  et  de  l'activité 
des  Bibliothèque  et  Musée  de  la  Guerre,  et  par  M.  Pierre  Renouvin, 
qui,  à  son  tour,  parla  sur  les  modes  possibles  d'une  collaboration 
entre  les  divers  centres  d'études  de  l'histoire  de  la  guerre.  Vous  m'en 
voudriez,  dût  s'effaroucher  la  modestie  bien  connue  de  mes  voisins, 
de  ne  pas  ajouter  que  le  succès  de  nos  collègues  fut  des  plus  vifs,  et 
que  ce  succès  rejaillit  sur  l'institution  dont  ils  étaient  les  parfaits 
représentants.  II  en  résulta  que  M.  Camille  Bloch  fut  conduit  au  roi 
Albert  par  le  grand  historien  belge,  M.  Pirenne,  recteur  de  l'Université 
de  Gand  et  notre  collègue  ;  mais  sa  discrétion  protocolaire  ne  nous  a 
point  permis  de  connaître  quels  propos  furent  échangés  entre  ce  po- 
pulaire souverain  et  lui. 

Vous  avez  maintenant.  Messieurs,  un  tableau  authentique  de  l'ac- 
tivité de  la  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre.  Elle  a  désormais  le  droit 
de  considérer  avec  satisfaction  l'ouvrage  qui  est  le  sien.  C'est  pour- 
tant le  moment  qu'un  certain  nombre  de  ses  membres  désertent  la  tâche 
si  bien  commencée.  Je  n'ose  vous  en  dire  le  chiffre,  qui  est  élevé  au 
delà  de  toute  attente.  Est-ce  donc  dans  l'instant  où  notre  Société, 
enfin  libérée  des  hésitations  de  la  mise  en  marche,  se  met  à  produire 
avec  régularité,  qu'il  est  raisonnable  et  juste  de  voir  s'éloigner  d'elle 
une  partie  de  ceux  qui,  en  répondant  à  son  appel  initial,  semblaient 
avoir  eu  conscience  des  services  qu'elle  rendrait  et  confiance  dans 
ceux  qui  la  dirigeaient  ?  C'est  un  fait  pourtant  que  trop  de  cotisa- 
tions restent  impayées,  et  nous  sommes  amenés  à  conclure  de  tels 


CHRONIQUE  "  293 

refus  qu'ils  équivalent  à  des  démissions.  Nous  voulons  espérer  qu'ils 
ne  seront  point  maintenus. 

Nous  avons  heureusement,  en  compensation,  des  sujets  de  conten- 
tement. C'est  ainsi  que  le  nombre  de  nos  membres  fondateurs  s'est 
accru,  et  que  v34  membres  titulaires  nouveaux  se  sont  fait  inscrire 
depuis  le  1"  janvier.  C'est  d'un  heureux  augure  pour  l'avenir.  11 
dépend  de  vous  que  ce  mouvement  s'accélère,  et  votre  Conseil  d'ad- 
ministration n'éprouve  ni  scrupule  ni  retenue  à  vous  demander  votre 
concours  pour  une  propagande  destinée  à  amener  à  nous  toutes  les 
personnes  susceptibles  de  s'intéresser  aux  études  historiques  qui  se 
poursuivent  ici,  et  capables  de  leur  apporter  une  aide  pécuniaire. 

Un  signe  éclatant  que  notre  Société  remplit  une  fonction  utile  et 
que  son  œuvre  est  louable,  c'est  que  les  encouragements  les  plus  émou- 
vants commencent  de  lui  venir,  et  que  cette  aide  pécuniaire  ne  lui  a 
pas  été  marchandée  par  des  personnes  empressées  à  mettre  à  sa  dis- 
position les  moyens  financiers  qui  lui  sont  indispensables.  Notre  dis- 
tingué trésorier  aura  tout  à  l'heure  à  faire  état  d'une  somme  impor- 
tante entrée  cette  année  dans  notre  caisse,  et  dont  le  donateur  est 
un  anonyme  qui,  avec  tous  les  anonymes,  a  ceci  de  commun  qu'il  ne 
veut  pas  être  nommé.  D'autre  part,  il  y  a  quelques  mois,  nous  fai- 
sions, en  une  séance  spéciale,  les  honneurs  du  Conseil  d'administration 
à  un  grand  industriel  de  Rotterdam,  M.  Citroën,  que  ses  affaires 
avaient  à  ce  moment  attiré  à  Paris.  En  termes  élevés,  notre  cher  et 
admirable  président,  M.  André  Honnorat,  en  qui  persiste  une  enthou- 
siaste jeunesse  toujours  ardente  à  développer  l'oeuvre  double  qu'il  a 
créée  dans  la  maison  ofi  nous  sommes,  exprimait  à  notre  hôte  d'une 
heure  la  joie  profonde  que  nous  éprouvions  à  lui  rendre  hommage. 
C'est  que  M.  Citroën,  à  son  tour,  venait,  peu  de  temps  auparavant,  de 
lui  adresser  un  chèque  de  25.000  francs  dont  il  nous  laissait  libres  de 
disposer  au  mieux  des  intérêts  scientifiques  dont  nous  avons  pris 
le  soin.  M.  Citroën  s'est  excusé  de  ne  pouvoir  se  trouver  ce  soir  à 
Paris  pour  assister  à  cette  assemblée,  et  nous  regrettons  que  son 
absence  vous  prive  du  plaisir  de  lui  exprimer  directement,  par  vos 
applaudissements,  votre  gratitude.  Il  saura  du  moins  que  son  nom  a 
été  salué  ici  dans  le  sentiment  qui  convient. 

Je  m'en  voudrais  d'omettre  celui  d'un  de  ses  compatriotes,  M.  de 
Jongh,  de  La  Haye.  M.  de  Jongh  est  aussi  un  ami,  et  un  ami  an- 
cien, des  Bibliothèque  et  Musée  de  la  Guerre.  Il  y  a  des  années  que, 
sans  jamais  se  lasser,  ses  libéralités  ne  cessent  d'enrichir  les  collections 
du  Musée  par  le  don  généreux  d'objets  de  toute  nature  et  de  toutes 
origines,  hollandais,  belges,  tchéco-slovaques,  allemands,  etc..  qui 
tous  ont  trouvé  leur  place  en  des  vitrines  et  en  des  salles  devenues 
d'une  décourageante  exiguité.  C'est  une  des  manières,  —  non  la 
seule,  —  dont  M.  de  Jongh,  citoyen  d'un  pays  jadis  neutre,  témoigne  au 
nôtre  la  ferveur  de  son  zèle  affectueux,  et  nous  nous  réjouissons  que  la 
décoration  de  la  Légion  d'honneur  soit  venue  lui  montrer  que  la  France 
savait  être  reconnaissante  à  qui  l'aimait. 

De  telles  générosités,  en  attestant  que  la  Société  de  l'Histoire  de 
la  Guerre  pouvait  désormais  espérer  de  voir  venir  à  elle  des  amitiés 


294  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

rares  et  d'abondants  concours,  nous  ont  conduits  à  donner  une  forme 
définitive  à  un  projet  déjà  ancien.  Il  est  temps,  en  effet,  que  notre 
constitution  statutaire  nous  mette  en  mesure  de  recevoir  des  dons 
et  peut-être  de  réaliser  certaines  recettes  d'une  nature  spéciale,  et, 
pour  cela,  il  est  nécessaire  que  nous  poursuivions  la  reconnaissance 
d'utilité  publique  de  notre  Société.  Une  résolution  en  ce  sens  vous  sera 
soumise  ïout  à  l'heure,  -et,  appuyés  sur  le  vote  que  vous  allez  émettre, 
nous  commencerons  sans  tarder  les  démarches  qu'il  faudra.  Nous  ne 
doutons  point  de  rencontrer  au  Conseil  d'Etat  les  sympathies  dont 
nous  nous  flattons  que  notre  Société  soit  digne  ;  mais  si  d'aventure  elle 
y  trouvait  quelque  tiédeur,  nous  sommes  assurés  d'avance  d'y  posséder 
un  chaleureux  avocat  dans  la  personne  de  notre  éminent  collègue, 
M.  le  Conseiller  d'Etat  Bruman,  que  les  obligations  de  sa  charge  n'em- 
pêchent pas  d'assister,  avec  une  régularité  exemplaire,  à  toutes  nos 
séances  et  d'y  éclairer  nos  discussions  de  sa  sagace  expérience. 

Aussi  bien,  le  bagage  de  la  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre  n'at- 
teste-t-il  pas  l'importance  de  sa  tâche  et  la  régularité  de  son  effort  ? 
Fondée  en  1918,  avec  le  triple  objet  de  favoriser  l'étude  critique  de 
l'histoire  de  la  grande  guerre,  d'entreprendre  des  publications  docu- 
mentaires et  d'apporter  à  l'Etat  son  concours  pour  l'entretien  et  le 
développement  des  collections  des  Bibliothèque  et  Musée  de  la  Guerre, 
elle  peut,  quand  s'achève  la  cinquième  année  de  son  existence,  se 
rendre  à  elle-même  ce  témoignage  que,  sur  aucun  des  chapitres  de 
ce  programme,  elle  n'a  failli  à  sa  destination. 

Catalogue  allemand,  Bulletin  mensuel  de  documentation,  étude  cri- 
tique, due  à  M.  Jules  Isaac,  sur  Joffre  et  Lanrezac,  Introduction  aux 
Tableaux  d'Histoire  de  Guillaume  II,  publication  d'une  Revue  pério- 
dique ;  demain.  Recueil  sur  les  réparations,  Catalogues  italien,  an- 
glais, etc..  ;  puis,  création  d'une  chaire  de  Sorbonne  ;  puis,  organi- 
sation à  Strasbourg,  en  1920,  d'une  première  exposition,  organisation 
à  Paris  d'une  seconde  et  retentissante  exposition...,  voilà  quelques-uns 
de  ses  titres  à  la  considération  publique  et,  ne  balançons  pas  à  le  dire, 
à  la  reconnaissance  non  seulement  des  historiens,  mais  de  tous  ceux 
qui  ont  à  cœur  que,  de  la  masse  inorganique  des  documents  qui,  pour 
l'instant,  sont  la  matière  de  l'histoire,  se  dégage,  pour  l'univers  et 
pour  la  postérité,  l'incontestable  vérité  sur  une  des  crises  les  plus 
effroyables  qui  aient  bouleversé  et  saigné  le  vafete  peuple  des  hommes. 

A  d'autres  égards,  elle  a  poursuivi  une  tâche  moins  ostensible,  mais 
non  moins  méritoire,  celle  d'apporter  son  plein  concours,  sous  toutes 
les  formes,  au  développement  de  l'institution  que  dirige  avec  tant  de 
compétence  et  de  foi  M.  Camille  Bloch,  à  qui,  nous  n'avons  point 
accoutumé  de  marchander  l'hommage  que  méritent  ses  heureux  efforts, 
mais  qui  ne  s'étonnera  pas  que  nous  donnions  aujourd'hui  à  cet  hom- 
mage, si  près  encore  d'heures  qui  lui  furent  cruelles,  une  forme  par- 
ticulièrement affectueuse. 

Telle  est,  Messieurs,  la  besogne  accomplie  par  votre  Société.  .\ 
vous  de  dire  si  votre  Conseil  d'administration  a  compris  de  la  manière 
qu'il  fallait  l'œuvre  à  entreprendre.  Fondée  par  M.  André  Honnorat, 


CHRONIQUE 


295 


elle  est  sortie  tout  armée  de  la  magnifique  donation  faite  à  l'Etat  par 
M.  et  M""  Henri  Leblanc.  Voilà  des  noms  que  nous  ne  devons  point 
cesser  d'honorer.  Privée  des  collections  réunies  par  M.  et  M""'  Henri 
Leblanc,  qui  peut  dire  si  l'institution  des  Bibliothèque  et  Musée  de  la 
Guerre  eût  jamais  pu  voir  le  jour  ?  C'est  une  source  incomparable 
de  documentation,  c'est  un  instrument  unique  de  travail  qui  eût  à 
jamais  manqué  à  la  science  française.  Que  dis-je  à  la  science  fran- 
çaise ?  Sur  ce  qui  se  passe  dans  cette  maison,  l'univers  savant  a  dé- 
sormais les  regards  attachés.  On  y  travaille  non  pour  des  vérités  lo- 
cales et  passagères,  mais  pour  l'histoire  et  la  vérité  éternelle,  c'est- 
à-dire  pour  l'enseignement  du  monde. 


* 

M.  Louis  Monnier,  trésorier,  a  présenté  ensuite  le  rapport  financier. 
Messieurs, 

L'activité  de  votre  Société  a  été  beaucoup  plus  grande  cette  année 
que  les  années  précédentes  et  le  mouvement  de  notre  caisse  s'en  est 
heureusement  ressenti. 

En  vous  en  exposant  le  résumé,  je  serai  aussi  bref  que  possible  et 
ne  retiendrai  votre  attention  que  pendant  de  courts  instants. 

Nos  comptes  de  l'année  1922  se  présentent  comme  suit  : 


RECETTES 

Solde  en  caisse  au 
31  déceaibre  192 1. . . 

Intérêts  des  Bons  de  la 
Défense  Nationale. . . 

Encaissement  de  cotisa- 
tions   

Intérêts  du  compte  cou- 
rant   

Versement  du  Trésor 
public  pour  fourni- 
ture d'exemplaiies  de 
notre  catalogue  alle- 
mand  

Souscription  de  Hollan- 
de  

Souscriptions  anonymes 


2.804  — 


))0 


144  35 


7.506,  50 

25 .000  — 
57.500  — 


DEPENSES 

Dépenses  du  Siège  So- 
cial (affranchisse- 
ments, lettres,  frais 
divers) 1.210  — 

Paiement  aux  impri- 
meurs       11.594,50 

Fondation  d'un  cours  à 

la  Sorbonne 20  000  — 

Achat  de  2  actions  de  la 
Société  des  archives 
photographiques  d'art 
et  d'histoire   i.ooo  — 

Achat    de  50   Bons    du 

Trésor  6  0  /g,  à  3  ans.      24,875  — 

Lettres,  timbres  et  me- 
nus frais  te  banque,.  23,85 

Impôt    sur    les  intérêts 

créanciers 14,50 

Solde    en    caisse  au  31 

décembre -6.617  — 

Frs..  ~ 


95-334.85 


Frs 95-334-S5 

Notre  actif,  au  31  décembre,  se  composait  donc  —  outre  les  fonds 
en  caisse,  soit  :  frs.  36.617,  —  de  50  Bons  du  Trésor  6  %  à  3  ans, 
de  frs.  500  chacun,  et  de  frs.  40.000  de  Bons  de  la  Défense  Nationale, 
à  6  mois. 


29e  HISTOIRE  D5  LA  GUERRE 

La  partie  de  notre  actif  représentant  le  rachat  des  cotisations  des 

membres  fondateurs  était,  il  y  a  un  an,  de     frs.  38.500 

elle  s'élève  aujourd'hui  à  frs.  25.000  de  plus,  soit  à  ....  frs.  63.500 
qui  doivent  être  considérés  comme  une  réserva  et  capitalisés  en 
conséquence. 

Si  nous  devons  nous  féliciter  de  la  souscription  généreuse  de  notre 
ami  de  Hollande,  M.  Louis  G.  Citroën,  et  lui  en  être  vivement  recon- 
naissants, nous  ne  pouvons  que  regretter,  par  contre,  le  peu  d'em- 
pressement que  mettent  nos  membres  à  régler  le  montant  de  leur 
cotisation. 

Depuis  le  31  décembre  dernier,  un  effort  sérieux  a  été  fait  pour 
obtenir  plus  de  régularité  dans  les  versements,  et  vous  en  verrez  les 
résultats  déjà  appréciables  dans  les  comptes  de  cette  année.  Mais  ces 
résultats  sont  encore  insuffisants  et,  surtout,  nous  ne  voyons  pas  le 
nombre  des  nouveaux  adhérents  augmenter  d'une  manière  sensible. 

Une  Société  comme  la  nôtre,  si  son  action  et  son  but  étaient  mieux 
connus  et  compris,  devrait  susciter  un  intérêt  général  et  voir  affluer 
vers  elle  les  concours  et  les  dévouements.  Pourquoi  n'en  est-il  pas 
ainsi  ?  La  question  dépasse  sans  doute  le  cadre  spécial  d'un  compte 
rendu  financier,  mais  elle  doit  cependant  retenir  l'attention  de  chacun 
de  nous,  et  votre  Trésorier,  en  terminant,  émet  le  vœu  qu'elle  soit,  en 
temps  et  lieu,  examinée  avec  tout  le  soin  et  le  sérieux  qu'elle  mérite. 

Après  avoir  approuvé  à  l'unanimité  les  termes  de  ces  rapports, 
l'Assemblée  a  décidé  de  poursuivre  devant  le  Conseil  d'Etat  la  recon- 
naissance d'utilité  publique  de  la  Société. 

Elle  a  procédé  ensuite  aux  élections  au  Conseil  d'administration  : 
Les  membres  sortants,  MM.  Appell,  Aulard,  Walter  Berry,  Georges 
Bourdon,  Brnman,  Sir  Martin  Conway,  MM.  Coyille,  l'amiral  Fave- 
rean,  Charles  Gide,  Jules  Isaac,  Lesage,  Georges  Lyon,  sir  lan  Mal- 
colm,  MM.  Pierre  Marcel,  Henri  Pirenne  ont  été  réélus  à  l'unanimité. 
Trois  membres  nouveaux  ont  été  élus  :  MM.  le  Général  de  Cugnac, 
Etienne  de  Nalèche  et  Emile  Terquem. 

Enfin,  M.  André  Cogniet,  lieutenant  de  vaisseau  en  retraite,  a  bien 
voulu  présenter  une  remarquable  communication,  sur  Les  bombar- 
dements de  la  côte  anglaise  par  la  flotte  allemande,  qui  est  re- 
produite dans  le  présent  numéro. 


Le  Gérant  :  A.  Costes 


POITIERS.  -   IS  P.   MARC  TEXIER 


4 


REVUE    D'HISTOIRE 


DE   LA 


GUERRE     MONDIALE 


Publications  de  la  "  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre  " 
DEUXIÈME   ANNÉE.     1924 


■^ 


Revue  d'Histoire 

de   la 


Ou 


PARAISSANT    TOUS    LES   TROIS  MOIS 


PARIS 

ANCIENNE     LIBRAIRIE     SCHLEICHER 

ALFRED    COSTES,    ÉDITEUR 

8,   RUE  MONSIHUR-LE-PRINCE,  o 
Tous  droits  réservés 


A 


/ 


TABLE  DES  MATIÈRES  '^ 

DB    LA    DEUXIÈMK    ANNÉK 


ARTICLES   DE  FOND 

Appuhn  (Charles).  —  Le  gouvernement  allemand  et  la  paix  en 

1917.  II.  Le  Conseil  de  Bellevue  et  la  question  belge        I,  297 
—  L'agonie  de  l'Allemagne  Impériale    .  .      III,  93  ;  IV,  193 

Cloix  (Colonel).  —  Le  service  des  transmissions  pendant  la 

guerre    II,  1 

Daniloff  (Général).  —  La  campagne  de  l'armée  russe  sur  la 

Vistule    au    mois    d'Octobre    1914    IV,  216 

Gasfield  (Nicolas).  —  Au  front  de  Perse  pendant  la  grande 

guerre    III,  120 

IsAAC  (Jules).  —  L'utilisation  des  réserves  dans  l'armée  fran- 
çaise et  dans  l'armée  allemande  en  1914 I,  317 

René-Jean.  —  Un  peintre  soldat  de  la  grande  guerre   :  Jean 

Lefort    II,  27 


DOCUMENTS 

L'auto-protection  en  Bavière.  Notice  résumée  (Fréjus  Loquet)  IV,  233 
La  mobilisation  russe  en  1914  d'après  les  débats  du  procès 

Soulihomlinof   (Pierre   Renouvin)    II,  19 

Le  plan  de  guerre  austro-allemand:  Vï\  entretien  avec  Moltke 

en  mai  1914  (Conrad  von  Hœtzendorff)    III,  152 

Le  procès  Soukhomlinof   ;  La  genèse  de  l'affaire  (V.  Nosso- 

vitch)    I,  338 


BIBLIOGRAPHIE 

Notices. 

La  bataille  de  Tannenberg  d'après  de  nouvelles  études  russes 

(ly.  Lerai)     IV,  241 

Les  origines  de  la  gueri-e  :  Le  dernier  état  de  la  thèse  alle- 
mande {Pierre  Renouvin)    I>  348 

La    propagande    allemande    en    Belgique    avant    la    guerre 

{Th.   Heyse)     III,  158 

(  i)  Pour  éviter  les  conséquences  d'une  erreur  d'impression  dans  le  n»  i,  la  table 
indique  pour  chaque  titre,  outre  le  numéro  de  la  page,  le  numéro  du  fascicule  en 
chiffres  romains. 


28^  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


Comptes  rendus. 

Alexinsky  (G.).  —  Du  tsarisme  au  Communisme  {W.  Lerat)  IV,  258 
Ancel    (J.).   —   Manuel    historique   de   la    question    d'Orient 

(P.  Renouvin)      III,  179 

Archinov.  —  Istoriia  niakhvnoskogo  dvijeniia  {W.  Lerat)    .  .  I,  3G5 

AsQUiTH.  —  The  Genesis  of  the  War  (F.  Debyser)   I,  363 

AuLARD  (A.)»  Bouvier  (E.),  Ganem  (A.).  — -  Histoire  politique 

de  la  grande   guerre   {P.  Renouvin)    III,  173 

Bareilles  (B.).  —  Le  drame  oriental    :   d'Athènes  à  Angora 

(J.   Ancel) I,  368 

Bauer  (Otto).  —  Die  osterreichische  Révolution  (B,  Auerbach)  III,  174 

Beletzky.  —  Grigory  Raspouîine  {\V.  Lerat)    I,  376 

BouRGET  (J.-M.).  —  Les  origines  de  la  victoire   {.Général  de 

Cugnac)      IV,  254 

Churchill  (W.).  —  The  World  Crisis  1915  (E.  Desbrière)    .  .  Il,  70 

CoNR-^D.  —  Aus  meiner  Dienstzeit  {Ch.  Appuhn)    III,  180 

CoRBETT.  —  Naval  opérations.  III   (£.  Desbrière)    II,   77 

Fabre-Luce  (Alfred).  —  La  Victoire  (P.  Renouvin) .  IV,  259 

La  Grande  guerre  vécue,  racontée,  illustrée  par  les  Combat- 
tants {R.  Villate)    I,  372 

Gullett.  —  The  Australian  Impérial  Force  in  Sinai  and  Pa- 
lestine (£.  Desbrière)    IV,  257 

Harden  (M.).  —  Deutschland,  Frankreich,  England  {Ch.  Ap- 
puhn)       II,  81 

Hofmaxn   (Général).  —  Der   Krieg   der  versaûmten   Gelegen- 

heiten  {B.  Auerbach)    I,  357 

Karolyi  (M.).  —  Gegen  cine  ganze  Welt.'Mein  Kamp  ùm  den 

Frieden  {B.  Auerbach) IV,  249 

KuHL    (Général    von).    —    Die    Kriegslage    im    Herbst    1918 

(E.    Desbrière)     î,  370 

MoussET  (A.),  —  L'Espagne  dans  la  politique  mondiale  (C  Pi- 

cavet)     ." III,  175 

Radoslavof.  —  Bulgarien  imd  die  Wcltkrise  (A.  Lajusan)   ...  II,  75 

Raph  Scott.  —  A  Soldiers  Diary  {E.  Desbrière)   I,  374 

Raphaël  (G.).  —  Le  roi  de  la  Ruhr  :  Hugo  Stinnes  {M.  Bou- 
cher)        III,  165 

Rawlinson.  —  Adventures  in  the  Near  East  {E.  Desbrière)  .  .  I,  374 

Rawlixson  (G.).  —  The  defence  of  London  {E.  Desbrière)    .  .  III,  181 

Soheidemaxn  (Ph.).  —  L'effondrement  {Ch.  Appuhn)   III,  182 

Schônaich  (Général  von).  —  De  la  guerre  d'hier  à  la  gueiTe 

de  demain   (F.  Loquet)    IV,  253 

Sukhomlinov   (W.  a.).  —  Erinneningen   {E.  Desbrière)    ....  IV,  245 

Vie  (J.).  —  La  littérature  de  guerre  {M.  Rieunier)   IV,  261 

Van  Voorst  tôt  Voorst.  —  Over  Roermond.  —  En  strategische 

studie  (.7.-5.  Manger)    II,  77 

Vermeil.  —  La  Constitution  de  Weimar  et  le  principe  de  la 

démocratie  allemande  (Ch.  A.ppuhn)    II,  80 

Zweiil  (Général  von).  —  Generalstabdienst  im  Frieden  und 

im    Kriege    {E.   Desbrière)  : L  369 


Dépouillement  des  revues. 

Les  Revues  du  Trimestre   I,  378  ;  il,  81  ;  III,  183  ;  IV,  261 


TABLE    DES    MATIÈRES  ^i^/f^ 


CHRONIQUE 


-^ 


Les  faits  et  les  controverses I,  385  ;  II,  89  ;  III,  190  ;  IV,  268 

L'assemblée  générale  de  la  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre  IV,  273 

Les  collections  de  la  Bibliothèque-Musée  de  la  Guerre   ....  II,  92 

Les   cours   et   les   conférences    I,  387 

Les  publications  nouvelles  de  la  Société  de  l'Histoire  de  la 

guerre   I,  38^   ;  II,  90 

Les   nouvelles  publications  de   documents   officiels    II,  90 

Une  nouvelle  revue  consacrée  à  l'histoire  de  la  guerre III,  192 

La  reconnaissance  d'utilité  publique  de  la  Société  de  l'his- 

toii'e  de  la  guerre IV,  280 

Le  transfert  de  la  Bibliothèque-Musée  de  la  Guerre  au  Châ- 
teau   de    Vincennes    IV,  281 

Nécrologie IV,  281 


POITIERS.  llflP.    MABC    TEXIER 


Revue  d*Histoire         ^ 

de  la 


Le  Gouvernement  allemand  et  la  paix  en  1917 

Le  Conseil  de  Bellevue  et  la  question  belge. 


I 


Nous  avons,  dans  un  premier  article  (1),  parlé  des  négo- 
ciations auxquelles  se  rattache  l'offre  de  médiation  du  Saint- 
Siège,  survenue  le  V  août  1917,  et  montré  le  lien  qui  existe 
entre  cette  démarche  pontificale  et  le  vote  par  le  Reichstag 
de  la  «  résolution  de  paix  ».  Nous  avons  tenté  d'éclaircir  un 
peu  le  rôle,  dans  toute  cette  affaire,  du  député  Erzberger, 
meneur  principal  du  parti  catholique  allemand,  en  relations 
très  étroites  avec  le  gouvernement  autrichien.  Nous  avons  dit 
quelle  attitude  prudente,  mais  non  décourageante,  l'i^ngle- 
terre  avait  prise,  et  reproduit  la  conversation  de  son  repré- 
sentant auprès  du  Saint-Siège  avec  le  Cardinal  Gasparri. 
Comment  la  situation  vue  d'Allemagne  se  présentait-elle  dans 
les  premiers  jours  de  septembre,  c'est-à-dire  au  moment  où  le 
chancelier  Michaëlis  reçut,  du  nonce  Pacelli,  la  lettre  dont 
nous  avons  donné  la  traduction,  et  la  note  du  Comte  de 
Salis,  qui  s'y  trouvait  jointe  ? 

1°  —  On  pouvait  douter  que  l'Angleterre  fût,  comme  l'en- 
voyé du  Saint-Siège  le  donnait  à  entendre,  prête  à  négo- 

(1)  Voir  Revue  d'histoire  de  la  guerre  mondiale,  n°  1. 

>9 


298  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

cier  (1)  ;  mais  on  savait  avec  la  plus  entière  certitude,  que, 
si  elle  y  consentait,  ce  serait  seulement  après  que  l'Allemagne 
aurait  pris  l'engagement  net  de  restaurer  la  Belgique.  Aux 
informations  données  à  ce  sujet  par  le  nonce,  d'autres  avis 
étaient  venus  se  joindre  : 

Le  31  août,  le  ministre  des  affaires  étrangères  recevait  de 
Bruxelles  un  télégramme,  contenant  entr'autres  cette  phrase  : 
«...  d'après  un  diplomate  neutre  accrédité  auprès  du  gouver- 
nement néerlandais,  le  ministre  britannique  [à  la  Haye]  a 
dit  que  la  première  condition  à  remplir,  pour  qu'il  puisse 
y  avoir  des  négociations  de  paix,  est  la  libération  de  la 
Belgique  ;  on  ne  demande  pas,  —  avait  ajouté  le  neutre,  — 
que  l'Allemagne  se  dessaisisse  de  son  gage,  mais  il  faut  une 
déclaration  nette  concernant  ce  pays  (2)  ». 

Le  conseiller  d'ambassade  von  Hindenburg  envoyait  de 
Berne,  le  30  août,  un  rapport  détaillé  sur  une  conversation 
qu'il  avait  eue  avec  un  représentant  du  Saint-Siège  au  sujet 
de  la  note  papale  : 

«  Avec  une  insistance  destinée  à  produire  la  plus  vive 
impression,  Monsignore  M.  revint  encore  sur  l'importance  de 
la  note  papale  et  de  la  réponse  à  y  faire.  Comme  le  dôme  du 
Vatican  se  dresse  au  dessus  des  édifices  environnants,  cette 
manifestation  laisse  loin  derrière  elle  les  efforts  confus  de 
l'Internationale  en  faveur  de  la  paix. 

«  Le  prélat  fit  entendre  confidentiellement  que  la  prépa- 
ration du  document  pontifical  n'était  pas  restée  ignorée  des 
gouvernements  belligérants.  < 

«  Les  puissances  centrales  avaient  dû  être  renseignées  de 
plus  près,  pour  cette  raison  que  d'elles  on  attendait  les 
plus  gros  sacrifices  ;  toutefois,  pour  les  gouvernements  de 
l'Entente  aussi,  la  note  n'avait  pas  été  une  surprise.  Le  pape, 
en  effet,  ne  voulait,  ni  ne  pouvait,  s'exposer  à  un  refus  venu 
soit  d'un  camp,  soit  de  l'autre. 

«  Tout  dépend  maintenant  du  contenu  et  du  ton  des 
réponses  que  l'Allemagne  et  ses  alliés  feront  au  pape,  et 
naturellement  surtout  de  la  réponse  allemande.  Les  gouver- 

(ï)  En  fait,  quoi  qu'en  ait  dit  t>lus  tard  Michaëlis,  on  n'en  doutait  pas  :  le 
langage  tenu  par  Guillaume  au  Conseil  de  Bellevue  (voir  plus  bas)  le  prouve. 

(2)  D'après  Schetoeimann  :  Papxf,'  Kaiser  nnd  Soziaidemokratie  in  ihren 
Friedensbemiihungen  im  Sommer  1917.  (Le  pape,  l'empereur  et  le  parti  socia- 
liste ;  leurs  efforts  pour  la  paix  pendant  l'été  de  1917),  p.  21. 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX  EN  1917   299 

nements  de  l'Entente,  notamment  ceux  de  France  et  d'Angle- 
terre, attendraient  pour  répondre  eux-mêmes  que  cette  ré- 
ponse fût  connue. 

«  Le  prélat  espère  que  la  note  allemande  ne  contiendra 
aucune  parole  acerbe,  et,  en  particulier,  s'abstiendra  de  toute 
considération  sur  les  origines  de  la  guerre  et  le  caractère 
purement  défensif  qu'elle  a  eu  pour  l'Allemagne. 

«  Après  un  accueil  empressé  fait  aux  propositions  touchant 
le  désarmement,  l'arbitrage  et  la  liberté  des  mers,  il  faudrait, 
dans  le  passage  relatif  à  la  restitution  des  colonies  allemandes, 
une  déclaration  nette  sur  l'évacuation  de  la  Belgique  et  des 
territoires  français  occupés. 

«  Il  espère,  en  outre,  que  la  note  allemande  sera  rédigée 
sur  un  ton  chaleureux  et  humain  ;  que,  par  exemple,  elle 
exprimera  le  regret  cordial  qu'inspire  à  l'Allemagne  le  triste 
sort  de  la  Belgique,  des  départements  français  occupés,  de 
la  Serbie  et  de  la  Roumanie. 

«  Si  la  note  est  satisfaisante,  surtout  en  ce  qui  concerne 
la  Belgique,  le  prélat  est  convaincu  que  l'Angleterre,  elle 
aussi,  fera  une  réponse  favorable-  Et  l'Angleterre  est,  parmi 
les  Etats  alliés,  celui  qui  compte  le  plus  (1).  » 

Le  5  septembre,  Michaëlis  recevait  la  lettre  du  ronce 
Pacelli,  et,  le  6,  M.  von  Bergen  était  avisé  encore  une  fois, 
par  le  même  correspondant,  de  l'importance  capitale,  aux 
yeux  de  l'Angleterre,  d'une  déclaration  non  équivoque  sur 
la  Belgique  (2). 

A  Vienne,  d'autre  part,  où  le  besoin  de  la  paix  était  plus 
impérieux  qu'à  Berlin,  le  Comte  Czernin  exprime  la  crainte 
qu'en  insistant  sur  la  nécessité  pour  l'Allemagne  d'obtenir 
des  garanties  contre  un  assujettissement  de  la  Belgique  à 
l'Angleterre  ou  à  la  France,   on  ne  rende  les  négociations 

(1)  SCHEIDKMANN,  OUOT .   C.iL,  \).  21. 

(2)  Voici,  d'après  Scheideniann,  le  texte  de  ce  message  :  «  Je  crois  utile 
de  communiquer  confidentiellement  à  Votre  Excellence,  et,  par  son  aima- 
ble entremise,  au  gouvernement  impérial,  que  Son  Eniinence  le  Cardinal 
secrétaire  d'Etat,  dans  une  lettre  à  moi  adressée,  insiste  pour  obtenir  une 
réponse  favorable  relativement  à  la  Belgique.  »  Suit  dans  le  texte  une  phrase 
qui  doit  être  la  transcription  d'un  passage  de  la  lettre  écrite  au  nonce  par 
le  Cardinal  Gasparri  :  »  Le  ministre  anglais,  le  comte  de  Salis,  me  disait  ce 
malin,  que  c'était  pour  l'Angleterre  le  point  le  plus  important.  ^  Nous  igno- 
rons la  date  d'envoi  de  la  lettre  et  nous  ne  pouvons  savoir,  en  conséquence, 
si  le  Cardinal  fait  allusion  à  l'entretien  du  24  août,  ou  à  une  conversation 
plus  récente. 


300  HISTOIRE  DE  LÀ  GUERRE 

impossibles.  C'est  ce  qui  ressort  d'un  document  publié,  comme 
les  précédents,  par  M.  Scheidemann(l).  Le  gouvernement 
autrichien  comprend  donc  parfaitement  la  nécessité  absolue 
d'une  déclaration  bien  nette. 

2°  —  En  Allemagne,  ceux  qui,  désirant  sincèrement  la  paix, 
se  trouvaient  en  outre,  par  leur  situation,  en  mesure  d'être 
renseignés,  pensaient  de  même  :  M.  Scheidemann,  par  exem- 
ple, voyait  bien  que,  seul,  un  langage  clair,  sans  ambiguïté, 
témoignant  de  l'accord  du  gouvernement  avec  la  gauche  du 
Reichstag,  pouvait  ouvrir  une  voie  aux  négociations.  Mais 
ceux  qui  étaient  de  l'avis  de  M.  Scheidemann  étaient-ils  bien 
nombreux  ?  Le  chancelier  Michaëlis  était,  nous  l'avons  vu, 
pour  les  moyens  «  dilatoires  »  (2).  Le  22  août,  dans  une 
séance  de  la  Commission  principale  du  Reichstag,  violem- 
ment attaqué  par  un  membre  socialiste,  il  répondit  qu'il  avait 
voulu  s'assurer  les  mains  libres  «  dans  le  cadre  de  la  réso- 
lution »  ;  que  les  chefs  de  groupe  le  savaient  fort  bien  ;  que 
d'ailleurs,    dans   les    partis    même   formant   la    majorité    du 
Reichstag,  il  s'en  fallait  de  beaucoup  qu'il  y  eût  unanimité  : 
quand  il  s'agirait  d'examiner  les  conditions  de  paix  offertes, 
des  divergences  ne  manqueraient  pas  d'apparaître  (3).  Ces 
paroles  du  chancelier,  bien  qu'elles  furent  assez  conformes 
à  la  vérité,  ou  parce  qu'elles  l'étaient,  ne  manquèrent  pas 
de   soulever  des   protestations.   On   lui   en  voulait  de   son 
attitude   depuis   le    19  juillet.   Dès   le   28,   le   langage   qu'il 
avait  tenu  à  la  presse  allemande  ne  manifestait  ni  un  grand 
espoir,   ni   un   vif   désir,   d'engager  des   négociations   avec 
les  puissances  occidentales  :  il  interprétait  le  discours  pro- 
noncé par  M,   Lloyd  George  au  Queenshall,   le  21   juillet, 
comme  signifiant  que  l'Angleterre  ne  voulait  pas  d'une  paix 
de  conciliation  et  de  compromis  :  mais  surtout  il  attaquait 
très  violemment  la  «  politique  de  conquête  »  de  la  France, 
sur   laquelle   il   se  prétendait  exactement  renseigné  (4).  Au 
commencement  du  mois  d'août,  il  s'était  rendu  au  grand 
quartier  général,  et  y  avait  pris  le  mot  d'ordre  de  Ludendorff, 

(1)  Scheidemann,  ouvr.  cit.,  p.  15 

(2)  N"  I,  page  16,  note  2. 

(3)  Voir  ce  que  dit  Michaëlis  de  cette  séance  dans  son  livre  Fur  Staat  und 
Volk  (Pour  l'Etat  et  la  Nation),  p.  359. 

(4)  La  presse  allemande  parlait  à  cette  occasion  de  l'offensive  diplomatique 
dirigée  par  Michaëlis  contre  la  France  (titre  d'un  article  paru  dans  Deutsche. 
Politik,  24  août  1917). 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX  EN  1917   301 

encore  très  annexionniste  à  ce  moment-là  (1).  Les  journaux 
de  droite,  enfin,  interprétaient  son  adhésion  —  conditionnelle 
—  à  la  résolution  du  Reichstag  de  telle  sorte  qu'il  n'en  subsis- 
tait à  peu  près  rien,  et  le  chancelier  laissait  dire  (2).  Ce  n'est 
pas  sans  raison,  Michaëlis  le  reconnaît,  que  Helfferich,  dans 
son  ouvrage  sur  la  guerre,  fait  dater  du  22  août  la  nouvelle 
crise  de  chancellerie  (2),  celle  qui,  fin  octobre,  devait  aboutir 
à  la  démission  de  Michaëlis  et  à  son  remplacement  par  le 
comte  Hertling. 

Pour  tenter  de  rétablir  un  certain  accord  entre  les  repré- 
sentants de  la  nation  et  le  gouvernement,  un  comité,  dit  des 
Sept,  fut  constitué.  Il  comprenait  7  membres  du  Reichstag  : 
deux  socialistes,  Ebert  et  Scheidemann,  un  progressiste, 
Wiener,  deux  hommes  du  Centre,  Erzberger  et  Fehrenbach, 
un  national-libéral,  Stresemann,  un  conversateur,  Westarp,  et 
7  membres  du  Bundesrat.  Ce  comité  avait  pour  mission 
d'écouter  les  explications  fournies  par  le  chancelier  et  le 
ministre  des  affaires  étrangères  Kiihlmann,  et  de  donner  son 
avis  sur  la  réponse  à  faire  au  pape.  Il  se  réunit,  pour  la 
première  fois,  le  28  août.  M.  von  Kuhlmann  déclara  qu'il 
serait  très  avantageux  de  laisser  les  puissances  de  l'Entente 
répondre  les  premières,  car,  si  elles  ne  montraient  pas  des 
dispositions  très  conciliantes,  elles  porteraient  devant  le 
monde  la  responsabilité  de  la  continuation  de  la  guerre  (4). 

(1)  Voir  Dei.bruck,  Ludendorffs  Selbstportrât  (Ludendorff  peint  par  lui- 
rnême),  p.  22.  Michaëlis  lui-même  fait  allusion  dans  son  livre  aux  conversa- 
tions qu'il  avait  eues  avec  Ludendorfî,  lors  d'une  visite  au  grand  quartier 
général,  à  Kreuznach,  de  l'empereur  et  du  chancelier. 

(2)  Ce  silence  lui  est  reproché  comme  une  faute  par  Delbriick  dès  le  mois 
d'août  1917  (dans  un  article  des  Preussischc  Jahrbûcher).  Au  reste,  Michaëlis 
lui-même  nous  renseigne,  dans  son  livre,  sur  la  façon  dont  il  entendait  con- 
clure la  paix  «  dans  le  cadre  de  la  résolution  du  Reichstag  ».  Sa  lettre  à  Czer- 
nin,  du  17  août  (reproduite  dans  Fur  Staaf  und  Volk,  p.  33:5)  J'indique  de  la 
façon  la  plus  explicite  :  sans  parler  du  rattachement  à  IWlleniagne  de  diverses 
provinces  qui,  en  1914,  appartenaient  à  la  Russie  (Courlande,  Lithuanie, 
Pologne),  il  voulait  assurer  à  l'industrie  allemande  la  possibilité  d'exploiter 
à  son  profit  les  richesses  minérales  du  bassin  de  Briey  et  prendre,  d'accord 
avec  le  haut  commandement,  les  mesures  militaires  requises  pour  que  la 
Belgique  indépendante  tût,  à  tous  égards,  dans  la  main  de  l'Allemagne. 

(3)  Het.fferich,  Dcr  Weltkrieg  (La  guerre  mondiale),  IH,  p.  168. 

(1)  Nous  nous  appuyons  ici  sur  le  récit  donné  par  Scheidemann  dans  son 
livre  Der  Zusammenbruch  (L'effondrement),  p.  106  et  suiv.  Nous  considérons 
cet  auteur  comme  digne  de  confiance.  Le  langage  qu'il  attribue  à  Kuhlmann 
s'accorde  d'ailleurs  pleinement  avec  le  message  de  Michaëlis  à  Wcdel  que 
nous  avons  cité  (page  16,  note  2),  et  montre  combien  peu  le  gouvernement 
allemand  était  disposé  à  faire  au  Cardinal  Gasparri  la  réponse  désirée  par  lui. 


302  HISTOIRE  DE   LA  GUERRE 

Les  sept  membres  du  Reichstag  donnèrent  ensuite  leur  avis  : 
M.  Scheidemann,  qui  parla  le  premier,  fut  très  catégorique  ; 
la  Belgique,  exposa-t-il,  est  le  pivot  de  toute  l'affaire  et  il 
faut  nous  déclarer  sans  ambiguïté  prêts  à  l'évacuer.  MM.  Wie- 
ner et  Fehrenbach  parlèrent  dans  le  même  sens.  En  revanche, 
le  comte  Westarp  voulait  que,  dans  la  réponse  au  pape,  on 
se  bornât  à  des  considérations  générales  :  pas  un  mot  sur 
la  Belgique  ;  il  est,  disait-il,  manifeste  que  ce  pays,  après 
la  guerre,  devra  tomber  sous  la  domination  de  l'Angleterre, 
ou  sous  celle  de  l'Allemagne,  et  cette  dernière  solution  était 
seule  acceptable  à  ses  yeux.  Stresemann  tint  à  peu  près  le 
même  langage.  Selon  Erzberger  et  Ebert,  il  convenait  d'ac- 
quiescer en  gros  aux  propositions,  en  évitant  de  rien  dire 
de  trop  précis  sur  la  Belgique  (1). 

Au  cours  d'un  entretien  confidentiel  avec  le  ministre  Kiihl- 
mann,  M.  Scheidemann,  le  9  septembre  (2),  insista  encore 
de  la  façon  la  plus  pressante  pour  que,  dans  la  réponse  au 
pape,  le  gouvernement  déclarât  qu'il  n'avait  aucune  intention 
d'annexer  la  moindre  partie  de  la  Belgique,  et  voulait  que 
ce  pays  recouvrât  son  indépendance  pleine  et  entière.  Le 
ministre  refusa  de  prendre  aucun  engagement,  invoquant 
toutes  sortes  de  raisons  politiques  et  diplomatiques,  dont 
celle-ci,  qu'il  faut  signaler  à  part  :  «  Si  nous  faisons,  avant 
l'ouverture  des  négociations,  la  déclaration  demandée,  nous 
nous  dessaisissons  de  notre  seule  bonne  carte  ».  Le  mot 
caractérise  bien  la  politique  de  Kiihlmann  :  joueur  qui  se 
croit  très  habile,  il  tient  en  réserve  un  atout  majeur  et  veut 

(1)  Un  incident,  —  significatif  en  ce  que,  rapproché  du  langage  tenu  par 
Erzberger,  il  nous  éclaire  sur  la  sincérité  du  parti  qui,  le  9  juillet,  avait  pris 
l'initiative  de  la  résolution  de  paix,  —  se  produisit  à  cette  occasion.  Le  comte 
Weslarp,  dans  son  discours,  cita  un  mot  de  Spahn,  membre  très  influent  du 
Centre,  qui  avait  dit  en  séance  publique  :  «  La  Belgique  doit  tomber  dans  la 
dépendance  de  l'Allemagne.  »  A  cela,  Erzberger  répondit  :  «  C'est  un  lapsus, 
Spahn  a  voulu  dire  que  la  Belgique  ne  devait  ni  économiquement,  ni  politi- 
quement, ni  militairement  être  inféodée  à  nos  ennemis.  »  Spahn. plus  tard 
(en  1919)  protesta  centre  cette  soi-disant  erreur  de  langage.  En  somine,  le 
parti  du  Centre  se  réservait,  à  l'égard  de  la  résolution  qu'il  avait  fait  voter, 
la  même  liberté  d'interprétation  que  le  chancelier. 

(2)  A  cette  date  du  9  septembre,  Michaëlis  avait,  depuis  quatre  jours,  reçu 
la  lettre  du  nonce  Pacelli  et  la  traduction  française  du  télégramme  adressé 
le  21  août  par  M.  Balfour  au  comte  de  Salis,  M.  de  Kiihlmann,  nous  l'avons 
vu,  était  au  courant.  Il  ne  dit  cependant  rien  de  cette  commiuiication  si  im- 
portante ni  à  M.  Scheidemann  ni  à  aucun  membre  du  Comité  des  Sept.  Le 
député  Millier,  à  l'Assemblée  de  ^Yeimar,  a  reproché  avec  raison  ce  silence 
à  Michaëlis  et  à  Kiihlmann. 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEA1AND  ET  LA  PAIX  EN   1917      30 


3"^:) 


s'en  servir  pour  s'assurer  un  bénéfice  au  moment  du  règle- 
ment ;  malgré  les  avis  réitérés  qu'il  a  reçus  de  l'ennemi, 
des  neutres  bienveillants,  d'Autriche  et  même  d'Allemagne  ; 
il  ne  comprend  pas  que  l'instant  est  venu  de  jouer  franc  jeu, 
que,  s'il  y  a  quelque  espoir  d'amener  le  gouvernement  anglais 
à  traiter,  c'est  en  disant  nettement,  comme  l'eût  sans  doute 
fait  Bethmann  Hollweg  :  il  va  de  soi  que  l'Allemagne  recon- 
naît la  pleine  indépendance  de  la  Belgique  (1). 

Cet  entretien  de  M.  Scheidemann  avec  M.  de  Kiihlmann 
sur  le  sofa  rouge  du  ministère  (2),  précéda  de  fort  peu  le 
Conseil  de  Couronne,  qui  se  tint,  le  1 1  septembre,  au  château 
de  Bellevue  (Berlin),  et  où  furent  définitivement  arrêtés  les 
termes  de  la  réponse  au  pape. 


Il 

L'empereur  Guillaume  revient,  le  9,  d'un  voyage  au  front 
oriental,  plus  particulièrement  de  Riga,  que  ses  troupes 
occupent,  et  il  est,  on  peut  le  croire,  tout  gonflé  de  ce  succès  ; 
à  la  station  de  Friedrichstrasse,  il  trouve  Michaëlis,  qui  monte 
dans  sa  voiture  et  l'accompagne  à  Potsdam.  Le  chancelier 
lui  communique  la  lettre  du  nonce  Pacelli  (3).  lis  sont  du 
même  avis  :  l'Angleterre  veut  pressentir  l'Allemagne  ;  la 
dépêche  de  Balfour  au  comte  de  Salis  est  une  première  ouver- 
ture de  paix.  Cette  pensée  réjouit  le  cœur  de  Guillaume,  mais 

(1.)  M.  de  Kiihlmann  s'est  aperçu  trop  tard,  quand  les  négociations,  contrai- 
rement à  ses  espérances,  eurent  été  rompues,  de  la  faute  commise.  Il  a  cher- 
ché alors  à  faire  admettre  par  l'opinion  que  le  véritable  obstacle  à  la  paix,  ce 
n'était  pas  du  tout  la  Belgique,  sur  laquelle  l'Allemagne  eût  abandonné  toute 
prétention,  mais  l'Alsace  sur  laquelle  la  France,  soutenue  par  l'Angleterre, 
se  refusait  à  abandonner  ses  prétentions.  De  là  le  fameux  Nein  !  Nicmals  ! 
du  9  octobre. 

(2)  Nous  avons  dit  qu'il  est  du  dimanche  0  septembre,  M.  de  Kiihlmann  dit 
à  un  certain  moment  à  M.  Scheidemann  :  «  Vous  vous  rappellerez  très  distinc- 
tement dans  trois  à  quatre  semaines  cette  après-midi  dominicale  où  vous 
êtes  assis  à  côté  de  moi  sur  ce  sofa  rouge.  A  ce  moment,  les  négociations  entre 
l'Angleterre  et  nous  sur  la  question  belge  seront  en  cours.  Vous  accorderez 
que,  dans  ces  conditions,  ce  serait  vraiment  de  la  simplicité  de  rendre  les  né- 
gociations (le  marchandage)  impossibles  en  disant  au  monde,  dans  notre 
réponse  au  pape,  de  quoi  nous  voulons  nous  entretenir.  Il  n'y  aurait  plus  de 
terrain  de  discussion,  notre  réponse  ayant  rendu  tout  débat  superflu.  » 
(Scheidemann,  Der  Zusammenbnich,  p.  112.) 

(3)  Voir  page  21  le  texte  de  cette  lettre.  Nous  traduisons,  en  l'abrégeant 
un  peu,  le  récit  de  Michaëlis  dans  Fur  Slaal  und  Volk,  p.  344  et  suiv. 


304  HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 

le  chancelier  a  raison  ;  il  faut  avant  tout  procéder  à  un 
sondage  prudent,  et  aussi  fixer  de  façon  définitive  les  buts  de 
guerre  allemands,  après  avoir  consulté  le  haut  commandement 
militaire  et  le  naval.  Après  délibération,  il  est  décidé  qu'un 
conseil  se  tiendra  le  surlendemain,  1 1  septembre,  au  château 
de  Bellevue,  que  la  question  belge  y  sera  examinée  et  résolue, 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  d'être  intransigeant  quant  à  la  côte 
flamande  ou  à  toute  autre  partie  du  territoire  belge,  si,  par 
leur  abandon,  l'on  peut  conclure  une  paix  honorable.  Mi- 
chaëlis,  satisfait  de  cet  accord,  revient  à  Berlin,  met  Kuhlmann 
au  courant,  et  envoie  des  convocations  au  maréchal  Hinden- 
burg,  au  général  Ludendorff,  au  ministre  de  la  marine,  l'amiral 
von  Capelle,  au  chef  de  l'amirauté,  Holtzendorff,  au  gou- 
verneur général  de  la  Belgique,  Falkenhausen,  aux  ministres 
Helfferich,  Rodern,  Breitenbach  et  Waldow.  Avec  M.  de 
Kuhlmann,  le  chancelier  lui-même,  l'empereur  et  le  kronprinz, 
ce  sont  ces  personnages  qui  eurent  part  au  conseil  de  Bel- 
levue. 

La  nuit  suivante,  un  courrier  de  l'empereur  vint  troubler 
le  sommeil  du  chancelier  :  il  apportait  un  message  écrit  au 
crayon  par  Guillaume,  sur  ces  bouts  de  papier  qui  servent 
à  la  rédaction  des  télégrammes,  onze  en  tout.  L'empereur 
avait  dû,  après  son  entretien  avec  Michaëlis,  écouter  d'autres 
conseillers,  des  gens  de  la  marine  surtout.  Il  exposait  les 
motifs  qui  lui  faisaient  regretter  la  décision  prise,  touchant 
la  côte  flamande.  Pendant  les  années  1915  et  1916,  il  avait 
soutenu  qu'au  point  de  vue  naval,  la  côte  flamande  était 
l'enjeu  principal  de  la  guerre.  Y  renoncer,  c'était  annuler  en 
quelque  sorte  la  bataille  du  Skagerrak  (1)  ;  il  fallait  donc 
examiner  si  l'on  ne  devait  pas  traiter  à  part  de  Zeebruges. 
Ce  port  de  Zeebruges,  sans  utilité  pour  le  commerce,  n'avait 
qu'une  valeur  militaire  ;  on  l'avait  construit  tout  exprès  pour 
permettre  un  débarquement  de  troupes  anglaises  destinées 
à  combattre  l'Allemagne  ;  on  pourrait  offrir  de  prendre 
Zeebruges  à  bail.  En  cas  qu'on  dût  y  renoncer,  il  y  avait  lieu 
d'exiger  des  compensations,  par  exemple  des  points  d'appui 
pour  la  flotte  dans  la  Méditerranée.  L'empereur,  ajoute  Mi- 
chaëlis, entendait  réserver  sa  liberté  d'action  au  Conseil  de 
Couronne.  " 

(1)  Skagerrak  umsonst  ! 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX  EN  1917   305 

Sitôt  la  lettre  reçue,  le  chancelier  manda  M.  de  Kiihlmann 
pour  examiner  en  commun  la  situation.  Si  l'empereur  s'en 
tenait  à  sa  nouvelle  détermination,  toute  leur  politique  s'ef- 
fondrait (1).  Kiihlmann  ne  parlait  de  rien  moins  que  de  donner 
sa  démission.  Michaëlis  le  calma  :  «  il  connaissait  l'empereur  ; 
l'empereur  a  voulu,  une  dernière  fois,  parler  selon  son  cœur  ; 
mais,  quand  il  s'agira  de  prendre  une  décision  définitive,  il  se 
retrouvera  de  notre  côté  ». 

Le  jour  suivant,  Michaëlis  pria  l'empereur  de  lui  accorder 
audience,  avant  le  conseil.  L'entretien  eut  lieu  dans  le  parc  du 
château  :  une  heure  de  promenade  en  commun  dans  les  allées, 
et  la  voix,  sans  doute  persuasive,  du  chancelier  avait  amené 
le  revirement  attendu  ;  l'empereur  n'avait  voulu  que  montrer 
l'étendue  du  sacrifice  auquel  il  consentait  par  amour  de  la 
paix  ;  le  chancelier  pouvait  maintenant  parler  en  toute  liberté  : 
son  souverain  l'appuierait. 

A  dix  heures,  s'ouvrit  la  séance  mémorable  où,  avec  plus 
de  sagesse  et  de  clairvoyance,  les  hommes  qui  gouvernaient 
l'Allemagne  auraient  pu,  selon  Delbruck,  sauver  l'Etat  (2). 
Que  s'y  est-i!  passé  au  juste  ?  Il  faut  observer  en  premier 
lieu,  qu'aucun  procès-verbal  n'a  été  dressé,  de  sorte  que  nous 
en  sommes  réduits  aux  récits  des  assistants.  Le  plus  complet 
est  celui  de  Michaëlis,  mais  on  ne  peut  négliger  ni  ce  qu'a  dit 
Ludendorff  dans  Kriegfiikrimg  und  Politik  (Stratégie  et  poli- 
tique), ni  ce  que  rapporte  Nowak  dans  Der  Sturz  der  Mittel- 
m'dchte  (L'écroulement  des  Empires  centraux)  (3).  A  défaut 
de  procès-verbal  toutefois,  il  existe  une  note  rédigée  par  Mi- 
chaëlis. contre-signée  par  Guilaume,  qui  reproduit  le  résumé 
de  la  discussion  fait  par  l'empereur  à  la  fin  de  la  séance.  Nous 
commencerons  par  donner  la  traduction  de  ce  document  : 

Cl)  Michaëlis  tient  ce  langage  après  coup,  comme  si,  à  la  date  du  10  sep- 
tembre, il  eût  été  décidé  à  l'abandon  de  toute  prétention  sur  la  Belgique. 
Nous  ne  lisons  pas  dans  son  cœur, cela  est  clair  ;  tout  ce  que  nous  pouvons 
dire,  c'est  que  la  lecture  de  son  ouvrage  ne  prouve  pas  que  cette  décision  fiit 
très  arrêtée  dans  son  esprit. 

(2)  Citons  ce  mot  de  Dclbriick  dans  l'opuscule  intitulé  Liidendorffs  Selbf^l- 
portràt,  p.  20  :  Quelle  résolution  a-t-on  prise  au  conseil  de  Bellevue  ?  «  Ce 
n'est  pas  une  question  parmi  beaucoup  d'autres  ;  c'est  La  question  décisive 
en  ce  qui  touche  toute  la  politique  de  guerre  allemande  .  » 

(3)  Xowak  parait  avoir  été  renseigné  par  Kiihlmann,  dont  il  cherche  à  dis- 
simuler certaines  faiblesses.  HelfFerich,dans  le  troisième  volume  de  son  ou- 
vrage Der  Weîtkrieg,  ne  parle  qu'assez  sommairement  du  conseil  de  Bellevue, 
auquel  il  assistait,  mais  où  il  semble  n'avoir  rien  dit. 


3o6  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

«  Sa  Majesté  l'Empereur  déclara  que  la  situation  avait  ceci 
de  nouveau  qu'on  se  trouvait  en  présence  d'une  proposition 
positive  de  paix.  L'Angleterre  voulait  savoir  ce  qu'il  advien- 
drait de  la  Belgique.  Il  avait,  lui  l'empereur,  toujours  attendu 
quelque  invite  de  l'ennemi.  Or  voici  l'Angleterre  qui  vient  à 
nous,  avec  prudence  il  est  vrai,  mais  enfin  elle  y  vient.  C'est 
la  preuve  qu'elle  tient  la  partie  pour  perdue  ;  il  faut  voir  là 
surtout  l'effet  de  la  contrainte  qu'exerce  la  guerre  sous-ma- 
rine. Il  ne  s'agit  plus,  en  première  ligne,  dé  la  famine  qui 
menace  ;  c'est  une  question  de  tonnage.  L'Angleterre  tient  à 
jour  le  compte  des  navires  coulés  et  sait  très  exactement 
quelle  doit  être  la  limite  de  ses  sacrifices  ;  maintenant  cette 
limite  est  atteinte. 

«  De  plus,  l'effondrement  de  la  Russie  aggrave  la  détresse 
de  l'Angleterre  ;  on  ne  parle  plus  de  «  rouleau  compresseur  ». 

«  Il  faut  ajouter  encore  que  la  récolte  est  mauvaise  ;  on  n'en- 
grange dans  certaines  régions  que  la  moitié  de  ce  qu'on  es- 
pérait. En  Irlande,  dès  le  mois  de  juin,  les  pommes  de  terre 
étaient  gelées, 

«  Et  l'état  d'esprit  des  ouvriers  donne  beaucoup  d'inquiétu- 
de à  l'Angleterre. 

«  Enfin  les  Anglais  craignent  que  l'Amérique  ne  prenne  trop 
d'influence.  Les  Français  comptent  sur  les  Américains,  pour 
bouter  les  Anglais  hors  de  France.  Les  Anglais,  eux,  redoutent 
la  prépondérance  de  l'Amérique  : 

«  La  démarche  de  l'Angleterre  doit  être  considérée  comme 
un  grand  succès  [pour  l'Allem.agne].  Précisément  parce  que 
c'est  l'Angleterre,  et  non  la  Russie  ou  l'Italie  ;  car  l'Angleterre 
peut  agir  comme  un  coin  sur  les  autres  puissances. 

«  En  ce  qui  touche  les  buts  de  guerre,  en  Belgique,  Sa 
Majesté  avait  d'abord  acquiescé  à  l'idée  de  Falkenhausen, 
c'est-à-dire  à  l'annexion  de  ce  pays  jusqu'à  la  mer  du  Nord. 
La  situation  est  maintenant  différente,  et  l'empereur  veut,  en 
conséquence,  prendre  une  position  nouvelle.  L'annexion  de  la 
Belgique  serait  une  opération  risquée,  contraire  peut-être  aux 
vrais  intérêts  de  l'Allemagne.  Le  Cardinal  Hartmann  la  dé- 
conseille, ayant  égard  au  clergé  belge  dangereux,  et  aux  Wal- 
lons, concitoyens  très  peu  désirables.  Ainsi,  la  Belgique  peut 
être  restaurée,  le  roi  des  Belges  peut  y  rentrer.  Quant  aux 
désirs  du  haut  commandement  et  de  la  marine,  il  en  a  été  parlé 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX  EN  1917   307 

abondamment.  Il  faut  reconnaître  que  la  côte  flamande  a  une 
grande  importance  ;  c'est  pour  elle  qu'a  été  livrée  la  bataille 
du  Skagerrak.  Il  ne  fallait  pas  permettre  que  la  côte  flamande 
tombât  aux  mains  des  Anglais.  On  ne  peut  [toutefois]  conser- 
ver la  côte  flamande  sans  annexer  la  Belgique.  L'empereur 
voit  clairement  que  ce  n'est  pas  possible  ;  mais,  si  elle  renonce' 
à  cette  côte,  l'Allemagne  a  droit  à  des  compensations,  sans 
quoi  cette  politique  ne  pourrait  pas  être  soutenue.  II  faut  que 
nulle  influence  anglaise  ne  puisse  s'exercer  sur  la  Belgique  ; 
il  faut  des  mesures  de  précaution  économiques  ;  il  faut  que 
la  question  flamande  soit  réglée,  —  mais  ce  sont  là,  d'après 
Sa  Majesté,  des  questions  purement  germano-belges  (1).  Il  y 
aurait  de  plus  à  réclamer  un  autre  point  d'appui  pour  la  flotte 
allemande,  disons  dans  la  Méditerranée  ;  l'empereur  pense  à 
Vallona  ou  à  Corfou. 

«  C'est  aussi  entre  l'Allemagne  et  la  Belgique  qu'un  arran- 
gement concernant  Liège  pourrait  être  conclu. 

«  La  situation,  au  début  de  cette  quatrième  année  de  guerre, 
nous  oblige,  en  cas  que  nous  puissions  obtenir  une  paix  hon- 
nête, une  paix  convenable  (2),  à  ne  pas  nous  laisser  arrêter 
par  la  côte  flamande.  Mais  il  faudrait  exiger  une  union  éco- 
nomique étroite  avec  la  Belgique,  union  à  laquelle  les  Belges 
eux-mêmes  ont  d'ailleurs  le  plus  grand  intérêt.  » 

La  lecture  de  cette  note  suffit  à  faire  comprendre  combien 
peu  les  négociations  avaient  chance  de  s'ouvrir.  L'empereur 
croit  ou  feint  de  croire  que  l'Angleterre  est  à  bout  de  sacrifi- 
ces ;  il  met  à  la  restauration  de  la  Belgique  des  conditions 
telles  qu'aucun  des  Alliés  n'eût  jamais  consenti  à  les  discuter. 
Michaëlis,  dans  la  lettre  qu'il  écrit  à  l'empereur  pour  le  prier 
de  contre-signer  cette  note,  a  beau  le  remercier  d'avoir  si 
clairement  défini  la  position  prise  par  l'Allemagne,  et  rendu 
possible  un  accord  avec  l'Angleterre  ;  M.  de  Kuhlmann  a  beau 
se  vanter  d'avoir  un  blanc-seing  laissant  la  Belgique  à  son 
entière  disposition  ;  Guillaume  lui-même  a  beau  dire  à  M.  de 
Kuhlmann  à  la  fin  de  la  séance  :  «  Montrez-nous  maintenant 
ce  que  vous  savez  faire,  et  donnez-nous  une  bonne  paix  pour 

(1)  Rein  belgisch-deulsche  Fragen.  Autrement  dit,  l'Alleniagne  entend  les 
résoudre  par  un  accord  direct  avec  la  Belgique,  sans  intervention  des  autres 
puissances. 

(2)  Einen  ehrlichcn,  anstândigen  Frieden. 


308  HISTOIRE   DE  LA   GUERRE 

la  Noël  »,  il  est  clair  que  les  décisions  prises  au  château  de 
Bellevue  sont  un  compromis  bâtard  entre  la  politique  de  l'E- 
tat-major,  nettement  annexionniste,  et  celle  des  partis  de 
gauche,  opposée  à  toute  annexion,  même  déguisée,  au  moins 
sur  la  frontière  occidentale  (1). 

Quelle  avait  été  au  conseil  l'attitude  des  grands  chefs  ? 
Quelle  surtout  celle  de  Ludendorff,  le  maître  effectif  ?  Car, 
si  l'on  en  croit  le  colonel  Bauer,  VEminence  grise^  et  Luden- 
dorff lui-même,  Hindenburg  était  un  personnage  très  décoratif, 
mais  peu  agissant  :  eine  ehrwiirdige  Null  (un  zéro  qu'il  fallait 
entourer  de  respect).  A  s'en  tenir  au  récit  que  donne  Ludendorff 
le.  haut  commandement,  consulté,  aurait  d'abord,  comme 
c'était  son  devoir,  donné  son  avis  :  «  il  tenait  pour  nécessaire 
la  possession  de  la  ligne  de  la  Meuse  aux  environs  de  Liège, 
afin  de  garantir  la  sécurité  de  la  région  industrielle  de  Basse- 
Rhénanie,  et  en  même  temps  de  s'opposer  à  la  mainmise  de 
l'ennemi  sur  la  Belgique.  Sa  Majesté  l'Empereur  prit  position 
comme  l'avait  fait  le  chancelier,  dans  son  entretien  avec  le 
nonce  du  26  juin  (2).  Elle  décida  contre  le  haut  comman- 
dement. Le  haut  commandement  s'inclina  devant  la  décision  de 
Sa  Majesté  (3)  ». 

Et  Ludendorff  ajoute  :  «  Il  n'est  donc  pas  vrai  que  le  haut 
commandement  ait,  comme  on  l'en  a  plus  tard  accusé,  saboté 
la  paix  qui  s'offrait  en  1917  ». 

Mais  dans  le  livre  même  d'où  nous  extrayons  ce  passage, 
Ludendorff  reproduit  la  plus  grande  partie  du  mémoire  rédigé 

(1)  I]  semble  en  efTet  qu'à  l'Est  les  socialistes  eux-mêmes  aient  admis  que 
certaines  annexions,  certains  rallachemenls,  pourraient  être  justifiés. 

(2)  Assertion  dont  l'inexactitude  est  si  manifeste  qu'il  est  à  peine  utile  de 
la  relever.  Pour  Bethman  Holhveg,  l'indépendance  de  la  Belgique  ne  faisait 
pas  question  ;  et  il  était  dispose  à  faire  en  Alsace-Lorraine  des  concessions  à 
la  France. 

(3)  Kriegfuhrûng  und  Politik,  p.  280.  Suivant  le  récit  très  incomplet  de 
Helfferich,  le  chancelier  et  M.  de  Kiihlmann,  après  des  allusions  obscures 
aux  ouvertures  faites  par  l'Angleterre  auraient  dit  que  la  condition  essentielle 
était  l'abandon  total  de  la  Belgique,  il  convenait  de  s'y  résigner.  Le  chef  de 
l'état-major  naval  aurait  réclamé  l'annexion  de  la  côte  flamande.  LudendorlT 
aurait  consenti  à  évacuer  la  côte  flamande,  mais  insisté  sur  la  nécessité  de 
conserver  Liège  et  ses  environs.  L'empereur  enfin  se  serait  prononcé  dans 
le  sens  du  cliancelier,  avec  cette  réserve  que  la  question  belge  devrait  être 
soumise  à  un  nouvel  examen  en  cas  que,  par  la  renonciation  à  la  Belgique,  on 
ne  pût  obtenir  la  paix  avant  la  fin  de  l'année.  Helfferich  ne  donne  évidem- 
ment qu'une  sorte  de  schéma  des  positions  prises  par  les  principaux  per- 
sonnages ayant  eu  part  aux  débats  {Der  Weltkrieg,  III,  p.  171). 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX  EN  1917   3O9 

par  lui  à  l'occasion  du  conseil  de  Bellevue  (1).  Or,  dans  ce 
mémoire,  loin  de  s'incliner  devant  une  décision  qui  eut  mis  fin 
à  toute  velléité  d'annexion,  il  déclare  que  même  la  possession 
de  la  ligne  de  la  Meuse,  avec  Liège  naturellement,  ne  suffit 
pas  à  garantir  la  sécurité  du  district  industriel  rhénan  ;  il  ré- 
clame, outre  le  bassin  de  Briey,  un  rattachement  économique 
si  étroit  de  la  Belgique  à  l'Allemagne  que  le  rattachement 
politique  devait  en  être  la  conséquence  naturelle.  Le  27  sep- 
tembre, un  peu  plus  de  deux  semaines  après  le  conseil  de 
Bellevue,  le  haut  commandement,  représenté  par  le  maréchal 
Hindenburg,  télégraphie  au  chancelier  :«  Il  m'est  de  nouveau 
revenu  que  nous  aurions  soi-disant  renoncé,  dans  le  Conseil 
de  Couronne,  à  l'annexion  de  la  Belgique.  II  ne  s'agissait  en 
réalité  que  de  la  possession  permanente  de  la  côte  flamande, 
à  laquelle  nous  avons  renoncé,  au  cas  qu'il  soit  possible  à  ce 
prix  d'avoir  la  paix  cette  année  et  que  les  Anglais  évacuent  le 
territoire  français  »(2).  Enfin  Ludendorff,  toujours  dans  cet 
ouvrage  où  il  raconte  à  sa  manière  le  conseil  de  Bellevue,  nous 
dit  que,  jusqu'au  mois  d'août  1918,  il  est  resté  intérieurement 
attaché  aux  buts  de  guerre  fixés  par  lui,  et  reproche  au  chan- 
celier d'avoir,  par  l'emploi  du  mot  Verstàndigungsfriede  (paix 
de  conciliation)  «  épaissi  le  nuage  qui  pesait  sur  le  peuple  »  (3). 
Si  donc  Ludendorff  avait  eu  à  s'incliner,  comme  il  le  pré- 
tend, il  se  serait  bien  vite  redressé.  Mais  telle  qu'elle  nous  ap- 
paraît dans  la  note  rédigée  par  Michaëlis,  la  décision  de 
l'empereur  n'avait  rien  eu  de  si  contraire  aux  désirs  du  haut 
commandement,  et  Ludendorff,  pour  s'y  résigner,  n'a  pas  eu 
besoin  d'une  force  d'âme  exceptionnelle.  L'Allemagne  renonce 
à  la  possession  définitive  de  la  côte  flamande  (4)  ;  elle  veut 
bien  ne  pas  s'annexer  la  Belgique  ;  mais,  outre  qu'elle  entend 
se  faire  payer  assez  cher  ces  sacrifices,  elle  réglera  seule  à 

(1)  Par  une  petite  habileté  que  Delbrûck  a  relevée,  cette  reproduction  se 
trouve  environ  35  pages  avant  le  passage  relatif  au  conseil  de  Bellevue.  Dans 
les  Urkunden  der  obcrsten  Ileeresleitung  (Documents  du  haut  commande- 
ment) le  mémoire  est  repoduit  in  extenso. 

(2)  Nous  citons  ce  télégramme  d'après  Delbriick  :  Ludendorjfs  Selbslportrdt, 
p.  21,  qui  en  donne  le  texte  conservé  au  Reicbsarchiv  de  Potsdam. 

(3)  Kriegfuhrung  und  Politik,  p.  252  et  253. 

(4)  Selon  toute  vraisemblance,  pour  calmer  Tinquiétude  des  militaires  et 
des  marins,  on  avait  dit  qu'on  occuperait  la  côte  flamande  aussi  longtemps 
que  les  troupes  anglaises  n'auraient  pas  complètement  évacué  le  territoire 
français. 


310 


HISTOIRE  DE   LA  GUERRE 


seule  avec  la  Belgique  un  certain  nombre  de  questions  qui  ne 
laissent  pas  d'avoir  leur  importance  ;  elle  se  réserve  d'occuper 
Liège  aussi  longtemps  qu'il  faudra  pour  garantir  sa  propre 
sécurité,  et  s'assurer  une  foule  d'avantages  nullement  négli- 
geables. 

Tout  cela  ressort  du  récit  de  Michaëlis  auquel  nous  reve- 
nons :  après  que  le  chancelier  eut  exposé  la  situation  et  af- 
firmé, avec  énergie,  à  ce  qu'il  prétend,  que  si  des  possibilités 
de  paix  s'offraient,  l'Allemagne  ne  devait  pas,  par  attachement 
à  ses  buts  de  conquête,  tels  que  la  possession  de  la  côte  fla- 
mande, repousser  la  main  tendue  ;  après  qu'il  eut  parlé  du 
besoin  que  le  peuple  ressentait  de  la  paix,  et  montré  que,  fi- 
nancièrement et  économiquement,  il  était  nécessaire  d'arriver 
le  plus  vite  possible  à  la  cessation  des  hostilités,  Hinden- 
burg  et  Ludendorff  consentirent  à  l'abandon  de  la  côte  fla- 
mande ;  mais  Ludendorff  exprima  l'avis  que,  pour  garantir 
la  sécurité  du  territoire  industriel  rhénan,  il  fallait  garder 
Liège  (1). 

Selon  Nowak  également  (2),  Ludendorff  accepta  la  thèse 
du  chancelier  (3)  et  de  Kuhlmann  :  l'indépendance  et 
l'intégrité  territoriale  de  la  Belgique  devant  servir  de  monnaie 
d'échange  ;  mais  il  demanda  Liège  et  des  sûretés  économi- 
ques ;  il  voulut  même  que  la  position  prise  par  lui  fût  définie 
dans  une  formule  écrite,  ajoutée  aux  pleins  pouvoirs  réclamés 
par  M.  de  Kuhlmann-  «  L'empereur,  dit  encore  Nowak,  ac- 
corda à  Kuhlmann  ces  pleins  pouvoirs,  avec  la  clause  de 
Ludendorff  (4)  ». 

Kuhlmann  et  Michaëlis  lui-même,  à  supposer  que  ce  dernier 
ait  jamais  voulu  sincèrement  reconnaître  la  pleine  indépendan- 
ce de  la  Belgique  et  lui  restituer  la  totalité  de  son  territoire, 
ont,  en  somme,  capitulé  devant  le  haut  commandement  ;  c'est 
eux  qui  se  sont  inclinés.  Cela  se  voit  encore  plus  clairement 
dans  les  lettres  écrites,  le  12  septembre,  par  Michaëlis  au 
maréchal  Hindenburg  et  à  l'amiral  Holtzendorff. 

(1)  Fur  Staat  und  Volk,  p.  347. 

(2)  Der  Sturz  der  Mittelmâchte,  p.  160. 

(3)  Par  une  erreur  bizarre,  Nowak  nomme  ici  Hertling  au  lieu  de  Michaëlis. 

(4)  Nowak  ajoute:  le  ministre  se  trouvait  disposer  d'un  blanc-seing,  s'il  vou- 
lait mettre  sur  la  table,  dans  ses  négociations,  les  concessions  faites  en  Bel- 
gique. Est-il  besoin  de  signaler  l'inconséquence  ?  Les  Allemands  auraient  dû 
se  rappeler  le  vieil  adage  français  :  donner  ei  retenir  ne  vaut. 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX  EN  1917   511 

Dans  la  première,  Michaëlis  commence  par  remercier  le 
maréchal,  et  aussi  Ludendorff,  d'avoir  consenti  à  abandonner 
le  point  de  vue  purement  militaire  et,  d'accord  avec  lui,  de 
s'être  résignés  à  des  buts  de  guerre  modérés,  en  vue  des  né- 
gociations qui  pourraient  s'ouvrir.  Il  ajoute  :  «  Je  fais  entrer 
dans  mes  projets  comme  une  exigence  du  haut  commandement 
à  laquelle,  suivant  votre  opinion,  il  faut  absolument  faire  droit, 
ce  que  vous  réclamez  :  à  savoir,  pour  la  protection  de  notre 
industrie,  en  première  ligne,  l'occupation  de  Liège  et  d'un 
territoire  de  sûreté  ;  en  second  lieu,  espérant  le  rattachement 
économique  étroit  de  la  Belgique  et,  conséquemment,  la  dis- 
parition de  toute  crainte  de  différend  entre  elle  et  nous,  vous 
admettez  qu'après  que  la  Belgique  aura  fait  tout  ce  que  nous 
pourrons  exiger,  ce  qui  prendra  naturellement  plusieurs  an- 
nées, les  garanties  militaires  pourront  être  abandonnées. 
«  Liège  ne  serait  donc  retenu  par  nous  qu'à  titre  de  garantie 
et  pour  un  temps  »  (1). 

Michaëlis  prie  ensuite  le  maréchal  de  tenir  aux  annexion- 
nistes intransigeants  (il  nomme  en  particulier  le  comte  Wes- 
tarp)  un  langage  propre  à  les  apaiser,  puis  il  fait  valoir  les 
avantages  que  la  paix,  telle  qu'il  l'a  en  vue,  procurerait  à  l'Al- 
lemagne :  frontières  intactes,  certitude  de  pouvoir  exploiter  les 
richesses  en  matières  premières  contenues  dans  les  territoires 
occupés  (2),  conditions  favorables  au  commerce  et  à  l'industrie 
allemande  sur  les  voies  d'eau  et  les  chemins  de  fer,  emplace- 
ments privilégiés  dans  le  port  d'Anvers,  influence  exercée  sur 
la  population  flamande  de  tendances  germanophiles,  charges 
imposées  aux  ennemis,  qui  auraient  seuls  à  supporter  la  ré- 
paration des  lourds  dommages  de  guerre,  suppression  de  tou- 
te influence  anglaise  sur  les  côtes  de  Flandre  et  du  Nord  de 
la  France,  restitution  à  l'Allemagne  de  ses  colonies. 

Ce  ne  serait  donc  pas  du  tout  une  paix  de  renoncement, 
imposée  par  la  famine  ;  les  nationalistes  ardents  qui  ne  rê- 
vent que  conquêtes  (iinsere  Stiirmer  and  Dr'ànger)  peuvent  se 
tranquilliser  (3). 

(1)  Fur  Slaat  und  Volk,  p.  352. 

(2)  Il  s'agit  apparemment  du  minerai  de  fer  existant  dans  le  bassin  de 
Briey,  dont  les  Allemands  entendaient  se  réserver  l'exploitation,  peut-être 
aussi  des  bassins  houillers  belges  et  même  français. 

(3)  La  réponse  de  Hindenburg,  que  Michaëlis  n'a  pas  cru  devoir  repro- 
duire, mais  que  nous  connaissons  d'ailleurs,  montre  elle  aussi  combien  peu 


3T2 


HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 


A  l'amiral,  Michaëlis  tient  à  peu  près  le  même  langage.  Il 
s'excuse  d'avoir  été  obligé,  dans  le  conseil,  de  prendre  position 
contre  le  haut  commandement  naval,  qui  réclamait  l'annexion 
de  la  côte  flamande,  et  remercie  l'amiral  d'avoir  bien  voulu 
consentir  à  examiner  quelles  compensations  seraient  à  envisa- 
ger en  cas  que  l'on  ne  pût  décidément  pas  donner  pleine  sa- 
tisfaction à  la  marine.  Il  insiste  sur  les  difficultés  de  la  situa- 
tion financière,  difficultés  que  n'imaginent  pas  les  non-initiés  ; 
après  quoi,  dans  les  mêmes  termes  que  d'ans -la  lettre  à  Hin- 
denburg,  il  représente  les  avantages  de  la  paix  projetée. 


III 

La  réponse  officielle  de  l'Allemagne  au  Saint-Siège  était 
déjà  rédigée  le  12  septembre,  puisque  Michaëlis,  en  même 
temps  qu'il  envoyait  à  l'empereur  la  note  ci-dessus  reproduite, 
lui  demandait  d'approuver  les  termes  de  sa  lettre  au  cardinal 
Gasparri.  Toutefois  cette  réponse  ne  fut  envoyée  que  le  19  ; 
peut-être  Michaëlis  a-t-il  voulu  attendre  l'effet  de  la  dé- 
marche tentée  auprès  du  Cabinet  anglais  par  l'entremise 
d'un  diplomate  espagnol.  Il  va  de  soi  que  cette  réponse, 
oeuvre  de  Kiihlmann,  ne  contenait  rien  de  ce  qu'espérait  le 
cardinal  Gasparri,  rien  de  ce  que  demandait  Scheidemann. 
Après  les  compliments  obligatoires,  Michaëlis,  qui  l'a  signée, 
rappelle  le  grand  amour  de  la  paix,  dont  l'empereur  Guil- 
laume a  donné  tant  de  preuves  pendant  vingt-six  ans  de 
règne,  les  efforts  qu'il  a  faits  jusqu'au  dernier  moment  pour 
empêcher  la  guerre  d'éclater,  le  désir  de  mettre  fin  au  conflit 
qu'il  a  manifesté  de  façon  si  évidente  en  offrant,  le  premier, 
d'accord  avec  ses  alliés,  d'engager  des  négociations. 

Les  dispositions  de  l'empereur  sont  d'ailleurs  celles  de 

Je  haut  commandement  «  s'inclinait  ».  Hindenburg  n'entrevoit  pas  la  possi- 
bilité, même  après  des  années,  d'évacuer  Liège  et  la  ligne  de  la  Meuse.  Signa-, 
ions  encore  une  lettre  écrite  par  Hindenburg  au  moment  où  se  négociait  la 
paix  de  Brest-Litowsk  (25  février  1918)  :  «  On  a,  paraît-il,  prétendu  à  Brest- 
Litowsk  que  je  m'étais  prononcé  pour  une  paix  sans  annexions,  et  pour  le 
droit  des  peuples  à  disposer  d'eux-mêmes,  —  autrement  dit  qiie  je  me  pla- 
çais sur  le  terrain  de  la  résolution  votée  par  le  Reichstag.  Je  proteste  avec 
indignation  contre  cette  allégation,  et  je  demande  qu'on  ne  néglige  aucune 
occasion  d'en  proclamer  la  fausseté.  »  (D'après  le  texte  donné  par  Nowak, 
Chaos,  p.  281.) 


Le  gouvernement  Allemand  et  La  paix  en  1917    313 

tout  le  peuple  allemand,  qui  ne  demande  qu'a  développer  en 
paix,  dans  les  limites  de  ses  frontières,  ses  richesses  spi- 
rituelles et  matérielles,  et  ne  prétend  au  dehors  qu'à  la 
place  que  son  travail  et  ses  aptitudes  lui  permettent  d'occu- 
per, sans  faire  violence  à  personne. 

Le  cnancelier  parle  ensuite  de  la  résolution  votée  le  19 
juillet  par  le  Reichstag,  résolution  qui,  dit-il,  s'accorde  avec 
les  désirs  exprimés  par  le  pape  dans  sa  note,  et  où  l'on 
pourrait  trouver  les  bases  d'une  paix  juste  et  durable. 

Suit  un  grand  éloge  des  mesures  que  propose  Sa  Sainteté 
pour  empêcher  le  renouvellement  des  horreurs  présentes  : 
limitation  des  armements,  recours  à  l'arbitrage,  d'une  manière 
générale  substitution  d'un  pouvoir  moral,  du  droit,  à  la  force 
des  armes  ;  nul  peuple  plus  que  l'allemand  ne  désire  qu'un 
esprit  fraternel  règne  entre  les  nations  (1),  etc. 

Ce  que  ce  document  a  de  plus  remarquable,  c'est  qu'i/ 
ne  s'y  trouve  pas  un  mot  sur  la  Belgique,  pas  un  mot  sui 
les  territoires  occupés  en  France,  en  Serbie,  en  Roumanie. 
Le  membre  du  Comité  des  Sept,  que  la  réponse  allemande 
devait  le  plus  satisfaire,  était  certainement  le  comte  Westarp. 
En  revanche,  Monsignore  M.  et  le  Cardinal  Gasparri  ne 
pouvaient  manquer  d'être  fort  déçus. 

Encore  moins  satisfaisante  peut-être,  la  réponse  de  Mi- 
chaëlis  à  la  lettre  particulière  que  lui  avait  écrite  le  nonce, 
à  la  date  du  30  août.  Datée  du  24  septembre,  cette  réponse 
n'a  pas  été  reproduite  par  son  auteur  ;  mais  on  la  trouve  dans 
l'opuscule  d'Oscar  Millier,  intitulée  :  Warum  inussten  wir 
nach  Versailles  !  (Pourquoi  nous  avons  dû  aller  à  Versailles). 

Le  chancelier  commence  par  remercier  le  nonce  des  com- 
munications intéressantes  qu'il  a  bien  voulu  lui  faire  ;  puis  il 
continue  en  ces  termes  : 

«  D'après  la  lettre  de  Votre  Excellence,  Monsieur  le  Car- 
dinal Secrétaire  d'Etat  veut  continuer  l'action  qu'il  a  si  méri- 
toirement  engagée  pour  amener  promptement  une  paix  juste 
et  durable  ;  c'est  avec  une  vive  satisfaction  que  j'ai  pris 
connaissance  de  ce  dessein,  car  les  désirs  du  gouvernement 

(1)  Michaëlis  ne  songe  pas  à  regretter  qu'antérieurement  à  la  guerre,  le 
gouvernement  allemand  ne  se  soit  pas  davantage  inspiré  de  ces  maximes 
généreuses  à  la  conlércnce  de  La  Haye. 


314  HISTOIRE   DE    LA   GUERRE 

impérial  s'accordent  pleinement  avec  les  efforts  de  Son  Emi- 
nence. 

«  Votre  Excellence  me  permettra  de  faire  l'observation  ci- 
après,  au  sujet  de  la  copie,  qu'elle  a  bien  voulu  me  trans- 
mettre, d'un  télégramme  adressé  par  le  gouvernement  royal 
de  Grande-Bretagne  à  son  envoyé  auprès  du  Saint-Siège. 

«  Le  gouvernement  impérial  adhère  à  cette  manière  de 
voir,  que  la  voie  la  meilleure  pour  amener  les  parties  belli- 
gérantes à  un  accord  éventuel  consiste  à  définir  de  façon 
précise  leurs  buts  de  guerre,  car  c'est  en  précisant  avec 
rigueur  les  conditions  requises  des  deux  côtés  qu'il  sera 
possible  de  voir  si,  par  un  examen  entrepris  dans  un  esprit 
de  conciliation,  les  oppositions  actuellement  existantes  peu- 
vent être  aplanies.  Et,  sans  doute,  pour  traiter  les  différents 
points  devant  donner  lieu  à  une  étude,  il  faudra  suivre  un 
certain  ordre  et  adopter  une  méthode  ;  à  mon  sens,  les  ques- 
tions relatives  à  la  Belgique  doivent  venir  en  première  ligne. 

«  Mais  toutes  les  tentatives  de  rapprochement,  —  je  tiens  à 
le  bien  marquer  avant  d'entrer  dans  l'examen  d'aucune  ques- 
tion particulière  — ,  seraient  condamnées  à  demeurer  infruc- 
tueuses si,  aux  échanges  d'idées  entre  belligérants,  ne 
présidait  pas  cet  esprit  d'objectivité  et  de  respect  du  point 
de  vue  propre  à  l'adversaire,  dont  précisément  Sa  Sainteté  le 
Pape  a  donné  aux  nations  un  si  lumineux  exemple,  pendant 
toute  la  durée  de  cette  guerre  effroyable.  » 

Michaëlis  parle  ensuite  de  la  tendance,  manifestée  par  les 
adversaires  de  l'Allemagne,  à  rejeter  sur  les  puissances  cen- 
trales la  responsabilité  de  la  guerre  et  à  prendre  à  leur 
égard  le  ton  qu'on  prend  envers  un  accusé,  appelé  à  compa- 
raître devant  un  tribunal-  Ce  ton  est  encore  perceptible  dans 
le  télégramme  communiqué  par  le  nonce,  bien  que,  suivant 
les  rapports  qui  lui  sont  parvenus,  le  chancelier  sache  que 
des  hommes  d'Etat  anglais  considérables  ont  fait  preuve 
clans  leurs  déclarations  d'un  esprit  plus  objectif,  et  formulé 
des  opinions  admissibles  pour  les  Allemands  eux-mêmes,  des 
opinions  plus  conformes  au  jugement  futur  de  l'histoire.  La 
légitime  fierté  du  peuple  allemand  ne  lui  permettrait  pas 
d'engager  une  discussion  sur  les  conditions  de  la  paix  avec 
des  adversaires  qui  seraient  animés  d'un  autre  esprit  que 
celui  de  cen  hommes  d'Etat. 


LE  GOUVERNEMENT  ALLEMAND  ET  LA  PAIX  EN  1917   315 

Le  chancelier  Michaëlis,  à  dessein  ou  involontairement, 
tient  précisément  le  langage,  on  le  voit,  que  Monsignore  M. 
avait  recommandé  d'éviter,  en  cas  que  l'on  eût  le  désir  sincère 
de  traiter. 

Suivent  des  considérations  sur  les  buts  de  guerre  marqués 
par  les  puissances  de  l'Entente,  dans  leur  réponse  à  la  note 
du  président  Wilson  (au  mois  de  janvier).  Ces  buts  sont 
tels  que  nulle  discussion  n'est  possible  à  leur  sujet,  et  que, 
pour  les  atteindre,  il  faudrait  que  l'Allemagne  et  ses  alliés 
eussent  subi  une  défaite  complète. 

Vient  enfin  le  passage  peut-être  le  plus  caractéristique  de 
la  lettre  : 

«  Si,  dans  l'état  présent  des  choses,  nous  ne  sommes  pas 
en  situation  de  répondre  au  souhait  de  Votre  Excellence,  et 
de  faire  une  déclaration  précise  sur  les  desseins  du  gouver- 
nement allemand,  quant  à  la  Belgique  et  aux  garanties  dési- 
rées par  nous,  le  motif  de  ce  silence  n'est  pas  que  le  gou- 
vernement impérial  soit,  en  principe,  opposé  à  une  décla- 
ration de  cette  sorte,  ou  qu'il  ignore  l'importance  qu'elle 
aurait  pour  la  conclusion  de  la  paix,  ou  encore  que  ses  des- 
seins, et  les  garanties  jugées  par  lui  indispensables,  lui 
paraissent  constituer  un  obstacle  infranchissable,  c'est  sim- 
plement parce  que  certaines  conditions  préalables  qu'im- 
plique à  ses  yeux  cette  déclaration  ne  lui  semblent  pas 
encore  remplies.  » 

Erzberger,  dans  un  discours  prononcé,  le  25  juillet  1919, 
devant  l'Assemblée  Constituante  de  Weimar,  a  raconté,  peut- 
être  en  dramatisant  un  peu,  l'effet  produit  par  cette  réponse 
si  étrangement  enveloppée  :  «  Le  nonce  vint  à  moi,  quand 
j'allai  le  voir,  et  me  dit,  les  yeux  pleins  de  larmes  :  «  Tout 
est  perdu,  et  aussi  votre  malheureuse  patrie  ».  Je  lui  de- 
mandai :  «  Comment,  pourquoi  jugez-vous  ainsi  ?  »  Je  ne 
connaissais  alors  ni  sa  lettre,  ni  la  réponse  (1).  L'action  que, 
par  l'entremise  du  Saint-Siège,  avait  engagée  l'Angleterre, 
avait  échoué  :  c'était  réglé.  Et  ce  qu'il  y  a  de  tragique  et 
d'épouvantable  pour  notre  peuple,  c'est  qu'il  y  avait  eu  possi- 
bilité de  conclure  la  paix  (2)  ». 

(1)  Michaëlis  assure,  au  contraire,  qu'Erzberger  avait  eu  connaissance 
avant  lui-même  de  la  lettre  du  nonce. 

(2)  Verlumdlungcn  cler  verfassnnggebendenDeutscheii  Naliondloersammhing, 
vol.  328,  p.  1938. 


3  lé  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  discuter  une  affirmation  de 
ce  genre.  Notre  dessein,  beaucoup  plus  modeste,  était  de 
montrer  qu'après  avoir  accepté  et  même  sollicité  l'intervention 
du  pape,  le  gouvernement  impérial  avait  tout  fait  pour  qu'elle 
demeurât  sans  résultat.  Que  serait-il  arrivé  cependant,  si, 
au  conseil  de  Bellevue,  s'était  trouvé  un  homme  de  décision, 
si  l'empereur,  si  le  kronprinz,  si  le  chancelier  Michaëlis,  ou 
seulement  le  ministre  Kuhlmann  avaient  eu,  avec  un  sentiment 
plus  juste  de  la  situation,  le  courage  de  parler  net  et  s'ils 
avaient  réussi  à  triompher  de  la  résistance  opposée  par  le 
haut  commandement  ? 

Charles  Appuhn. 


L'Utilisation  des  réserves  dans  l'armée  française 
et  dans  l'armée  allemande  en  1914. 


Cette  question  a  donné  lieu  aux  plus  vives  controverses. 
Il  est  intéressant  et  nécessaire  de  dégager  de  ces  polémiques 
tous  les  renseignements  qui  peuvent  être  acquis  à  l'histoire. 

L'opinion  la  plus  répandue  peut  se  formuler  ainsi  :  au 
début  de  la  guerre,  le  commandement  allemand  a  su  tirer 
de  ses  formations  de  réserve  un  meilleur  parti  que  le  com- 
mandement français  ;  il  a  surpris  celui-ci,  en  mettant  en 
première  ligne  des  corps  de  réserve  à  côté  des  corps  actifs  ; 
c'est  là  une  des  causes  principales  des  revers  que  nous  avons 
subis  en  août  1914- 

Mais  il  y  a  une  autre  opinion,  diamétralement  opposée 
à  la  première  :  le  général  Buat,  actuellement  chef  de  l'Etat- 
major  général  (1),  affirme  qu'en  1914,«  toutes  proportions  gar- 
dées, nous  avions  su  tirer  de  nos  réserves,  et  dès  l'abord,  un 
parti  que  nos  adversaires  n'avaient  pas  osé  prendre  et  que, 
pour  notre  compte,  il  eiit  été  imprudent  de  dépasser  ». 
Ce  n'est  pas  l'Etat-major  français,  c'est  l'Etat-major  allemand 
qui  a  commis  à  cet  égard  une  «  faute  initiale...  immense  », 
car  il  n'a  pas  su  «  profiter  de  la  supériorité  considérable  que 
lui  donnait  l'importance  de  ses  contingents  ».  Ce  n'est  pas 
l'Etat-major  français,  c'est  l'Etat-major  allemand  qui  «  avait 
peu  de  foi  dans  la  capacité  offensive  de  grandes  unités  entiè- 
rement formées  de  réservistes  »  (2).  L'opinion  courante  serait 
donc  radicalement  fausse- 

C'est  ce  qu'il  importe  de  vérifier,  d'un  point  de  vue  stric- 
tement historique. 

(1)  Cet  article  était  entièrement  composé  lorsqu'est  survenue  la  mort 
si  déplorable  de  l'éminent  général  ;  elle  a  causé  des  regrets  unanimes 
auxquels  la  Revue  tient  à  s'associer.    [N.  D.  L.  R.] 

(2)  Général  Buat,  L'armée  allemande  pendant  la  guerre  de  1914-1918,Paris, 
Chapelot,  1920,  p.  14  et  66. 


3i8  HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 

!.  —  EN  ALLEMAGNE 

En  Allemagne  comme  en  France,  il  n'est  pas  douteux  que, 
dans  les  milieux  intéressés,  les  opinions  à  l'égard  des  réserves 
étaient  partagées  :  les  formations  de  réserve  avaient  leurs 
partisans  et  leurs  adversaires  (1). 

Au  cours  du  débat  qui  eut  lieu  au  Parlement  français 
sur  la  «  loi  de  3  ans  »  (du  2  juin  au  6  août  1913),  on  eut 
un  écho  de  ces  divisions.  Jaurès,  combattant  le  projet  de 
loi  et  s'efforçant  de  démontrer  que  l'Allemagne  se  propo- 
serait dès  le  début  de  la  guerre  «  une  opération  de  masses  », 
réserves  comprises,  invoque  von  Falkenhausen  :  «  Mainte- 
nant, pour  répondre  à  des  exigences  de  beaucoup  accrues, 
une  grande  partie  de  ces  formations  (de  réserve)  doit  être 
utilisée  effectivement  dans  le  combat  »  (2).  Mais,  à  en  croire 
les  défenseurs  de  la  loi,  c'étaient  les  tendances  hostiles  aux 
réserves  qui  l'emportaient.  Ils  citent  les  autorités  officielles  : 
von  Heeringen,  ministre  de  la  guerre  :  «...  En  cas  de  guerre 
dans  l'avenir,  nous  ne  serons  pas  obligés  de  conduire  à 
l'ennemi  en  première  ligne  des  hommes  ayant  femme  et 
enfants,  tandis  que  des  hom.mes  jeunes  et  aptes  au  service 
militaire  resteraient  disponibles  et  devraient  recevoir  leur 
première  instruction  militaire  au  début  des  hostilités  »  (3)  ; 
—  von  Einem  :  «  Il  s'agit  de  transformer  de  telle  sorte  l'orga- 
nisation' de  l'armée  que  la  mobilisation...  soit  rendue  plus 
simple,  et  que  l'on  puisse  éviter  de  faire  entrer  dans  les 
troupes  de  ligne,  c'est-à-dire  dans  les  unités  de  première 
ligne,  des  formations  de  réserve,  quelles  qu'elles  soient  »  (4). 
Ces  textes  paraissaient  concluants  à  la  majorité  parlemen- 
taire. Certains  en  déduisaient  que  le  commandement  allemand 
préparait  une  «  attaque  brusquée  »,  avec  des  éléments  formés 
à  peu  près  exclusivement  de  troupes  actives.  «  Ce  n'est  plus 

(1)  Cf.  Général  von  Wrisberg,  Heer  und  Heimath,  1914-1918,  Leipzig, 
1921,  p.  12.  L'auteur  indique  notamment  les  craintes  formulées  par  le  chef 
de  l'Etat-major  bavarois 

(2)  Journal  officiel  du  19  juin  1913,  p.  2003,  et  Jean  Jaurès,  L'armée  nou- 
velle, éd.  de  r  «  Humanité  »  ,  Paris,  1915,  p.  517  ;  l'auteur  ritede  longs 
extraits  du  livre  de  von  Falkenhausen  :  La  guerre  ou  temps  présenf. 

(3)  Joseph  Reinach,  La  loi  militaire.  Cahiers  de  la  Quinzaine,  14  décembre 
1913,  pp.  89-93. 

(4)  J.  Officiel  du  20  juin  1913,  p.  2057. 


l'utilisation  des  réserves  en  1914  319 

une  hypothèse,affirmait  M.  J.  Reinach,  c'est  une  certitude  »  (1). 
«  L'Allemagne,  déclarait  M.  Bénazet,  renonce,  une  fois  pour 
toutes,  à  l'emploi  immédiat  de  formations  de  pure  réserve 
dès  le  début  de  la  campagne.  Au  point  de  vue  militaire,  elle 
déclare  que  ce  serait  une  hérésie  que  de  les  lancer  tout  de 
suite  dans  la  mêlée  (2).  »  Sans  vouloir  se  prononcer  publi- 
quement, le  gouvernement  laissait  croire  que  telle  était  son 
opinion  (3). 

Or,  depuis  1900,  les  intentions  du  commandement  allemand 
s'étaient  nettement  précisées,  et  certaines  déclarations  offi- 
cielles, faites  à  la  tribune  du  Reichstag  n'étaient  peut-être 
que  des  feintes,  destinées  à  abuser  l'opinion  française.  On 
sait  aujourd'hui  (4)  que,  de  1894  à  1899,  le  général  von 
Schlieffen,  chef  du  grand  Etat-major  allemand,  avait  élaboré 
un  pian  d'offensive  contre  la  France  qui  comportait  l'inva- 
sion par  la  Belgique,  et  que,  de  1900  à  1905,  il  accentua 
progressivement  l'idée  maîtresse  de  ce  plan,  manœuvre  d'en- 
veloppement confiée  à  une  puissante  aile  droite  qui  se 
déploierait  à  travers  la  Belgique  entière.  A  cet  effet,  il  consti- 
tuait une  «  masse  de  manœuvre  »,  initialement  forte  de  35 
corps  d'armée  —  23  corps  actifs  et  12  corps  de  réserve  — 
tandis  qu'il  laissait  en  Alsace-Lorraine  une  simple  flanc-garde 
de  4  corps  d'armée  (3  C.  A.,  1  C.  R.)  (5).  Quand  de  Moltke 
succéda  à  Schlieffen  (1906),  le  plan  allemand  ne  subit  que 
de  légères  modifications,  jusqu'à  l'heure  où  il  fut  appliqué, 
en  août  1914.  D'après  l'ordre  de  bataille  publié  par  von 
Hausen  (6),  les  5  armées  composant  en  1914  la  masse  de 
manœuvre  comprenaient  28  corps  d'armée  dont  onze  corps 
de  réserve  ;  les  2  armées  de  Lorraine  étaient  fortes  de  huit 
corps,  dont  2  corps  de  réserve.  Au  total,  les  Allemands  met- 

(1)  J.  Reinach,  ouv.  cité,  p.  98. 

(2)  J.  Officiel  du  20  juin  1913,  pp.  2062-2063. 

(3)  Cf.  les  déclarations  de  M.  Barthou,  Président  du  Conseil,  J.  Officiel  du 
27  juin  1913,  pp.  2236-2237,  et  les  déclarations  du  général  Pau,  commis- 
saire du  gouvernement,  J.  Officiel  du  1"  août  1913,  p.  1277. 

(4)  Général  von  KvHL,L'Elal-major  allemand  dans  la  préparation  et  l'exé- 
cution de  la  guerre  monrf/a/e,  analyse  et  traduction  par  le  général  Douchy, 
Paris,  Payot,  1922,  in-8. 

(5)  Je  ne  mentionne  pas  ici  les  formations  inférieures  au  corps  d'armée, 
D.A.,  D.R.,  ou  brigades  de  Landwehr. 

(6)  Von  Hausen,  Erinnerungen  an  den  Marne  Feldzug  1914.1yeipzig,  1920 
in-8. 


320  HISTOIRE   DE   LA  GUERRE 

talent  en  ligne  contre  la  France,  avec  23  C.  A.,  treize  corps 
de  réserve,  sans  compter  les  deux  fortes  divisions  de  réserve 
de  Metz  et  de  Strasbourg. 

Ainsi,  de  1900  à  1914  tout  au  moins,  la  doctrine  de  l'Etat- 
major  allemand  concernant  l'utilisation  des  réserves  n'a  pas 
varié.  L'Etat-major  allemand  prévoyait  et  préparait  l'entrée 
en  ligne  des  formations  de  réserve  aux  côtés  des  forma- 
tions actives,  les  organisait  comme  elles  en  corps  d'armée. 
En  août  1914,  ces  formations  de  réserve  étaient  au  nombre 
de  14  corps  (dont  13  en  ligne  contre  la  France)  (1),  4 
divisions  et  2  brigades,  en  tout  353  bataillons.  D'après 
le  général  von  Gossler,  commandant  le  VI^  C.  R.,  l'effectif 
de  son  corps  d'armée  était  d'environ  32.000  hommes,  légè- 
rement inférieur  à  l'effectif  d'un  C.  A.  (2).  La  plupart  des 
C.  R.  étaient,  comme  le  VI%  à  24  bataillons,  mais  quel- 
ques-uns étaient  à  26  et  27  bataillons  (3).  On  peut  donc 
évaluer  à  environ  460.000  hommes  l'effectif  des  14  C.  R.,  à 
environ  550.000  hommes  l'effectif  total  des  formations  de 
réserve  constituées  par  l'Allemagne.  Ce  chiffre  est  certai- 
nement très  inférieur  à  celui  des  formations  d'activé  (660 
bataillons)  ;  il  est  même  relativement  faible,  si  on  songe 
à  l'importance  des  disponibilités  allemandes.  L'abondance 
des  contingents  était  telle  que,  dès  la  mobilisation,  il  fut 
constitué,  en  supplément,  6  divisions  et  3  brigades  d'Ersatz 
(87  bataillons),  de  composition  analogue  aux  formations  de 
réserve,  soit  environ  125  à  130.000  hommes.  Au  total,  l'ef- 
fectif des  formations  de  réserve,  mobilisées  en  août  1914 
par  l'Allemae^ne,  a  dû  atteindre  ou  dépasser  légèrement 
675.000  hommes,  non  compris  les  formations  de  Landwehr 
(314  bataillons)  et  de  Landsturm  (4). 

Avec  quelles  classes  de  recrutement  ces  différentes  forma- 


(1)  13  et  non  pas  20,  comme  l'avance  un  peu  imprudemment  l'auteur  de  : 
Plutarque  a  menti,  Grasset,  1923,  pp.  60  et  61. 

(2)  Von  Gossler,  Erinnerungen  an  den  grossen  Krieg,  Breslau,  1919, 
p.  7. 

(3)  Camena  d'Almeida,  L'armée  allemande  avant  et  pendant  la  guerre  de 
1914-1918,  Berger-Levrault,  1919,  pp.  115-118. 

(4)  Les  formations  de  Landwehr  tiennent  le  milieu  entre  nos  formations 
de  réserve  et  nos  formations  de  territoriale,  la  durée  du  service  dans  la 
réserve  étant  en  Allemagne  de  4  à  5  ans  1  /2,  de  5  ans  dans  !e  1"  ban  de  la 
Landwehr,  de  6  à  7  ans  dans  le  2*  ban. 


l'utilisation  des  réserves  en  1914  321 

tions  ont-elles  été  respectivement  constituées  ?  C'est  un  des 
points  les  plus  controversés.  Il  a  été  dit  que  les  Allemands 
étaient  entrés  en  campagne  exclusivement  avec  leurs  hommes 
de  l'active  et  de  la  réserve  proprement  dite,  soit  les  jeunes 
classes,  de  20  à  26  ou  27  ans  (1).  On  a  opposé  les  réserves 
allemandes,  formées  de  jeunes  hommes  de  22  à  27  ans,  aux 
réserves  françaises,  comprenant  des  hommes  âgés  de  23  à 
34  ans,  ce  qui  revient  à  dire  que  les  deux  termes  ne  sont 
pas  comparables  ou  qu'on  ne  peut  les  comparer  qu'en  jouant 
sur  les  mots.  Cependant,  d'après  un  témoin  qualifié,  le  général 
von  Wrisberg,  en  1914  chef  de  service  au  Ministère  de  la 
Guerre  prussien  (2),  l'armée  allemande  était  ainsi  composée 
à  la  mobilisation  : 

1°  dans  les  formations  actives,  54  %  d'hommes  de  l'active, 
46  %  de  réservistes  jusqu'à  l'âge  de  26  ans  ; 

2°  dans  les  formations  de  réserve,  1  %  d'hommes  de 
l'active  44  %  de  réservistes  et  55  %  du  l"''  ban  de  la  Land- 
wehr  jusqu'à  l'âge  de  30  ans  ; 

3°  dans  les  formation  de  Landwehr,  62  %  du  l*'''  ban  de 
la  Landwehr,  38  %  du  2^  ban  jusqu'à  l'âge  de  36  ans- 

De  ces  indications,  on  peut  rapprocher  celles  que  M.  Ca- 
mena  d'Almeida  a  recueillies  au  2*^  bureau  de  l'Etat-major 
de  l'Armée  (3).  Il  cite  comme  exemple  le  14^  bataillon  de 
chasseurs  :  d'après  le  carnet  d'un  soldat,  le  bataillon  actif 
a  pris  les  réservistes  des  classes  1909-1911  ;  le  bataillon  de 
réserve  les  hommes  des  classes  1908-1901  (on  serait  donc 
allé  jusqu'à  l'âge  de  33  ans)  ;  ceux  des  classes  1896-1900 
sont  restés  au  dépôt. 

Des  14  corps  de  réserve,  6  sont  exclusivement  composés 
de  formations  de  réserve  ;  7  possèdent  un  ou  deux  régiments 
actifs  ;  seul  le  C.  R.  de  la  Garde  comprend  une  division 
entière  de  l'active.  Leur  organisation  est  à  peu  près  identique 
à  celle  des  corps  actifs  ;  ils  comprennent  comme  eux  3  com- 
pagnies de  pionniers,  et,  par  division,  un  régiment  de  cava- 
lerie ;  la  principale  différence  est  qu'ils  sont  plus  pauvrement 
dotés  en  artillerie,  la  plupart  ne  disposant  que  d'un  régiment 


(1)  BulleUn  de  la  Société  d'Histoire  moderne,  février  et  mars  1923. 

(2)  Von  Wrisberg,  Heer  und  Heimath,  p.  84. 

(3)  Camena  d'Almeida,  ouvr.  cité,  p.  105,  n°  1, 


322 


HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 


à  6  batteries  par  division  (contre  2  pour  chaque  division  de 

C.A.)(1). 

Ces  corps  de  réserve,  en  effet,  ne  sont  nullement  voués 
à  des  tâches  secondaires.  Ils  doivent  participer  à  la  bataille 
comme  les  corps  actifs,  Le  plan  allemand  de  mobilisation 
disait  textuellement  :  «  Les  troupes  de  réserve  doivent  être 
utilisées  au  même  titre  que  les  troupes  de  l'active  »  (2). 
Cette  doctrine,  adoptée  malgré  d'assez  vives  résistances  par 
l'Etat-major  allemand,  fut  rigoureusement  appliquée.  Les 
corps  de  réserve  jouèrent,  dans  les  opérations  initiales  de 
1914,  le  rôle  qui  leur  avait  été  assigné,  aux  côtés  de  l'armée 
active  ;  engagés  dans  la  masse  de  manœuvre,  ils  participèrent 
à  la  grande  offensive,  dans  les  mêmes  conditions  que  les 
C.  A.  ;  ils  combattirent  à  Longwy,  à  Neufchâteau,  à  Namur, 
à  Charleroi.  Ainsi  le  VF  C.  R.  (von  Gossler),  qui  appartenait 
à  la  V^  armée,  prit  part,  les  22  et  23  août,  à  la  bataille  de 
Longwy,  où  ses  pertes  s'élevèrent  à  150  officiers  et  4.500 
hommes  (3).  On  nous  dit,  il  est  vrai,  que  «les  Allemands 
sont  unanimes  à  déplorer  le  manque  d'aptitude  au  combat 
de  leurs  premières  divisions  de  réserve  mobilisées  »  (4),  Je  ne 
sais  sur  quels  textes  s'appuie  cette  affirmation  ;  je  n'ai  relevé 
nulle  part  de  pareilles  critiques  ;  en  tout  cas,  le  général  von 
Wrisberg  émet  l'opinion  inverse.  —  Les  formations  de 
Landwehr  elles-mêmes  furent  engagées  dans  les  opérations 
initiales.  Il  y  a  au  Musée  de  l'Armée  des  drapeaux  de  régi- 
ments de  Landwehr,  conquis  dans  les  combats  d'août- 
septembre  1914  (5).  D'ailleurs,  il  suffit  de  se  référer  à  la 
publication  officielle  allemande,  die  Schlachten  und  Gefechte 
des  grossen  Krieges  (Berlin  1919)  :  dès  les  premiers  combats 
dans  les  Vosges  et  en  Lorraine,  on  voit  engagés  à  la  VI^  armée 
le  V  C.  R.  bavarois,  à  la  VII^  armée  le  14«  C.  R„  2  divisions 
d'Ersatz,  la  30'  D.  R.  et  2  brigades  de  Landwehr  ;  le  déta- 
chement Gaede,  qui  combat  en  Haute-Alsace  est  formé  de 

(1)  c.  d'Almeida,  ouvr.  cité,  p.  114.  Von  Kluck  note  d'autre  part  que  les 
2  C.R.  de  son  armée  ne  possédaient  pas  d'artillerie  lourde  et  que  leurs 
compagnies  de  mitrailleurs  avaient  grand  besoin  d'être  complétées. 

(2)  Ibid.,  p.  106  et  service  historique  de  l'état-major  de  l'armfe, 
Les  Armées  françaises  dans  la  grande  guerre.  Imprimerie  Nationale,  1922, 
tome  I,  vol.  1,  p.  39.  —  Cf.  von  Wrisberg,  ouvr.  cité,  p.  12. 

(3)  VoN  Gossler,  ouvr.  cité,  pp.  10  sqq. 

(4)  Général  Buat,  ouvr.  cité,  p.  13. 

(5)  Ils  sont  exposés  salle  Pétain. 


l'utilisation  des  réserves  en  1914  323 

brigades  de  Landwehr  ;  3  divisions  d'Ersatz  et  une  de  Land- 
wehr  prennent  part  à  la  bataille  de  Lorraine,  le  20  août.  Il 
semble  donc  imprudent  d'affirmer  que  les  formations  de 
Landwehr  n'apparurent  «  que  tardivement  sur  les  fronts  de 
combat  »  et  que  «  sur  le  front  occidental...  aucune  ne  prît 
jamais  part  à  une  attaque  »  (1).  Tout  au  moins  cette  dernière 
affirmation  ne  peut-elle  se  rapporter  qu'aux  opérations  de  la 
guerre  de  tranchées. 

H.  —  EN  FRANCE 

En  France,  les  opinions  n'étaient  pas  moins  partagées 
qu'en  Allemagne.  La  doctrine  du  commandement  français 
avait  plus  d'une  fois  varié.  La  publication  récente  du  Service 
Historique  de  l'Etat-major,  le  tome  1"  des  Armées  Françaises 
dans  la  Grande  Guerre,  fournit  à  cet  égard  des  renseigne- 
ments précis  et  nouveaux  (2). 

L'analyse  des  plans  successifs  de  mobilisation  nous  révèle 
que,  de  1889  à  1898,  le  commandement  prévoyait  la  formation 
de  corps  de  réserve.  D'après  le  plan  X  mis  en  vigueur  le  10 
mai  1889  (3),  pour  répondre  à  l'accroissement  des  effectifs 
allemands,  il  devait  être  constitué  à  la  mobilisation  18  nou- 
veaux corps  d'armée,  dits  C.  A.  bis,  obtenus  en  formant  des 
régiments  mixtes  d'infanterie,  et  en  dédoublant  les  unités 
des  armes  spéciales.  Ce  régime  dura  peu.  Dès  1891,  dans 
le  plan  XI,  les  corps  de  réserve,  appelés  C.  A.  supplémen- 
taires, sont  réduits  à  9  (4).  Le  plan  XIII  (février  1895)  leur 
fait  subir  une  nouvelle  réduction,  de  9  à  5  ;  mais,  d'autre 
part,  les  corps  actifs  sont  renforcés  chacun  d'une  division 
de  réserve. 

Après  neuf  ans  d'existence,  au  moins  virtuelle,  les  corps 

(1)  Général  Bua.t,  ouvr.  cité,  p.  6. 

(2)  Les  lecteurs  de  la  Revue  d'Histoire  de  la  guerre  mondiale  en  ont  eu  la 
primeur  par  l'article  du  Colonel  Desbrièrc,  La  Genèse  du  plan  XVII  (juillet 
1923).  On  m'excusera  de  rappeler  ici  brièvement  tout  ce  qui  concerne  l'uti- 
lisation des  réserves. 

(3)  Le  ministre  de  la  guerre  était  alors  M.  de  Freycinet. 

(4)  Faut-il  établir  une  corrélation  entre  ce  fait  et  le  rapprochement 
franco-russe  ?  L'hypothèse  a  été  émise  à  la  Société  d'Histoire  Moderne  par 
mon  collègue  M.  Marc,  et  elle  mérite  d'être  retenue.  Cependant,  il  faut  noter 
que,  si  des  promeriscs  ont  été  échangées  en  1891,  la  coopération  militaire 
franco-russe  n'a  pris  forme  qu'en  1892,  date  à  laquelle  a  été  signée(par  les 
chefs  d'État-major)  la  première  convention  militaire. 


^2 A  HISTOIRE   DE  LA   GUERRE 

de  réserve  disparurent,  en  1898,  du  plan  de  mobilisation 
îrançais  ;  de  1898  à  1911,  les  formations  de  réserve  furent 
entièrement  éliminées  des  armées  de  première  ligne.  Le 
plan  XIV  (avril  1898)  supprime  les  corps  de  réserve  «en 
raison  des  difficultés  que  présentait  l'organisation  du  com- 
mandement et  des  services  de  ces  grandes  unités  créées  de 
toutes  pièces  à  la  mobilisation  »  (1)  ;  il  se  borne  à  constituer 
un  certain  nombre  de  divisions  de  réserve,  qui  seront  placées 
en  arrière  des  armées  de  première  ligne,  dans  la  zone  de 
concentration.  Ce  système  ne  fut  que  légèrement  modifié  par 
le  plan  XVI  (1908)  ;  celui-ci  prévoit  la  formation  de  22  divi- 
sions de  réserve  et  de  9  divisions  territoriales.  Les  divisions 
de  réserve  forment  4  groupes  en  deuxième  ligne.  Une  brigade 
de  réserve  est  adjointe  à  chaque  C.  A.  (de  l'intérieur). 

Survint  en  1911  la  crise  du  commandement,  dont  l'histoire 
est  bien  connue.  Cette  crise  fut  en  partie  déterminée  par  la 
question  des  réserves.  Quelques  mois  auparavant  la  question 
avait  été  posée  avec  éclat  devant  l'opinion  publique  et  devant 
le  Parlement  par  le  livre  de  Jaurès,  U Armée  Nouvelle  (2),  et 
par  sa  «  proposition  de  loi  sur  l'organisation  de  l'armée  » 
présentée  à  la  séance  du  14  novembre  1910.  Le  général 
Michel,  devenu  vice-président  du  Conseil  supérieur  de  la 
guerre,  avait  lui-même  pleine  confiance  dans  les  formations 
de  réserve-  Convaincu,  d'autre  part,  que  l'offensive  allemande 
engloberait  toute  la  Belgique  et  par  conséquent  utiliserait 
des  corps  de  réserve  avec  les  corps  actifs,  il  crut  devoir 
proposer  une  réorganisation  totale  de  l'armée  sur  les  bases 
suivantes  :  formation  de  demi-brigades  par  juxtaposition  du 
régiment  actif  et  du  régiment  de  réserve  ;  par  ce  moyen,  dou- 
blement en  infanterie  de  toutes  les  formations  actives  mobi- 

(1)  Les  Armées  françaises...  p.  8. 

(2)  On  y  lisait  dans  le  chapitre  13,  intitulé  «  Réalisation  »,  le  passage  sui- 
vant :  '<  ...  car  enfin  si  l'Allemagne,  qui  exerce  de  plus  en  plus  ses  réserves, 
se  décidait  à  tenir  un  double  plan,  si  elle  se  préparait,  selon  les  événements 
soit  à  pousser  d'abord  en  avant  la  force  de  son  armée  active,  renforcée  seu- 
lement d'une  petite  part  des  réserves,  soit  au  contraire,  pour  mieux  réussir 
d'emblée  un  effet  d'enveloppement, à  jeter  d'un  bloc  toute  son  active  et  tou- 
tes ses  réserves,c'est-à-dire  1.600.000  hommes  sur  le  champ  de  bataille,  nous 
serions  exposés  à  la  plus  terrible  surprise  et  à  une  sorte  de  submersion.si  nous 
n'opposions  pas  à  la  manœuvre  menaçante  tout  le  bloc  de  nos  réserves.  Je 
suis  effrayé  de  l'imprudence, de  l'inconscience  avec  laquelle  l'État-major  né- 
glige cette  possibilité,  comme  s'il  suffisait  de  l'écarter  de  notre  pensée  pour 
la  supprimer  en  effet  »  (p.  537). 


l'utilisation  des  réserves  en  1914  325 

lisées  :  brigades,  divisions  et  corps  d'armée  (1).  Ces  propo- 
sitions, très  sévèrement  jugées  dans  les  milieux  d'Etat-major, 
furent  repoussés  (à  l'unanimité,  moins  une  abstention)  par 
le  Conseil  supérieur  de  la  guerre,  dans  la  séance  du  19 
juillet  1911.  A  la  suite  de  ce  débat,  qui  donna  lieu  à  une 
campagne  de  presse,  le  ministre  de  la  guerre,  M.  Messimy, 
demanda  au  général  Michel  sa  démission  et  le  remplaça  par 
le  général  Joffre  (28  juillet  1911). 

Quelle  fut,  à  l'égard  des  réserves,  la  politique  du  nouveau 
chef  ?  Les  affirmations  les  plus  contradictoires  ont  été  for- 
mulées :  «  mépris  des  réserves  »,  affectées  à  des  besognes 
secondaires  ou  laissées  au  dépôt,  disent  les  uns  (général 
Percin,  général  Regnault)  (2)  ;  tout  au  contraire,  disent  les 
autres,  «  utilisation  intensive  des  réserves  »  (général  Buat, 
maréchal  Joffre).  Interrogé  par  la  Commission  d'enquête,  dite 
de  Briey,  le  maréchal  Joffre  a  fait  à  ce  sujet  une  déclaration 
explicite  (3)  :  «  D'une  façon  générale,  les  grandes  lignes  du 
plan  de  mobilisation  (plan  XVII)....  étaient  les  suivantes  : 
]°  au  point  de  vue  de  l'organisation  s'y  révélait  le  souci 
d'organiser,  de  plus  en  plus  fortement,  les  formations  de  ré- 
serve, de  les  rendre  de  plus  en  plus  souples  et  de  mieux  en 
mieux  encadrées.  De  la  sorte,  il  devenait  possible  de  les  em- 
ployer immédiatement  aux  côtés  des  troupes  actives  au  lieu  de 
les  conserver  initialement  loin  des  grandes  unités  de  première 
ligne,  comme  il  était  prévu  dans  les  plans  précédents.  Le 
nombre  des  divisions  de  réserve  passait  de  22  (plan  XVI) 
à  25  (plan  XVII),  cependant  qu'un  régiment  de  réservistes 
était  affecté  organiquement  à  chaque  division  active,  aux  lieu 
et  place  de  la  brigade  de  réserve  antérieurement  attribuée 
à  15  de  nos  corps  d'armée  mobilisés.  Tous  les  réservistes 
non  affectés  aux  troupes  actives  entraient  dans  la  compo- 
sition de  l'une  ou  l'autre  de  ces  formations.  Cette  organisation 
permettait  ainsi  de  mettre  en  ligne  la  totalité  de  nos  forces, 
mais  sans  amalgame,  ni  mélange  prématuré  d'unités,  lesquels 


(1  )  On  trouvera  le  plan  du  général  Michel,  sous  forme  d'un  rapport  au  mi- 
nistre, publié  în  extenso  dans  les  Procès-verbaux  de  la  Commission  d'en' 
quête,  dite  de  Briey  (!•"  partie,  pp.  97-102). 

(2)  Voir  leurs  dépositions  devant  la  Commission  d'Enquête  {Procès-ver- 
baux, V*  partie)  et  le  livre  du  général  Percin,  1914,  Les  erreurs  du  Haut  Corn- 
mandement,  Paris,  Albin  Michel,  s.d, 

(3)  Proeès-verbaux,..,  2»  partie,  p.  137, 


^^  HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 

eussent  été  de  nature  à  diminuer  le  rendement  de  notre 
instrument  de  combat  ». 

Oui,  mais  ceci  n'est  qu'un  témoignage  d'après-guerre,  dans 
une  certaine  mesure  un  plaidoyer,  qu'il  faut  soumettre  par 
conséquent  au  contrôle  des  faits,  ce  que  nous  ferons  en 
distinguant,  pour  plus  de  clarté,  les  questions  d'organisation, 
d'effectif  et  de  classes,  d'utilisation. 

De  1911  à  1914,  les  préoccupations  du  commandement,  en 
matière  d'organisation  des  réserves,  se  sont  manifestées  par 
trois  mesures,  la  loi  des  cadres  du  23  décembre  1912,  le 
décret  du  15  octobre  1913,  l'instruction  du  21  novembre  1913. 
La  loi  des  cadres  avait  pour  objet  essentiel  de  renforcer  les 
cadres  actifs  des  formations  de  réserve  :  à  cet  effet,  chaque 
régiment  actif  devait  avoir  un  cadre  complémentaire  de  3 
officiers  supérieurs  (au  lieu  de  2)  et  de  6  capitaines  ;  il 
était  prévu  pour  chaque  compagnie  de  réserve  6  sous-officiers 
au  lieu  de  2.  Le  décret  du  15  octobre  1913  instituait,  dans 
chaque  région  de  corps  d'armée,  un  emploi  de  «  général 
inspecteur  des  formations  de  réserve.-.  »  ;  cet  emploi,  qui  se 
transformait  à  la  mobilisation  en  commandement  d'une  divi- 
sion de  réserve,  devait  être  confié  à  un  général  de  division 
du  cadre  actif  (tandis  qu'auparavant  les  divisions  de  réserve 
étaient  commandées  par  des  généraux  du  cadre  de  réserve). 
Resterait  à  savoir  comment  la  loi  et  le  décret  furent  appliqués. 
Médiocrement,  si  l'on  en  croit  le  général  Buat  :  le  comman- 
dement des  grandes  unités  de  réserve  était  confié  à  «  des 
généraux  ou  fatigués  ou  qui  s'étaient  montrés  inférieurs  à 
leur  tâche,  à  la  tête  des  divisions  actives  »  ;  «  pour  encadrer 
brigades,  régiments,  bataillons,  compagnies  »,  on  faisait 
«  choix  des  officiers  de  carrière  les  plus  anciens,  donc  les  plus 
âgés  »  (1).  Au  cours  des  débats  sur  la  loi  de  3  ans,  un 
député  officier  de  réserve,  Raoul  Briquet,  se  plaint  également, 
que  «  la  réforme  décidée  par  la  loi  des  cadres...  reste  mal 
appliquée  ».  «  La  dernière  période  que  j'ai  accomplie,  dit-il, 
ma  permis  de  constater  que,  pas  plus  actuellement  qu'au- 
trefois, on  ne  prend  les  mesures  nécessaires  pour  forcer  les 
officiers  du  cadre  complémentaire...  à  participer  aux  convo- 
cations de  leurs  unités  de  mobilisation.  Il  serait  cependant 
indispensable  qu'ils  prissent  contact  pendant  quinze  jours 

(1)  Général  Buat,  ouvr.  cilé,  p.  13. 


l'utilisation  des  réserves  en  1914  327 

avec  les  hommes  qu'ils  auront  l'honneur  de  conduire  à  la 
guerre...»  (1).  L'intention  du  commandement,  pour  médio- 
crement réalisée  qu'elle  fût,  n'en  était  pas  moins  certaine. 
Et  ce  fut  encore  pour  assurer  «  un  solide  encadrement  des 
réserves,  sans  appauvrir  outre  mesure  celui  des  corps  d'armée 
qui  les  alimentait  »  (2),  que  l'Instruction  du  21  novembre 
1913  prescrivit  de  réduire  à  deux  bataillons  le  régiment 
de  réserve  (3).  Cet  encadrement,  nous  dit-on  aujourd'hui, 
était  insuffisant  ;  c'est  possible,  mais  il  est  curieux  de  cons- 
tater qu'à  la  veille  de  la  guerre,  un  écrivain  militaire,  le 
commandant  G.  Cognet,  pouvait  écrire  en  conclusion  d'une 
étude  très  documentée  :  «  En  résumé,  l'encadrement  de  nos 
formations  de  réserve  est,  dès  maintenant,  mieux  assuré  que 
celui  des  réserves  allemandes,  sans  qu'il  faille  voir  dans  ce 
fait  le  résultat  d'un  dessein  arrêté,  de  la  part  des  Allemands, 
de  sacrifier  en  quoi  que  ce  soit  ces  formations,  mais  seule- 
ment parce  qu'il  n'est  pas  en  leur  pouvoir  de  faire  davan- 
tage »  (4). 

De  l'Instruction  du  21  novembre  1913,  il  ressort  qu'aux 
yeux  du  Haut  Commandement  la  question  d'effectifs  (des 
formations  de  réserve)  pouvait  passer  au  second  plan.  Je 
ne  sais  sur  quoi  se  fonde  le  maréchal  Joffre  pour  déclarer 
que  «  dans  le  plan  XVII,  nous  avions  un  nombre  de  bataillons 
(de  réserve)  plus  grand  que  dans  le  plan  XVI  »  (5).  Car  si 
le  plan  XVII  prévoyait  3  divisions  de  réserve  de  plus  que 
le  plan  XVI  (25  contre  22),  les  D.  R.  du  plan  XVII  ayant 
chacune  6  bataillons  de  moins  que  les  D.  R.  du  plan  XVI,  il 
est  facile  de  calculer  que  les  25  divisions  de  réserve  du 
plan  XVII  représentaient  300  bataillons  seulement  contre  396 
pour  les  22  D.  R.  du  plan  XVI.  D'autre  part,  le  plan  XVI 
affectait  une  brigade  de  réserve  à  15  de  nos  corps  d'armée 
mobilisés,  soit  90  bataillons  ;  le  plan  XVII  affectait  un  régi- 
ment à  chaque  division  de  corps  d'armée,  au  total  72  batail- 
lons  (6).  En  définitive,  et  jusqu'à  preuve  du  contraire,  on 

'    (1)  J.  Officiel  du  24  juin  1913,  p.  2114. 

(2)  Les  Armées  françaises,  p.  21,  n"  3. 

(3)  Le  texte  de  cette  Instruction,  qui  a  été  vivement  critiquée,  doit  être 
publié  dans  le  vol.  2  du  tome  l«'  des  Armées  françaises... 

o  (4)  Commandant  CoG-NF.i;  Le  problème  des  réserves,  Paris,  Cliapelot  1914, 
p.  237. 

(5)  Procès-Verbaux...,  2'  partie,  p.  156. 

(6)  Général  Buat,  ouvr.  cité,  p.  9, 


328  HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 

a  le  droit  d'affirmer  que  les  auteurs  du  plan  XVII  ont  non 
pas  augmenté,  mais  réduit  l'effectif  des  formations  de  réserve- 
Cet  effectif  se  montait,  pour  les  25  divisions,  à  450.000 
hommes  (1)  ;  en  évaluant  à  environ  100.000  hommes  l'effectif 
des  72  bataillons  affectés  aux  corps  actifs,  on  obtient  un 
effectif  total  de  550.000  hommes  environ  pour  les  formations 
de  réserve  mobilisées,  en  1914,  du  côté  français  (2). 

D'après  les  renseignements  fournis  par  le  lieutenant-colonel 
Mayer  (3),  la  répartition  des  classes  était  la  suivante  : 
les  régiments  actifs  contenaient  environ  50  %  de  réservistes, 
pris  dans  les  quatre  plus  jeunes  classes,  donc  jusqu'à  l'âge 
de  27  ans  ;  dans  les  régiments  de  réserve,  chaque  compagnie 
comprenait  20  hommes  (cadres  compris)  de  l'active,  et  230 
réservistes  appartenant  aux  classes  1903-1906,  donc  jusqu'à 
l'âge  de  31  ans  ;  les  dernières  classes  de  la  réserve  restaient 
au  dépôt.  D'après  l'analyse  officielle  du  plan  XVII,  les  effectifs 
prévus  dans  les  dépôts  (toutes  classes  comprises  :  réserve 
et  territoriale)  étaient  de  680.000  hommes  (4).  En  fait,  ils 
semblent  avoir  été  beaucoup  plus  considérables  ;  tous  les 
témoignages  établissent  qu'au  début  de  la  guerre,  les  dépôts 
regorgeaient  de  réservistes  qui  n'avaient  pas  été  incor- 
porés (5)  :  interrogé  sur  ce  point  au  «  procès  Jaurès  »,  l'ancien 
ministre  de  la  guerre,  général  Messimy,  a  même  donné  le 
chiffre  de  12  à  1.300.000  hommes  (6),  qui  s'applique  sans 
doute,  non  pas  aux  seuls  réservistes,  mais  aux  réservistes  et 
territoriaux  réunis.  Du  1"  au  15  août,  en  effet,  la  mobilisation 
a  appelé  —  chiffres  officiels  —  1.710.000  réservistes,  et 
1.100.000  territoriaux  (7).  En  admettant  que  les  formations 
(l'active  et  de  réserve  aient  utilisé  plus  d'un  million  de  réser- 
vistes, il  en  restait  encore  6  à  700.000  disponibles.  De  toutes 

(1)  Les  Armées  françaises,  p.  32  ;  chaque  D.R.  est  à  18.000  hommes. 

(2)  Sans  compter  12  divisions  et  1  brigade  territoriale  :  184.600  hommes 
(Les  Armées  françaises,  p.  32.) 

(3)  Bulletin  de  la  Société  d'Histoire  moderne,  mars  1923,  p.  320. 

(4)  Les  Armées  françaises,  p.  32. 

(5)  Cf.  Procès-Verbaux,   V«  partie  p.  126  et  2e  partie  p.  157. 

(6)  M«  P.  BoNcouR.  —  Le  témoin  peut-il  fixer  le  chiffre  des  réservistes 
qui  se  trouvaient  dans  les  dépôts  d'abord  au  moment  de  Charleroi,  ensuite 
au  moment  de  la  Marne  ? 

M.  Messimy.  —  Je  ne  peux  pas  vous  répondre  au  moment  de  la  Marne, 
parce  que  je  n'étais  plus  ministre  de  la  guerre.  A  Charleroi  :  12  à  1.300.000 
hommes  dans  les  dépôts.  (Procès  de  Villain,  assassin  de  Jaurès,  p.  134.) 

(7)  Les  Armées  françaises,  p.  144. 


l'utilisation  des  réserves  en  1914  329 

façons,  il  paraît  excessif  d'affirmer  que  «  tous  les  réservistes 
entraient  dans  la  composition  de  l'une  ou  l'autre  de  ces  forma- 
tions »  et  qu'ainsi  nous  avons  pu  «  mettre  en  ligne  la  totalité 
de  nos  forces  »  (1). 

Encore  faut-il  bien  s'entendre  sur  le  sens  de  cette  expres- 
sion un  peu  équivoque,  «  mettre  en  ligne  ».  A  cet  égard,  la 
doctrine  du  Commandement  se  trouve  formulée  de  la  façon 
la  plus  nette  et  la  plus  explicite  dans  les  «  Bases  »  du 
plan  XVII  (2).  II  y  est  dit  :  «  Sans  doute  on  ne  saurait  dans 
aucun  cas  assimiler  des  unités  de  réserve  à  des  unités  actives. 
C'est  à  ces  dernières  unités  que  le  Commandement  fera 
surtout  appel  pour  l'exécution  des  manœuvres  offensives,  dont 
cîépend  le  succès  des  opérations-..  »  «  Les  forces  actives 
(sont)  seules  capables  de  manœuvrer  avec  la  précision  et 
la  vigueur  nécessaire  pour  aboutir  à  un  résultat  décisif...  » 
«  Mais  il  est  permis  de  compter  que  mieux  organisées,  mieux 
encadrées,  mieux  commandées,  les  divisions  de  réserve  du 
plan  XVII  deviendront  aptes  à  remplir  aux  côtés  des  troupes 
actives  certaines  missions  d'un  caractère  spécial  que  jusqu'à 
présent  on  appréhendait  de  leur  confier,  surtout  au  début  de 
la  guerre  »  (3).  En  conséquence  «  on  est  en  droit  d'envisager 
l'utilisation  de  certaines  divisions  de  réserve  dans  le  cadre 
de  nos  armées  de  première  ligne,  011  elles  auront  à  remplir 
certaines  missions  dévolues  aux  unités  actives  dans  le  plan 
en  vigueur  (plan  XVI)  »  (4),  telles  que  :  occupation  de  posi- 
tions, investissement,  défense  des  régions  couvertes  ou  cou- 
pées, etc..  Partant  de  ces  principes,  le  plan  XVII  mettait 
en  première  ligne  14  divisions  de  réserve  (non  compris  les 
4  D.  R.  de  Verdun,  Toul,  Epinal  et  Belfort)  :  l^"-  et  4«  groupe 
(de  3  D.  R.  chacun),  à  la  disposition  du  général  en  chef, 
«  initialement  placés  derrière  les  ailes  du  dispositif  général  », 
!""■  groupe  à  l'aile  droite  (Q.  G.  Vesoul),  4"  groupe  à  l'aile 
gauche  (Q.  G.  Sissonnes),  2^  et  3^  groupes  respectivement 


(1)  Procès-ycrftaux...  2«  partie, p.  137.  Ceci  di|  sans  contester  le  moins  du 
monde  l'utilité  des  dépôts,  qui  a  été  plus  grande  encore  que  l'État-major 
lui-même  ne  pouvait  le  prévoir  au  début  de  la  guerre. 

(2)  Les  Armées  françaises,  pp.  22  et  24, 

(3)  Il  est  à  noter  que  cette  doctrine  avait  été  formulée  publiquement,  et 
presque  exactement  dans  les  mêmes  termes,  par  le  général  Pau,  commissaire 
du  gouvernement,  à  la  tribune  du  Sénat  (séance  du  31  juillet  1913). 

(1)  Les  Armées  françaises,  p.  20. 


330 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


affectés  à  la  2^  et  à  la  3"  armée,  2  divisions  à  la  5^  armée. 
Ces  divisions  ou  groupes  de  divisions  de  réserve  recevaient 
des  «  missions  spéciales  ».  Exemple  :  le  2^  G.  D.  R.  devra 
pouvoir  être  dirigé...  vers  la  région  au  nord  de  Nancy,  pour 
s'opposer  à  toute  intervention  des  forces  allemandes  pouvant 
déboucher  de  Metz,  et  assurer  la  couverture  de  la  2®  armée 
sur  son  flanc  gauche  »  ;  —  la  3®  armée  utilisera  le  3^  G.  D.  R. 
à  tenir  sur  les  Hauts  de  Meuse  «  les  positions  dont  l'occu- 
pation est  prévue  »  ;  —  la  5®  armée  devra  «  envisager  l'atta- 
que de  vive  force  de  Thionville  avec  ses  corps  actifs,  ou 
l'investissement  ultérieur  de  cette  place  à  l'aide  des  D.  R-, 
dont  elle  dispose  »  (1).  Quant  aux  régiments  de  réserve  rat- 
tachés aux  corps  actifs,  une  instruction  de  mai  (?)  1914  (2), 
prescrivait  catégoriquement  de  les  employer  eux  aussi  à  des 
«  missions  spéciales  »,  telles  que  défense  des  voies  de  com- 
munication, escorte  des  convois,  garde  des  prisonniers  (3). 
En  fait,  quand  est  venue  l'heure  d'exécuter  le  plan  XVII, 
le  Commandement  français  s'est  d'abord  conformé  stricte- 
ment à  ses  principes.  Sur  presque  tout  le  front  de  bataille, 
c'est  avec  ses  corps  actifs  seuls  qu'il  a  engagé  l'offensive, 
jusqu'à  la  date  du  23  août,  qui  marque  l'échec  définitif  du 
plan  XVII,  les  divisions  de  réserve  ne  sont  entrées  en  ligne 
que  pour  étayer  certains  corps  actifs  en  difficulté  ;  elles  n'ont 
reçu  que  des  missions  défensives.  Tout  au  plus  peut-on  noter 
qu'à  l'extrême  droite,  après  l'échec  de  la  première  opération 
sur  Mulhouse,  la  57^  D.  R.  (Belfort)  et  le  P-"  G.  D.  R.  sont 
entrés  dans  la  composition  de  l'armée  d'Alsace,  improvisée, 
et  ont  participé  à  la  deuxième  offensive  sur  Mulhouse.  Mais, 
ce  ne  sont  là  que  des  opérations  secondaires,  où  2  D.  R- 
seulement,  la  57^  et  la  66®  ont  été  sérieusement  engagées  (4). 
A  la  r®  armée,  la  71^  D.  R-  (Epinal)  n'intervient  que  pour 
renforcer  le  14*=  C.  A.  et  garder  les  passages  des  Vosges. 
A  la  II®  armée,  les  D.  R.  ont  mission  de  couvrir  le  flanc  gauche 
de  l'armée,  face  à  Metz  ;  la  bataille  de  Morhange  est  livrée  et 


(1)  Plan  XVII,  dans  Engerand,  La  Bataille  des  frontières.  Vans,  Bossard, 
1920,  pp.  191-199. 

(2)  Je  ne  connais  pas  la  date  exacte  de  cette  Instruction.  Son  texte  n'a  pas 
été  publié,  mais  son  existence  n'a  jamais  été  contestée. 

(3)  Procès-verbaux...  l"  partie,  pp.  127  et  327. 

(4)  Les  Armées  françaises,  p.  11-1,  117,  171,  220,  224,  227. 


l'utilisation  des  réserves  en  1914  331 

perdue  par  les  corps  actifs  ;  une  seule  D.  R.,  la  68%  se  trouve 
engagée  dans  la  bataille,  par  suite  du  succès  de  l'offensive 
allemande,  et,  le  lendemain  21  août,  avec  le  20*^  corps 
elle  reçoit  la  mission  périlleuse  de  «  couvrir  la  retraite 
générale  »  (1).  Les  D.  R.  de  la  IIP  armée,  qui  forment  d'abord 
le  groupement  Paul  Durand  (17  août),  puis,  renforcées  des  65*^ 
et  75^  D.  R.,  l'armée  de  Lorraine  (21  août),  ont  reçu  pour 
mission  de  «  commencer  progressivement  l'investissement  du 
front  sud-ouest  de  Metz  et  d'arrêter,  sur  les  positions  organi- 
sées entre  Toul  et  Verdun,  toute  tentative  de  rupture  du 
front  »  (2)  :  elles  ne  jouent  aucun  rôle  actif  dans  les  journées 
décisives  des  22  et  23  août  »  (3).  Il  en  est  de  même  à  la  IV^ 
armée  à  laquelle  le  général  en  chef  a  rattaché  les  52®  et  60® 
D- R.  (15  août),  en  prescrivant  explicitement  qu'elles  «ne 
participeront  pas  à  l'offensive  »,  mais  devront  «  assurer  de 
façon  intangible  la  garde  des  passages  de  la  Meuse  entre 
Sedan  et  Revin  »(4).  Il  en  est  de  même  encore  à  la  V®  armée  ,: 
2  des  divisions  du  4®  G.  D.  R.,  la  69®  et  la  53®,  chargées  de 
garder  la  Sambre  entre  Solre  et  Maubeuge,  n'arrivent  à 
destination  que  dans  l'après-midi  du  23,  et  n'ont  pris  à  peu 
près  aucune  part  à  la  bataille  de  Charleroi  (5)  ;  et  la  51® 
D.  R.,  préposée  à  la  garde  de  la  Meuse  en  amont  de  Namur, 
n'y  a  pris  part,  elle,  que  par  surprise,  par  suite  de  l'attaque 
de  la  III®  armée  von  Hausen.  Au  total,  5  ou  6  divisions  de 
réserve  tout  au  plus  ont  été  engagées  —  secondairement  — 
dans  la  bataille  des  frontières. 

C'est  après  la  défaite  seulement  que,  sous  la  pression  des 
circonstances,  le  Commandement  a  dû  abandonner  le  prin- 
cipe des  «  missions  spéciales  »  et  lancer  en  pleine  bataille 
les  formations  de  réserve.  Leur  rôle,  dans  cette  première 
phase  de  la  guerre,  a  été  très  diversement  jugé,  très  sévè- 
rement par  certains  de  leurs  chefs  (6).  Il  mériterait  d'être 


(1)  Les  Armées  françaises,  p.  261. 

(2)  Ibid.;  p.,  331. 

(3)«  En  définitive,  Taction  de  l'armée  de  Lorraine  ne  s'est  pas  fait  sentir 
dans  la  journée  du  22  août.  »  Ibid.,  p.  385. 

(4)  Ibid.,  p.  353.  En  fait  la  60^  D.R.  a  été  portée  de  la  Meuse  sur  la  Semoy 
avec  mission  de  tenir  les  pjssagcs.  (Ibid.,  p.  3G7.) 

(5)  Général  Lanrezac,  Le    plan   de  campagne    français...,    Paris    1920, 
pp.  168,  173,  180. 

(6)  Cf.  les  témoignages  des  généraux  Lanrezac,  d'Amade,  Pouradicr-Du- 


332  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

étudié  sans  parti  pris  (1),  compte  tenu  de  leur  encadrement 
et  de  leur  armement  (2). 


Pour  conclure,  maintenant  que  nous  avons  exposé  les  deux 
termes  du  problème,  un  simple  rapprochement  suffira. 

A  la  mobilisation,  les  Allemands  ont  formé  353  bataillons 
de  réserve  ;  les  Français  372.  Le  général  Buat  aurait  donc 
eu  raison  d'écrire  que  «  la  France,  avec  ses  38  millions  d'habi- 
tants (3),  sut  consentir  un  effort  bien  supérieur  à  celui  de 
l'Allemagne,  peuplée  elle-même  de  68  millions  d'âmes  »  (4). 
Mais,  si  l'on  veut  que  les  termes  de  la  comparaison  soient 
exactement  comparables,  il  convient  d'ajouter  aux  353  batail- 
lons allemands,  87  bataillons  d'Ersatz,  et  même  une  grande 
partie  des  314  bataillons  de  Landwehr,  presque  entièrement 
composés  d'hommes  ayant  l'âge  de  nos  réservistes.  L'Alle- 
magne avait,  il  est  vrai,  des  disponibilités  plus  grandes  que 
la  France,  —  moins  grandes  qu'on  ne  le  suppose  générale- 
ment :  en  1913,  4.370.000  hommes  instruits  contre  3.978.000 
pour  la  France  (5).  Mais,  tout  compte  fait,  elle  y  a  puisé  aussi 
largement,  sinon  plus  largement  que  la  France.  Si,  «  toutes 
proportions  gardées  »,  l'effort  français  paraît  avoir  été  supé- 
rieur à  l'effort  allemand,  à  quoi  cela  tient-il  exactement  ?  A  ce 
qu'en  France,  on  avait  fini  par  appeler  chaque  année  sous  les 
drapeaux  à  peu  près  tous  les  hommes  valides,  tandis  qu'en 

teil  et  Palat  (Lanrezac,  oiwr.  cité,  pp.  208,  232,  245,  et  266,  et  général 
Palat,  Souvenirs  de  guerre  dans  les  Archives  de  la  Grande  Guerre,  n°  40, 
pp.  1218,  1219,  1222). 

(1)  Cette  étude  déborde  le  cadre  que  nous  nous  sommes  tracés.  Notons 
seulement  que,  si  la  51^  D.R.  a  mal  rempli  sa  mission  de  flanc-garde  à  la 
bataille  de  Charleroi,  la  68^  D.R.  a  fait  meilleure  contenance  à  la  bataille 
de  Morhange  et  a  pu  couvrir  la  retraite  générale  avec  le  20^  corps.  Les 
divisions  de  réserve  ont  également  à  leur  actif  le  succès  d'Étain,  dans  les 
journées  du  24  et  du  25  août  ;  le  24  août  au  soir,  le  général  Maunoury  écrit 
dans  son  rapport  au  G.  Q.  G.  r  «  Cinq  divisions  de  réserve  ont  attaqué  aujour- 
d'hui de  front  et  de  flanc  la  gauche  ennemie.  La  situation  paraît  excellente. 
Les  divisions  de  réserve  ont  fait  preuve  de  solidité.  »  (Cf.  ENGERAND.fîrzcy, 
pp.  171  et  178). 

(2)  N'étant  pas  considérés  comme  de  véritables  unités  combattantes,  cer- 
tains régiments  de  réserve  sont  partis  sans  mitrailleuses  (Cf.  pénéral  Per- 
ciN    1914,  p    89). 

(3)  Pourquoi  38  ?  Le  recensement  de  1911  donne  39.600.000. 

(4)  Général  Buat,  ouvr.  rite,   66. 

(5)  Déclarations  du  général  Pau  au  Sénat,  31  juillet  1913. 


L'UTILISATION  DES  RÉSERVES  EN  1914  333 

Allemagne  on  n'appelait  qu'une  partie  du  contingent.  Mais 
quel  était  le  but  poursuivi  du  côté  français  ?  Maintenir  les 
formations  actives  à  un  effectif  aussi  élevé  que  possible.  Les 
formations  de  réserve  n'en  ont  bénéficié  que  par  ricochet. 

Les  unités  de  réserve  allemandes  ont  été  formées  norma- 
lement avec  les  hommes  des  classes  1908  à  1904,  âgés  de 
26  à  30  ans  ;  les  unités  de  réserve  françaises,  avec  les  hommes 
des  classes  1906  à  1903,  âgés  de  28  à  31  ans.  La  diffé- 
rence n'est  pas  grande  et  il  paraît  exagéré  d'affirmer  que 
du  côté  allemand  «  armée  active  et  unités  de  réserve  partirent 
avec  des  soldats  âgés  au  plus  de  28  ans,  alors  qu'en  France, 
des  unités  de  même  nature  incorporèrent  des  réservistes  ayant 
depuis  longtemps  dépassé  la  trentaine  »  (1).  Le  fait  est  que 
l'Allemagne  aurait  pu  ne  pas  incorporer  dans  ces  unités 
dos  hommes  âgés  de  plus  de  28  ans,  comme  la  France  aurait 
pu  ne  pas  y  incorporer  des  hommes  âgés  de  plus  de  30  ans. 
S'il  y  eut  cependant,  de  part  et  d'autre,  dans  les  unités  de 
réserve,  des  hommes  atteignant  ou  ayant  dépassé  la  tren- 
taine, c'est  que,  de  part  et  d'autre  sans  doute,  on  a  puisé 
dans  la  masse  sans  y  regarder  de  très  près.  Au  surplus, 
cette  question  a-t-elle  une  si  grande  importance  ? 

Les  Français  ont  renoncé  à  former  des  corps  de  réserve 
«  en  raison  des  difficultés  que  présentait  l'organisation  du 
commandement  et  des  services  de  ces  grandes  unités  créées 
dé  toutes  pièces  à  la  mobilisation  »  ;  ils  se  sont  contentés  de 
former  des  groupes  de  divisions  de  réserve,  —  4  groupes  de 
3  divisions  en  1914.  Les  Allemands  ont  surmonté  les  difficultés 
qui  avaient  arrêté  notre  Etat-major  ;  ils  ont  constitué  des 
corps  de  réserve,  de  composition  presque  identique  à  celle 
des  corps  actifs  (exception  faite  pour  l'artillerie)  :  14  corps 
de  réserve  en  1914.  L'Etat-major  allemand  a  donc  été,  semble- 
t-il,  plus  loin  que  l'Etat-major  français  dans  la  voie  de  l'orga- 
nisation des  réserves. 

Les  Allemands  ont  posé  le  principe  que  les  troupes  de 
réserve  devaient  être  employées  au  combat  comme  les  troupes 
de  l'active,  et  ils  n'ont  pas  hésité  à  appliquer  le  principe  : 
tous  leurs  corps  de  réserve  ont  participé  à  l'offensive  initiale 
(13  C.  R.  sur  le  front  ouest).  Les  Français  ont  posé  le 
principe  contraire  que  «  les  unités  de  réserve  ne  pouvaient 

(1)  Général  Buat,  ouvr.  cité,~p.  3. 


334 


HISTOIRE   DE  LA   GUERRE 


en  aucun  cas  être  assimilées  à  des  unités  actives  »,  et  qu'on 
ne  pouvait  les  utiliser  en  première  ligne  qu'à  des  missions 
spéciales,  d'ordre  défensif  :  14  divisions  de  réserve  ont  été 
adjointes  à  cet  effet  à  nos  armées  de  première  ligne  ;  elles 
n'ont  joué  qu'un  rôle  secondaire  dans  l'offensive  initiale.  On 
est  donc  fondé  à  dire  que  c'est  l'Etat-major  français,  et  non 
pas  l'Etat-major  allemand  «  qui  avait  peu  de  foi  dans  la 
capacité  offensive  des  grandes  unités  entièrement  composées 
de  réservistes  ».  Simple  constatation  de  fait  :  nous  ne  préten- 
dons nullement  discuter  les  doctrines. 


* 


Reste  la  question  de  savoir  si  le  commandement  français 
a  été  surpris  par  l'entrée  en  ligne  des  corps  allemands  de 
réserve  dès  le  début  des  opérations.  C'est  l'opinion  courante. 
A  vrai  dire,  elle  paraît  assez  fondée. 

A  l'appui  de  cette  opinion,  on  peut  invoquer  en  effet  : 

1°  les  déclarations  faites  par  le  général  Pau,  commissaire 
du  gouvernement,  le  31  juillet  1913,  à  la  tribune  du  Sénat  ; 
il  y  est  question  des  réserves  allemandes  «  destinées  comme 
chez  nous  à  étayer  l'armée  active,  à  la  remplacer  dans  les 
missions  secondaires  »  (1)  ; 

2°  certaines  déclarations  très  catégoriques  recueillies  par 
la  Commission  d'enquête  de  Briey,  notamment  celles  relatives 
à  l'entrevue  du  général  de  Castelnau  et  du  général  Lebas,  le 
14  juin  1912  (c'est  la  scène  bien  connue  du  «  double  déci- 
mètre :  «  De  combien  de  corps  d'armée,  aurait  déclaré 
le  général  de  Castelnau,  pensez-vous  que  nos  ennemis  puis- 
sent disposer  au  moment  de  la  mobilisation  ?  —  23  ou  25 
au  plus,  car  nous  ne  pouvons  admettre  que  dès  le  début  des 
opérations  leurs  réserves  soient  en  ligne  »  (2)  ; 

3°  la  brochure  anonyme,  et  qu'on  peut  qualifier  d'officieuse, 
dont  l'auteur  était  le  général  (alors  lieutenant-colonel)  Buat, 
sur  la  concentration  allemande  (3)   :  l'auteur  prévoyait  que 

(1)  J.  Officiel  du  !«'  août  1913,  p.  1277. 

(2)  Procès-verbaux,  1"  partie,  p.  182,  déposition  de  M,  Georges  Vandame, 
qui,  étant  rapporteur  du  projet  de  déclassement  de  la  place  de  .Lille,  a 
assisté  à  l'entretien  des  deux  généraux. 

(3)  La  Concentration  allemande,  d'après  un  document  trouvé  dans  un 
compartiment  de  chemin  de  fer,  traduit  fidèlement  par  XXX.  Paris,  Chape- 
lot,  1914,  p.  18. 


l'utilisation  des  réserves  en  1914  335 

l'Allemagne  mettrait  en  ligne  contre  la  France  22  corps  actifs 
«  dont  l'infanterie  sera  presque  exclusivement  composée 
d'hommes  du  contingent  ».  «  Viendront  s'y  joindre  20  divi- 
sions de  réserve,  sur  25  »,  évaluées  à  320.000  hommes. 

4°  les  premiers  bulletins  de  renseignement  du  G.  Q.  G.  en 
août  1914.  Le  bulletin  du  6  août  (1)  signale  que  les  Alle- 
mands semblent  «  exécuter  un  plan  de  concentration  conçu 
il  y  a  deux  ans,  et  dont  on  a  eu  communication  »  ;  il  évalue 
le  groupement  ennemi  de  droite  à  15  corps  actifs   (armée 
nord  5  corps,  2  ou  3  D.  R...  ;  armées  du  sud,  6  et  4  corps  ; 
(«  ces  armées  n'ont  pas  de  D.  R.  Ce  qui  semble  indiquer 
qu'elles  forment  essentiellement  la  troupe  de  choc  »)  ;  il  ne 
mentionne  que  2   corps   de   réserve   en  Alsace  ;  «  au  total 
contre  nous  20  corps  (actifs),  7  D.  R.  (ou  8  ?)  »,  Jusqu'au 
16  août  au  soir,  l'ordre  de  bataille  allemand,  tel  que  se  le 
représente  le  G.  Q.  G*  français,  ne  comprend  pas  de  grandes 
unités  de  réserve,  sauf  à  l'aile  gauche  :  les  forces  allemandes 
réunies  autour  de   Thionville,   dans   le   Luxembourg,   et  en 
Belgique  sont  évaluées  13  à  15  corps  (actifs)  (2).  L'exposé 
du  Service  historique  nous  apprend  que  «  le  17  août,  tard 
dans  la  soirée,  arrive  au  G.  Q.  G.  un  renseignement  sérieux 
signalant  pour  la  première  fois  la  présence  de  corps  de  réserve 
allemands  derrière  les  corps  actifs  »  (3)  ; 

5°  la  conviction  manifestée  par  le  général  en  chef,  jusqu'au 
23  août  I9I4,  que  nous  avions  une  «  supériorité  numérique  » 
marquée  sur  les  armées  allemandes  opérant  en  Belgique.  On 
peut  lire  en  effet  dans  son  rapport  au  Ministre  de  la  Guerre, 
daté  du  23  août,  7  heures  :  «  Nous  avons  pris  depuis  hier 
l'offensive...  entre  la  région  de  Longvvy  et  celle  de  Mézières. 
Dans  la  partie  droite,  nous  ne  progressons  que  lentement, 
malgré  une  supériorité  numérique  marquée...  Dans  la  partie 
gauche,  se  développe  une  action  en  terrain  parfois  difficile. 
Ici  encore  nous  avons  une  supériorité  numérique  considé- 
rable... »  (4). 

(1)  Procès-verbaux,  1"  partie,  p.  360. 

(2)  Les  Armées  françaises,  pp.  342-343  ;  cf.  Instruction  n"  13,  publiée 
dans  Engerand,  Briey,  p.  209. 

(3)  Les  Armées  françaises,  p.  348.  Cependant,  dès  le  12  août,  la  5»  armée 
avait  attiré  l'attention  du  G.Q.G.  sur  la  possibilité  de  voir  chez  les  Allemands 
des  corps  de  réserve  juxtaposés  aux  corps  actifs.  »  (Le  Plan  XVII  dans 
la  Revue  de  Paris,  15  mars  1920,  p.  347). 

(4)  G.Q.G.  pièce  300  n°  1788,  citée  par  F.  Emoérand,  Briey,  p.  129. 


336  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE  '  r 

De  ces  témoignages  et  de  ces  textes,  on  serait  en  droit  de 
conclure  que,  si  le  commandement  français  soupçonnait  l'exis- 
tence de  corps  de  réserve  allemands,  il  n'escomptait  pas  leu'r 
entrée  en  ligne  immédiate  dans  la  bataille.  Cependant  le 
général  Regnault,  qui  fut  sous-chef  de  l'Etat-major  de  l'Armée 
de  1910  à  1912,  a  déclaré,  de  son  côté,  à  la  Commission 
d'enquête  de  Brie3%  qu'il  avait  eu  au  2^  bureau  des  rensei- 
gnements formels  sur  l'emploi  des  réserves  par  les  Alle- 
mands (1)  ;  par  la  suite,  il  a  précisé  qu'  «  en  1911,  le  service 
des  renseignements  fit  parvenir  à  l'Etat-major  de  l'Armée 
la  critique  par  le  général  de  Moltke  d'un  exercice  sur  la 
carte  exécuté...  par  le  grand  Etat-major  allemand.  Cette  cri- 
tique... faisait  ressortir  que  les  Allemands  considéraient 
l'emploi  des  corps  de  réserve  à  côté  des  corps  actifs  comme 
de  règle  dans  l'armée  allemande  aussi  bien  que  dans  l'armée 
française...  »  (2).  Mais  voici  mieux  :  l'exposé  du  Service  histo- 
rique nous  affirme  que  l'Etat-major  français  savait,  depuis 
1905,  que  les  formations  allemandes  de  réserve  pourraient  être 
groupées  en  corps  d'armée,  qu'il  avait  étudié  le  dernier  plan 
de  mobilisation  allemand,  daté  du  9  octobre  1913  et  entré 
en  application  le  P'"  avril  1914,  et  que  l'analyse  de  ce 
document  faite  en  mai  1914  lui  avait  confirmé  l'existence 
des  corps  de  réserve,  et  leur  rôle  identique  à  celui  des  corps 
actifs.  La  conclusion  de  l'analyse  disait  textuellement  :  «  En 
résumé,  le  corps  d'armée  de  réserve,  destiné  à  être  employé 
à  des  opérations  actives,  comme  le  corps  actif,  est  devenu, 
d'après  le  nouveau  plan  de  mobilisation,  un  outil  plus  homo- 
gène et  mieux  encadré  que  précédemment,  tout  en  étant  plus 
léger  que  le  corps  actif  »  (3).  Enfin,  on  nous  apprend  que 
les  forces  concentrées  contre  la  France  étaient  évaluées  à 
«  20  corps  actifs,  10  corps  de  réserve,  8  divisions  de  cava- 
lerie et  8  divisions  de  réserve  »  ÇA). 

Il  faut  avouer  que  de  telles  révélations  sont  assez  déconcer- 
tantes et  qu'elles  ne  paraissent  pas  de  nature  à  éclaircir  le 
problème  historique,  déjà  si  compliqué,  de  la  mise  en  œuvre 

{V\  Procès-verbaux,  V>  partie,  p.  326. 

(2)  Général  Regnault,  LVc/iec  du  p/an  17,  dans  iîepued*  Paris,  15  juillet 
1920,  p.  370. 

(3)  Les  Armées  françaises,  p.  39. 

(4)  Les  Armées  françaises,  p.  40. 


l'utilisation  des  réserves  en  1914  337 

du  plan  XVII.  D'où  vient  que  les  dix  corps  de  réserve  alle- 
mands, prévus  dans  les  évaluations  de  mai  1914,  soient  com- 
plètement négligés  dans  les  évaluations  d'août  1914  ?  Faut-il 
admettre  que  le  3^  bureau  ignorait  ce  que  savait  le  2*  bureau  ? 
ou  bien  encore  —  hypothèse  plus  vraisemblable  —  que  le 
commandement  ne  croyait  pas  aux  renseignements  fournis 
par  les  bureaux  ?  Sur  ce  point  nous  devons  nous,  borner  à 
constater  sans  conclure.  L'énigme  reste  à  déchiffrer  :  attendons 
que  passe  Œdipe. 

Jules  Isaac 


DOCUMENTS 


Le  Procès  Soukhom!inof« 

La  Genèse  de  l'affaire. 


Le  procès  de  l'ex-ministre  russe  de  la  guerre,  le  général 
Soukhomlinof,  mérite  l'attention  particulière  des  historiens  de 
la  Grande  Guerre.  Appelé  à  ce  poste  en  1909,  le  général 
Soukhomlinof  fut  le  principal  collaborateur  du  défunt  empe- 
reur Nicolas  II  pour  l'organisation  de  notre  armée  après  la 
malheureuse  campagne  du  Japon.  La  question  de  sa  respon- 
sabilité propre  dans  la  préparation  défectueuse  de  nos  troupes 
et  dans  l'insuffisance  des  munitions  dont  elles  étaient  pourvues 
fut  posée  par  la  Douma  au  printemps  1915,  après  la  retraite  de 
notre  armée  de  Galicie.  Sous  la  pression  de  l'opinion  publique 
surexcitée,  l'Empereur  fut  obligé  de  se  séparer  de  son  vieux 
collaborateur.  Le  13  juin  1915,  fut  publié  l'ordre  du  monarque 
portant  nomination  du  général  Soukhomlinof  comme  m.embre 
du  Conseil  d'Empire,  qui  est  notre  Haute  Assemblée  législa- 
tive ;  il  était  relevé  de  ses  fonctions  de  ministre  de  la  guerre. 
L'ordre  était  accompagné  d'une  lettre  extrêmement  bienveil- 
lante de  l'Empereur  à  son  ministre  favori.  Cette  mesure  ne  sa- 
tisfit cependant  ni  la  société,  ni  la  Douma  qui  reflétait  l'opinion 
publique.  Les  nouvelles,  qui  continuaient  d'arriver,  sur  les  hor- 
reurs de  la  retraite  de  Galicie  et  sur  l'état  de  nos  troupes,  dé- 
sarmées et  décimées  par  le  feu  des  canons  allemands,  attisaient 
l'indignation  publique  contre  les  coupables  de  la  catastrophe, 
et  surtout  contre  le  général  Soukhomlinof.  Des  bruits  de  trahi- 
son pénétraient  dans  la  société.  Pour  calmer  les  esprits  surex- 
cités, on  décida  de  constituer  une  commission  qui  devait  éclair- 


LE  PROCES  SOUKHOMLINOF  339 

cir  la  situation.  Le  25  juillet  1915,  fut  publié  un  ordre  de 
l'Empereur  établissant  une  Haute  Commission  en  vue  d'une 
«  enquête  à  tous  les  points  de  vue  »,  comme  disait  l'ukaze, 
«  sur  les  circonstances  qui  ont  causé  l'approvisionnement  trop 
«  tardif  et  insuffisant  de  l'armée  en  munitions  ■».  Le  général  du 
génie  Pétrof,  très  connu  dans  les  milieux  militaires,  fut  nommé 
chef  de  cette  commission.  Il  eut  comme  collaborateurs  les  vice- 
présidents  des  deux  assemblées  législatives  et  des  représen- 
tants du  Conseil  d'Empire  et  de  la  Douma.  Le  gouvernement  se 
disait  probablement  que  le  problème  très  compliqué,  proposé 
par  lui,  demanderait  beaucoup  de  temps  pour  être  résolu,  et 
qu'il  aurait  remédié  au  mal  avant  que  la  commission  eût  fini 
ses  travaux.  D'ailleurs,  les  attributions  de  la  commission 
étaient  limitées  par  l'ukaze,  qui  ne  la  chargeait  de  dévoiler 
que  les  causes  de  la  catastrophe,  et  nullement  ses  auteurs.  Mais 
ces  calculs,  s'ils  existaient,  étaient  mal  fondés  ;  car,  dès  le 
début  de  ses  travaux,  la  commission  reçut  des  renseignements, 
qui  dévoilaient  des  actes  criminels  du  ministre  de  la  guerre 
lui-même.  La  communication  du  ministre  de  la  justice  au 
général  Pétrof,  datée  du  15  août  1915,  était  à  ce  point  de  vue 
d'une  importance  capitale.  Il  s'y  agissait  de  faits  mis  au  jour 
par  une  enquête,  commencée  à  cette  époque,  sur  les  agisse- 
ments du  lieutenant-colonel  Miassoïédof  et  ses  nombreux  com- 
plices, accusés  tous  d'espionnage.  Ces  circonstances  établis- 
saient une  grande  intimité  entre  le  général  Soukhomlinof  et  un 
certain  nombre  de  personnes  convaincues  d'espionnage  et  de 
malversations,  au  temps  où  elles  approvisionnaient  l'armée  de 
fournitures  militaires.  On  ne  saurait  passer  sous  silence  que  le 
ministre  de  la  justice  avait  reçu  du  monarque  une  autorisation 
particulière  pour  communiquer  les  renseignements  sus-men- 
tionnés.  Dans  ces  conditions,  la  commission  ne  put  faire 
autrement  que  d'établir  la  responsabilité  personnelle  du  géné- 
ral Soukhomlinof.  Le  travail  dans  ce  sens  fut  mené  avec  une 
grande  énergie.  A  la  fin  de  février  1916,  la  commission  avait 
rassemblé  des  matériaux  considérables,  qui  établissaient 
surabondamment  que  le  général  Soukhomlinof  était  coupable 
d'espionnage  et  de  bien  des  malversations.  La  mise  en  juge- 
ment de  l'ancien  ministre  de  la  guerre  devenait  inévitable. 

Les  formes  en  vigueur  alors  pour  les  poursuites  intentées 
aux  ministres,  aux  membres  des  deux  assemblées  législatives 
et  à  certains  représentants  de  l'autorité  supérieure  pour  des 


340  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

délits  de  service,  ou  commis  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions, 
étaient  les  suivantes  :  les  plaintes  ou  les  rapports  sur  les  délits 
commis  par  ces  personnes  devaient  être  autorisés  par  l'Em- 
pereur lui-même  ;  il  pouvait  ne  pas  donner  suite  auxdites 
plaintes  ou  rapports,  ou  bien  les  soumettre  à  une  assemblée, 
qu'on  appelait  premier  département  du  Conseil  d'Empire. 
Cette  assemblée  se  composait  de  membres  du  Conseil,  nommés 
pour  un  an  par  le  monarque.  Elle  était  autorisée  soit  à  ne  pas 
donner  suite  aux  plaintes  et  aux  rapports,  soit  à  ordonner  une 
enquête  préalable  sur  les  délits  qu'elle  considérait  comme 
graves.  L'ordre  de  commencer  une  enquête  préalable  était 
exécuté  sans  qu'on  demandât  une  nouvelle  autorisation  au 
monarque.  Un  «  sénateur  »  de  la  Cour  de  cassation  pour  les 
affaires  civiles  et  criminelles  était  nommé  par  l'Empereur  à  cet 
effet. 

Le  Sénat  Dirigeant  occupait  une  place  à  part  dans  l'orga- 
nisation politique  de  la  Russie.  Il  réunissait  et  englobait  tous 
les  organes  juridiques  et  administratifs  de  l'Empire  :  la  Cour 
de  cassation  pour  les  affaires  civiles  et  criminelles  était  tout 
naturellement  du  nombre.  Les  organes  juridiques  du  Sénat 
s'appelaient  «  départements  ».  L'Empereur  lui-même  était  le 
président  du  Sénat  ;  ceux  des  départements  s'appelaient  «  pre- 
miers présidents  »,  et  les  membres  de  la  Haute  Assemblée  «  sé- 
nateurs ».  Le  Sénat  avait  son  procureur,  qui,  aux  termes  de  la 
loi  russe,  se  nommait  «  Procureur  général  ».  Il  était  le  chef  de 
tous  les  procureurs  de  Russie.  Ces  fonctions  étaient  générale- 
ment remplies  par  le  ministre  de  la  justice.  Les  procureurs  des 
départements  ou  «  Ober-Procureurs  »  et  leurs  aides  nommés 
«  Ober-Procureurs  adjoints  »  étaient  immédiatement  subor- 
donnés au  Procureur  général.  Un  des  membres  des  cours  de 
cassation  civile  ou  criminelle  de  l'Empire  remplissait  les 
fonctions  de  juge  d'instruction  dans  les  affaires  de  délits  de 
service  pu  de  délits  commis,  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions, 
par  les  représentants  supérieurs  du  pouvoir.  La  loi  revêtait 
des  fonctions  de  procureur  dans  les  affaires  de  ce  genre 
r  «  Ober-procureur  »  de  la  Cour  criminelle  de  cassation,  fonc- 
tions que  remplissait  celui  qui  écrit  ces  lignes  au  moment  où 
l'affaire  Soukhomlinof  a  commencé. 

L'enquête  préalable  était  soumise  à  des  principes  géné- 
raux :  une  fois  terminée,  elle  était  expédiée  par  le  sénateur-ju- 
ge d'instruction  à  l'Ober-procureur,  qui  la  soumettait,  accom- 


LE  PROCÈS  SOUKHOMLINOF.  34I 

pagnée  de  ses  conclusions  écrites,  au  premier  département  du 
Conseil  d'Empire  déjà  cité.  Dans  ces  conclusions,  le  Procureur 
exposait  en  détail  les  circonstances  de  l'affaire  mises  au  jour 
par  l'enquête,  de  même  que  son  opinion  sur  le  bien-fondé  de  la 
mise  en  jugement  de  l'inculpé  ;  s'il  était  défavorable  à  ce  der- 
nier, il  devait  énumérer  les  crimes  dont  il  fallait  l'accuser. 
Après  l'examen  de  l'affaire  et  les  conclusions  de  l'Ober-pro- 
cureur,  le  premier  département  du  Conseil  d'Etat  décidait  de 
traduire  l'inculpé  en  justice,  ou  de  lui  infliger  un  châtiment 
disciplinaire,  ou  bien  de  classer  l'affaire.  Cette  décision  n'était 
exécutable  qu'après  avoir  été  approuvée  par  le  monarque,  qui 
avait  seul  qualité  pour  terminer  l'affaire.  Lorsqu'on  mettait 
l'accusé  en  jugement,  l'affaire  était  jugée  par  un  tribunal 
spécial,  que  la  loi  russe  nommait  «  Haute  Cour  criminelle  » 
et  qui  était  établi  sur  un  ordre  spécial  du  monarque.  Il  se 
composait  d'un  président  choisi  tous  les  ans,  «  sans  en  rendre 
compte  à  personne  »,  par  l'Empereur,  parmi  les  membres  du 
Conseil  d'Empire,  de  trois  «  sénateurs-premiers  présidents  » 
et  de  cinq  sénateurs  ordinaires,  nommés  également  par  le 
tsar.  La  loi  chargeait  des  fonctions  de  procureur  à  la  Haute 
Cour  criminelle  l'Ober-procureur  du  département  criminel  de 
cassation  du  Sénat.  Les  arrêts  de  cette  cour  étaient  sans  appel, 
et  les  condamnés  n'avaient  que  le  recours  en  grâce  à  leur 
disposition. 

La  décision  de  la  Haute  commission  de  traduire  l'ancien 
ministre  de  la  guerre,  général  Soukhomlinof,  devant  une  cour 
criminelle,  ne  pouvait  donc  être  réalisée  que  si  cette  commis- 
sion soumettait  ses  conclusions  à  l'examen  de  l'Empereur.  La 
commission  usa  de  son  droit.  Le  tsar,  ayant  pris  connaissance 
de  son  rapport,  fit  remettre  l'affaire  au  premier  Département 
du  Conseil  d'Empire.  Le  15  mars  1916,  cette  assemblée  prit 
la  décision  de  faire  faire  une  enquête  préalable  sur  l'accusa- 
tion, portée  contre  le  général  Soukhomlinof,  de  toute  une  série 
de  crimes,  entre  autres  celui  de  haute  trahison.  A  cette  époque, 
le  général  Soukhomlinof  était  déjà  mis  en  disponibilité  par 
retrait  d'emploi-  La  décision  prise  par  le  premier  département 
du  Conseil  d'Empire,  publiée  dans  les  journaux,  fit  une  grande 
impression  sur  la  société  et  la  Douma.  Le  fait  qu'un  homme 
soupçonné  à  bon  droit  de  crimes  graves  avait  rempli,  pendant 
de  longues  années,  les  fonctions  de  ministre  de  la  guerre  à 
l'époque  redoutable  de  la  réorganisation  de  notre  armée,  ne 


342  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

pouvait  pas  ne  pas  susciter  de  très  sérieuses  craintes  pour  l'is- 
sue de  la  guerre.  De  plus,  personne  n'ignorait  que  le  général 
Soukhomlinof  jouissait  d'une  confiance  illimitée  et  d'une  gran- 
de sympathie  de  la  part  du  défunt  empereur.  Dans  ces  condi- 
tions, il  était  difficile  d'exagérer  la  portée  sociale  et  politique 
du  procès  intenté.  Rien  d'étonnant  qu'au  cours  de  l'enquête 
préalable  se  soit  formée,  autour  de  cette  affaire,  une  atmosphè- 
re absolument  malsaine  de  luttes  à  la  cour  et  dans  les  milieux 
gouvernementaux.  Le  défunt  Empereur  ne  croyait  probable- 
ment pas  à  la  culpabilité  de  son  ancien  collaborateur  ;  mais, 
décidé  à  laisser  l'affaire  suivre  son  cours,  conform.ément  à  la 
loi,  il  se  borna  d'abord  à  écouter  les  rapports  du  ministre  ,de 
la  justice  sur  la  marche  de  l'enquête  préalable,  et  ne  fit  pas 
voir  son  désir  secret  d'apprendre  que  les  recherches  sur  les 
crimes  dont  on  accusait  le  général  Soukhomlinof  prenaient 
une  tournure  qui  lui  était  favorable.  Averti  par  le  ministre  de 
la  justice  Khvostof  qu'on  allait  mettre  le  général  Soukhomlinof 
en  détention  préventive,  l'Empereur  ne  fit  aucune  objection 
contre  cette  mesure.  Au  bout  de  quelques  mois  cependant, 
l'humeur  du  tsar  changea  sous  l'influence  de  l'Impératrice.  Un 
groupe   d'habitués  de   la   cour  était  arrivé  à  faire   croire  à 
l'Impératrice  que  l'ancien  ministre  de  la  guerre  était  une  vic- 
time innocente  des  milieux  de  l'opposition  et  que  son  procès 
ne  laisserait  pas  d'être  dangereux  au  point  de  vue  politique. 
L'Empereur  penchait  de  plus  en  plus  vers  ce  point  de  vue  ; 
mais  le  ministre  de  la  justice  Khvostof  était  un  défenseur 
décidé  du  principe  de  la  légalité  et  de  l'indépendance  de  la 
justice  ;  dans  ses  rapports  au  monarque,  il  ne  se  lassait  pas  de 
répéter  qu'il  était  impossible  de  classer  l'affaire  Soukhomlinof, 
étant  donné  l'énervement  général,  et  qu'un  procès  public  in- 
tenté à  l'ancien  ministre  de  la  guerre  était  le  seul  moyen 
d'apaiser  l'indignation  populaire  contre  le  principal  auteur  de 
nos  défaites.  Les  arguments   du  ministre  eurent  du  succès 
pendant   quelque   temps  ;  mais    l'influence    de   l'Impératrice 
finit  par  triompher.  Dans  l'été  1916,  le  tsar  nomma  Khvostof 
ministre  de  l'intérieur,  et  confia  le  portefeuille  de  la  justice  au 
membre  du  Conseil  d'Empire  Makarof.  L'expîication  officielle 
de  cet  ukaze  était  la  suivante  :  le  président  du  Conseil  des 
ministres,  Stiirmer,  ne  pouvait  plus  diriger  la  politique  générale 
et  faire  en  même  temps  le  travail  du  ministre  de  l'Intérieur. 
Mais,  en  réalité,  nous  étions  redevables  de  ce  changement  au 


LE  PROCÈS  SOUKHOMLINOF  343 

désir  ferme  de  l'Impératrice  de  voir  l'affaire  Soukhomlinof 
classée,  à  l'aide  d'un  ministre  de  la  justice  plus  accommodant. 
L'Empereur  jeta  donc  son  dévolu  sur  le  membre  du  Conseil 
d'Empire  Makarof,  qui  ne  réalisa  pas  les  espérances  qu"on 
avait  fondées  sur  lui.  Aidé  par  moi,  il  étudia  rapidement  l'af- 
taire  du  général  Soukhomlinof  et  fit  savoir  au  tsar,  quelques 
jours  après  sa  nomination,  que  l'enquête  préalable  ne  pouvait 
pas  être  supprimée,  et  qu'étant  donnée  la  situation,  il  n'y  avait 
aucun  motif  légal  pour  remettre  le  général  Soukhomlinof  en 
liberté.  Dans  ces  conditions,  les  défenseurs  influents  du  géné- 
ral Soukhomlinof  furent  obligés  de  renoncer  pour  quelque 
temps  à  leur  projet  d'arriver  à  étouffer  l'affaire.  Leurs  efforts 
se  portèrent  d'un  autre  côté  et  finirent  par  être  couronnés  de 
succès. 

Peu  de  temps  après  son  entrée  en  fonctions,  le  ministre  de 
la  justice  Makarof  reçut,  de  Mohilef ,  un  télégramme  signé  par 
l'Empereur,  contenant  l'ordre  de  remplacer  la  détention  du 
général  Soukhomlinof  par  des  arrêts  à  domicile.  Cette  mesure 
de  garantie  personnelle  de  l'accusé  n'était  pas  inconnue  à 
notre  code  de  procédure  criminelle,  du  temps  de  la  monarchie. 
Mais  un  ordre  semblable  de  l'Empereur  était  entièrement  en 
dehors  des  usages  administratifs  russes.  D'après  les  lois  en 
vigueur,  le  monarque  avait  le  droit  d'amnistie  partielle  ;  mais 
cette  faveur  du  chef  de  l'Etat  n'était  accordée  qu'à  des  person- 
nes condamnées  à  une  peine  quelconque  par  l'arrêt  d'un  tri- 
bunal. Or  il  s'agissait  à  ce  moment  d'un  arrêté  de  juges  qui 
pouvait  être  modifié  par  le  sénateur-juge  d'instruction,  ou  par 
rOber-procureur  qui  surveillait  l'enquête,  ou  bien  encore  par 
décision  de  la  Haute  Cour  criminelle.  Ayant  pesé  mûrement 
les  choses,  le  sénateur-juge  d'instruction  prit  la  résolution  dj 
se  soumettre  à  la  volonté  du  monarque  et  de  remplacer  la 
détention  du  général  Soukhomlinof  par  des  arrêts  à  domicile. 
Il  le  fit  par  un  ordre  émanant  de  sa  personne.  Quant  au  télé- 
gramme du  tsar,  il  resta  dans  les  dossiers  du  ministre  de  la 
justice  et  ne  fut  pas  inséré  dans  celui  du  juge  d'instruction. 

Bientôt  après,  le  ministre  de  la  justice  Makarof  reçut  de 
l'Empereur  un  nouveau  télégramme  dont  la  teneur  était  à  peu 
près  la  suivante  :  «  Par  la  présente,  je  vous  ordonne  d'arrêter 
pour  toujours  l'affaire  de  l'ancien  ministre  Soukhomlinof.  » 
La  loi  citée  plus  haut,  loi  qui  avait  force  en  Russie,  n'autorisait 
pas  le  monarque  à  faire  un  tel  acte.  De  plus,  l'exécution  de 


5^4  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

l'ordre  du  monarque,  dans  le  cas  présent,  était  dangereuse 
politiquement.  Informé  de  ce  qui  se  passait,  le  président  du 
Conseil  des  ministres,  Trépof,  convoqua  en  session  extraor- 
dinaire un  Conseil  qu'il  présida  et  qui,  à  l'unanimité,  résolut 
de  s'adresser  au  monarque,  en  lui  demandant  de  revenir  sur 
sa  décision.  L'Empereur  ne  voulut  pas  entrer  en  conflits  avec 
tout  son  gouvernement,  et  donna  l'autorisation  de  ne  pas  exé- 
cuter son  ordre. 

La  lutte  qui  était  née  autour  de  l'affaire  du  général 
Soukhomlinof  ne  s'arrêta  pas  là.  Les  partisans  de  l'ex-ministre 
rassemblèrent  leurs  efforts  dans  le  même  but,  pour  obtenir  le 
départ  du  ministre  de  la  justice  Makarof,  qui  leur  résistait. 
En  décembre  1916,  par  ukaze  de  l'Empereur,  Makarof  fut 
congédié  et  nommé  membre  du  Conseil  d'Empire.  Le  même 
ukaze  nommait  le  sénateur  Dobrovolsky  ministre  de  la  justice. 
Comme  son  prédécesseur,  dès  son  entrée  en  fonctions,  il  prit 
connaissance  de  l'enquête  préalable  de  l'affaire  du  général 
Soukhomlinof,  et  comme  M.  Makarof,  dès  son  premier  rap- 
port à  l'Empereur,  il  exprima  catégoriquement  la  nécessité  de 
la  mise  en  jugement  de  l'ex-ministre  de  la  guerre. 

Le  ministre  de  la  justice  Dobrovolsky  ne  fut  pas  «  remercié  » 
par  l'Empereur.  Il  abandonna  son  poste  en  février  1917,  par 
la  force  des  choses,  après  avoir  été  arrêté  sur  l'ordre  du 
gouvernement  provisoire,  et  enfermé  dans  une  des  casemates 
de  la  forteresse  Pierre-et-Paul,  à  Pétrograd.  Son  remplaçant 
fut  un  avocat,  peu  connu  jusque  là,  élu  au  commencement  de 
la  Révolution  de  février  comme  secrétaire  du  président  du 
Soviet  des  députés  soldats  et  paysans,  puis  premier  ministre, 
ministre  de  la  guerre,  commandant  en  chef  de  l'armée,  — 
Kerensky. 

A  ce  moment,  l'enquête  préliminaire  sur  l'affaire  du  général 
Soukhomlinof  était  déjà  terminée.  Outre  le  général  Soukhom- 
linof, sa  jeune  femme,  Catherine  Soukhomlinof,  était  inculpée 
comme  complice  ;  sa  présence  au  jugement  et  à  l'enquête  était 
garantie  par  une  forte  caution.  Un  des  premiers  actes  du 
gouvernement  provisoire  au  sujet  de  cette  affaire  fut  de  mettre 
sous  arrêts  le  général  Soukhomlinof  et  sa  femme.  Cette  mesure 
prise,  en  dehors  de  l'autorité  judiciaire,  à  l'égard  de  l'ancien 
ministre,  trouvait,  sinon  sa  justification,  au  moins  son  explica- 
tion dans  «  le  droit  révolutionnaire  »  au  nom  duquel  agissait 
le  nouveau  gouvernement.  —  Pourquoi  a-t-on  jugé  nécessaire 


LE  PROCÈS  SOUKHOMLINOF  345 

de  mettre  ensuite  en  prison  M'"^  Soukhomlinof  ?  Je  l'ignore, 
et  je  ne  le  comprends  pas.  —  Ces  mesures  montrent,  en  tous 
cas,  que  le  nouveau  gouvernement,  en  la  personne  de  Ke- 
rensky,  attachait  à  l'affaire  du  général  Soukhomlinof  une 
grande  importance. 

Un  des  premiers  actes  du  nouveau  ministre  de  la  justice 
fut  la  création,  sous  la  présidence  de  Mouravief,  avocat  de 
Moscou,  d'une  commission  extraordinaire  d'enquête  pour  l'ins- 
truction des  actes  criminels  des  ministres  et  des  hauts  fonc- 
tionnaires du  gouvernement  impérial. 

Le  gouvernement  provisoire  fondait  de  grandes  espérances 
sur  cette  commission.  La  découverte  des  abus  des  représen- 
tants responsables  du  gouvernement  déchu  devait  consolider  la 
situation  du  nouveau  gouvernement  et  justifier  l'arrestation  de 
la  plupart  des  ministres.  Mais  tous  les  efforts  des  nombreux 
collaborateurs  de  cette  commission  restèrent  sans  résultat.  La 
commission  ne  parvint  pas  à  établir  des  faits  délictueux  de  la 
part  des  hauts  fonctionnaires  de  l'ancien  régime.  Pour  justifier 
l'existence  du  nouvel  organe  exceptionnel  chargé  de  fonctions 
judiciaires,  il  fut  décidé  de  lui  remettre  l'enquête  préalable,  dé- 
jà terminée  à  ce  moment,  sur  l'affaire  du  général  Soukhomlinof 
et  de  sa  femme,  et  de  les  livrer  au  tribunal  selon  la  procédure 
exceptionnelle  qui  avait  été  établie,  pour  les  procès  futurs,  — 
ceux  qui  surgiraient  à  la  suite  des  affaires  de  malversations 
découvertes  par  la  commission. 

L'étrange  concours  de  circonstances,  qui  avait  si  fatalement 
influé  sur  la  carrière  administrative  des  deux  ministres  de  la 
justice  du  gouvernement  impérial,  devait  affermir  la  position 
du  nouveau  ministre,  comme  représentant  de  la  démocratie 
révolutionnaire  au  sein  du  gouvernement  provisoire.  Le  ca- 
ractère exclusivement  politique  de  la  mesure  prise  était  sou- 
ligné par  cette  circonstance  que,  au  moment  où  l'on  remettait 
l'affaire  à  la  Commission  extraordinaire  d'enquête,  le  gouver- 
nement provisoire  avait  déjà  publié  une  nouvelle  loi  sur  le 
mode  de  mise  en  jugement  et  sur  la  compétence  en  matière  de 
crimes  commis  par  des  ministres.  D'après  cette  nouvelle  loi,  le 
Sénat  Dirigeant  servait  de  Chambre  de  mise  en  accusation 
pour  les  affaires  de  ce  genre  ;  l'examen  du  fond  était  confié 
à  une  commission  des  sénateurs  du  département  de  cassation 
pour  les  affaires  criminelles,  assistée  d'un  jury.  La  nouvelle  loi, 
comme   l'ancienne,   investissait   des   fonctions   de   procureur 


346  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

r  «  Ober-procureur  »  du  département  de  cassation  pour  les  af- 
faires criminelles.  Il  aurait  semblé  qu'il  n'y  avait  aucune  raison 
d'enfreindre  la  loi  qui  venait  d'être  établie.  En  réalité,  le  dossier 
de  l'affaire,  sur  l'initiative  du  ministre  de  la  justice  Kerensky, 
fut  demandé  à  la  Commission  extraordinaire  d'enquête  et  sou- 
mis à  l'examen,  non  pas  du  Sénat  Dirigeant,  mais  du  gouver- 
nement provisoire  qui,  d'après  un  décret  publié  dans  le  Recueil 
des  lois  et  des  décrets  du  gouvernement,  c'est-à-dire  dans 
l'ordre  conforme  à  la  loi,  traduisit  le  général  Soukhomlinof  et 
sa  femme  devant  le  Sénat  Dirigeant,  avec  assistance  d'un  jury. 

L'examen  de  l'affaire  dura  un  mois  (août-septembre  1917) 
à  Petrograd. 

A  la  commission  juridique  du  gouvernement  prirent  part  les 
sénateurs  suivants  :  Tagantsef  en  qualité  de  président,  lour- 
chevsky,  Tchebychef  en  qualité  de  membres.  L'auteur  de  ces 
lignes  remplissait  les  fonctions  de  procureur  de  la  chambre 
criminelle  de  la  Cour  de  cassation,  assisté  spécialement  pour 
cette  affaire  d'un  jeune  avocat,  Dantchitch,  nommé  dans  les 
fonctions  d'ober-procureur  adjoint. 

Ce  dernier,  d'après  la  pensée  du  gouvernement,  devait  pren- 
dre part  à  l'affaire,  en  qualité  d'accusateur  public. 

L'idée  de  faire  participer  des  représentants  de  la  société  en 
qualité  d'accusateurs,  de  pair  avec  la  procurature  du  gouver- 
nement, dans  les  procès  criminels,  avait  surgi  au  commence- 
ment du  ministère  de  Kerensky  à  la  justice,  mais  n'avait  pas 
été  mise  à  exécution. 

C'est  seulement  après  qu'il  eut  été  décidé  que  l'affaire 
Soukhomlinof  viendrait  devant  le  tribunal,  que  le  ministre  de 
la  justice  Zaroundy  souleva  de  nouveau  la  question  ;  mais, 
comme  il  était  impossible  faute  de  temps  de  faire  cette  ré- 
forme sous  forme  de  loi,  en  modifiant  le  texte  du  Code  de 
procédure  criminelle,  il  fut  décidé  de  proposer  à  l'un  des  mem- 
bres du  barreau  de  Petrograd  de  se  présenter  comme  accu- 
sateur public,  dans  le  procès  en  instance,  en  qualité  de  membre 
provisoire  de  1'  «  ober-procurature  ». 

Le  choix  de  Zaroudny  tomba  sur  M.  Dantchitch,  qui  ne  put 
prendre  une  part  active  au  procès  parce  qu'il  lui  fut  im- 
possible, faute  de  temps,  de  prendre  connaissance  de  l'enquête. 
Trois  avocats  de  Petrograd  furent  les  défenseurs  des  accusés. 
Les  jurés  furent  choisis  dans  la  liste  établie  pour  le  tribunal 
de  Petrograd  en  vue  des  affaires  de  droit  commun  :  12  jurés 


LE  PROCÈS  SOUKHOMLINOF  347 

ordinaires,  2  suppléants  furent  tirés  au  sort  ;  c'étaient  en  partie 
des  intellectuels,  en  partie  des  petits  commerçants. 

Les  séances  du  tribunal  durèrent  trente  jours.  Les  jurés 
furent  enfermés  dans  les  locaux  du  tribunal  pendant  tout  le 
temps  que  se  jugea  l'affaire,  suivant  l'ordre  légal. 

La  tranquillité  ne  fut  pas  troublée.  L'affaire  fut  examinée 
dans  l'atmosphère  calme  d'un  procès  ordinaire.  En  dehors  des 
murs  du  tribunal,  la  soldatesque  et  la  populace  révolution- 
naires s'agitaient.  Les  bruits  qui  circulaient  en  ville  parvinrent- 
ils  jusqu'aux  jurés  ?  Il  est  difficile  de  le  dire  ;  leurs  relations 
avec  l'extérieur  avaient  été  complètement  rompues. 

La  conduite  des  jurés  au  tribunal,  leur  attention,  prouvaient 
qu'ils  n'avaient  pas  perdu  leur  bon  sens.  En  repoussant  l'une 
des  accusations  portées  contre  le  général  Soukhomlinof  et  en 
acquittant  sa  femme,  ces  représentants  de  la  conscience  so- 
ciale ont,  par  leur  verdict,  montré  leur  sagesse  et  leur  appré- 
ciation objective  des  preuves. 

Au  moment  de  l'examen  de  l'affaire,  le  gouvernement  pro- 
visoire avait  promulgué  une  loi  sur  la  suppression  de  la  peine 
de  mort,  qui  menaçait  l'accusé  pour  trahison  d'après  l'ancienne 
loi. 

Le  Sénat  Dirigeant  condamna  le  général  Soukhomlinof  aux 
travaux  forcés  à  perpétuité.  Ce  fut  le  seul  ministre  du  gou- 
vernement impérial  déchu  qui  fut  reconnu  coupable  de  crime 
d'une  façon  légale. 

Les  bolcheviks,  qui  s'étaient  emparés  du  pouvoir,  exécu- 
tèrent la  plupart  des  ministres  du  tsar,  et  montrèrent  des 
sentiments  particuliers  envers  le  général  Soukhomlinof,  qui, 
par  un  décret  spécial,  fut  amnistié  et  libéré  de  toute  peine. 

V.  NOSSOVITCH, 

Ancien  procureur  général  près 
la  Chambre  criminelle  de  la  Cour 
de  Cassation  de  Russie. 


BIBLIOGRAPHIE 


LES   ORIGINES   DE  LA   GUERRE   :    LE  DERNIER  ETAT   DE   LA 
THESE  ALLEMANDE. 


I 

Au  début  du  mois  d'août,  le  comte  de  Montgelas,  qui  a  été,  en 
1919,  l'un  des  éditeurs  des  Documents  allemands  sur  les  origines 
de  la  guerre  et  qui  est,  depuis  lors,  un  des  experts  de  la  Commission 
d'Enquête  du  Reichstag,  a  publié,  à  Berlin,  sous  le  titre  Leitfaden  zur 
Kriegsschuldfrage  (1)  (Fil  conducteur  pour  la  question  des  responsa- 
bilités), une  étude  importante,  qui  se  présente  comme  le  résumé  de 
toutes  les  protestations  allemandes  contre  l'art.  231  du  Traité  de 
Versailles. 

L'auteur  retrace  d'abord  brièvement  l'histoire  des  relations  interna- 
tionales pendant  les  années  qui  ont  précédé  la  guerre.  Le  point  de 
départ,  c'est  l'accord  anglo-russe  de  1907,  qui,  dans  l'esprit  du  comte 
c!e  Montgelas,  achève  l'encerclement  de  l'Allemagne.  Dans  chacune 
des  crises  qui  se  succèdent  depuis  cette  date  —  crise  bosniaque  (1909), 
crise  marocaine  (1911),  guerres  balkaniques  (1912-  1913),  —  l'Alle- 
magne ne  cherche  pas  à  provoquer  la  guerre  ;  au  contraire,  elle  s'ap- 
plique à  retenir  l'Autriche,  tandis  que  l'Angleterre,  en  1911,  la  France, 
en  1913,  ne  font  rien  pour  apaiser  les  difficultés.  C'est  la  Wilhelmstrasse 
encore  qui  tente,  au  printemps  de  1912,  un  rapprochement  avec 
l'Angleterre  et  même  avec  la  France.  Les  préparatifs  militaires  du 
Reich  restent  inférieurs  à  ceux  de  ses  adversaires  éventuels.  L'Etat- 
major  allemand  n'obtient  pas  du  Reichstag  les  créations  nouvelles 
de  grandes  unités  qu'il  demande,  en  1913.  Au  moment  de  la  déclaration 
de  la  guerre,  les  forces  actives  qu'il  possède  sont  inférieures  à  celles 
de^  la  France,  en  dépit  de  la  différence  des  populations.  Comment 
prétendre  que  l'Allemagne  a  prémédité  une  agression,  alors  qu'elle  a 
laissé  passer,  à  cinq  reprises  depuis  1905,  des  occasions  favorables 
pour  une  guerre  «  préventive  »  ? 

Survient  l'attentat  de  Serajevo.  L'Allemagne  se  décide,  le  5  juillet, 
à  appuyer  la  politique  autrichienne,  et  elle  consent  à  une  guerre  austro- 
serbe  ;  elle  sait  qu'un  conflit  général  peut  sortir  de  ces  événements  ; 

(1)  Berlin,  W.  de  Gruytcr,  1923,  in-8°,  208  p. 


BIBLIOGRAPHIE  349 

c'est  un  risque,  à  courir,  mais  un  risque  improbable.  Pendant  la 
préparation  de  l'ultimatum,  elle  est  tenue  à  l'écart  ;  à  vrai  dire,  elle 
tst  bien  au  courant  de  certaines  clauses  que  l'Autriche  compte  insérer 
dans  sa  note  ;  mais  la  France  aussi  ne  les  connaissait-elle  pas  ?  Lorsque 
le  texte  de  l'ultimatum  est  soumis  au  Chancelier  d'Allemagne  par  le 
gouvernement  de  Vienne,  il  est  trop  tard  pour  essayer  de  l'amender. 
La  Wilhelmstrasse  est  placée  en  face  du  fait  accompli. 

Dès  lors,  la  politique  allemande,  dit  l'auteur,  —  s'efforce  d'éviter 
la  guerre  européenne,  tout  en  assurant  à  l'Autriche  les  moyens  de 
«  châtier  »  la  Serbie  ;  l'empereur  Guillaume  renonce  même  à  l'idée 
d'une  guerre  austro-serbe  ;  il  estime  que  l'Autriche  devrait  se  contenter 
d'une  action  militaire  limitée,  d'une  «  prise  de  gages  »  ;  il  est  prêt, 
d'ailleurs,  à  accepter  toute  proposition  de  médiation,  —  à  l'exception 
pourtant  de  la  «  conférence  »,  dont  l'Angleterre  avait  pris  l'initiative 
le  26  juillet.  Mais  la  décision  de  mobilisation  partielle  russe,  suivie,  le 
lendemain,  par  l'ordre  de  mobilisation  générale,  vient  annihiler  ces 
efforts.  Qu'importent  les  déclarations  de  guerre  adressées  par  le  gou- 
vernement de  Berlin  à  la  Russie  et  à  la  France  ?  Celui  qui  mobilise 
est  l'agresseur.  C'est  l'attitude  de  la  Russie,  c'est  sa  hâte  à  mobiliser, 
qui  ont  déterminé  la  guerre  européenne.  La  France  et  l'Angleterre 
ont  aussi,  de  ce  fait,  leur  part  de  responsabilité  ;  à  Londres,  on  n'a 
jamais  exercé  sur  les  décisions  de  la  Russie  une  action  apaisante  aussi 
nette  que  celle  que  Berlin  exerçait  à  Vienne  ;  à  Paris,  on  s'est  aperçu 
bien  vite  que  le  gouvernement  du  tsar  n'entendait  pas  recevoir  de 
conseils  de  modération  ;  dès  lors,  on  a  laissé  faire  ;  on  a  laissé  même 
entendre  à  la  Russie  qu'elle  pouvait  mobiliser,  pourvu  que  ses  prépa- 
ratifs fussent  secrets. 

Réduite  à  ses  points  essentiels,  voilà  quelle  est  la  thèse  du  comte 
de  Montgelas. 

Le  procédé  d'exposition  est  simple  :  des  faits,  des  textes.  L'argu- 
iiientation  est  serrée,  précise.  Le  récit,  dans  sa  sécheresse  voulue, 
s'impose  à  l'attention.  Il  y  a  là  un  effort  d'analyse  et  de  synthèse  qui 
paraît  dès  l'abord  mériter  une  étude  sérieuse.  Mais  ce  qui  est 
étrange  pourtant,  c'est  le  parti  qu'a  adopté  le  comte  de  Montgelas 
pour  traiter  de  certains  détails  importants.  Dans  la  IIP  partie  de 
l'ouvrage,  intitulée  Die  Krise,  il  montre  le  développement  des  négo- 
ciations diplomatiques  du  28  juin  au  4  août  1914  :  le  ton  est  ferme, 
les  événements  se  présentent  avec  une  rigueur  sereine  ;  il  semble  que 
le  doute  ne  soit  même  pas  permis.  Et  puis,  dans  le  chapitre  suivant, 
il  reprend  une  à  une  quelques-unes  des  «  particularités  »  de  la  crise, 
pour  en  donner  une  étude  critique  (1).  Dans  le  récit  des  événements 
du  27  juillet,  par  exemple  (p.  106-107),  il  n'est  pas  question  de  la 
fameuse  dépêche  Szogyeny.  Tout  se  passe  comme  si  l'intervention 
de  la  Wilhemstrasse  auprès  du  Cabinet  de  Vienne  ne  comportait  pas 
de  restrictions.  Pour  lire  la  phrase  si  grave  de  l'ambassadeur   :  «  Le 

(1)  Dont  certaines  parties  (celles  qui  concernent  le  Lokal  Anzciger,  les  vio- 
lations de  frontière,  par  ex.)  avaient  déjà  été  publiées  dans  divers  journaux 
ou  revues. 


oro  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

gouvernement  allemand  affirme  de  la  façon  la  plus  formelle  qu'il  ne 
s'identifie  aucunement  avec  ces  propositions....  »,  il  faut  attendre  le 
chapitre  suivant  (p.  175).  Comment  le  lecteur,  s'il  n'est  pas  déjà 
au  courant  de  ces  questions,  pourra-t-il  rapprocher  les  deux  passages  ? 
Comment  pourra-t-il  apprécier  l'importance  du  document  Szogyeny  ?, 
je  sais  bien  que  ce  texte  est  contestable  ;  mais,  en  l'éliminant  par  ce 
tour  de  passe-passe,  M.  de  Montgelas  donne  une  certitude  là  où  le 
doute  est  encore  permis.  Est-ce  un  procédé  historique  ? 

A  vrai  dire,  en  dépit  de  son  titre,  l'ouvrage  n'est  qu'un  plaidoyer.  A 
îiiesure  que  l'on  feuillette  le  volume,  le  ton  de  la  polémique  perce  çà  et 
là,  et  le  parti-pris  éclate.  L'auteur  le  reconnaît.  Ne  lui  demandez  pas  de 
rendre  compte  de  tous  les  faits,  de  confronter  tous  les  documents  con- 
nus ;  n'attendez  pas  qu'il  présente  la  contre-partie  de  sa  thèse.  Il  connaît 
tout  cela,  car  il  possède  à  fond  les  éléments  de  cette  documentation 
spéciale,  mais  il  le  néglige.  Il  semble  que  son  seul  but  soit  de  montrer 
que  la  thèse  allemande  ne  manque  pas  d'arguments  solides.  Voilà, 
disait  Delbriick  en  présentant  ce  volume,  une  «  arme  pour  la  propa- 
gande allemande»  (1). 

Il  serait  donc  vain,  dans  ces  conditions,  de  relever  un  à  un  tous 
les  aspects  de  la  question  que  les  Leitfaden  traitent  avec  trop  de 
désinvolture.  Puisqu'il  s'agit  d'un  plaidoyer,  prenons-le  comme  tel  ; 
il  est  préférable  de  négliger  ici  la  partie  de  l'ouvrage  qui  concerne 
les  relations  internationales  avant  l'attentat  de  Serajevo  ;  c'est  une 
simple  esquisse  violente  et  maladroite  (2)  ;  personne  ne  peut  se  faire 
d'illusions  sur  sa  valeur  historique  ;  mieux  vaut  s'arrêter  à  la  crise  de 
juillet  1914,  qui  est  évidemment,  aux  yeux  de  l'auteur  lui-même,  la 
partie  la  plus  sérieuse  de  l'ouvrage.  H  a  pris  soin  de  résumer  sa 
doctrine  en  des  «  thèses  »  qui  donnent  à  sa  pensée  une  rigueur 
«  luthérienne  ».  Les  faits  qu'il  retient  sont-ils  certains  ?  Les  argu- 
ments qu'il  apporte  sont-ils  fondés  ?  Les  documents  sur  lesquels  il 
s'appuie  sont-ils  interprétés  avec  une  rigueur  suffisante  ? 


II 

Au  risque  de  prolonger  à  l'excès  cette  étude,  je  voudrais  examiner 
en  détail  quelques-unes  de  ces  thèses,  en  les  groupant  autour  de 
l'idée  centrale  de  l'ouvrage.  L'Allemagne,  dit  M.  de  Montgelas,  a 
soutenu  la  politique  autrichienne,  pour  autant  qu'il  s'agissait  de  châtier 
la   Serbie  ;  elle   a   bien   accepté   le   risque   d'une    guerre   européenne, 

(1)  D.  AUgemeine  Zeilunq,  27  juin  1923. 

(2)  Ex.  :  les  passages  où  M.  de  Montgelas  prétend  qu'en  France,  avant  la 
guerre,  les  nationalistes  songeaient  à  reprendre  la  Sarre,  alors  qu'il  ne  souffle 
pas  mot  du  pangermanisme,  —  où  il  essaie  d'excuser  l'attitude  de  l'Allema- 
gne en  face  des  propositions  d'arbitrage  obligatoire,  lors  de  la  2»  Conférence 
de  La  Haye,  —  où  il  incrimine,  en  utilisant  la  publication  de  Boghishevitch, 
la  politique  balkanique  de  la  Russie,  en  passant  sous  silence  (sauf  en  un  point) 
les  aperçus  que  nous  donnent  les  souvenirs  de  Conrad  de  HôtzendortT  sur 
la  politique  autrichienne,  etc. 


BIBLIOGRAPHIE  35  1 

parce  que  ce  risque  lui  semblait  «  peu  probable  »  ;  mais  du  jour  où 
elle  a  connu  la  réponse  serbe,  elle  a  fait  des  efforts  pour  éviter 
l'extension  du  conflit.  «  Grâce  à  l'entremise  de  l'Allemagne,  une 
perspective  d'entente  fut  atteinte,  qui  fut  détruite  uniquement  par  le 
parti  militaire  russe,  soutenu  secrètement  par  la  France  dans  ses 
efforts  ».  Il  insiste  longuement  sur  l'importance  de  la  mobilisation 
russe  (thèses  10,  12,  13,  15).  Il  a  raison  de  dire  que  la  Russie  a 
été  la  première  à  déclarer  la  mobilisation  générale.  Mais  c'est  la 
mobilisation  russe,  ajoute-t-il,  qui  a  créé  la  situation,  dont  la  guerre 
est  sortie.  Toutes  les  autres  t'nèses  sont  destinées  à  étayer  celles-là  : 
il  s'en  faut  qu'elles  soient  démontrées. 

1.  —  Faut-il  admettre  que  le  «  risque  »  qu'impliquait  la  politique  aus- 
tro-allemande était  «  peu  probable  »  ?  Bethmann  se  l'est  imaginé,  peut- 
être  ;  mais  alors,  il  manquait  vraiment  de  clairvoyance.  «  Nous 
î^ouhaitons  vivement  la  localisation  du  conflit  »,  écrit-il  dans  la  circu- 
laire menaçante  qu'il  fait  remettre,  le  24,  aux  gouvernements  de 
l'Entente.  C'était  dire  que  la  Russie  devait  rester  passive  et  l'Europe 
indifférente.  Etait-ce  vraisemblable  ?  Au  moment  où  cette  note  allait 
être  remise,  le  Chancelier  n'avait-il  pas  reçu  une  dépêche  du  prince 
L.ichnowsky,  son  ambassadeur  à  Londres,  qui  considérait  la  «  loca- 
lisation »  comme  une  utopie  (1)  ?  «  Vous  reconnaîtrez  avec  moi  qu'au 
cas  où  l'on  en  viendrait  à  une  passe  d'armes  avec  la  Serbie,  elle 
appartient  au  domaine  des  chimères  ».  N'avait-il  pas  été  mis  au  courant 
de  l'avertissement  que  M.  Poincaré  avait  donné,  le  21  juillet,  à 
l'ambassadeur  autrichien  à  Pétersbourg,  le  comte  Szapary  :  «  On  ne 
devrait  pas  oublier  que  la  Serbie  avait  des  amis,  et  qu'il  en  pourrait 
surgir  une  situation  dangereuse  pour  la  paix  »  (2). 

M.  de  Bethmann  savait  tout  cela.  Il  est  possible  qu'il  se  soit 
entêté  à  ne  pas  comprendre.  Mais  Tirpitz  dit  bien  :  «  ...  Ma  première 
impression  fut  que  cet  ultimatum  serait  inacceptable  pour  la  Serbie, 
et  pourrait  facilement  provoquer  une  guerre  générale.  J'ai  aussi  peu 
cru  à  la  possibilité  de  localiser  un  conflit  armé  qu'à  la  neutralité  de 
l'Angleterre...  » 

Et  Guillaume  II,  y  croyait-il,  lui  qui,  pendant  son  voyage  de 
Norvège  se  préoccupait  sans  cesse  de  maintenir  la  flotte  «  concen- 
trée »,  de  trouver  dans  les  Balkans  «  tout  fusil  prêt  à  partir  pour 
l'Autriche  contre  les  Slaves  »,  et  qui,  le  25,  parlait  de  poser  1? 
«  question  de  confiance  »  à  la  Suède  ? 

Je  veux  bien  que  certains  diplomates  de  l'Entente  aient  pu,  au 
l^remier  abord,  se  trouver  enclins  à  accepter  la  thèse  de  la  localisation 
du  conflit,  telle  que  l'exprimaient  les  Puissances  Centrales.  Mais  leul 
assentiment  ne  reposait-il  pas  sur  une  méprise,  que  M.  de  Montgelas 
.  laisse  dans  l'ombre  ?  Les  déclarations  de  Vienne  et  de  Berlin  affirmaient 
le  désintéressement  territorial  de  l'Autriche  :  la  Double  Monarchie 
n'annexerait  pas  de  territoire  serbe  ;  la  Russie  n'avait  donc  pas  lieu 

(1)  Documents  allemands,  n°  151. 

(2)  Pièces  diplomaliqiies  publiées  par  la  République  d'Autriche,  I,  45. 


„  f  ,  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

de  s'émouvoir  !  Ce  que  valait  cette  promesse,  nous  le  savons  aujour- 
d'hui. Le  gouvernement  du  comte  Berchtold  était  disposé  à  se  con- 
tenter d'une  rectification  de  frontières  ;  mais  il  était  décidé  à  démem- 
brer la  Serbie  au  profit  de  la  Bulgarie  et  de  l'Albanie.  Voilà  ce  que 
cachait  le  «  désintéressement  »  de  la  Ballplatz.  Mais,  dira-t-on,  cette 
décision  avait  été  prise  dans  un  Conseil  secret  du  gouvernement 
austro-hongrois.  Le  chancelier  allemand,  le  24  juillet,  ne  la  soupçonnait 
pas  encore.  Oui,  mais  il  en  a  eu  connaissance,  le  28  (1).  A-t-il  fait  quelque 
chose,  à  ce  moment,  pour  éclaircir  ce  mystère,  a-t-il  reproché  au 
comte  Berchtold  de  lui  avoir  caché  son  jeu  ?  La  mauvaise  humeur 
de  Bethmann  s'est  épanchée  dans  une  note  destinée  à  ses  collabo- 
rateurs immédiats  (2),  puis  dans  un  télégramme  adressé  à  Tchirsky  (3). 
Mais  il  n'a  pas  été  jusqu'à  faire  exprimer  aussitôt  au  gouvernement 
autrichien  son  mécontentement. 

2.  . —  M.  de  Montgelas  poursuit  pourtant  sa  démonstration,  sans 
éclaircir  ce  point  capital.  11  analyse  alors  les  négociations  anglo- 
allemandes,  qui  se  poursuivent  du  25  au  29  juillet.  C'est  un  récit  serré, 
intéressant,  où  les  faits  cités  sont  généralement  exacts,  en  dépit  du 
parti-pris  qui  préside  à  leur  choix  et  à  l'interprétation  :  il  s'agit  de 
rejeter  toute  la  responsabilité  de  l'échec  sur  l'intransigeance  du  gou- 
vernement autrichien. 

L'Allemagne,  disent  les  Leitfaden,  a  renoncé  «  lorsqu'elle  a  connu 
la  réponse  serbe  »,  à  l'idée  d'une  guerre  contre  la  Serbie,  pour  en 
venir  à  l'idée  d'une  simple  «prise  de  gages».  Il  est  exact  que  la 
lettre  du  Kaiser  au  Chancelier,  le  28  juillet  au  matin,  a  défini  ce  nouvel 
aspect  de  la  politique  allemande.  L'Autriche  occuperait  Belgrade  et 
ferait  alors  connaître  à  l'Europe  ses  intentions.  Mais  ce  revirement 
n'était-il  pas  inspiré  surtout  par  les  craintes  que  commençait  à  pro- 
voquer l'attitude  de  l'Angleterre  ?  M.  de  Montgelas  se  contente  de 
signaler  (p.  106)  les  dépêches  qu'avait  expédiées,  la  veille,  de  Londres, 
le  prince  Lichnowsky.  C'est  pourtant  bien  là  que  se  trouve  le  nœud 
de  la  question.  Le  Chancelier  l'avait  si  bien  senti,  que,  dès  le  27 
au  soir,  il  donnait  à  Vienne  des  conseils  de  prudence  ;  et  l'Enipereur, 
lorsqu'il  annotait  la  réponse  serbe,  avait  évidemment  sous  les  yeux, 
lui  aussi,  les  télégrammes  de  Londres.  Il  n'est  donc  pas  possible  de 
croire  que  l'Allemagne  ait  adopté  spontanément  cette  attitude  nouvelle  ; 
c'est  la  crainte  de  l'Angleterre  qui  a  été  pour  elle  le  commencement 
de  la  sagesse. 

Voici  encore  un  point  que  le  comte  de  Montgelas,  si  précis  par 
ailleurs,  effleure  à  peine  :  c'est  l'attitude  de  l'Allemagne  en  face  de  la 
déclaration  de  guerre  austro-serbe.  Une  brève  indication,  en  note  (4), 
laisse  entrevoir  qu'à  Berlin,  depuis  le  27,  on  s'attendait  à  cette  décla- 

(1)  Documents  allemands,  n°  301  (parvenu  28  juillet  après-midi). 

(2)  Ibid.,  II,  p.  29,  note  2  :  «  Cette  duplicité  de  l'Autriche  est  intolérable.  » 

(3)  Ibid.,  n'-'361  (29  juillet,  8  heures  soir).  Le  texte  ajoute  :  «  Les  remarques 
précédentes  sont  destinées  tout  d'abord  à  l'orientation  personnelle  de  Votre 
Excellence.   » 

(4)  P.  110. 


BIBLIOGRAPHIE  353 

ration  de  guerre  pour  le  28  ou  le  29.  C'est  tout,  et  c'est  peu.  11  me 
semble  que,  pour  l'historien,  cette  question  est  capitale.  Le  gouver- 
nement allemand  voulait-il  vraiment  trouver  un  terrain  de  conciliation  ? 
(comme  tend  à  le  prouver  un  des  documents  cités  par  les  Leitfaden), 
ou  bien  cherchait-il  seulement  à  mettre  la  Russie  dans  son  tort  vis-à- 
vis  de  l'Europe  ?  (comme  le  laisse  entendre  un  autre  document,  — 
allemand  aussi,  —  que  l'auteur  préfère  ne  pas  citer  entièrement)  ? 
Si  le  gouvernement  allemand  était  sincère,  ne  devait-il  pas  faire  un 
effort  pour  retarder  la  déclaration  de  guerre,  qui  devait  sans  doute 
provoquer  l'intervention  russe  ?  S'il  ne  l'était  pas.  n'avait-il  pas  intérêt 
à  accepter  une  médiation  anglaise,  en  escomptant  qu'elle  serait  inter- 
rompue par  les  décisions  du  Tsar  ?  Or  voici  ce  que  montrent  les 
documents,  —  mais  non  pas  les  Leitfaden  :  le  27  juillet,  à  4  h.  37  du 
soir,  la  Wilhemstrasse  reçoit  un  télégramme  de  Vienne  :  «  On  a  résolu 
de  faire  demain,  après-demain  au  plus  tard,  une  déclaration  de  guerre 
officielle,  principalement  pour  empêcher  toute  tentative  d'interven- 
tion (1).  »  Pourtant,  quand,  à  11  h.  50,  ce  soii-là,  Bethmann  transmet 
à  Vienne  la  proposition  de  Londres,  qui  voit  dans  la  réponse  serbe 
une  «  base  de  négociations  pacifiques  »,  il  n'a  pas  un  mot  pour 
conseiller  à  l'Autriche  de  renoncer  à  la  déclaration  de  guerre  (2). 
Et  dans  un  message  du  lendemain  soir,  il  laisse  percer  son  arrière- 
pensée,  lorsqu'il  écrit  :  «  11  faut  absolument  que,  si  le  conflit  s'étend 
aux  puissances  qui  n'y  sont  pas  directement  intéressées,  ce  soit 
la  Russie  qui  en  porte  la  responsabilité  (3).  » 

Enfin  si  l'auteur  des  Leitfaden  insiste  avec  complaisance  sur  les 
r.ouveaux  efforts  que  tente  Bethmann-Hollw^eg,  le  29  et  le  30,  auprès 
du  gouvernement  autrichien,  il  glisse  rapidement  sur  la  dernière 
phase  de  ces  négociations.  Dans  la  soirée  du  30,  le  Chancelier  expédie 
à  Vienne  une  dépêche  conçue  en  termes  énergiques  :  deux  heures 
après,  il  l'annule.  Pourquoi  ce  revirement  ?  Le  Chancelier  avait  reçu 
des  nouvelles  inquiétantes  de  Russie,  dit  M.  de  Montgelas,  en  se 
fondant  sur  l'expUcation  officielle  qui  a  été  donnée  à  Tchirsky.  Mais 
il  y  avait  une  autre  raison,  plus  vraie  :  la  pression  de  l'Etat-major. 
C'est  pour  tenir  compte  des  avis  de  Moltke  que  Bethmann,  le  30  au 
soir,  renonçait  à  faire  exécuter  à  Vienne  la  démarche  énergique  qu'il 
avait  d'abord  envisagée  (4).  Comment  se  fait-il  que  les  Leitfaden 
ne  fassent  pas  mention  de  ce  document  ?  Est-ce  parce  que  le  lecteur 
ferait  tout  aussitôt  un  rapprochement  entre  ce  revirement  de  Bethmann 
et  l'attitude  de  Moltke,  qui,  le  même  soir,  engageait  son  collègue 
autrichien  à  faire  prendre  au  plus  tôt  les  mesures  de  mobilisation 
générale  ? 

3.  —  Le  troisième  point  du  plaidoyer  est  encore  plus  contestable. 
Grâce  aux  efforts  de  l'Allemagne,  disent  les  Leitfaden,  «  l'entente  était 
proche  »,  quand  est  intervenue  la  décision  de  mobilisation   générale 

(1)  Documents  allemande,  n"  257. 

(2)  Ibid.,  n»  277. 

(3)  Ibid.,  n°  323. 

(4)  Ibid.,  n°  451. 


354  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

russe.  Voilà  qui  est  inattendu  !  Cette  entente  pouvait  se  réaliser  soit 
par  des  conversations  directes  austro-russes,  soit  par  l'adhésion  de 
l'Autriche  à  l'idée  de  la  «  prise  de  gages  ».  Or  les  conversations  entre 
Vienne  et  Pétersbourg  avaient  commencé  le  26,  sur  l'initiative  de 
M.  Sazonoff  ;  c'est  le  comte  Berchtold  qui,  le  28,  les  avait  rompues. 
Je  sais  bien  que,  dans  l'après-midi  du  30,  sur  la  demande  de  l'Allemagne, 
il  avait  consenti,  en  principe,  à  reprendre  l'entretien.  Pourtant  les 
instructions  qu'il  adressait  à  son  ambassadeur  Szapary  étaient  au 
moins  étranges.  11  s'agissait  «  d'aborder  une  discussion  académique, 
ei  portant  sur  des  généralités  »,  mais  non  pas  «  de  nous  départir  en 
quoi  que  ce  soit  des  exigences  de  la  note  ». 

ir  est  e.xact  que  M.  Szapary  a  interprété  ces  instructions  dans 
un  sens  assez  large,  lorsqu'il  s'est  présenté,  le  lendemain  après-midi, 
chez  M.  Sazonoff.  Mais  ceci  se  passait  après  la  proclamation  de  la 
mobilisation  générale  russe,  qui,  —  soit  dit  en  passant,  —  n'était  donc 
pas  un  obstacle  à  la  continuation  des  entretiens  aux  yeux  de  l'am- 
bassadeur (1). 

Quant  à  la  formule  de  la  prise  de  gages  (le  Hait  im  Belgrad)  elle 
ne  rencontrait  aucun  succès  à  Vienne,  dans  la  journée  décisive  du 
30  juillet.  L'ambassadeur  Tchirsky  avait  vainement  insisté  auprès  du 
comte  Berchtold  pour  obtenir  une  réponse  favorable  (2).  De  l'avis 
du  comte  Forgach,  la  limitation  des  opérations  militaires  était  «  impos- 
sible ».  A  Berlin,  ce  soir-là,  on  avait  l'impression  que  l'Autriche  se 
refusait  à  toute  concession  (3). 

Il  n'y  avait  donc,  le  30  après-midi,  au  moment  où  le  gouvernement 
du  Tsar  décidait  la  mobilisation  générale,  aucun  symptôme  qui  pût 
permettre  de  croire  que  l'intransigeance  de  l'Autriche  fût  sur  le  point 
de  s'atténuer.  Ces  symptômes,  bien  timides,  ne  se  sont  manifestés 
que  dans  la  journée  du  31,  alors  que  la  décision  du  Tsar  était  connue 
et  publiée. 

4.  —  La  mobilisation  générale  russe  intervient.  Sur  les  faits  eux-mê- 
mes, les  Leitfaden  n'apportent  pas  de  lumière  nouvelle.  Bien  qu'il  con- 
sacre un  paragraphe  à  l'affaire  du  Lokal  Anzeiger,  qui  paraît  réglée, 
l'auteur  n'a  pas  poussé  l'étude  des  conditions  exactes  de  la  décision 
du  Tsar.  A  cet  égard,  l'objet  des  Leitfaden  est  seulement  de  montrer 
que  le  gouvernement  français  n'a  pas  cessé  d'encourager  les  desseins 
de  la  Russie.  Là  encore,  M.  de  Montgelas  exerce,  parmi  les  textes, 
un  choix  bien  contestable. 

Il  énumère,  par  exemple,  les  démarches  que  M.  de  Schœn  a  faites, 
le  25  et  le  27  juillet,  auprès  du  gouvernement  français  pour  lui  proposer 
une  médiation  commune  entre  Vienne  et  Pétersbourg  ;  que  n'a-t-il 
retenu,  parmi  les  documents  allemands,  cette  dépêche  de  Bethmann 
à  Roedern  :  «  Si  nous  réussissions  non  seulement  à  ce  que  la  France 
se  tînt  tranquille,  mais  à  ce  qu'elle  invitât  Pétersbourg  à  la  paix,  ce 

(1)  Pièces  diplomatiques,  III,  44,  45  et  97. 

(2)  Documents  allemands,  n"  465,  31  juillet,  1  h.  SSjnatin. 

(3)  Ibid.,  n»  441. 


BIBLIOGRAPHIE  355 

fait  aurait  pour  nous  une  répercussion  très  favorable  sur  l'alliance 
franco-russe  (1).  »  Les  diplomates  français  qui  ont  repoussé  la  dé- 
marche- allemande,  parce  qu'elle  leur  semblait  suspecte,  n'avaient  donc 
pas  tort  de  se  méfier  ! 

Parmi  les  télégrammes  qui  sont  expédiés  de  Paris  à  Pétersbourg 
le  30  au  matin,  M.  de  Montgelas  retient  la  dépêche  où  M.  Isvolsky 
relate  les  conseils  que  lui  a  donnés  le  ministre  Messimy  :  ces  conseils 
ne  signifient  rien  d'autre  que  l'approbation  de  la  France  à  des  mesures 
étendues  de  pré-mobilisation.  Mais  il  ne  cite  pas  la  dépêche  101  du 
Livre  Jaune,  qui  a  une  tout  autre  importance  pour  définir  le  point  de 
vue  du  gouvernement  français  :  or  cette  dépêche  conseille  à  la  Russie 
d'éviter  toute  mesure  qui  prêterait  à  une  réplique  allemande,  —  par 
conséquent  toute  mobilisation.  En  isolant  arbitrairement  les  textes, 
l'auteur  des  Leitfaden  suggère  des  conclusions  qu'une  documentation 
impartiale  doit  faire  écarter. 

Ces  critiques  portent  uniquement  sur  les  faits  qui  présentent  une 
importance  particulière.  Il  serait  aisé  de  montrer  encore  comment  les 
Leitfaden  exagèrent  l'étendue  des  mesures  militaires  décidées  à  Paris 
le  30-31  juillet,  de  discuter  l'interprétation  tendancieuse  qu'elles 
donnent  de  l'attitude  de  M.  Sazonoff,  le  31  juillet  (p.  145),  de  souligner 
la  désinvolture  avec  laquelle  l'auteur  ignore  l'affaire  de  Joncherey  et 
les  incidents  dont  M.  Jules  Cambon  eut  à  se  plaindre  à  Berlin  (alors 
qu'il  insiste  sur  les  griefs  de  l'Allemagne),  de  montrer  les  lacunes 
du  récit  qu'il  consacre  à  l'affaire  des  bombes  de  Nuremberg.  Il  faut 
reconnaître  par  ailleurs  que  d'autres  parties  sont  intéressantes  et 
solides  ;  par  exemple,  les  données  qui  concernent  l'attentat  de  Serajévo, 
les  discussions  relatives  aux  entretiens  du  Kaiser  les  5  et  6  juillet, 
lanalyse  du  revirement  de  la  politique  anglaise  le  26  juillet,  l'effort 
pour  reconstituer  l'emploi  des  journées  du  chancelier  Bethmann,  du 
27  au  30  juillet  ;  mais  elles  n'ont  qu'un  rôle  secondaire  dans  la  démons- 
tration entreprise  par  le  comte  de  Montgelas. 


III 

Ainsi  s'effritent  les  thèses  essentielles  des  Leitfaden.  Ce  serait  un 
jeu  facile  que  de  retourner  la  méthode,  de  répondre  à  un  plaidoyer 
par  un  plaidoyer.  Les  préoccupations  historiques  ont  d'autres  exigences. 
Il  vaut  mieux  essayer  de  déterminer,  d'après  les  documents,  les  points 
fondamentaux  que  les  études  critiques  devront  chercher  à  élucider 
et  à  définir  : 

1-  —  L'Allemagne  a  voulu,  comme  l'Autriche,  une  guerre  de  «châ- 
timent »  dirigée  contre  la  Serbie  ;  elle  a  vu,  dès  l'abord,  que  cette 
guerre  léserait  les  intérêts  de  la  Russie  ;  elle  n'en  a  pas  moins  approuvé 
publiquement  les  termes  de  l'ultimatum  du  23  juillet,  bien  qu'elle  en 
regrettât,  paraît-il,  en  secret,  la  violence  excessive.  Ces  points-là, 
je  pense,  sont  admis  par  les  historiens  allemand.s.  Dans  cette  première 

(1)  Docnmenis  allemands,  n"  58. 


356 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


période  de  la  crise,  la  discussion  porte  seulement  sur  un  point  :  les 
puissances  centrales  envisageaient-elles  la  guerre  européenne  comme 
une  conséquence  certaine  de  leur  politique,  ou  comme  un  risque  impro- 
bable ?  Les  documents  semblent  prouver  que  l'Allemagne  et  l'Autriche 
se  seraient  contentées,  —  bien  entendu,  —  d'un  succès  local,  qui 
aurait  modifié  à  leur  profit  l'équilibre  dans  les  Balkans  ;  si  elles  avaient 
pu  prévoir,  dès  le  5  juillet,  l'abandon  de  l'Italie  et  l'hostilité  de 
l'Angleterre,  sans  doute  n'auraient-elles  pas  voulu  courir  le  risque. 
Mais  ils  montrent  aussi,  je  crois,  qu'il  n'était  pas  possible  de  considérer 
cette  localisation  du  conflit  comme  probable  ou  vraisemblable. 

2.  —  Le  29  juillet,  le  conflit  se  transforme.  La  mobilisation  partielle 
russe,  antérieure  de  plus  de  24  heures  à  la  mobilisation  générale 
autrichienne,  est  un  fait  grave,  aussi  important  peut-être  que  la 
décision  de  mobilisation  générale,  prise,  le  lendemain,  par  le  Tsar. 
Mais  qui  dor.c  a  provoqué  la  décision  russe  ?  L'Autriche,  par  sa 
déclaration  de  guerre  à  la  Serbie.  La  question  se  ramène  donc  à  ceci  : 
en  face  de  la  déclaration  de  guerre  de  l'Autriche  à  la  Serbie,  la 
Fvussie  était-elle  obligée  de  prendre  des  mesures  de  mobilisation,  ou 
pouvait-elle  s'en  dispenser  ?  11  est  bien  difficile  de  soutenir  que  la 
Russie  aurait  pu  rester  passive  sans  nuire  à  ses  intérêts  essentiels. 
Tout  au  plus  est-il  possible  de  dire  que  l'Etat-major  et  le  gouvernement 
russes,  dans  la  crainte  que  leur  inspirait  la  lenteur  de  leur  mobilisation, 
ont  peut-être  précipité  un  peu  trop  leur  décision.  Dans  les  documents 
publiés  par  le  gouvernement  des  Soviets,  il  n'y  a  pas  trace  d'un 
conseil  demandé  par  M.  Sazonoff  au  gouvernement  français  (1). 

Cette  première  question  en  suggère  deux  autres,  qui  présentent, 
elles  aussi,  une  importance  particulière.  Pourquoi  l'Autriche  s'est-elle 
décidée  à  lancer  la  déclaration  de  guerre  à  la  Serbie  ?  Le  comte 
Berchtold  l'a  dit  :  il  voulait  couper  court  aux  tentatives  de  médiation  et 
mettre  l'Europe  en  face  d'un  fait  accompli.  Mais  ne  savait-il  pas  quelle 
réaction  la  décision  de  Vienne  allait  provoquer  à  Pétersbourg  ? 

Et  pourquoi  l'Allemagne,  si  elle  avait  cessé  de  souhaiter  une  guerre 
austro-serbe  pour  en  venir  à  l'idée  d'une  simple  «  prise  de  gages  », 
(comme  la  lettre  de  l'Empereur  à  Bethmann,  le  28  juillet,  l'indique 
en  effet),  a-t-elle  laissé  l'Autriche  déclarer  la  guerre  à  la  Serbie? 

3.  —  Enfin,  après  la  proclamation  de  la  mobilisation  générale  en 
Russie,  puis  en  Autriche,  l'attitude  de  l'empereur  Guillaume  pose  un 
autre  problème  qui  peut  prêter  à  des  interprétations  contradictoires. 
Devant  l'hostilité  de  l'Angleterre,  il  a  un  moment  de  désarroi,  «  ...  le 
filet  est  rabattu  sur  notre  tête...  »  (1),  et  pourtant,  le  31,  il  fait  adresser 
à  Pétersbourg  et  à  Paris  le  double  ultimatum  ;  le  lendemain,  il  déclare 
la  guerre  à  !a  Russie,  au  moment  même  oîi  le  gouvernement  autrichien 
siiTiible  abandonner  eu  partie  son  intransigeance.  Pourquoi  cette  hâte  ? 
Et  comment  M.  de  Montgelas  l'explique-t-il  ?  Les  «  nécessités  mili- 
taires »  ne  lui  permettaient-elles  d'attendre  un  moment  encore  ? 

(1)  Le  télégramme  du  2S  au  soir,  qui  annonce  à  Paris  la  mobilisation  par- 
tielle prochaine,  la  présente  comine  une  décision  ferme  à  laquelle  il  n'est  plus 
possible  de  rien  changer. 


BIBLIOGRAPHIE 


357 


Je  sais  bien  que,  selon  M.  de  Montgelas,  la  mobilisation  russe  suffi- 
sait à  rendre  la  guerre  inévitable  :  il  se  fonde,  avant  tout,  pour  établir 
cette  affirmation  sur  les  échanges  de  vues  entre  les  Etats-majors  fran- 
çais et  russe,  lors  de  la  première  convention  militaire  ;  mais  il  interprète 
ces  documents  à  sa  façon.  «  La  mobilisation  c'est  la  guerre  »,  disait 
alors  le  général  de  Boisdeffre  :  il  s'agissait,  il  est  vrai,  de  la  mobilisation 
d'une  des  Puissances  Centrales.  M.  de  Montgelas  le  reconnaît,  mais,  dit 
il,  les  mobilisations  russe  et  française  devaient,  selon  l'opinion  du  chef 
de  l'Etat-major  russe,  être  suivies  immédiatement  «  d'effets  actifs,  d'ac- 
tes de  guerre  »  en  un  mot  être  inséparables  «  d'une  agression  ».  La 
phrase  est  exacte  (1)  ;  l'auteur  des  Leiifaden  néglige  seulement  de  dire 
que  ces  actes  de  guerre  ne  devaient  intervenir  que  si  l'une  des  deux 
puissances  étaient  attaquée  par  l'Allemagne  et  l'Autriche.  Le  texte 
définitif  de  la  Convention  le  dit  clairement.  Et  pyis,  le  gouver- 
nement allemand,  en  1914,  ignorait  ces  documents.  La  question  que  je 
posais  à  l'instant  reste  donc  entière. 

L'Allemagne  n'a  pas  mobilisé  la  première,  c'est  vrai  ;  mais  c'est  elle 
qui,  de  concert  avec  l'Autriche,  a  créé  du  5  au  28  juillet  la  situation 
dont  la  guerre  est  sortie  ;  et  c'est  elle,  bien  elle  aussi,  qui  a  tiré  de 
ce  fait  acquis  de  la  mobilisation  russe  les  conséquences  décisives  en 
rejetant  les  dernières  tentatives  de  compromis. 

Pierre  Renouvin. 
LES  LIVRES  NOUVEAUX 


GÉNÉRAL  Max  Hoffman.  —  Der  Krieg  der  versaumten  Gelegenheiten. 
(La  guerre  des  occasions  manquées).  Munich,  Verlag  fur  Kultur- 
politik,  1923,  232  p.,  5  croquis  hors  texte. 

Le  général  Hoffmann  a  conquis  sa  notoriété,  non  sur  les  champs  de 
bataille,  mais  devant  le  tapis  vert  d'une  tablée  diplomatique  :  à  Brest- 
Litowsk,  il  s'est  dressé  comme  le  croquemitaine  des  bolcheviks,  au 
point  d'endiguer  la  faconde  de  Trotzki  lui-même.  Ce  geste  héroïque, 
dont  il  se  défend  d'ailleurs  modestement  contre  la  légende,  ne  suffit 
pas  à  sa  gloire.  Le  voici,  dans  un  livre  au  titre  amer  et  hautain,  qui 
s'érige  en  juge  ou  en  critique  des  stratèges  ou  des  hommes  d'Etat 
qui  ont  mené  l'Allemagne  à  la  catastrophe. 

Il  n'a  point,  comme  tant  d'autres,  à  libérer  sa  conscience.  C'est  dans 
un  poste  subalterne  qu'il  a  observé  les  péripéties  de  la  grande  guerre  ; 
il  a  servi  uniquement  dans  les  états-majors,  sur  le  front  oriental 
Il  était  parfaitement  préparé  à  cet  emploi  :  il  possédait  le  russe, 
avait  travaillé  cinq  ans  dans  la  section  russe  du  grand  Etat-major, 
rempli  une  mission  en  Russie.  Il  connaissait  l'armée  russe,  pour  l'avoir 
vue  à  l'œuvre  en  Mandchourie,  où  il  était  attaché  à  l'armée  japonaise  ; 
il  fut  émerveillé  du  profit  que  les  Russes  avaient  tiré  des  rudes  leçons 
de  cette  campagne  (p.   II).  Dès  la  mobilisation,  en  1914,  Hoffmann 

(1)  Livre  Jaune,  Alliance  franco-russe,  n"  42. 


35 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


fut  transféré  de  Mulhouse,  où  il  commandait  un  bataillon  d'un  régiment 
badois,  à  l'Etat-major  du  Haut  Commandement,  sur  la  frontière  orien- 
tale :  il  fut,  pour  Ludendorff,  un  collaborateur  apprécié,  et  vécut  deux 
ans  avec  lui  «  en  une  union  parfaite  »  ;  quand  son  patron  assuma  la 
direction  du  Grand  Quartier  Général,  après  l'élimination  de  Falkenhayn, 
il  légua  Hoffmann  comme  chef  d'Etat-major  général  à  l'Oberbefehls- 
haber-Ost  ;  Hoffmann  semble  avoir  gardé  quelque  rancune  de  cet 
abandon. 

Par  sa  fonction,  Hoffmann  a  été  initié  à  l'élaboration  et  à  l'exécution 
de  tous  les  plans  et  mouvements  qui  se  sont  déployés  dans  la  zone 
d'entre  Baltique  et  Carpathes.  Aussi  son  volume  se  recommande-t-il 
comme  un  précis,  bien  ordonné,  sobre  et  serré  ;  peu  de  souvenirs 
personnels,  peu  d'anecdotes.  L'auteur  rend  hommage  à  la  valeur  morale 
de  l'adversaire,  tant  du  soldat  que  du  dirigeant,  le  grand-duc  Nicolas, 
dont  il  admire  les  conceptions  et  les  manoeuvres  ;  mais  il  signale 
l'inconscience  et  les  trahisons,  les  télégrammes  lancés  en  clair,  par 
exemple.  «  Cette  légèreté,  dit-il,  nous  a  beaucoup  facilité  les  opérations 
dans  l'Est  »  (p.  35).  Sur  l'attitude  de  Rennenkampf,  Hoffmann,  qui 
savait  sans  doute  les  raisons  qu'avait  ce  personnage  pour  ne  pas 
bouger,  alors  que  «  son  avance  devait  empêcher  la  catastrophe  de 
Tannenberg»  (p.  40),  donne  une  explication  peu  valable  :  l'inimitié 
de  Rennenkampf  contre  Samsonof,  inimitié  qui  s'était  manifestée 
déjà  par  le  même  procédé  à  la  bataille  de  Liaoyang  ;  une  altercation 
violente  s'en  était  suivie  à  la  gare  de  Moukden. 

Si  la  bataille  de  Tannenberg  fut  gagnée,  Hoffmann,  à  l'en  croire, 
n'aurait  pas  été  étranger  à  ce  résultat  :  il  détourna  le  général  von 
Frittwitz  d'une  retraite  derrière  la  Vistule  et  préconisa  une  démons- 
tration contre  le  flanc  gauche  de  l'armée  ennemie  (p.  29)  :  ainsi  fut 
préparée  la  victoire  qui  illustra  Hindenburg,  tandis  que  le  malheureux 
Frittwitz  était  brutalement  «  limogé  ». 

A  l'égard  des  alliés  austro-hongrois,  Hoffmann,  comme  les  écrivains 
militaires  allemands,  professe  un  mépris  classique.  Mais  loin  de  dénigrer 
Conrad  von  Hotzendorff,  il  le  qualifie  «  d'homme  de  génie,  dont  les 
idées  étaient  toutes  bonnes,  ce  qu'on  ne  saurait  affirmer  de  celles  de 
notre  Haut  Commandement  »  (p.  106)  ;  il  le  plaint  de  n'avoir  disposé 
que  d'un  instrument  défectueux  et  sans  consistance. 

Hoffmann  ne  s'est  pas  borné  à  décrire  les  épisodes  qui  se  sont 
produits  dans  le  cadre  de  sa  vision  immédiate  et  de  son  ressort.  Il 
a  embrassé  tous  les  théâtres  d'action,  avec  la  prétention  de  trancher 
impartialement  cette  question  :  «  Etait-il  fatal  que  nous  perdions  la 
guerre,  et  quelles  personnalités  ou  quelles  circonstances  ont  été  cause 
que  nous  l'ayons  perdue  ?  »  Ce  n'est  pas  après  coup  qu'Hoffmann 
allègue  avoir  assumé  cet  office  de  justicier  ;  c'est  au  moment  même 
où  les  événements  s'accomplissaient  qu'il  a  eu  la  perception  des 
erreurs,  des  «  occasions  manquées  ».  De  ces  intuitions,  sa  femme, 
dans  des  lettres  journalières,  a  eu  la  primeur.  La  narration  a  été 
défrayée  par  cette  correspondance  conjugale   (Préface). 

Des  «  occasions  manquées  »,  Hoffmann  en  rappelle  même  d'avant- 


BIBLIOGRAPHIE 


359 


guerre.  L'Allemagne  a  manqué  l'occasion  de  se  concilier  le  Japon  ; 
elle  s'est  aliéné  ce  pays  en  s'associant  avec  la  Russie  et  la  France  à 
l'ultimatum  de  1894,  qui  frustra  les  Japonais  de  leurs  conquêtes  en 
Chine.  Les  Japonais  avaient  compris  et  excusé  la  politique  de  la 
Russie  et  de  la  France.  «  Mais  en  quoi  toute  cette  affaire  vous 
regardait-elle,  vous,  Allemands  ?  »  C'est  en  ces  termes  que  fut  inter- 
pellé Hoffmann,  par  le  ministre  de  la  guerre  Teraouchi.  Et  Hoffmann, 
devant  la  maison  de  thé  où  fut  signé  le  traité,  à  Shimonoseki,  en  1905, 
communiqua  son  pressentiment  à  M"""  Hoffmann  :  «  Espérons  que 
nous  ne  paierons  pas  un  jour  cette  bêtise  »  (p.  14).  La  vraie  «  bêtise  » 
fut  la  mainmise  sur  un  territoire  chinois,  qui  inquiéta  les  Japonais  ; 
et  ceux-ci,  même  si  l'Allemagne  ne  leur  avait  pas  signifié  l'ultimatum 
de  1894,  n'en  auraient  pas  moins  enlevé  Tsingtao,  vingt  ans  après. 

Les  «  occasions  manquées  »,  pendant  la  guerre,  sont  d'ordre  stra- 
tégique. Il  suffira  que  cette  analyse  les  signale,  sans  nul  essai  de 
controverse  —  les  spécialistes  y  trouveront  sans  doute  matière,  — 
sans  confrontation  avec  la  copieuse  littérature  du  sujet.  Procès  sans 
portée  désormais,  et  qui  ne  tend  qu'à  jeter  sur  le  Haut  Commandement 
(lisez  :  Moltke  et  Falkenhayn)  un  discrédit  posthume.  Hoffmann 
appartenait  à  la  coterie  de  Ludendorff,  dont  la  plume  semble  toujours 
cracher  quand  il  mentionne  ses  prédécesseurs. 

Selon  Hoffmann,  l'erreur  initiale  et  décisive  de  l'Oberste  Heeres- 
leitung  a  été  la  déviation  du  plan  de  Schlieffen  (l'idée  maîtresse  en 
était  l'enveloppement  de  l'adversaire  par  la  Belgique  et  le  Nord).  Au 
lieu  de  porter  sur  cette  avenue  des  forces  massives,  on  écoula  les 
troupes  par  échelons,  et  l'on  s'obstina  dans  l'inopérante  bataille  de 
Lorraine  (p.  68).  Il  eijt  fallu  jeter  à  la  rescousse  10  corps  d'armée 
sur  l'aile  droite,  quitte  à  livrer  aux  Français  une  partie  de  l'Alsace, 
ludendorff  raconta  plus  tard  à  Hoffmann  que  le  général  Groner, 
directeur  des  chemins  de  fer,  proposa  l'opération,  mais  que  Falken- 
hayn repoussa  la  suggestion.  La  tentative  eût  été  praticable  encore 
après  la  bataille  de  la  Marne. 

Cette  bataille  fut  encore  une  «  occasion  manquée  »  par  la  timidité 
de  deux  généraux,  von  Kluck,  von  Kiihl,  qui  n'osèrent  point  pa^er 
outre  aux  prétendus  ordres  du  lieutenant-colonel  Hentsch,  lequel  n'était 
d'ailleurs  pas  muni  de  pleins  pouvoirs  en  lègle  (p.  69  et  231).  Leur 
désobéissance  en  eût  fait  des  «  héros  nationaux  ». 

Le  péché  contre  le  dogme  de  Schlieffen  dissipa  tout  espoir  de 
gagner  la  guerre  dans  l'Ouest.  A  quoi  bon  s'exténuer  dans  les  stériles 
combats  de  l'Yser,  «  où  la  jeunesse  allemande  marchait  à  une  mort 
inutile  »  ?  Tout  commandait  d'asséner  le  coup  d'assommoir  aux  Rus- 
ses :  c'était  «  la  seconde  chance  ».  Falkenhayn  refusa  encore,  arguant 
qu'il  avait  besoin  de  ses  troupes  autour  d'Ypres. 

Falkenhayn  n'aurait  pas  vu,  ou  plutôt  n'aurait  pas  voulu  voir  la 
gravité  de  la  situation  sur  le  front  oriental,  en  l'arrière-saison  de 
1914  :  les  armées  des  Puissances  Centrales  étaient  bousculées  sur 
toute  la  ligne.  C'est  alors  que  Hindenburg  fut  investi  du  comman- 
dement de  l'Ober-Ost,  avec  Ludendorff  comme  second  :  Hoffmann 
figura  dans  l'Etat-major.  Un  plan  nouveau  fut  aussitôt  arrêté  :  l'of- 


3éo  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

fensive  contre  l'aile  droite  ennemie  vers  le  Nord,  en  partant  de 
Thorn.  Plus  au  sud,  le  trou  devait  être  bouché,  pour  la  protection  de 
la  Silésie  et  de  ses  mines,  par  des  Austro-Hongrois.  Mais  l'offensive 
de  rObert-Ost,  très  hasardée,  qui  finit  pourtant,  dans  les  derniers 
jours  de  novembre,  par  briser  l'élan  des  Russes,  fut  alourdie  par 
la  défaillance  des  Impériaux  et  Royaux,  que  des  corps  allemands 
durent  étayer,  si  bien  que  le  succès  tactique  espéré  ne  fut  pas  obtenu 
(p.  82).  Par  la  faute  des  alliés,  mais  surtout  par  celle  de  Falkenhayn, 
qui  avaient  promis  des  renforts  :  ces  contingents  survinrent  après 
coup,  en  décembre,  par  petits  paquets.  Cet  appoint  suffit  pourtant  à 
dégager  Lodz  et  à  refouler  l'ennemi  derrière  la  Rawka  et  la  Bzura. 
Avec  plus  de  célérité,  on  eût  anéanti  les  Russes,  assure  Hoffmann. 
«  C'est  une  désolation  que  le  Haut  Commandement  ait  laissé  échapper 
cette  chance  »  (p.  83). 

On  éprouva  encore  une  déception  de  ce  genre,  tout  en  déjouant,  au 
début  de  1915,  le  plan  d'agression  «  gigantesque  »  des  Russes.  Il 
s'agissait  de  libérer  la  Prusse  Orientale,  et  l'on  forma  une  armée 
nouvelle  que  Hoffmann,  sans  doute  pour  en  hausser  le  prestige, 
proposa  de  placer  sous  les  ordres  du  Kronprinz  (p.  92).  Ce  vœu  ne 
fut  pas  exaucé.  Les  Allemands  triomphèrent  malgré  cela,  firent  100.000 
prisonniers,  capturèrent  100  canons,  mais  ne  purent  exploiter  leur 
succès.  Ici,  par  exception,  ce  n'est  plus  le  haut  commandement  qui  est 
incriminé,  mais  la  nature  :  la  fonte  des  neiges  changea  la  région  en 
un  bourbier.  Mais  la  Prusse  Orientale  était  nettoyée,  Memel  réoccupé. 

Après  Gorlice,  Hoffmann  médita  d'exterminer  les  Russes  en  fonçant 
par  Kovno  et  Vilna.  Ludendorff  adopta  l'idée,  qui  fut  très  débattue. 
Hindenburg  et  Ludendorff,  convoqués  au  Quartier  impérial  à  Posen, 
comptaient  que  l'Empereur  s'y  rallierait.  Mais  Falkenhayn  emporta 
Tassentiment  du  souverain  à  une  poussée  sur  la  Narev.  «  La  dernière 
possibilité  d'entreprendre  contre  l'armée  russe  une  opération  qui 
l'anéantirait  était  passée  »  (p.  112).  Encore  une  «occasion  man- 
quée  »  ;  c'est  qu'on  avait  dédaigné  l'idée  de  Hoffmann. 

Détournant  son  regard  de  son  secteur,  Hoffmann  porte  sa  curiosité 
sur  des  épisodes  plus  lointains.  Dans  la  région  balkanique,  Falken- 
hayn a  encore  manqué  une  occasion  :  la  conquête  de  Salonique. 
Tentative  qu'il  déclarait  techniquement  impossible  ;  à  quoi  contre- 
disait formellement  le  général  Grbner,  chef  du  service  des  chemins  de 
fer.  Hoffmann  remarque  avec  raison  que  le  coup  sur  Salonique, 
loin  de  compliquer  la  situation  de  la  Grèce,  l'eût  nettement  définie 
11  reconnaît  cependant,  dans  un  chapitre  intitulé  malicieusement  : 
«  Falkenhayn  et  Salonique  »,  que  l'objectif  visé  par  le  commandement 
.suprême  fut  atteint,  à  savoir  la  liberté  de  la  route  de  Constantinople. 

«  La-  malheureuse  entreprise  de  Verdun  »  fournit  encore  un  argu- 
ment au  réquisitoire  ;  les  Français  ne  pouvaient  céder  cette  position 
«  pour  des  raisons  de  prestige  »  (p.  132)  ;  on  eût  peut-être  réussi  à 
les  en  déloger,  si  l'attaque  avait  été  menée  par  les  deux  rives  de  la 
Meuse  simultanément.  Pourquoi  n'a-t-on  pas  procédé  ainsi  ?  manque 
de  troupes  ?  Alors,  il  ne  fallait  pas  commencer.  Hoffmann,  lui,  n'aurait 
pas  risqué  cette  aventure.  «  J'aurais  exécuté  l'opération  sur  un  théâtre 


BIBLIOGRAPHIE  361 

accessoire,  l'Italie,  mais  une  opération  de  grande  envergure  »,  et  en 
prenant  la  précaution  de  se  garer  des  Russes,  en  garnissant  le  front 
oriental  de  «  baleines  de  corset  »  représentées  par  de  rigides  corps 
allemands,  au  lieu  des  friables  agrégats  autrichiens  (p.  134). 

VOber-Ost,  cependant  condamné  au  chômage,  eût  désiré  se  dégour- 
dir :  il  songeait  à  une  diversion  sur  Riga  et  demanda  six  divisions. 
Falkenhayn  répondit,  —  lors  d'une  visite  à  la  fin  de  mai  1916,  avec 
l'Empereur,  —  que  tout  était  nécessaire  à  Verdun  (p.  137)  «qui  est 
un  grand  succès  »,  et  ajouta  que  «  les  masses  françaises  seraient 
broyées  dans  la  meule  de  Verdun  »  (  p.  137).  Est-il  vraisemblable  qu'à 
cette  date  Falkenhayn  ait  professé  tant  d'optimisme  ? 

VOber-Ost  fit  tout  son  devoir  après  Loutsk  pour  tirer  de  peine  les 
Austro-Hongrois  déconfits.  Cette  fois,  le  commandement  unique  fut 
réalisé,  et  même  le  groupe  d'armées,  laissé  pour  la  montre  sous  le 
commandement  de  l'archiduc  Charles,  eut  pour  chef  le  général  alle- 
mand von  Seekt. 

Après  cette  violente  alerte,  la  période  agitée  et  militante  de 
l'Ober-Ost,  sous  le  prince  de  Bavière,  est  presque  terminée,  sauf  en 
Galicie,  où  les  Allemands  accoururent  encore  en  sauveteurs,  et  sauf 
la  courte  expédition  sur  Riga  et  les  îles  d'Osel,  Moon  et  Dago, 
que  les  Russes,  infectés  déjà  de  bolchevisme,  défendirent  à  peine. 

Dès  lors,  le  général  Hoffmann  fut  accaparé  par  la  politique  et  la 
diplomatie.  Il  se  consola  sans  doute  des  mécomptes  militaires  par  le 
spectacle  du  désarroi  que  donnèrent  à  Brest-Litowsk  les  stratèges 
de  chancellerie. 

Le  chapitre  sur  Brest-Litowsk  est  le  plus  animé  de  l'ouvrage. 
Hoffmann  fut  d'abord  en  vedette  :  c'est  lui  qui  conduisit  les  négo- 
ciations de  l'armistice  avec  les  Bolcheviks.  La  procédure  et  les 
incidents  de  ce  singulier  congrès  ont  été  racontées  par  K.  F.  Nowak, 
(Der  Sturz  der  Mittelm'àchte),  qui  fut  documenté  par  plusieurs  des 
participants,  et  notamment  par  Hoffmann  qui  renvoie  à  son  récit 
(p.  209,  note). 

Quelques  indications  méritent  cependant  d'être  cueillies.  Selon 
Hoffmann  (p.  192),  les  commissaires  russes  insistèrent  pour  le  main- 
tien sur  le  front  oriental  des  troupes  allemandes,  afin  d'empêcher 
tout  envoi  de  renforts  sur  le  front  de  France.  Cette  sollicitude  n'a 
rien  de  surprenant  :  les  Soviets  se  flattaient  encore  d'attirer  l'Entente 
dans  une  conversation  générale.  Hoffmann  promit  de  ne  point  dégarnir 
les  lignes.  Quand,  après  l'armistice,  s'ouvrirent  les  tractations  de  paix, 
Hoffmann  fut  adjoint  et  subordonné  à  Kiihlmann.  Mais  il  se  sait  gré 
d"étre  intervenu  dans  les  moments  critiques.  Les  Russes  avaient  pris 
à  la  lettre  la  formule  de  la  paix  sans  annexions  et  se  réjouissaient 
de  la  restitution  à  leur  Empire  de  la  Pologne,  de  la  Lithuanie,  de  la 
Courlande,  de  toutes  les  provinces  baltiques.  Or,  les  Allemands  n'en- 
tendaient pas  lâcher  ces  pays  qui,  selon  leur  thèse,  s'étaient  spontané- 
ment donnés  à  eux.  Hoffmann  eut  la  désagréable  mission  de  détrom- 
per les  commissaires  bolcheviks  :  il  s'en  acquitta,  avec  une  délicatesse 
toute  germanique,  à  déjeuner,  et  coupa  la  digestion  de  son  voisin  de 
table,  Joffe,  qui  <î  fut  comme  assommé  ».  Le  professeur  Pokrowski, 

23 


362  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

en  une  crise  de  larmes,  protesta  contre  cette  paix  sans  annexions 
«  qui  arrachait  à  la  Russie  18  gouvernements  ».  Cette  interprétation 
allemande  mit  aussi  «  hors  de  lui  »  le  comte  Czernin,  qui  menaça 
de  conclure  une  paix  séparée  :  à  quoi  Hoffmann  répondit  froidement 
que  cette  solution  lui  permettrait  de  récupérer  25  divisions  employées 
à  la  sauvegarde  de  la  Monarchie  des  Habsbourg. 

Hoffmann  fut  appelé  à  Berlin  pour  exposer  la  situation  :  dans  le 
Conseil  de  la  Couronne,  le  2  janvier  1918,  le  problème  baltique  demeura 
en  suspens  (1). 

Aussi,  à  Brest-Litoswk  les  orateurs  russes  haussaient  le  ton,  et  lan- 
çaient des  discours  de  propagande  «  par  la  fenêtre  ».  Selon  Czernin  (Im 
Weltkriege,  p.  319),  Hoffman  s'offrit  à  leur  «  en  asséner  une  bonne  » 
t  quoi  s'opposèrent  Czernin  et  Kùhlmann.  Néanmoins  Hoffmann  pro- 
nonça «sa  malheureuse  harangue»  (p.  322).  La  version  de  Hoffmann 
est  plus  discrète  :  c'est  de  connivence  avec  le  Secrétaire  d'Etat  alle- 
mand qu'il  mit  les  Russes  à  la  raison,  sans  fracas  ;  le  fameux  coup  de 
poing  sur  la  table  est  de  la  légende  (p.  209).  Czernin  assure  que 
Hoffmann  fut  très  fier  de  son  exploit  oratoire.  Hoffmann  confesse  : 
<-.  L'effet  positif  de  mon  exposé  ne  fut  pas  si  grand  que  je  l'avais 
espéré.  » 

Les  pourparlers  avec  les  Oukrainiens  furent  engagés  par  Hoffmann 
'ci  la  prière  et  avec  l'autorisation  de  Czernin,  humilié  d'avoir  pour 
partenaire  des  gamins,  mandataires  de  la  Rada  Centrale,  mais  inexis- 
tante, de  Kiev.  Czernin  (p.  410)  dit  que  Hoffmann  appuya  leurs 
prétentions  sur  Cholm,  ce  que  Hoffmann  reconnaît  ;  mais  il  les  rabroue 
pour  r  «  imprudence  »  de  leurs  autres  exigences,  ce  dont  Czernin  ne 
lui  témoigne  aucune  gratitude. 

Après  la  stupéfiante  annonce  de  Trotzki,  que  la  Russie  ne  faisait 
pas  la  paix,  mais  cessait  la  guerre,  Hoffmann,  prenant  acte  de  la  rup- 
ture automatique  de  l'armistice,  reprit  les  hostilités  :  l'avance  des 
Allemands  hâta  la  paix,  qu'une  délégation  de  doublures  vint  signer  à 
Brest-Litoswk. 

Hoffmann  aurait  volontiers  profité  de  la  décomposition  de  l'armée 
russe,  de  l'anarchie,  pour  marcher  sur  Moscou  et  instaurer  un  gouver- 
nement solide,  sous  le  protectorat  allemand.  Mais  Ludendorff  vivait 


(1)  Dans  une  audience  particnlière,  Hoffmann  remontra  à  Guillaume  II 
le  danger  d'incorporer  à  rAllcmague  de  nouvelles  populations  polonaises 
contrairement  à  l'avis  du  Haut  Commandement:  Hindenburg  et  Ludendorff. 
Guillaume  lui  ordonna  de  s'expliquer  en  toute  liberté,  et  fit  tracer  une  carte 
des  frontières  polonaises  conforme  aux  vues  de  Hoffmann.  Hindenburg  et 
Ludendorff  offrirent  leur  démission  et  exigèrent  le  rappel  de  Hoffmann  que 
l'Empereur  n'accorda  pas  (p.  206). 

Hoffmann  répugnait  aux  annexions.  Dînant  avec  Bethmann-Holhveg 
à  Posen,  en  décem-bre  1914,  il  se  déclara  contre  une  prise  de  territoire  belge 
«  Vous  êtes,  lui  répondit  le  Chancelier,  le  premier  militaire  par  qui  j'entende 
exprimer  cette  opinion  ;  je  suis  tout  à  fait  de  votre  sentiment.  Mais  si  je 
l'exprimais  à  Berlin  au  Reichstag,  le  déchaînement  de  l'opinion  publicjue 
me  balaierait  de  mon  posle.  «  (P.  83.) 


BIBLIOGRAPHIE  363 

dans  le  mirage  de  son  offensive,  déjà  condamnée,  du  printemps  de 
1918,  pour  laquelle  il  avait  soutiré  les  réserves  de  l'Ober-Ost.  Encore 
une  «  occasion  manquée  »,  la  dernière. 

Mais  la  première  des  «  occasions  manquées  »,  la  seule  que  Hoffmann 
n'évoque  pas,  ce  fut,  pour  l'Allemagne,  de  ne  pas  rester  en  paix  en 
1914. 

B.  AUERBACH. 


ASQUITH  (RT.  HON.  H.  H.).  —  The  Genesis  of  the  war.  (La  Genèse  de 
la  Guerre),  London,  Cassel,  1923,  in  8,  xi-304  p. 

Ce  livre  apportera  quelques  déceptions  à  ceux  qui,  insuffisamment 
édifiés  par  les  publications  officielles  de  documents  diplomatiques, 
cherchent  encore  dans  les  mémoires  d'hommes  d'Etat  des  lumières 
nouvelles  sur  la  «  genèse  de  la  guerre  ». 

Mr  Asquith  nous  expose  cette  genèse,  considérée  du  point  de  vue 
anglais,  en  une  étude  qui  embrasse  la  période  1888-1914.  Les  faits 
y  sont  commentés  avec  la  plus  grande  impartialité  et  une  honnêteté 
persuasive,  tempérée  toutefois  de  quelques  omissions  plus  ou  moins 
\olontaires.  On  ne  saurait  évidemment  tout  dire.  Les  indiscrétions  des 
hommes  politiques,  explique-t-il  dans  son  introduction,  doivent  tenir 
compte  de  certaines  conditions  d'opportunité  et  de  bon  goiît...  Voilà 
pourquoi,  sans  doute,  sa  dévotion  pour  la  vérité  historique  ne  l'entraîne 
pas  jusqu'à  la  confession  parfaite. 

Deux  accusations  semblent  avoir  particulièrement  ému  l'ancien  «  Pre- 
mier ».  Les  Allemands  ont  reproché  à  l'Angleterre  d'avoir  sournoi- 
sement pratiqué  à  leur  égard  une  politique  agres.sive.  En  Angleterre, 
d'autre  part,  on  a  pu  prétendre  que  le  cabinet  Asquith  s'était  laissé 
entraîner,  en  1914,  dans  une  aventure  pour  laquelle  ni  lui,  ni  le  pays 
n'étaient  suffisamment  préparés. 

Pour  ce  qui  est  de  l'accusation  allemande,  Mr  Asquith  en  fait 
aisément  justice  grâce  à  l'argumentation  habituelle.  L'Angleterre  aurait 
pu  écraser  l'expansion  allemande  à  sa  naissance,  dans  les  années 
1897-1907.  Elle  ne  l'a  même  pas  entravée.  Dans  les  années  suivantes, 
tous  les  efforts  ont  été  faits  (exemple  :  la  mission  Haldane  en  1912) 
pour  aboutir  à  une  limitation  d'armements.  Les  augmentations  du 
budget  naval  britannique  n'ont  fait  que  répondre  à  des  initiatives 
allemandes  du  même  genre.  Sans  doute,  l'Angleterre  s'est  rapprochée 
en  1904  et  en  1907  de  l'Alliance  Franco-Russe,  mais  en  réservant 
soigneusement  sa  liberté.  Si  des  coopérations  militaires  et  navales 
ont  été  envisagées,  on  sait  —  n'en  eût-on  pour  preuve  que  l'émouvant 
télégramme  de  M.  Poincaré  à  George  V,  le  31  juillet  1914  —  qu'elles 
laissaient  à  l'Angleterre  les  «  mains  libres  ».  Les  relations  diplomatiques 
anglo-allemandes  n'ont  jamais  été  si  bonnes  qu'au  début  de  1914. 

Quant  à  la  fameuse  «  politique  d'encerclement  »,  c'est  le  titre  d'un 
conte  à  dormir  debout.  Les  Allemands  eux-mêmes,  sauf  le  Kaiser 
qui  croit  à  l'imaginaire  «  gentlemen's  agreement  »  de  1897,  ne  s'en- 
tendent ni  sur  sa  portée  ni  sur  sa  durée.  Biilow,  dans  sa  Deutsche 


364  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Politik,  rééditée  en  1916,  fixe  la  faillite  de  cette  politique  d'encercle- 
ment à  1908.  Bethmann,  plus  soucieux  de  jouer  les  victimes  et  qui 
écrit  après  la  défaite,  en  prolonge  l'existence  jusqu'à  1914.  En  réalité, 
il  ne  faut  voir  là  qu'une  formule  commode  et  injuste  pour  désigner 
la  résistance  pacifique  et  légitime  de  l'Angleterre  aux  envahissements 
de  la  «  Weltpolitik  ».  Comment  admettre  d'ailleurs  qu'un  cabinet 
libéral  ait  poursuivi  spontanément  une  politique  belliqueuse,  si  contraire 
à  ses  immédiats  intérêts  parlementaires  ? 

Cela  ne  veut  pas  dire  que  le  gouvernement  anglais  ait  péché  par 
imprévoyance.  Mr  Asquith  consacre  quatre  copieux  chapitres  de  son 
livre  à  l'étude  de  la  préparation  d'avant-guerre.  Toutes  les  mesures  ont 
été  prises  pour  le  cas  où  l'Angleterre  serait  entraînée  dans  un  conflit 
européen.  11  nous  expose  dans  leur  détail  l'organisation,  la  méthode, 
les  travaux  de  la  commission  de  défense  impériale  et  des  sous-commis- 
sions. De  1907  à  1914,  dans  une  série  d'enquêtes,  tous  les  grands 
problèmes  de  défense  impériale  sont  envisagés  :  intervention  conti- 
nentale, défense  territoriale,  défense  de  l'Egypte,  renforcement  de 
l'armée  des  Indes,  blocus,  etc.  Après  1909,  s'élaborent  nxinuticuse- 
ment  les  mesures  de  guerre  :  saisie  de  bateaux  ennemis,  régime  des 
neutres,  préservation  de  la  vie  économique,  contrôle  des  chemins  de 
fer  et  des  ports,  ravitaillement,  assurance  nationale  des  cargos,  traite- 
ment des  étrangers,  défense  des  câbles,  etc..  Les  Dominions  sont 
invités  dans  les  Conférences  impériales  de  1904  et  de  1911  à  coor- 
donner leur  préparation  avec  celle  de  la  métropole.  Lord  Haldane 
institue  VImperial  General  Staff,  en  rapports  étroits  avec  les  Etats- 
majors  des  Dominions.  Et  Mr  Asquith  nous  révèle  un  remarquable 
exposé  de  la  situation  européenne,  fait  confidentiellement  par  Sir 
Edward  Grey  à  la  Conférence  de  Défense  impériale  de  1911. 

Le  récit  de  la  crise  de  1914  ne  nous  apprend  rien  qui  n'ait  été  dit 
par  Mr  M.  Oman  dans  son  histoire  officielle  The  outbreak  of  the  war. 
La  sincérité  des  efforts  de  conciliation  du  Foreign  Office  n'a  plus  à 
être  démontrée,  ni  la  mauvaise  volonté  des  Empires  centraux.  On 
eût  souhaité  que  Mr  Asquith  quittât  plus  vite  ces  sentiers  battus  et 
se  souvînt  davantage  des  mémorables  heures  d'indécision  qu'il  vécut 
alors. 'Mais  il  se  borne  à  considérer  du  point  de  vue  européen  la 
politique  de  son  gouvernement.  Aucune  allusion  aux  tiraillements  et 
aux  divisions  du  cabinet  ;  à  l'anxiété  des  parlementaires  à  la  recherche 
d'une  majorité,  au  danger  que  représentaient  une  presse  et  une  opinion 
publique  insuffisamment  préparées  à  suivre  une  politique  qui  s'imposait 
chaque  jour  davantage.  On  apprend  avec  étonnement,  à  la  fin  d'un 
chapitre,  la  démission  de  deux  ministres.  Il  n'y  avait  donc  pas  unani- 
mité de  vues  dans  le  cabinet  ? 

On  pardonnerait  cette  négligence  à  nous  en  informer,  si  rien  n'avait 
élé  écrit  sur  ce  sujet  qui  méritât  une  explication  ou  un  démenti.  Or 
M.  Maxse,  dans  un.  article  retentissant  de  la  National  Review  (août 
1918),  a  raconté,  à  sa  façon,  l'histoire  de  ces  heures  si  incertaines,  et 
publié  une  lettre  de  Bonar  Law  qui,  promettant  au  «  Premier  »  libéral 
l'appui  des  leaders  unionistes,  lui  aurait  rendu  courage.  Cette  lettre, 


BIBLIOGRAPHIE  365 

reproduite  par  le  comte  Loreburn  dans  son  volume  How  the  war 
came  (1)  et  par  Mr  G.  P.  Googh,  dans  le  Cambridge  History  of 
British  foreign  policy  jette  une  lumière  indiscrète  sur  le  mystère 
officiel.  La  réponse  de  George  V  au  télégramme  Poincaré,  dit 
M  Googh,  «  ne  reflétait  ni  la  pensée  du  roi,  ni  celle  du  Foreign 
Office,  mais  représentait  l'expédient  d'un  cabinet  divisé  ».  Faut-il 
étendre  cette  explication  à  toute  la  politique  de  temporisation 
excessive  du  gouvernement,  à  l'heure  où  il  était  urgent  de  prendre 
nettement  certaines  responsabilités  ? 

Une  attitude  plus  ferme  eût-elle  modifié  les  événements  ?  Nous  voici 
dans  le  domaine  insidieux  des  hypothèses... 

Le  livre  s'achève  sur  un  portrait  de  Guillaume  II,  qui  ne  change 
rien  à  ce  que  l'on  sait  déjà  de  l'ex-Kaiser.  Un  chapitre  est  consacré 
aux  ambassadeurs  allemands  :  Metternich,  Marshall,  le  seul  homme  qui 
eût  pu  empêcher  la  guerre  de  1914,  car  seul  il  était  capable  de  contre- 
carrer l'action  des  cercles  militaires  de  Berlin,  l'honnête  Lichnowsky 
dont  la  nomination  à  Londres  reste  une  énigme.  Notons  ici  que 
Mr  Asquith  ne  souffle  mot  du  voyage  du  prince  Henri,  ni  des  illusions 
toutes  fraîches  qu'il  en  rapporta  à  Berlin,  et  qui  expliquent  en  partie 
linefficacité  des  avertissements  de  l'ambassadeur  allemand. 

Chemin  faisant,  des  éloges  sont  distribuées  à  Mr  Henry  Page,  et 
aux  ambassadeurs  et  ministres  anglais  qui  servirent  fidèlement  la  poli- 
tique du  Premier  ;  aucune  critique,  aucune  allusion  amère  n'effleure  les 
autres,  qui  ne  sont  même  pas  nommés. 

M.  Asquith  semble  avoir  eu  le  souci  d'éviter  les  sujets  épineux  ; 
"peut-être  a-t-il  obéi  à  des  considérations  d'opportunité  politique.  Sou- 
haitons que,  plus  détaché  des  contingences,  il  puisse  un  jour  écrire 
à  nouveau  cet  ouvrage  avec  la  sérénité  d'un  historien. 

FÉLIX   DEBYSER. 


P.  Archinov.  —  Istorii'à  makhvnoskogo  dvijeniia  (1918-1921)  (His- 
toire du  mouvement  de  Makhno  (1918-1921).  Préface  de  Voline. 
Edition  du  Groupe  des  Anarchistes  en  Allemagne,  Berlin,  1923,  in-8, 
258  pages. 

Le  livre  de  M.  Archinov  éclaire  un  des  épisodes  les  plus  curieux 
et  les  moins  connus  de  la  Révolution  et  de  la  guerre  civile  dans  !e 
siid  de  la  Russie.  Après  avoir  lu  le  livre,  on  serait  tenté  d'admirer 
la  forte  personnalité  de  Makhno,  auquel  tous  les  journaux,  bolchevistes 
aussi  bien  que  contre-révolutionnaires,  ont  accolé  le  nom  de  bandir. 
Mais,  malgré  le  talent  d'historien  du  fidèle  camarade  de  Makhno,  cet 
exposé  de  trois  années  de  luttes  extraordinaires  est  trop  rempli  de 
pillages,  de  massacres,  d'exécutions  sommaires,  de  trahisons,  d'en- 
treprises chaotiques  pour  que  son  héros  prenne  figure  de  grand 
politicien.  On  ne  voit  pas  Makhno  suivre  une  idée  et  soumettre  ses 

(1)  Londres,  Methuen,   1919.  in-8,  340  p. 


n^C  "      HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

actes  à  l'exécution  d'un  plan  bien  déterminé,  surtout  d'un  plan  de 
politique  créatrice. 

Le  livre  est  précédé  d'une  préface  de  Voline,  qui'  est  un  théoricien, 
comme  Archinov,  de  l'anarchisme  ;  tous  deux  ont  été  attachés  à  la 
section  de  propagande  et  d'organisation  des  armées  de  Makhno  ;  tous 
deux  l'ont  accompagné  au  cours  de  sa  lutte.  L'ouvrage  nous  apporte 
donc  des  renseignements  de  première  main.  De  plus,  les  deux  auteurs 
ont  fait  leurs  preuves  d'anarchistes  sincères  ;  sous  le  régime  tsariste, 
ils  ont  séjourné  longtemps  en  prison,  et  sous  le  régime  bolcheviste, 
ils  n'ont  pas  abdiqué  leurs  idées  ;  Voline  est  encore  aujourd'hui  dans 
une  prison  de  Moscou. 

Nestor  Makhno  est  né  en  1889  à  Goulaï-Polié,  grand  village  du 
gouvernement  d'Ekaterinoslav  ;  fils  de  pauvres  paysans,  pâtre,  puis 
commis  de  magasin,  il  termine  ses  études  primaires.  A  15  ans,  il 
travaille  dans  une  imprimerie  ;  esprit  indiscipliné,  il  a  la  haine  de  ses 
maîtres. 

A  17  ans,  au  milieu  des  ouvriers,  il  s'initie  aux  idées  révolutionnaires, 
s'enthousiasme  pour  la  révolution  de  1905,  et,  en  1908,  il  tombe  entre 
les  mains  de  la  police  ;  en  1910,  il  est  condamné  à  la  pendaison.  A 
cause  de  son  jeune  âge,  sa  peine  est  commuée  en  travaux  forcés. 
Pendant  son  séjour  en  prison,  son  caractère  indomptable,  ses  essais 
d'évasion  le  font  mettre  aux  fers.  Il  tue  les  heures  en  étudiant  la 
grammaire,  les  mathématiques,  la  littérature,  l'économie  politique. 
Pendant  9  ans,  il  a  les  fers  aux  pieds  et  aux  mains. 

La  révolution  de  mars  1917  lui  ouvre  les  portes  de  sa  prison  ;  il 
part  aussitôt  pour  son  pays  natal  où  les  habitants  le  reçoivent  en 
fêtant  la  victime  du  tsarisme.  Il  se  met  immédiatement  à  l'œuvre 
pour  organiser  les  paysans  de  son  village  et  des  environs.  Il  forme 
une  Commune  d'ouvriers,  un  Soviet  des  paysans.  Sous  le  gouvernement 
de  Kerensky,  il  est  président  de  l'Association  des  paysans  du  district, 
président  du  Comité  agraire,  de  l'Union  des  ouvriers  métallurgistes, 
de  l'Union  des  bûcherons,  et  enfin  président  du  Soviet  des  paysans  et 
ouvriers  de  Goulaï-Polié. 

Après  la  révolution  d'octobre,  il  ne  se  trouve  nullement  en  com- 
munauté d'idées  avec  les  bolcheviks  ;  anarchiste,  il  veut  fonder  en 
Ukraine  un  Etat  purement  autonome  de  paysans  libres,  non  soumis 
à  un  gouvernement,  quel  qu'il  soit. 

Pour  conquérir  cette  liberté,  il  faut  une  force  révolutionnaire  militaire. 
Makhno  rassemble  bientôt  une  bande  qui,  en  quelques  semaines, 
devient  la  terreur  de  la  bourgeoisie  locale  et  des  autorités  austro-alle- 
mandes, qui  ont  pénétré  jusqu'au  fond  de  l'Ukraine  après  le  traité  de 
Brest-Litowsk.  Makhno,  dans  un  rayon  de  plusieurs  centaines  de 
kilomètres,  pousse  des  raids  pour  détruire  les  «  nids  »  de  propriétaires 
terriens,  apparaît  au  milieu  de  bataillons  austro-allemands,  les  mas- 
sacre, s'empare  des  armes  et  des  munitions,  et  le  lendemain  reparait 
à  60  kilomètres  de  là,  dans  un  village,  pour  venger  des  paysans 
exploités  par  des  bourgeois. 

Pendant  cette  période,  il  conquiert  la  popularité  comme  vengeur  du 


BIBLIOGRAPHIE 


36'7 


peuple,  et  ses  exploits  sont  d'autant  mieux  appréciés  que  ses  troupes 
reviennent  à  Goulaï-Polié  chargées  de  butin  de  toute  espèce. 

En  même  temps,  Makhno  fait  son  apprentissage  d'organisateur 
militaire  et  d'agitateur  des  masses  ;  partout  où  il  passe,  il  tient  des 
meetings,  lance  des  proclamations,  répand  des  tracts.  Des  bandes  de 
soldats  déserteurs  viennent  se  joindre  aux  siennes.  En  septembre 
1918,  il  reçoit  le  titre  de  «  Batko  »  :  «  Père  ». 
Les  succès  l'ont   grisé. 

Il  songe  alors  à  coordonner  les  forces  qui  lui  arrivent  de  tous  côtés 
et  à  organiser  son  action. 

A  ce  moment,  trois  forces  commencent  à  agir  en  Ukraine  :  l'armée 
de  Petlioura,  celle  des  bolcheviks  et  celle  de  Makhno,  chacune  d'entre 
elles  opposée  aux  deux  autres,  et  toutes  trois  ayant  un  but  commun  : 
l'expulsion  de  l'hetman  Skoropadsky  et  des  restes  de  l'armée  austro- 
allemande. 

En  décembre  1918,  Skoropadsky  s'enfuit  ;  contre  les  petits  groupes 
de  troupes  allemandes  disséminés  à  travers  l'Ukraine,  Makhmo  procède 
toujours  par  attaques  inattendues,  massacre  les  officiers,  et  rend  géné- 
reusement la  liberté  aux  soldats,  à  condition  qu'ils  retournent  chez 
eux  prêcher  les  bienfaits  de  la  doctrine  anarchiste.  Petlioura  et  son 
armée  sont  anéantis.  Les  bolcheviks  entrent  en  pourparlers  avec 
Makhno  ;  celui-ci  envoie  même  à  Moscou  des  blés  de  l'Ukraine  ;  mais 
il  tient  à  conserver  son  indépendance  pour  établir  son  Etat  des  paysans 
lilires  ;  il  est  en  complet  désaccord  avec  les  bolcheviks  en  qui  il 
voit  des  contre-révolutionnaires,  des  «  gouvernants  »  qui  ont  confis- 
qué la  révolution  à  leur  profit. 

Un  concurrent  apparaît  au  sud-ouest. 

Grigorief,  général  tsariste,  passé  au  service  de  Petlioura,  puis  au  ser- 
vice des  bolchevistes,  a  eu  la  «  gloire  »  de  rejeter  les  Français  à  la  mer, 
à  Odessa  ;  enivré  par  ce  succès,  il  veut  jouer  un  premier  rôle  et  tente 
de  s'allier  à  Makhno  ;  celui-ci  le  tient  pour  suspect,  et,  dans  un  meeting 
d'entente,  il  le  fait  abattre  d'un  coup  de  revolver. 

Mais  un  danger  plus  sérieux  est  apparu.  Denikine,  avec  l'Armée 
des  Volontaires  part  du  sud-est  de  la  Russie  et  monte  en  vainqueur 
vers  Moscou.  Makhno  l'attaque  par  derrière,  retarde  sa  marche,  en 
désorganisant  ses  communications  par  chemin  de  fer,  et  apporte  incons- 
ciemment une  aide  précieuse  à  ses  propres  ennemis,  les  bolcheviks. 

Ceux-ci,  débarrassés  de  Denikine,  tentent  encore  de  séduire  Makhno, 
et  en  même  temps  lancent  sur  lui  de  nouvelles  divisions. 

Vrangel  a  reformé  une  armée  en  Crimée  ;  lui  aussi  essaie  d'attirer 
les  bandes  de  l'aventurier  ;  mais  l'armée  de  Vrangel  est  bientôt  dis- 
persée. 

11  ne  reste  plus  autour  de  Makhno  que  les  bolcheviks,  qui,  cette  fois, 
entreprennent  l'encerclement  du  «  bandit  ». 

Après  avoir  lutté  dans  les  gouvernements  de  Voronège,  d'Orel,  de 
Kharkof,  de  Cherson,  il  est  acculé  au  Dniester  ;  ayant  perdu  presque 
toute  son  armée,  blessé,  il  s'échappe  en  Roumanie  à  la  fin  de  l'été 


368  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

1921.  Dans  le  récit  d'Archinov,  cette  dernière  partie  ne  manque  pas 
de  la  grandeur  d'une  épopée  sanglante. 

L'auteur  regrette  de  ne  pas  pouvoir  appuyer  ses  affirmations  sur 
des  documents  ;  la  plupart  ont  disparu  dans  les  combats  ou  dans 
le?  fuites  rapides  devant  l'ennemi. 

Sa  collection  du  journal  Pout  K  Svobodou  (Le  chemin  de  la  Liberté), 
organe  officiel  des  partisans  de  Makhno,  est  perdue  ;  perdues  également 
les  collections  de  traits  et  de  procès-verbaux  de  congrès  ;  perdus  les 
deux  premiers  manuscrits  de  l'Histoire  du  mouvement  de  Makhno. 

L'ouvrage  de  P.  Archinov  se  complète  déjà  par  des  articles  parus 
dans  le  Anarkhi-tchesky  Viestnik  (Le  Courrier  Anarchiste)  imprimé  à 
Berlin.  Makhno,  qui  se  trouve  actuellement  dans  une  prison  de  Var- 
sovie, y  a  publié  ses  Mémoires. 

Mais  des  témoignages  contradictoires  commencent  aussi  à  paraître. 

Sous  la  signature  de  Guerasimenko,  on  trouve  dans  Istorik  et 
Sovremennik  (n"  3.  Berlin  1923),  une  étude  sur  Makhno,  dont  le 
héros  qui  nous  est  dépeint  ne  serait  pas  déplacé  dans  un  roman  de 
Gustave  Aymard  ou  de  Mayne-Reid  ;  on  y  voit  Makhno,  pendant, 
fusillant,  pillant,  brûlant,  dansant  la  danse  du  scalp  sur  le  ventre 
d'officiers  décapités  ;  sauvant  une  jeune  fille  de  bonne  bourgeoisie,  la 
conduisant  à  l'église  de  Goulaï-Polié  à  travers  les  rues  couvertes  de 
tapis  luxueux,  fêtant  ses  noces  pendant  douze  jours  ;  puis  repartant 
se  battre,  jouant  aux  cartes  avec  les  officiers  allemands  qu'il  a  fait 
prisonniers,  et  leur  faisant  sauter  la  cervelle  à  la  fin  de  la  partie. 

On  entre  déjà  dans  la  légende  qui  va  s'emparer  du  personnage, 
héros  ou  bandit. 

Avant  qu'un  jeune  étudiant  fasse  une  thèse  sur  la  bataille  des 
partis  pendant  la  révolution  russe,  ou  sur  l'histoire  du  parti  anarchiste 
en  Ukraine,  Makhno  aura  ainsi  été  prendre  sa  place  au  pays  des 
légendes  à  côté  de  Stenka  Razine  et  de  Pougatchef. 

WiLFRID  Lerat. 


Bertrand  Bareilles.  —  Le  drame  oriental  :  d'Athènes  à  Angora. 
Paris,  Bossard,  1923,  in-16.  272  pages. 

Voici  un  petit  livre  qui  nous  change,  qui  nous  sort  de  l'inondation 
des  thuriféraires  de  la  Turquie  nouvelle.  L'expérience  de  son  auteur,  qui 
a  vécu  de  longues  années  en  Orient,  vaut  bien  le  zèle  néophyte  de 
quelques  reporters.  Le  livre  est  d'autant  plus  vivant  que  l'historien 
ne  sait  guère  cacher  ses  sympathies  pour  la  cause  des  persécutés, 
qui  fut  jadis  celle  de  la  France  ;  s'il  manque  parfois  de  précision, 
c'est  que  le  cœur  l'emporte  aisément  et  comble  les  lacunes  d'une 
science  historique,  que  l'on  aimerait  sans  doute  plus  rigoureuse. 
Il  s'agit,  au  reste,  moins  d'une  histoire  des  relations  de  la  Grèce  et  de 
la  Turquie  depuis  le  traité  de  Sèvres  jusqu'au  traité  de  Lausanne, 
que  de  réflexions  judicieuses  à  propos  des  principaux  événements  qui 
ont  ébranlé  l'Orient,  et  par  contre  coup  l'Europe,  dans  ces  trois  der- 
nières années.  Mais  elles  éclairent  en  même  temps  des  points  que  les 


BIBLIOGRAPHIE  3^9 

initiés  seuls  connaissent  et  que  la  presse  française  a  systématiquement 
cachés  :  le  sac  et  l'incendie  de  Smyrne  par  les  Turcs,  la  constance  de 
leur  politique  de  turquisation,  poursuivie  tantôt  au  nom  du  Koran, 
tantôt  au  nom  des  principes  démocratiques,  camouflage  du  Pacte 
national  auqued  l'Europe  se  laisse  prendre.  Ce  n'est  donc  pas  seu- 
lement un  livre  plein  d'intérêt  :  c'est  un  livre  rempli  de  courage,  car 
il  en  faut  à  l'heure  présente  pour  contredire  l'opinion  publique  égarée. 

Jacques  ancel. 


GÉNÉRAL  VON  ZWEHL.  —  Generalstab  dienst  im  Frieden  und  im 
Kriege  (Le  Service  d'Etat  Major  en  temps  de  paix  et  en  temps  de 
guerre).  Berlin,  Mittler,  1923,  in-8,  36  pages. 

L'opuscule  du  général  von  Zwehl  ne  prétend  qu'à  indiquer  de 
façon  très  sommaire  ce  qu'étaient,  dans  l'armée  allemande,  avant  et 
pendant  la  dernière  guerre,  le  recrutement  et  la  formation  des  officiers 
d'Etat-major,  et  à  présenter  quelques  considérations  sur  la  façon  dont  se 
.sont  acquittés  de  leurs  fonctions,  aussi  bien  en  paix  qu'en  guerre, 
ces  membres  d'une  élite  intellectuelle,  dont  la  réputation  fut  si  grande. 
-  -  On  ne  peut  considérer  comme  des  révélations  de  grande  portée 
historique  le  fait  que,  malgré  la  sévérité  des  épreuves  imposées  aux 
candidats,  tous  les  Generalstaebler  n'étaient  pas  des  génies,  ni  que 
les  conditions  spéciales  résultant  de  la  guerre  de  tranchées  et  de  la 
durée  des  hostilités  ont  soulevé  beaucoup  de  problèmes  qui  n'avaient 
pas  été  étudiés  complètement  à  l'Académie  de  Berlin.  Mais  il  est  plus 
intéressant  de  savoir  que  von  Zwehl  considère  comme  des  fautes 
de  la  part  de  la  Haute  Direction  des  opérations,  au  début  de  la 
campagne,  l'envoi  en  Russie  de  deux  corps  d'armée  retirés  du  front 
ae  France,  «  la  passivité  du  Haut  Commandement  après  les  premiers 
succès  en  Alsace  et  en  Lorraine  »,  le  manque  de  précision  dans  les 
ordres  donnés  à  l'aile  droite  des  forces  allemandes  et  le  choix  pour 
une  mission  aussi  importante  du  lieutenant-colonel  Hentsch,  officier 
assez  âgé  et  «  enclin  au  pessimisme  »  {sic).  L'auteur  s'étonne  que,  dès 
sa  prise  de  commandement,  Falkenhayn  n'ait  pas  fait  maison  nette 
au  bureau  des  opérations,  qu'il  considère  comme  responsable  de 
l'échec  du  plan  de  von  Schlieffen.  Cet  insuccès  n'était  pas  cependant, 
à  son  avis,  «  une  conséquence  du  système,  et  les  affaires  de  l'Est 
devaient  le  montrer  ».  Par  la  suite,  dit-il,  les  services  rendue  par  le 
Grand  Etat-major  furent  immenses,  et  il  ne  voit  guère  à  lui  reprocher 
qu'un  certain  manque  d'initiative  dans  les  créations  d'unités  nouvelles, 
(on  sait  pourtant,  par  l'ouvrage  de  von  Wrisberg,  quelle  œuvre 
colossale  fut  accomplie  dans  ce  sens),  et  peu  de  clairvoyance  au 
sujet  de  l'importance  que  devaient  prendre  les  chars  d'assaut. 

L'œuvre  se  termine  par  des  opinions  d'ailleurs  excellentes  sur  la 
délicatesse  du  rôle  de  conseillers  discrets  et  modestes  qui  incombe 
aux  officiers  d'Etat-major  dans  leurs  relations  avec  leurs  chefs,  dont 
l'autorité  ne  saurait  être  amoindrie  parce  qu'ils  écoutent  un  avis,  et  qui 
restent  seuls  responsables. 


^--O  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

On  pourrait  croire  que  tout  cela  est  du  passé,  puisque,  d'après 
le  traité  de  Versailles,  l'Académie  de  Berlin  ne  doit  plus  fonctionner. 
Beaucoup  d'anciens  officiers  d'Etat-major  sont  entrés  dans  la  vie 
civile,  où  ils  font,  paraît-il,  apprécier  leurs  qualités  d'intelligence  et 
de  travail.  Mais  von  Zwehl  ne  cache  pas,  et  se  félicite,  que  beaucoup 
d'entr'eux  servent  actuellement  dans  la  Reichswehr. 

Or,  ajoute-t-il,  «  la  patrie  a  un  intérêt  brûlant  à  ce  que  celle-ci 
soit  aussi  bonne,  aussi  solide  que  les  circonstances  le  permettent. 
Comment  elle  se  développera  ?  Personne  ne  peut  le  dire.  Mais  la  route 
où  nous  conduit  le  pacifisme  ne  peut  aboutir  qu'à  l'esclavage  ;  ce  que 
veut  le  radicalisme,  nous  mène  au  chaos.  Les  meilleurs,  les  mieux 
formés  de  nos  officiers  sont  donc  à  leur  place  dans  la  Reichswehr  ». 

E.  Desbrière. 


GÉNÉRAL  VON  KUHL.  —  Die  Kdegslage  im  Herbst  1918.  Warum  konn- 
ten  wir  weiter  kampjen  ?  —  Eine  Entgegnung  ouf  die  Schrift  von 
Adolf  K'ôster  :  Konnten  wir  im  Herbst  1918  weiter  k'dmpfen  ?  (La 
situation  militaire  à  l'automne  1918.  Pourquoi  pouvions-nous  encore 
combattre  ?  )  —  Réponse  à  l'écrit  d'Adolphe  Kbster  :  «  Pouvions- 
nous  encore  combattre  à  l'automne  1918?  Berlin,  D.  o.  b.,  in-8, 
52  pages. 

La  lutte  continue  en  Allemagne  entre  ceux  qui  attribuent  le  désastre 
final  à  la  Révolution  et  à  la  propagande  défaitiste,  et  ceux  qui  ne 
voient  dans  la  Révolution  et  la  chute  du  pouvoir  impérial  que  la 
conséquence  des  défaites  militaires  subies.  Pour  Koster,  et  les  socia- 
listes de  son  école,  l'armée  allemande  était,  à  l'automne  1918,  hors 
d'état  de  continuer  la  lutte  et  irrémédiablement  battue.  Von  Kiihl, 
ôu  contraire,  tente  de  démontrer  qu'au  moment  de  la  signature  de 
l'armistice,  les  troupes  allemandes,  mieux  pourvues  de  matériel  que 
jamais,  conservaient  toute  leur  force  de  résistance,  et  que  si,  à  la  vérité, 
l'effondrement  de  la  Turquie,  de  la  Bulgarie,  de  l'Autriche  ne  permet- 
talent  plus  d'espérer  une  issue  victorieuse  des  hostilités,  une  retraite 
sur  la  Meuse,  puis  sur  le  Rhin,  aurait  valu  des  conditions  d'armistice, 
puis  de  paix,  beaucoup  plus  favorables,  si  les  mutineries  de  l'arrière, 
les  troubles  de  l'intérieur  n'avaient  pas  obligé  le  commandement 
supérieur  à  céder,  malgré  lui,  aux  exigences  des  alliés. 

Que  l'œuvre  du  général  von  Kiihl  soit  nettement  tendancieuse,  il 
ne  cherche  pas  à  s'en  défendre.  Mais,  si  faibles  qu'ils  soient,  ses  argu- 
ments méritent  d'être  connus,  à  la  fois  comme  un  nouveau  symptôme 
de  la  campagne  systématiquement  poursuivie  en  Allemagne  en  vue 
de  dénoncer  le  traité  de  Versailles,  et  aussi  parce  que  l'auteur  révèle 
certains  faits  qui  jettent  un  jour  curieux  sur  l'état  d'esprit  de  beau- 
coup de  ses  compatriotes  au  cours  de  la  grande  guerre. 

D'après  von  Kuhl,  au  moment  de  l'armistice,  l'Allemagne  disposait 
encore  à  l'intérieur  de  600.000  hommes,  que  le  ministère  de  la  guerre 
avait  offert  d'appeler  sous  les  drapeaux.  Du  18  juillet  au  10  novem- 
bre, on  avait  bien  eu  des  pertes  énormes,  mais  parmi  les  360.000  hom- 


BIBLIOGRAPHIE  37 1 

mes  faits  prisonniers  pendant  cette  période  (chiffre  d'ailleurs  contes- 
table, selon  von  Kuhl)  il  y  avait  un  nombre  élevé  de  déserteurs  et  de 
transfuges  contaminés  par  la  propagande  défaitiste.  Quant  au  ma- 
tériel, l'auteur  déclare  qu'il  était  au  complet.  11  s'appuie  même  sur  le 
témoignage  du  général  Wurtzbacher  pour  affirmer  que  les  batteries 
de  campagne  avaient,  sur  le  front  compris  entre  Reims  et  la  mer,  reçu 
chacune  une  ou  deux'  pièces  de  supplément.  La  fabrication  des  fusils 
avait  atteint  en  novembre  le  chiffre  de  200.000  par  mois,  celle  des 
mitrailleuses  celui  de  13.000.  11  en  était  de  même  pour  tout  le  matériel 
du  génie  et  celui  de  l'aviation  «  nettement  supérieur  à  celui  des  adver- 
saires ».  «  L'Allemagne,  dit  von  Kiihl,  a  le  droit  d'être  îière  de  ses  in- 
dustries de  guerre  ».  C'est,  paraît-il,  l'avis  du  général  Schwarte,  celui 
du  général  von  Wrisberg,  dont  les  lecteurs  de  la  revue  connaissent 
l'ouvrage  sur  l'organisation  des  armées  allemandes  pendant  les  hos- 
tilités. 

En  ce  qui  touche  la  situation  stratégique,  l'auteur  veut  bien  re- 
connaître «  que  l'attaque  sur  le  flanc  droit  de  notre  saillant  de  la 
Marne,  le  18  juillet,  et  la  poussée  contre  le  front  d'Amiens,  l'avaient 
fort  empirée  »,  et  que  l'initiative  était  passée  au  camp  adverse.  L'of- 
fensive projetée  par  le  Maréchal  Foch  pour  le  14  novembre  présentait 
bien  un  certain  danger.  Mais  il  y  a  loin  de  là  à  la  perspective  d'un 
«  Sedan  allemand  »,  dont  parle  Kbster.  De  cela,  von  Kiihl  ne  donne 
d'ailleurs  pas  la  moindre  preuve.  Quand  il  prétend  ensuite  que  la  chute 
du  front  du  Danube  ne  pouvait  avoir  que  des  conséquences  lointaines 
pour  la  sécurité  du  territoire  allemand,  par  suite  de  l'affaiblissement 
de  la  force  offensive  de  l'armée  française  d'Orient  pendant  la  traversée 
de  la  Serbie  et  de  la  longueur  excessive  de  la  ligne  de  communica- 
tions, il  oublie  ou  il  dissimule  l'organisation  par  le  général  Franchet 
d'Esperey  d'une  base  d'opérations  à  Fiume,  en  vue  de  l'invasion  de 
l'AÎlemagne  à  travers  le  territoire  de  la  monarchie  austro-hongroise 
(mise  hors  de  cause  uniquement,  d'après  von  Kiihl,  par  suite  de 
troubles  intérieurs).  Enfin,  après  la  perte  des  puits  de  pétrole  roumains 
il  serait  resté  en  Allemagne  assez  de  combustible  liquide  pour  ali- 
menter la  marine  et  les  sous-marins  pendant  huit  mois,  et  les  au- 
tomobiles et  avions  de  l'armée  pendant  deux. 

Plus  intéressants  sont  les  détails  donnés  par  von  Kiihl  sur  l'abais- 
sement progressif  du  moral  et  de  l'esprit  militaire  en  Allemagne. 

Dès  le  23  févreir  1915,  le  député  Strbbel  avait  osé  écrire  dans  le 
Vorwaerts  qu'  «  une  victoire  complète  du  Reich  compromettrait  les 
intérêts  de  la  Social-démocratie.  »  A  l'occasion  d'une  grève  à  Berlin, 
devait  être  prise,  le  V  mai  de  la  même  année,  la  première  «  offensive 
en  règle  pour  la  propagande  contre  la  guerre  ».  Un  an  plus  tard  est 
organisée  la  distribution  de  tracts  prêchant  la  «  guerre  à  la  guerre... 
la  paix  à  tout  prix...  l'union  des  prolétaires  de  tous  les  pays.  »  Cette 
propagande  aboutit  en  juillet  1917  et  provoque  la  première  mutinerie 
de  la  flotte,  puis  la  seconde,  le  29  octobre  1918,  bien  avant,  remarque 
von  Kiihl,  que  la  situation  militaire  soit  devenue  mauvaise.  Il  en  est 
de   même   de   l'organisation   systématique  de  la  désertion,   entreprise 


372 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


de  bonne  heure,  et  qui  aboutit  à  la  formation  en  Hollande  d'un  «  Co- 
mité de  déserteurs  »  (sic),  de  l'affaiblissement  constaté  dès  1917  de 
l'esprit  militaire  parmi  les  renforts  envoyés  au  front,  des  actes  d'in- 
uiscipline  commis  dans  les  trains  et  les  gares  à  la  m.ême  époque.  En 
mai  1918,  le  rapport  d'une  division  constate  que,  sur  un  détachement  de 
76  sous-officiers  et  555  hommes  venant  de  l'intérieur,  3  sous-officiers 
et  80  hommes  se  sont  esquivés  en  route.  Dès  juin  de  la  même  année, 
le  drapeau  rouge  est  arboré  sur  certains  wagons  ;  on  crie  «  A  bas 
la  guerre  !  Vive  la  France  !  »  Tous  les  prisonniers  revenant  de  Russie 
sont  contaminés  par  le  bolchevisme.  Certains  chefs  de  corps  en  vien- 
nent à  refuser  des  renforts  dont  l'esprit  est  si  mauvais  qu'il  risque  de 
pervertir  les  soldats  fidèles  du  front. 

11  est  bien  facile,  semble-t-il,  de  retourner  contre  von  Kiihl  tous  ces 
faits.  Puisqu'ils  sont  antérieurs  au  désastre  militaire  et  de  beaucoup, 
ont-ils  empêché  les  redoutables  offensives  de  mars  à  juillet  1918  de 
mettre  le  commandement  allemand  plus  près  de  la  victoire  qu'il  ne 
l'a  jamais  été  ?  Alors,  comment  prétendre  que  c'est  à  la  propagande 
socialiste  et  défaitiste  seule  qu'il  faut  attribuer  l'insuccès  final  ?  — 
Non,  tout  cela  n'est  pas  convaincant,  et  rien  ne  sert  de  dire  qu'au 
moment  où  l'armistice  est  venu  arrêter  leur  marche  victorieuse,  les 
.A.lliés  étaient  à  bout  de  forces,  les  Américains  hors  d'état  de  se 
mouvoir,  par  suite  de  l'ignorance  de  leurs  Etats-majors  et  des  défec- 
tuosités de  leurs  ravitaillements.  Si  cela  était  vrai,  Hindenburg  et 
le  Grand  Etat-major  n'auraient  pas  eu  tant  de  hâte  à  conclure  l'ar- 
mistice. C'est  eu-\,  et  eu.x  seuls,  qui  le  voulurent,  à  la  veille  du  désastre 
définitif,  et  c'est  fausser  l'histoire  que  de  prétendre  qu'ils  eurent  la 
main  forcée  par  la  nation  allemande  ou  par  une  armée  mutinée. 

E.  Desbrière. 

1914-1918.  —  La  Grande  Guerre  vécue,  racontée,  illustrée  par  les 
combattants.  Paris,  Aristide  Quillet,  1923,  2  vol.  in-4,  360  et 
421  pages. 

«  Nous  avons  voulu  que  cette  histoire  de  la  Grande-Guerre  fût, 
avant  tout,  l'histoire  du  Poilu  de  France  »,  écrit,  dans  un  avant-pro- 
pos, celui  qui  a  entrepris  de  diriger  cette  belle  œuvre.  Le  but  est 
atteint.  C'est  bien  l'histoire  du  poilu  avec  ses  pages  de  gloire  et  ses 
pages  de  misères  et  de  deuils  ;  mais  c'est  aussi  l'épopée  des  quatre 
années  tragiques  racontée  par  des  gens  qui  ont  vécu  et  souffert  le 
drame  avant  de  chercher  à  l'écrire. 

Les  auteurs  ont  voulu  que  chaque  combattant  retrouve  la  bataille 
à  laquelle  il  a  pris  part,  qu'il  voie  les  liens  qui  existaient  entre  son 
unité  et  les  fractions  voisines  travaillant  à  ses  côtés.  Aussi,  ont-ils 
cité  les  numéros  des  régiments  et  des  bataillons  ;  ils  sont  entrés  dans 
le  détail,  ils  ont  conté  les  moments  d'angoisse  qu'Us  ont  traversés. 
Le  lecteur  constate  que  tous  ont  fait  leur  devoir,  malgré  la  longueur 
de  l'épreuve  et  la  lassitude  des  jours  de  fatigue.  C'est  pourquoi 
un  tel  livre  s'adresse  aux  non-combattants,  trop  âgés  ou  trop  jeunes, 
qui  n'ont  pas  connu  la  guerre.  Ils  verront  raconter  sans  fard,  avec  un 


BIBLIOGRAPHIE  373 

sens  réel  de  la  vie,  ce  que  fut  l'existence  parfois  glorieuse,  parfois 
obscure,  de  ceux  qui  «  y  étaient  ».  C'est  une  belle  morale  par 
l'exemple,  qui  laisse  loin  derrière  elle  les  histoires  des  Thermopyles 
ou  de  Salamine. 

Tous  les  auteurs  ont  vécu  cette  guerre.  A  la  première  page,  figure 
un  tableau  qui  contient  les  noms  des  cinquante-cinq  collaborateurs. 
Après  chaque  nom,  se  trouvent  un  ou  plusieurs  signes  :  ils  sont  tous 
décorés  de  la  croix  de  guerre,  certains  ont  la  médaille  militaire  ou 
la  Légion  d'honneur.  C'est  déjà  une  garantie.  On  ne  nous  dit  pas 
ce  qu'ils  ont  fait,  mais  on  le  devine  en  lisant  les  pages  qu'ils  ont 
écrites.  Un  certain  nombre  des  auteurs  se  sont  déjà  fait  connaître 
par  d'autres  articles  ou  d'autres  livres,  et  leurs  noms  sont  une  caution 
de  plus  de  sincérité  et  d'exactitude. 

Il  est  difficile  de  faire  un  ouvrage  de  ce  genre  ;  la  multiplicité 
des  collaborateurs  est  gênante,  chacun  veut  la  part  la  plus  belle. 
On  pourrait  craindre  que  de  tels  ennuis  se  soient  produits,  et  que  le 
plan  ou  les  proportions  de  ce  récit  en  gardent  quelques  traces.  Il  n'en 
est  heureusement  rien.  L'ouvrage  est  complet  sans  être  touffu  ;  il 
décrit  bien  des  opérations,  et  il  n'y  a  pas  de  redites. 

Les  chapitres  peuvent  être  divisés  en  deux  catégories.  Nous  ran- 
geons dans  la  première  ceux  qui  présentent  des  ensembles  de  la 
guerre  :  la  mobilisation,  la  concentration,  la  stabilisation  du  front,  la 
bataille  de  Verdun,  la  crise  du  moral,  l'aviation,  la  marine,  etc.  Ces 
chapitres  donnent  une  physionomie  générale  assez  simple,  et  cependant 
suffisamment  complète  pour  que  celui  qui  se  contente  de  cette  lec- 
ture ait  à  sa  disposition  une  Histoire  de  la  Guerre  bien  faite.  Les 
autres  chapitres  plairont  davantage  aux  anciens  combattants  :  ce  sont 
ceux  qui  décrivent  la  vie  d'une  unité  à  telle  période  de  la  guerre.  Les 
historiens  pourront  y  puiser  des  renseignements  précieux,  souvenirs 
du  combat,  mémoires  de  guerre  encore  tout  imprégnés  de  ce  souffle 
vivifiant  de  la  camaraderie  du  front.  Ce  sont  les  chapitres  sur  l'échec 
de  Crouy,  la  craie  de  Champagne,  le  tunnel  de  Tavannes,  la  prise  de 
Combles,  la  bataille  de  Montfaucon  avec  les  Américains,  etc.  11  y  a 
là  une  documentation  extrêmement  intéressante,  et  on  ne  peut  que 
regretter  de  ne  pas  trouver  un  plus  grand  nombre  de  récits  de  combat- 
tants, écrits  avec  une  semblable  sincérité.  Une  idée,  qui  sera  appré- 
ciée, a  été  de  mettre  à  la  fin  du  premier  volume  une  table  des 
régiments,  bataillons,  etc.,  avec  l'indication  des  principales  affaires 
auxquelles  ils  ont  pris  part.  Cette  table  peut  être  fort  utile  à  consulter. 
Il  serait  extraordinaire  de  ne  pas  trouver  dans  un  tel  ouvrage  des 
inexactitudes  de  détail  ;  nous  en  signalons  quelques-unes  en  vue 
d'une  seconde  édition,  car  nous  sommes  persuadés  que  ce  livre  est 
appelé  à  un  très  grand  succès.  A  la  page  268  du  tome  1",  il  nous  est 
déclaré  que  rien  n'avait  été  fait  en  1915,  pour  suppléer  à  la  destruction 
de  la  voie  ferrée  de  Lérouville  à  Verdun,  et  que  le  camp  retranché 
était  difficile  à  ravitailler.  Certes,  il  était  difficile  à  ravitailler  ;  mais 
on  avait  perfectionné  l'organisation  du  réseau  meusien  par  l'augmen- 
tation du  nombre  des  croisements,  le  développement  des  chantiers  de 
transbordement    et    débarquement,    et     le    renforcement   du    parc   de 


374 


HISTOIRE  DÉ  LA  GUERRE 


matériel.  Toutes  ces  mesures  permirent  des  transports  qui  attei- 
gnirent par  jour  jusqu'à  2.600  tonnes  et  2.400  hommes,  en  juin  1916. 
Pouvait-on,  dès  1915,  faire  plus  et  construire  une  autre  ligne  ?  C'était 
l'opinion  du  général  commandant  le  groupe  d'armées  de  l'Est  ;  mais 
il  ne  faut  pas  oublier  que  les  moyens  en  travailleurs  n'étaient  pas  illi- 
mités, et  qu'on  avait  à  équiper  les  fronts  offensifs  d'Artois  et  de 
Champagne,  fronts  qui  primaient  à  cette  époque  la  région  de  Verdun, 
où  rien  ne  se  passait. 

Dans  la  table  des  unités,  on  peut  regretter  l'absence  de  certains 
des  régiments  de  cavalerie  des  corps  d'armée.  L'histoire  du  20*  chas- 
seurs à  cheval  défendant  Lille  avec  quelques  territoriaux  vaut  bien 
une  citation  dans  ce  court  aperçu  de  nos  gloires  de  la  guerre.  Dans  ce 
même  tableau,  nous  croyons  qu'il  y  a  eu  transposition  entre  les  actions 
du  343'  et  du  349'  régiment  d'infanterie,  celui-ci  ayant  été  dissous  tiu 
printemps  1916. 

Nous  ne  pouvons  terminer  ce  compte  rendu  sans  dire  un  mot  de  la 
présentation  de  l'ouvrage.  Les  deux  volumes  sont  abondamment  illus- 
trés :  trente  et  une  planches  hors  texte  reproduisent  des  ordres,  des 
affiches,  des  eaux-fortes,  etc.  ;  de  très  nombreuses  photographies 
donnent  une  idée  exacte  de  la  physionomie  de  la  guerre  et  de  la  vie 
des  tranchées.  Les  cartes  sont  très  claires,  très  lisibles,  et  font  grand 
honneur  au  spécialiste  qui  les  a  tracées. 

Par  sa  présentation  extérieure,  par  ses  illustrations,  par  son  texte, 
cette  histoire  de  la  Grande  Guerre  vécue  et  racontée  par  les  combat- 
tants mérite  le  succès.  Ce  sera  pour  les  grands  un  souvenir,  pour 
les  petits  un  exemple,  pour  tous  un  enseignement,  et  nous  ne  pouvons 
que  souhaiter  la  plus  grande  diffusion  à  cet  ouvrage. 

R.  V. 

Ralph  Scott.  —  A  Soldier's  Diary  (Un  journal  de  soldat).  Londres, 
Collin,  in-8,  194  p. 

Dans  la  préface  qu'il  a  écrite  pour  ce  petit  ouvrage,  le  général 
Maurice,  bien  connu  par  ses  démêlés  avec  le  gouvernement  de 
M.  Lloyd  George,  prévient  le  lecteur  que  le  but  de  l'auteur,  jeune 
lieutenant  de  réserve  du  génie,  est  d'inspirer  une  telle  horreur  de 
la  guerre  que  de  nouveaux  conflits  deviendront  impossibles.  On 
peut  douter  que,  pour  atteindre  cet  idéal,  il  suffise  de  dépeindre  les 
souffrances  subies  par  les  combattants.  Cela  ne  nous  apprend  rien  que 
nous  ne  sachions  et  ces  notes  ont  un  caractère  trop  personnel  pour 
intéresser  l'histoire  générale.  Elles  ne  visent  du  reste  qu'une  courte 
période  de  la  fin  de  la  campagne  dans  les  Flandres. 

E.  Desbrière. 


A.  Rawlinson.  —  Adventures  in  the  Near  East,  1918-1922.  (Aven- 
tures dans  le  proche  Orient,  avec  introductions  des  généraux  Duns- 


BIBLIOGRAPHIE  375 

terville,  Milne  et  Harington  et  de  l'amiral  Sir  Percy  Scott.)  Londres, 
Andrew  Melrose,  1923,  in-8,  377  p.  Cartes  et  photographies. 

Sans  présenter  un  très  grand  intérêt  pour  l'histoire  générale,  le 
récit  des  aventures  de  A.  Rawlinson,  frère  du  général  qui  a  commandé 
la  4*  armée  sur  le  front  français,  lieutenant-colonel  à  titre  temporaire, 
n'en  méritent  pas  moins  d'être  lues,  à  cause  du  jour  que  jette  leur  récit, 
bien  présenté  et  souvent  spirituel,  sur  les  conséquences  désastreuses 
qu'a  eues  sur  les  affaires  d'Orient  la  politique,  ou  plutôt  l'absence 
de  politique,  des  Alliés,  après  l'armistice  de  Moudros. 

Envoyé  à  la  fin  de  la  guerre  à  Bassorah,  venant  de  Londres,  où  il 
avait  joué  un  rôle  important  dans  la  défense  contre  les  Zeppelins, 
Rawlinson,  ancien  lieutenant  de  Lanciers,  sportman  émérite,  et  parti- 
culièrement au  courant  de  la  locomotion  automobile,  devait,  avec  un 
petit  convoi  de  camions  Ford,  rejoindre  les  forces  britanniques  de 
Perse,  puis  participer  à  la  défense  de  Bakou  contre  les  Turcs.  Lors 
de  l'évacuation  de  cette  ville,  il  parvint  à  s'échapper  et  à  sauver  un 
lot  important  de  matériel  en  s'emparant  d'un  navire,  et  en  forçant 
l'équipage  bolcheviste  à  le  conduire  sur  la  rive  de  la  Caspienne. 
Plus  tard,  il  fut  envoyé  à  Erzeroum,  pour  tenter  de  faire  respecter 
par  les  Turcs  les  clauses  de  l'armistice  qui  prescrivaient  le  désar- 
mement. Il  échoua  dans  cette  entreprise,  parfaitement  irréalisable 
d'ailleurs,  vu  l'impossibilité  d'évacuer  un  matériel  lourd  et  encombram 
dans  cette  région  sans  routes  ni  chemins  de  fer,  sans  parler  de  la 
mauvaise  volonté  des  Turcs,  peu  soucieux  de  livrer  leurs  armes. 

Rawlinson  est  très  mal  disposé  pour  les  Arméniens,  assez  injustement 
car  il  méconnaît  la  fidélité  de  la  République  d'Erivan  à  l'alliance 
et  ses  efforts  pour  organiser  un  régime  régulier.  Par  contre, 
on  ne  peut  que  l'approuver  de  signaler  l'aveuglement  montré  par 
les  dirigeants  de  la  politique  alliée  en  prétendant  soumettre  aux 
Arméniens  d'immenses  territoires  uniquement  peuplés  de  Turcs  ou 
de  Kurdes  et  où  il  n'existait  plus  à  cette  époque  un  seul  Arménien 
vivant.  Le  silence  qu'il  affecte  pour  tout  ce  qui  touche  au  rôle  des 
Ciissions  françaises  en  Transcaucasie,  est  peut-être  imputable  au  pres- 
tige qu'eurent  celles-ci  auprès  des  populations,  prestige  qui  permit  à 
certains  de  nos  officiers  de  parcourir  sans  escorte  des  régions  où 
Rawlinson  ne  s'aventurait  qu'avec  un  convoi  d'automobiles  armées  en 
guerre.  La  description  qu'il  fait  de  certaines  de  ces  routes  est  d'ailleurs 
exacte  et  pittoresque. 

C'est  à  son  dernier  voyage  à  Erzeroum  que  Rawlinson  allait  se 
trouver  victime  du  coup  de  force  accompli  à  Constantinople,  en 
mars  1920,  par  ses  compatriotes.  Arrêté  en  représailles  de  la  capture 
de  Reouf  Pacha  (envoyé  à  Malte  avec  quelques  autres  représentants 
du  parti  National  Turc),  il  devait  subir  une  captivité  souvent  assez 
dure  avant  d'être  échangé. 

E.  Desbrière. 


376  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Beletzky  s.  p.  —  Grigory  Raspoutine.  Byloé.  Petrograd,  1923,  in-4^, 
123  pages. 

Raspoutine  n'est  connu  jusqu'ici  que  par  des  ouvrages  de  seconde 
niain  ;  les  personnes  qui  ont  été  ses  confidents  ou  ses  complices  ont 
préféré  se  taire  ;  déjà  de  son  vivant,  ceux  qui  se  servaient  de  lui  et 
qui  le  servaient  ne  s'en  vantaient  pas  trop  haut,  et  la  plupart  s'en 
cachaient.  Après  sa  mort,  on  conçoit  que  ses  fidèles  hésitent  à  faire 
une  confession. 

Cependant  quelques  documents  commencent  à  paraître. 

M"^  Vyroubova,  dans  Pages  de  ma  vie,  se  montre  trop  fervente 
admiratrice  de  la  Cour  et  du  ^  staretz  »  pour  nous  représenter  le 
personnage  sous  son  vrai  jour,  et  son  témoignage  reste  sans  valeur. 

M""  E.  Djanoumova,  dans  Mes  rencontres  avec  Raspoutine,  nous 
édifie  suffisamment  sur  les  rapports  de  Raspoutine  avec  les  femmes, 
et  sur  son  attitude  à  l'égard  des  ministres. 

M.  Gilliard,  dans  son  livre  :  la  Fin  de  la  famille  impériale,  garde  un 
silence  discret. 

Pourichkevitch,  dans  son  récit  de  la  mort  de  Raspoutine,  éclaire 
les  causes  et  la  fin  du  drame. 

Enfin,  les  Lettres  de  l'impératrice  à  Nicolas  II  nous  dévoilent  le 
rôle  joué  par  1'  «  Ami  »  de  la  famille  impériale,  dans  la  vie  intime  du 
palais,  et  dans  la  politique  intérieure  de  la  Russie. 

Un  grand  nombre  d'autres  documents  existaient,  qui  auraient  com- 
plété le  portrait  de  Raspoutine  ;  mais  la  plupart  ont  été  détruits  :  le 
journal  de  Nicolas  H,  du  10  au  13  mars,  indique  que  le  tsar  a  brûlé 
lettres  et  papiers  pendant  quatre  jours. 

Lors  de  la  chute  du  Ministre  de  l'Intérieur  Khvostov,  son  successeur 
Stiirmer  est  venu,  de  la  part  de  l'Empereur,  lui  donner  l'ordre  de  dé- 
truire tous  les  rapports  ayant  trait  à  Raspoutine,  et  dès  les  premiers 
jours  de  la  Révolution  les  fonctionnaires  ont  supprimé  toutes  traces 
écrites  de  leurs  relations  avec  l'ancien  favori. 

La  Revue  Byloe  (le  Passé)  a  publié  sous  le  titre  Grigory  Raspoutine 
un  extrait  des  Mémoires  de  Beletzky,  ancien  Directeur  du  Département 
de  la  Police  à  Petrograd. 

Le  récit  de  Beletzky  est  un  document  important,  car  le  témoin  est 
à  la  fois  spectateur,  acteur  et  même  metteur  en  scène  comme  orga- 
nisateur de  complots. 

Il  a  partie  liée  avec  tous  les  personnages  qui  gravitent  autour  du 
héros  :  ministres  en  place  décidés  à  se  débarrasser  de  Raspoutine  par 
l'assassinat  (Khvostov),  ou  à  plat  ventre  devant  lui  pour  conserver 
leur  portefeuille,  mouchards  prêts  à  le  sauvegarder  comme  à  Tassom- 
mer,  moines,  prêtres,  évêques,  créatures  du  «  staretz  »  partageant  ses 
débauches,  puis  rompant  avec  lui,  le  dénonçant  impudemment,  — 
maîtres-chanteurs,  intrigants  de  toutes  espèces  (Prince  Andronnikof, 
Manassévitch-Manouïlof)  flattant  ses  bas  instincts  pour  en  tirer  des 
bénéfices. 

Dans  un  récit  de  cent  pages  que  l'on  croirait  extraites  du  plus  effarant 


BIBLIOGRAPHIE  ^77 

roman-feuilleton,  Beletzky,  comme  chef  de  la  police  ne  peut  juger  que 
l'influence  de  Raspoutine  sur  la  politique  intérieure,  sur  le  choix  des 
ministres  et  des  grands  dignitaires. 

En  le  lisant,  c'est  à  peine  si  l'on  s'aperçoit  que  la  guerre  existe  ;  il 
serait  inutile  d'y  chercher  l'influence  de  Raspoutine  sur  la  politique 
extérieure. 

L'on  a  souvent  représenté  Raspoutine  comme  un  agent  à  la  solde 
de  l'Allemagne.  Le  paysan  sibérien,  ivrogne,  débauché,  jouisseur, 
madré,  n'était  pas  d'envergure  à  jouer  ce  rôle,  mais  son  entourage  se 
servait  de  lui  pour  insinuer  et  dicter  à  l'Empereur  des  actes  politi- 
ques dont  les  résultats  étaient  funestes  à  la  Russie  et  aux  Alliés. 

Beletzky  s'intéresse  surtout  aux  intrigues  qui  se  nouent  autour  des 
nominations  de  ministres,  et  plus  encore  aux  rapports  de  Raspoutine 
et  de  la  Douma. 

«  En  étudiant  Raspoutine,  dit-il,  je  me  suis  convaincu  qu'il  n'y 
avait  en  lui  aucune  idée  politique  et  qu'en  chaque  affaire  il  envisageait 
ses  intérêts  propres  et  ceux  de  la  Vyroubova...  Nous  connaissions 
son  point  de  vue  sur  la  Douma. 

«  Dans  le  passé,  la  Douma  ne  lui  avait  donné  rien  de  bon  ;  au 
contraire,  chaque  ouverture  de  session  avait  contribué  à  gêner  sa 
liberté  d'action,  et  l'avait  souvent  forcé  à  s'éloigner  de  la  capitale  ; 
pendant  les  sessions,  il  craignait  que  l'Empereur  ne  changeât  d'opinion 
à  son  égard.  11  entretenait  l'Impératrice  dans  l'idée  de  l'inutilité  de  la 
Douma  et  montrait  à  l'Empereur  que  la  masse  des  paysans  était 
désenchantée  de  la  Douma,  qui  n'avait  rien  fait  pour  eux. 

«  Il  s'informait  avec  nervosité  de  ce  qu'on  disait  sur  lui  dans  les 
«  couloirs... 

«  Après  ma  démission,  lorsqu'à  la  Douma  commencèrent  les  atta- 
ques contre  l'Impératrice  et  Raspoutine,  je  m'intéressai  à  ce  qu'en 
disait  Raspoutine  et  j'interrogeai  Manassévitch-Manouïlof,  secrétaire 
de  Stiirmer. 

«  Manouïlof  me  dit  que  de  tout  ce  qui  se  passait  à  la  Douma, 
Raspoutine  ne  s'intéressait  qu'à  ce  qui  se  disait  contre  lui,  ou  contre 
ses  protecteurs.  Raspoutine  exigeait  qu'on  lui  lijt  ce  qui  avait  été  dit, 
et  il  injuriait  Sturmer,  parce  que  celui-ci  n'avait  pas  pris  immédiate- 
ment sa  défense.  » 

Lorsqu'il  s'agit  de  convoquer  la  Douma  pour  la  session  de  prin- 
temps 1916,  le  gouvernement  pressent  que  la  rentrée  sera  des  plus 
graves  et  la  lutte  âpre. 

Raspoutine  pousse  à  retarder  l'ouverture  de  cette  session.  Ici  les 
mémoires  de  Beletzky  nous  dévoilent  toutes  les  manœuvres,  que  les 
ministres  doivent  employer  pour  convaincre  Raspoutine  et  la  Vyrou- 
bova que  ce  retard  leur  serait  imputé  et  qu'au  contraire,  le  peuple  leur 
saurait  gré  d'avoir  favorisé  la  rentrée  de  l'assemblée. 

Les  assertions  de  Beletzky  se  trouvent  en  partie  confirmées  par  les 
lettres  de  l'Impératrice. 

Le  rôle  de  Raspoutine  dans  la  vie  intérieure  de  l'Etat  ne  doit  pas 
être  laissé  de  côté,  et  les  mémoires  de  Beletzky  fournissent  à  ce  point 
de  vue  d'amples  renseignements.  Mais  il  faut  les  utiliser  avec  précau- 

24 


378  HISTOIRE  m  LA  GUERRE 

tion,  ear  bien  qu'ayant  été  écrits  en  pleine  liberté,  sous  la  Révolution, 
ils  forment  non  pas,  eornme  l'a  dit  l'auteur,  un  acte  d'accusation  contre 
lui,  mais  un  acte  de  défense.  Il  faut  les  soumettre  à  un  sévère  exa- 
men et  ne  pas  s'appuj'er  sur  eux  comme  sur  des  documents  d'une 
vérité  indiscutable, 

WiLFRID  LERAT. 

LES  REVUES  DU  TRIMESTRE  (l) 

Les  origines  de  la  guerre. 

Barbagallo  (Corrado).  —  Corne  si  scateno  la  guerra  mondiale.  III. 

—  Nuova  riv.  stor.,  sept-oct.  1923,  pp.  433-460. 

Barbagallo  (Corrado).  —  Das  Problem  der  Entstehung  des  Welt- 
kriegcs.  —  Kriegsschuldfrage,  nov.  1923,  pp.  89-95. 

Frantz  (Qunther).  —  Die  Kontroll-und  Versuchsmobilmachungen 
Russlands  in  der  Vorkriegszeit.  —  Kriegsschuldfrage,  nov.  1923, 
pp.   101-104. 

Gerlach  (H.  von).  —  La  responsabilité  du  Vatican.  —  Cahiers 
Droits  de  l'Homme,  10  sept.  1923,  pp.  398-399. 

GOUTTENOIRE  DE  TouRY  (Fernand).  —  «  Die  Kriegsschuldfrage  ». 

—  Kriegsschuldfrage,  nov.  1923,  pp.  95-97. 

RUDIGER.  —  Bine  serbische  Veroffentlichung  iiber  die  Ermordung 
des  Erzherzogs  Franz  Ferdinand.  —  Oesterr.  Rund.,  oct.  1923, 
pp.  936-941. 

Thimme  (Friedrich).  —  Sir  George  Buchanans  Memoiren.  —  Kriegs- 
schuldfrage, sept.  1923,  pp.  55-61. 

Wegerer  (Alfred  von).  —  Buchanan  und  Dobrorolski  iiber  die 
russische  Mobilmachung.  —  Kriegsschuldfrage,  nov,  1923,  pp.  97-101. 

Wegerer  (Alfred  von).  —  Ein  Irrtum  der  Entente-Kommisçion.  "— 
Kriegsschuldfrage,  sept  1923.  pp.  61-63. 

Les  opérations  militaires  :  généralités. 

Brosse  (Colonel).  —  Notre  théorie  de  1914  sur  la  conduite  des 
opérations  et  les  leçons  de  la  guerre.  —  Rev.  milit.  française, 
1"  nov.  1923,  pp.  238-270. 

***.  —  Die  Deutschen  Verluste  im  Weltkrieg  nach  Todesursachen. 

—  Wirtschaft  u.  Statisfik,  sept.  1923,  pp.  582-584 

Qrenjer  (Commandant).  —  Au  G.  Q.  G,  allemand  pendant  la 
guerre.  —  Rev.  milit.  française,  1"  sept.  1923,  pp.  295-319. 

(1)  Périodiques  qui, sans  figurer  sur  la  liste  des  dépouillements  réguliers, 
sont  représentés  dans  ce  numéro  par  un  ou  plusieurs  articles  ; 

Alsace  française,  Archio  fur  Sozinhvissenscbaft,  Archives  de  la  Grande 
Guerre,  Correspondance  d'Orient,  Flambeau,  France-Etats-Unis,  Economie 
nouvelle,  Glocke,  Grande  Revue,  Nation  and  Athœneum,  Nouvelle  Revue,  Paix 
par  le  droit.  Parlement  el  opinion,  Revue  contemporaine tRevue  des  Etudes  coo- 
pératives. 


BIBLIOGRAPHIE  379 

KUNTZ  (Capitaine).  —  La  politique  des  effectifs  dans  l'armée  fran- 
çaise de  1914  à  1918,  —  Arch.  grande  guerre,  n°  40,  pp.  1153-1165. 

HORSETZKY  (Ernst  von).  —  Ueber  die  Leistungen  des  k.  u.  k.  Heeres 
im  Weltkriege  und  ihre  Bewertung  von  reichsdeutscher  Seite.  — 
Neue  Reich,  29  sept.  1923,  pp.  1211-1214. 

Revol  (Lieutenant-Colonel).  —  Que  nous  apprit  la  guerre  (II,  III). 
—  Rev.  France,  1"  et  15  sept.  1923,  pp.  131-158,  276-302. 

T...  (Jean).  —  Dans  les  coulisses  de  la  guerre  ;  notes  d'un  chef  de 
la  sûreté  d'une  armée.  —  Merc.  France,  15  oct.  et  1"  nov.  1923,  pp. 
379-402,  653-678. 


Front  occidental. 

Bray  (Fernand  de).  —  Le  Pont  du  Val-Benoît  à  Liège  et  le  miracle 
de  la  Marne.  —  Flambeau,  30  sept.  1923,  pp.  167-174. 

Buisson  (Général).  —  Un  point  d'histoire  (9  sept.  1914).  —  Rev. 
cavalerie,  sept.-oct.  1923,  pp.  589-597. 

Cayqill  (H.-W.).  —  Assault  fire  at  Vaux.  —  Infantry  Journal,  nov. 
1923,  pp.  540-543. 

Charbonneau  (Commandant).  —  Une  manœuvre  d'aile  pendant  la 
guerre  de  1914-1918  :  les  opérations  du  I"  corps  colonial  lors  de 
l'offensive  du  printemps  1917  (1  à  III).  —  Rev.  milit.  générale,  15 
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380  Histoire  de  La  guerre 

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—  Accord  relatif  au  remboursement  des  frais  des  armées  d'occu- 
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XXX.  —  L'Allemagne  et  les  réparations.  I,  IL  —  Corr.,  10  août,  10 
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pp.  367-399. 

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CHRONIQUE 


Les  faits  et  les  controverses. 

I.  —  Les  négociations  de  la  Conférence  de  la  paix  ont  provoqué, 
c'.ans  la  presse  et  au  Parlement,  de  nouvelles  discussions  rétrospectives  ; 
la  tentative  de  séparatisme  rhénan,  en  mai  1919,  la  question  des 
«  pactes  de  garantie  »,  l'attitude  du  président  de  la  République  pendant 
l'élaboration  du  traité,  ont  été  l'objet  de  ces  controverses. 

Le  23  octobre  1923,  dans  l'Echo  National,  M.  Tardieu  déclarait 
que  le  général  Mangin,  en  mai  1919,  avait  «commis  la  légèreté  d'in- 
former les  généraux  anglais  et  américains  qu'il  allait  soutenir  un  coup 
de  main  autonomiste  du  Dr  Dorten,  tout  en  négligeant  de  prévenir  de 
son  projet  le  gouvernement  jrdnçais.  Cette  initiative  du  général  a 
provoqué  une  crise  assez  vive  à  la  Conférence  de  la  paix.  Dans  VEclair, 
le  24  octobre,  a  paru  tout  aussitôt  une  interview  du  général  Mangin  : 
il  avait  toujours,  dit-il,  tenu  le  gouvernement  au  courant  de  ses 
projets.  C'est  ce  que  conteste  vivement  l'Echo  National  en  citant 
(n°  du  26)  les  fragments  d'un  rapport  de  Al  Jeanneney,  sous-secrétaire 
d'Etat  à  la  présidence  du  Conseil,  à  M.  Clemenceau,  et  la  lettre  écrite 
par  celui-ci  au  général,  le  1"  juin  1919. 

Le  mouvement  séparatiste  récent  a  donné  lieu,  de  la  part  du  gouver- 
nement anglais,  à  une  protestation  basée  sur  l'article  27  du  traité  de 
\'ersailles,  qui  détermine  les  frontières  de  l'Allemagne.  Dans  un 
article  du  2  novembre  1923  (Echo  National),  M.  Tardieu  a  rappelé 
que  les  négociateurs  français,  au  mois  de  mars  1919,  s'étaient  refusés 
à  garantir  les  frontières  de  la  nouvelle  Allemagne  :  la  scission  des 
pays  rhénans  ne  constituerait  donc  pas  une  violation  du  traité  de 
Versailles. 

Dans  le  débat  du  23  novembre  1923,  à  la  Chambre  des  députés, 
(Temps  du  25,  p.  3),  des  renseignements  intéressants  sur  les  projets 
ae  «  pactes  de  garantie  »  ont  été  donnés  par  M.  Poincaré,  président 
du  Conseil,  M.  Briand  et  M.  Tardieu.  En  outre,  M.  Poincaré  a  souligné 
les  profondes  divergences  de  vues  qui  le  séparaient  de  ■  M.  Cle- 
menceau au  moment  du  vote  du  Traité. 

II.  —  Le  procès  de  Conradi,  le  meurtrier  du  plénipotentiaire  bol- 
chevik Worowski,  s'est  plaidé  à  Lausanne,  du  5  au  16  novembre.  C'est 
tout  le  régime  des  Soviets  qui  a  fait  les  frais  des  débats  :  attaques 
passionnées  des  uns,  apologies,  —  parfois  inattendues  — ,  des  autres, 
voilà  les  témoignages  qui,  bien  au  delà  des  faits  de  la  cause,  ont 


386  HISTOIRE  DE  LA  GUERRl 

alimenté  la  chronique  de  la  grande  presse.  Au  point  de  vue  qui  nous 
intéresse,  nous  croyons  devoir  rappeler  seulement  le  petit  incident 
eue  voici.  Le  général  Dobrorolsky,  celui-là  même  dont  nous  avons 
publié,  en  version  française,  les  souvenirs  sur  la  mobilisation  russe 
en  1914,  est  venu  apporter  un  témoignage  public  de  sympathie  au 
gouvernement  soviétique.  Le  témoin,  qui,  en  1921,  habitait  Belgrade, 
est  maintenant  établi  à  Berlin.  Ce  fait  a  donné  lieu  à  une  vive  inter- 
vention d'un  des  avocats,  M''  Aubert.  II  a  suffi  pour  que  la  sincérité 
des  souvenirs  de  Dobrorolsky  puisse  paraître  sujette  à  caution. 

m.  —  Les  publications  de  documents  se  poursuivent  à  l'étranger. 
Le  gouverr.ement  allemand,  qui  avait  suspendu  depuis  un  an  environ, 
la  grande  collection  Die  Grosse  Politik  der  europaïschen  Kabinette 
(1870-1914)  vient  de  se  décider  à  mettre  en  vente  de  nouveaux  volumes 
La  Frankfurter  Zeitung  du  1 1  novembre  a  annoncé  la  prochaine  appa- 
rition de  six  tomes,  qui  concernent  le  traité  de  contre-assurance  avec  la 
Russie  et  le  rapprochement  franco-russe.  En  Russie,  l'organisation 
centrale  des  archives  de  la  République  prépare  une  nouvelle  série 
de  publications  :  la  correspondance  de  Nicolas  II  et  de  l'impératrice 
Alexandra  Féodorowna,  plus  importante,  sans  aucun  doute,  que  le 
Journal  privé  du  Tsar,  formera  quatre  volumes,  avec  une  préface 
du  professeur  Pokrowsky  ;  les  compte  rendus  de  divers  grands  procès 
politiques  sont  aussi  annoncés. 

IV.  —  A  Innsbruck,  le  18  août,  le  capitaine  Werkmann,  ancien  secré- 
taire particulier  de  l'empereur  Charles  de  Habsbourg,  a  e.xposé,  dans 
une  conférence,  l'histoire  des  derniers  jours  de  la  monarchie.  La 
France,  dit-il,  n'avait  pas  l'intention  de  disloquer  l'Autriche-Hongrie, 
av  moment  de  l'armistice  :  le  comte  Chlumecky,  envoyé  en  mission 
à  Berne,  en  octobre,  aurait  reçu  du  Dr  Bûcher,  «  homme  de  confiance 
de  Clemenceau  »  (dit  le  capitaine  Werkmann),  l'assurance  que  la 
Fiance  était  sympathique  à  la  formation  d'un  Etat  fédératif.  Le  prince 
Windichgraetz,  qui,  le  6  novembre,  avait  des  entretiens  avec  les 
représentants  de  l'Entente  en  Suisse,  aurait  reçu  de  M.  Dutasta  des 
déclarations  analogues  :  «  Selon  l'ambassadeur,  il  était  nécessaire  de 
conserver,  sur  le  moyen  Danube,  un  grand  organisme  d'Etat,  et  il 
était  indispensable  que  la  dynastie  collaborât  à  cette  œuvre  ».  Mais, 
presque  aussitôt,  la  révolution  triomphait  à  Vienne.  «  Ce  n'est  donc 
point  le  fait  d'accepter  les  conditions  d'armistice  qui  a  sapé  la 
dynastie  tant  à  l'intérieur  qu'à  l'extérieur.  C'est  l'exemple  de  l'Alle- 
rragne  qui  empêcha  l'empereur  Charles  de  réussir  »(1). 

11  est  inutile  de  souligner  le  caractère  politique  de  ce  témoignage, 
qui  vise  évidemment  à  rejeter  sur  la  Socialdémocratie  la  responsa- 
bilité des  maux  dont  a  souffert  l'Autriche  vaincue.  C'est  dire  aussi  avec 
quelle  prudence  il  faut  accueilfir  les  affirmations  du  capitaine  Werk- 
mann. 

(1)  Le  compte  rendu  de  cette  conférence  {P^cichsposl  du  20  août  1923)  a  été 
en  partie  reproduit  par  le  Bulletin  périodique  de  la  presse  autricfiienne.  (Bureau 
d'études  de  presse  étrangère),  n"  147,  auquel  ces  détails  sont  empruntés. 


CHRONIQUE  jBy 

V.  —  Le  télégramme  du  baron  Ritter,  que  nous  avons  cité  dans  une 
chronique  précédente  (1),  a  fait  l'objet  d'un  article  paru  dans  les  Ca- 
hiers des,  droits  de  l'homme,  sous  la  signature  de  M.  von  Gerlach.  A  la 
guite  de  cet  article,  le  Temps  du  28  septembre  (page  2)  a  publié  une 
correspondance  de  Rome,  où  on  lit  : 

«  En  admettant  que  ce  télégramme  existe  »  (dit-on  au  Vatican),  «  et 
que  le  texte  soit  celui  qui  a  été  autrefois  publié,  cela  ne  prouve  nul- 
lement que  ce  télégramme  rapportait  ejcactement  les  propositions  et 
conversations  du  Secrétaire  d'Etat...  D'autre  part,  le  baron  Ritter  lui- 
même  n'a-t-il  pas  admis,  dans  certaines  conversations  privées,  que 
son  télégramme  n'exposait  pas  précisément  ce  qui  lui  avait  été  dit  à 
la  Secrétairerie  d'Etat,  mais  plutôt  les  impressions  qu'il  avait  rapportées 
de  conversations  au  Vatican  ?  » 

La  note  rappelle  enfin  «  avec  quelle  appréhension  et  quelle  douleur 
«  le  pape  Pie  X  avait  prévu,  puis  appris  la  déclaration  de  guerre  ». 

Les  publications  nouvelles  de  la  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre. 

La  Société  vient  de  publier,  en  un  petit  volume  de  160  pages,  un 
recueil  de  documents,  intitulé  Un  des  problèmes  de  la  paix  :  La 
sécurité  de  la  France.  C'est  M.  André  Honnorat,  sénateur,  président  de 
la  Société,  qui  est  l'auteur  de  ce  travail.  Il  a  voulu  présenter  au  public 
cultivé,  sous  une  forme  sobre  et  précise,  l'évolution  de  ce  grave 
problème  depuis  la  Conférence  de  la  paix  et  la  signature  des  Traités 
de  garantie,  que  l'Angleterre  et  l'Amérique  ont  si  vite  abandonnés. 
Les  négociations  de  Cannes,  les  propositions  du  chancelier  Cuno,  les 
projets  établis  par  la  «  Commission  temporaire  mixte  »  de  la  Société 
des  Nations  sont  traités  dans  les  divers  chapitres  de  ce  recueil.  Les 
textes  sont  accompagnés  du  commentaire  strictement  indispensable. 
De  ce  volume,  se  dégage,  avec  une  clarté  parfaite,  la  série  de  décep- 
tions qui  ont  atteint  la  France  victorieuse  et  pacifique.  La  Société  est 
heureuse  de  constater  le  succès  que  l'ouvrage  de  son  président  a 
obtenu  dans  la  presse  et  dans  les  milieux  compétents. 

Elle  compte  faire  paraître,  \ers  la  fin  de  janvier  1924,  un  autre 
recueil,  consacré  à  l'Histoire  de  la  question  des  réparations  depuis 
la  Conférence  de  la  Paix  jusqu'à  l'état  de  paiements  du  5  mai  1921. 
Ce  sera  un  gros  ouvrage,  de  450  pages  environ.  L'auteur,  M.  Germain 
Calmette,  attaché  au  service  de  documentation  de  la  Bibliothèque- 
A'iusée  de  la  Guerre,  a  cherché  avant  tout  à  faire  œuvre  historique  : 
c'est  dans  un  état  d'esprit  tout  à  fait  objectif  qu'il  a  recueilli,  grâce  à  de 
longues  recherches,  les  textes  essentiels,  et  c'est  dans  le  même  esprit 
qu'il  essaiera  dans  une  «  Introduction  »  de  dégager  les  lignes  générales 
de  l'évolution  du  problème. 

Les  Cours  et  les  Conférences. 
—  M.  JACQUELIN,  professeur  de  droit  administratif  à  la  Faculté  de 

(1)  Voir  n"  2  de  la  Revue,  p.  178. 


388  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

droit,  continue  cette  année  les  Conférences  de  Doctorat  qu'il  avait 
commencées  l'an  dernier,  sur  Le  droit  administratif  et  la  guerre. 

—  M.  Germain  AlARTiN  traite  Les  Finances  de  la  France  de  1916 
à  1924,  M.  Geouffre  de  Lapradelle,  Les  traités  de  paix  et  la  Société 
des  Nations,  et  M.  Allix,  L'économie  de  guerre  et  d'après  guerre  en 
France,  en  Angleterre,  et  en  Russie. 

—  M.  Pierre  Renouvin  a  repris,  le  7  décembre,  l'enseignement  sur 
l'Etude  critique  des  sources  de  l'Histoire  mondiale,  créé,  à  la  Sorbonne, 
par  la  Société.  11  a  pris  pour  sujet  de  son  cours  public  :  Les  décisions 
essentielles  du  Haut  Commandement  allemand. 

—  Sir  Th.  MORISON,  principal  d'Armstrong  Collège,  a  fait,  le  21 
décembre,  à  la  Sorbonne,  une  intéressante  conférence  sur  :  Les  mou- 
vements  d'opinions  en  Angleterre  depuis  la  guerre. 


Le  Gérant  :  A.  Costes 


r*iTiiMt.  •  mP.  BAne  tcxich 


Revue  d'Histoire 

de  la 

Guerre  Mondiale 


Le  Service  des  Transmissions 
pendant  la  Guerre 


On  peut  dire  que  le  «  Service  des  Transmissions  »  est  né  de 
la  guerre,  car  ce  qui  existait  en  1914  sous  le  nom  de  «  Service 
Télégraphique  aux  armées  »  peut  être  considéré  comme  quan- 
tité négligeable  par  rapport  à  ce  qui  existait  à  la  fin  de  1918, 
tant  au  point  de  vue  du  personnel  qu'au  point  de  vue  matériel. 

En  1914,  le  mode  normal  de  liaison  envisagé  était  le  télégra- 
graphe  Morse.  Le  téléphone  était  peu  employé  ;  on  le  jugeait 
dangereux  parce  que  ses  transmissions  ne  laissent  aucune  trace 
et  parce  qu'elles  peuvent  être  facilement  surprises  par  des 
oreilles  indiscrètes.  On  n'avait  donc  prévu,  tout  au  moins  dans 
la  zone  des  Armées,  qu'un  réseau  purement  télégraphique  qui 
devait  réunir  : 

1°  Le  Grand  Quartier  Général  d'une  part  avec  le  territoire, 
et  d'autre  part  avec  le  Quartier  Général  de  chaque  armée  ; 

2°  Dans  chaque  armée,  le  Quartier  Général  de  l'armée  avec 
les  Quartiers  Généraux  des  corps  d'armée  subordonnés  ; 

3°  Dans  chaque  corps  d'armée,  le  Quartier  Général  du 
corps  d'armée  avec  les  Quartiers  Généraux  des  divisions. 

Ce  réseau  ne  dépassait  pas  les  Quartiers  Généraux  des  di- 
visions. 

Les  communications  entre  les  deux  divisions  étaient  assu- 


2  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

rées,  en  principe,  par  l'intermédiaire  du  poste  du  corps  d'ar- 
mée qui  faisait  le  transit  des  télégrammes.  De  même,  les  com- 
munications entre  deux  corps  d'armée  étaient  assurées  par 
l'intermédiaire  du  poste  de  l'armée. 

Le  personnel  chargé  d'établir  et  d'exploiter  ce  réseau  com- 
prenait en  allant  de  l'arrière  à  l'avant  : 

1°  Des  sections  de  télégraphie  de  2"  ligne  constituées  au 
moyen  de  personnel  militarisé  de  l'Administration  des  Télé- 
graphes, qui  assuraient  les  communications  entre  le  territoire, 
le  Grand  Quartier  Général  et  les  Quartiers  Généraux  d'armée. 

2°  Dans  chaque  armée,  une  compagnie  télégraphique  du 
8^  régiment  du  génie,  chargée  d'assurer  les  communications 
entre  le  Q.  G.  de  l'armée  et  les  Q.  G.  des  corps  d'armée. 

3°  Dans  chaque  corps  d'armée,  un  détachement  de  sapeurs 
télégraphistes  du  S""  régiment  du  génie  chargé  d'assurer  les 
communications  entre  le  Q.  G.  du  corps  d'armée  et  les  Q.  G. 
des  divisions. 

La  division  n'avait  pas  organiquem.ent  de  détachement  de 
sapeurs  télégraphistes  ;  seules  les  divisions  dites  «  indépen- 
dantes »  en  possédaient  un. 

Le  poste  télégraphique  de  la  division  était  installé  et  ex- 
ploité par  du  personnel  appartenant  au  détachement  de  sapeurs 
télégraphistes  du  corps  d'armée. 

La  guerre  que  l'on  avait  envisagée  étant  une  guerre  de  mou- 
vement, on  admettait  que  les  réseaux  à  établir  étaient  des  ré- 
seaux tout  à  fait  temporaires,  que  l'on  modifiait  chaque  jour. 
Pour  les  établir,  on  devait  utiliser  dans  la  plus  large  mesure  les 
fils  télégraphiques  existant  dans  la  zone  d'opérations  de  l'ar- 
mée. Chaque  grande  unité  avait  la  libre  disposition  de  tous  les 
fils  existant  dans  sa  zone  d'action,  à  l'exceptron  de  ceux  qui 
étaient  réservés  par  l'autorité  siupérieure.  Les  sapeurs  télégra- 
phistes avaient  donc  peu  de  constructions  à  faire-  Leur  rôle 
consistait  surtout  à  reconnaître,  à  réparer,  à  compléter  le  ré- 
seau existant,  et  à  exploiter. 

Une  compagnie  télégraphique  d'armée  emportait  avec  elle 
un  lot  assez  important  d'appareils  Morse  et  de  matériel  de 
poste,  quelques  téléphones,  utilisés  surtout  pour  l'essai  des 
lignes,  et  environ  250  kilomètres  de  câble. 

On  estimait  généralement  que  cet  approvisionnement  pou- 
vait suffire  pour  une  campagne  de  courte  durée.  Toutefois,  on 
avait  commencé  à  constituer  dans  les  entrepôts  de  l'intérieur 


LE  SERVICE  DES  TRANSMISSIONS  3 

une  première  réserve  de  ravitaillement  fixée  à  200  kilomètres 
de  câble  par  armée. 

Les  détachements  de  corps  d'armée  et  de  divisions  indé- 
pendantes étaient  relativement  mieux  pourvus  en  téléphones 
que  les  compagnies  d'armée.  Mais,  pour  eux  aussi,  les  com- 
munications télégraphiques  étaient  la  règle,  et  le  téléphone 
l'exception. 

En  dehors  du  réseau  ainsi  constitué,  et  sans  aucun  contact 
avec  lui,  chaque  régiment  d'infanterie  pouvait  établir  un  petit 
réseau  intérieur  de  communications  téléphoniques,  constitué 
au  moyen  de  fil  d'acier  émaillé  très  léger,  mais  cassant.  Ce 
matériel  se  montra  bientôt  tout  à  fait  incommode  et  insuffisant. 

Les  batteries  d'artillerie  possédaient  aussi  des  ateliers  télé- 
phoniques, dont  le  matériel,  destiné  à  relier  la  batterie  à  ses 
observatoires,  était  suffisant  pour  un  champ  de  tir,  mais  ne 
s'adaptait  pas  aux  nécessités  du  combat. 

Aucun  matériel  n'avait  été  constitué  en  vue  d'assurer  la  liai- 
son entre  l'infanterie  et  l'artillerie  chargée  de  l'appuyer. 

En  raison  de  leur  caractère  essentiellement  temporaire,  et 
afin  de  gagner  du  temps  et  d'économiser  le  matériel,  ces  diffé- 
rents réseaux  téléphoniques,  aussi  bien  ceux  construits  éven- 
tuellement par  les  détachements  télégraphiques  des  grandes 
unités  que  ceux  des  corps  de  troupe  d'infanterie  ou  d'artillerie, 
étaient  établis  en  simple  fil  avec  retour  du  courant  par  la  terre. 
Il  en  résultait  fréquemment  des  mélanges  par  les  terres,  et  des 
difficultés  d'audition. 

Mais  la  principale  critique  à  formuler  contre  cette  organisa- 
tion du  début  de  la  guerre,  c'est  qu'il  n'y  avait  aucune  coordi- 
nation entre  les  différents  réseaux.  Chaque  commandant  d'u- 
nité, grande  ou  petite,  qui  possédait  en  dotation  du  matériel 
et  du  personnel  de  transmission,  était  libre  de  l'employer  à  son 
gré  dans  l'intérieur  de  son  unité.  Il  n'y  avait  aucun  plan  d'en- 
semble pour  la  constitution  des  réseaux,  aucune  subordina- 
tion technique  entre  les  différentes  unités. 

Au  point  de  vue  radiotélégraphique,  chaque  armée  possé- 
dait quatre  ou  cinq  postes  automobiles  à  étincelles,  munis 
d'un  mât  démontable  de  27  mètres  pouvant  atteindre  une 
portée  de  100  à  150  kilomètres.  Ces  postes  permettaient  de 
remplacer  ou  de  doubler  les  communications  télégraphiques 
entre  le  Q.  G.  de  l'armée  et  les  Q.  G.  des  corps  d'armée  ou 
des  divisions  de  cavalerie,  et,  pour  certains  d'entre  eux,  de 


4  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

communiquer  avec  les  postes  fixes  du  territoire  :  celui  de  la 
Tour  Eiffel,  et  ceux  des  cinq  Grandes  Places  fortes  :  Mau- 
beuge,  Verdun,  Toul,  Epinal,  Belfort. 

Voilà  la  situation  d'où  nous  sommes  partis  au  mois  d'août 
1914. 


I 

Dès  le  début  de  la  guerre,  la  nécessité  s'imposa  de  doubler 
les  communications  télégraphiques  prévues  par  des  communi- 
cations téléphoniques,  afin  de  permettre  aux  généraux  com- 
mandant les  grandes  unités,  aux  chefs  d'état-major  et  aux 
officiers  des  bureaux  des  opérations  d'avoir  entre  eux  les  con- 
versations directes  qui  leur  étaient  indispensables.  Mais  c'est 
surtout  au  moment  où  le  front  commença  à  se  stabiliser  qu'il 
devint  nécessaire  de  développer  les  communications  télépho- 
niques et  de  les  pousser  au-delà  des  états-majors  de  divisions, 
jusqu'aux  régiments,  jusqu'aux  bataillons  d'infanterie,  par- 
fois jusqu'aux  compagnies  et  jusqu'à  certains  postes  d'obser- 
vation. 

Ce  réseau  était  employé  d'abord  uniquement  par  le  com- 
mandement pour  traiter  des  questions  urgentes  relatives  aux 
opérations.  Mais  peu  à  peu  son  emploi  se  généralisa  et  s'éten- 
dit à  tous  les  bureaux  des  différents  états-majors,  à  tous  les 
corps  de  troupe,  à  tous  les  services.  L'artillerie,  en  dehors  du 
réseau  de  commandement,  reliant  les  commandants  de  l'artil- 
lerie des  grandes  unités  à  tous  les  groupements,  groupes  et 
batteries  sous  leurs  ordres,  avait  besoin  d'un  réseau  spécial 
de  tir,  reliant  chaque  groupe  ou  batterie  à  tous  les  observa- 
toires ayant  des  vues  sur  les  objectifs  normaux  ou  éventuels 
de  ces  groupes  et  de  ces  batteries.  D'autre  part,  lorsque  le 
front  fut  stabilisé,  il  devint  nécessaire  de  relier  par  des  com- 
munications spéciales  et  sûres  chaque  batterie  chargée  des 
tirs  de  barrage  avec  le  poste  de  commandement  ou  de  surveil- 
lance désigné  pour  faire  exécuter  le  barrage. 

Puis  ce  fut  l'aéronautique-  Chaque  terrain  d'atterrissage, 
chaque  escadrille  dut  pouvoir  communiquer  avec  l'état-major 
dont  il  dépendait,  et  avec  les  groupes  ou  groupements  d'artil- 
lerie pour  lesquels  ses  avions  observaient. 

Vinrent  ensuite  les  réseaux  de  défense  contre  avions,réseaux 


LE  SERVICE  DES  TRANSMISSIONS  5 

spécialisés  reliant  entre  eux  et  avec  le  commandement  les 
postes  de  guet,  les  batteries  antiaériennes,  les  escadrilles  de 
chasse  et  les  organes  chargés  de  donner  l'alerte  en  cas  d'in- 
cursion d'aéronefs  ennemis. 

Enfin  vinrent  les  communications  nécessaires  aux  organes 
de  transport  et  de  ravitaillement  et  aux  commandements  ter- 
ritoriaux, commissions  régulatrices,  groupements  automobi- 
les, réseaux  de  voie  de  0,60,  stockages  de  munitions  et  d'ap- 
provisionnements de  toute  nature,  ateliers  de  fabrications, 
unités  de  travailleurs,  service  de  santé,  service  des  eaux,  ser- 
vice des  routes,  etc....  Bref,  on  peut  dire  qu'en  1918  il  n'y  avait 
pas  d'organe,  si  minime  fût-il,  dans  la  zone  des  armées,  qui 
n'eût  son  téléphone  et  ne  l'employât  parfois  sans  modération. 

Tel  poste  d'armée  donnait  en  moyenne  de  4  à  5.000  com- 
munications par  jour. 

Comment  a-t-on  pu, au  cours  de  la  guerre, créer  et  entretenir 
ces  réseaux  multiples  et  complexes,  en  tenant  compte  des  mo- 
difications incessantes  qui  se  produisaient  dans  l'ordre  de  ba- 
taille, leur  donner  à  la  fois  la  sécurité,  la  densité  et  la  sou- 
plesse nécessaires  pour  en  assurer  le  bon  fonctionnement  ? 
Comment  a-t-on  pu  se  procurer  les  quantités  énormes  de  ma- 
tériel qu'ils  représentent  ? 

I.  —  Un  réseau  téléphonique  comprend  essentiellement  les 
appareils  de  poste  (téléphones  et  tableaux  d'intercommunica- 
tion),  et  du  matériel  de  lignes  (fil  nu  ou  câble  isolé,  isola- 
teurs, perches  ou  poteaux). 

L'établissement  central  du  matériel  de  la  Télégraphie  mili- 
taire, rattaché  à  la  Direction  du  matériel  du  génie,  ne  dispo- 
sait comme  réserve  que  d'un  millier  de  téléphones  de  modèles 
divers  et  d'environ  1000  kilomètres  de  fil  conducteur  (câble 
ou  fil  nu). 

L'établissement  était  d'ailleurs  désorganisé  par  suite  du 
départ  pour  les  armées  de  la  majeure  partie  de  son  personnel 
(officiers  ou  ouvriers).  Il  se  reconstitua  au  moyen  d'officiers 
de  complément,  d'ingénieurs  et  d'ouvriers  dégagés  par  leur 
âge  de  toute  obligation  militaire. 

D'autre  part,  la  mobilisation  avait  ralenti  ou  même  arrêté 
toutes  les  fabrications  dans  les  usines. 

On  commença  par  acheter  ou  réquisitionner,  aussi  bien  à 


6  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

l'intérieur  que  dans  la  zone  des  armées,  tous  les  appareils  télé- 
phoniques, publics  o<a  privés,  que  l'on  put  trouver  soit  sur  les 
réseaux  civils,  soit  chez  les  particuliers,  soit  dans  les  stocks 
du  commerce.  On  les  aménagea  de  manière  à  les  rendre  trans- 
portables, sinon  portatifs.  On  fit  appel  à  l'industrie  étrangère. 
Enfin,  après  des  difficultés  m'Ultiples,  l'industrie  française  put 
commencer  à  fabriquer.  Sa  production  mensuelle,  qui  était  au 
début  de  750  appareils  et  de  250  tableaux,  s'éleva  peu  à  peu  à 
3.500  appareils  et  à  2.500  tableaux. 

Du  2  août  1914  au  P'  janvier  1919,  l'Etablissement  central 
du  matériel  de  la  télégraphie  militaire  a  fourni  aux  armées 
210.000  appareils  et  162.000  tableaux  annonciateurs  de  tous 
modèles. 

Il  en  fut  de  même  pour  les  fils  conducteurs.  On  commença 
par  utiliser  tout  ce  qui  se  trouvait  dans  les  places  fortes  du 
littoral  et  du  sud-est,  on  acheta  tous  les  stocks  commerciaux 
de  fils  de  lumière  ou  de  fils  de  sonneries,  on  fit  appel  à  l'in- 
dustrie étrangère,  enfin  les  usines  françaises  commencèrent 
leur  fabrication.  Leur  production  mensuelle,  qui  fut  au  début 
de  10.000  kilomètres,  s'éleva  jusqu'à  36.000  kilomètres,  et  l'E- 
tablissement central  put  fournir  aux  armées  plus  de  2  millions 
de  kilomètres  de  fil  de  toute  nature. 

En  même  temps  que  l'on  fabriquait  le  matériel  en  quantités' 
considérables,  on  l'étudiait  et  on  le  perfectionnait  au  point  de 
vue  technique  pour  l'adapter  aux  conditions  nouvelles  de  la 
guerre. 

Les  premiers  appareils  téléphoniques  étaient  à  appel  vibré, 
mode  d'appel  qui  convient  pour  des  postes  reliés  par  les  lignes 
en  câble  hâtivement  établies  et  mal  isolées,  mais  qui  est  tout 
à  fait  insuffisant  sur  des  réseaux  fixes  soumis  à  une  exploita- 
tion intensive.  Dès  la  fin  de  1914,  on  ne  construisit  plus  que 
des  appareils  à  appel  magnétique  (sonneries)  ou  des  appa- 
reils à  double  mode  d'appel  (appel  magnétique  et  appel  vi- 
bré) pouvant  être  utilisés  aussi  bien  sur  les  réseaux  fixes  que 
sur  les  lignes  volantes,  en  employant  suivant  les  cas  l'un  ou 
l'autre  mode  d'appel.  Les  différents  modèles  étudiés  et  cons- 
truits en  série  furent  de  plus  en  plus  légers,  de  moins  en 
moins  encombrants. 

Pour  les  tableaux  d'intercommunications,  en  dehors  des 
modèles  en  usage  dans  l'administration  des  Postes  et  des  Té- 
légraphes, dont  on  fit  le  plus  large  emploi,  on  étudia  et  on 


LE  SERVICE  DES  TRANSMISSIONS  7 

construisit  à  des  milliers  d'exemplaires  des  tableaux  dont 
les  annonciateurs  se  déclanchent  soit  sous  l'action  de  l'appel 
magnétique,  soit  sous  l'action  de  l'appel  vibré. 

On  réalisa  des  postes  centraux  complets  pour  batterie  et 
pour  groupes  d'artillerie,  des  standards  à  30  directions,  des 
postes  centraux  mobiles  télégraphiques  et  téléphoniques  sur 
camionnettes  et  remorques,  et  enfin  des  multiples  à  300  direc- 
tions pour  postes  centraux  d'armée. 

Comme  fils  conducteurs,  on  substitua  obligatoirement  dès 
1915  les  circuits  téléphoniques  aux  lignes  à  simple  fil,  en  rai- 
son des  dangers  que  présentent  celles-ci  au  point  de  vue  du 
secret  des  conversations  ;  en  conséquence  on  fabriqua  des 
câbles  de  différents  modèles  à  une  ou  plusieurs  paires  de 
conducteurs,  notamment  le  câble  de  campagne  à  4  paires  em- 
ployé comme  axe  de  transmission  en  cas  d'avance,  et  le  câble 
sous  plomb  à  7  paires  qui  servit  à  constituer  les  réseaux  en- 
terrés dans  les  zones  soumises  à  des  bombardements  fré- 
quents. 

Les  corps  de  troupe  furent  dotés  d'appareils  de  signalisa- 
tion optique  à  piles,  pour  les  liaisons  à  faible  distance  et  no- 
tamment pour  les  liaisons  au  combat. 

II,  —  Etudions  maintenant  l'organisation  générale  des  dif- 
férents réseaux,  c'est-à-dire  la  façon  dont  le  matériel  a  été 
utilisé.  Cette  organisation  a  été  définie  par  l'histruction  sur 
la  liaison  pour  troupes  de  toutes  armes  du  28  décembre  1917, 
qui  résume  et  codifie  les  méthodes  et  procédés  auxquels  l'ex- 
périence de  la  guerre  avait  conduit  les  différentes  armées. 

On  constitue  sur  le  terrain  un  quadrillage  plus  ou  moins 
serré  formé  de  nappes  de  circuits  téléphoniques  :  aériens 
jusqu'à  environ  6  kilomètres  des  premières  lignes,  et  enterrés 
ou  fortement  protégés  dans  la  zone  soumise  à  des  bombar- 
dements fréquents. 

Aux  sommets  du  quadrillage  sont  installés  de  grands  pos- 
tes centraux  munis  de  tableaux  d'intercommunication  à  grand 
rendement  et  desservis  par  un  personnel  exercé,  permetiant 
de  donner  rapidement  toutes  les  communications  en  profon- 
deur ou  latérales  qui  sont  nécessaires. 

De  plus,  toutes  dispositions  sont  prises,  dans  les  postes 
centraux,  pour  que  l'on  puisse,  le  cas  échéant, réunir  et  boucler 
momentanément  certaines  lignes.  On  peut  réaliser  ainsi  près- 


g  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

que  immédiatement  les  circuits  directs  de  grandes  longueurs 
qui  sont  nécessaires  pour  certaines  communications  de  tir 
ou  de  commandement. 

Le  passage  des  circuits  par  ces  postes  centraux  permet  de 
sectionner  les  lignes,  ce  qui  facilite  la  surveillance  et  les  es- 
sais, et,  en  cas  de  dérangement,  de  substituer  immédiatement 
au  circuit  fonctionnant  mal  un  circuit  en  bon  état,  avantage 
dont  on  se  priverait  par  l'emploi  de  longs  circuits  directs  dont 
la  surveillance  et  l'entretien  seraient  difficiles  sinon  impos- 
sibles. 

Ce  quadrillage  qui  ne  peut  être  complètement  réalisé  qu'en 
période  de  stabilisation  constitue  le  réseau  d'armée,  dont  le 
plan  est  arrêté  par  le  chef  d'Etat-major  de  l'Armée,  d'après 
les  propositions  du  chef  du  service  télégraphique  de  1'"''  li- 
gne. Il  comprend  au  moins  deux  grandes  artères  parallèles  au 
front,  l'une  à  hauteur  des  P.  C.  de  corps  d'armée,  l'autre  à 
hauteur  des  P.  C.  de  division  et  des  groupements  d'artillerie, 
et  des  antennes  perpendiculaires  au  front  (au  moins  une  par 
front  de  division).  Ces  antennes  sont  prolongées  jusqu'à  des 
centraux  d'observation  établis  à  proximité  des  groupes  d'ob- 
servatoires, elles  peuvent  être  poussées  jusqu'à  des  centraux 
avancés  établis  dans  les  premières  lignes  en  vue  d'une  pro- 
gression. 

Au  point  de  vue  de  l'emploi,  le  réseau  d'armée  comprend 
deux  réseaux  distincts  : 

1°  Le  réseau  de  commandement,  qui  est  relié  vers  l'arrière 
au  réseau  du  territoire  et  vers  l'avant  aux  P.  C.  des  régiments 
d'infanterie  et  des  groupements  d'artillerie,  où  il  se  rattache 
aux  réseaux  particuliers  des  corps  de  troupe. 

2°  Le  réseau  de  tir,  qui  permet  aux  unités  d'artillerie  d'u- 
tiliser tous  les  organes  d'observation  terrestres  ou  aériens  qui 
leur  sont  nécessaires,  en  leur  donnant,  au  moyen  de  bouclages 
réalisés  dans  les  postes  centraux,  les  communications  directes 
spécialisées  dont  elles  ont  besoin,  notamment  avec  les  terrains 
des  secteurs  aéronautiques  et  avec  les  centraux  aérostiers. 

Le  réseau  de  tir  comprend  le  réseau  spécialisé  de  la  défense 
contre  aéronef  (D.  C.  A.  ),  reliant  chaque  commandant  de 
secteur  de  D.  C.  A,  —  d'une  part  avec  ses  sections  d'auto- 
canons,  ses  sections  ou  postes  demi-fixes  et  ses  postes  de  guet, 
—  d'autre  part,  avec  les  centraux  d'aviation,  les  centraux 
aérostiers  et  les  centraux  du  réseau  de  commandement. 


LE  SERVICE  DES  TRANSMISSIONS  9 

Mais  ces  deux  réseaux  de  commandement  et  de  tir,  qui 
sont  différents  dans  leur  emploi,  sont  réalisés  sur  le  terrain 
au  moyen  des  mêmes  nappes  de  circuits  qui  constituent  le 
quadrillage  du  réseau  de  l'armée.  Ce  quadrillage,  s'il  est  suf- 
fisamment dense,  donne  aux  communications  une  grande  sou- 
plesse résultant  de  l'existence  permanente  sur  le  terrain  d'une 
ossature  solide.  Un,  deux  tronçons  du  quadrillage  peuvent 
être  détruits  ;  les  communications  essentielles  seront  néan- 
moins assurées,  en  employant  des  itinéraires  détournés.  Des 
unités  nouvelles  peuvent  entrer  en  Jigne  ;  elles  n'ont  qu'à  se 
réunir  par  des  circuits  d'abonnement  généralement  courts  au 
poste  central  le  plus  voisin  pour  obtenir  toutes  les  communi- 
cations que  donne  le  résp"u. 

Le  réseau  d'armée  v-  imandement  et  tir)  est  construit  et 
entretenu  par  les  unités  de  sapeurs  télégraphistes  de  l'armée, 
des  corps  d'armée  et  des  divisions,  suivant  une  répartition  du 
travail  arrêtée  par  le  chef  du  service  télégraphique  de  1^  ligne 
de  l'armée. 

Le  réseau  d'armée  est  prolongé  vers  l'avant  par  les  réseaux 
des  corps  de  troupe  construits,  entretenus  et  exploités  par  les 
téléphonistes  de  ces  corps  de  troupe  qui  disposent,  à  cet  effet, 
d'une  certaine  quantité  de  matériel  en  dotation. 

Ces  réseaux  particuliers  ont  pour  objet  d'assurer  les  com- 
munications à  l'intérieur  des  unités  et  entre  deux  unités  voi- 
sines. 

Le  réseau  d'un  corps  d'infanterie  assure  les  communica- 
tions du  P.  C.  du  régiment  avec  les  unités  subordonnées  jus- 
qu'aux bataillons  au  moins,  ainsi  que  les  communications  des 
unités  d'infanterie  avec  l'artillerie  qui  est  chargée  de  les  ap- 
puyer. 

Le  réseau  d'un  groupement  d'artillerie  assure  les  communi- 
cations de  ce  groupement  avec  les  éléments  subordonnés  (sous- 
groupements,  groupes,  batteries,  observatoires  particuliers), 
ainsi  que  les  communications  de  l'artillerie  avec  les  unités 
d'infanterie  qu'elle  est  chargée  d'appuyer. 

Les  lignes  établies  dans  ce  but  doublent  celles  qui  ont  été 
établies  par  l'infanterie. 

Ces  communications  sont  parfois  précaires,  surtout  lorsque 
les  lignes  à  établir  pour  les  réaliser  sont  un  peu  longues.  Il  y 
a  donc  avantage,  chaque  fois  que  la  chose  est  possible,  à  ce 
que  les  unités  subordonnées  d'infanterie  et  d'artillerie  se  rat- 


10  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

tachent  par  des  circuits  d'abonnement,  qui  seront  générale- 
ment courts,  au  poste  central  d'armée  le  plus  voisin  (central 
d'observation  ou  central  avancé),  qui  pourra  généralement  leur 
donner,  au  besoin  par  circuit  spécialisé,  toutes  les  communi- 
cations nécessaires. 

En  outre,  ces  unités  doivent  être  pourvues  de  tous  les 
moyens  de  transmission  autres  que  le  téléphone  (postes  de 
T.  S.  F.  ou  de  T.  P.  S.,  appareils  de  signalisation  optique  et 
acoustique,  artifice,  pigeons-voyageurs,  etc.). 

Un  réseau  complet  et  ordonné  de  communications  télégra- 
phiques et  téléphoniques  ne  peut  être  réalisé  que  pendant  les 
périodes  de  stabilisation.  Son  organisation  demande  du  temps. 
Mais  c'est  l'idéal  que  l'on  doit  chercher  à  réaliser,  même  en 
cas  de  guerre  de  mouvement.  Le  temps  nécessaire  pour  l'or- 
ganisation d'un  semblable  réseau  dépend  essentiellement  du 
plan  suivant  lequel  il  doit  être  établi.  Ce  plan  doit  tenir  compte 
des  lignes  ou  tout  au  moins  des  appuis  existant  dans  la  zone 
de  marche. 

En  cas  de  progression,  on  constitue  dans  la  zone  de  marche 
de  chaque  grande  unité  (division  ou  tout  au  moins  corps  d'ar- 
mée) un  axe  de  transmission  jalonné  par  des  postes  centraux 
successifs.  L'itinéraire  des  axes  de  transmission  et  l'emplace- 
ment des  postes  centraux  qui  les  jalonnent  doivent  être  men- 
tionnés dans  l'ordre  d'opération  avec  l'indication  de  l'heure 
à  laquelle  chacun  de  ces  postes" pourra  être  ouvert.  Les  tra- 
vaux de  construction  seront  entrepris  simultanément  sur  plu- 
sieurs tronçons  par  des  équipes  différentes,  tandis  que  d'au- 
tres équipes  procèdent  à  l'aménagement  des  postes  centraux. 

Chaque  axe  de  transmission  comporte  au  moins  quatre 
circuits. 

Aux  centraux  successifs  de  l'axe  de  transmission  viennent 
se  rattacher  les  différents  éléments. Les  grandes  unités  placées 
en  2"  ligne  se  déplacent  dans  le  sillage  de  celles  qui  les  pré- 
cèdent, et  utilisent  en  le  renforçant  l'axe  établi  par  celles-ci. 
Les  corps  d'armée  utilisent  l'axe  de  l'une  de  leurs  divisions, 
l'armée  utilise  l'axe  de  l'un  des  corps  d'armée,  en  l'amélio- 
rant et  en  le  complétant  par  la  construction  de  circuits  nou- 
veaux. 

Si  la  progression  se  ralentit,  les  axes  de  transmissions  de- 
viennent les  éléments  d'un  nouveau  quadrillage  que  l'on  com- 
plète en  reliant  par  des  transversales  les  centraux  situés  à  la 


LE  SERVICE  DES  TRANSMISSIONS  1 1 

même  hauteur,  et  que  l'on  améliore  en  remplaçant  les  lignes 
hâtivement  construites  en  câble  par  des  nappes  de  circuits 
fixes  suffisamment  denses. 

Si  la  progression  va  en  s'accélérant,  comme  ce  fut  le  cas 
en  1918,  il  vient  un  moment  où  il  faut  renoncer  au  téléphone, 
ou  du  moins  perdre  l'espoir  de  conserver  un  réseau  ordonné 
et  complet.  C'est  alors  que  la  T.  S.  F.  prend  une  importance 
capitale.  Plus  sûre  que  le  téléphone  parce  qu'elle  n'est  pas 
soumise  aux  causes  multiples  de  dérangement  qui  affectent 
les  réseaux  téléphoniques,  immédiatement  installée  au  point 
précis  où  se  place  l'état-major  ou  la  formation  qui  a  besoin 
de  communications,  pouvant  toucher  instantanément  un  grand 
nombre  de  correspondants,  la  T.  S.  F.  paraît  être  le  mode 
de  liaison  idéal  d'une  armée  en  mouvement,  comme  le  télé- 
phone est  le  moyen  de  communication  normal  pour  des  élé- 
ments stables  ou  relativement  stables. 


Pendant  la  guerre,  la  T.  S.  F.  a  joué  un  triple  rôle. 

Elle  a  doublé  les  communications  par  fil,  en  assurant  une 
partie  du  trafic  en  ce  qui  concerne  les  télégrammes  ou  les 
messages,  lorsque  les  lignes  étaient  encombrées  ou  lorsqu'il 
fallait  envoyer  simultanément  à  plusieurs  postes  récepteurs 
des  renseignements  qu'il  y  avait  intérêt  à  propager  instanta- 
nément, alors  que  leur  transmission  par  téléphone  à  tous  les 
correspondants  eût  été  longue  et  pénible  (alerte  en  cas  d'in- 
cursion d'avions,  renseignements  météorologiques,  données 
balistiques,  passage  de  l'heure,  etc.). 

Elle  a  remplacé  le  fil  partout  où  son  installation  n'était  pas 
possible,  comme  dans  la  liaison  entre  les  avions  et  le  sol. 

Enfin  elle  a  été  une  source  précieuse  de  renseignements 
grâce  à  l'écoute  méthodique  des  postes  ennemis  et  à  la  re- 
cherche de  l'emplacement  de  ces  postes  au  moyen  de  la  radio- 
goniométrie. 

Mais  que  de  progrès  il  a  fallu  accomplir,  tant  au  point  de 
vue  scientifique  pur  qu'au  point  de  vue  des  réalisations  prati- 
ques, pour  qu'il  fût  permis  à  la  T.  S.  F.  de  remplir  ce  triple 
rôle  comme  elle  l'a  rempli  ! 


j2  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Les  quatre  ou  cinq  postes  automobiles  à  étincelles  que 
possédait  chaque  armée  au  début  de  la  campagne,  pour  dou- 
bler ou  remplacer  éventuellement  les  liaisons  par  fil,  ont  été 
peu  employés  pour  les  transmissions.  Par  contre,  ils  ont  fait 
du  service  d'écoute  pour  capter  les  radiogram.mes  ennemis,  et 
ont  rendu  de  ce  fait  au  commandement,  dans  certaines  cir- 
constances, de  très  précieux  services-  Aussi,  dès  que  le  front 
se  fut  stabilisé,  tous  ces  postes  ainsi  que  ceux  des  places 
iurent-ils  employés  au  service  d'écoute. 

Le  premier  problème  qui  se  posa  fut  de  mettre  la  T.  S.  F. 
sur  avions.  Ce  problème  avait  été  déjà  étudié  et  même  résolu 
avant  la  g.uerre,  mais  on  avait  cherché  à  obtenir  une  portée 
plus  grande  pour  permettre  aux  avions  de  reconnaissance  de 
correspondre  avec  leurs  bases.  Cette  fois-ci,  les  conditions 
étaient  différentes  :  on  voulait  équiper  les  avions  pour  les 
employer  aux  réglages  d'artillerie  ;  il  s'agissait  d'avoir  un 
minimum  de  poids,  avec  une  portée  qui  pouvait  ne  pas  dépas- 
ser 15  kilomètres.  Les  postes  que  l'on  créa  furent  mis  en  ser- 
vice dès  le  mois  de  novembre  1914,  ils  furent  employés  en 
grand  lors  des  attaques  de  1915,  et  surtout  en  1916  dans  la 
Somme.  Aux  avions  de  réglage  d'artillerie,  on  ajouta  des 
avions  d'infanterie,  —  avions  d'accompagnement  dont  le  rôle 
principal  était  de  faire  connaître  à  un  moment  donné  la  ligne 
atteinte  par  l'infanterie,  de  renseigner  les  commandements  et 
l'artillerie  sur  les  obstacles  rencontrés  par  l'infanterie,  et  de 
faire,  à  la  demande  de  celle-ci,  suspendre,  reprendre  ou 
allonger  le  tir  de  l'artillerie,  en  indiquant  au  besoin  les  objec- 
tifs de  tir  par  leurs  coordonnés. 

Tous  ces  postes  étaient  des  postes  à  étincelles,  autrement 
dit  «  à  ondes  amorties  »,  qui  avaient  pour  inconvénient  de  se 
gêner  mutuellement.  La  syntonisation,  c'est-à-dire  l'accord 
entre  le  poste  émetteur  et  le  poste  récepteur,  était  loin  d'être 
parfaite  :  les  postes  récepteurs  recevaient  les  émissions  faites 
non  seulement  sur  la  longueur  d'onde  pour  laquelle  ils  étaient 
réglés,  mais  encore  celles  faites  sur  les  longueurs  d'ondes 
voisines.  On  chercha  donc  à  différencier  les  postes  émetteurs 
non  seulement  par  leur  longueur  d'onde  et  par  leur  indicatif 
d'appel,  mais  encore  par  le  timbre  ou  son  de  leur  émission 
(ronflée,  chantante,  grave,  aiguë,  etc.). 

Le  plan  d'emploi  de  la  T.  S.  F.,  arrêté  dans  chaque  armée 
par  le  chef  du  Service  télégraphique,  répartissait  entre  les 


LE  SERVICE  DES  TRANSMISSIONS  I  ^ 

grandes  unités  les  timbres  et  les  séries  de  longueurs  d'onde, 
en  les  alternant  de  manière  à  ne  pas  donner  les  mêmes  carac- 
téristiques à  deux  grandes  unités  vois'ines. 

Dans  ces  conditions,  on  a  pu  arriver,  avec  du  personnel 
exercé,  à  employer  simultanément  jusqu'à  18  avions  sur  le 
front  d'un  corps  d'armée,  soit  une  moyenne  de  cinq  à  six 
avions  par  kilomètre. 

Mais  c'était  un  maximum,  et  il  eût  été  difficile  d'organiser, 
avec  des  postes  à  ondes  amorties,  en  plus  du  réseau  radio- 
aérien,  le  réseau  de  commandement  dont  le  besoin  se  faisait 
de  plus  en  plus  sentir.  C'est  alors  que  l'on  commença  à  em- 
ployer les  postes  à  lampes  ou  «  à  ondes  entretenues  »,  étudiés 
et  mis  au  point  par  les  services  techniques  de  la  Radiotélé- 
graphie, postes  qui  donnèrent  la  solution  du  problème. 

La  lampe  à  trois  électrodes  ou  tube  à  vide  était  connue  et 
employée  comme  détecteur.  En  1915,  on  reconnut  et  on  étudia 
ses  propriétés  comme  amplificateur  et  comme  génératrice 
d'ondes  entretenues,  qui  ont  révolutionné  la  technique  de  la 
radiotélégraphie.  L'amplificateur  renforce  dans  des  propor- 
tions considérables  les  courants  de  faible  intensité,  il  permet 
la  réception  beaucoup  plus  intense  des  signaux  émis  par  un 
poste  donné,  il  augmente,  par  conséquent,  la  portée  des  postes 
émetteurs,  et  le  nombre  des  postes  émetteurs  qu'un  même  poste 
récepteur  peut  entendre.  Grâce  à  l'amplificateur,  on  a  p'U  déve- 
lopper l'écoute  et  le  repérage  des  postes  ennemis,  créer  un  ser- 
vice méthodique  d'écoutes  et  de  radiogoniométrie,  et  généra- 
liser l'emploi  des  postes  à  ondes  entretenues,  dont  les  avan- 
tages sont  les  suivants  : 

A  énergie  égale,  leur  portée  est  notablement  plus  grande  que 
celle  des  postes  à  ondes  amorties-  L'accord  entre  l'émission  et 
la  réception  est  très  précis  ;  il  est  donc  possible  de  multiplier 
dans  la  même  région  les  postes  émetteurs  sans  danger  de 
brouillage.  Enfin  l'onde  entretenue  n'est  pas  reçue  par  les 
récepteurs  d'ondes  amorties,  ce  qui  permet  de  superposer  les 
deux  réseaux. 

Par  contre,  les  appareils  sont  plus  délicats,  leur  réglage 
plus  difficile,  ils  ne  peuvent  être  confiés  qu'à  un  personnel 
exercé.  Enfin,  les  appareils  récepteurs  comportent  des  accu- 
mulateurs qu'il  faut  recharger  périodiquement.  11  est  donc 
difficile  de  les  installer  trop  près  des  lignes  avancées. 

La  solution  adoptée  a  été  d'employer  les  ondes  entretenues 


j  .  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

pour  le  réseau  du  commandement  et  pour  certains  réseaux 
spécialisés  d'aéronautique  et  de  D.  C-  A.,  et  de  réserver  les 
ondes  amorties  pour  les  avions  de  réglage  et  pour  les  réseaux 
des  corps  de  troupe.  Seuls  les  avions  d'A,  L.  G.  P.  et  les 
avions  de  commandement  qui  avaient  besoin  de  postes  à 
grande  portée  reçurent  des  ondes  entretenues. 

Il  y  avait  donc,  à  la  fin  de  1917  et  au  début  de  1918,  une 
série  de  réseaux  de  T.  S.  F-  distribués  de  la  façon  suivante, 
de  l'arrière  à  l'avant  : 

a)  Réseau  d'armée  comprenant  des  postes  à  ondes  entretenues 
(type  E  13)  montés  sur  camionnettes,  avec  une  portée  pouvant 
varier  de  100  à  250  km.  suivant  l'antenne  employée  et  donnant 
les  liaisons  : 

Armée.  —  Armées  voisines. 
Armée.  —  Corps  d'armée  ou  corps  de  cavalerie. 
Corps  d'armée.  —  Corps  d'armée  voisins. 
Ce  réseau  assurait,  en  outre,  éventuellement  les  liaisons  de 
l'armée  avec  le  groupe  d'armées  et  avec  le  G.  Q.  G. 

b)  Réseau  de  corps  d'armée  comprenant  des  postes  à  ondes 
entretenues  (type  E  3)  d'une  portée  de  50  km.  montés  sur  camion- 
nettes ou  voitures  de  tourisme,  mais  pouvant  aussi  être  placés  le 
cas  échéant  sur  voitures  légères  attelées  assurant  les  liaisons  : 

Corps  d'armée,  —  Division. 
Corps  d'armée.  —  Secteur  aéronautique. 
Division.  —  Divisions  voisines. 
Division.  —  Secteur  aéronautique. 

c)  Un  réseau  de  division  comprenant  des  postes  portatifs  à 
ondes  entretenues  (type  E  10)  assurant  les  liaisons. 

Division.  —  Infanterie  divisionnaire. 
Division.  — -  Centre  de  renseignements  de  D,  I, 
Division.  —  Avion  de  commandement. 
Division.  —  Chars  d'assaut. 

d)  Un  réseau  de  l'avant  comprenant  des  postes  portatifs  à 
ondes  amorties  (type  P.  P.  5  ou  P.  P.  4  a)  assurant  les  liaisons  : 

I.  D,  —  Régiment. 

Régiment.  —  Régiments  voisins. 

Régiment.  —  Groupe  d'artillerie. 

Ces  postes  travaillent  sur  antenne  basse  avec  une  portée  de 
4  à  5  km.,  portée  qui  peut  atteindre  de  10  à  12  km.,  lorsqu'il  est 
possible  de  surélever  l'antenne  jusqu'à  4  mètres  au-dessus  du 
sol. 

En  dehors  de  ces  différents  réseaux  qui  constituaient  le  réseau 
normal  de  commandement,  il  y  avait  dans  chaque  armée  trois 
réseaux  particuliers  constitués  par  des  camionnettes  de  type 
corps  d'armée  (postes  à  ondes  entretenues  E  3)  : 


LE  SERVICE  DES  TRANSMISSIONS  I  5 

r  Le  réseau  de  l'aéronautique  reliant  le  chef  de  l'aéronau- 
tique de  l'armée  à  tous  ses  échelons  subordonnés. 

2°  Le  réseau  de  D.  C.  A,  reliant  les  postes  de  D.  C.  A.  en- 
tre eux  à  l'armée. 

3°  Le  réseau  de  la  radiogoniométrie  permettant  de  centra- 
liser rapidement  à  l'armée  les  renseignements  recueillis  par  les 
différents  postes  radiogoniométriques. 

En  dehors  des  armées,  le  réseau  particulier  de  la  division  aé- 
rienne, reliant  la  D.  Aé.  à  toutes  les  escadrilles  de  chasse  ou 
de  bombardement,  aux  postes  centraux  de  D.  C.  A.  et  aux  Com- 
mandants de  l'Aéronautique  des  différentes  unités.  Ce  réseau  per- 
mettait à  la  D.  Aé.  d'être  immédiatement  renseignée  sur  l'activité 
de  l'aviation  ennemie,  sur  les  points  où  il  était  nécesaire  d'en- 
voyer des  patrouilles.  Il  y  avait  ainsi  une  liaison  permanente  et 
immédiate  entre  tous  les  postes  de  D.  C.  A.,  toutes  les  esca- 
drilles de  chasse  et  de  bombardement  et  tous  les  services  aéro- 
nautiques. 

Il  ne  manquait  plus  pour  compléter  cet  ensemble  que  de  doter 
les  unités  d'artillerie  d'un  réseau  particulier  analogue  à  celui  de 
l'infanterie  pour  assurer  la  liaison  entre  le  groupement,  les  grou- 
pes et  quelques  observatoires  importants. 

Si  on  examine  maintenant  le  fonctionnement  de  tous  ces 
réseaux,  on  constate  que,  pendant  la  période  de  stabilisation, 
le  réseau  radio-aérien  travaille  en  permanence  ;  rien  ne  peut 
le  remplacer.  Les  réseaux  radio-terrestres  ne  travaillent  d'une 
façon  intensive  que  lorsque  les  communications  téléphoniques 
sont  insuffisantes  ou  interrompues  momentanément. 

Au  contraire,  dans  la  guerre  de'  mouvement,  les  rôles  ont 
été  renversés,  les  réseaux  de  T.  S.  F.  du  Commandement  ont 
pris  une  importance  d'autant  plus  grande  que  le  réseau  télé- 
phonique perdait  de  la  sienne.  Il  est  venu  un  moment  où  les 
camionnettes  de  T-  S.  F.  restaient  le  seul  lien  entre  les 
grandes  unités,  tandis  que  les  postes  portatifs  à  ondes  amor- 
ties donnaient  d'excellentes  communications  dans  l'intérieur 
des  D.  L  Certainement  le  téléphone  est  plus  agréable  et  plus 
commode,  mais  il  faut  com.pter  que,  dans  la  guerre  de  mouve- 
ment, on  pourra  disposer  tout  au  plus  de  quelques  circuits 
précaires,  dont  l'établissement  demandera  un  temps  appré- 
ciable. Dans  bien  des  cas,  la  T.  S.  F.  a  été  le  seul  moyen  de 
liaison  possible. 


j6  histoire  de  la  guerre 

m 

Il  restait  en  avant  des  P.  C-  de  régiments  d'infanterie  et 
des  groupes  d'artillerie  une  zone  où  les  communications 
étaient  toujours  précaires.  Les  lignes  téléphoniques  fréquem- 
ment coupées  étaient  difficiles  à  entretenir.  La  série  des  sons 
et  des  longueurs  d'onde  n'était  pas  assez  nombreuse  pour 
qu'on  pût  attribuer  des  postes  de  T.  S.  F.  portatifs  aux 
unités  subordonnées,  et  les  antennes,  même  réduites  au  mini- 
mum de  hauteur,  attiraient  le  bombardement  et  étaient  fré- 
quemment détruites.  On  eut  recours  dans  cette  zone  aux 
différents  procédés  de  signalisation  :  signalisation  optique  au 
moyen  de  projecteurs  à  piles  transmettant  les  signaux  de  l'al- 
phabet Morse,  signalisation  acoustique,  signalisation  à  bras 
ou  par  panneaux  ;  on  employa  des  fusées  ;  on  utilisa  des 
pigeons-voyageurs,  les  chiens  estaffettes,  les  projectiles 
lance-messages  ;  on  employa  largement  les  avions  et  les  bal- 
lons comme  postes  de  correspondance  et  de  relais  entre  les 
éléments  avancés  dont  ils  pouvaient  voir  les  signaux  et  les 
P.  C.  situés  plus  en  arrière  ;  on  utilisa  surtout  les  coureurs, 
procédé  coûteux- 
Tous  ces  procédés  furent  codifiés  et  méthodiquement  orga- 
nisés. Chacun  d'eux,  dans  des  circonstances  diverses,  a  donné 
de  bons  résultats,  surtout  lorsqu'il  était  mis  en  œ^uvre  par  du 
personnel  exercé  ;  mais  aucun  d'eux  n'est  absolument  sûr.  Il 
a  donc  fallu  les  employer  tous,  en  organisant  chacun  d'eux 
comme  s'il  devait  se  suffire  à  lui-même. 

Un  procédé  de  transmission  qui  a  donné  de  bons  résultats, 
dans  la  zone  de  l'avant,  pour  relier  les  P.  C.  des  régiments 
aux  bataillons  et  aux  postes  d'observation  et  pour  relier  entre 
eux  certains  éléments  d'artillerie,  a  été  la  télégraphie  par  le 
sol,  la  T.  P.  S.,  que  l'on  commença  à  employer  en  1916,  en 
même  temps  que  l'on  organisait  l'éco'ute  méthodique  des 
communications  téléphoniques  de  l'ennemi  au  moyen  de 
postes  d'écoute  dont  les  appareils  sont  fondés  sur  le  même 
principe. 

La  T.  P.  S.  est  le  procédé  électrique  auquel  le  bombarde- 
ment cause  le  moins  de  gêne. 

Un  poste  émettC'Ur,  constitué  par  une  bobine  à  vibrateur 
ou  par  un  alternateur  et  un  manipulateur,  et  un  poste  récep- 


LE  SER V I  CE  DES  TR ANSM I SS I ONS  1 7 

leur  constitué  par  un  amplificateur  muni  d'un  téléphone,  sont 
intercalés  sur  une  base  en  câble  de  campagne,  bien  isolé,  dont 
les  deux  extrémités  sont  reliées  à  de  bonnes  prises  de  terre. 
Cette  base  doit  avoir  au  moins  50  mètres,  mais  il  convient, 
poui-  augmenter  la  portée,  de  lui  donner  de  200  à  300  mètres, 
chaque  fois  que  la  chose  est  possible.  Elle  peut  être  placée  sur 
le  sol,  dans  un  boyau,  ou  même  enterrée,  ce  qui  la  rend  très 
peu  vulnérable. 

Deux  postes  correspondants  doivent  autant  que  possible 
avoir  leurs  bases  parallèles,  les  appareils  étant  placés  sur  une 
même  perpendiculaire  à  ces  bases. 

Des  postes  de  T.  P.  S.  placés  trop  près  l'un  de  l'autre  se 
gênent  mutuellement  ;  on  est  conduit  à  les  différencier  par  le 
timbre  comme  les  postes  de  T.  S.  F.  à  ondes  amorties- 
Places  trop  près  de  lignes  téléphoniques  et  surtout  de 
lignes  téléphoniques  au  simple  fil,  ils  brouillent  les  communi- 
cations sur  ces  lignes  et  sont  brouillés  par  elles. 

Enfin  la  portée  dépend  essentiellement  de  la  nature  du  sol 
et  du  soin  apporté  aux  prises  de  terre. 

Le  rendement  d'un  réseau  de  T.  P.  S.  et  le  nombre  de  postes 
que  l'on  peut  établir  dans  une  même  région  dépendent  donc 
des  emplacements  choisis  pour  ces  postes  et  des  précautions 
prises  dans  leur  installation- 

Les  postes  d'écoute  téléphonique  sont  constitués  par  des 
prises  de  terre  placées  aussi  près  que  possible  des  lignes 
ennemies  et  reliées,  par  des  conducteurs  bien  isolés,  à  des 
amplificateurs  munis  d'écouteurs  téléphoniques,  placés  dans 
des  abris.  On  peut  remplacer  les  prises  de  terre  et  les  lignes 
d'écoute  par  un  grand  cadre  constitué  par  plusieurs  spires 
en  câble  bien  isolé  placé  sur  le  sol  ou  dans  un  boyau  et  dont 
les  extrémités  sont  reliées  à  l'amplificateur. 

Les  renseignements  fournis  par  les  postes  d'écoute  sont 
transmis  immédiatement  au  commandant  du  secteur  intéressé 
et  au  2'=  bureau  de  la  grande  unité.  Ces  renseignements  ont 
été  parfois  d'une  importance  capitale. 

Ces  postes  ont  permis,  d'autre  part,  d'exercer  une  surveil- 
lance sur  notre  propre  réseau  et  sur  nos  communications  télé- 
phoniques. On  a  été  conduit,  pour  éviter  toute  surprise  pos- 
sible de  nos  communications  par  l'ennemi,  à  prescrire  de  la 
façon  la  plus  absolue  l'emploi  des  lignes  téléphoniques  au 
simple  fil  avec  retour  par  la  terre,  à  faire  surveiller  l'état  de 


l8  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

nos  lignes  pour  éviter  les  contacts  accidentels  avec  la  terre 
de  conducteurs  mal  isolés,  et  à  prescrire  l'emploi  exclusif  dans 
les  postes  de  l'avant  de  conversations  chiffrées  suivant  un 
code  qui  variait  fréquemment. 

Les  renseignements  fournis  par  les  postes  d'écoute  télé- 
phonique viennent  s'ajouter  à  ceux  déjà  fournis  par  les  postes 
d'écoute  radiotélégraphiques  et  par  les  postes  radiogoniomé- 
triques  qui,  donnant  les  emplacements  des  postes  de  l'ennemi, 
permettent  de  reconstituer  son  ordre  de  bataille,  et  de  suivre 
les  mouvements  de  ses  grandes  unités- 

* 

L'étude,  la  réalisation,  la  mise  au  point  et  la  construction 
en  série  de  la  quantité  formidable  des  postes  de  T.  S.  F.,  de 
T.  P.  S.  et  de  postes  d'écoute,  qui  ont  été  nécessaires  pour 
équiper  ces  différents  réseaux,  représentent  un  travail  considé- 
rable, surtout  si  l'on  songe  que  c'est  nous  qui  avons  fourni  le 
matériel  de  T-  S.  F.  à  la  plupart  de  nos  alliés. 

C'est  l'œuvre  personnelle  du  général  Ferrie,  qui,  au  début 
de  la  guerre,  était  colonel  et  directeur  technique  de  la  radio- 
télégraphie militaire,  il  groupa  autour  de  lui  une  pléiade  de 
savants  et  d'officiers  dont  il  fut  l'animateur  et  l'inspira- 
teur et  qu'il  fit  travailler  en  complète  harmonie  avec  les  offi- 
ciers radiotélégraphistes  des  armées.  On  peut  dire  qu'il  créa 
toute  la  série  des  appareils  dont  furent  dotées  les  armées, 
appareils  si  remarquablement  étudiés  et  si  bien  adaptés  aux 
besoins  que  nos  Alliés  les  ont  immédiatement  adoptés  et  que 
nos  ennemis  ont  cherché  à  les  copier. 

En  outre,  c'est  aux  études  faites  par  les  services  techniques 
(de  la  radiotélégraphie  militaire  que  l'on  doit  l'admirable  essor 
actuel  de  la  radiotélégraphie  et  de  la  radiotéléphonie. 

L'établissement  de  la  Radiotélégraphie,  qui  n'était  d'abord 
qu'une  annexe  de  l'établissement  central  de  la  Télégraphie 
militaire,  devint  en  1916  un  établissement  autonome.  On  créa 
à  cette  époque  -une  direction  du  matériel  de  la  Télégraphie 
militaire,  à  laquelle  furent  rattachés  les  deux  établissements 
constructeurs  et  dont  dépendirent  également  les  centres  radio- 
télégraphiques  du  territoire,  autre  création  de  la  guerre. 

En  1914,  il  n'y  avait  en  France  que  le  poste  de  la  Tour 
Eiffel  et  les  postes  des  cinq  grandes  places  du  Nord-Est.  Ces 


LE  SERVICE  DES  TRANSMISSIONS  19 

postes,  surtout  celui  de  la  Tour  Eiffel,  en  dehors  des  heures 
de  communications  régulières,  faisaient  un  service  d'écoute 
et  enregistraient  les  diverses  émissions  qui  les  atteignaient. 

Pendant  la  période  qui  précéda  la  guerre-,  on  remarqua  vite 
l'intérêt  que  présentaient  certains  télégrammes  captés,  soit 
par  leur  texte  même,  quand  ils  étaient  déchiffrables,  soit  par 
les  moyens  qu'ils  donnaient  d'étudier  les  systèmes  cryptogra- 
phiques employés. 

On  organisa  donc  des  écoutes  méthodiques,  pour  lesquelles 
on  créa  des  postes  récepteurs  spéciaux  montés  soit  sur  an- 
tenne, soit  sur  cadres  orientés. 

D'autre  part,  le  poste  de  la  Tour,  tel  qu'il  existait  en  1914, 
et  à  plus  forte  raison  les  postes  des  places  fortes,  n'étaient 
pas  assez  puissants  pour  permettre  des  communications  sûres 
avec  certains  de  nos  alliés,  notamment  avec  la  Russie. 

Un  poste  très  puissant  qui  était  sur  le  point  d'être  expédié 
en  Indo-Chine  pour  être  monté,  à  Saïgon  fut  monté  de  toute 
urgence  à  la  Doua,  près  de  Lyon.  C'est  ce  poste  qui  assura 
plus  tard  le  service  France-Amérique,  le  poste  de  la  Tour 
Eiffel  restant  presque  exclusivement  affecté  aux  communi- 
cations européennes.  Ce  dernier  poste  reçut  d'ailleurs  des 
perfectionnements  importants  qui  eurent  pour  résultats  d'aug- 
tnenter  sa  puissance,  de  le  doter  des  appareils  de  réception 
et  d'émission  les  plus  perfectionnés,  et  de  créer  des  installa- 
tions de  secours  protégées  contre  les  obus  et  les  bombes 
d'avions. 

Le  poste  du  Champ  de  Mars  avec  son  annexe  du  Trocadéro 
et  les  postes  d'écoute  de  Chartres,  Palaiseau,  Saint-Cyr,  Or- 
léans, Neufchâtel-en-Braye  et  Poitiers  constituèrent  le  centre 
radiotélégraphique  de  Paris. 

Le  poste  de  la  Doua  avec  ses  annexes  constitua  le  centre 
radio  de  Lyon. 

Les  postes  d'écoute  du  Sud-Ouest  :  Bordeaux-Salinières 
avec  ses  annexes  de  Floirac,  de  Bayonne,  constituèrent  le 
centre  d'écoute  de  Bordeaux. 

Le  service  d'écoute  fut  complété  par  l'organisation  d'un 
réseau  spécial  de  postes  radiogoniométriques  permettant  de 
déterminer  les  emplacements  des  postes  émetteurs  ennemis, 
et  aussi  de  suivre  la  marche  des  zeppelins  et  des  grands 
•avions  munis  de  postes  de  T.  S.  F- 

A   ce   développement  considérable   des   réseaux   tant  télé- 


20  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

graphiques  et  téléphoniques  que  radiotélégraphiques,  dut 
correspondre  une  augmentation  notable  du  personnel  chargé 
de  les  mettre  en  œuvre. 

Au  début  de  la  guerre,  les  formations  télégraphiques  de 
campagne  comprenaient  : 

I.  —  AU  GRAND  QUARTIER  GÉNÉRAL  : 

a)  Un  détachement  télégraphique  du  Grand  Quartier  Géné- 
ral composé  de  personnel  militarisé  de  l'Administration  des 
Postes  et  des  Télégraphes,  placé  sous  l'autorité  du  directeur 
de  l'arrière  et  relevant  d'un  fonctionnaire  supérieur  militarisé 
de  cette  administration  affecté  à  l'état-major  du  directeur  de 
l'arrière. 

Ce  détachement  était  à  l'effectif  de  cinq  fonctionnaires 
militarisés  et  116  agents  et  sous-agents. 

b)  Des  postes  radiotélégraphiques  mobiles  desservis  par  un 
détachement  de  sapeurs  du  è""  Génie  à  raison  de  2  gradés  et 
7  sapeurs  par  poste.  Ce  service  était  placé  sous  l'autorité  du 
major-général  et  dirigé  par  un  officier  supérieur  du  génie. 

II.    PAR    ARMÉE  : 

a)  Un  service  de  deuxième  ligne  placé  sous  l'autorité  du 
directeur  des  Etapes  et  des  Services,  dirigé  par  un  fonction- 
naire supérieur  militarisé  des  Postes  et  Télégraphes,  chef  de 
service,  et  comprenant  comme  organe  d'exécution  une  section 
technique  d'étapes  com.posée  de  personnel  militarisé  de  l'ad- 
ministration des  Postes  et  dco  Télégraphes  à  l'effectif  de 
quatre  fonctionnaires,  82  agents  ou  sous-agents- 

b)  Un  service  de  première  ligne  fonctionnant  sous  l'auto- 
rité directe  du  chef  d'élat-major  de  l'armée  et  dirigé  par  un 
officier  supérieur  du  génie,  chef  de  service  faisant  partie  de 
l'état-m.ajor  de  l'armée.  Ce  service  comprenait  comme  organe 
d'exécution  : 

1°  Une  compagnie  de  sapeurs  télégraphistes  d'armée  à  4 
ou  6  sections  de  45  gradés  ou  sapeurs,  14  sapeurs  conduc- 
teurs et  6  voitures  techniques  plus  un  cadre  de  compagnie 
et  im  échelon  de  matériel  télégraphique  comprenant  13  voi- 
tures techniques  ; 

2°  Un  certain  nombre  de  postes  radiotélégraphiques  mobi- 
les desservis  par  un  détachement  de  sapeurs  radiotélé- 
graphistes à  l'effectif  de  2  gradés  et  7  sapeurs  par  poste  et 


LE  SERVICE  DES  TRANSMISSIONS  2  I 

commandé  par  un  officier  placé  sous  l'autorité  du  chef  du 
service  télégraphiste  de  l""^  ligne. 

III.  —  PAR  CORPS  d'armée  : 

a)  Un  détachement  de  sapeurs  télégraphistes  à  l'effectif  de 
48  ou  70  gradés  et  sapeurs  télégraphistes  suivant  que  le  corps 
d'armée  était  de  2  ou  3  divisions,  14  ou  18  sapeurs  conduc- 
teurs, 6  ou  8  voitures  techniques.  Ce  détachement  était  placé 
sous  l'autorité  directe  du  chef  d'état-major  du  corps  d'armée 
et  commandé  par  l'officier  chef  du  détachement.  Il  n'y  avait 
pas  de  service  radiotélégraphique. 

b)  Les  ateliers  régimentaires  de  télégraphie  légère  de  la 
brigade  de  cavalerie  à  l'effectif  de  1  gradé  et  4  cavaliers  par 
atelier  avec  une  voiture  légère  de  matériel.  Ce  service  relevait 
directement  du  général  commandant  la  brigade  de  cavalerie. 

IV.  —  PAR   DIVISION   DE    CAVALERIE  : 

Les  ateliers  régimentaires  de  télégraphie  légère,  et  un  déta- 
chement de  sapeurs  télégraphistes  à  l'effectif  de  6  gradés  et 
sapeurs- 

L'ensemble  était  placé  sous  l'autorité  du  chef  d'état-major 
de  la  division,  et  était  dirigé  par  un  capitaine  du  génie,  ad- 
joint à  l'état-major  de  la  division. 

V.  —   PAR    DIVISION   d'infanterie    ISOLÉE  : 

Un  détachement  de  sapeurs  télégraphistes  à  l'effectif  de 
25  gradés  et  sapeurs  télégraphistes,  7  sapeurs  conducteurs 
et  4  voitures  techniques,  placé  sous  l'autorité  du  chef  d'état- 
major  de  la  division  et  commandé  par  l'officier  chargé  du 
détachement. 

Lorsque  les  divisions  isolées  étaient  réunies  pour  former  un 
groupe  de  divisions  de  réserve,  ce  groupe  possédait  un  déta- 
chement de  sapeurs  télégraphistes  ayant  l'effectif  et  la  com- 
position d'une  section  de  compagnie  télégraphique  d'armée. 

Il  n'y  avait  pas  de  détachement  télégraphique  dans  les  divi- 
sions des  corps  d'armées. 

VI.  —  POUR    LE    SERVICE   DES    CHEMINS   DE    FER  : 

Un  détachement  télégraphique  de  la  direction  des  che- 
mins de  fer  composé  de  personnel  des  Postes  et  des  Télégra- 
phes à  l'effectif  de  deux  fonctionnaires  et  33  agents  et  sous- 
agents    dont    15    adjudants     manipulants    et    six     sections 


22  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

techniques  de  chemins  de  fer,  à  l'effectif  pour  chaque  section 
de  5  fonctionnaires  et  118  agents  et  sous-agents. 

Ce  service  relevait  directement  du  directeur  de  l'arrière. 

Le  ravitaillement  des  unités  de  première  ligne  en  matériel 
télégraphique  était  assuré,  dans  chaque  armée,  par  le  parc  du 
génie  de  l'armée- 

Le  ravitaillement  des  sections  techniques  de  2®  ligne  était 
assuré  par  prélèvements  sur  les  approvisionnements  des 
stations-magasins,  ou  exceptionnellement,  en  cas  d'urgence, 
par  les  parcs  du  génie  d'armée. 

Dès  le  début  de  la  guerre,  les  unités  télégraphiques  aussi 
bien  de  1'"''  ligne  que  de  2"  ligne  se  révélèrent  manifestement 
insuffisantes  tant  comme  nombre  que  comme  effectif. 

En  ce  qui  concerne  les  unités  de  2^  ligne  le  nombre  des 
sections  techniques  d'étapes  qui  était  de  sept  fut  porté  à  onze. 

L'effectif  des  six  sections  techniques  de  chemins  de  fer  fut 
augmenté  au  moyen  d'auxiliaires  (20  manipulants  et  40  oiu- 
vriers  R.  A.  T.). 

On  créa  des  unités  nouvelles  appelées  :  détachements 
d'ouvriers  (D.  O.)  à  l'effectif  de  4  fonctionnaires,  61  agents 
et  sous-agents  ouvriers  des  lignes  et  50  ouvriers  auxiliaires 
R.  A.  T. 

Les  D.  O.  qui  dépendaient  directement  du  G.  Q.  G.  (Direc- 
tion de  l'arrière)  furent  spécialement  chargés  de  la  construc- 
tion et  de  la  réparation  des  grandes  artères  télégraphiques  et 
téléphoniques.  On  en  créa  successivement  18. 

Enfin  on  créa  des  détachements  de  manipulants  dont  le 
personnel  servit  à  renforcer,  suivant  les  besoins,  le  personnel 
d'exploitation  des  grands  postes  centraux  de  la  zone  des 
armées  et  du  territoire. 

En  ce  qui  concerne  les  unités  de  première  ligne,  les  aug- 
mentations et  les  créations  furent  encore  bien  plus  nom- 
breuses. 

On  augmenta  d'abord  l'effectif  des  détachements  télégra- 
phiques de  C.  A.,  qui  furent  portés  de  48  gradés  et  sapeurs  à 
110  pour  former  les  compagnies  télégraphiques  de  corps 
d'armée. 

On  créa  les  détachements  radiotélégraphiques  de  corps 
d'armée  à  l'effectif  de  37  gradés  et  sapeurs,  les  détachements 
télégraphiques  et  radiotélégraphiques  de  division  à  l'effectif 


LE  SERVICE  DES  TRANSMISSIONS  23 

de  86  gradés  et  sapeurs  pour  le  détachement  télégraphique 
et  de  22  gradés  et  sapeurs  pour  le  détachement  radio. 

On  augmenta  et  on  créa  les  détachements  de  téléphonistes 
et  de  radiotélégraphistes  des  régiments  d'infanterie  qui 
formèrent  un  peloton  de  transmission  commandé  par  l'officier 
chargé  du  service  des  transmissions  du  régiment. 

On  créa  des  ateliers  téléphoniques  d'artillerie  à  raison  d'un 
atelier  par  batterie  et  de  2  ateliers  par  état-major  de  groupe 
et  de  groupement,  l'ensemble  étant  placé  sous  la  direction 
technique  d'un  officier  téléphoniste  par  régiment. 

On  créa  cinq  nouvelles  compagnies  d'armée  et  sept  com- 
pagnies dites  de  renforcement  qui  furent  attribuées  aux 
armées  en  opération  suivant  les  ordres  du  G.  Q.  G. 

Toutes  les  compagnies  télégraphiques  furent  à  6  ou  7  sec- 
tions de  50  hommes  (5  sections  de  construction  et  1  ou  2 
sections  d'exploitation). 

Les  détachements  radiotélégraphiques  d'armée  furent 
notablement  augmentés  par  l'adjonction  de  2  sections  radio- 
télégraphiques,  de  3  sections  radiolégères,  et  d'une  section 
radiogoniométrique. 

On  créa  une  section  d'écoute  et  un  parc  télégraphique  par 
armée. 

Toutes  ces  formations  furent  largement  pourvues  de  voi- 
tures automobiles  tant  pour  le  transport  du  matériel  que 
pour  les  reconnaissances  des  lignes  et  la  recherche  rapide 
des  dérangements. 

Pour  encadrer  les  unités  de  sapeurs  télégraphistes  ainsi 
créées,  les  centres  d'instruction  de  Liancourt  pour  la  télégra- 
phie et  du  Plessis-Belleville  pour  la  radiotélégraphie  formè- 
rent un  nombre  important  d'officiers  choisis  parmi  les  jeunes 
gens  qui  possédaient  des  connaissances  scientifiques  ou 
techniques  suffisamment  développées. 

Le  8^  régiment  du  génie,  qui  avait  mobilisé,  en  août  1914, 
près  de  150  officiers  et  4.000  hommes  de  troupe,  comptait  au 
moment  de  l'armistice  environ  1.500  officiers  et  40.000  hom.- 
mes  de  troupe  répartis  sur  l'ensemble  du  front  français  et  sur 
les  théâtres  d'opérations  extérieurs.  Il  avait  donc  l'effectif  de 
près  de  deux  corps  d'armée. 

Les  officiers  téléphonistes  et  radiotélégraphistes  d'infan- 
terie et  d'artillerie  furent  formés  dans  des  centres  d'instruc- 
tion de  liaison  q-ui  furent  organisés  dans  chaque  armée. 


24  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Quant  au  personnel  troupe,  il  fut  instruit  dans  les  centres 
d'instruction  divisionnaires  et  vint  se  perfectionner  dans  les 
cours  techniques  de  liaison  qui  furent  organisés  dans  chaque 
division  et  dans  chaque  corps  d'armée- 

Toutes  ces  créations  de  personnel  furent  codifiées  par  l'Ins- 
truction du  4  février  1918  sur  l'organisation  générale  de  la 
télégraphie  aux  armées,  et  par  les  tableaux  d'effectifs  de 
guerre  du  service  télégraphique  du  17  février  1918,  de  même 
que  l'organisation  et  l'emploi  des  différents  moyens  de  trans- 
mission ont  été  définis  par  l'instruction  du  28  décembre  1917 
sur  la  liaison  pour  les  troupes  de  toutes  armes. 

Ces  deux  instructions  se  complètent.  Les  principes  qu'elles 
posent,  les  organisations  qu'elles  prescrivent,  les  méthodes  et 
les  procédés  qu'elles  préconisent  ont  eu,  en  1918,  la  consécra- 
tion de  l'expérience,  aussi  bien  dans  la  période  tragique  qui 
suivit  l'attaque  allemande  du  21  mars  en  direction  d'Amiens, 
période  pendant  laquelle  toute  une  organisation  dut  être  créée 
en  pleine  bataille,  au  prix  de  difficultés  inouïes,  qu'au  cours 
de  nos  attaques  victorieuses  du  18  juillet  au  1 1  novembre  et  de 
la  retraite  allemande  sur  un  terrain  oia  tous  les  réseaux  étaient 
systématiquement  détruits.  Les  prescriptions  essentielles  de 
ces  deux  instructions,  celles  qui  ont  permis  de  résoudre  toutes 
les  difficultés  et  d'assurer  en  toutes  circonstances  le  fonction- 
nement des  liaisons,  sont  celles  qui  rattachent  le  service  des 
transmissions  au  bureau  des  opérations  dans  l'état-major  de 
chaque  grande  unité,  et  celles  qui  organisent  la  coopération 
de  toutes  les  troupes  de  transmission  employées  sur  un  même 
front  et  la  coordination  de  leurs  travaux  suivant  un  plan  d'en- 
semble et  des  directives  communes. 

Dans  chaque  grande  unité,  à  partir  de  la  division  incluse,^ 
il  existe  un  organe  de  commandement  et  de  direction  qui  est 
le  commandant  des  transmissions  de  la  grande  unité,  et  des 
organes  d'exécution  qui  sont  les  troupes  de  transmissions 
affectées  à  la  grande  unité. 

Le  commandant  des  transmissions  fait  partie,  ainsi  que  ses 
officiers  adjoints,  de  l'état-major  de  la  grande  unité  (3^  bu- 
reau). Mais  il  est  placé  sous  les  ordres  directs  du  chef 
d'état-major,  dont  il  est  le  conseiller  technique.  Son  rôle  est 
de  régler  et  de  coordonner,  d'après  les  instructions  du  chef 
d'état-major,  l'emploi  des  différents  moyens  de  transmission, 
de  préparer  le  plan  de  transmission  de  la  grande  unité  et  d'en 


LE  SERVICE  DES  TRANSMISSIONS  25 

assurer  la  réalisation.  Pour  remplir  efficacement  son  rôle,  il 
doit  être  tenu  au  courant  de  tous  les  projets  ou  intentions  du 
commandement  et  de  tout  ce  qui  peut  intéresser  directement 
ou  indirectement  le  service  des  transmissions,  opérations  pro- 
jetées ou  en  cours,  arrivées  ou  relèves  d'unités,  déplacements 
de  groupement  d'artillerie,  d'escadrilles,  de  ballons,  installa- 
tions de  voies  ferrées,  de  dépôts  de  munitions,  etc.. 

Il  arrête  la  répartition  et  l'emploi  des  troupes  de  transmis- 
sion affectées  organiquement  ou  temporairement  à  la  grande 
unité,  et  a  autorité  au  point  de  vue  technique  sur  les  comman- 
dants des  transmissions  des  unités  subordonnées,  de  même 
qu'il  reçoit  les  instructions  techniques  du  commandant  des 
transmissions  de  l'échelon  supérieur. 

Cette  subordination  technique,  qui  s'étend  depuis  le  com- 
mandant des  transmissions  aux  armées  jusqu'aux  officiers 
chargés  des  transmissions  dans  les  corps  de  troupe,  ne  doit 
jamais  être  un  obstacle  à  l'exécution  des  ordres  du  comman- 
dement, qu'elle  doit  au  contraire  faciliter  en  assurant,  avec  le 
minimum  des  travaux  et  dans  le  minimum  de  temps,  l'établis- 
sement des  communications  nécessaires.  Mais  seule  elle  per- 
met de  donner  aux  différents  réseaux  l'homogénéité  indispen- 
sable par  la  continuité  des  vues  dans  la  conception  et  l'exécu- 
tion, par  la  coordination  des  efforts  aux  différents  échelons  ; 
seule  elle  permet  d'éviter  les  travaux  inutiles,  les  pertes 
de  temps  et  le  gaspillage  du  personnel  et  du  matériel. 

Cette  subordination  technique  est  la  condition  même  du 
fonctionnement  des  communications  radiotélégraphiques-  Il 
n'est  pas  possible,  en  effet,  de  laisser  chaque  unité  choisir 
arbitrairement  ses  indicatifs  et  ses  longueurs  d'onde.  Les 
caractéristiques  techniques  d'emploi  des  postes  radiotélégra- 
phiques doivent  être  arrêtées,  dans  chaque  armée,  par  le  com- 
mandant des  transmissions  d'après  les  directives  du  G.  Q.  G., 
et  notifiées  par  lui  aux  éléments  subordonnés  avec  toutes  ins- 
tructions nécessaires  à  la  répartition  et  à  l'emploi  judicieux 
du  personnel  radiotélégraphique. 

Il  en  est  de  même  pour  les  communications  par  fil.  Il  n'est 
pas  possible  que  des  unités  différentes  viennent,  sans  liaison 
entre  elles,  travailler  dans  la  même  zone,  ni  surtout  sur  les 
mêmes  nappes  ou  sur  les  mêmes  appuis. 

On  peut  dire  qu'en  matière  de  tranmissions,  l'unité  de  di- 
rection technique  est  d'une  nécessité  absolue.  Cette  unité  de 


26  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

direction,  qui  n'existait  pas  en  1914,  a  été  réalisée  pendant  la 
guerre  surtout  dans  le  cadre  de  chaque  armée.  Elle  a  donné 
les  résultats  qu'on  pouvait  en  attendre  grâce  à  l'unité  de 
méthode  et  à  l'unité  de  doctrine  qui  existait  chez  tous  les  exé- 
cutants, aussi  bien  ceux  des  armées  que  ceux  des  services 
techniques  de  l'intérieur,  entre  lesquels  la  coopération  a  été 
constante  et  féconde.  Elle  a  développé  et  exalté  pendant  la 
guerre,  au  8^  régiment  du  génie,  l'esprit  d'initiative,  le  sens 
des  réalités  et  le  courage  des  responsabilités,  grâce  auxquels 
le  service  des  transmissions  dans  son  ensemble  a  toujours 
bien  fonctionné,-  même  dan»  les  circonstances  les  plus  diffi- 
ciles. 

Colonel  Cloix, 
Ancien  commandant  des  transmissions 
de  la  1"  armée. 

NOTA.  —  Le  tableau  ci-joiit  tait  ressortir  le  développement  pris  par  le 
service  des  transmissions  pendant  la  guerre. 

î.    Personnel 

EFFSCTIF  DD   8^   RÉGIMENT  DO    GÉNIE  EFFECTIF   DD    8*   RÉGIMENT    DU    GÉMg 

MODII.ISÉ    EN    AOUT  1914  EN   NOVEMBRE    1918 

150  officiers  1.500  officiers 

4.000  hommes  40,000  hommes 

II.   Matériel 

ACHETÉ  DE  1914  A. 
EXISTANT  EN  1914  LA  FIN  DE  1918 

Kilomètres  de  câble  :  Environ   2.000  2.000.000 

Téléphones  :  Quelques  centaines  210.000 

Tableaux  annonciateurs Néant  157.000 

Piles  téléphoniques Quelques  centaines  i .  700 ,  000 

Signaleurs Néant  70  000 

Poste  de  T.  S. F Néant  28.000 

Accumulateurs Néant  300.000 

Le  total  général  des  sommes  dépensées  par  les  établissements  du 
matériel  de  la  télégraphie  et  de  la  radiotélégraphie  militaire  entre  le 
2  août  1914  et  l'armistice  s'élève  à  environ  1  milliard  100  millions  de 
francs  dont  450  millions  d'achats  à  l'étranger. 


Un  peintre  soldat  de  la  Grsnde-Gwcrre  : 

JEAN    LEFORT 


La  plupart  des  artistes  qui  ont  participé  à  la  guerre,  tant 
comme  combattants  que  comme  spectateurs,  ont  retracé  en 
maints  croquis  les  visions  qui  les  ont  spécialement  intéressés. 
il  n'en  est  aucun  qui  n'ait  crayonné  quelque  type  ou  quelque 
paysage  d'un  intérêt  documentaire  incontestable  :  les  cartons 
du  Musée  de  la  Guerre  sont  éloquents  à  cet  égard.  Les  riches- 
ses historiques  qu'ils  renferment  prendront  toute  leur  signifi- 
cation, lorsque  l'on  pourra  revoir  et  parcourir,  avec  le  recul 
nécessaire,  la  courbe  tragique  des  événements  que  nous 
venons  de  vivre. 

Pourtant  il  serait  faux  de  dire  que  les  spectacles  de  la 
guerre  furent  passionnément  suivis  par  les  artistes.  Ceux  qui 
s'en  sont  inspirés  ne  l'ont  fait,  en  général,  que  d'-une  façon 
fragmentaire-  C'est  le  cas  de  Georges-Victor  Hugo,  de  Mau- 
rice Taquoy,  d'André  Fraye.  Les  dessins  de  Dunoyer  de 
Segonzac  n'apparaissent  que  de  loin  en  loin.  Luc-Albert  Mo- 
reau  s'intéresse  beaucoup  plus  aux  types  qu'aux  faits  eux- 
mêmes  :  il  généralise,  et  il  est  «  humain  »,  dans  le  grand  sens 
du  mot,  avant  d'être  narrateur.  Jules  Flandrin,  mobilisé,  trouve 
autant  d'attraits  à  crayonner  un  bouquet  dans  la  lumière,  le 
sourire  d'une  fillette,  un  jardin,  un  beau  cheval,  que  les  types 
guerriers  ou  les  mouvements  de  troupe.  Dufresne  ne  fait  que 
de  rares  aquarelles.  On  croirait  que  les  sentiments  artistiques, 
meurtris  par  la  vie  du  front,  ne  trouvent  que  rarement  en  elle 
sujet  à  s'extérioriser  par  le  dessin  ou  la  couleur. 

Rares,  très  rares,  sont  les  artistes  à  qui  les  événements  quo- 
tidiens ont  servi  de  thème,  et  qui  se  sont  résignés  à  ce  thème, 
depuis  la  mobilisation  jusqu'à  l'armistice.  Ceux-là,  ce  sont  en 
quelque  sorte  les  journalistes  de  la  guerre,  les  narrateurs  véri- 


28  ■  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

diques  de  la  vie  quotidienne  des  combattants,  les  auteurs  de 
«  mémoires  »  auxquels  devront  avoir  recours  les  historiens 
futurs.  Le  plus  complet  dans  ce  genre  est  peut-être  Jean  Le- 
fort.  Ses  œuvres  appellent  une  étude  spéciale.  Elles  sont  riches 
d'indications  pour  l'intelligence  du  drame  qui  a  marqué  le  pre- 
mier quart  du  vingtième  siècle. 


Jean  Lefort,  ancien  élève  de  l'école  des  Beaux-Arts  de  Bor- 
deaux et  de  celle  de  Paris  oià  il  était  venu  avec  Une  bourse 
départementale,  n'a  pas  fait  moins  de  six  à  sept  cents  aqua- 
relles depuis  sa  mobilisation  jusqu'à  son  retour  au  foyer.  Ce 
sont  des  œuvres  de  petit  format,  tracées  à  la  plume  ou 
crayonnées,  et  ensuite  aquarellées  et  gouachées,  qui  tirent  leur 
éloquence  de  leur  vérité  même.  Sans  lyrisme,  sans  tenter  de 
généraliser,  Jean  Lefort,  simplement,  a  noté  ce  qu'il  a  vu, 
comme  il  l'a  vu,  dans  les  lieux  où  il  l'a  vu,  au  jour  le  jour,  et 
c'est  par  son  absolue  sincérité  que  cet  œuvre  de  guerre  prend 
toute  sa  signification.  Il  constitue,  dans  son  ensemble,  le  plus 
complet  carnet  de  route  d'un  mobilisé  que  l'on  puisse  conce- 
voir. Il  retrace  dans  ses  moindres  détails  la  vie  d'un  soldat 
de  la  grande  tragédie. 

Cet  œuvre  est  naturellement  dispersé.  Une  collection  pri- 
vée, celle  de  M.  Lemetais,  possède  environ  deux  cents  aqua- 
relles ;  le  Musée  de  la  Guerre  en  conserve  112,  et  près  de  deux 
cents  croquis  réunis  en  des  carnets  ;  quelques  pages  sont 
éparpillées  à  droite  et  à  gauche  ;  l'artiste  en  garde  encore  un 
certain  nombre  ;  mais,  la  collection  publique  aidant,  il  est 
facile,  avec  très  peu  d'imagination,  de  reconstituer  cet  ensem- 
ble en  ses  grandes  lignes-  Quatre  expositions  successives  de 
Jean  Lefort  eurent  lieu,  en  novembre  1916,  en  novembre  1917, 
en  novembre  1918  et  en  novembre  1919.  Elles  sont  rappelées 
par  dès  catalogues,  qui,  simples  feuilles  volantes,  donnent  les 
titres  et  les  dates  des  tableaux,  et  apportent  ainsi  des  rensei- 
gnements qui  sont  autant  de  jalons.  C'est  à  l'aide  de  ces  cata- 
logues, complétés  par  les  renseignements  oraux  que  M.  Jean 
Lefort  a  bien  voulu  fournir  et  par  les  collections  du  Musée  de 
la  Guerre,  que  j'ai  tenté  de  retracer  la  vie  d'un  artiste  com- 
battant, des  débuts  de  1915  à  la  fin  de  1918. 


JEAN    LEFORT  29 


* 


Le  second  jour  de  la  mobilisation,  Jean  Lefort,  soldat  de  la 
classe  1895,  prenait  le  train  pour  rejoindre  le  dépôt  du  138'' 
régiment  territorial  d'infanterie,  à  La  Rochelle,  où  il  parvint 
après  cinquante-deux  heures  de  chemin  de  fer.  On  ne  voulut 
pas  l'y  recevoir  :  il  n'était,  paraît-il,  mobili-sable  que  le  trei- 
zième jour;  Philosophiquement,  il  reprit  la  route  de  Paris  pour 
en  repartir  à  la  date  indiquée.  Lorsqu'il  revint,  son  régiment 
n'était  plus  là.  On  le  versa  au  dépôt,  et  on  l'envoya  d'abord 
garder  les  forçats,  à  l'Ile  de  Ré-  De  retour  à  La  Rochelle,  il 
vit,  à  La  Palisse,  les  paquebots  ramenant  les  réfugiés  belges. 
Plusieurs  fois,  il  fut  commandé  pour  aider  le  transbordement 
de  ces  derniers  du  bateau  au  chemin  de  fer.  Les  évacués  arri- 
vaient misérables,  à  demi  affamés,  transportant  avec  eijx  des 
bribes  de  leur  avoir,  saisies  au  hasard,  dans  l'affolement  du 
départ,  et  composées  d'objets  les  plus  hétéroclites.  De  là  date 
un  des  so^uvenirs  les  plus  pénibles  pour  Jean  Lefort  :  pendant 
qu'il  aidait  à  un  de  ces  transbordements,  un  bambin  émacié, 
terrassé  par  la  fatigue,  les  privations  et  l'effroi,  mourait  dans 
ses  bras  compatissants. 

Ce  fut  vers  la  fin  de  novembre  que  Jean  Lefort,  écussonné  au 
chiffre  du  237'^  d'infanterie  et  compris  dans  un  renfort  de  cinq 
cents  hommes,  quitta  La  Rochelle.  Durant  son  séjour  en 
Aunis,  il  n'avait  pas  eu  l'esprit  tourné  vers  le  travail.  A  peine 
avait-il,  de-ci  de-là,  griffonné  quelques  notes.  Pourtant  il 
emportait  dans  sa  musette  un  bloc  et  des  couleurs,  qui  ne 
devaient  plus  le  quitter,  et  qui  étaient  bien,  de  son  mince  ba- 
gage", ce  qu'il  considérait  com.me  le  plus  précieux. 

Où  allait-il  ?  Il  l'ignorait,  comme  ses  camarades-  Ou,  plus 
exactement,  il  croyait,  comme  ceux-ci,  sur  la  foi  des  rensei- 
gnements que  les  officiers  leur  avaient  fournis,  qu'ils  allaient 
à  Decize,  «  garder  les  mines  ». 

Après  un  bref  arrêt  à  Decize,  le  renfort  était  dirigé  sur  l'Ar- 
tois, et,  deux  ou  trois  jours  après  son  arrivée,  au  début  de 
décembre  1914,  il  occupait  les  tranchées  devant  Ablain-Saint- 
Nazaire.  Cette  petite  localité,  immortalisée  par  la  guerre,  était 
alors  entre  les  mains  des  Allemands,  sauf  la  dernière  maison 
que  les  soldats  appelaient  la  maison  Râteau,  du  nom  d'un 
officier  qui  l'avait  bravement  défendue.  Le  régiment  tenait  la 


3o 


HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 


crête,  d'Ablain  à  Bouvignies,  sous  les  ordres  du  lieutenant- 
colonel  Schulher. 

C'est  dans  cette  région  que  Jean  Lefort  fit  sa  première 
aquarelle.  Il  s'y  décida  tout  d'abord  par  le  besoin  de  lutter 
contre  «  le  cafard  »,  de  remplir  le  vide  de  cette  vie  de  soldat, 
qui,  en  dehors  des  heures  d'action,  est  d'une  passivité  mono- 
tone, terriblement  lourde  pour  certains  esprits.  Ces  premiers 
dessins-  furent  faits  sans  aucune  idée  d'en  tirer  parti,  sans 
penser  un  moment  qu'ils  pourraient  avoir  lUn  intérêt  quelcon- 
que, dictés  par  le  seul  désir,  que  connaissent  bien  tous  les 
artistes,  de  s'extérioriser  dans  le  travail,  de  crayonner  des 
formes,  d'harmoniser  des  lignes  et  des  couleurs.  Ce  n'est  que 
plus  tard,  la  guerre  se  prolongeant  au-delà  de  toutes  prévi- 
sions, que  M"'^  Jean  Lefort  qui,  après  le  départ  de  son  mari, 
s'était  fait  admettre  comme  infirmière  à  l'hôpital  militaire  de 
Château-Chinon,  où  elle  resta  plus  de  dix-huit  mois,  eut  l'idée 
d'organiser  une  première  exposition,  dont  le  succès  engendra 
les  suivantes  et  permit  au  peintre  de  subvenir  aux  besoins  de 
son  foyer. 


â^^^^^^^^^ 


La  première  aquarelle  faite  au  front  par  Jean  Lefort  est  une 
vue  de  La  Tranchée  des  Arabes,  exécutée  vers  la  fin  de 
décembre  1914-    Elle  ne  figura  pas  à  son  exposition,    où  la 


JEAN    LEFORT  3I 

pièce  la  plus  ancienne  -en  date,  du  26  février  1915,  représen- 
tait la  Manœuvre  d*un  ballon  observateur. 

A  ce  moment,  une  relative  amélioration  survenait  dans  la 
vie  du  soldat  Jean  Lefort.  Le  cadavre  d'un  officier  d'artillerie 
se  trouvant  entre  les  lignes,  Lefort,  un  matin,  s'en  approcha 
en  rampant,  le  tira  par  les  jambes,  et  réussit  à  le  ramener 
jusqu'aux  positions  françaises.  Le  peintre  ne  se  glorifie  pas 
de  cet  acte  :  chacun,  déclare-t-il,  était  capable  d'en  faire  au- 
tant. D'ailleurs,  ajoute-t-il,  que  risquait-on  à  cette  époque  ?  A 
peine  quelques  coups  de  fusil,  car  il  n'y  avait  alors  presque 
pas  de  mitrailleuses  ! 

Il  n'y  a  qu'à  s'incliner  devant  ces  déclarations  et  à  suivre 
le  cadavre  de  l'officier  jusqu'au  poste  de  La  Forestière,  où  on 
le  transporta,  suivi  de  Jean  Lefort. 

La  Forestière  était  un  poste  de  secours  et  de  commande- 
ment, où  se  tenaient  le  colonel,  le  médecin-major  et  l'aumônier. 
Ce  dernier,  l'abbé  Lane,  «  un  homme  de  dévouement  formi- 
dable »,  le  seul  homme  pour  qui  Jean  Lefort  déclare  avoir  eu 
pendant  la  guerre  une  véritable  admiration,  nous  est  connu 
par  un  croquis,  exécuté  à  La  Forestière,  Bois  de  Bouvigny,  dé- 
cembre 1914.  Devant  un  mort  enro^ulé  dans  une  toile  de  tente  et 
posé  sur  un  brancard,  on  le  voit,  incliné  et  priant.  Cet  homme 
grand,  d'aspect  rude,  portant  alors  toute  la  barbe,  ne  redescen- 
dait jamais  des  lignes  avec  le  détachement  qu'il  y  avait  accom- 
pagné. Resté  en  arrière,  il  se  consacrait  à  ensevelir  les  morts,  à 
recueillir  les  menus  objets  qu'ils  portaient  sur  eux  pour  les 
transmettre  à  leurs  familles.  Il  faisait  cela  avec  un  héroïsme 
calme,  sans  ostentation,  et  revenait  deux  ou  trois  jours  après, 
les  joues  creuses,  les  traits  tirés,  mais  ayant  accompli  ce  qu'il 
disait  être  son  devoir. 

Nous  voici  donc  à  la  Forestière.  Jean  Lefort  est  félicité,  pro- 
posé pour  la  Croix  de  Saint-Georges  (1).  La  fouille  du  cada- 
vre fait  trouver,  dans  une  des  poches,  un  croquis  portant  des 
indications  que  l'officier  était  allé  vérifier,  l'armée  ne  dispo- 
sant pas  alors  de  l'avion  et  autres  moyens  de  recherches,  qui 
devaient  être  usités  plus  tard.  Pendant  que  le  colonel  exami- 
nait ce  papier,  Jean  Lefort  remarqua  qu'on  en  pouvait  faire 
le  relevé,  déclara  sa  qualité  de  peintre  et  de  dessinateur  ;  en 

(1)  Le  gouvernement  russe  venait  de  mettre  des  Croix  à  la  disposition 
des  régiments  français. 


32 


HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 


suite  de  quoi,  il  lui  fut  donné  l'ordre  de  rester  à  La  Forestière. 
Son  travail  désormais  consista  à  parcourir  les  lignes,  pour 
aller,  aux  points  qui  lui  étaient  indiqués,  faire  des  relevés  et 
des  croquis.  Ces  occupations  servaient  ses  désirs  personnels  ; 
elles  lui  permettaient  de  prendre  des  notes,  pour  les  compléter 
ensuite  au  hasard  des  repos  favorables,  et  c'est  à  ces  circons- 
tances, et  à  d'autres  de  même  ordre,  que  nous  devons  un  en- 
semble d'aquarelles,  qui  se  continue  jusqu'aux  jours  de  joie 
où  Strasbourg  réarbore  enfin  la  cocarde  française. 


Au  poste  de  secours  de  La  Forestière,  à  celui,  tout  proche, 
de  la  Ferme  Margot,  à  l'infirmerie  de  Verdrel,  Jean  Lefort 
voit  défiler  une  série  de  modèles  :  il  dessine  alors  des  types 
de  soldats  blessés  par  des  balles,  contusionnés  par  des  éclats 
d'obus  ;  pauvres  épaves  glorieuses,  hommes  meurtris,  san- 
glants, enrobés  de  boue,  •  masqués  de  pansements,  plus  ou 
moins  loqueteux,  qui  viennent  ou  qu'on  apporte  du  combat, 
tous  les  jours,  à  toute  heure,  pour  recevoir  un  soulagement  à 
leurs  souffrances,  un  adoucissement  à  leurs  plaies,  et  qui  sont 
évacués  à  l'arrière  lorsqu'ils  sont  trop  gravem.ent  atteints. 

Un  poste  de  secours,  commun  aux  237^  et  360''  d'infanterie, 
qui  forment  alors  brigade,  se  trouve  à  Villers-au-Bois  ;  l'infir- 
merie de  cantonnement  du  237^  est  à  Hersin-Coupigny.  Jean 
Lefort  reproduit  l'aspect  de  l'infirmerie  ;  il  montre  les  diverses 


JEAN    LEFORT  33 

scènes  de  la  vie  journalière,  la  corvée  d'eau,  la  lessive,  la  dis- 
tribuiion  des  boules  de  pain,  celle  du  «  pinard  ».  Car,  la 
guerre,  ce  n'est  pas  de  l'héroïsme  à  jet  continu  ;  les  soldats 
ont  aussi  à  se  soucier  de  leurs  besoins  matériels  :  manger, 
boire,  se  tenir  propre-  Tour  à  tour,  ils  se  muent  en  portefaix, 
cuisiniers,  blanchisseurs,  humbles  hommes  à  tout  faire,  qui 
d'une  besogne  passent  à  une  autre  et  pour  qui,  bien  souvent, 
se  faire  tuer  est  aussi  une  besogne,  inconsciemment  héroïque, 
A  Villers-au-Bois,  Jean  Lefort  montre  dans  une  aquarelle 
(une  de  ses  premières,  puisqu'elle  est  datée  du  28  janvier), 
intitulée  Cimetière  près  de  la  route  des  Pylônes,  un  prêtre  en 
surplis  suivi  de  soldats,  qui  s'éloignent  d'une  fosse  béante, 
une  sorte  de  grande  tranchée  ouverte,  où  des  cadavres  repo- 
sent côte  à  côte,  dans  la  suprême  fraternité  du  malheur 
obscur  et  glorieux. 

A  côté  du  travail  et  de  la  mort,  les  distractions.  Une  aqua- 
relle, où  l'on  voit  un  soldat  barbu  chanter  sur  la  scène  d'un 
petit  théâtre  de  fortune,  devant  des  musiciens  et  des  camarades 
assis,  représente  un  Concert  organisé  à  Hersin  par  les  bran- 
cardiers du  237^  infanterie,  le  17  avril  1915.  Les  infirmiers  de 
Gauchin4e-Gal  donnent  leur  premier  concert  le  11  juillet,  et 
Jean  Lefort  est  présent,  son  carnet  à  la  main.  Le  régiment 
organise  à  Houvelin,  le  15  juillet,  une  Matinée  récréative  à 
laquelle  il  assiste  également  et  qu'il  se  hâte  de  dessiner. 

Entre  temps  était  survenue  l'offensive  du  printemps  en 
Artois.  L'attaque  du  9  mai  devait,  pensaient  les  soldats,  nous 
conduire  à  Douai.  C'est  la  seule  fois  que  Jean  Lefort  vit  les 
troupes  partir  Vers  la  bataille  en  chantant-  Un  même  enthou- 
siasme soulevait  chacun  des  hommes  ;  on  croyait  au  succès, 
et  on  entrevoyait  le  retour  au  foyer.  Les  objectifs  qui  devaient 
être  occupés  l'après-midi  étaient  atteints  dès  dix  heures.  Les 
pertes  étaient  causées  par  la  seule  artillerie  ennemie,  donc 
elles  étaient  minimes.  Mais  les  renforts,  qui  devaient  soutenir 
la  première  vague,  arrivèrent  vingt-quatre  heures  trop  tard. 
Le  237^  dut  revenir  sur  ses  pas  et  réoccuper  ses  anciennes 
positions.  C'était  le  commencement  de  la  bataille  d'Arras,  que 
le  communiqué  du  10  mai  indiquait  en  ces  termes  :  «  Nous 
avons  réalisé  de  sérieux  progrès  au  nord  d'Arras,  dans  la 
région  de  Lcos  et  au  sud  de  Carency...  »  Acharnée,  la  bataille 
devait  se  poursuivre  treize  jours  durant,  et  non  sans  pertes. 
Chaque  fois  que  le  régiment  montait  en  lignes,  et  avant  toute 


34 


HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 


attaque,  une  demande  de  250  hommes  de  renfort  était  adres- 
sée au  dépôt 

Cependant  Jean  Lefort  continue  sa  tâche  de  narrateur.  Il 
'dessine,  entre  autres,  un  Service  religieux  au  Cimetière  de 
Gouy-ServinSy  le  Cantonnement  de  Fresnicourt  ;  le  25  mai,  il 
fait  une  aquarelle  d'un  groupe  d'Allemands  trouvés  dans  les 
'décombres  d'une  partie  de  l'église  d'Ablain-Saint-Nazaire, 
puis  l'Intérieur  de  la  voiture  servant  au  transport  des  blessés 
entre  Ablain-Saint-Nazaire  et  Gouy-Servins,  vieille  et  archaï- 
que tapissière  transformée  en  une  voiture  d'ambulance  som- 
maire, sur  le  plancher  de  laquelle  on  étendait  les  blessés. 

Le  6  juillet,  le  G.  Q.  G.  adressait  aux  régiments  de  îa  ré- 
gion d'Arras  des  instructions  pour  la  destruction  des  poux  de 
là  tête  et  du  corps.  Tous  les  soldats  n'avaient  pas  attendu 
cette  circulaire  pour  lutter,  avec  plus  ou  moins  de  bonheur, 
contre  ces  parasites  ;  mais,  à  partir  de  ce  jour-là,  ce  fut  une 
offensive  générale  et  acharnée.  Jean  Lefort  en  a  conservé  le 
souvenir  dans  l'aquarelle  où  il  fait  voir  un  soldat  debout,  le 
torse  nu,  attentif  à  fouiller  les  replis  de  sa  chemise- 


Jean  Lefort,  parti  simple  soldat,  devait  rester  simple  soldat 
jusqu'à  la  fin.  A  une  question  de  son  colonel  lui  demandant 
d'accepter  des  galons  et  d'arriver  au  grade  d'officier,  Lefort 
répondit  qu'il  avait  travaillé  vingt  ans  pour  apprendre  un  mé- 


JEAM    LEFORT  35 

tier  qu'il  ne  connaissait  pas  encore  entièrement,  qu'il  n'avait 
aucune  éducation  militaire  et  manquait  de  compétence  pour 
prendre  la  responsabilité  de  conduire  des  hommes  au  combat. 
Le  colonel,  qui  avait  des  lettres,  aurait  pu  lui  répondre  en 
citant  Paul-Louis  Courier  et  en  reprenant  les  arguments  de  la 
conversation  chez  la  comtesse  d'Albany  sur  le  métier  militaire. 
Il  comprit  les  raisons  de  son  subordonné,  sourit  et  n'insista 
pas. 

Le  23  avril  1915,  au  nord  d'Ypres,  les  Allemands  em- 
ployaient pour  la  première  fois  les  gaz  asphyxiants.  Le  15  sep- 
tembre suivant,  Jean  Lefort  faisait,  à  Gouy-Servins,  un  cro- 
quis du  Premier  essai  de  la  cagoule  contre  les  gaz,  et,  trois 
mois  après,  il  dessinait  de  même  La  cagoule  anglaise  et  le 
masque  Tambuté,  Les  procédés  de  défense  se  multipliaient 
et  se  perfectionnaient,  comme  les  procédés  d'attaque. 

Son  régiment  étant  maintenu  dans  la  même  région,  les 
notes  sur  Ablain-Saint-Nazaire  et  les  environs  se  multi- 
plient. C'est,  entre  autres,  un  Passage  de  goumiers  à  Gauchin- 
le-Gal  (24  septembre),  La  dernière  maison  d'Ablain,  face  à  la 
Boucherie  (5  octobre),  La  soupe  à  Ablain-Saint-Nazaire,  Le 
dépôt  d*autobus  transport  des  troupes  (1 1  octobre),  le  Départ 
du  237^  de  Tincques  aux  tranchées  (26  octobre).  Les  cuistots 
ravitaillant  les  premières  lignes,  dans  le  chemin  des  carrières, 
entre  Souchez  et  Neuvilie-Saint-Waast  (8  décembre).  Le 
retour  des  tranchées  sur  la  route  de  Berthonval  à  Saint-Eloi 
(l^""  décembre).  Un  des  derniers  tableautins,  exécutés  en  cette 
année  1915,  est  daté  du  29  décembre  ;  il  représente  des  Tom- 
bes de  soldats  français  et  allemands  sur  le  front  d'Artois. 

D'après  une  note  prise  dans  la  nuit  du  23  au  24  novembre, 
l'artiste  exécuta  l'aquarelle  :  Un  abri  dans  le  boyau.  C'est  l'in- 
térieur d'un  des  trous  du  poste  de  secours  situé  sur  la  route 
de  Béthune  à  Arras  que,  dans  Le  Feu,  décrit  Henri  Barbusse. 
Lefort  ne  le  montre  pas  à  l'heure  où  affluent  les  blessés,  où  un 
médecin  «  pratique,  en  plein  air,  à  l'entrée,  des  pansements 
sommaires,  et  on  dit  qu'il  ne  s'est  pas  arrêté,  non  plus  que  ses 
aides,  de  toute  la  nuit  et  de  toute  la  journée,  et  qu'il  fait  une 
besogne  surhumaine  ».  Non,  plus  simplement,  trois  soldats 
harassés  dorment  étendus  près  d'un  brasero,  à  une  heure  de 
relative  accalmie. 

Cependant  le  temps  passe.  Vers  la  fin  de  février  1916,  le 
régiment  de  Lefort  est  relevé  par  les  troupes  anglaises.  En 


,6  HISTOIRE   DE    LA   GUERRE 

lignes  depuis  la  première  heure,  on  lui  promet  quarante  jours 
de  repos.  Il  part  alors  dans  les  divers  cantonnements.Au  début 
de  mars,  il  est  entre  l'Oise  et  l'Aisne,  dans  la  région  de  Roc- 
quencourt  et  de  Mesnil-Saint-Firmin  ;  le  8  mars,  il  embarque 
à  la  gare  de  cette  dernière  localité  et  vient  dans  la  Marne,  à 
Sivry-sur-Ante. 

Mais,  depuis  le  21  février,  Verdun  est  attaqué.  Les  régi- 
ments cantonnés  à  l'arrière  ne  restent  pas  longtemps  au  repos. 
Vers  le  20  mars,  Jean  Lefort  et  ses  camarades  sont  au  ravin 
de  la  Caillette,  à  gauche  du  fort  de  Douaumont.  Le  régiment 
reste  sept  jours  en  lignes,  et  lorsqu'il  redescend,  il  a  perdu, 
sans  avoir  participé  à  aucune  attaque,  la  moitié  de  son  effectif, 
sort  commun  de  tous  les  régiments  engagés.  Ce  que  furent 
ces  journées,  il  est  à  peine  possible  de  se  l'imaginer.  Demeu- 
rant trois  à  quatre  jours  dans  des  trous  d'obus,  sous  lun  bom- 
bardement incessant,  tourmentés  par  la  soif  et  la  faim,  les 
soldats  connurent  là  le  maximum  de  tension  nerveuse  et  de 
souffrances,  poussèrent  l'héroïsme  à  ses  limites  extrêmes. 
Jean  Lefort  et  ses  camarades  arrivèrent  la  nuit,  parcourant  un 
chemin  sans  abri,  sans  tranchée  ;  ils  ne  pouvaient  même  gar- 
der le  souvenir  des  endroits  traversés-  Au  retour,  rendez-vous 
général  fut  donné  au  faubourg  Pavé,  à  Verdun,  et,dans  la  nuit, 
chacun,  sans  savoir  au  juste  comment,  se  débrouilla  pour 
gagner  l'endroit  indiqué. 

Durant  ces  sept  jours,  les  «  cuistots  »  se  montrèrent  splen- 
didement héroïques  :  «  Les  vrais  héros  de  Verdun,  déclare 
non  sans  exaltation  Jean  Lefort,  ce  ne  sont  pas  ceux  qui  ont 
tenu  :  ce  sont  les  cuistots.  Ce  chemin  que  nous  avons  fait 
deux  fois  et  qui  apparaît  dans  mon  souvenir  comme  un  cau- 
chemar, eux,  ils  le  faisaient  deux  fois  par  jour,  et  combien 
chargés  !  Et  encore,  lorsqu'ils  arrivaient,  —  ceux  qui  arri- 
vaient, —  nous  les  «  engueulions  »  parce  que  la  pitance  était 
froide.  » 

A  l'aide  de  quelques  notes  et  de  souvenirs  tout  proches,  dès 
qu'il  trouve  un  coin  où  s'installer,  le  peintre  fait  de  nouvelles 
aquarelles  :  Le  Ravin  de  la  Caillette  (23  et  29  mars),  Un  bom- 
bardement des  Côtes  de  Belleville  et  du  Faubourg  Pavé  (27 
mars).  Le  retour  du  Ravin  de  la  Caillette  près  de  Haudainville 
(4  avril),  etc.  ;  mais  est-il  besoin  de  dire  que  ces  pièces  ne 
sont  pas  nombreuses  ? 

A  peine   reposé,  il   faut   repartir.  On   remonte   au   fort  de 


JEAN    LEFORT 


37 


Souville.  On  y  parvient  la  nuit,  non  sans  pertes  sensibles, 
après  avoir  passé  par  cette  période  de  transes,  bien  connue  de 
tous  ceux  qui  ont  combattu  et  dont  le  processus  est  très  net  : 
à  la  descente  des  lignes,  au  retour  vers  le  repos,  une  sorte  de 
bien-être  moral,  une  joie  envahissante  qui  fait  tout  oublier, 
puis,  dès  la  remonte  en  lignes,  l'inquiétude,  la  peur  qui  se 
manifeste  d'abord  chez  tous,  et  qui  peu  à  peu  disparaît  dans 
la  réadaptation  progressive  au  danger. 


Le  village  de  Belîeray,  sur  les  rives  de  la  Meuse,  au  nord  de 
Verdun,  possède  un  petit  cimetière,  où  maintenant  sont  mêlés 
à  la  terre  des  restes  confus  de  combattants.  Là,  dans  des  toi- 
les de  tentes  étalées,  des  territoriaux  de  corvée  apportaient 
des  débris  informes,  des  morceaux  d'hommes  qu'ils  rame- 
naient pêle-mêle,  par  charrettes  entières,  comme  un  engrais- 
Des  trous  creusés  les  recevaient  ;  la  terre  compatissante  les 
recouvrait,  les  enserrait,  masquait  ces  tragiques  vestiges  du 
drame  intense  qui  se  poursuivait.  Le  237''  d'infanterie,  et  d'au- 
tres régiments  encore,  passèrent  à  côté  de  cette  effroyable 
vision,  que  le  génie  de  Dante  se  fût  refusé  à  imaginer,  mais 
qui  n'a  pu,  un  instant,  faire  fléchir  aucune  énergie. 


38  HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 

C'est  auprès  de  ce  village  que  le  régiment  s'arrêta  après 
avoir  quitté  le  fort  de  Souville.  Les  hommes  couchèrent  dans 
des  péniches,  sur  le  canal  de  l'Est  qui  court  en  cet  endroit 
parallèlement  à  la  Meuse  et  à  la  route  d'Haudainville  à  Ver- 
dun. Ils  étaient  tout  à  la  joie  de  s'étendre  dans  la  paille,  douce 
à  leurs  membres  brisés. 

Après  avoir  cantonné  au  village  de  Velaine,  que  rappelle 
une  aquarelle  datée  du  8  avril  1916,  le  régiment  partait  au 
repos,  vers  les  Vosges  et  la  Lorraine.  Il  stationnait  à  Ruppes, 
à  Jubainville,  reçu  par  les  paysans  avec  une  cordialité  spon- 
tanée et  entière.  Là,  pour  la  première  fois  depuis  de  bien 
longs  mois,  Jean  Lefort  connut  cette  volupté  du  soldat  :  cou- 
cher dans  un  lit  ! 

Et  ce  fut,  d'Urant  quarante  jours,  une  période  d'accalmie. 
Les  aquarelles  de  cette  époque  nous  montrent  Une  pause 
entre  Saulxerotte  et  Selaincourt,  une  Grand'Halte  entre  Hé- 
roué  et  Crantenoy,  L'arrivée  au  cantonnement  à  Heillecourt,  le 
paysage  Entre  Heillecouri  et  Fontenoy-sur-Moselle.  On  fait 
faire  à  ces  hommes,  «  rescapés  »  de  l'enfer  de  Verdun,  de 
longues  marches  ;  on  leur  impose  l'exercice,  comme  à  la 
caserne  ;  on  les  soumet  à  des  revues,  pour  continuer  à  avoir 
«  la  troupe  en  mains  »• 

Enfin,  en  juillet,  la  brigade  est  installée  en  Lorraine,  où  elle 
demeure  plusieurs  mois.  Le  secteur  était  calme.  De  temps  à 
autre,  quelques  obus  sur  les  tranchées  ;  la  nuit,  quelques  tor- 
pilles ;  en  somme,  «  très  peu  de  chose  ».  La  tâche  de  Jean 
Lefort  consistait  alors  à  aller  relever  les  dégâts  des  torpilles, 
à  en  dresser  le  plan  et  l'état  précis,  afin  qu'on  pût  répartir  le 
travail  des  territoriaux  chargés  de  remettre  les  choses  en  bon 
ordre. 

Entre  temps,  les  survivants  de  la  classe  1895  à  laqiuelle 
appartenait  Jean  Lefort,  et  ceux  de  quelques  autres  classes, 
étaient  relevés  des  régiments  actifs  pour  être  versés  dans  les 
régiments  d'infanterie  territoriale.  L'artiste  obtint  de  son  colo- 
nel l'autorisation  de  rester  avec  ses  jeunes  camarades.  Il  y 
tenait.  Quand  on  lui  demanda  pourquoi,  il  répond  que  ce  n'était 
pas  par  bravoure,  mais  parce  qu'il  ne  se  souciait  pas  du  tout 
de  mener  «  la  vie  imbécile  et  déprimante  du  territorial  ». 

C'est  dans  ce  secteur  lorrain  que  fut  dissous  le  237^  régi- 
ment d'infanterie-  Une  partie  passa  au  360^  l'autre  au  279^ 
Depuis    le  début  de  la  guerre,    les  237'^  et  360*^  d'infanterie 


JEAN    LEFORT  39 

n'avaient  cessé  de  fraterniser.  Par  contre,  les  soldats  de  ces 
deux  régiments  n'aimaient  pas  le  régiment  voisin,  le  279% 
qu'ils  accusaient  «  d'avoir  toujours  le  filon  »  ;  car  partout, 
sous  la  protection  du  hasard,  ses  pertes  avaient  été  plus  mini- 
mes que  celles  des  autres  régiments.  L'ordre  de  dissolution 
fut  accueilli  avec  stupeur  par  le  237^  Les  hommes,  attachés 
à  leur  régiment,  n'imaginaient  pas  qu'il  pût  disparaître.  Dans 
leur  esprit,  c'est  le  279^  qui  devait  cesser  d'exister.  Si  la  fusion 
se  fit,  pour  ainsi  dire,  toute  seule  pour  la  fraction  versée  au 
360%  il  n'en  fut  pas  de  même  des  éléments  versés  à  l'autre 
régiment.  Ici  les  anciens  continuèrent  longtemps  à  se  grouper, 
à  se  réunir  dans  les  cantonnements,  comme  les  eaux  de  ces 
rivières  qui,  jetées  dans  un  même  lit,  roulent  côte  à  côte  sans 
parvenir  à  se  mélanger.  Il  y  eut  des  injures,  des  batailles  chez 
les  «  bistrots  »  ;  l'intimité  fut  longue  à  s'établir. 

Jean  Lefort,  versé  au  360%  partait  sur  la  Sonnne  avec  ce 
régiment,  lequel  prenait,  fin  août,  les  tranchées  entre  Biaches 
et  Barleux  devant  Péronne,  et  devait  rester  dans  la  région 
jusqu'à  la  mi-novembre. 

Ces  quelques  mois  furent  admirablement  employés  par  Jean 
Lefort.  Si  l'on  pouvait  réunir  les  aquarelles  nombreuses  qu'il 
fit  alors,  on  aurait  tous  les  détails  pittoresques  d'une  région 
particulièrement  mouvante  et  animée  à  cette  période.  Le  Musée 
de  la  Guerre,  qui  malheureusement  n'a  pas  d'aquarelles  de  la 
région  de  Verdun,  en  possède  plusieurs  exécutées  sur  le  front 
de  la  Somme,  du  mois  d'août  à  la  mi-novembre  1916.  C'est  le 
Ravin  des  Colonels,  l'intérieur  d'un  Baraquement  à  Méricourt, 
Le  canon  de  37  à  Cléry,  près  de  la  voie  ferrée,  L'arrivée  d'un 
renfort  lors  de  l'attaque  de  septembre  1916,  qui,  si  elle  nous 
coûta  bien  des  pertes,  fut  une  défaite  pour  les  Allemands.  Le 
coiffeur  de  la  Compagnie  à  Froissy,  unTrain  blindé  au  camp 
59,  entre  la  Motte-en-Santerre  et  Morcourt,  VEntrée  du  boyau 
de  la  Choucroute  près  d'Herbecourt,  deux  poilus  Dans  la 
tranchée  DolfuSj  face  à  la  Maisonnette,  etc..  Le  seul  énoncé 
des  titres  indique  la  variété  des  sujets  et  la  diversité  des  notes. 
Quelques-unes  de  ces  aquarelles  ont  figuré  dernièrement  à  l'ex- 
position coloniale  de  Marseille  :  un  groupe  de  soldats  noirs 
en  corvée  de  bois  au  Camp  59,  derrière  Morcourt,  un  Soldat 
annamite  croqué  au  Camp  du  16''  bataillon  indo-chinois,  V Au- 
to-bazar venant  ravitailler  les  camps,  dessiné  à  Cappy,  etc.. 

Cependant,  le  14  décembre,  le  régiment  embarquait  en  gare 


40 


HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 


de  Rethondes  pour  aller  occuper  le  secteur  de  Moulin-sous- 
Touvent,  dans  l'Aisne.  Jean  Leîort  allait  bientôt  quitter  le 
360%  quelques  jours  avant  le  fameux  repli  Hindenburg,  et  il 
n'accompagna  pas  le  régiment  dans  sa  marche  en  direction  du 
massif  de  Saint-Gobain. 


Le  canevas  de  tir  de  la  l""^  armée,  à  laquelle  appartenait  le 
groupement  de  Jean  Lefort,  avait,  par  une  circulaire,  demandé 
des  dessinateurs.  Jean  Lefort  s'était  fait  inscrire,  au  moment 
où  il  partait  pour  une  permission.  Au  retour,  après  une  recher- 
che de  trois  ou  quatre  jours,  il  retrouvait  son  unité.  Ce  fut 
pour  recevoir  l'ordre  de  se  rendre  à  Verberie,  et  d'y  passer 
les  épreuves  éliminatoires.  L'examen  terminé,  il  rejoignait  le 
régiment,  alors  à  Offémont.  Il  y  était  à  peine  réinstallé  qu'on 
le  demandait  au  canevas  de  tir  où  il  était  admis.  Ceci  se  pas- 
sait en  mars  1917. 

Voilà  donc  le  peintre  à  Verberie.  Pour  lui,  changement  de 
décor.  Le  canevas  de  tir  était  logé  dans  une  maison  confor- 
table, qui  possédait  chauffage  central  et  éclairage  électrique. 
Les  hommes,  groupés  par  trois  ou  quatre  seulement  par 
chambre,couchaient  sur  des  paillasses.  L'arrivée  fut  un  enchan- 


JEAN    LEFORT  4I 

tement.  Cela  ne  l'empêcha  pas  de  regretter  presque  aussitôt 
son  régiment.  Il  était  tombé  sur  ce  qu'il  appelle  «  une  adminis- 
tration effroyable  ».  Ce  fut  une  période  de  «  cafard  »,  «  d'attra- 
pades  »  avec  son  capitaine  ;  le  travail  lui  paraissait  sans  inté- 
rêt, et  il  n'eût  pas  hésité  à  demander  sa  réintégration  au  360% 
si  M"^'^  Lefort,  heureuse  de  le  sentir  plus  au  calme,  ne  l'avait 
exhorté  dans  ses  lettres  à  la  patience  et  à  l'acceptation  de  son 
sort,  enviable  à  bien  des  égards  matériels. 

Jean  Lefort  était  alors  au  «  Service  de  la  restitution  ».  Il 
reportait  sur  carte  les  renseignements  donnés  par  les  photo- 
graphies d'avion.  Quelquefois  il  allait  aux  premières  lignes 
pour  préciser  certains  détails  demandés  par  les  Etats-Majors. 
Il  notait  en  même  temps  les  aspects  typiques,  dont  il  tira  alors 
quelques  pages  plus  importantes,  qui  sont  dans  une  collectioji 
privée.  Il  avait  une  installation  acceptable  et  pouvait  travailler 
dans  de  meilleures  conditions.  Jusqu'alors,  ses  notes  une  fois 
prises,  il  devait  chercher  un  coin  abrité  pour  les  mettre  en  œ^u- 
vre.  Ce  coin  était  le  plus  souvent  un  bout  de  table  chez  un 
«  bistrot  ».  Là  ne  régnait  pas  un  silence  ou  une  atmosphère 
propice  au  recueillement. 

Il  ne  devait  pas  rester  longtemps  à  Verberie.  Son  unité 
revint  à  Château-Thierry,  et,  durant  tout  le  mois  de  mai,  qu'il 
passa  dans  cette  petite  ville,  Jean  Lefort  dessina  à  Brasles  : 
Cantonnement  du  9^  Zouaves,  à  Courtault,  à  Essonnes,  à 
Marizelle. 

C'est  au  cours  de  ces  diverses  pérégrinations  que  lui  arrive 
un  incident  dont  le  souvenir  le  met  en  joie-  Un  garde-cham- 
pêtre, le  voyant  dessiner,  ne  trouva  pas  cette  besogne  très 
naturelle.  Il  pensa  tout  de  suite  à  un  espion.  Fier  de  sa 
clairvoyance,  appelant  à  la  rescousse  deux,  énormes  artilleurs 
pour  encadrer  son  prisonnier,  il  arrêta  l'artiste,  le  con- 
duisit devant  le  commandant  de  batterie.  L'interrogatoire 
de  Jean  Lefort  fut  hilarant.  Pour  en  reproduire  le  caractère,  il 
ne  faudrait  rien  moins  que  l'admirable  talent  de  notre  Cour- 
teline.  Le  garde-champêtre,  triomphant  tO'Ut  d'abord,  déchanta 
peu  à  peu.  Jean  Lefort,  ayant  démontré  ses  qualités  et  précisé 
ses  fonctions,  fut  remis  en  liberté. 

Pareille  aventure  devait  d'ailleurs  lui  survenir,  plus  tard, 
à  Dunkerque,  où,  arrêté  par  les  Anglais,  il  fut  relâché  grâce 
à  l'intervention  de  camarades  et  au  prestige  de  sa  croix  de 
g'Uerre. 


42 


HISTOIRE  DE  LA   GUERRE 


De  Château-Thierry,  le  canevas  de  tir  auquel  appartenait 
Lefort  fut  dirigé  sur  la  Ferté-sous-jouarre.  Dans  cette  der- 
nière localité,  un  contingent  fut  détaché  pour  aller  dans  les 
Flandres.  Jean  Lefort  y  figurait. 

On  le  retrouve  vers  ia  mi-juin,  en  pleine  activité,  à  Honds- 
choote.  Il  y  devait  rester  cinq  mois,  et  parcourir  toute 
la  région,  prenant,  au  long  des  jours,  des  notations  nom- 
breuses et  importantes. 

Son  travail  militaire  allait  être  quelque  peu  modifié.  Les 
photographies  d'avions  se  multipliaient  ;  les  canevas  de  tir 
qui  les  recevaient  en  vrac  finissaient  par  ne  plus  s'y  recon- 
naître, d'autant  plus  que  si  les  «  reconnaissances  »  françaises 
et  belges  étaient  d'ordinaire  prises  et  apportées  avec  une  cer- 
taine méthode,  on  n'en  pouvait  pas  toujours  dire  autant  de 
celles  qui  provenaient  des  services  anglais  de  l'aviation.  Il  fal- 
lut songer  à  établir  un  service  central  qui,  recevant  toutes  les 
épreuves,  eût  peur  tâche  de  repérer  sur  carte  les  points  tou- 
chés par  les  «  reconnaissances  »  et  de  les  donner,  ainsi  sé- 
riées, à  chaque  restituteur.  Lefort  fut  chargé  de  ce  service 
central. 


Les  aquarelles  faites  en  Flandre  durant  cette  période  comp- 
tent, pour  le  sujet,  parmi  les  plus  pittoresques  du  peintre.  II 
est  alors  en  contact  avec  les  Belges,  et  il  montre,  entre  autres 


JEAN    LEFORT  43 

scènes,  un  Rassemblement  de  troupes  belges  près  de  l'église 
d'Hondschoote,  un  Parc  de  camions  belges  dans  cette  même 
ville,  et  là  encore,  un  Cantonnement  de  repos  des  troupes 
belges.  Il  est  auprès  des  Anglais,  et  il  peint  le  Retour  des  tran- 
chées d'une  compagnie  de  Tommies,  Le  camp  anglais  près  du 
moulin  d'Hondschoote,  etc. 

Et  c'est  aussi  une  Patrouille  sur  la  plage  de  Rosendaël,  La 
Tour  des  Templiers  à  Nieuport,  des  Artilleurs  rejoignant  leur 
batterie  dans  les  dunes,  Une  batterie  de  305  en  action  à  Wul- 
veringhem,  etc..  Ses  annales  de  la  guerre  s'enrichissent  cha- 
que jour  d'une  autre  page.  Un  document  nouveau  surgit 
à  chaque  instant  ;  il  fait  vivre  so^us  nos  yeux,  dans  le  cadre  de 
leur  action,  tous  ces  hommes  perdus,  noyés,  ensevelis  en  quel- 
que sorte  dans  la  nature  et  qui,  minuscules  sous  les  grands 
ciels,  sont  les  artisans  d'une  des  luttes  les  plus  prodigieuses 
dont  le  monde  ait  tressailli. 

A  la  fin  de  juillet  1917,  eut  lieu  l'offensive  britannique  des 
Flandres,  que  devait  entraver  et  interrompre  le  mauvais 
temps  ;  les  troupes  françaises,  opérant  en  liaison  étroite  avec 
nos  alliés  et  couvrant  leur  flanc  gauche,  enlevaient  le  village 
de  Bixschote  et  le  cabaret  Kortekert.  Cette  offensive  avait  été 
précédée,  dès  la  mi-juillet,  d'évacuations  de  villages.  On  vit, 
une  fois  de  plus,  la  triste  cohue  des  habitants  obligés  de  quit- 
ter leurs  demeures,  partant  chargés  de  ce  qu'ils  possédaient  de 
plus  précieux,  au  long  des  chemins  et  des  routes  désolés.  Jean 
Lefort,  sensible  à  toute  cette  misère,  devait  la  consigner  dans 
une  aquarelle,  faite  sur  la  Route  de  Loos  à  Nieucapelle  le  18 
juillet. 

Puis  il  note  les  Ruines  de  Boesinghe,  une  Patrouille  visi- 
tant les  abris  bétonnés  allemands  effondrés  dans  le  bois  14^ 
une  Compagnie  traversant  VYser,  des  Soldats  puisant  de  Veau 
dans  un  trou  d'obus,  des  Sapeurs-pionniers  asséchant  un 
boyau  au  Cabaret  Kortekert.  Grâce  à  l'artiste,  la  vie  des  trou- 
pes dans  cette  région  des  boues  est  relatée  en  des  pages  qui 
viennent  éclairer  de  reflets  pittoresques  les  communiqués  et 
les  récits  officiels. 

Ceci  devait  durer  jusqu'à  la  mi-décembre.  Le  14,  Jean 
Lefort  roulait  Dans  des  v^agons  à  bestiaux,  de  Bergues  à  Toul, 
ainsi  que  le  montre  un  dessin,  et,  le  19,  il  aquarellait  un  dé- 
part aux  tranchées,  dans  le  ravin  de  Jolival,  >au  secteur  de 


44 


HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 


Régnéville  en  Lorraine  ;  ensuite  il  dessinait  divers  coins  de 
Toul  et  des  environs,  tout  en  continuant  sa  besogne  militaire. 
L'offensive  allemande  de  mars  1918  lui  fit  quitter  hâtive- 
ment la  Lorraine.  Alertés,  ses  camarades  et  lui  filent  sur  Mont- 
didier,  où  ils  sont  reçus...  par  les  Allemands,  et  où,  il  va  sans 
dire,  ils  ne  s'installent  pas. 


J'^. 


Ils  se  retirent  sur  Beauvais,  où  ils  arrivent  le  23  mars,  et 
où  ils  attendent  des  ordres  qui  devaient  mettre  un  mois  envi- 
ron à  venir.  Jean  Lefort,  durant  ce  temps,  muse  à  travers  la 
ville.  Le  spectacle  qui  s'offre  chaque  jour  à  ses  yeux  est  à  la 
fois  navrant  et  pittoresque.  Les  réfugiés  de  la  Somme  et  de 
l'Oise  affluent  dans  la  ville.  Ils  encombrent  les  rues,  campent 
siur  les  places.  Leur  misère  se  mêle  aux  uniformes  bleu-hori- 
zon, dans  une  cohue  qui  fait  dire  aux  soldats  :  «  Si  les  avions 
boches  venaient  par  ici,  quel  boulot  ils  feraient  !  »  Hommes, 
femmes,  enfants,  dans  leur  commune  détresse,  se  rassemblent 
aux  carrefours.  On  en  loge  partout.  L'ancien  Musée  en  regor- 
ge. Jean  Lefort  note  leurs  attitudes  de  pauvres  bêtes  traquées 
et  pourchassées  ;  il  fait  quelques  aquarelles  à  Beauvais  et  dans 
les  environs,  se  rapportant  toutes  aux  détails  des  évé- 
nements en  cours  ;  mais  il  ne  semble  pas  que  les  semaines 


JEAN    LEFORT  45 

passées  sous  l'égide  du  chevet  ajouré  de  la  cathédrale  go- 
thique aient  été  fructueuses.  Il  se  rattrapera  au  cours  des 
mois  suivants,  lorsqu'un  ordre,  enfin  reçu,  l'amènera  à  Conty. 

Là,  des  premiers  jours  de  juin  jusqu'à  la  mi-juillet,  le  cane- 
vas de  tir  loge  dans  des  baraquements,  et  se  remet  à  travailler. 
Jean  Lefort,  à  ses  heures  de  loisir,  montre  la  vie  refluant 
vers  cette  petite  localité  où  ont  lieu  des  Départs  d'ambulances 
vers  le  front,  où  les  Voitures  de  ravitaillement  se  rassemblent 
sur  la  place,  et  où  les  soldats  porteurs  de  bidons  accourent  à 
L'heure  du  pinard.  Lefort  y  note  l'aspect  d'un  Parc  à  bestiaux; 
il  assiste  à  une  Halte  de  troupes  noires  en  marche  vers  l'avant  ; 
il  voit  les  habitants,  presque  chaque  nuit  alertés,  partir,  le  soir 
venu,  en  longues  théories,  pour  se  "réfugier  dans  les  carrières 
des  environs,  ainsi  que  le  montre  une  aquarelle  conservée,  avec 
mainte  autre  déjà  citée,  dans  les  collections  du  Musée  de  la 
Guerre. 

Cependant,  rayonnant  autour  de  Conty  pour  la  besogne 
qui  lui  était  commandée,  Jean  Lefort  parcourt  to^ute  la  région 
ouest  de  Montdidier.  Lors  du  départ  de  l'offensive  franco- 
britannique  du  8  août,  il  est  sur  la  Route  de  Moreuil  à  Villers- 
aux-Erables.  Dans  les  ruines  de  l'église  de  Moreuil,  il  voit  un 
Enlèvement  de  cadavres.  Il  fait  un  dessin  du  butin  d'artillerie 
réuni  dans  cette  localité  deux  jours  après  l'attaque,  un  autre 
d'un  Convoi  de  prisonniers  de  passage  à  Breteuil,  le  23  août, 
le  lendemain  d'un  bombardement  nocturne,  qui  avait  fait  ex- 
ploser deux  wagons  de  munitions.  Il  note  l'aspect  lamentable 
de  la  gare  à  demi-culbutée  ;  mais  bientôt  il  a  la  joie  de  mon- 
trer, à  Contre,  les  réfugiés  revenant  vers  leur  village  recon- 
quis, pour  en  occuper,  hélas  !  les  décombres. 

Il  est  alors  cantonné  à  Beaulieu-lès-Fontaine-  C'est  de  ce 
point  central  qu'il  a  l'occasion  de  peindre  la  Ferme  de  la  Pan- 
neterie  au  Sud-Ouest  de  Libermont,  ferme  qui  fut  prise,  per- 
due et  reprise  sept  fois  dans  les  journées  des  2  et  3  septembre. 
Quelques  jours  après,  il  est  à  Montdidier,  dont  il  nous  présente 
les  ruines  désolées  ;  puis,  l'avance  continuant,  il  dessine  entre 
autres  choses  L'entrée  souterraine  du  Canal  du  Nord,  l'Inté- 
rieur de  l'église  de  Candor  utilisée  comme  ambulance  par  les 
Allemands.  Arrivé  à  Saint-Quentin  vers  la  mi-novembre,  aux 
jours  de  l'armistice,  il  y  reste  trois  semaines  sans  avoir  rien  à 
faire  pour  l'armée.  Cela  lui  permet  de  prendre  de  nombreuses 
notes  dans  la  ville,  de  montrer  les  maisons  en  ruines  de  la  Rue 


.^  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

des  Toiles,  les  décombres  du  Couvent  des  religieuses  de  la 
Croix,  où  descendait  le  Kaiser  lorsqu'il  venait  dans  cette  ré- 
gion, et  maint  aspect  de  cette  grande  cité,  meurtrie  et  pante- 
lante encore  de  l'occupation  ennemie. 

Jean  Lefort  va  jusqu'à  Homblières,  Quartier  Général  de  la 
1^^  armée,  là  où  la  Délégation  allemande  avait  séjourné  un 
instant  en  se  rendant  à  Tergnier,  à  Rethondes,  pour  y  connaî- 
tre et  y  accepter  les  conditions  de  l'armistice.  De  Homblières, 
Lefort  revient  à  Saint-Quentin.  C'est  là  qu'il  reçoit  l'ordre, 
impatiemment  attendu,  de  regagner  Châlons-sur-Marne  pour 
y  être  aémobilisé. 


<^iss 


Ce  que  fut  la  démobilisation,  la  plupart  d'entre  nous  le 
savent  :  une  grande  et  longue  fatigue,  impatiemment  sup- 
portée dans  l'attente  du  dénouement.  Les  philosophies  hin- 
doues insistent  sur  les  liens  qui  unissent  nos  frères  inférieurs, 
les  animaux,  aux  hommes  peu  évolués.  C'est  une  dernière 
leçon  d'humilité  qui  nous  fut  donnée  par  des  transports  d'une 
monotonie  et  d'une  lenteur  désespérantes,  dans  des  wagons 
à  bestiaux.  Les  centres  démobilisateurs  étaient  presque  tou- 
jours loin  des  gares.  Chaque  mobilisé,  chargé  de  ce  qu'il  avait 
de  plus  précieux,  devait  y  gagner  le  plus  lointain  baraque- 


JE-AN    LEFORT  47 

ment,  pour  y  avoir  froid,  sinon  faim.  Et  il  arriva  que  les  sol- 
dats,'harassés,  à  qui  on  avait  offert  en  souvenir  leur  casque 
de  guerre,  jetèrent  peu  à  peu  sur  la  route  les  objets  les  plus 
lourds  ou  les  plus  encombrants,  et  que  les  chemins,  de  la  gare 
aux  baraquements,  et  même  le  long  de  certaines  voies  de  che- 
min de  fer,  furent  marqués  de  casques  abandonnés.  L'on  es- 
saya des  palliatifs  pour  éviter  cet  abandon  :  c'est  ainsi  qu'à  la 
8"  armée,  et  dans  d'autres  peut-être,  dès  le  départ  du  second 
«  échelon  »,  on  fit  courir  le  bruit  que  tout  démobilisé  qui  ne 
pourrait  pas  présenter  son  casque  au  dépôt  devrait  payer  la 
somme  de  dix-sept  francs  cinquante.  Beaucoup  s'émurent  de 
l'étrange  forme  que  prenait  ce  cadeau  ;  peu  s'en  étonnèrent  ; 
quelques-uns  gardèrent  jusqu'au  bout  leur  coiffure  guerrière. 
Jean  Lefort  qui,  démobilisé,  avait  mis  trois  jours  pour  par- 
courir les  173  kilomètres  qui  séparent  Châlons  de  Paris,  — 
les  trains  alors  roulant  à  une  allure  moins  rapide  que  celle 
des  bicyclettes,  —  a  montré  un  groupe  de  soldats  désarmés, 
enfin  libres,  regardant  d'un  air  mi-respectueux,  mii-gogue- 
nard  deux  officiers  debout  sur  un  trottoir.  C'est  un  Départ  de 
démobilisables,  exécuté  d'après  un  croquis  pris  à  Châlons- 
sur-Marne,  le  4  janvier  1919,  et  qui  clôt  la  série  de  l'œuvre 
artistique  de  guerre  du  peintre  Jean  Lefort. 


* 


Depuis  lors,  dans  les  diverses  expositions  et  au  Salon  des 
Indépendants,  on  a  revu  Jean  Lefort  avec  son  macfarlane 
foncé,  sorte  de  limousine  de  berger  de  l'idéal,  qui  est  son  cos- 
tume habituel.  La  canne  au  bras,  portant  sur  la  tête  un  cha- 
peau plat  à  larges  bords,  toujours  de  mêm.e  forme  et  toujours 
rattaché  par  un  cordon  à  une  boutonnière,  on  le  retrouve 
avec  le  sourire  am.ical  de  ses  yeux  clairs.  Dans  sa  face  restée 
ronde,  presque  poupine,  seule  la  moustache  a  passé  du  brun 
au  poivre  et  sel. 

Durant  ces  quatre  années  de  diverses  tribulations,  il  fut 
maintes  fois,  selon  ses  propres  term.es,  «  chamboulé,  souf- 
flé par  obus,  effleuré  par  des  balles,  enlisé  en  Artois,  retiré 
avec  des  cordes  ».  «  Il  avait  pleuré  par  les  gaz.  »  Il  avait 
été  plusieurs  fois  cité  à  l'ordre.  Une  des  citations  le  peint  tout 
entier  :  «  A  manifesté,  dans  maintes  circonstances  dangereu- 
ses, une  humeur  au-dessus  de  tout  éloge  »,  «  humeur  »  qui  ne 


g  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

l'empêche  pas  de  se  mettre  parfois  en  colère,  de  discuter 
avec  véhémence,  de  rester  combatif  dans  la  vie  civile,  comme 
dans  la  vie  militaire. 

Démobilisé,  il  reprit  sa  boîte  de  couleurs,  partit  pour  Stras- 
bourg, erra  parmi  les  rues  qui  avoisinent  l'Ill,  peignit  les  mai- 
sons pavoisées,  la  Cathédrale  parée  de  nos  trois  couleurs,  la 
place  Kléber  illuminée  dans  la  joie  du  retour  à  la  patrie. 
Et  puis  il  parcourut  l'Alsace,  ses  petites  villes  aux  lisières  des 
Vosges,  continuant  sa  tâche  de  narrateur,  toujours  précis, 
toujours  attentif  au  détail  pittoresque,  amusé  par  un  vieux 
porche,  une  vieille  maison,  une  place  de  village,  une  entrée 
d'église,  une  procession,  par  les  faits  et  les  choses  de  la  vie 
journalière,  par  ses  moindres  apparences,  par  ce  qui  en  fait 
le  charme  et  la  douceur  ;  et  tout  cela,  Jean  Lefort,  chroni- 
queur de  son  temps,  le  note  pour  le  plaisir  d'un  grand  nombre 
de  ses  contemporains  et  pour  l'information  des  historiens  fu- 
turs. 

René  Jean, 
Conservateur  du  Musée  de  la  Guerre. 


•^ 


DOCUMENTS 


La  Mobilisation  Eusse  en  1914 

d'après  les  débats  du  procès  Soukhomlinof 


Le  procès  Soukhomlinof  mériterait  certainement  une  étude 
d'ensemble,  qui  donnerait  des  renseignements  intéressants  sur 
le  gouvernement  russe  pendant  la  guerre  ;  ce  n'est  pas  à  ce 
point  de  vue  que  nous  voulons  aujourd'hui  le  considérer  ici  ; 
nous  en  retiendrons  seulement  un  incident,  qui  était  étranger 
au  fond  des  débats,  mais  qui  a  eu  une  importance  exception- 
nelle pour  l'histoire  des  origines  de  la  guerre  :  l'audience  du 
13-26  août  1917,  où  fut  abordée  la  question  de  la  mobilisa- 
tion générale  russe.  De  ces  révélations,  qui  ont  modifié  le 
point  de  vue  jusque-là  couramment  adopté  par  l'opinion  pu- 
blique dans  les  pays  de  l'Entente,  la  propagande  allemande 
a  fait  état,  avec  empressement  :  pendant  plus  de  deux  ans, 
avant  que  n'interviennent  des  éléments  nouveaux  (les  témoi- 
gnages de  M.  Paléologue,  du  général  Dobrorolsky,  l'étude  de 
M.  Hœniger)  (1),  les  débats  du  procès  Soukhomlinof  ont  été 
le  centre  d'attraction  pour  tous  ceux  que  préoccupait  le 
problème  des  origines  de  la  guerre  (2).  Aujourd'hui,  ils  sont 

(1)  Paléologue.  La  Russie  des  Tsars,  Toms  I,Paris, Pion,  1921.  Hoeniger, 
Russiands  Vorbereilung  ziim  WeZ/Ar/eg-e,  Berlin,  in-8, 1919.  Le  témoignage  de 
Dobrorolsky  a  été  publié  dans  cette  Revue,  n°«  1  et  2.  Voir  aussi  la  lettre 
du  général  Daniloff,  dans  le  n"  3. 

(2)  En  particulier  :  Hoeniger,  Untersuchiingen  zum  Siichomlinov-Prozess, 
Deutsche  Rundschau,  avril  1918,  p.  15-80.  La  mobilisation  russe  à  la  lumière 
des  documents  officiels  et  des  révélations  du  procès,  Berne,  Wyss,  1917,  in-16, 
31  p.  (propagande  allemande).  Gebhardt  (A.),  Was  beweist  der  Suchomlinov- 
Prozess,  Berlin,  sd.  (1922)  in-18,  26  p.  —  Der  Suchomlinov-Prozess.  Die 
Russische  Révolution,  3  nov.  1917.  L'article  de  Rorbach.  Politische   offen- 


jO  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

encore  cités  bien  souvent  ;  et  pourtant,  en  l'absence  d'un  comp^ 
te  rendu  sténographique,  la  physionomie  des  débats,  les  ter- 
mes des  déclarations  et  des  témoignages  ne  sont  pas  faciles 
à  préciser. 

La  présente  étude  veut  essayer  de  combler  cette  lacune.  Jus- 
qu'ici, les  historiens  qui  ont  traité  de  ces  questions  ont  utilisé  à 
peu  près  uniquement  les  comptes  rendus  donnés  par  le  Novoïe 
Vrémîa,  le  Rousskoië  Slovo  et  par  les  Birl'évyia  Viedomosti. 
Pour  donner  à  l'examen  critique  un  caractère  aussi  rigoureux 
que  possible,  il  fallait  étendre  l'enquête  à  un  grand  nombre 
de  journaux  :  douze  ont  été  examinés  et  traduits  ;  ils  étaient 
choisis  dans  toute  la  gamme  des  partis  (1).  En  confrontant  le 
texte  de  ces  articles,  il  était  possible  de  grouper  ceux  d'entre 
eux  qui  présentent  les  débats  sous  un  aspect  à  peu  près  iden- 
tique, et  de  choisir  dans  chaque  groupe  le  texte  le  plus  précis  : 
quatre  comptes  rendus  ont  été  ainsi  retenus.  Le  tableau  ci-joint 
les  confronte,  en  présentant  simultanément  les  passages  qui 
correspondent  au  même  instant  des  débats.  Les  autres  comptes 
rendus  sont  utilisés  dans  les  notes,  sous  forme  de  «  variantes  », 
lorsqu'ils  contiennent  une  indication  qui  diffère  assez  sensi- 
blement de  la  version-type.  Bien  entendu,  il  ne  faut  pas  s'at- 
tendre à  trouver  ici  le  récit  complet  de  l'audience.  Les  détails 
accessoires  ont  été  signalés  en  note,  ou  résumés  en  tête  de 
chaque  groupe  de  textes  :  il  fallait,  pour  la  clarté  de  cet 
exposé,  écarter  tout  ce  qui  ne:  concernait  pas  immédiate- 
ment l'objet  de  la  controverse,  —  à  savoir  les  conditions  dans 
lesquelles  a  été  prise  la  décision  de  mobilisation  générale  en 
Russie. 

sive,  Deutsche  Politik,  7  sept.  1917,  indique  l'effort  à  accomprir  parla  pro- 
pagande allemande.  Cf.  en  outre  Frankfurter  Zeitang,  31  août  et  4  septembre 
1917.  N.  Allgemeiae  Zeitang,  21  sept.  1917. 

Dans  les  pays  de  l'Entente,  Etudes  sur  la  guerre,  septembre  1917,  article 
de   René  Puaux.  —  Cambridge  magazine,  6,  12  et  20  octobre  1917. 

En  Suisse,  Richard  Grelling.  Die  "  Enihûllungen  "  des  Prozesses 
Sàcliomlinoo.  Ollen,  Troeseb,  1918,  56  p. 

(1)  Novoïe  Vremia  (Nouveau  Temps),  conservateur  modéré.  Rousskoië 
Slovo  (La  parole  russe),  progressiste.  Rietch  (La  parole),  cadet.  BirjevyiaVie- 
domosti  (Gazette  de  la  Bourse),  journal  d'information.  Rousskaïa  Volia  (La 
liberté  russe),  libéral.  Novaïa  Gizn  (La  nouvelle  vie),  social-démocrate.  Dien 
(Le  jour),  social-démocrate,  favorable  à  la  poursuite  de  la  guerre.  I>iélo  Na- 
roda  (La  cause  du  peuple),  socialiste  révolutionnaire.  Izvestia  de  Petiograd 
(Les  nouvelles),  bolchevik. 

Les  articles  du  Rousskii  Invalid  (L'mvalide  russe),  de  VOutro  Rossii  (Le 
matin  de  la  Russie)  et  de  Sozial-demokrat  (première  forme  de  la.Pravda)  n'ont 
pas  donné  d'indications  utiles. 


LA  MOBILISATION  RUSSE  EN  1914  5I 

D'ailleurs,  à  la  lecture  de  ces  textes,  il  ne  faut  pas  perdre 
de  vue  les  circonstances  du  débat.  Soukhomlinof  est  accusé 
de  haute  trahison  ;  il  a,  dit  l'acte  d'accusation,  trahi  ses 
devoirs  de  ministre  de  la  guerre,  il  a  laissé  l'armée  manquer  de 
matériel  et  de  munitions.  II  cherche  à  porter  sa  défense  sur  un 
autre  terrain  :  sans  moi,  dit-il,  le  Tsar  aurait  faussé,  en  juillet 
1914,  par  ses  hésitations  et  par  ses  décisions  contradictoires, 
tout  le  mécanisme  de  la  m.obilisation  ;  j'ai  su  écarter  cette  «  ca- 
tastrophe »,  et  prendre  une  responsabilité  redoutable.  Est-ce 
là  le  fait  d'un  homme  à  qui  l'on  vient  reprocher  aujourd'hui 
une  incurie  criminelle  ?  —  Voilà  le  sens  de  cet  incident,  pour 
l'accusé  et  pour  son  défenseur,  et  voilà  aussi  le  motif  de  la 
méfiance  nécessaire. 

Nota.  —  Les  comptes  rendus  sont  groupés  ainsi  qu'il  suit  : 

Noioïe  Vremia  et  TDien  en  variante  du  %_ousskoïé    Slovo 

Novaïa  Giin  —  —  %ietch 

%ousskdisa  Volia  —  —  Sirjevyia  ViedomosH 

TDiélo  Naroda  —  —  I:(vestia 

Les  traductions  ont  été  faites  par  M.  Wilfrid  Lerat,  chef 
de  la  section  slave  à  la  Bibliothèque-Musée  de  la  Guerre,  et 
par  M.  Feuillye,  attaché  à  la  même  Bibliothèque. 


52 


HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 


I.  Première  déposition  de  Januskhevitch 

Le  général  Januskhevitch,  ancien  chef  d' Etat-major  de  l'armée,  est 
appelé  à  déposer  sur  les  points  prévus  par  l'acte  d'accusation  dressé 
contre  Soukhomlinof.  Au  moment  où  il  termine  sa  déposition,  l'avocat 
de  Soukhomlinof,  Zakharieff  soulève  un  incident  étranger  au  fond 
du  débat.  Il  demande  au  témoin  si  le  Tsar  n'avait  pas  essayé,  en  juil- 
let 1914,  de  faire  arrêter  la  mobilisation,  à  peine  commencée  :  n'est-ce 
de  Soukhomlinof,  Zakharieff  soulève  un  incident  étranger  au  fond 
Tsar  de  ce  projet  «  funeste  »  ?  Par  une  série  de  questions,  dont  les 
journaux  ne  relatent  pas  le  détail,  l'avocat  amène  Januskhevitch  à 
donner  un  récit  de  ces  «  journées  historiques  ».  Au  cours  de  sa 
déposition,  le  général  signale  l'activité  et  l'audace  de  l'espionnage 
allemand  :  «  Je  ne  pouvais  téléphoner  à  qui  que  ce  fût  sans  qu'un 
tiers,  aussitôt  la  communication  donnée,  se  joignît  à  nous.  »  //  dut 
faire  établir  des  fils  directs,  indépendants  du  Central  téléphonique. 
Voici  comment  il  présente,  d'après  les  comptes  rendus  de  journaux, 
les  faits  relatifs  à  la  mobilisation. 


RoussKOiE  Slovo 

Le  témoin  explique  que,  d'abord,  il 
avail  été  décidé  de  décréter  la  mobi- 
lisation partielle  de  quatre  districts. 
«  Ensuite,  cette  question  avait  été 
laissée  en  suspens  ;  et  le  17  /^ojuilkt, 
après  mon  rapport  à  Tex-empereur, 
l'ordre  du  Sénat  d'exécuter  la  mobi- 
lisation générale  avait  été  signé  par 
lui. 

En  insistant  sur  la  mobilisation 
générale,  j'exposai  qu'il  était  néces- 
saire de  montrer  la  position  prise,  non 
seulement  devant  l'Autriche,  mais 
devant  l'Allemagne.  Nous  compre- 
nions parfaitement  que  l'Allemagne 
voulait  la  guerre  parce  qu'eUe  savait 
que  notre  grand  programme  m'Htaire 
serait  prêt  en  19 18. 

De  Peterhof,  je  me  rendis  au  Con- 
seil des  ministres,  et  je  lus  l'ordre 
de  mobilisation  signé  par  lEuipe- 
reur.  » 


RiETCH 

«  Quand  la  guerre  apparut  comme 
inévitable,  dit  le  général  Januskhe- 
vitch, j'insistai  auprès  de  l'Empereur 
sur  la  nécessité  absolue  d'une  mobi- 
lisation générale,  et  non  partielle  :  il 
était  clair  que,  derrière  le  dos  de 
l'Autriche  se  dressait  l'Allemagne  et 
que  nous  ne  pouvions  pas  éviter  une 
guerre  avec  celle-ci. 

Le  souverain  me  disait  qu'une  mo- 
bilisation générale  entraînerait  une 
guerre  de  la  Russie,  non  seulement 
contre  l'Autriche,  mais  aussi  contre 
l'Allemagne  (i). 

Persuadé  que  ce  dernier  conflit 
était,  de  toute  façon,  inévitable,  je 
finis  par  obtenir  ma  mobilisation  gé- 
nérale, et  le  16  juillet,  j'allais  au 
au  Conseil  des  ministres  pour  avoir 
la  signature  de  trois  ministres.  » 


(1)  Cet  alinéa  n'existe  pas  dans  le  texte  de  Novaïa  Gizn. 


i 


LA  MOBILISATION  RUSSE  EN   1914 


53 


B.    ViEDOMOSTI  (l) 

«  Quand  la  guerre  est  devenue 
inévitable,  j'ai  insisté  sur  la  nécessité 
de  déclarer  la  mobilisation  générale; 
il  était  évident  pour  moi  que  l'Au- 
triche n'était  qu'un  homme  de  paille 
dans  une  partie  jouée  par  d'autres. 
D'autre  part,  il  était  aussi  manifeste 
qu'une  mobilisation  nous  menaçait 
d'une  déclaration  de  guerre  par  l'Al- 
lemagne. 

J'obtins,  auprès  de  l'ex-Erapereur, 
la  permission  de  publier  un  ordre  de 
mobilisation  générale,  et  me  rendis 
le  14  au  Conseil  des  ministres.  Je 
m'y  fis  donner  trois  signatures  de 
ministres  (guerre,  marine,  affaires 
étrangères);  c'était  indispensable  pour 
publier  une  mobilisation  générale. 

Puis  je  distribuai  les  ordres  et  j'ex- 
pédiai les  instructions  nécessaires.  » 


IZVESTIA 

«  En  ma  qualité  de  chef  d'Etat-ma- 
jor  général,  j'insistai  sur  la  nécessité 
d'une  mobilisation  générale,  bien  que 
celle-ci  fût  un  véritable  défi  vis-à-vis 
de  l'Allemagne. 

Je  reçus  donc,  le  14  juillet,  l'ordre 
de  mobiliser  toute  l'armée,  et,  après 
avoir  fait  le  nécessaire,  je  me  rendis 
au  Conseil  des  ministres.  J'y  deman- 
dai les  trois  signatures  ministérielles 
indispensables  pour  la  publication  du 
manifeste.  « 


(1)  Le  récit  donné  par  la  Rousskaîa  Volia,  vague  et  déclamatoire,  ne  con- 
tient aucun  détail  sur  les  décisions  primitives  du  Tsar.  Januskhevitch,  dans 
ce  compte  rendu,  développe  seulement  la  nécessité  d'une  mobilisation  géné- 
rale, et  non  partielle.  Il  n'y  a  aucune  indication  de  date. 


54 


HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 


RoussKOiE  Slovo 

«  Mais,  le  même  jour ^  à  ii  heures 
du  soir  (  I  ),  je  fus  appelé  au  téléphone 
par  l'Empereur.  Il  me  demanda  où 
en  était  la  mobilisation. 

Je  répondis  qu'elle  était  déjà  en 
marche. 

Il  me  fut  posé  une  nouvelle  ques- 
tion :  peut-on  ne  pas  ordonner  la 
mobilisation  générale,  et  la  rempla- 
cer par  une  mobilisation  partielle  con- 
tre l'Autriche-Hongrie  ? 

Je  répondis  que  cela  était  extrême- 
ment difficile,  que  la  mobilisation 
était  commencée,  que  400.000  hom- 
mes de  réserve  étaient  appelés. 

Alors,  il  me  fut  déclaré  par  l'ex- 
tsar  qu'il  avait  reçu  un  télégramme  de 
Guillaume  :  il  donnait  sa  parole 
d"honneurque  si,  la  mobilisation  gé- 
nérale n'était  pas  déclarée,  les  relations 
entre  la  Russie  et  l'Allemagne  res- 
teraient amicales. 


RiETCH 

«  Or,  le  soir  de  ce  jour-là,  on  m'ap- 
pela au  téléphone  pour  me  demander 
où  nous  en  étions  de  notre  mobili- 
sation. » 

(Bien  que  le  témoin  ne  nomme 
pas  le  Tsar,  il  est  facile  de  deviner 
que  c'était  lui  l'interlocuteur  du  gé- 
néral Januskevitch  (2). 

«  Je  répondis  que  le  chef  de  la  sec- 
tion de  mobilisation  était  en  train 
d'expédier  (5)  les  télégrammes. 

On  médit  qu'on  venait  de  recevoir 
une  dépêche  de  l'empereur  Guillau- 
me, et  que  celui-ci  garantissait  par  sa 
parole  d'honneur  de  monarque  que 
l'Allemagne  ne  marcherait  pas  contre 
la  Russie,  si  cette  dernière  arrêtait 
sa  mobilisation  (4). 


Je  suppliai  le  monarque  de  ne  pas 
annuler  l'ordre  de  mobilisation  géné- 
rale. Pavais  beau  lui  faire  remarquer 
que  ce  contre-ordre  détraquerait  de 
fond  en  comble  notre  plan,  et 
qu'une  nouvelle  mobilisation  tant 
soit  peu  rapide  deviendrait  impossi- 
ble (-  ),  la  parole  d'honneur  de  Grril- 
laume  l'emporta  et  l'on  m'ordonna  de 
publier  une  mobilisation  partielle. 


(1)  Le  Dien  dit  «  vers  n  onze  heures. 

(2)  Cet  alinéa  n'existe  pas  dans  le  texte  de  la  Novaîa  Gizn. 

(3)  La  Novaîa  Gizn  dit  «  avait  déjà  expédié  ». 

i4)  La  Novaîa  Gizn  dit  ici  «  mobilisation  générale  i. 

(5)  La  Novaîa  Gizn  remplace  cette  phrase  par  celle-ci  :  «  L'Allemagne  con- 
naissait parfaitement  ce  qui  se  passait  à  notre  Etat-major.  Quand  on  me  parla 
du  télégramme  de  Guillaume,  je  compris  que  l'AUemagae  était  déjà  au  cou- 
rant de  nos  préparatifs.  • 


LA  MOBILISATION  RUSSE  EN  1914 


55 


B.  VlEDOMOSTl 

«  Li  i6  juillet  au  soir,  on  m'ap- 
pela au  téléphone  pour  me  deman- 
der comment  marchait  la  mobilisa- 
tion. (Le  témoin  ne  cite  pas  son 
interlocuteur,  mais  son  récit  laisse 
deviner  que  c'était  l'ex-Empereur  lui- 
même  qui  lui  parlait,  de  Tsarskoïe- 
Selo.) 

Je  répondis  que  le  chef  de  la  mo- 
bilisation était  en  train  d'expédier  les 
dépêches. 

On  me  fit  savoir  alors  que  Guillau- 
me, dans  un  télégramme  qu'on  venait 
de  recevoir,  donnait  sa  parole  de  mo- 
narque que  l'Allemagne  ne  marcherait 
pas  contre  la  Russie,si  cette  dernière 
renonçait  à  sa  mobilisatsoa.  » 


Le  témoin  raconte  ensuite  au  tribu- 
nal qu'au  moment  de  son  entretien 
avec  Tsarskoïe-Selo  au  sujet  de  la 
dépêche  de  Guillaume, il  savait  certai- 
nement que  l'Allemagne  avait  eu  le 
temps  de  mobiliser  400.000  hommes. 
Les  deux  pays  n'ont  pas  les  mêmes 
lois  concernant  la  mobilisation:  Celle- 
ci  peut  se  faire  clandestinement  en 
Allemagne,  tandis  qu'en  Russie  elle 
est  rendue  publique  par  un  manifeste. 


IZVBSTIA 

«  A  mon  retour,  coup  de  téléphone 
de  Tsarskoïe-Selo. 

On  me  disait  que  l'Empereur 
Guillaume  venait  d'envoyer  une  dé- 
pêche au  Tsar.  Il  l'assurait,  en  lui 
donnant  sa  parole  de  monarque,  que 
l'Allemagne  n'attaquerait  pas  la  Rus- 
sie sans  être  défiée  par  cette  der- 
nière. » 


Au  moment  où  je  reçus  la  nou- 
velle du  télégramme  de  Guillaume, 
je  savais  déjà  que  la  mobilisation 
battait  son  plein  en  Allemagne  ; 
400.000  hommes  étaient  déjà  sur 
pied. 

J'avais  beau  assurer  qu'on  ne  pou- 
vait se  fier  à  une  dépêche,  même 
corroborée  par  la  parole  d'honneurde 
Guillaume,  ce  fut  cette  dernière  qui 
l'emporta.  1 


56 


HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 


RoussKoiB  Slovo 


«  Après  cette  conversation,  je  me 
précipitai  chez  le  ministre  des  affai- 
res étrangères  Sazonof,  et  je  le  con- 
vainquis qu'il  ne  fallait  pas  annuler 
la  mobilisation  générale.  Je  le  sup- 
pliai de  me  prêter  son  concours. Il  me 
promit  qu'il  ferait  un  lapport  le  matin 
i.  l'Empereur. 

Effectivement  il  fit  un  rapport  ;  et 
le  lendemain  à  4  h.  1/2  eut  lieu  une 
Conférence  au  Palais  à  laquelle  pri- 
rent part  le  m.inistre  des  affaires 
étrangères  Sazonof,  le  ministre  de 
la  guerre  Soukhomlinof  et  moi.  En 
10  minutes,  nous  décidâmes  qu'il 
était  impossible  d'annuler  la  mobili- 
sation, que  cette  annulation  serait 
fatale  à  la  Russie  ;  et  un  rapport  fut 
fait  dans  ce  sens  à  l'Empereur. 

A  5  heures  du  soir,  la  question  de 
U  mobilisation  générale  était  défini- 
tivement réglée.  » 


RiETCH 


f  Je  le  fis  savoir  immédiatement  au 
ministère  des  affaires  étrangères  Sa- 
zonof, et,  le  17  juillet,  Sazonof  alla 
à  Tsarskoïe-Selo,  où  il  obtint  que  la 
question  delà  mobilisation  fût  revisée. 

Le  jour  même,  une  réunion  de 
trois  ministres  eut  lieu  à  ce  propos 
(guerre,  marine,  affaires  étrangères). 
J'y  pris  part.  La  nécessité  d'une  mo- 
bilisation générale,  l'impossibilité  de 
l'annuler  étaient  tellement  évidentes 
que  la  réunion  n'a  duré  qu'une  dizaine 
de  minutes  (i). 

La  mobilisation  générale  fut  dé- 
crétée et  un  ukase  publié  à  ce  sujet.  > 


(1)  «De  5  à  10  minutes  »,  dit  le  texte  de  Novaïa  Gizn,  qui  emploie  aussi  le 
terme  «  arrêter  la  mobilisation  »,  au  lieu  de  «  annuler  ». 


LA  MOBILISATION  RUSSE  EN  1914 


57 


B.  ViEDOMOSTI 

et  par  conséquent  portée  à  la    con- 
naissance du  monde  entier. 

—  «  J'avais  beau  supplier  de  ne 
pas  revenir  sur  l'ordre  de  mobilisa- 
tion générale,  la  parole  d'honneur 
de  Guillaume  l'emporta,  et  l'on  me 
donna  l'ordre  de  me  contenter  d'une 
mobilisation  partielle.  » 


«  Alors,  je  m'adressai  au  ministre 
des  affaires  étrangères.  J'expliquai  à 
S.D.  Sazonof  sur  la  carte,  notre  plan 
de  mobilisation,  et,  le  17,  le  ministre 
alla  à  Tsarskoïe-Selo. 

Il  obtint  ]a  permission  de  faire  re- 
voir la  question. 

Le  jour  même,  une  réunion  confi- 
dentielle eut  lieu  qui  ne  dura  que 
5  minutes.  Trois  personnes  y  prirent 
part  :  les  deux  ministres  et  moi. Nous 
y  constaiâmes  la  nécessité  absolue  de 
mobiliser  et  fîmes  part  de  notre  déci- 
sion à  Tsarskoïe-Selo. 

Notre  rapport  approuvé,  l'ukase 
fut  publié  (i).  » 


IzvEsriA 

Je  reçus  donc  Tordre  de   me  con- 
tenter d'une  mobilisation  partielle. 


«  Alors  j'allai  trouver  le  ministre 
des  affaires  étrangères  Sazonof,  en 
le  priant  de  faire  tout  ce  qui  était  en 
son  pouvoir. 

Le  17  juillet,  Sazonof  porta  son 
rapport  à  Tsarskoïe-Selo.  Il  en  revint 
avec  l'ordre  de  remettre  sur  le  tapis  la 
question  de  la  mobilisation. 

Nous  eûmes  donc  une  conférence 
composée  de  trois  personnes  :  les 
ministres  des  affaires  étrangères,  de 
la  guerre  et  moi.  Nous  étions  telle- 
ment d'accord  que  tout  fut  réglé  en 
3  minutes.  Nous  nous  prononçâmes 
pour  la  mobilisation  générale. 

Alors  je  fis  appeler  l'Empereur 
au  téléphone  et  lui  communiquai  no- 
tre décision.  Après  m'avoir  entendu, 
le  monarque  voulut  s'entretenir  à  ce 
sujet  avec  le  ministre  des  Affaires 
étrangères.  Il  nous  permit  ensuite  de 
mobiliser  l'armée  sur  le  territoire  tout 
entier.  Nous  avions  perdu  toutefois, 
par  suite  de  ces  pourparlers  et  de  ces 
hésitations,  trois  jours  précieux.  1 


(1)  Le  récit  de  la  Rousskaïa  Volia  est  identique,  quand  au  fond,  à  celui-ci; 
il  indique  seulement  que  Januskevitch  se  serait  décidé  à  intervenir  auprès 
de  Sazonof,  sur  le  conseil  de  Soukhomlinof. 


58 


HISTOIRE   DE    LA   GUERRE 


RÉPLIQUE  DE  SOUKHOMLINOF; 

L'accusé  demande  alors  à  être  entendu.  Sa  voix  est  si  basse  que  les 
jurés  ont  peine  à  saisir  ses  paroles  :  Le  président  le  fait  avancer  au 
milieu  de  la  salle,  encadré  par  des  soldats.  <?.  Très  ému,  dit  le  compte 
rendu  du  Dien,  —  il  fait  de  grands  gestes  et  se  frappe  par  moments 
la  poitrine  ou  les  genoux.  »  //  cherche  à  établir  que  c'est  lui,  et  lui 
seul,  qui  a  exercé  une  influence  sur  le  Tsar. 


ROUSSKOIE    Slovo 

•  Dans  la  nuit  du  i6  au  17  juillet, 
l'Empereur  téléphona  chez  moi  et 
m'ordonna  d'arrêter  la  mobilisation. Je 
reçus  un  ordre  direct,  qui  n'admet- 
tait pas  de  réplique,  je  fus  confon- 
du (i).  Je  savais  qu'on  ne  pouvait 
pas  arrêter  la  mobilisation, que  c'était 
techniquement  impossible,  qu'il  se 
produirait  un  désordre  formidable 
dans  toute  la  Russie. 

Mais  en  même  temps  l'ordre  im- 
périal était  suspendu  sur  ma  tête. 
Maintenant,  cela  vous  semblera  co- 
mique; mais,  alors,  je  mecrus  perdu. 

<t  Le  Général  chef  d'Etat-Major 
vient  de  vous  parler  de  cette  ques- 
tion :  interrogez-le  si  vous  ne  me 
croyez  pas.  * 


RiETCH 

Il  (Soukhomlinof)  cherche  à  éta- 
blir que  nul  autre  que  lui  n'a  dis- 
suadé l'empereur  d'annuler  la  mobi- 
lisation. 

«J'avais  beau  dire  à  l'Empereur 
que  le  télégramme  de  Guillaume  ne 
garantissait  rien  du  tout,  il  voulait 
l'annulation. 

Alors  je  lui  dis  que  si  mes  ar- 
guments sur  l'impossibilité  de  sus- 
pendre la  mobilisation  ne  lui  suffisaient 
pas,  il  n'avait  qu'à  interroger  à  ce 
propos  le  chef  de  l'Etat-Major.  » 


(1)  Le  Novoïe  Vremia  dit  ici  :  «  La  mobilisation  était    proclamée  ;  l'ar- 
rêter, c'était  provoquer  une  catastrophe.  > 


LA  MOBILISATION  RUSSE  EN  1914 


59 


B.   ViEDOMOSTI 

«  Dans  la  nuit  du  1 6  au  1 7  juillet (  i ) 
l'ex- Empereur  m'appela  au  télé- 
phone et  me  dit  qu'il  était  nécessaire 
de  suspendre  la  mobilisation  dans  trois 
circonscriptions.  Cependant  celle-ci 
avançait  à  merveille. 

Alors,  continue  l'accusé,  je  fis  re- 
marquer à  l'ex-Empereur  que  la 
dépêche  de  Guillaume  ne  nous  ga- 
rantissait rien  du  tout,  car  elle  ne 
renfermait  qu'une  vague  promesse 
d'exercer  une  pression  plus  ou  moins 
efficace  sur  l'Autriche.  Je  dis  que  les 
mobilisations  allemande  et  autrichien- 
ne étaient  en  marche,  et  que,  si  nous 
n'en  faisions  pas  autant,  nous  ne  se- 
rions pas  prêts  au  moment  où  la 
guerre  éclaterait. 

L'Empereur  ne  changeant  pas 
d'avis,  je  lui  dis  de  daigner  s'adres- 
ser au  chef  d'Etat-Major.  » 


IZVESTIA 

«  Le  12  juillet,  à  i  heure,  l'ex-tsar 
me  fit  appeler  au  téléphone.  Il  s'ef- 
força de  me  convaincre  qu'on  pour- 
rait encore  éviter  la  guerre,  en  faisant 
une  mobilisation  partielle,  auquel 
cas  Guillaume  lui  avait  promis  d'ob- 
tenir de  l'Autriche  le  maintien  de  la 
pai.'t. 

Les  travaux  pour  la  mobilisation 
commencèrent  néanmoins  le  13  (2). 

Le  14,  un  ordre  de  «  mobilisation 
préparatoire  »  pour  l'armée  entière 
fut  publié. 

On  peut  dire  que,  contrairement  à 
toutes  nos  prévisions,  la  mobilisation 
marchait  avec  une  rapidité  extraordi- 
naire. 

Et  voilà  que  je  reçois  l'ordre  de  la 
suspendre  ! 

J'en  fus  consterné.  Je  comprenais 
bien  que  c'était  une  manœuvre  de 
Guillaume,  qui  voulait  par  là  avoir 
une  chance  de  plus  d'écraser  la  France 
pour  nous  sauter  ensuite  à  la  gorge. 
Que  nous  promettait-il  en  réalité  ? 
L'Autriche  étant  déjà  mobilisée,  on  ne 
pouvait  plus  exercer  aucune  pression 
sur  elle.  Je  fis  savoir  mon  point  de 
vue  au  Tsar,en  l'avertissant  que  toute 
suspension    de     mobilisation    aurait 


(1)  La -Rousstaïa  Voîfa  donne,  pour  l'entretien  Soukhomlinof-Nicolas  II 
et  Soukhomliuof-Januskhevitch  un  récit  analogue.  Il  indique  la  date  du 
16  au  soir.  Ce  journal  dit,  comme  le  Novoïe  Vremia,  qu'il  s'agissait  d'arrêter 
la  mobilisation,  déjà  proclamée. 

(2)  Cette  phrase  n'existe  pas  dans  le  texte  du  Dielo  Narodna. 


6o 


HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 


ROUSSKOIE  Slovo 


RiETCH 


«  Une  demi-heure  après  la  conver- 
sation avec  l'Empereur,  le  général 
Januskhevivch  téléphona   chez  moi. 

—  «L'Empereur  m'a  ordonné  d'ar- 
rêter la  mobilisation  »,  me  dit-il. 

—  «  Que  faites-vous  ?  »,  dis-je. 

—  «  J'ai  répondu  que  c'était  techni- 
quement impossible  i. 

—  ï  Qu'a-t-il  répondu  ?  » 

— j(  Qu'il  fallait  quand  même  l'ar- 
rêter. » 

Le  Général  Januskhevitch  me  de- 
manda alors  ce  qu'il  devait  faire. 

Je  répondis  :  «  Ne  faites  rien.  » 

J'entendis  par  le  téléphone  le  sou- 
pir de  soulagement  qu'il  poussa  : 

—  a  Dieu  soit  loué  »  !  dit-il.  a 


«  Alors  le  souverain  a  fait  appeler  au 
téléphone  le  général  Januskhevitch, 
qui  me  téléphona  une  demi-heure 
plus  tard .  Il  me  dit  que  le  Tsar  lui 
avait  ordonné  de  suspendre  la  mobi- 
lisation. 

—  «  Qu'avez-vous  répondu  »  ?  lui 
répliquai-je. 

—  «  Que  c'est  impossible  au  point 
de  vue  technique.  II  m'a  ordonné 
néanmoins  la  suspension.  Que  faut-il 
faire  maintenant  ?  » 

—  «  Ne  faites  rien  du  tout  »,  ré- 
pondis-je. 

J'ordonnai  donc  que  la  mobilisa- 
tion continuât,  malgré  l'ordre  formel 
du  Tsar,  et  le  général  Januskhevitch 
m'a  beaucoup  remercié  pour  cela.  » 


LA  MOBILISATION  RUSSE  EN  1914 


6l 


B.  ViEDOMOSTi 


. . .  Une  demi  heure  plus  tard, 
celui-ci  faisait  savoir  à  l'ex-ministre 
de  la  guerre  que  le  souverain  lui 
avait  ordonné  de  suspendre  la  mobi- 
lisation . 

D'après  le  général  Soukhomlinof, 
le  dialogue  suivant  eut  lieu  ensuite 
entre  les  deux  généraux. 

—  «  Qu'avez-vous  objecté  contre 
Tordre  de  l'Empereur  de  suspendre  la 
mobilisation.  ?  » 

—  «  J'ai  répondu  que  c'était  ab- 
solument impossible  ». 

—  «  Qu'est-ce  que  l'Empereur  vous 
a  dit  alors  ?  » 

—  «  11  m'a  ordonné  de  suspendre 
la  mobilisation  quand  même.   » 

D'après  l'accusé,  le  général  Janus- 
khevitch  fut  consterné  par  ces  paro- 
les, et  ne  put  que  dire  ceci  à  son  mi- 
nistre : 

—  «  Que  voulez-vous  que  je  fasse 
maintenant  ? 

—  <'  Ne  faites  tien,  répondit  celui- 
ci.  Que  la  mobilisation  suive  son 
cours.  » 

D'après  l'accusé,  le  général  Janus- 
khevitch  le  remercia  beaucoup  de 
cette  réponse.  » 


IZVESTIA 

pour  la  Russie  les  conséquences  les 
plu9  désastreuses,  et  que,  loin  de 
nous  être  utile  en  quoi  que  ce  fût, 
elle  n'aurait  pour  résultat  que  d'oc- 
casionner des  catastrophes  de  che- 
min de  fer.  Comme  dernier  argu- 
ment, j'ajoutai  que,  s'il  ne  me  croyait 
pas,  il  n'avait  qu'à  consulter  Janus- 
khevitch.  Alors  l'Empereur  fit  appeler 
le  chef  d'Etat-Major  au  téléphone.   » 


«  Une  demi  heure  plus  tard,  j'ea 
fis  autant  pour  demander  à  Janus- 
khevitch  si  l'Empereur  lui  avait 
parlé. 

Januskhevitch  me  répondit  que  oui 
et  qu'il  avait  démontré  au  Tsar  l'im- 
possibilité, au  point  de  vue  technique, 
d'arrêter  la  mobilisation. 

—  «C'est  bien,  lui  répondis-je.  Et 
qu'est-ce  que  l'Empereur  vous  a  ré- 
pondu ? 

—  «  Suspendez-la  quand  même  », 
répliqua  le  général. 

J'ordonnai  à  Januskhevitch  de  ne 
faire  aucune  démarche  pour  la  sus- 
pension de  la  mobilisation  (i).  » 


(1)  Cette  conversation  est  résumée  en  trois  lignes  dans  le  Diélo  Narodna. 


62 


HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 


ROUSSKOIE  Slovo 

«  Le  lendemain  matin,  je  mentis  à 
l'Empereur.  Je  lui  dis  que  la  mobili- 
sation s'exécutait,  —  mais  partielle- 
ment, seulement  dans  les  districts 
du  Sud-Ouest.  Ce  jour-là,  je  deve- 
nais fou.  Je  savais  que  la  mobilisa- 
tion était  générale,  et  qu'il  n'y  avait 
aucun  moyen  de  l'arrêter. 

Heureusement  ce  jour-là,  on  con- 
vainquit l'Empereur,  et  je  reçus  de 
remerciements  ;  autrement,  je  serais 
depuis  longtemps  aux  travaux  forcés.  » 


RiBTCH  (l) 


(1)  Tandis  que  le  Rietch  ne  donne  aucune  indication  sur  cette  déclaration, 
la  Novaîa  Gizn  reproduit  presque  textuellement  le  passage  correspondant  d«s 
Birjevyia  Viedomosti. 


LA  MOBILISATION  RUSSE  EN  1914 


63 


B .  VlEDOiMOSTI 

«En  donnant  ce  conseil  à  un  subor- 
donné, continue  l'accusé,  j'assumais 
une  responsabilité  redoutable.  Je 
pouvais  devenir  responsable  d'une 
guerre  avec  l'Allemagne.  Cette  idée 
faillit  me  faire  perdre  la  raison. 

Par  bonheur,  le  lendemain  matin, 
nous  reçûmes  de  Berlin  un  télégram- 
me de  notre  ambassadeur  Sverbéief, 
qui  nous  annonçait  que  la  mobilisa- 
tion battait  son  plein  en  Allemagne. 
Je  reçus  alors  pour  mon  énergie 
des  félicitations  de  mon  souverain  (2) .  » 


IZVESTIA 

«  J'encourais  par  là  une  responsa- 
bilité redoutable,  et  m'exposais  à  une 
peine  autrement  plus  grave  que  celle 
qui  m'attend  aujourd'hui. 

J'ignorais  si  l'Allemagne  mobili- 
sait son  armée. 

Fort  heureusement  pour  nous, 
Sverbéief  réussit,  je  ne  sais  par  quel 
moyen;  à  ra'aviser  qu'il  fallait  mobi- 
liser notre  armée  toute  entière,  car 
les  Allemands  en  faisaient  autant 
pour  la  leur,  et  avec  une  rapidité 
extraordinaire. 

J'éuis  au  comble  de  la  joie  d'avoir 
désobéi  au  Tsar.  J'étais  heureux  de 
savoir  ce  que  j'avais  à  faire  désor- 
mais (i),  » 


(1)  La  Diélo  Narodna  ne  reproduit  pas  ce  passage. 

(2)  Tout  ce  passage  n'existe  pas  dans  la  Rousskaîa  Volia. 


64 


HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 


III.  Seconde  déposition  de  Januskhevitch 

Le  général  Januskhevitch  est  rappelé  à  la  barre.  Un  des  défenseurs, 
après  avoir  lu  des  extraits  du  «  Journal  5>  de  Soukhomlinof,  et  des 
passages  des  déclarations  faites  à  l'instruction,  essaie  d'élucider  les 
contradictions  qui  existent  entre  les  dires  de  l'accusé  et  ceux  du 
témoin  ;  sur  cette  partie  de  l'audience,  les  comptes  rendus  de  journaux 
sont  beaucoup  moins  précis.  Il  semble  d'ailleurs  que  Januskhevitch 
ne  se  soucie  pas  de  prolonger  cette  explication  ;  il  fait  une  diversion, 
pour  raconter  l'entrevue  qu'il  avait  eue,  le  16  {29)  juillet,  avec  l'attaché 
militaire  allemand  Eggeling.  Les  passages  retenus  ci-dessous  sont  ceux 
qui  touchent  au  fond  de  l'affaire. 

Lorsque  Januskhevitch  achève  ces  déclarations,  la  défense  demande 
à  faire  citer  deux  nouveaux  témoins,  les  frères  Tarassof,  courriers 
du  Palais,  qui  auraient  connu,  dit-elle,  la  teneur  de  ces  entretiens 
téléphoniques.  Mais  la  Cour  refuse  de  se  prêter  à  cette  audition  ; 
et  l'audience  est  levée. 


RoussKOiE  Slovo 

oc  On  appelle  de  nouveau  Januskhe- 
vitch, et  on  essaie  d'établir  les  plans 
suivis,  de  savoir  si  le  Tsar  a  abso- 
lument donné  l'ordre  d  arrêter  la 
mobilisation,  ou  si  l'entretien  n'a 
concerné  que  le  remplacement  de  la 
mobilisation  générale  par  la  mobili- 
sation partielle  (i).  » 


RiETCH 


«  Le  général  Januskhevitch  est  rap- 
pelé à  la  barre.  Il  dit  de  nouveau  ne 
pas  se  souvenir  de  l'insistance  de 
S  jukh  omliaof  au  sujet  de  la  mobili- 
sation. >) 


(1)  Le  Dien  ajoute  que  Januskhevitch  «  se  rappelle  parfaitement  que  sa 
conversation  avec  l'ex-empereur  avait  eu  trait,  non  à  la  suppression  de  la 
mobilisation,  mais  à  la  substitution  d'une  mobilisation  partielle  à  la  mobi- 
lisation générale.  »  (Même  indication  dans  le  Novoie  Vremia.) 


LA  MOBILISATION  RUSSE  EN  1914 


.65 


B.    VlEDOMOSTl(l] 


IzvESTIA 


«  Oui,  il  est  exact  que  le  Tsar  m'a 
ordonné  de  suspendre  la  mobilisa- 
tion; mais  il  m'est  impossible  d'affir- 
mer si  Soukhomlinof  m'a  dit  de  déso- 
béir au  Souverain.  » 


(1)  Ici  la  Roasskaïa  Volia  donne  un  récit  qui  se  rapproche  de  celui  du  Bien 
et  du  Novoïe  Vremia. 


C6  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

Voici  maintenant  quelles  conclusions  peut  suggérer  la  lec- 
ture de  ces  textes  : 

I.  Soukhomlinoi  et  Januskhevitch  sont  d'accord  pour  décrire 
ainsi  l'attitude  du  Tsar  :  il  avait  d'abord  consenti  à  la  procla- 
mation de  la  mobilisation  générale  ;  tout  à  coup,  il  hésite, 
sous  l'impression  produite  par  un  télégramme  qu'il  a  reçu  de 
Guillaume  II  ;  il  ordonne  aux  chefs  militaires  de  suspendre 
l'exécution  de  son  ordre  ;  puis,  le  lendemain,  il  donne  à  nou- 
veau son  assentiment  aux  mesures  de  mobilisation  générale. 
Tous  ces  incidents  sont  d'ailleurs  confirmés  par  le  tém.oignage 
du  général  Dobrorolsky  et  par  celui  de  M.  Paléologue, 

Mais  les  déclarations  du  chef  d'Etat-Major  et  celles  du 
ministre  de  la  guerre  diffèrent  à  deux  points  de  vue. 

1°  Soukhomlinof  déclare  que  le  Tsar  lui  avait  prescrit  de 
suspendre  toute  mobilisation,  tandis  que  Januskhevitch  affirme 
qu'il  s'agissait  de  convertir  la  mobilisation  générale  en  une 
mobilisation  partielle,  dirigée  contre  l'Autriche.  Or  les  rensei- 
gnements connus  depuis  1917  sont  venus  confirmer  le  témoi- 
gnage de  Januskhevitch. 

2°  Soukhomlinof  prétend  qu'il  n'a  pas  obéi  au  Tsar,  et  qu'il 
n'a  pas  exécuté  le  contre-ordre  :  il  a  laissé  l'ordre  de  mobili- 
sation suivre  son  cours.  Grâce  à  lui,  les  préparatifs  militaires 
de  la  Russie  se  sont  poursuivis  sans  interruption  et  sans 
trouble.  Voilà  une  belle  preuve  de  courage  civique,  qui  doit 
frapper  l'esprit  des  jurés  !  Mais  Januskhevitch,  —  d'après 
plusieurs  comptes  rendus,  —  réplique  qu'il  ne  peut  pas  confir- 
mer les  allégations  de  l'ancien  ministre  de  la  guerre  :  il  ne  se 
souvient  pas.  Ce  n'était  pourtant  pas  un  incident  banal  que 
de  négliger  l'ordre  du  Tsar,  Sur  ce  point-là  aucsi  les  docu- 
ments les  plus  récents,  —  par  exemple,  le  livre  et  le  rapport 
de  Hœniger  —  donnent  un  démenti  aux  déclarations  intéres- 
sées de  Soukhomlinof. 

II,  Les  questions  de  chronologie  sont  beaucoup  plus  com- 
pliquées. 

A  quelle  date  a  été  prise  la  décision  primitive  (la  signature 
de  l'ordre  de  miobilisation  générale  par  les  ministres)  et  à 
quel  moment  faut-il  placer  le  contre-ordre  du  Tsar  ?  Le 
12  (25)  juillet,  il  y  aurait  eu,  dit  Soukhomlinof  dans  le 
compte  rendu  des  Izvestia,  un  premier  entretien  téléphonique 
entre  le  Tsar  et  le  ministre  de  la  guerre.  Le  souverain  aurait 


LA  MOBILISATION  RUSSE  EN   1914  67 

parlé  d'une  promesse  qu'il  avait  reçue  de  l'empereur  d'Alle- 
magne. Il  n'est  guère  possible  d'admettre  ce  récit,  car,  à  la 
date  du  25,  les  Documents  allemands  ne  portent  pas  trace 
d'un  échange  de  dépêches  entre  Guillaume  II  et  Nicolas  II 
Le  14  (27),  continuent  les  Izvestia,  —  dont  le  récit  est  confirmé 
sur  ce  point  par  les  Birjevyia  Viedomostt,  —  l'ordre  de  mobili- 
sation est  établi,  et  signé  par  les  ministres  :  telle  aurait 
été  la  déclaration  faite,  au  tribunal,  par  Januskhevitch  ; 
mais  Soukhomlinof,  d'après  les  mêmes  journaux,  déclare 
qu'il  s'agissait  là  seulement  d'un  ordre  de  «  mobilisation 
préparatoire  »  (l'organisation  militaire  russe  comportait,  en 
effet,  des  mesures  de  «  pré-mobilisation  »,  qui  présentaient 
quelque  analogie  avec  le  Kriegsgefahrzusîand  de  l'organisa- 
tion allemande).  Ces  comptes  rendus  contiennent  donc  des 
contradictions  ou  des  invraisemblances  flagrantes. 

D'après  le  texte  du  Rousskoïe  Slovo  (qui  est  aussi  celui  du 
Novoïe  Vremia  et  du  Dién),  c'est  seulement  le  17  (30)  que 
Januskhevitch  aurait  présenté  l'ukaze  à  la  signature  des 
ministres  ;  mais  cette  date  non  plus  n'est  pas  vraisemblable, 
puisque,  en  un  autre  passage  de  son  témoignage,  le  général, 
d'après  les  mêmes  journaux,  déclare  que  le  16  (29),  lors  de 
son  entretien  avec  l'attaché  militaire  allemand  Eggeling,  il 
avait  en  poche  l'ordre  de  mobilisation.  C'est  encore  dans  la 
soirée  du  17  (30)  que  Januskevitch  aurait  reçu  le  contre-ordre 
du  Tsar  ;  mais  Soukho.mlinof,  d'après  les  mêmes  comptes 
rendus,  place  cet  incident  dans  la  soirée  du  16  (29)  juillet 
Ici  encore,  incertitudes  et  contradictions. 

Par  contre,  dans  le  texte  du  Rietch  et  dans  celui  de  la 
Rousskaïa  Volia,  les  déclarations  de  l'accusé  et  du  tém.oin 
sont  concordantes  :  tous  deux  affirment  que  l'ordre  avait  été 
signé  d'abord  dans  la  journée  du  16  (29),  et  rapporté  dans- 
la  soirée  du  même  jour  ;  ces  indications  sont  confirmées  par 
les  témoignages  les  plus  récents  :  ceux  de  M.  Paléologue,  du 
général  Dobrorolsky,  et  par  les  documents  cités  par  M.  Hœ- 
niger. 

A  quelle  date  faut-il  placer  maintenant  la  décision  définiti- 
ve du  Tsar  ?  Ici  les  divergences  s'atténuent  :  les  déclarations 
de  Soukhomlinof,  à  cet  égard,  sont  reproduites  de  la  même 
façon  par  tous  les  comptes  rendus.  C'est  bien  le  17  (30)  juil- 
let, que  le  souverain  a  donné  à  nouveau  son  assentiment  aux 


58  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

mesures  demandées  par  l'Etat-major.  D'après  neuf  comptes 
rendus,  sur  douze,  le  témoignage  de  Januskhevitch  donne  une 
date  identique  :  les  Izvestia  sont  ici  d'accord  avec  la  Rietch 
et  les  Birjevyia  Viedomosti.  C'est  seulement  dans  la  version 
Rousskoïe  Slovo  (1)  que  ces  événements  paraissent  retardés 
d'un  jour,  sans  qu'à  vrai  dire  la  date  du  18  (31)  soit  expres- 
sément citée  ;  mais  j'ai  déjà  dit  plus  haut  quel  doute  pouvait 
inspirer  la  valeur  de  ce  compte  rendu.  D'ailleurs  tous  les 
témoignages  postérieurs  ont  confirmé  qu'il  fallait  bien  placer 
au  17  (30)  juillet  la  décision  définitive  du  gouvernement  russe. 

III.  Enfin,  l'étude  critique  de  ces  textes  pose  encore  deux 
questions  accessoires,  qui  se  rattachent  à  une  même  idée  : 
sous  quelles  influences  le  Tsar  a-t-il  évolué  ?  C'est  un  télé- 
gramme de  Guillaume  II  qui  l'aurait  déterminé,  le  16  (29)  au 
soir,  à  transformer  la  mobilisation  générale  en  une  mobilisa- 
tion partielle.  Le  Kaiser  donnait  sa  parole  d'honneur,  disent 
les  comptes  rendus,  que  l'Allemagne  ne  ferait  pas  la  guerre, 
si  la  Russie  renonçait  à  la  mobilisation  générale  :  or,  parmi 
les  dépêches  échangées  entre  les  souverains  (2),  il  n'y  en  a 
pas  une  seule  dont  le  contenu  réponde  à  ces  indications. 

D'autre  part,  plusieurs  comptes  rendus  du  procès  de  Sou- 
khomlinof  font  allusion  à  un  télégramme  parvenu  de  Berlin 
le  30  au  matin  :  l'ambassadeur  Sverbejeff  aurait  annoncé  que 
l'Allemagne  mobilisait  toutes  ses  forces  ;  c'est  cette  nouvelle 
qui  aurait  déterminé  la  décision  définitive  du  Tsar.  Quel  était 
ce  télégramme  ?  Sverbejeff  a  bien  transmis  de  Berlin,  ce  jour- 
là,  la  nouvelle  prématurée  d'une  mobilisation  allemande,  que 
venait  de  lancer  le  Lokal  Anzeiger  ;  mais  c'est  seulem.ent  au 
début  de  l'après-midi,  vers  1  heure  1/2,  qu'il  a  rédigé  cette 
dépêche  :  elle  n'est  parvenue  à  Pétersbourg,  semble-t-il,  que 
dans  la  seconde  partie  de  l'après-midi,  après  la  décision  de 
mobilisation.  S'agirait-il  d'un  télégramme  expédié  le  29  au 
soir,  et  parvenu  à  Pétersbourg  le  30  au  matin  ?  la  correspon- 
dance de  Sverbejeff,  telle  que  l'ont  publiée  les  Archives  Rou- 
ges (1),  contient  une  pièce  de  cette  date  :  jagow  avait  dit 
à  l'ambassadeur  russe  que  les  mesures  de  pré-mobilisation 

^V^  ?"'  ^^*  aussi,  je  le  rappelle,  celle  du  Novoïé  Vremia  et  du  Dien. 

(2)  Le  texte  en  a  été  publié  dans  les  Documents  allemands  relatifs  à  l'orinine 
de  la  gue.re. 

(3)  Les  Débats  du  3-4  octobre  1922  en  ont  donné  une  traduction. 


i 


LA  MOBILISATION  RUSSE  EN   1914  69 

prises  sur  la  frontière  russo-allemande  et  la  décision  de 
mobilisation  partielle  allaient  obliger  l'Allemagne  à  mobi- 
liser elle  aussi.  Mais  le  télégramme  ne  prétendait  pas 
que  cette  mobilisation  fût  commencée.  D'autre  part,  le  mi- 
nistre de  Russie  à  Stuttgart,  Lermontof,  télégraphiait  le 
30  que  les  réservistes  allemands  étaient  appelés  pour 
le  surlendemain  ;  mais  l'heure  d'arrivée  de  cette  dépêche  n'est 
pas  connue  (1). 

Il  faut  bien  avouer  que  cette  brève  étude  des  débats  laisse 
une  impression  de  confusion  et  d'incohérence.  Comment  s'en 
étonner,  puisque  ce  sont  des  comptes  rendus  de  presse  qui 
constituent  notre  seule  documentation  ?  Ce  serait  grand  dom- 
mage, —  si,  depuis  1917,  des  témoignages  et  des  documents 
nouveaux  n'étaient  venus  éclaircir  un  peu  cette  question 
de  la  mobilisation  générale  russe  (2).  Aujourd'hui,  grâce  à  ces 
renseignements,  le  procès  Soukhomlinoff  ne  nous  apparaît  que 
comme  une  source  d'intérêt  secondaire. 

Peut-être  le  seul  résultat  de  ces  menues  recherches  sera-t-il 
de  l'avoir  démontré. 

Pierre  Renouvin. 

(1)  Archives  Rouges,  I,  p.  182.  Ce  texte  est  donné  en  français. 

(2)  Cet  article  était  entièrement  composé  quand  nous  sont  parvenus  les 
Souvenirs  de  Soukliomlinoff,  récemment  publiés  à  Barlin.  Il  n'en  est  donc 
pas  fait  état  ici,  pas  plus  que  des  nouveaux  documents  russes,  signalés 
dans  la  chronique. 


BIBLIOGRAPHIE 


LES  LIVRES  NOUVEAUX 

Winston  Churchill,  Premier  Lord  de  l'Amirauté  de  1912  à  1915.  — 
The  World  Crisis  1915  (La  crise  mondiale  en  1915).  Londres, 
Thornton  Butterworth,  1924,  in-8°,  557  pages.  —  Cartes. 

Le  deuxième  volume  du  grand  ouvrage  de  Winston  Churchill  est  spé- 
cialement consacré  à  la  défense  de  son  rôle  dans  la  conception  et  l'exé- 
cution de  l'expédition  aux  Dardanelles.  Mais  il  est  tellement  nourri  de 
faits  et  de  documents,  il  fournit  tant  de  renseignements  précieux  et  iné- 
dits que  l'intérêt  de  sa  lecture  dépasse  de  beaucoup  celui  que  présen- 
tent les  responsabilités  personnelles  encourues  par  l'auteur. 

Voici  d'après  quelles  considérations  celui-ci  entreprend  de  se  justi- 
fier. 

A  son  avis,  vers  la  fin  de  1914,  les  opérations  aussi  bien  sur  terre 
que  sur  mer  étaient  arrivées  à  un  «  point  mort  ■». 

D'un  côté,  les  amiraux  n'envisageaient  plus  que  le  bl»cus  des  côtes 
allemandes  ;  de  l'autre,  les  généraux,  contraints  à  la  stagnation  résul- 
tant de  la  guerre  de  tranchées,  n'avaient  plus  d'autres  perspectives  que 
la  guerre  d'usure,  et  les  attaques  de  front  coûteuses  et  incapables  d'a- 
mener la  solution  définitive. 

Winston  pensa  que  seule  la  manœuvre  pouvait  avancer  les  choses, 
et  que,  comme  celle-ci  était  interdite  sur  le  champ  de  bataille,  il  fallait 
la  chercher  ailleurs. 

L'Orient  était  particulièrement  tentant  à  ce  point  de  vue,  car  on  sut 
de  bonne  heure  à  Londres  que,  malgré  les  apparences,  la  situation  de 
la  Russie,  spécialement  par  suite  du  manque  de  matériel,  deviendrait 
bientôt  critique.  Sauver  la  Serbie,  rallier  à  l'Entente  tous  les  Etats  bal- 
kaniques et  l'Italie,  écraser  la  Turquie  était  un  but  dont  l'importance 
pouvait  être  décisive  et  qui  méritait  de  grands  sacrifices.  C'est  ainsi 
que,  dès  la  fin  de  novembre  1914,  Churchill  avait  proposé  de  mainte- 
nir en  Egypte  deux  divisions  australiennes  et  d'y  envoyer  d'Angle- 
terre une  division  territoriale,  pour  former  le  noyau  d'une  armée  qui, 
avec  l'aide  des  Grecs,  s'emparerait  de  la  presqu'île  de  Gallipoli,  alors 
sans  défense.  C'eût  été  un  «  coup  de  maître  »;  mais  Kitchener  avait  re- 
fusé. Outre  que  l'armée  britannique  en  France  était  à  peine  remise 
des  sanglantes  affaires  d'Ypres,  on  pensait  à  une  grande  opération 


BIBLIOGRAPHIE 


71 


le  long  de  la  côte  belge.  On  dut  renoncer  devant  l'opposition  du  haut 
commandement  français. 

Or,  à  ce  moment,  les  Russes,  fortement  pressés  en  Transcaucasie, 
demandaient  à  être  dégagés  par  une  offensive  alliée  contre  la  Turquie, 
tout  au  moins  par  une  «démonstration  navale  ou  militaire  »,  et,  dès 
le  2  janvier.  Kitchener  faisait  télégraphier  par  le  Foreign  Office  à  Pé- 
trograd  que  «  les  mesures  allaient  être  prises  en  conséquence  ». 

Tout  ceci  est  absolument  prouvé  aujourd'hui  non  seulement  par  les 
pièces  fournies  par  Churchill,  mais  par  le  témoignage  de  Williams,  l'at- 
taché militaire  britannique  auprès  du  Grand-Duc,  que  nous  avons  ciié 
ailleurs  ;  et  ces  faits  méritent  d'être  rapprochés  de  l'attitude  que 
devaient  avoir  plus  tard  le  gouvernement  russe  et  certains  de  ses 
agents  à  Paris. 

Le  3  janvier,  Lord  Fisher  ayant  donné  son  assentiment  et  présen- 
té un  projet  d'opérations,  l'Amiral  Carden  était  consulté  sur  la  possi- 
bilité de  faire  franchir  les  Dardanelles  à  ses  navires.  Le  5,  il  répondait 
négativement  sur  les  chances  de  succès  d'un  «  rush  »,  niais  au  con- 
traire donnait  un  avis  favorable  au  «  forcement  »  des  passes,  pourvu 
qu'on  ait  un  grand  nombre  de  vaisseaux.  Le  11,  invité  à  préciser  les 
projets,  il  envoyait  un  plan  d'opérations  comportant  la  réduction  des 
défenses  de  l'entrée  du  détroit,  la  destruction  des  batteries  intérieures, 
de  celles  de  Chanak,  l'enlèvement  des  mines  et  le  passage  d'Une  esca- 
dre de  12  vaisseaux,  3  croiseurs  de  bataille,  3  croiseurs  légers,  16  des- 
troyers, 6  sous-marins,  12  dragueurs  de  mines,  4  hydravions  dans  la 
mer  de  Marmara. 

«  Ce  plan,  dit  Churchill,  produisit  une  grande  impression...  il  cons- 
tituait une  proposition  toute  nouvelle...  »  En  effet,  au  lieu  d'une  pous- 
sée (rush),  i!  s'agit  d'un  bombardement  méthodique  des  forts  avant 
d'essayer  de  franchir  les  passes.  L'Etat-Major  de  l'Amirauté  s'y  rallia 
avec  empressement  et  proposa  même  d'envoyer  aux  Dardanelles  le  cui- 
rassé tout  neuf  Queen  Elisabeth,  dont  les  énormes  canons  pourraient 
agir  à  une  distance  supérieure  à  la  portée  des  canons  que  possé- 
daient les  Turcs.  Ce  que  les  gros  obusiers  allemands  avaient  fait  des 
forts  de  Liège  et  d'Anvers,  on  pensait  qu'on  l'obtiendrait  des  pièces 
de  15  pouces  de  ce  magnifique  dreadnought.  Pourtant  il  ne  semble 
pas  qu'on  ait  tenu  un  compte  suffisant  d'abord  de  la  difficulté  d'obser- 
vation du  tir  d'un  navire  contre  une  batterie  de  terre,  puis  de  la  fai- 
ble charge  en  explosif  des  obus  de  marine,  comparée  à  celle  des  pro- 
jectiles de  400  employés  par  les  Allemands. 

Quant  aux  autres  vaisseaux,  on  pouvait  consacrer  à  l'opération  ceux 
qui,  étant  d'un  modèle  veilli,  n'ajoutaient  rien  à  la  force  de  la  grande 
flotte,  et  Churchill  insiste  sur  le  fait  que  plusieurs  d'entre  ceux  q  n 
furent  employés  aux  Dardanelles  allaient  être  déclassés  et  démolis. 

Les  Français  ayant  promis  le  concours  de  quatre  cuirassés,  déjà 
rendus  sur  les  lieux,  le  plan  Carden  fut  approuvé  le  13  janvier  par  le 
Conseil  de  guerre.  Kitchener  s'y  était  rallié  en  ajoutant  «qu'on  pourrait 
toujours  renoncer  au  bombardement  s'il  se  révélait  inefficace.  »  . 
L'amiral  Jackson  avait  également  donné  son  assentiment,  et  Chur- 
chill paraît  fondé  à  dire  que  «  l'élaboration  de  ce  plan  avait  été  pure- 


72  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

ment  navale  et  professionnelle...  Ce  n'est  pas  pour  diminuer  ni  dégager 
ma  responsabilité.  Ce  n'est  pas  là  qu'elle  réside.  Je  n'ai  pas  fait  et  ne 
pouvais  établir  ce  plan.  Mais  une  fois  qu'il  a  été  établi  par  les  auto- 
rités navales,  façonné  et  endossé  par  les  techniciens,  approuvé  par  le 
Premier  Lord  de  la  Mer,  j'ai  eu  à  l'appliquer,  et  j'y  ai  consacré  tous 
mes  efforts.  Quand  d'autres  faiblirent  et  changèrent  d'avis  sans  motifs 
nouveaux,  je  m'en  tins  fortement  aux  décisions  antérieures...  » 

Toutefois  Churchill  oublie  ce  dont  se  souvinrent  certains  de  ceux  qui 
connurent  ces  faits, notamment  le  regretté  Sir  Julian  Corbett,  dont  nous 
avons  reçu  peu  après  l'événement  l'avis  très  autorisé  ;  C'est  l'influence 
personnelle  que,  par  la  force  de  sa  conviction,  son  talent  de  parole, 
l'ascendant  de  son  intelligence  et  de  son  caractère,  le  Premier  Lord  Ci- 
vil exerça  sur  ses  collaborateurs  .11  dut  leur  persuader  que  ce  qu'il 
avait  vu  à  Anvers  se  reproduirait  aux  Dardanelles,  qu'aucune  défense 
terrestre  ne  pourrait  résister  aux  gros  canons  modernes,  et  c'est  de 
très  bonne  foi  que  les  Amiraux  entrèrent  dans  ses  vues. 

Quoi  qu'il  en  soit,  cette  unité  obtenue  au  milieu  de  janvier  ne  devait 
pas  durer.  —  Le  combat  de  Dogger  Bank  n'avait  pas  eu  le  résultat  dé- 
cisif qu'on  pouvait  espérer,  et  l'amiral  Jellicoe  se  montrait  inquiet  de 
la  faible  marge  de  supériorité  que  possédait  alors  la  Grande  Flotte  sur 
la  Flotte  de  Haute  Mer  allemande.  Lord  Fisher,  entrant  dans  ses  vues, 
allait  se  montrer  peu  disposé  à  détacher  en  Méditerranée  le  Queen 
Elisabeth  et  d'autres  navires.  D'autre  part,  les  Russes  se  déclaraient  in- 
capables de  faire  coopérer  à  l'entreprise  contre  Constantinople  leur  es- 
cadre de  la  Mer  Noire  ou  d'effectuer  un  débarquement  à  l'entrée  Nord 
du  Bosphore.  Au  conseil  de  guerre  tenu  le  28  janvier,  où  l'expédition 
des  Dardanelles  avait  été  décidée,  il  avait  fallu  l'influence  conjuguée  de 
Churchill  et  de  Kitchener  pour  retenir  Fisher  qui  déjà  s'était  levé  de 
table  et  allait  se  retirer.  Comme  le  dit  justement  Churchill,  «  le  plan 
consistant  à  bombarder  méthodiquement  les  défenses  extérieures,  puis 
les  autres,  et  à  préparer  pas  à  pas  l'entrée  de  l'escadre  dans  la  mer  de 
Marmara  avait  été  adopté  non  pas  parce  que  c'était  la  méthode  d'at- 
taque idéale,  mais  parce  qu'on  nous  avait  dit  qu'aucune  force  militaire 
n'était  disponible  et  parce  que  nous  voulions  répondre  à  l'appel  dU 
Grand-Duc.  Nous  avons  entrepris  cette  opération  avec  ce  que  nous 
avions  de  ressources  en  surplus,  après  avoir  complètement  assuré  à  la 
Grande  Flotte  ce  qu'il  lui  fallait  pour  remplir  ses  grands  devoirs:  sû- 
reté des  lies  Britanniques,  complet  dégagement  des  mers,  protection  du 
commerce,  transport  des  troupes,  toutes  tâches  dont  l'accomplissement 
mérite  bien  quelque  reconnaissance  envers  l'amirauté.  En  ce  qui  me 
concerne,  j'ai  entrepris  cette  œuvre  avec  le  sincère  désir  d'être  utile 
à  la  cause  commune  et  de  tirer  le  plus  grand  parti  possible  de  notre 
puissance  navale.  J'ai  cru  que  c'était  mon  devoir...  Tout  compte  fait, 
je  ne  regrette  pas  cet  effort.  Nous  avons  bien  fait  de  l'entreprendre. 
Mais  n'y  pas  persévérer  fut  un  crime.  » 

D'autre  part,  Churchill  constate  que,  dès  le  milieu  de  janvier  1915, 
après  l'abandon  du  projet  d'offensive  sur  la  côte  belge,  la  fin  de  l'in- 
surrection dans  l'Afrique  du  Sud,  l'échec  des  Turcs  devant  le  canal  de 
Suez,  des  forces  considérables  restaient  disponibles  pour  une  opération 


BIBLIOGRAPHIE  -3 

aux  Dardanelles.  Sans  gêner  le  progrès  de  la  préparation  à  la  guerre 
des  troupes  de  nouvelle  formation.on  aurait  pu  envoyer  145.000  hommes 
d'Angleterre,  d'Egypte  et  de  France,  car  les  Français  avaient  offert 
deux  divisions,  et  les  faire  débarquer  dans  les  premiers  jours  de  mars. 
Une  telle  expédition  à  cette  date  aurait  eu  un  succès  assuré. 
Or  les  mesures  prises  furent  très  différentes. 

Tout  en  adoptant  le  plan  d'attaque  maritime,  le  Conseil  de  guerre, 
dans  sa  séance  du  28  janvier,  avait  admis  qu'il  pourrait  être  utile  de 
faire  agir  des  troupes  de  terre,  tout  au  moins  pour  exciter  les  Grecs  à 
prêter  leur  appui  à  l'entreprise  contre  les  Dardanelles.  Il  s'agissait  d'a- 
bord de  la  29''  division,  encore  en  Angleterre,  et  réclamée  depuis  long- 
temps par  le  maréchal  French,  puis  d'une  division  française  :  et  l'offre 
en  fut  faite  à  Venizelos  à  la  suite  d'un  conseil  tenu  le  9  février.  Comme 
il  fallait  s'y  attendre,  elle  sembla  insuffisante  au  gouvernement  hellé- 
nique et  fut  déclinée.  Cependant,  le  16,  on  décida  d'envoyer  à  Lemnos 
la  29^  division,  et  de  préparer  des  renforts  en  Egypte  pour  pouvoir 
éventuellement  soutenir  l'attaque  qu'allait  entreprendre  l'escadre  contre 
les  Dardanelles.  Mais,  entre  temps,  Kitchener,  cédant  aux  instances  du 
maréchal  French  et  aux  objections  du  Haut  Commandement  français, 
revenait  sur  sa  décision,  et,  le  20  février,  le  Conseil  de  guerre  était  for- 
cé de  renoncer  à  l'envoi  de  la  29*  division. 

Mais  comme  le  bombardement  des  défenses  extérieures  par  l'escadre 
avait  commencé  dès  le  19  et  que  les  premiers  résultats  semblaient  en- 
courageants, on  se  décida  le  10  mars  à  prescrire  l'envoi  à  Lemnos  de 
la  29'  division.  Une  division  française  était  prête  à  la  rejoindre,  et 
Venizelos,  changeant  d'avis,  offrit  l'appui  d'un  corps  d'armée  grec  à 
3  divisions.  C'était  le  succès  assuré.  Mais  alors  se  produisit  un  étran- 
ge coup  de  théâtre.  Le  gouvernement  russe,  sur  la  demande  duquel 
tout  avait  été  fait  jusqu'alors,  opposa,  le  3  mars,  un  veto  absolu  à  la 
coopération  des  troupes  grecques  dans  les  opérations  des  Dardanelles. 
Bientôt  il  allait  revendiquer  comme  but  de  la  guerre  la  possession  de 
Constantinople,  et,  par  cet  acte  impolitique,  s'aliéner  toutes  les  puis- 
sances balkaniques,  et  compromettre  gravement  la  partie  engagée. 

On  sait  le  reste,  le  grave  échec  du  18  mars  que  Churchill  attribue  à 
un  hasard  malheureux  :  des  mines  mouillées  inopinément  à  l'entrée  des 
détroits  dans  une  région  qu'on  croyait  sûre,  le  retard  de  l'intervention 
des  troupes  de  terre  confiées  au  général  lan  Hamilton,  ces  opérations 
sanglantes  où  les  forces  alliées,  bien  que  constamment  renforcées,  se 
trouvent  toujours  inférieures  à  leurs  adversaires  qui  augmentent  plus 
vite  qu'elles.  Pourtant  on  devait  être  tout  près  du  succès  lors  de  la 
bataille  de  Suvla,  compromise  par  une  regrettable  erreur  de  certains 
généraux  britanniques. 

Jusqu'au  bout  Churchill  devait  lutter  contre  les  lenteurs,  les  indéci- 
sions de  ses  collègues,  insister  pour  des  solutions  radicales,  s'indigner 
de  l'inaction  de  la  flotte  qui,  par  crainte  des  sous-marins,  n'osa  plus 
rien  tenter.  Au  moment  où  l'on  va  renoncer  à  l'entreprise,  il  appuiera 
de  toutes  ses  forces  l'audacieux  projet  du  Commodore  Keyes,  qui  pré- 
tend forcer  les  passes  au  moyen  des  navires  seuls  et  qui  n'est  pas  au- 
torisé à  l'essayer. —  «  Il  est  impossible,  dit-il  pour  conclure,  de  rasseni- 


;74  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

bler  cette  longue  série  d'occasions  manquées  sans  éprouver  une  sorte 
d'horreur.  Il  y  eut  au  moins  douze  situations,  on  le  sait  maintenant, 
où  nous  aurions  dû  avoir  le  succès  décisif...  Si,  au  moment  où  on  a  dé- 
cidé l'attaque  par  la  flotte  seule,  on  avait  su  qu'une  armée  était  dispo- 
nible, une  opération  combinée  aurait  réussi.  Si,  après  l'échec  du  18 
mars,  la  flotte  avait  procédé  au  draguage  des  mines,  les  Turcs  n'au- 
raient pu  s'y  opposer,  faute  de  munitions.  Si  l'envoi  de  la  29'  division 
n'avait  pas  été  retardé,  si,  même  expédiée  à  la  date  où  elle  l'a  été,  elle 
avait  été  embarquée  de  façon  à  pouvoir  débarquer  de  suite,  Sir  lan 
Hamilton  aurait  trouvé,  le  18  mars,  la  presqu'île  de  Gallipoli  presque 
sans  défense.  Les  combats  de  juin  et  juillet  sont  hautement  sujets  à  cri- 
tique, mais  le  moindre  renfort  à  ce  m.oment  aurait  assuré  le  succès 
La  paralysie  du  pouvoir  exécutif  pendant  la  formation  du  ministère 
de  coalition  fit  perdre  six  semaines,  pendant  lesquelles  les  Turcs  dou- 
blèrent leurs  forces...  Le  rôle  du  IX^  corps  pendant  la  bataille  de 
Suvla  serait  incroyable  s'il  n'était  pas  vrai.  La  démission  de  Fisher. 
mon  départ  de  l'amirauté, l'impopularité  de  l'expédition  des  Dardanelles 
par  pure  ignorance  intimidèrent  nos  successeurs,  qui  n'osèrent  prendre 
la  responsabilité  des  risques  qu'il  fallait  encourir.  Le  refus  de  l'alliance 
grecque  et  de  son  armée  quand  elles  furent  offertes  en  1914,  l'échec  su- 
bi quand  on  les  demanda  en  1915,  la  folle  attitude  de  la  Russie...,  les 
circonstances  extraordinaires  qui  firent  décider  à  Paris  l'envoi  du  gé- 
néral Sarrail  pour  commander  une  grande  expédition  française  sur 
la  côte  d'Asie,  puis  le  renoncement  de  cette  politique  si  pleine  de  pro- 
messes;— les  forces  devenues  disponibles  à  la  fin  de  1915  détournées  de 
cet  objectif  vital,  Constantinople,  au  profit  de  l'entreprise  secondaire  de 
Salonique,  qui  devait  être  stérile  pendant  trois  années  ;  - —  la  décision 
finale  d'évacuer  la  presqu'île  de  Gallipoli  au  moment  où  la  situation  de 
l'armée  turque  demeurait  désespérée  et  où  la  flotte  reprenait  confian- 
ce :  tout  cela  constitue  autant  de  tragédies  distinctes  ». 

Ces  erreurs  successives  sont  en  effet  flagrantes,  et  Winston  Chur- 
chill est  fondé  à  les  signaler.  Mais  n'en  porte-t-il  pas  sa  part  comme 
membre  du  Gouvernement  qui  les  commit  ?  S'il  est  vrai  que  les  mé- 
moires qu'il  adressa  à  ses  collègues  prouvent  de  la  clairvoyance  et  de 
l'énergie,  s'il  est  exact  qu'il  ne  fut  pas  le  maître  de  faire  prévaloir  ses 
vues,  il  ne  se  rallia  pas  moins  par  ses  actes  au  procédé  des  efforts 
successifs  par  petits  paquets,  système  désastreux  et  cent  fois  condam- 
né par  l'expérience.  Ni  lui,  ni  surtout  Kitchener,  ne  comprirent  la  gra- 
vité de  la  faute  initiale  commise  en  engageant  l'affaire  au  moyen  de 
la  flotte  seule.  Contrairement  à  l'opinion  du  Maréchal,  l'événement  de- 
vait prouver  qu'après  l'échec  des  vaisseaux,  on  ne  pouvait  plus  se  re- 
tirer sans  un  grave  préjudice  moral.  Déplorablement  engagée,  la  par- 
tie devait  être  encore  plus  mal  conduite,  mais  ce  n'est  pas  une  raison 
pour  oublier  que  l'armée  turque  trouva  son  tombeau  aux  Dardanelles 
et  ne  fut  plus  capable  du  grand  rôle  qui  aurait  pu  lui  incomber  dans 
les  opérations  d'ensemble. 

Edouard  Desbrière. 


i 


BIBLIOGRAPHIE 


75 


D"'  Vasil  Radoslavoff.  —Bidgarien  und  die  Weltkrise.  (La  Bulgarie 
et  la  crise  mondiale.)  Berlin,  Ullstein,  1923,  in-8,  313  pages. 

L'ouvrage  de  M.  Radoslavoff  est  un  exposé  impersonnel  de  la  poli- 
tique extérieure  bulgare  de  1878  à  1918.  L'auteur  parle  peu  de  lui  :  le 
«  ministre  président  »  est  un  personnage  qui  apparaît  rarement  dans 
la  partie  de  l'ouvrage  consacrée  à  la  guerre,  \xn  peu  plus  courte  d'ail- 
leurs que  l'autre.  M.  R.  se  réfère  deux  fois  à  des  notes  personnelles  ; 
il  connaît  les  livres  diplomatiques,  les  recueils  de  documents  allemands 
et  russes,  les  mémoires  des  grands  actem-s  des  Empires  centraux,  les 
souvenirs  de  M.  Marcel  Dunan.  Notons  qu'il  utilise  et  cite  le  livre 
rouge  bulgare,  peu  accessible  aux  c'nercheurs. 

Il  y  a  des  renseignements  nouveaux  sur  l'année  de  la  neutralité. 
M.  R.  signale  le  mécontentement  russe  (échange  de  notes  au  début 
d'août)  :  par  contre,  le  roi  Carol  conseille  aux  Bulgares  d'isoler  la 
Serbie  et  de  l'attaquer.  Sur  la  rupture,  il  cite  les  traités  d'alliance  et  de 
partage,  la  convention  militaire  avec  les  Empires  centraux  ;  ces  docu- 
ments sont  du  6  septembre  :  la  mobilisation  du  9  n'en  est  pas  moins 
qualifiée  d'acte  de  précaution. 

M.  R.  ne  nous  apprend  pas  grand  chose  sur  les  années  de  guerre  : 
il  confirme  ce  qu'affirment  les  mémoires  d'Erzberger,  de  Czernin,  des 
grands  chefs  allemands  sur  l'effet  produit  à  Sofia  par  l'intervention 
roumaine,  sur  l'effet  aussi  de  la  perte  de  Monastir,  de  la  motion  de 
paix  de  1917.  Sur  l'affaire  de  la  Dobroudja,  il  nous  dit  que  le  projet 
de  condominium  avait  été  préparé  dès  Brest-Litovsk  entre  Autri- 
chiens et  Allemands  :  mécontents  dès  1917,  les  Bulgares  ne  rompirent 
pas  avec  l'Amérique. 

L'ouvrage  enrichit  d'un  épisode  l'histoire  des  tentatives  de  paix  de 
1917  :  on  «  prêta  »  à  l'Allemagne  M.  Risoff,  ministre  à  Berlin,  pour 
aller  à  Christiania  et  Stockholm  (février  et  m.ars  1917),  nouer  des  fils. 
Le  dernier  ministre  des  affaires  étrangères  tsariste  ne  voulut  enten- 
dre parler  que  d'une  paix  séparée  bulgare  (l'idée  allemande  était  la 
paix  séparée  russe). 

L'ouvrage  s'égaie  de  quelques  propos  de  l'empereur  Guillaume, 
recueillis  par  M.  R.;  après  la  révolution  russe, et  peu  avant  le  procès  du 
général  Soukhomlinof,  l'Empereur  rejette  la  responsabilité  de  la 
guerre  sur  les  hauts  dignitaires  de  l'entourage  du  Tsar,  et  s'étorne 
de  l'impuissance  du  clergé  russe,  de  l'abandon  du  «  Petit  père  »  par 
les  populations  rurales  (p.  127).  Ailleurs  (p.  307)  Guillaume  H  exerce 
non  sans  succès  sa  séduction  sur  M.  R.,  il  le  persuade  de  ses  bonnes 
intentions  pour  la  Dobroudja,  et  lui  révèle  que  l'affaire  des  manuscrits 
bulgares  de  Bucarest  est  réglée  selon  ses  vœux  «  pour  la  satisfaction 
des  professeurs  bulgares  »  (1)  ! 

A.  Lajusan. 

(1)  Il  y  a  quelques  lapsus  calami  on  fautes  d'impression  :  page  23,  il  est 
question  de  Crispi  au  Congrès  de  Berlin  (et  le  rôle  de  l'Italie  est  ana- 
chroniquemeut  grossi);  ji.  27, erreur  d'une  année  sur  l'expédition  de  Tripoli, 
p.  68,  d'un  mois  sur  le  traité  d'Ouchy.  —  P.  139,  lire  1912  et  non  1902, 
et  p.  217,  Allemagne  au  lieu  de  Bulgarie. 


y 6  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

J.-J.-G.-  Baron  van  Voorst  tôt  Voorst.  —  Over  Roermond  !  En  stra- 
tegische  studie.  (Par  Roermond  :  une  étude  stratégique)  La  Haye, 
1923,  in-8,  63  pages.  (Annexe  au  numéro  de  septembre  de  la  revue 
militaire  hollandaise.  De  Militaire  Spectator,) 

Dans  cette  revue  stratégique,  qu'il  intitule  «  Par  Roermond  !  », 
M.  Van  Voorst  tôt  Voorst,  capitaine  de  l'état-major  hollandais,  traite 
des  différents  plans  allemands  en  ta^nt  qu'ils  concernaient  la  Hollande. 

Au  milieu  du  xix''  siècle,  l'état-major  hollandais  se  bornait  à  la 
défense  des  provinces  occidentales,  que  rendaient  facile  le  caractère 
de  leur  sol  et  les  grands  fleuves,  et  négligeait  la  défense  des  provinces 
de  Limbourg  et  de  Brabant  septentrional.  Au  cas  d'une  offensive  fran- 
çaise à  travers  la  Belgique  et  la  Hollande,  Moltke,  en  1859  et  1861, 
comptait  sur  une  défense  active  de  la  part  des  Belges  qui  avaient  une 
armée  de  100.000  hommes,  alors  qu'il  croyait  que  la  Hollande,  avec 
son  armée  en  campagne  de  30.000  hommes,  renoncerait  à  la  défense 
des  passages  de  la  Meuse  à  Maastricht,  Roermond  et  Venlo.  A  partir 
de  1871,  les  plans  allemands  exclurent  une  violation  tant  de  la  Hol- 
lande que  de  la  Belgique  ;  c'est  seulement  en  1894  que  l'invasion  de 
la  Belgique  entra  dans  les  projets  de  Schlieffen. 

On  sait  qu'en  1905,  Schlieffen  voulait  profiter  de  l'occasion  favo- 
rable (la  Russie  était  jugée  incapable  de  remplir  ses  devoirs  d'alliée) 
pour  écraser  la  France.  C'est  pourquoi  l'Empereur  le  remplaça  par 
Moltke.  Les  mémoires  de  ce  dernier  ont  révélé  récemment  quelques 
détails  inconnus  des  plans  de  Schlieffen  (1).  Avec  beaucoup  de  pers- 
picacité, M.  Van  Voorst  retrace  l'ensemble  du  pian  d'opérations  de 
Schlieffen  au  moyen  de  données  que  lui  fournissent  les  auteurs  mili- 
taires allemands  Kûhl,  Montgelas,  Foerster,  Groener,  Rochs,  Freytag 
et  Moltke.  Schlieffen  se  proposait  de  grouper  son  aile  droite  (qui  com- 
prenait 24  divisions)  à  la  frontière  du  Limbourg  hollandais  et  de  lui 
faire  passer  la  Meuse  entre  Maastrischt  et  Roermond  ;  en  sortant  du 
territoire  hollandais,  ces  divisions  devaient  cerner  l'armée  belge  en 
l'empêchant  de  se  retirer  sur  Anvers  ;  puis  elles  devaient  se  diriger 
vers  Gand  et  longer  la  côte  jusqu'à  Abbeville.  Dans  cette  manœuvre, 
l'étendue  et  la  force  de  l'aile  droite  suffiraient  à  exécuter  un  mouve- 
ment autour  de  Paris,  afin  de  menacer  les  communications  de  l'armée 
française  (qui  se  trouverait  à  ce  m.oment  sur  la  Marne).  Mais,  pour 
renforcer  à  ce  point  l'aile  droite,  il  était  nécessaire  de  lui  faire  passer 
la  Meuse  en  territoire  hollandais.  Schlieffen  détachait  des  forces  peu 
importantes  pour  couvrir  son  aile  droite  contre  l'armée  hollandaise. 

Mollke  modifia  ce  vaste  projet.  Il  voulut  éviter  la  violation  du  ter- 
ritoire hollandais  ;  mais  cette  restriction  entraîna  deux  difficultés. 

1°  Pour  la  concentration  de  la  première  armée  (sous  le  général  von 
Kluck),  on  continuait  d'avoir  besoin  de  la  région  située  à  l'Est  du 
Limbourg  entre  Aix-la-Chapelle,  Crefeld  et  Dûsseldorf.  Cette  armée 
devait  par  conséquent  commencer  par  se  porter  vers  le  Sud,  pousser 
par  Aix-la-Chapelle,  longer  la  frontière  méridionale  du  Limbourg  par 

(1)  Voir  aussi  à  ce  sujet  la  critique  par   P.  Rénouvin,  de  l'ouvrage  de 
M.  Réginald  Kann  â:ais  le  no  3  de  cette  revue. 


BIBLIOGRAPHIE  77 

trois  routes,  traverser  la  Meuse  entre  Wandre  et  la  frontière  ;  puis, 
pour  donner  de  la  place  à  la  deuxième  armée  et  pour  cerner  l'armée 
belge,  elle  devait  prendre  la  direction  Nord-Ouest,  c'est-à-dire  faire 
autour  du  Limbourg  un  détour  qui  causait,  outre  d'immenses  diffi- 
cultés techniques  et  des  marches  forcées,  un  retard  de  trois  journées. 
L'armée  belge  put  se  retirer  sur  Anvers.  —  2°  Alors  que  Schlieffen  pou- 
vait se  dispenser  du  passage  par  Liège,  Moltke  avait  besoin  des 
ponts  de  cette  ville  :  c'est  à  la  deuxième  armée  qu'incombait  la  tâche 
de  les  prendre.  La  1"  armée,  cependant,  n'a  été  aucunement  entravée 
dans  ses  mouvements,  puisque  les  forts  Pontisse  et  Barchon,  qui 
auraient  pu  empêcher  le  passage  de  la  Meuse,  étaient  tombés  avant 
son  arrivée. 

Le  retard  initial  de  trois  journées  continua  à  faire  sentir  ses  effets 
pendant  toute  la  manœuvre,  notamment  pendant  la  bataille  de  la 
Marne  :  Klnck  n'était  pas  assez  fort  pour  faire  le  mouvement  autour 
de  Paris  et  devait  presser  ses  troupes  entre  Paris  et  la  2^  armée. 

Pourquoi  Moltke  s'est-il  imposé  de  tels  sacrifices  ?  Il  le  dit  lui-même 
dans  son  mémoire  de  1915  sur  la  bataille  de  la  Marne  :  «  Je  croyais 
que  la  Hollande  ne  permettrait  pas  une  violation  de  son  territoire  ; 
par  contre,  je  prévoyais  qu'une  Hollande  ennemie  arracherait  de  telles 
forces  à  l'aile  droite  que  celle-ci  perdrait  la  force  nécessaire  pour  la 
grande  bataille.  »  —  «  J'étais  d'avis,  et  je  le  suis  encore  aujourd'hui 
que  la  campagne  de  l'Ouest  aurait  été  vouée  à  un  échec  certain,  si 
nous  n'avions  pas  ménagé  la  Hollande.  »  En  effet,  grâce  aux  réformes 
militaires  de  la  période  1900  à  1914,  une  armée  toute  prête  de  plus  de 
200.000  hommes  était  placée  dans  les  endroits  où  l'état-major  la  ju- 
geait nécessaire  pour  agir  contre  toute  violation  de  la  frontière  sur 
quelque  point  que  ce  fût.  M.  Van  Voorst  a  bien  fait  d'opposer  ces 
faits  véridiques  aux  bruits  selon  lesquels  les  Allemands  auraient  tra- 
versé la  Hollande  en  1914. 

J.-B.  Manger. 

Sir  Julian  Corbett.  —  Naval  opérations  (Les  opérations  navales). 

Tome  III.  Londres,  Longmans,  1923,  in-8,  470  pages,  cartes. 

Le  troisième  volume  de  l'œuvre  entreprise  par  le  regretté  sir  Julian 
Corbett,  de  la  Section  Historique  du, Comité  Supérieur  de  Défense,  est 
en  tous  points  digne  de  ses  devanciers.  L'auteur  aura  montré  jusqu'au 
bout  les  qualités  de  science,  d'impartialité  et  de  hauteur  de  vues  qui 
l'ont  classé  au  premier  rang  des  historiens  de  la  marine. 

Le  dernier  volume  dû  à  sa  plume  comprend  la  fin  des  opérations 
aux  Dardanelles,  les  débuts  de  l'expédition  de  Salonique,  la  campagne 
de  juillet  et  octobre  en  Mésopotamie,  les  actions  particulières  dans  les 
diverses  mers,  enfin  et  surtout  la  relation  la  plus  complète,  la  plus 
claire,  et  probablement  la  plus  exacte  que  nous  possédions  de  la  ba- 
taille navale  du  Jutland.  Rien  n'y  est  dissimulé,  ni  les  incertitudes  de 
l'amirauté  et  du  commandement  sur  les  véritables  intentions  de  l'ami- 
ral von  Scheer,  lorsqu'il  prit  la  mer,  ni  sur  les  pertes  terribles  subies 
par  la  flotte  britannique,  ni  sur  les  mouvements  qui  empêchèrent  l'ac- 
tion d'avoir  un  résultat  décisif. 


jS  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

En  ce  qui  concerne  une  question  particulièrement  controversée, 
celle  du  déploiement  de  la  Grande  Flotte,  Sir  Julian  Corbett  explique 
comment,  par  suite  de  la  destruction  du  poste  de  T.  S.  F.  à  bord  du 
Lion,  l'amiral  Beatty  ne  put  fournir  à  son  chef  que  des  renseigne- 
ments tardifs  et  incomplets  relativement  à  la  marche  de  l'ennemi.  II 
en  résulta  que,  lorsque  ce  dernier  commença  à  orienter  la  ligne  de  file 
vers  l'Est,  l'amiral  Jellicoe,  au  lieu  de  trouver  comme  il  y  comptait 
son  adversaire  devant  son  front,  s'aperçut  qu'il  était  sur  la  droite  de 
son  dispositif.  Celui-ci  était  constitué,  ainsi  qu'on  le  sait,  par  une  ligne 
de  front  dans  laquelle  chacune  de  ses  divisions  était  en  ligne  de  file. 
«  Sa  première  et  toute  naturelle  intention  était  de  se  déployer  sur  son 
flanc  droit.  Mais  le  renseignement  décisif  arrivait  trop  tard,  et  la  dis- 
tance allait  se  trouver  trop  courte.  Les  gros  obus  commençaienl:  à 
tomber  entre  les  lignes  formées  par  les  divisions,  et  le  déploiement 
par  la  droite  aurait  amené  l'escadre  Biii-ney,  composée  des  vaisseaux 
les  plus  anciens  et  les  moins  forts,  à  subir  les  feux  concentrés  des 
meilleurs  de  l'enn-emi,  et,  presque  sûrement,  une  attaque  de  torpil- 
leurs pendant  l'exécution  du  mouvement.  Pour  comble  et  pour  éviter 
de  voir  les  Allemands  barrer  le  T,  il  aurait  fallu  venir  à  gauche  sous 
le  feu,  et,  ce  qui  était  encore  pis,  à  portée  des  torpilles,  des  cuirassés 
adverses.  On  ne  peut  guère  douter  qu'il  eut  raison...  » 

Il  semble  qu'il  faille  se  ranger  à  cet  avis,  bien  que  l'événement  dût 
montrer  que  le  déploiement  par  la  gaucîre,  en  retardant  le  moment 
du  combat,  fit  perdre  quelques-unes  des  minutes  précieuses  qui  res- 
taient pour  rendre  l'engagement  décisif.  Sir  Julian  a,  au  surplus,  rai- 
son de  faire  remarquer  qu'en  agissant  autrement,  on  aurait  donné  a 
von  Scheer  la  chance  escomptée  par  lui  d'obtenir  un  succès  partiel 
avant  de  se  retirer  sous  un  masque  de  fumée  et  à  la  faveur  d'une 
attaque  par  des  éléments  légers. 

Sir  Julian,  ainsi  que  l'amiral  Jellicoe  d'ailleurs,  ne  semble  pas  avoir 
envisagé  l'éventualité  où  le  déploiement  par  la  droite,  orienté  ensuite 
vers  l'ouest,  aurait  amené  les  deux  flottes  à  courir  finalement  à  contre 
bord.  Certains  marins  n'écartent  pas  à  priori  ce  mode  de  combat. 
Mais  il  faut  reconnaître  que  c'eût  été  dans  la  tactique  navale  une 
innovation  dont  il  est  bien  difficile  d'apprécier  la  valeur,  car  les  exem- 
ples font  à  peu  près  complètement  défaut. 

Par  contre,  on  s'étonnera  toujours  qu'après  le  combat,  puis  après 
une  première  tentative  infructueuse,  l'amiral  von  Scheer,  complètement 
coupé  de  sa  base,  ait  pu  réussir  à  passer  au  Nord  de  la  flotte  britan- 
nique et  à  s'échapper  d'une  situation  qui  dut  lui  paraître  désespérée. 
Comment  les  appels  de  Beatty,  comment  le  furieux  combat  livré  der- 
rière lui  par  des  navires  légers  n'éclairèrent-ils  pas  l'amiral  Jellicoe 
sur  le  m.ouvement  de  son  adversaire,  c'est  ce  qui  se  comprend  diffici- 
lement. 

On  ne  peut  que  regretter  de  voir  la  mort  arrêter  Sir  Julian  Corbett 
dans  son  œuvre,  et  d'être  privé  des  considérations  que  l'étude  de  la 
bataille  du  Jutland  lui  aurait  sûrement  inspirées. 

ED0U.4RD     DESBRIÊRE. 


BIBLIOGRAPHIE 


79 


Edmond  Vermeil.  —  La  Constitution  de  Welmar  et  le  principe  de  la 
démocratie  allemande.  Publications  de  la  Faculté  des  lettres  de 
l'Université  de  Strasbourg,  14*^  fascicule,  1923,  1  vol.  in-4  (XÎÎ-473 
pages),  en  dépôt  à  Strasbourg  et  Paris,  librairie  Istra. 

Cet  important  ouvrage  reproduit,  en  le  condensant,  le  cours  pro- 
fessé par  l'auteur  à  l'Université  de  Strasbourg  et  au  Centre  d'études 
germaniques  de  Mayence.  Il  n'est  certainement  pas  en  français,  ni 
peut-être  en  allemand,  un  livre  oii  la  Constitution  de  Weimar  soit 
étudiée  de  façon  aussi  complète  et  aussi  approfondie.  M.  Vermeil  ne 
se  contente  pas  de  l'analyser  en  juriste  ;  il  ne  fait  pas  seulement  con- 
naître par  de  longs  extraits  les  discours  prononcés,  la  part  prise  à 
son  élaboration  par  les  différents  partis  politiques  et  par  les  hommes 
marquants  de  ces  partis  ;  il  l'explique  en  philosophe  par  l'histoire  et  la 
psychologie  du  peuple  allemand  :  son  livre  est  une  contribution  des 
plus  intéressantes  à  la  science  que  les  Allemands  nomment  Volkerpsy- 
chologie,  et  l'on  ne  saurait  trop  en  recommander  l'étude  aux  Français 
qui  ont  quelque  souci  de  com.prendre  l'Allemagne  et  sa  situation  ac- 
tuelle. La  Constitution  de  Weimar,  en  effet,  n'a  rien  d'une  construction 
artificielle  ;  elle  n'est  ni  un  plaquage,  ni  une  adaptation  au  Reick  alle- 
mand d'institutions  empruntées  à  l'étranger  ;  c'est  une  chose  toute  alle- 
mande, sortie  en  un  moment  tragique  des  entrailles  de  la  nation  ; 
œuvre  de  circonstance,  oui,  sans  doute,  mais  qui  était  en  préparation, 
en  incubation  bien  des  années  avant  la  guerre.  Certes,  quels  que  soient 
les  changements  qu'y  doive  apporter  l'avenir,  elle  mérite  d'être  con- 
sidérée avec  attention,  ajoutons  avec  bienveillance. 

On  conçoit  la  nécessité,  pour  étudier  pareille  constitution,  de  remon- 
ter assez  haut  i  dans  une  introduction  historique  d'une  cinquantaine 
de  pages,  M.  Vermeil  montre  le  chemin  parcouru  de  1815  à  1919. 
Pendant  un  siècle,  l'Allemagne  cherche  à  se  donner  une  organisation 
qui  s'accorde  avec  ses  besoins  profonds  :  en  1848,  se  posent  à  l'As- 
sem.blée  de  Francfort  des  problèmes  (des  antinomies,  dit  M.  Vermeil) 
qui  ne  sont  pas  résolus  ;  le  vigoureux  génie  de  B'smarck  dote  l'Alle- 
magne d'une  organisation  qui  n'est  qu'un  comproims,  mais  qui  suffit 
cependant  à  assurer  sa  prospérité  jusqu'à  la  grande  crise  de  1914- 
1918  ;  la  guerre,  la  révolution  qui  amènent  l'effondrement  de  l'édifice, 
obligent  l'Allemagne  à  chercher  des  solutions  nouvelles. 

L'intérêt  principal  du  premier  livre,  qui  traite  des  délibérations  de 
l'Assemblée  de  Weimar,  est  de  nous  faire  connaître  non  par  des 
formules  plus  ou  moins  heureuses,  mais  par  une  multitude  d'exemples 
et  d'applications,  le  sens  spécial  qu'a  pour  les  Allemands  le  mot  de 
démocratie.  11  faut,  pour  le  bien  entendre,  oublier  ce  qu'il  signifie  chez 
nous  ;  en  revanche,  il  pourrait  être  utile  de  lire  le  livre  où  Thomas 
Mann  a  opposé  le  Biirger  allemand  au  bourgeois  français.  Egalité  de 
droits,  participation  de  tous  à  la  vie  publique,  régime  parlementaire 
ou  au  moins  représentatif,  suffrage  universel,  tout  cela  peut  bien  exis- 
ter en  Allemagne,  mais  n'est  pas  ce  qui  caractérise  la  démocratie  au 
sens  allemand  du  mot.  Démocratie  c"est  subordination,  ou,  si  l'on 
veut,  intégration  ;  il  s'agit  de  faire  que  toutes  les  forces  collectives 
existantes  :  syndicats  professionnels,  corporations,  unions  et  associa- 


3o  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

tions  de  toute  nature.  Etats  particuliers  (Etats-pays,  dit  M.  Vermeil), 
partis  politiques,  trouvent  à  se  situer  dans  un  tout  organisé  qui  sera 
la  nation  elle-même,  y  remplissent  leur  fonction,  y  jouent  leur  par- 
tie. Qu'il  s'agisse  de  «  démocratie  fédérale  »,  de  «  démocratie  poli- 
tique »,  de  «  démocratie  sociale  »,  des  droits  fondamentaux  reconnus 
à  l'individu,  de  la  justice,  de  la  famille,  de  l'enseignement  ou  de  tout 
autre  sujet,  les  thèses  soutenues  par  les  différents  partis  et  les  solu- 
tions moyennes  finalement  adoptées  attestent  toujours,  ou  presque 
toujours,  le  même  souci  d'organisation,  d'intégration. 

Le  deuxième  livre  intitulé  :  L'originalité  de  la  Constitution  de  Wei- 
mar,  après  avoir  renseigné  le  lecteur  sur  les  divers  partis  allemands 
et  leur  rôle,  achève  de  lui  montrer  en  quoi  elle  se  rattache  à  la  tradi- 
tion allemande,  en  quoi  elle  diffère  des  démocraties  occidentales,  même 
quand  elle  leur  fait  des  emprunts. 

Dans  un  dernier  chapitre  qui  sert  de  conclusion  à  tout  l'ouvrage, 
l'auteur  étudie  les  principaux  dangers  qui  menacent  l'Allemagne,  la 
décomposition  du  régime  constitutionnel  qu'elle  s'est  donné. 

Citons  au  moins  les  dernières  lignes  : 

«  L'intérêt  de  la  France,  ce  n'est  pas  de  démembrer  l'Allemagne, 
démembrement  impossible  et  qui  ne  ferait  que  reconstituer  l'unité 
allemande  contre  nous.  L'intérêt  de  la  France,  ce  n'est  pas  non  plus 
l'effondrement  social  et  économique,  la  bolchevisation  de  l'Allemagne. 
C'est  moins  encore  la  reconstitution  de  l'ancien  régime  ou  la  cons- 
truction d'un  édifice  solide  et  combatif.  L'intérêt  de  la  France,  c'est 
d'aider  l'Allemagne  à  éviter  la  réaction  et  d'y  favoriser  l'évolution 
démocratique.  Quoi  qu'on  en  dise,  la  Constitution  de  Weimar  a  ouvert, 
toutes  larges,  les  avenues  qui  conduisent  aux  diverses  solutions  du 
problème  politique  allemand.  Il  n'est  pas  dit,  malgré  tout  ce  qui  sépare 
les  deux  nations,  que  la  France  ne  puisse  pas  pousser  sa  voisine  dans 
la  bonne  voie  et  lui  montrer  le  choix  à  faire,  le  chemin  à  suivre.  » 

Charles  Appuhn. 

Maximilian  Harden.  —  Deutschland,  Frankreich,  England.  (Allema- 
gne, France,  Angleterre.)  Berlin,  Erich  Reiss  Verlag,  1923,  in-8, 
187  pages. 

Il  est  malaisé  d'analyser  un  ouvrage  de  187  pages  in-8  sans  divi- 
sions d'aucune  sorte.  C'est  moins  un  livre,  à  vrai  dire,  qu'un  article  de 
journal  de  dimensions  inusitées  ;  les  qualités  et  les  défauts  de  l'auteur 
en  rendent  la  lecture  attrayante,  surtout  au  début,  un  peu  fatigante 
par  la  suite.  M.  Harden,  nul  ne  l'ignore,  a  beaucoup  de  talent  ;  sa 
pensée  est  audacieuse,  et  il  l'exprime  sans  ménagement  ;  son  style 
'ignore  les  demi-teintes  il  a  quelque  chose  de  violent,  on  pourrait 
dire  de  cru.  L'emploi  d'un  vocabulaire  très  riche,  souvent  assez  éloigné 
de  l'usage  commun,  les  allusions  fréquentes,  les  rapprochements  inat- 
tendus que  lui  suggère  sa  connaissance  de  l'histoire  et  des  littéra- 
tures européennes,  certaines  particularités  d'écriture  —  voire  d'ortho- 
graphe —  font  de  lui  un  auteur  difficile,  sinon  obscur. 

Les  idées  exprimées  par  M.  Harden  sont  d'ailleurs  intéressantes  et 


BIBLIOGRAPHIE  8t 

■souvent  justes.  Il  est  sévère  pour  l'Allemagne,  très  sévère  pour  quel- 
ques Allemands,  pour  l'avant-dernier  chancelier,  M.  Cuno,  par  exemple. 
Il  rend  justice  à  la  France  et  aux  Français  dans  le  passé  et  même 
dans  le  présent.  M.  Poincaré  n'est  pas  pour  lui  l'impérialiste  forcené 
qu'il  est  pour  tant  d'Allemands  et  un  trop  grand  nombre  de  non-Alle- 
mands :  «  Il  n'a  jamais  eu  l'ambition  de  marcher  en  conquérant  sur 
les  traces  d'un  Louis  XIV  ou  d'un  Napoléon.  »  Lorrain  de  naissance, 
il  a  vu,  de  ses  yeux  d'enfant,  l'armée  allemande  envahir  sa  patrie  et  y 
camper  jusqu'au  paiement  intégral  des  cinq  milliards  d'indemnité. 
Juriste  consommé,  il  use,  pour  recouvrer  les  sommes  dues  à  la  France, 
de  tous  les  moyens  dont  on  peut  faire  usage  contre  un  débiteur  récal- 
citrant, la  saisie  de  gages  comprise. 

M.  Harden  dénonce  les  effets  calamiteux  de  la  politique  allemande 
de  ces  dernières  années,  en  particulier  de  la  résistance  soi-disant 
«  passive  »  opposée  à  la  France  dans  le  bassin  de  la  Ruhr  ;  il  met  ses 
compatriotes  en  garde  contre  l'illusion  fatale  qui  consiste  à  attendre 
des  Etats-Unis  et  de  l'Angleterre  un  secours  effectif  :  en  ce  qui  con- 
cerne l'Angleterre  plus  spécialement,  il  montre  sans  peine  combien  sa 
politique  a  toujours  été,  continue  d'être  et  sera  vraisemblablement 
toujours  une  politique  d'intérêts  commerciaux  et  économiques  :  «  Les 
buts  de  la  politique  anglaise  sont  toujours  atteints  et  ne  pouvaient 
l'être  qu'aux  dépens  de  l'Europe.  » 

L'accord  des  Etats  continentaux,  en  tout  premier  lieu  de  l'Alle- 
magne et  de  la  France,  non  pour  combattre  l'Angleterre,  mais  pour  se 
soustraire  à  sa  domination  économique,  est.  à  ses  yeux,  la  seule  poli- 
tique raisonnable  qui  se  puisse  concevoir,  la  seule  qui  doive  amener 
le  rétablissement  d'un  certain  ordre,  rendre  la  vie  possible  et  empê- 
cher la  ruine  complète  de  l'Allemagne,  laquelle  aurait  pour  les  nations 
voisines  les  conséquences  les  plus  douloureuses. 

Charles  Appuhn. 

LES  REVUES  DU  TRIMESTRE  (1). 

Les  origines  de  la  guerre.  ^ 

***  —  Deutschland  und  die  Haager  Friedenskonferenzen.  Kundge- 
burg  des  Parlamentarischen  Unterzuchungsausschusses.  —  Kriegs- 
schuldfrage,  janv.-fév.  1924,  pp.  1-10. 

H.  L.  —  A  war  legend.  «  Sublime  sacrifice  »  or  diplomatie  manœu- 
vre. Foreign  Affairs,  janv.  1924,  p.  132. 

(I)  N.  D.  L.  R.  Revues  qui,  sans  figurer  dans  la  liste  de  nos  dépouille- 
ments réguliers,  sont  néanmoins  représentées  dans  ce  numéro  par  un  oU 
plusieurs  articles  ; 

Afrique  française,  Alsace  française,  Annals  of  ihe  American  Academy  of 
political  and  social  Science,  Deutsche  Stimmen,  Documents  du  travail,  Edin- 
burg  Review,  Le  Flambeau,  Grande  Revue,  Journal  des  Economistes,  Nation 
(New- York),  Parlement  et  Opinion,  Revue  contemporaine.  Revue  des  éludes 
coopératives.  Revue  de  l'Intendance  militaire,  Revue  de  Genève,  Sozialistische 
Monatshefte,  Weltbuhnc,  Wisscn  und  Leben,   Y  aie  Review. 

a 


8!2  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

OWEN  (Robert.  L.).  —  How  Russia's  militarist  clique  started  the 
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—  Rev.  milit.  générale,  15  déc.  1923,  15  janv.  1924,  pp.  905-920,  27-48. 
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Mayern  (Lieutenant-Colonel).  —  Die  Karpathen-Schlacht  Mitte 
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DARDANELLES 

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$4  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

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670-672,  688-690. 

ALSACE-LORRAINE 

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BELGIQUE 

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86  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

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DUBOiS  (Louis).  —  La  dette  de  réparation  et  la  faculté  de  paiement 
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Rev.,  janv.  1924,  pp.  276-288. 

RUFFIN  (Henry).  —  Les  origines  françaises  de  la  S.  D.  N.  —  Pari, 
et  Opinion,  20  déc.  1923,  20  janv.  1924,  pp.  1958-1962,  141-147. 

Scelle  (Georges).  —  Philosophie  de  la  quatrième  assemblée  de  la 
Société  des  Nations.  —  Rev.  écononi.  intern.,  25  nov.  1923,  pp.  220- 
240. 

Scelle  (Georges).  —  La  cinquième  Conférence  internationale  du 
Travail.  —  Rev.  économ.  intern.,  25  janv.  1924,  pp.  144-163. 

Zimmern  (Alfred-E.).  —  The  League  and  the  old  diplomacy.  — 
Contemp.  Rev.,  fév.  1924,  pp.  156-162. 


CHRONIQUE 


Les  faits  et  les  controverses. 

I.  —  Le  livre  récent  de  M.  Klotz,  De  la  guerre  à  la  paix,  vient  de 
donner  lieu  à  une  polémique  fort  importante,  à  laquelle  la  «  crise  du 
franc  »  ajoute  un  intérêt  d'actualité. 

Le  3  janvier  1919,  d'après  M.  Klotz,  le  Trésor  britannique  a  décide 
de  couper  les  crédits  au  gouvernement  français,  en  lui  accordant  seu- 
lement, pour  ménager  la  transition,  un  concours  momentané  et  limité. 
Pourtant  M.  Norman  Davis  et  le  colonel  House  affirmaient  que  le 
Trésor  américain  était  disposé  à  poursuivre  son  assistance  à  la 
Grande-Bretagne,  si  celle-ci  continuait  à  aider  la  France  :  c'est  donc 
le  gouvernement  anglais  qui  aurait  pris  l'initiative  de  rompre  la  «  soli- 
darité financière  »  des  Etats  alliés  et  associés. 

A  ces  affirmations,  M.  Keynes  a  répondu  dans  le  Times  du  27  fé- 
vrier 1924.  Il  ne  conteste  pas  la  teneur  de  la  note  du  3  janvier  ;  mais, 
dit-il,  la  rupture  n'a  pas  été  aussi  brutale  que  le  prétend  M.  Klotz  :  de 
janvier  à  mars  1919,  le  Trésor  britannique  a  avancé  70  millions  à  la 
France,  qui  disposait,  en  outre,  de  reversements  en  livres  et  en  dollars 
obtenus  comme  contre-partie  des  dépenses  effectuées  (en  francs)  par 
les  troupes  anglaises  et  américaines.  D'ailleurs,  c'est  le  Trésor  amé- 
ricain qui  avait  pris  l'initiative,  dès  le  31  décembre  1918,  de  faire 
connaître  à  la  Grande-Bretagne  qu'il  ne  pouvait  continuer  son  assis- 
tance financière. 

Après  une  lettre  de  Aï.  Klotz  (Times  du  11  mars  1924),  qui,  sans 
apporter  aucun  fait  nouveau,  dénonce  la  «  mégalomanie  moné- 
taire »  et  «  l'attitude  satanique  »  du  Trésor  britannique,  et  qui  repro- 
che à  M.  Keynes  d'avoir  désiré  et  «  prémédité  »  la  chute  du  franc, 
M.  Austen  Chamberlain,  mis  en  cause,  a  affi'rmé  «  ...que  le  récit  de 
M.  Klotz  ne  présentait  aucune  ressemblance  avec  les  faits  »  {Times 
du  12  mars). 

C'est  à  l'arbitrage  du  colonel  House  que,  d'un  commun  accord,  ces 
déclarations  vont  être  maintenant  soumises.  Les  points  en  litige  ont 
été  précisés  à  nouveau  dans  le  Times  (15  et  18  mars). 

II.  —  Le  procès  Ludendorff-Hitler,  à  Munich,  qui  mérite  à  tant 
d'égards  de  retenir  l'attention,  a  donné  lieu,  au  point  de  vue  de  l'his- 
toire de  la  guerre,  —  le  seul  qui  puisse  être  considéré  ici,  —  à  un  inci- 
dent très  vif.  Au  cours  de  ses  déclarations  du  29  février,  qui  ont  été  un 
long  réquisitoire  contre  la  politique  du  parti  du  Centre  catholique, 
Ludendoff   a  mis  en   cause   le   Saint-Siège   {Deutsche    Tageszeitungy 


90  CHRONIQUE 

1"  mars  1924,  p.  2).  «  Au  moment  où  l'Allemagne  combattait  pour  son 
existence,  dit-il,  le  Vatican  était  germanophobe.  C'est  la  France  qui 
était  favorisée.  »  Ces  simples  mots,  que  Ludendorfî  n'a  pas  essayé 
d'appuj'er  sur  une  précision  quelconque,  ont  provoqué  dans  la  presse 
allemande  une  polémique  (journaux  du  2  et  3  mars.)  Le  parti  du  Cen- 
tre a  protesté  dans  une  réunion  présidée  par  le  Chancelier.  Il  suffisait 
pourtant  de  lire  les  Souvenirs  de  guerre  du  général  pour  y  trouver 
déjà  les  mêmes  tendances,  en  termes  plus  voilés.  Au  reste,  l'incident  n'a 
mis  en  lumière  aucun  fait  nouveau. 

III.  —  Les  souvenirs  d'un  des  anciens  secrétaires  de  l'empereur 
Charles,  M.  de  Boroviczeny,  avant  d'être  lancés  en  librairie,  ont  été  pu- 
bliés par  quelques  journaux  étrangers. Le  Matin  des  18  et  21  février  1924 
en  a  reproduit  deux  passages,consacrés  aux  tentatives  de  restauration  : 
ce  récit  permet  d'apercevoir  quels  appuis  l'ex-em.pereur  croyait  pouvoir 
trouver  en  Europe,  et  dans  quelles  illusions  son  entourage  l'entrete- 
nait. 

IV.  — -  Le  Congressional  Record  (Sénat)  reproduit,  dans  la  séance  du 
18  décembre  1923,  un  long  discours  de  l'Hon.  Robert  L.  Ovk^en,  tout 
entier  consacré  à  la  question  des  responsabilités  de  la  guerre.  En  s'ap- 
puyant  sur  les  textes  publiés  par  R.  Marchand  {Livre  Noir),  par  Rom- 
berg  (Falschungen  d.  russischen  Orangebuches),  sur  le  Livre  jaune  de 
l'alliance  franco-russe  et  sur  les  commentaires  de  la  revue  anglaise 
Foreign  Affairs,  M.  Owen  a  essayé  de  m_ontrer  aux  Américains  par 
quelles  méthodes  la  «  diplomatie  secrète  »  conduisait  les  affaires  en 
Europe.  En  réalité,  il  a  voulu  prouver  surtout  que  l'Allemagne  avait 
grandement  raison  de  craindre,  de  la  part  de  la  Russie  et  de  la  France, 
une  volonté  de  guerre,  et  que  le  gouvernement  de  Berlin  n'avait  pas 
manifesté,  pendant  la  crise  de  juillet  1914,  l'intransigance  qu'on  lui  re- 
proche. Cet  exposé  reproduit,  sans  les  renouveler,  des  arguments  bien 
connus. 

Les  nouvelles  publications  de  documents  officiels. 

!.  —  La  seconde  série  de  la  collection  Die  Grosse  Politik  der  euro- 
paischen  Kabinette,  1871-1914,  à  laquelle  faisait  allusion  notre  der- 
nière chronique,  comprend  six  tomes,  dont  le  dernier  forme  deux 
volumes.  Elle  porte  sur  la  période  1890-1897  :  le  «  nouveau  cours  », 
c'est-à-dire  les  débuts  de  la  politique  personnelle  de  Guillaume  II, 
après  la  chute  de  Bismarck  (tomes  VII  et  VIII),  l'alliance  franco-russe 
et  le  procès  Dreyfus  (dernière  partie  du  tome  IX),  l'affaire  de  «  la 
dépêche  à  Krùger  »,  et  le  système  d'alliances  européen  en  1896 
(tome  XI),  les  affaires  balkaniques  (tomes  X  et  XII).  Le  tome  XII  con- 
tient une  table  des  noms  cités  dans  toute  la  série. 

Les  auteurs  du  recueil  ont  été  obligés  de  faire  des  coupures  dans 
les  documents  ;  ils  n'ignorent  pas  quelle  suspicion  peut  provoquer  ce 
procédé  ;  mais  ils  se  déclarent  prêts  à  donner,  à  tout  chercheur  qua- 
lifié qui  leur  en  ferait  la  demande,  une  «  indication  précise  »  sur  le 
contenu  des  fragments  qu'ils  ont  négligés.  Parmi  les  «  notes  margi- 
nales du  Kaiser  »,  ils  ont  laissé  de  côté  celles  qui  exprimaient  seule- 


i 


CHRONIQUE 


91 


ment  «  une  impression  momentanée  »,  et  non  pas  une  manifestation 
de  volonté  :  le  professeur  Thimme,  un  des  éditeurs,  a  d'ailleurs  donné 
de  plus  amples  explications  à  ce  sujet  dans  un  article,  du  Berliner 
Tageblatt  (16  décembre  1923). 

La  troisième  série  du  recueil,  qui  portera  sur  la  période  1897-1904, 
et  formera  six  tomes,  est  à  l'impression  ;  la  quatrième  (1904-1914), 
en  dix  tomes,  sera  publiée,  disent  les  auteurs,  dans  le  courant  de  l'été 
prochain. 

II.  —  La  revue  soviétique  Krasny  Archiv  (Archives  Rouges)  a 
publié,  dans  son  tome  IV,  une  partie  du  «  registre  quotidien  »,  con- 
servé à  la  Chancellerie  de  l'ex-ministère  des  Affaires  étrangères  russe, 
pour  la  période  16  juillet-2  août  1914  ;  elle  y  a  joint  le  texte  des  piè- 
ces dont  le  registre  ne  donne  qu'un  résumé  :  correspondance  de 
M.  Sazonof,  échange  de  télégram.mes  entre  Nicolas  II  et  Guillaume  II 
(avec  indication,  pour  ceux-ci,  des  heures  d'expédition  et  de  récep- 
tion). La  Vossische  Zeitung,  dans  ses  numéros  du  6,  7  et  8  février 
1924,  a  donné  une  traduction  partielle  des  documents  publiés  par  les 
Archives  Rouges. 

III.  —  Le  ministère  français  des  Affaires  étrangères  a  réuni,  en  un 
Livre  jaune,  les  Documents  relatifs  aux  négociations  concernant  les 
garanties  de  sécurité  contre  une  agression  de  l'Allemagne  (10  janvier 
1919-7  décembre  1923).  Un  grand  nombre  de  ces  documents  était  déjà 
connu,  tant  par  le  livre  de  M.  Tardieu,  La  paix,  que  par  les  publica- 
tions précédentes  du  gouvernement  français  et  par  celles  de  la  Société 
des  Nations.  Parmi  les  pièces  inédites,  il  faut  signaler  en  particulier  : 
dans  la  première  partie  (négociations  de  paix  de  1919),  les  projets 
successifs  pour  l'élaboration  des  articles  428  à  431  du  traité  de  Ver- 
sailles ainsi  que  des  traités  de  garantie  anglo-franco-américain,  et  le 
texte  des  notes  du  maréchal  Foch  ;  dans  la  seconde  (négociations  de 
Cannes),  l'exposé  du  point  de  vue  de  M.  Poincaré  sur  la  question  du 
pacte  franco-anglais,  à  la  fin  de  janvier  1922,  et  l'échange  de  lettres 
entre  le  président  du  Conseil  et  M.  de  Saint-Aulaire  (janvier-juillet 
1922). 

Les  publications  de  la  Société  de  l'histoire  de  la  guerre. 

La  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre  a  publié,  dans  la  série  des 
«  Catalogues  des  Bibliothèque  et  Musée  de  la  Guerre  »,  le  Catalogue 
méthodique  du  fonds  italien,  rédigé  par  M.  Paul-Henri  Michel,  chef 
de  la  section  italienne  à  la  bibliothèque.  C'est  un  volume  in-8  de  466 
pages  à  double  colonne,  avec  une  table  alphabétique  générale.  Le 
cadre  de  classement  est  à  peu  près  identique  à  celui  qui  avait  été 
adopté  pour  le  catalogue  du  fonds  allemand  :  ainsi  ce  travail  peut 
orienter  les  recherches,  comme  le  ferait  une  bibliographie,  en  même 
temps  qu'il  témoigne  de  la  valeur  des  collections  de  la  Bibliothèque- 
Musée  de  la  Guerre. 

Le  Recueil  de  documents  sur  l'histoire  de  la  question  des  réparations, 
par  M.  Germain  Calmette,  attaché  au  service  de  documentation  de  la 
Bibliothèque-Musée    de    la    Guerre,    dont    notre    dernière    chronique 


^2  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

annonçait  la  publication  prochaine,  a  été  mis  en  vente  au  milieu  de 
mars.  Les  textes  réunis,  qui  forment  520  pages  in-8,  portent  à  la  fois 
sur  la  question  des  paiements  de  l'Allemagne,  de  la  reconstruction  de 
l'Europe,  et  des  dettes  interalliées,  parce  qu'il  n'a  pas  paru  possible 
de  séparer  des  problèmes  si  intimement  unis.  L'introduction  rassem- 
ble et  condense,  en  une  centaine  de  pages,  les  traits  généraux  de 
l'évolution.  Grâce  à  la  générosité  d'un  membre  de  la  Société,  la  dif- 
fusion de  l'ouvrage  sera  assurée  dans  les  bibliothèques  étrangères. 

Enfin,  la  Société  vient  d'accorder  son  patronage  à  l'ouvrage  de 
M.  Michel  Lhéritier,  La  ville  de  Tours  pendant  la  guerre  (1914-1919). 
Ce  travail  qui  forme  plus  de  400  pages  in-8  a  été  entrepris  sur  l'ini- 
tiative de  la  municipalité  ;  l'auteur  a  eu  à  sa  disposition  les  archives 
des  services  locaux,  des  hôpitaux,  de  la  région  militaire  ;  c'est  toute  la 
vie  économique,  sociale  et  morale  de  la  ville  qu'il  a  voulu  retracer.  Il  a 
semblé  que  la  Société  devait  marquer  tout  l'intérêt  qu'elle  prend  à  ce 
volume,  qui  peut  servir  de  type  à  des  études  analogues  par  la  rigueur 
de  sa  méthode  et  la  sûreté  de  sa  documentation.  (1) 

Les  collections  de  la  bibliothèque-Musée  de  la  Guerre. 

Le  fonds  russe  de  la  bibliothèque,  qui,  grâce  à  des  efforts  répétés 
(mission  de  M.  Mazon  en  1918,  de  M.  W.  Lerat  en  1920),  possède  des 
collections  de  premier  ordre,  vient  de  recevoir  un  nouvel  appoint  très 
important  :  une  collection  de  documents,  rassemblée  depuis  longtemps 
à  Moscou,  à  l'intention  de  la  bibliothèque,  a  pu  parvenir  à  Paris.  Elle 
comporte,  entre  autres  pièces,  des  journaux  de  1919  et  de  1920  (Prav- 
da,  Isvestia),  des  bulletins  officiels  des  Commissariats  du  peuple,  des 
recueils  de  documents  administratifs. 

—  Sous  les  auspices  du  ministère  des  Beaux-Arts,  le  peintre  Gilbert 
Bellan  parcourut,  trois  années  durant,  en  1920,  1921,  1922,  nos  ré- 
gions dévastées  et  libérées.  Il  y  exécuta  environ  300  tableaux,  qu'il 
réunit,  en  novembre  dernier,  en  une  exposition,  au  Cercle  de  l'Union 
interallié. 

Cet  ensemble,  acquis  par  l'Etat,  fait  désormais  partie  des  collections 
du  Musée  de  la  Guerre.  Il  vient  s'ajouter  à  sa  documentation  iconogra- 
phique. Interprètes  particulièrement  expressifs  de  nos  souffrances  et  de 
nos  pertes,  les  tableaux  qui  seront  exposés  au  pavillon  de  la  Reine 
montreront  en  quel  état  se  trouvaient  nos  champs  et  nos  demeures, 
après  l'armistice.  Certains  attesteront  l'effort  fait  pour  réparer  et 
reconstruire,  pour  «  dénoyer  »  nos  mines,  pour  relever  nos  usines  : 
Une  telle  œuvre,  a  écrit  Maurice  Barrés,  dans  sa  préface  au  catalogue 
de  l'exposition  du  Cercle  interallié,  une  telle  œuvre  nous  donne  des 
idées  vraies  sur  la  mort  et  la  résurrection  d'un  peuple...  S?  place  était 
donc,  tout  naturellement,  au  Musée  de  la  Guerre  où  elle  vient  d'entrer. 

(1)  En  souscrivant  avant  le  20  mai,  chez  l'éditeur  Deslis,  à  Tours,  les 
membres  de  la  Société  peuvent  bénéficier  d'un  prix  de  faveur  (20  fr.) 

Le  Gérant  :  A.  COSTES 

POITIERS.  -   I.MP.   MARC  TEXIER 


<k'^ 


Revue  d^Histoire 

de  la 

Guerre  Mondiale 

L*Agonie  de  rAllemagne  Impériale. 


Nous  n'entreprenons  pas  ici  d'écrire  Thistoire  de  la  révolu- 
tion allemande  ;  notre  ambition,  beaucoup  plus  modeste,  est 
d'attirer  l'attention  du  lecteur  sur  quelques  faits  peu  ou  mal 
connus  en  France  et  propres,  ce  nous  semble,  à  expliquer  l'ef- 
fondrement si  rapide  d'un  empire  qu'on  pouvait  croire  solide. 


I 


Le  13  juillet  1917,  le  haut  commandement  avait,  avec  le  con- 
cours de  certains  hommes  politiques,  obtenu  le  renvoi  du 
chancelier  Bethmann-Hollweg.  L'empereur  fit  appeler  le  comte 
Hertling,  chef  du  gouvernement  bavarois,  mais  ce  vieillard  (il 
avait  74  ans)  ne  se  sentait  pas  de  taille  à  défendre  contre 
Ludendorff  les  prérogatives  du  gouvernement  civil,  et  refusa 
le  poste  qu'on  lui  offrait.  Quand  le  docteur  Michaëlis,  qui 
n'était  qu'un  honnête  fonctionnaire  prussien,  dépourvu  de  toute 
autorité  personnelle,  dut  se  retirer  à  son  tour,  ce  fut  encore  à 
Hertling  qu'on  s'adressa  pour  le  remplacer.  Il  reçut,  le  26  octo- 
bre 1917,  du  comte  Lerchenfeld.  ministre  de  Bavièie  à  Berlin, 
un  télégramme  qui  commençait  ainsi  :  «  Prière  de  venir  le 
plus  vite  possible,  Sa  Majesté  vous  offrira  de  nouveau  le  poste 


04  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

de  chancelier.  Le  haut  commandement  ne  s'immiscera  plus  dans 
la  politique  (1).  » 

Comment  la  promesse  renfermée  dans  ces  derniers  mots 
fut-elle  tenue  ?  Quelques  exemples  suffiront  pour  le  montrer, 
et  quiconque  les  aura  médités  sera,  pensons-nous,  porté  à 
dire  avec  l'auteur  du  livre  intitulé  Die  Tragbdie  Deutschlands 
(La  tragédie  de  l'Allemagne)  (2)  :  après  le  départ  de  Beth- 
mann  et  jusqu'à  l'effondrement  final,  la  politique  de  l'Alle- 
magne a  été  dirigée  en  fait  par  Ludendorff,  et  c'est  au  grand 
quartier-général  qu'était  le  véritable  siège  du  gouvernement. 

11  y  aurait  injustice  à  ne  pas  reconnaître  que  le  comte 
Hertling  a  résisté  de  son  mieux,  parfois  avec  un  succès  rela- 
tif, aux  exigences  du  haut  commandement  ;  son  fils  a  publié 
une  phrase  d'un  télégramme,  signé  Ludendorff,  où  le  premier 
quartier-maître  de  l'armée  se  plaint  d'avoir  été  «  pressé 
contre  un  mur  »  par  le  chancelier  civil.  Entre  ces  deux 
hommes,  toutefois,  la  partie  n'est  pas  égale  :  d'un  côté,  un 
vieillard  un  peu  goutteux  (un  «  vieux  monsieur  »,  disaient 
les  militaires),  tenu  de  ménager  sa  santé,  et  qu'entouraient  de 
soins  douillets  sa  femme,  sa  fille  et  son  fils  ;  il  a  ses  heures 
pour  le  travail,  un  travail  consciencieux  et  sans  fièvre  (3), 
et  ses  heures  pour  le  repos  ;  au  cours  de  l'été  1918,  malgré 
la  gravité  des  circonstances,  il  emploie  ses  matinées  à  rédiger 
ses  mémoires  ;  après  le  repas  du  soir,  il  fait  d'ordinaire  sa 
petite  partie  de  whist,  puis  il  se  couche  de  très  bonne  heure  : 
il  faudrait  un  événement  bien  extraordinaire  pour  qu'on  se 
permît  de  troubler  son  sommeil.  Non  seulement  il  n'a  pas, 
—  il  le  dit  lui-même  —  un  tempérament  de  lutteur  ;  mais  son 
caractère,  comme  ses  habitudes  professionnelles,  le  portent, 
dans  un  conflit  d'opinion,  à  faire  crédit  à  l'adversaire,  à  tenter 
d'obtenir  par  la  persuasion  son  assentiment  :  rationabile 
obseqiiium.  En  face  de  lui  un  homme  encore  jeune,  prodi- 
gieusement actif,  un  «  rude  et  dur  soldat  »,  véritable  incar- 
nation du  militarisme  prussien:  intelligence  d'étendue  médiocre, 


(1)  GuAF  vox  HERTLfNO  (c'estlefils  du  chancelier):  Ein  Jahrin  der  Beichs- 
fcanz/ei  (Une  année  à  la  chancellerie  de  l'Empire),  p.  14. 

(2)  Cet  ouvrage  anonyme:  Die  Tragôdie  Deutschlands,  von  eineni  Deuischen 
semble  à  tout  le  moins  inspiré  par  M.  de  Kùhlmann,  ministre  des  Affaires 
étrangères  du  5  août  1917  au  8  juillet  19i8. 

(3)  «  M  froid,  ni  chaud,  tiède  »,  disait  de  lui,  à  sa  chute,  un  journal  alle- 
mand. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE 


95 


esprit  dépourvu  de  toute  souplesse,  mais  volonté  impérieuse, 
tendue  pour  l'attaque.  Même  en  présence  de  l'empereur,  il 
ignore  et  méprise  la  discussion  courtoise  ;  il  ménage  les 
autres  aussi  peu  qu'il  se  ménage  lui-même,  et  tous  plient  de- 
vant lui,  car  il  est  le  grand  «  vainqueur  »,  le  «  stratège  »  en 
qui  l'Allemagne  a  mis  tout  son  espoir.  Sa  méthode  est  simple 
et  brutale  ;  elle  consiste  à  offrir  sa  démission,  et  celle  de  son 
chef  nominal  Hindenburg,  toutes  les  fois  qu'on  ne  fait  pas 
ce  qu'il  veut. 

Au  mois  de  janvier  1918,  il  n'est  pas  content  de  la  façon 
dont  sont  conduites  les  négociations  de  Brest-Litovvsk  :  son 
ancien  subordonné,  le  général  Hoffmann,  s'est  permis  d'avoir 
un  avis  différent  du  sien  et,  au  Conseil  de  couronne  qui  s'est 
tenu  le  2,  l'empereur  a  paru  s'y  ranger  ;  le  7,  lettre  de 
Hindenburg  à  l'empereur  : 

«  Il  appartient  à  Votre  Majesté  de  décider  ;  mais  Votre 
Majesté  ne  peut  demander  que  des  hommes  loyaux,  qui  ont 
fidèlement  servi  Votre  Majesté  et  la  patrie,  couvrent  de  leur 
nom  et  de  leur  autorité  des  actes  auxquels,  les  jugeant  en 
conscience  nuisibles  à  la  couronne  et  au  Reich,  ils  ne  peuvent 
s'associer. 

«  Votre  Majesté  ne  peut  demander  que  je  lui  soumette  des 
plans  d'opérations,  alors  qu'il  s'agit  d'opérations  comptant 
parmi  les  plus  difficiles  de  toute  l'histoire,  s'ils  ne  doivent  pas 
servir  à  atteindre  des  buts  militaires-politiques  détermi- 
nés (1).    » 

Il  faut  donc  que  Hoffmann  soit  rappelé,  disgracié  (sur  ce 
point,  Guillaume  qui,  dans  un  entretien  particulier,  avait  exigé 
de  Hoffmann  qu'il  donnât  franchement  son  avis  (2),  ne  voulut 
pas  céder). 

La  politique  suivie  à  Brest-Litovsk  par  le  ministre  des  Affai- 
res étrangères,  M.  de  Kiilmann,  n'a  pas  non  plus  l'approbation 
de  Ludendorff.  Ce  ministre  devra  être  congédié  (en  fait  il  le  fut, 
comme  on  va  le  voir,  quelques  mois  après). 

Le  chef  du  cabinet  impérial,  Tassez  inoffensif  Valentîni,  a  eu 
le  malheur  de  déplaire  ;  il  est  accusé  d'exercer  sur  l'empereur 
une  mauvaise  influence,  de  dresser  autour  de  lui  une  «  muraille 

(1)  Lettre  reproduite  en  entier    dans    Ludendorff  :  Urkunden  der  Obersten 
Heeresleituiig  (Documents  du  haut  commandement), p.  452-4'5o. 

(2)  «  Il  ne  pouvait  guère  ne  pas  me  couvrir  »,  dit  Hoffmann  [Der  Krieg  der 
versâumlen  GelegenheUen,  p.   206). 


q5  histoire  de  la  guerre 

de  Chine  »  pour  l'empêcher  de  connaître  les  véritables  senti- 
ments de  son  peuple  (1).  Son  départ  est  donc  jugé  nécessaire  : 
on  mobilise  contre  lui  le  Kronprinz,  et  Guillaume,  après  quel- 
que résistance,  est  contraint  de  se  séparer  de  son  vieux  servi- 
teur (2), 

Contre  le  traité  qui  se  négocie  à  Brest-Litovsk,  Ludendorff 
ne  craint  pas  de  soulever  l'opinion  :  des  bruits  alarmants  cir- 
culent sur  les  discussions  qui  se  sont  engagées  au  dernier  Con- 
seil de  couronne,  des  renseignements  «  très  confidentiels  »  sont 
donnés,  la  nouvelle  se  répand  que  l'Allemagne  est  sur  le  point 
d'accepter  une  paix  honteuse,  une  paix  de  renoncement  {Ver- 
nichtjrieden),  et  de  toutes  les  parties  de  l'Allemagne  affluent 
des  télégrammes  contenant  les  mêmes  reproches,  exprimant  les 
mêmes  inquiétudes,  et  dont  la  rédaction  même  ne  varie  pas.  Le 
chancelier,  devant  cette  levée  de  boucliers  pangermaniste, 
finit  par  se  lasser  ;  aux  premiers  mots  d'un  de  ces  télégrammes 
que  vient  d'ouvrir  son  fils,  il  l'interrorapt  :  «  Laisse-^là  ces  bê- 
tises ;  cela  ne  vaut  pas  la  peine  d'être  lu  (3).  »  Toutes  ces 
manœuvres,  ces  offres  réitérées  de  démission,  ce  chantage 
perpétuel,  pour  dire  le  mot,  l'exaspèrent  à  la  longue.  Son  fils 
reproduit  une  note  laissée  par  lui  et  très  significative  :  «  J'ai 
l'impression  que  Ludendorff  pousse  au  conflit  avec  le  gou- 
vernement pour  instaurer  une  dictature  militaire  après  la  chute 
de  chancelier  (4).   » 

Au  mois  de  février,  nouveau  désaccord  :  les  négociations 
de  Brest-Litovsk  venaient  d'être  interrompues,  les  représen- 
tants de  la  Russie  soviétique  jugeant  que  l'Allemagne  ne  tenait 
pas  l'engagement  qu'elle  avait  pris  de  conclure  une  paix  sans 
annexions  (5).  Il  s'agissait  d'amener  les  Russes  à  reprendre 
les  négociations.  A  cet  effet,  les  chefs  de  l'armée  propo- 
saient d'occuper  militairement  de  nouveaux  territoires,  —  on 


(1)  Hertling,  ouvr.  cité,  p.  55-36. 

l2i  Le  chancelier  avait  à  la  vérité  rédigé,  le  12  janvier,  en  réponse  à  la  lettre 
de  Hindenburg  citée  ci-dessus,  une  note  définissant  de  façon  stricte,  au  point  de 
vue  du  droit  constitutionnel,  le  rôle  du  haut  commandement  dans  toute 
affaire  d'ordre  politique  (cette  pièce  a  été  reproduite  dans  Urkunden  der 
Obersten  Heeresleitung  p.  455),  l'empereur  l'avait  approuvée  et  Hindenburg  y 
avait  souscrit  ou  à  peu  près  ;  cela  ne  pouvait  rien  changer  à  une  situation 
de  fait. 

(3)  Hertling,  ouvr.  cité,  p.  54. 

H)Ibid.  p.  59-60. 

(5)  Voir  pour  le  détail  Hoffmann,  ouvr,  cité,  p.  199  à  202. 


I 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  9j 

n'avait  aucune  résistance  à  craindre  ;  il  suffisait  d'un  ordre  de 
marche,  et  les  troupes  allemandes  s'avanceraient  glorieuse- 
ment en  Esthonie,  en  Courlande,  en  Lithuanie,  en  Ukraine. 
M.  de  Kûhlmann  était  d'un  avis  différent  :  il  prétendait  que 
les  Russes,  qu'il  connaissait  bien,  ayant  vécu  près  d'eux,  re- 
viendraient d'eux-mêmes  à  Brest-Litovsk  ;  il  ne  souhaitait  pas 
que  l'Allemagne  étendît  davantage  son  occupation,  sachant 
quelles  ambitions  se  déchaîneraient,  et  redoutant  des  diffi- 
cultés avec  l'Autriche  ;  il  jugeait  enfin  que  l'intérêt  de  l'Alle- 
magne était,  non  de  s'agrandir  aux  dépens  de  la  Russie,  mais 
de  se  la  concilier  et  de  conclure  avec  elle  une  paix  qui,  par  sa 
modération,  pût  engager  les  autres  puissances  ennemies  à 
négocier  à  leur  tour  (1).  Au  début,  le  chancelier  Hertling, 
et  surtout  le  vice-chancelier  Payer,  partageaient  les  vues  du 
ministre  (2).  Toutefois,  ils  se  laissèrent  convaincre  peu  à  peu, 
et  finalement  M.  de  Kiihlmann  se  trouva  seul  de  son  avis. 
Il  s'inclina,  et  l'ordre  fut  donné  aux  troupes  d'avancer  ;  en 
deux  ou  trois  jours,  elles  avaient  atteint  et  même  dépassé 
les  limites  qui  leur  étaient  assignées.  Ludendorff  reçut  un 
télégramme  qui  Lui  enjoignait  d'arrêter  le  mouvement,  les 
Russes  ayant  annoncé  qu'ils  allaient  reprendre  les  négocia- 
tions, mais  il  n'obéit  pas  tout  de  suite,  et  la  ville  de  Narva 
fut  occupée  ;  le  chancelier  dut  à  son  tour  s'incliner  devant 
le  fait  accompli  (3).  Il  va  de  soi  que  toute  cette  affaire  n'avait 
pas  contribué  à  rendre  moins  tendues  les  relations  du  haut 
commandement  avec  le  ministre  des  Affaires  étrangères. 

Au  printemps  1918,  les  avantages  remportés  sur  les  An- 
glais d'abord,  puis  sur  les  Français,  accrurent  encore  tout 
naturellement  l'autorité  de  Ludendorff  et  sa  confiance  en  son 
propre  génie.  La  seule  pensée  de  consentir  à  son  départ  et  à 
celui  de  Hindenburg  serait  «  criminelle  »  (4).  L'heure  est 
donc  venue  pour  le  haut  commandement  de  se  débarrasser 
d'un  ministre  des  Affaires  étrangères  qui  s'acharne  à  négo- 
cier une  paix  d'accommodement  avec  l'Angleterre.  Tous  les 


(i)  Die  Traqodie  Deulschland,  von  einem  Deuischen,  p.  210. 

(2)  Payer  :  Von  Bethmann-Hollireg  bis  Eherl,  p.  63. 

(3)  Ludenclorll,  dans  son  livre  Kriegftihncng  un'i  Polililis  (Str&tégle  et  politi- 
que) essaye  de  prouver  qu'il  n'a  pas  outrepassé  ses  onlres.  Sa  démonstra- 
tion parait  peu  convaincante.  Cf.  Payer,  ouvr.  cité,  p.  66. 

('«)  Frevelhafl,  dit  le  chancelier  Hertling  dans  une  lettre  adressée  à  Paj-er. 
Hertling,  ouvr.  cité,  p.  131. 


98 


HISTOIRE  DE   LA  GUERRE 


moyens  lui  sont  bons  à  cet  effet  :  ses  amis  du  parti  conser- 
vateur et  les  pangermanistes  répandent  des  bruits  proba- 
blement calomnieux  sur  la  vie  privée  de  M.  de  Kûhlmann  ; 
au  cours  des  négociations  avec  la  Roumanie,  il  s'est,  à  Bu- 
carest, conduit  de  façon  scandaleuse,  le  prestige  de  l'Allema- 
gne en  a  grandement  souffert.  Ces  racontars  prirent  assez 
de  consistance  pour  que  le  chancelier  crût  devoir  porter 
l'affaire  devant  les  tribunaux  (1).  Le  21  avril,  Hertling  étant 
à  Spa,  arrive  dans  la  soirée  un  télégramme  de  M.  de  Kûhlmann, 
contenant  une  nouvelle  très  étrange  :  le  ministre  annonce  que 
le  haut  commandement  a  décidé  de  pénétrer  en  armes,  sans 
aucun  retard,  sans  même  en  référer  au  gouvernement,  en  ter- 
ritoire hollandais  ;  le  prétexte  allégué  est  que  la  Zélande  est 
fréquemment  survolée  par  des  aviateurs  anglais  et  que  la 
Hollande,  malgré  les  réclamations  réitérées  de  l'Allemagne 
paraît  incapable  de  prendre  les  mesures  nécessaires  pour 
faire  respecter  sa  neutralité  dans  les  airs.  -  Hertling  est 
déjà  couché  ;  on  ne  juge  pas  l'affaire  assez  grave  pour 
le  réveiller.  Mais  M.  de  Radowitz,  qui  avait  lu  le  télé- 
gramme, invite  le  colonel  de  "Winterfeldt  à  se  mettre  aussitôt 
en  communication  téléphonique  avec  le  haut  commandement  ; 
la  réponse  de  Ludendorff  est  rassurante  :  il  ne  violera  pas 
le  territoire  hollandais  sans  l'autorisation  du  gouverne- 
ment (2).  En  fait,  l'incident  n'eut  pas  de  suites  graves  ;  peut- 
être  n'est-il  pas  téméraire  d'y  voir  un  simple  épisode  de  la 
lutte  tantôt  sourde,  tantôt  déclarée,  du  haut  commandement 
contre  M.  de  Kûhlmann. 

Ce  ministre,  cependant,  ne  veut  pas  se  laisser  décourager 
et  poursuit  toujours,  par  des  moyens  d'efficacité  assez  illu- 
soire d'ailleurs,  ses  tentatives  de  rapprochement  anglo-alle- 
mand (3).  Dès  le  mois  de  janvier,  le  comte  Brockdorff-Rantzau, 
ministre  à  Copenhague,  avait  annoncé  que  le  roi  de  Danemark, 


(1)  Pater,  ouvr.  cité,  p.  67. 

(2)  D'après  le  récit  de  Hertling,  otwr.  cité,  p.  96. 

(3)  Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  noter  que  M.  de  Kûhlmann  avait  des  rela- 
tions personnelles  en  Angleterre.  Conseiller  d'ambassade  à  Londres,  il  avait 
heureusement  conclu,  au  mois  de  juillet  1914,  un  accord  avec  l'Angleterre 
sur  les  affaires  d'Afrique  et  celles  d'Orient  ;  il  était  sur  le  point  d'obtenir 
(disait-il)  une  promesse  de  neutralité  du  gouvernement  britannique  en  cas 
de  conflit  franco-allemand  quand  la  guerre  éclata.  Il  eut  alors  ce  mot  que 
certains  Allemands  ne  lui  pardonnaient  pas  :  «  Ce  que  nous  tentons  de  faire 
aujourd'hui,  un  plus  grand  que  nous, Napoléon,  l'a  entrepris  et  il  a  échoué» 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  99 

croyant  le  moment  favorable  offrait  de  servir  d'intermédiaire 
entre  le  gouvernement  britannique  et  celui  du  Reich  ;  ces  dé- 
marches du  comte  Brockdorff-Rantzau  et  les  discussions  qui 
suivirent  à  Berlin,  étaient  restées  sans  résultat.  Au  mois  de 
juin,  il  semble  possible  d'entrer  en  pourparlers  avec  l'Angle- 
terre par  l'intermédiaire  des  délégués  allemands  qui  traitent 
à  La  Haye  de  l'échange  des  prisonniers  avec  les  délégués 
anglais  (1).  N'y  a-t-il  point,  d'ailleurs,  des  signes  manifestes 
de  lassitude  en  Angleterre?  L'Angleterre  n'a-t-elle  pas  révélé  le 
désir  de  traiter?  Le  16  mai,  à  la  Chambre  des  Communes, 
'Balfour  a  déclaré  q^ue  le  gouvernement  britannique  ne  fer- 
mait la  voie  à  aucune  démarche  en  faveur  de  la  paix,  que  si 
une  invite  lui  était  adressée,  de  quelque  côté  qu'elle  vînt, 
pourvu  qu'elle  s'appuyât  sur  des  bases  paraissant  solides, 
il  n'y  resterait  pas  sourd.  Vers  la  fin  de  juin,  à  Glasgow, 
le  général  Smuts,  membre  du  Cabinet  de  guerre,  prononce  un 
discours  où  il  paraît  admettre  l'idée  d'une  paix  restituant 
à  toutes  les  puissances  belligérantes  leurs  territoires  d'avant 
la  guerre. 

Comme  avec  l'Angleterre,  M.  de  Kuhlmann  cherche  aussi 
à  engager  la  conversation  avec  les  Etats-Unis.  Un  Allemand 
résidant  en  Suisse,  le  professeur  Nathan,  s'est  embarqué  et, 
réussit  à  gagner  l'Amérique  ;  il  a  mission  de  voir  le  président 
Wilson,  de  l'éclairer  sur  les  desseins  de  l'Allemagne,  à  qui 
l'on  prête  à  tort  des  ambitions  de  conquête. 

Maheureusement  pour  M.  de  Kuhlmann,  toutes  ces  ten- 
tatives étaient  contrecarrées  vigoureusement  par  les  conser- 
vateurs pangermanistes  d'accord,  semblait-il,  avec  le  haut 
commandement.  Le  comte  Roon,  membre  de  la  Chambre  prus- 
sienne des  Seigneurs,  publiait  au  mois  de  juin  dans  les  G'ôr- 
litzer  Nachrichen  une  sorte  de  manifeste  commençant  ainsi  : 

«  Maintenant  nous  avons  la  force  qui  nous  a  donné  la 
victoire  ;  nous  n'avons  pas  à  nous  «  entendre  »  avec  nos 
ennemis  abattus  ;  nous  sommes  en  situation  de  leur  imposer 
les  conditions  suivantes  (2)...  » 

Au  nombre  de  ces  conditions  se  trouvait  l'amnexion  de  la 
côte  flamande  et  de  la  côte  française  jusqu'à  Calais  inclusi- 

(4)  Payeh,  ouvr.cilé,  p.  120. 

(2)  Ce  manifeste  est  reproduit  dans   Die  Tragodic  DeuLschlnnd,  von    ein«m 
Deutschen,  p. 248,  249. 


jOo  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

vement,  la  cession  par  l'Angleterre  d'un  certain  nombre  de 
stations  navales  et  de  sa  flotte  de  guerre  tout  entière. 

Et  en  même  temps,  l'amirauté  allemande  décidait  de  créer 
une  nouvelle  zone  de  blocus  maritime  sur  les  côtes  même  des 
Etats-Unis. 

Il  est  facile  de  comprendre  quel  accueil  reçut  des  partis  de 
droite  M.  de  Kulmann  quand  il  vint,  le  24  juin,  exposer  au 
Reichstag  la  situation.  Dans  son  discours,  qu'il  prononça 
d'ailleurs  du  ton  le  plus  froid  et  avec  un  air  de  lassitude,  il 
rappelait  une  parole  du  vieux  Moltke  qui  disait  en  1890  : 
«  Quelle  pourra  être  l'a  durée  d'une  guerre  venant  à  éclater 
entre  les  puissances  européennes  ?  Nul  ne  peut  le  prévoir. 
Aucune  des  grandes  puissances  intéressées  ne  consentira, 
après  une  ou  deux  campagnes,  à  s'avouer  vaincue.  Les  con- 
ditions qu'elle  aurait  à  subir  seraient  trop  dures,  et  la  guerre 
se  prolongera  en  conséquence  ;  peut-être  ce  sera  une  nou- 
velle guerre  de  sept  ans,  peut-être  une  guerre  de  trente  ans.  » 
Et  un  peu  après,  M.  de  Kûhlmann  s'exprimait  ainsi  : 

«  Quand  on  a  égard  à  la  grandeur  monstrueuse  de  cette 
guerre  de  coalition,  et  au  nombre  de  puissances,  non  seule- 
ment européennes  mais  transocéaniques,  qui  y  prennent 
part,  on  ne  peut  guère  s'attendre  que  la  fin  de  la  lutte  soit 
obtenue  par  des  décisions  militaires  seules,  sans  négociations 
diplomatiques.  » 

Cette  phrase  fut  aussitôt  relevée  par  le  comte  Westarp  : 
«  Nous  avons,  s'exclama-t-il,  fait  la  paix  à  l'est  avec  notre 
bonne  épée  ;  notre  épée  la  rétablira  aussi  à  l'ouest.  » 

Au  grand  quartier-général  l'effet  fut  prompt  ;  le  capitaine 
Hertling  le  compare  à  celui  d'une  bombe.  Ludendorff  dut 
penser  :  «  Nous  le  tenons  enfin.  »  Hindenburg,  dès  le  25  au 
matin,  télégraphiait  au  chancelier  pour  lui  dire  quelle  impres- 
sion déplorable,  accablante,  le  langage  de  M.  de  Kiihlmann 
avait  produite  dans  l'armée.  Un  homme  d'un  caractère  plus 
ferme  que  ce  ministre  aurait  cherché  à  s'appuyer  sur  les  partis 
de  gauche,  dont  il  avait  exprimé  l'opinion  et  qui  formaient 
la  majorité  du  Reichstag,  il  aurait  nettement  pris  position 
contre  le  haut  commandement.  Kiihlmann  n'en  eut  pas  le  cou- 
rage ;  dans  l'après-midi  du  23,  il  fit  mine  de  s'excuser  au 
contraire,  atténua  de  son  mieux  ses  déclarations  de  la  veille, 
si  bien  que  la  gauche  en  conçut  de  l'inquiétude  et  qu'il  se 
trouva,  dit  Hertling,  entre  deux  sièges. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  loi 

Dès  lors  la  chute  de  M.  de  Kuhlmann  était  inévitable  ;  on 
ne  pouvait  qu'essayer  de  la  retarder  un  peu.  C'est  à  quoi 
s'employa  le  chancelier  Hertling  qui  partit  pour  Spa,  où  il 
eut,  le  V  juillet,  un  long  entretien  avec  Hindenburg  et  Luden- 
dorff.  Il  s'efforça  vainement  d'excuser  son  ministre  des  Affaires 
étrangères  ;  Ludendorff  et,  plus  que  lui,  Hindenburg  restèrent 
intraitables,  et  déclarèrent  qu'ils  se  refusaient  désormais  à 
collaborer  avec  M.  de  Kuhlmann  :  lui  présent,  ils  ne  pren- 
draient part  à  aucun  Conseil  de  couronne  et,  en  cas  qu'il  entrât, 
sortiraient  aussitôt. 

Un  nouvel  entretien  eut  lieu  le  2  en  présence  de  l'Empereur  ; 
toujours  disposé  à  donner  raison  à  l'Etat-Major,  Guillaume 
déclara,  lui  aussi,  que  le  maintien  de  M.  de  Kuhlmann  était 
impossible  et  qu'on  pouvait  tout  au  plus  lui  accorder  quelques 
semaines  de  répit  :  le  temps  de  poursuivre  les  pourparlers  en- 
gagés à  la  Haye,  et  aussi  de  lui  trouver  un  successeur. 

Le  3,  Hindenburg  et  Ludendorff  étant  repartis  pour  Avesnes, 
qui  était  à  ce  moment  le  siège  du  grand  quartier-général, 
Hertling  obtint  de  l'empereur  qu'il  consentît  à  recevoir  M.  de 
Kuhlmann,  et  ce  ministre  fut  mandé  à  Spa.  Son  successeur, 
non  encore  désigné,  y  arriva  de  son  côté  le  5  ;  c'était  l'amiral 
von  Hintze,  ministre  à  Copenhague. 

Du  point  de  vue  politique,  le  départ  de  M.  de  Kuhlmann 
n'était  pas  sans  avoir  de  gros  inconvénients  ;  en  dépit  de  son 
attitude  peu  nette  au  lendemain  de  son  fameux  discours,  il 
représentait  dans  le  cabinet  l'opinion  de  la  majorité  ;  on  le 
savait  désireux  de  faire  la  paix  et  une  très  grande  partie  du 
peuple  allemand  souhaitait  ardemment  la  paix.  Les  fils,  bien 
ténus,  qu'ils  s'efforçaient  de  nouer,  allaient-ils  être  rompus  ? 
L'Allemagne  allait-elle  prendre  en  face  de  l'Europe  et  des  deux 
Amériques  une  attitude  intransigeante  ?  Il  était  certain  que  le 
renvoi  de  M.  de  Kuhlmann  et  son  remplacement  par  un  minis- 
tre plus  agréable  au  haut  commandement  serait  considéré  par- 
tout comme  une  victoire  du  parti  conservateur.  Tous  ceux 
qui,  en  Allemagne,  souhaitaient  l'établissement  d'un  régime 
parlementaire  —  et  ils  ne  laissaient  pas  d'être  nombreux  — 
en  seraient  péniblement  affectés. 

Telles  sont  les  raisons  que  fait  valoir  Payer  dans  une  lettre 
adressée,  le  6  juillet,  à  Hertling  : 

«  J'espérais,  disait-il,  faire  comprendre  aux  socialistes  qu'un 


102  HISTOIRE  DE   LA   GUERRE 

changement  de  personne  ne  doit  pas  être  entendu  nécessai- 
rement comme  un  changement  de  système. 

«  Ainsi  que  le  montre  leur  attaque  brutale  de  mercredi  (1), 
ils  s'obstinent  à  penser  que  le  départ  de  Kiihlmann,  quel  que 
soit  son  successeur,  est  une  victoire  des  pangermanistes,  et 
ils  y  voient  une  preuve  que  le  gouvernement  actuel,  effrayé 
par  le  bruit,  est  incapable  de  résister  aux  pangermanistes, 
capitule  devant  le  haut  commandement  et  ne  mérite  donc 
aucune  confiance  (2).  » 

Payer,  vieux  parlementaire  à  tendances  démocratiques, 
redoutait  beaucoup  une  rupture  avec  les  socialistes  dits  «  ma- 
joritaires »  qui,  jusque-là,  avaient  en  sommiC  soutenu  le 
gouvernement  et  voté  tous  les  crédits.  II  savait  que  son. 
propre  parti  (alors  appelé  progressiste)  et  la  plupart  des  dé- 
putés du  Centre  prendraient  une  attitude  hostile  si  le  gouver- 
nement se  montrait  trop  infidèle  à  une  politique  de  modéra- 
tion. 

Donc,  conclut-il,  conservons  Kiihlmann  si  c'est  possible.  Si 
cela  ne  l'est  pas,  faisons  en  sorte  de  rassurer  tout  le  monde 
sur  nos  intentions. 

Hertling,  dans  ce  cas  particulier,  partageait  l'avis  de  son 
vice-chancelier,  bien  qu'il  fût,  en  sa  qualité  de  vieux  conser- 
vateur, l'adversaire  de  la  «  parlementarisation  ».  Il  eut  avec 
l'empereur  un  nouvel  entretien,  le  7  au  soir,  et  lui  communi- 
qua la  lettre  de  Payer.  Mais,  pour  tout  ce  qui  a  trait  à  la 
situation  des  partis,  pour  tout  ce  qui  est  d'ordre  parlemen- 
taire, Guillaume  a  toujours  fait  preuve  d'un  manque  total  de 
compréhension.  «  Il  est  difficile,  écrivait  Hertling  à  Payer, 
de  l'amener  à  une  appréciation  juste  de  ces  choses  (3).  » 
Toutefois,  comme  il  était  très  changeant  et  que  Hertling  in- 
sista beaucoup  sur  les  services  que  M.  de  Kiihlmann  pouvait 
rendre  dans  les  négociations  engagées,  il  finit  par  consentir  à 
retarder  jusqu'à  l'automne  le  renvoi  du  ministre.  Le  chance- 
lier revint  chez  lui  tout  heureux  et  fier  de  cette  petite  victoire. 


(1)  Le  mercredi  3  juillet,  Scheidemann,  au  sujet  d'une  demande  de  crédit 
et  aussi  de  la  paix  avec  la  Roumanie,  avait  en  effet  prononcé  un  discours 
assez  agressif  où  il  déclarait  que  M.  de  Kiihlmann  avait  exprimé  'la  pensée 
de  tous  les  chanceliers,  de  tous  les  ministres,  de  tous  les  diplomates. 

(2)  Paj'er  reproduit  sa  lettre  dans  son  livre,  p.  69. 

(3)  La  lettre  de  Hertling  a  été  reproduite  dans  le  livre  de  son  fils,  p.  131 
à  134. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  103 

Il  comptait  sans  son  hôte  ;  il  terminait  à  peine  son  repas  du 
soir  quand  le  colonel  Winterfeldt  arriva  et  lui  annonça,  d'or- 
dre du  souverain,  que  l'empereur  avait  changé  sa  décision  et 
que  le  départ  de  M.  de  Kiihlmann  ne  pouvait  pas  être  différé. 
Guillaume  avait-il  reçu  d'Avesnes  un  message  téléphonique  ? 
Il  est  permis  de  le  supposer.  Ludendorff,  à  la  vérité,  a  sou- 
tenu itérativement  qu'il  n'avait  nullement  exigé  le  départ  de 
M.  de  Kiihlmann  ;  mais,  outre  que  son  témoignage  en  cette 
affaire  est  un  peu  sujet  à  caution,  ce  qu'il  dit  peut  être  vrai 
de  lui  personnellement  et  ne  pas  il'être  de  Hindenburg.  Il  est 
à  noter  en  effet  que,  d'après  le  témoignage,  non  suspect  celui- 
là,  de  Hertling,  Hindenburg,  le  tranquille  Hindenburg,  était 
particulièrement  monté  contre  M.  de  Kiihlmann  et,  dans  les 
entretiens  du  1"  et  du  2  juillet,  avait  montré  plus  d'intran- 
sigeance que  son  second  (1). 

Quand,  le  8,  M.  de  Kiihlmann  se  présenta  chez  l'empereur, 
ce  dernier  l'accueillit  par  ces  mots  :  «  Notre  mariage  est 
rompu.  :?> 

Il  est  infiniment  peu  probable  que  M.  de  Kuhlmann  fût 
arrivé  à  négocier,  s'il  était  resté  en  fonctions,  et  si  nous  avons 
cru  devoir  parler  un  peu  longuement  de  ce  congé  assez  bru- 
tal, ce  n'est  pas  qu'il  nous  paraisse  avoir,  par  lui-même,  un 
grand  intérêt  historique.  Nous  avons  voulu  montrer  par  un 
exemple  comment  se  réglaient  les  affaires  et  quelles  influen- 
ces contraires  s'exerçaient.  Au  commencement  de  juillet, 
l'Allemagne  pouvait  encore  se  croire  victorieuse,  le  régime 
impérial  était  déjà  bien  malade. 


n 

Si  l'unité  de  direction  a  fait  défaut  à  la  politique  extérieure 
de  l'Allemagne  pendant  la  guerre,  si,  à  toutes  les  velléités 
pacifiques  du  gouvernement  civil,  les  hommes  du  haut  com- 
mandement ont  toujours  opposé  une  résistance  insurmon- 
table, que  dire  de  la  politique  intérieure  ?  Nous  ne  nous  attar- 
derons pas  à  répéter  ce  que  tout  le  monde  sait  :  que  ni  les 
mesures  prises  de  bonne  heure  pour  assurer  le  ravitaillement, 

(1)  <f  Je  ne  l'ai  jamais   vu    si    intraitable  »,    disait  Hertling  fmême  lettre 
même  ouvrage,  p.  131). 


104 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


ni  la  création  d'un  service  civil  obligatoire,  ni  le  talent  d'or- 
ganisation qu'on  reconnaît  aux  Allemands,  n'ont  empêché  les 
souffrances  de  la  population  d'aller  en  croissant  jusqu'à  de- 
venir insupportables  ;  que,  dans  ces  conditions,  l'ouvrier 
et  le  paysan  se  soient  lassés  de  tant  de  sacrifices  inutiles, 
que  les  manifestations  en  faveur  de  la  paix  se  soient  multi- 
pliées, que  des  grèves  aient  éclaté  dans  les  usines  de  guerre, 
que  des  émeutes  locales  aient  fait  entendre  çà  et  là  dans  le 
Reich  leurs  grondements  avertisseurs,  on  ne  saurait  en  être 
surpris.  Notre  attention  se  portera  dans  le  présent  chapitre 
sur  des  faits  d'autre  sorte,  politiques  plutôt  que  sociaux  ; 
nous  voudrions  montrer  comment,  dans  tous  les  partis,  le  mé- 
contentement s'est  répandu,  comment  le  gouvernement  s'est 
montré  incapable  d'imposer  sa  volonté,  même  aux  plus  fidèles 
amis  du  régime,  comment  enfin,  tandis  que  dans  des  pays 
démocratiques  et  parlementaires,  tels  que  la  France  et  l'An- 
gleterre, un  Clemenceau,  un  Lloyd  George  réussissaient  sans 
trop  de  peine  à  l'heure  du  péril  à  faire  accepter  une  quasi- 
dictature,  le  phénomène  opposé  s'observait  dans  l'Allemagne 
impériale  :  quand  il  aurait  fallu  que  tous  les  ressorts  de  la 
machine  gouvernementale  se  tendissent,  on  s'aperçut  qu'ils 
étaient  cassés. 

Le  chancelier  Hertling  s'est  trouvé,  dès  son  arrivée  au  pou- 
voir, en  présence  de  deux  réformes  politiques  en  voie  d'accom- 
plissement :  la  suppression  des  privilèges  de  classe  en 
Prusse  (1),  et  l'introduction  dans  le  Reich  du  régime  parlemen- 
taire. La  première  de  ces  réform.es  était  promise  depuis  plu- 
sieurs mois  ;  l'empereur  en  avait  fait  l'objet  de  son  «  message 
de  Pâques  »  (7  avril  1917).  Il  y  a  lieu,  disait-il  dans  ce  docu- 
ment, de  donner  à  toutes  les  classes  de  la  population  quelque 
moyen   nouveau  de  participer  librement,  joyeusement,   à  la 

(1)  On  sait  que,  pour  la  désignation  des  députés  au  Landtag  prussien,  la 
population  du  royaume  était  divisée  en  trois  classes,  chacune  payant  un 
tiers  de  la  totalité  des  impôts  directs,  la  première  classe,  formée  des  plus 
imposés,  comprenant  3,82  0/0  de  la  population,  la  deuxième  13,87  0/0,  le 
troisième 82,31  0/0.  Les  élections  se  faisaient  à  deux  degrés,  les  déléguésdes 
trois  classes,  en  nombre  égal  constituant  le  collège  électoral  qui  nommait 
les  députés.  Eu  égard  au  nombre  moyen  des  électeurs  de  la  première  classe 
et  de  la  troisième,  le  suffrage  d'un  gros  contribuable  pesait  22  fois  autant 
que  celui  d'un- petit  contribuable  ou  d'un  électeur  du  premier  degré  ne  payant 
pas  de  contribution  directe.  La  réforme  de  ce  système,  déjà  jugé  sévèrement 
par  Bismarck  en  1867,  était  demandée  depuis  longtemps  par  les  partis  de 
gauche;  des  projets  avaient  été  déposés  ou  annoncés  en  1908  et  1910. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  105 

vie  publique...  Le  chancelier  est  chargé  de  préparer,  pour 
le  retour  de  nos  guerriers,  une  réforme  de  la  législation  dans 
ce  sens  :  «  Après  les  prodiges  accomplis  par  le  peuple  tout 
entier  dans  cette  guerre  formidable,  il  n'y  a  plus  place  en 
Prusse,  telle  est  ma  conviction,  pour  le  vote  par  classes. 
Le  projet  de  loi  devra  établir  l'élection  des  députés  au  suf- 
frage direct  et  au  scrutin  secret  (1).  »  L'empereur  prévoyait, 
en  outre,  une  réforme  de  la  Chambre  des  Seigneurs,  où  il 
voulait  que  toutes  les  professions  et  toutes  les  classes  fussent 
représentées. 

Comme  il  était  naturel,  ce  message  fut  accueilli  plus  que 
froidement  par  les  conservateurs  :  le  privilège  des  riches,  des 
grands  propriétaires  en  particulier,  était  menacé  ;  la  Prusse 
allait  se  «  démocratiser  »  ;  autrement  dit,  ce  qui  subsistait 
encore  de  l'ancienne  Prusse  allaient  disparaître  (2).  En  revan- 
che, les  partis  de  gauche  jugeaient  la  réforme  indispensable 
et  le  chancelier  Bethmann-Hollweg  y  voyait  un  moyen,  peut- 
être  le  seul  moyen,  de  s'assurer,  jusqu'à  la  fin  de  la  guerre, 
le  concours  des  socialistes,  une  satisfaction  donnée  aux  pro- 
gressistes, aux  libéraux,  au  Centre  catholique  et  d'une  manière 
générale  aux  aspirations  démocratiques  de  toute  l'Allema- 
gne. Il  convient  de  l'observer,  en  effet,  purement  prussienne 
à  première  vue  puisqu'il  s'agissait  du  droit  électoral  en 
Prusse,  la  réforme  intéressait  en  réalité  l'Allemagne  entière 
pour  cette  raison  que  la  Prusse  était  l'Etat  de  beaucoup  le 
plus  considérable,  l'Etat-maître  de  la  Confédération,  celui 
dont  la  volonté  avait  toujours  le  dernier  mot  au  Bundesrat. 

Le  Reichstag  étant  élu  au  suffrage  universel  et  direct,  les 
Etats  importants  de  l'Allemagne  du  Sud  ayant  une  Chambre 
basse  issue  du  peuple  entier,  il  semblait  anormal  et  de  plus 
en  plus  inadmissible  que  le  pouvoir  législatif  appartînt  en 
Prusse  à  deux  Chambres,  dont  l'une  tout  aristocratique  (3), 
l'autre  représentant  principalement  les  classes  riches.  De  là 
cette  conséquence  que  toute  cette  affaire  de  réforme  électorale 


(1)  Ostererlass  ûher  eine  Beform  in  Preussen.  (Rescrit  de  Pâques  sur  une 
réforme  en  Prusse). 

(2)  C'est  en  ce  termes  que  la  Gazette  de  Cologne  parlait  de  la  réforme. 

(3)  Sur  300  membres  environ  que  comprenait  la  Chambre  des  Seigneurs, cent 
étaient  membres  héréditaires  de  droit,  cent  autres  nommés  par  l'empereuir 
mais  sur  la  présentation  des  cercles  nobiliaires. 


I06  HISTOIRE   DE    LA   GUERRE 

a  été,  dans  une  large  mesure,  une  lutte  soutenue  par  la  «  vieille 
Prusse  »  contre  l'Allemagne  nouvelle. 

Le  message  de  Pâques  fut  suivi,  le  11  juillet,  par  un 
deuxième  rescrit  impérial  et  royal  adressé  au  chancelier  et 
ordonnant  le  dépôt  d'un  projet  de  loi  qui  établît  en  Prusse 
l'égalité  des  droits  politiques.  M.  de  Bethmann-Hollweg,  à  la 
veille  de  sa  chute,  avait  obtenu  de  l'empereur  ce  nouveau  pas 
en  avant.  La  presse  conservatrice,  en  particulier  la  Kreuzzei- 
tung  et  la  Deutsche  ZeiUing,  y  virent  l'effet  d'une  pression 
exercée  par  certains  membres  du  Reichstag,  notamment  Erz- 
berger.  «  Voilà,  disait  aimablement  la  Deutsche  Zeitung, 
la  solution  imaginée  par  le  chancelier  pour  se  tirer  des  dif- 
ficultés que  lui  créent  les  gouvernements  des  Etats  confé- 
dérés. En  tant  que  président  du  Conseil  des  ministres  prus- 
sien, il  présente  cette  immondice  aux  masses.  Le  peuple 
prussien  va  être  gratifié,  bonheur  que,  certes,  il  ne  souhaitait 
pas,  d'une  onction  démocratique.  Si  vraiment  quelque  jour 
il  arrive  à  se  persuader,  par  extraordinaire,  que  c'est  un  bien- 
fait, il  élèvera  un  monument  de  gratitude  ;  mais  ce  ne  sera 
pas  au  philosophe  de  Hohenfinow  (1),  ce  sera  au  maître  d'école 
wurtembergeois  en  disponibilité,  Erzberger,  qui  est  originaire, 
lui,  de  Buttershausen,  une  enclave  de  trafiquants  juifs  dans 
le  pays  de  Souabe,  foncièrement  allemand  par  ailleurs.  C'est 
son  intervention  dans  la  Commission  principale  du  Reichstag 
qui  a  déterminé  le  chancelier  ;  un  démocrate  allemand  du  Sud, 
instigateur  de  réformes  en  Prusse  !  De  pareilles  absurdités 
n'étaient  possibles  que  sous  M.   de  Bethmann-Hollweg.   » 

Le  chancelier  ayant  dû  résigner  ses  fonctions  au  lende- 
main de  ce  message,  c'est  sous  son  successeur,  Michaëlis, 
que  furent  prises  les  mesures  préparatoires  nécessaires  à  l'ac- 
complissement de  la  réforme.  Elles  consistaient  en  un  rema- 
niement du  ministère  prussien  :  les  adversaires  du  projet 
furent  remplacés  par  des  hommes  qui  lui  étaient  favorables, 
tels  que  Spahn,  l'un  des  chefs  du  parti- du  Centre,  Drews  et 
Hergt.  Au  mois  de  novembre,  Hertling  devenu  chancelier 
et  président  du  Conseil  des  ministres  prussien,  le  vice-pré- 
sident Breidenbach  fut  à  son  tour  remplacé  par  Friedberg, 
chef  du  parti  national  libéral  au  Reichstag  et  partisan  de  la 
réforme  ;  presque  en  même  temps  le  progressiste  Payer  (un 

(1)  Bourgade  du  Brandebourg,  lieu  de  naissance    de  Bethmann-îIollM'eg. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  107 

Wurtembergeois)  devenait  vice-chancelier  en  remplacement  du 
conservateur  prussien  Heifferich.  Le  20  novembre  enfin, l'on  eut 
connaissance  dans  le  public  de  trois  projets  de  loi  :  le  premier 
accordait  le  titre  d'électeur  à  tous  les  Prussiens  âgés  de  vingt- 
cinq  ans,  possédant  depuis  trois  ans  au  moins  la  qualité  de 
sujet  prussien  et  domiciliés  depuis  un  an  au  moins  dans  une 
commune  prussienne  ;  les  élections  au  Landtag  devaient  se 
faire  au  suffrage  direct,  au  scrutin  secret,  et  à  la  ma- 
jorité absolue  des  votants,  à  raison  de  un  député  pour  une 
circonscription  électorale  comprenant  250.000  habitants. 

Le  deuxième  projet  de  loi  modifiait  la  composition  de  la 
Chambre  des  Seigneurs,  où  entraient  des  représentants  des 
communes  et  de  diverses  professions  (agriculture,  commerce, 
industrie,  métiers,  université,  église). 

Le  troisième  projet  de  loi,  remaniant  quelque  peu  la  consti- 
tution, réglait  les  conflits  qui  pourraient  éclater  au  sujet  des 
dépenses  publiques  entre  le  Landtag  et  la  Chambre  des  Sei- 
gneurs. On  sait  que  jusque-là  la  Chambre  des  Seigneurs  ne 
pouvait  qu'accepter  ou  rejeter  en  bloc  le  budget  voté  par  le 
Landtag,  mais  non  l'amender. 

Ces  projets,  particulièrement  le  premier,  ne  pouvaient  que 
déplaire  aux  conservateurs,  qui  se  préparèrent  à  défendre 
énergiquement  leurs  positions.  D'autre  part,  les  libéraux 
avancés  et  les  socialistes  se  déclaraient  mécontents  des  res- 
trictions apportées  au  droit  de  vote  et  faisaient  observer  que 
le  parti  qui,  jusque-là,  avait  dominé  au  Landtag,  conservait 
en  fait  le  pouvoir  parce  qu'il  aurait  la  majorité  dans  la 
Cham.bre  des  Seigneurs  (1). 

Le  5  décembre,  les  projets  du  gouvernement  vinrent  en 
première  lecture  devant  le  Landtag.  Le  chancelier,  quelque 
peu  gêné  par  sa  qualité  de  Bavarois,  déclara  que  sa  cons- 
cience était  engagée  :  le  roi  avait  à  plusieurs  reprises  et  so- 
lennellem.ent  promis  de  donner  à  ses  sujets  l'égalité  de  droits 
politiques  ;  il  fallait  que  cette  promesse  fût  tenue.  Le  minis- 
tre de  l'Intérieur  Drews  le  soutint  énergiquement  ;  «  le  gouver- 
nement prussien,  dit-il,  userait  de  tous  les  moyens  en  son 
pouvoir  pour  accomplir  une  réforme  dont  l'abandon  mettrait 

(1)  Le  nombre  des  membres  était  porté  à  ^10  (n'aximvim)  dont  150  nommés 
par  le  roi  sans  présentation  ;  parmi  les  autres,  des  membres  à  vie  et  de  ti'ès 
nombreux  représentants^des  classes  privilégiées. 


I08  HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 

la  désunion  entre  le  peuple  et  la  couronne  ».  Tout  aussitôt  le 
parti  conservateur  protesta  :  son  chef,  M.  de  Heydebrand,  le 
prit  de  haut  :  «  Nous  respectons  fort,  dit-il  en  substance, 
M.  de  Hertling  ;  mais  il  n'est  pas  des  nôtres,  et  les  affaires 
intérieures  de  la  Prusse  doivent  être  réglées  entre  Prussiens. 
Nous  ne  mettons  pas  en  doute  le  patriotisme  allemand  de 
M.  de  Hertling,  mais  la  façon  dont  il  est  arrivé  au  pouvoir  nous 
déplaît  :  il  a  voulu,  avant  d'accepter  le  poste  de  chancelier  et 
de  premier  ministre  prussien,  s'assurer  qu'il  était  agréé  par  la 
majorité  du  Reichstag  ;  c'est  donc  un  chef  de  Cabinet  parle- 
mentaire, ou  quelque  chose  d'approchant,  que  nous  avons 
devant  nous,  et  nous  n'avons  aucun  goût  pour  le  régime  par- 
lementaire. » 

Nous  nous  bornerons  à  passer  en  revue  les  incidents  les 
plus  marquants  de  la  lutte  qui  s'engagea  et  se  prolongea 
jusqu'à  la  veille  même  du  jour  fatidique  où  devait  s'écrou- 
ler, en  même  temps  que  l'empire  allemand,  la  monarchie 
prussienne.  Tout  d'abord,  après  d'assez  longs  débats,  renvoi 
des  projets  à  une  commission  de  35  membres.  Le  19  janvier 
1918,  le  Landtag  décida  qu'il  délibérerait  en  premier  lieu  sur 
la  réforme  de  la  Chambre  des  Seigneurs.  Le  désir  manifeste 
des  conservateurs  qui  formaient  la  majorité  de  cette  assem- 
blée, était  de  faire  traîner  les  choses  en  longueur  si  possible 
jusqu'à  la  fin  de  la  guerre. 

En  raison  de  l'intérêt  qu'avait  l'affaire  pour  toute  l'Alle- 
magne, le  vice-chancelier  Payer  crut  devoir  y  faire  allusion 
au  Reichstag.  Dans  la  discussion  qui  s'engageait  le  25  fé- 
vrier au  sujet  du  budget,  il  proclama,  pour  commencer,  l'union 
de  tous  plus  nécessaire  que  jamais  dans  le  Reich,  parla  des 
sacrifices  que  tous  devaient  être  prêts  à  faire  :  «  Plus  les 
sacrifices  nécessaires  sont  grands  pour  la  masse  de  la  popu- 
lation, plus  aussi  ses  efforts  pour  s'assurer  avec  plus  de 
liberté  de  mouvements,  plus  de  pouvoir,  plus  d'influence  sur 
le  gouvernement,  méritent  d'être  récompensés.  Le  gouverne- 
ment du  Reich  reste  fermement  attaché  à  la  réforme  du  droit 
électoral  en  Prusse,  et  j'ai  la  conviction  que  cette  réforme  ne 
peut  manquer  de  s'accomplir  promptement  (1).  »  Jusque-là, 
bien  que  mécontente,  la  droite  était  restée  calme  ;  une  parole 

(1)  Nous  ne  traduisons  pas,  mais  résumons  le  discours  du  vice-chancelier 
-ou  une  partie  de  ce  discours  en  nous  aidant  du  résumé  qu'il  en  a  donné 
lui-même  dans  son  livre  :  Von  Belhmann-Hollueg  bis  Ebert,  p.  283. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  109 

du  vice-«chancelier   déchaîna  le   tumulte.   Après   avoir  flétri 
les  grèves  et  l'agitation  révolutionnaire,  il  ajouta  :  «  En  dehors 
des  rangs  des  grévistes  et  à  droite  comme  à  gauche,  il  y  a 
des  hommes  auxquels  il  faut  rappeler  que  nous  devons  à 
la  patrie  le  sacrifice  de  nos  préférences  et  de  nos  intérêts 
personnels.  »  Du  coup,  les  conservateurs  se  cabrèrent  :  le 
vice-chancelier  les   avait  gravement  offensés.   Le   Reichstag 
dut,  sur  la  demande  de  M.  de  Heydebrand,  décider  que  la 
séance  du  lendemain  commencerait  seulement  à  deux  heures, 
afin  que  le  parti  conservateur  eût  le  temps  d'examiner  le 
«  discours  provoquant  »  de  Payer.  C'était  la  première  fois 
qu'un  membre  du  gouvernement  se  voyait  assailli  de  la  sorte 
au  Reichstag.  Payer,  qui,  dit-il,  n'avait  jamais  compté  sur  le 
concours  de  la  droite,  garda  sa  tranquillité,  mais  tout  l'état- 
major  gouvernemental  qui  l'entourait  :  sous-secrétaires  d'Etat, 
représentants  des  Etats  au  Bundesrat,  conseillers  secrets,  se 
laissa  intimider.  Après  la  séance,  un  des  conseillers  secrets 
ne  crut  pas  devoir  cacher  que  la  situation  du  vice-chance- 
lier lui  semblait  fort  compromise.  «  Le  Centre,  objecta  Payer, 
ne  me  laissera  pas  tomber.  »  «  Ah  !  reprit  le  conseiller  secret, 
si  vraiment  le  Centre  vous  soutient,  vous  êtes  plus  fort  en 
Prusse  que  n'importe  qui.  » 

Payer,  à  qui  nous  empruntons  ce  court  dialogue,  ajoute 
en  manière  de  commentaire  :  «  Nous  nous  étions  trompés 
l'un  et  l'autre.  Il  s'était  exagéré  l'influence  des  conserva- 
teurs dans  le  Reich  :  en  fait  ils  n'ont  pu  me  renverser.  Mais 
j'avais,  moi,  sous-estimé  l'influence  qu'ils  ont  gardée  en 
Prusse.  Uniquement  soucieux  de  conserver  leur  privilège  et 
écartant  de  sang-froid  toute  autre  considération,  ils  sont  restés 
vainqueurs  dans  cette  lutte  pour  le  droit  électoral  —  à  quel 
prix  !  il  est  inutile  aujourd'hui  de  le  discuter  (1).  » 

Les  adversaires  de  la  réforme  au  Landtag,  c'est-à-dire  les 
conservateurs,  les  nationaux-libéraux  en  majorité  et  quel- 
ques membres  du  Centre,  étaient  bien  décidés  à  uî^er  de  tous 
les  moyens  pour  empêcher  le  projet  du  gouvernement  d'abou- 
tir, en  l'amendant  de  telle  sorte  qu'il  n'en  subsistât  rien,  et  la 
procédure  compliquée  instituée  par  la  constitution  prussienne 
leur  donnait  toute  facilité  pour  prolonger  leur  obstruction 
aussi  longtemps  qu'ils  voudraient,  car  il  fallait  qu'après  une 

(1)   Pateh,  ouvr.  cité,  p.  284. 


j  jQ  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

suite  de  lectures  séparées  les  unes  des  autres  par  des  inter- 
valles de  temps  assez  longs,  les  deux  Chambres  finissent 
par  être  entièrement  d'accord,  et  cela  pouvait  durer  indéfini- 
ment. D'autre  part,  beaucoup  de  partisans  de  la  réforme, 
s'y  résignant  plutôt  qu'ils  ne  la  souhaitaient  ardemment, 
n'apportaient  pas  à  la  défendre  un  zèle  excessif.  La  seule 
façon  d'en  finir  dans  ces  conditions  était  de  dissoudre  le 
Landtag  et  le  gouvernement  y  pensa  sérieusem.ent.  Mais  il 
aurait  fallu  alors  procéder  avant  la  fin  de  la  guerre  à  des 
élections  nouvelles,  et  cela  semblait  assez  dangereux.  Le  haut 
commandement,  sans  prendre  ouvertement  position  contre  la 
réforme  électorale,  y  était,  on  le  savait,  hostile  ;  il  se  prononça 
nettement  sinon  publiquement  contre  la  dissolution  du  Landtag 
et  paraît  avoir  agi  sur  le  souverain  pour  l'empêcher  (1). 

Bien  qu'il  eût,  le  18  avril,  répété  qu'il  voulait  donner  à  ses 
sujets  l'égalité  de  droits  politiques,  Guillaume  refusa  de  dis- 
soudre le  Landtag,  de  sorte  qu'à  la  reprise  des  débats,  le 
30  (deuxièm.e  lecture),  Hertling  et  Friedberg  eurent  beau  soute- 
nir avec  énergie  le  projet  de  réforme,  ils  ne  purent  dire  le  mot 
décisif  qui  seul  eût  probablement  triomphé  de  la  résistance 


(1)  Le  documeat  révélateur  sur  ce  point  est  une  lettre  adressée  par 
M.  Stresemaaa  au  général  LudendortT,  le  29  avril  1918  (reproduite  dans  Urkun- 
den  derlOhersten  Heeresleitung,  T^.29i):  Streseman,  membre  influent  du  parti, 
national  libéral,  mais  politique  assez  avisé,  est  de  ceux  qui  acceptent  la 
réforme  électorale  et  même  la  jugent  indispensable  eu  égard  aux  circons- 
tances; toute  l'Allemagne  du  sud  et  85  %  des  électeurs  prussiens  la  récla- 
ment; si  elle  s'accomplit,  le  peuple  allemand  satisfait  ne  pensera  plus  qu'à 
bien  terminer  la  guerre;  les  partisans  de  la  paix  sans  victoire  et  sans  annexion, 
les  membres  du  Reichstag  qui  ont  voté  la  fameuse  résolution  du  19  juillet 
191",  seront  réduits  à  l'impuissance.  Au  contraire,  si  le  projet  de  réforme 
échoue,  le  mécontentement  de  la  population  profitera  aux  partis  que  repré- 
sentent dans  la  presse  le  Berliner  Tageblatt  (les  progressistes  à  tendances 
démocratiques),  le  Voncàris  (les  socialistes), la  Germania  (le  Centre,  Erzbei'- 
ger)  Il  faut  surtout  éviter  qu'on  puisse  dire  tout  haut  :  Hindenburg  et 
Ludendorfï  sont  des  adversaires  irréductibles  de  la  réforme  ;  Hindenburg  et 
LudendortT  ne  veulent  à  aucun  prix  de  la  dissolution  du  Landtag.  Mieux 
vaudrait  encore  que  cette  dissolution  eût  lieu  :  sans  doate  il  est  fâcheux  de 
donner,  pendant  que  la  guerre  dure  encore,  prétexte  à  une  agitation  politique 
dans  le  pays,  mais  en  fait  cette  agitation  existe  déjà  et,  en  cas  d'élections 
nouvelles,  elle  n'aura  plus  d'intensité  que  dans  un  petit  nombre  de  circons- 
criptions et  ne  durera  pas  plus  de  quatre  semaines. 

Evidemment  si  Stressmann  écrit  cette  lettre  le  29  avril,  au  moment  où  les 
débats  vont  reprendre  au  Landtag,  pour  exhorter  LudendorfT  à  garder  une 
attitude  très  réservée,c'est  que  l'action  du  haut  commandement  s'était  exercé 
contre  la  réforme  et  contre  la  dissolution,  que  beaucoup  de  gens  le  disaient 
et  qu'il  fallait  empêcher  la  situation  de  s'aggraver. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  1 1  j 

opposée  par  la  majorité  (1),  et  le  2  mai,  par  230  voix  contre 
183,  le  principe  de  l'égalité  politique  fut  rejeté.  (Il  en  fut  de 
même  le  14  mai,  le  1 1  et  le  14  juillet,  quand  les  projets  vinrent 
en  3%  4*"  et  5^  lectures.) 

Les  membres  du  gouvernement,  le  chancelier  Hertling,  le 
vice-chancelier  Payer,  les  ministres  et  secrétaires  d'Etat 
Wallraf,  Friedberg,  Hergt,  Drews,  Spahn,  s'étaient  réunis  ce- 
pendant et  avaient  jugé  qu'il  était  impossible  de  laisser  aller 
les  choses  de  la  sorte.  Le  chancelier  fut  prié  de  faire  au  roi 
de  nouvelles  représentations,  mais  ces  instances  restèrent  sans 
effet,  d'après  Payer  (2).  Suivant  le  capitaine  Hertling,  le 
chancelier  aurait  obtenu  du  souverain  un  acquiescement  de 
principe  à  la  dissolution  du  Landtag  au  commencement  du 
mois  de  mai  (3).  Quoi  qu'il  en  soit,  on  recula  devant  la  mesure, 
et,  après  examen  de  divers  projets  dont  celui  de  proroger 
pour  un  temps  les  deux  Chambres  et,  quand  elles  se  réuni- 
raient de  nouveau,  de  remettre  la  question  à  l'étude  en  faisant 
à  la  droite  quelques  concessions  (4),  le  gouvernement  n'in- 
tervint que  pour  recommander  l'adoption  de  son  projet,  le 
4  septembre,  à  la  commission  nommée  pour  l'examiner  par  la 
Chambre  des  Seigneurs  (5).  Quelques  passages  du  discours 
prononcé  par  Hertling  en  cette  occasion  valent  d'être  cités  : 

«  L'attention  de  tous,  non  seulement  en  Prusse  mais  en  Alle- 
magne, se  porte  sur  vos  délibérations.  C'est  pour  le  gouverne- 
ment une  tâche  à  laquelle  il  ne  peut  faillir  que  de  poursuivre 
l'accomplissement  de  la  promesse  faite  par  le  roi...  Tous  dans 
cette  guerre  ont  fait  leur  devoir,  aussi  bien  ceux  qui  sont  en 


(1)  Un  incident  assez  vif  qui  se  produisit  dans  la  séance  du  30  avril 
mérite  d'être  mentionné;  le  comte  Spee  propose  l'ajournement  du  débat  jus- 
qu'à la  fin  de  la  guerre  et  assure  à  ce  propos  que  les  soldats  qui  sont  au 
front  se  soucient  fort  peu  de  la  réforme.  Le  socialiste  Hoffmana  l'interrompt  : 
«  Comment  pouvcz-vous  savoir  ce  qu'ils  pensent,  vous  passez  votre  temps 
au  casino  des  officiers  »,et,  prenant  un  peu  après  la  parole,  déclare  que  si 
la  proposition  d'ajournement  est  adoptée  (en  fait  il  s'en  fallût  de  peu  qu'elle 
ne  le  fût),  il  exhortera  les  soldats  du  front  à  se  retirer  du  combat. 

(2;  Payer,  ouvr.  cité,   p.  287. 

(3)  He.'^ti.ino,  Ein  Jahrin  der  Reichskanziei,  p.  t"0. 

(4)  Certains  membres  du  gouvernement  pensèrent  aussi  au  cours  de  l'été  à 
faire  voter  par  le  Reichstag  une  loi  établissant  le  suffrage  universel  dans  tous 
les  Elats  allemands.  Ce  projet  n'eut  pas  manqué  de  paraître  contraire  à  la 
Constitution  à  tous  les  adversaires  de  la  réforme. 

(5)  Hertling  pensait  que,  s'adressant  au  sentiment  dynasti(iue,il  obtiendrait 
de  cette  chambre  ce  que  le  Landtag  lui  avait  r-fusé. 


112  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

haut  que  ceux  qui  sont  en  bas  de  l'échelle  sociale,  les  pauvres 
comme  les  riches,  les  ignorants  comme  les  plus  instruits  ;  il  ne 
doit  donc  plus  y  avoir,en  ce  qui  concerne  la  capacité  électorale, 
de  différence  de  classe  sociale...  C'est  ainsi  que,  dès  le  début, 
j'ai  compris  la  parole  donnée  par  le  roi  ;  cette  parole,  il  faut 
qu'elle  soit  tenue.  Si  vous  restez  sourds  à  mes  exhortations, 
je  quitterai  le  pouvoir  et  celui  qui  me  remplacera  se  trouvera 
en  présence  de  la  même  obligation  :  il  s'agit  du  maintien  de 
la  couronne  et  la  dynastie  (1).  » 

La  commission  écouta,  non  sans  émotion,  cet  appel  pathé- 
tique ;  la  délibération  commença,  et  la  réforme  fut  —  provi- 
soirement —  enterrée. 

Les  événements  se  précipitaient  cependant,  ;  au  début  d'oc- 
tobre, alors  que  la  situation  militaire  paraissait  irrémédiable- 
ment compromise,  en  pleine  crise  de  chancellerie,  le  haut 
commandement,  qui,  à  ce  moment,  jugeait  indispensable  une 
demande  d'armistice  aussi  prompte  que  possible  (2),  s'avisa 
aussi  qu'à  l'intérieur  du  pays  il  fallait  donner  des  gages  de 
bon  vouloir  à  la  grande  masse  de  la  population  et  aux  partis  de 
gauche.  D'après  le  récit  de  Wermuth,  alors  premier  bourg- 
mestre de  Berlin,  «  deux  représentants  du  gouvernement  prus- 
sien déclarèrent  le  l^'  octobre  à  la  Commission  de  la  Cham- 
bre des  Seigneurs  que,  de  l'avis  du  haut  commandement, 
l'égalité  de  droits  politiques  devrait  être  admise  par  la  haute 
Assemblée  et  cela  sans  aucun  retard  :  la  situation  politique 
et  militaire  commandait  impérieusement  cette  réforme  »,  Si 
grande  fut  la  surprise  que  quelques  membres  de  la  Commission 
refusèrent  de  croire  à  la  nouvelle  et  il  fallut  que  le  comte 
Rbdern,  secrétaire  d'Etat,  qui  arrivait  au  Grand  Quartier  gé- 
néral, vînt  en  personne  la  confirmer. 

Malgré  cet  avertissement  donné  par  des  hommes  qu'on  ne 
pouvait  guère  soupçonner  d'inclinations  démocratiques,  mal- 
gré les  adjurations  du  gouvernement,  la  Commission  ne  put 
encore  se  résoudre  à  accepter  la  pleine  égalité  ;  elle  introdui- 


(1)  Nous  donnons  le  sens  du  discours  d'après  le  texte  imprimé  dans  le 
Deutcher  Geschichlskalender  (34e  année,  1918).  On  observera  que  les  volu- 
mes de  cette  collection  publiés  pendant  la  guerre  portent  un  titre  spécial  = 
Der  Europaïsche  Kri-eg  et  que  le  volume  auquel  nous  nous  reportons  est  le 
neuvième  de  cette  série,  p.  411. 

(2;  Nous  verrons  dans  un  chapitre  ultérieur  quel  motif  le  détermina 
brusquement  et  quelles  furent  les  conséquences  de  cette  décision. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE 


113 


sit  dans  le  projet  une  disposition  tendant  à  faire  varier  le 
poids  du  suffrage  avec  l'âge  du  votant,  l'électeur  âgé  de  40 
ans  disposant  de  plus  de  voix  que  l'électeur  plus  jeune. 

Le  15  octobre  seulement,  l'accord  put  se  faire  à  peu  près 
sur  le  principe  de  l'égalité  et,  le  24,  jour  où  l'Assemblée  se 
prononça,  la  droite  entière  s'abstint  (1).  Le  Landtag  avait 
tenu  sa  dernière  séance  le  23  octobre  et  ne  devait  plus  se  réunir 
que  le  18  novembre.  La  Révolution  lui  épargna  la  peine  de 
revenir  sur  ses  décisions  antérieures  (2). 

Votée  au  mois  de  décembre  1917,  comme  elle  aurait  pu 
l'être,  ou  dans  les  premiers  mois  de  1918,  la  réforme  électorale 
aurait-elle  empêché  la  révolution  d'éclater  ?  Il  serait  témé- 
raire de  l'affirmer  ;  du  moins  peut-on  dire  que  les  conserva- 
teurs prussiens,  par  leur  acharnement  à  défendre  leurs 
privilèges,  ont  efficacement  contribué  à  rendre  la  révolution 
inévitable,  que  la  responsabilité  du  haut  commandement  dans 
cette  affaire  n'est  guère  moindre  que  celle  du  parti  conser- 
vateur et  que  son  brusque  changement  d'attitude,  un  peu  avant 
la  catastrophe,  révèle  un  désarroi  profond,  que  le  gouverne- 
ment impérial  et  royal  enfin,  malgré  les  belles  promesses  de 
Guillaume  et  les  belles  paroles  de  Hertling,  s'est  montré  faible 
et  mou  dans  sa  politique  intérieure  comme  il  était  hésitant 
et  incertain  dans  ses  velléités  de  paix.  Il  avait  une  arme,  la 
dissolution,  et  n'a  pas  voulu  en  user,  trouvant  ainsi  le  moyen 
de  déplaire  également  aux  hommes  de  gauche  et  aux  hommes 
de  droite. 


III 

Au  nombre  des  reproches  qu'adressait  à  Hertling  le  parti 
conservateur,  figurait,  on  l'a  vu,  le  caractère  trop  «  parle- 
mentaire »  de  son  gouvernement.  Et  cependant  l'avant-der- 
nier  chancelier  de  l'empereur  Guillaume  a  combattu  les  mo- 

(1)  Quelques  membres  du  parti-conservateur  déclarèrent  en  cette  question 
se  séparer  du  groupe. 

(2)  Pour  en  finir,  les  partis  formant  la  majorité  du  Reichstag  décidèrent  de 
faire  voter,  par  cette  assemblée,  le  8  novembre,  veille  du  jour  où  Guillaume 
devait  prendre  la  fuite, l'introduction  dans  tous  les  Etats  de  l'Allemagne  du 
suffrage  universel  et  direct.  La  décision  demeura  sans  effet  parce  que  le 
Reichstag  tint  sa  dernière  séance  le  26  octobre.  La  coïncidence  est  au  moins 
curieuse  à  noter. 


j  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

difications  que  les  partis  de  gauche  voulaient  apporter  à  la 
constitution.  Situation  étrange  que  celle  de  ce  théologien  placé 
à  la  tête  des  affaires  dans  un  moment  où  les  circonstances 
contraignent  l'Allemagne  à  entrer  dans  des  voies  nouvelles  ! 
Conservateurs  dans  l'âme,  il  n'a  pas  de  pires  ennemis  que  les 
conservateurs  prussiens  ;  partisan  de  l'ordre  établi  dans  le 
Reich,  il  est  accusé  de  le  troubler,  et  il  le  trouble  en  effet  par  sa 
seule  présence,  comme  tout  autre  le  ferait  à  sa  place.  En  droit, 
il  n'a  pas  de  comptes  à  rendre  au  Reichstag,  et,  en  fait,  ne  peut 
se  maintenir  qu'en  restant  d'accord  avec  le  Reichstag.  Plus  la 
guerre  se  prolonge,  plus  l'influence  des  chefs  de  parti  grandit 
dans  le  pays  ;  l'empereur  à  la  vérité  n'y  comprend  rien  et 
incline  toujours  à  se  ranger  en  dernière  analyse  à  l'avis  du 
haut  commandement,  mais  il  ne  faut  pas  qu'il  en  ait  trop 
l'air  ;  le  rôle  singulièrement  ingrat  dévolu  au  chancelier  est 
en  somme  de  faire  croire  au  public  qu'il  y  a  un  gouvernement 
civil  du  Reich  et  que  ce  gouvernement  a  l'appui  du  Reichstag. 
Et  pas  plus  sur  le  terrain  parlementaire  que  dans  ses  dé- 
mêlés   avec    le    général    Ludendorff,    le    comte    Hertling    ne 
possédait  les  qualités  qui  lui  eussent  permis  de  triompher  de 
tant  de  difficultés  :  choisi  parce  qu'il  était  catholique  et,  comme 
tel,  agréable  au  Centre,  il  avait  contre  lui  le  plus  remuant 
des  hommes  du  Centre,  Erzberger,  avec  qui  assez  prompte- 
ment  il  crut  devoir  rompre  toute  relation.  Pour  un  aristocrate 
un  peu  empesé  tel  que  Hertling,  Erzberger  n'était  guère  qu'un 
intrigant  de  basse   extraction,   un   démagogue   dangereux   II 
fallait  le  tenir  à  distance  et  soustraire  le  Centre,  autant  que 
possible,  à  son  influence  (1).  Mais,  d'autre  part,  avant  d'entrer 
en  fonctions,  Hertling  avait  dû  accepter  le  programme  élaboré 
par  la  majorité  du  Reichstag  et  admettre  comme  collabora- 
teurs des  membres  de  tous  les  partis  formant  cette  majorité, 
à  l'exception  des  socialistes  (2),  et  à  mesure  que  le  temps 
s'écoulait,  qu'éclatait  la  faiblesse  du  chancelier,  qu'il  perdait 
du  terrain  dans  la  lutte  entre  le  haut  commandement  et  les 


(1)  C'est  ce  que  Hertling  avait  annoncé  aux  ministres  de  Prusse  qu'il  ferait. 
Voir  Erzberger,  Erlebnisse  im  Weltkrieg,  p.  300, 

(2)  Les  socialistes  n'avaient  pas  réclamé  de  portefeuille  pour  l'un  d'eux, 
mais  exigé  que  le  vice-chancelier  Helfferich  fût  remplacé  par  un  membre  du 
parti  progressiste  (démocratique^et  Hertling,non  sans  résistance,  s'était  laissé 
imposer  Payer  en  cette  qualité.  Payer  lui-même  se  considérait  comme 
«  l'homme  de  confiance  »  à  la  fois  de  son  propre  parti  et  des  socialistes. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  1 1  5 

conservateurs  prussiens,  les  partis  de  gauche  du  Reichstag 
devenaient  plus  pressants  :  «  Le  gouvernement  n'a  ni  plan 
arrêté,  ni  but  précis...  La  politique  du  gouvernement  pro- 
longe la  guerre  et  déconsidère  l'Allemagne  à  l'étranger...  Le 
Reichstag  a  le  droit  d'intervenir  pour  que  l'Allemagne  soit 
préservée  d'un  malheur  terrible.  II  faut  que  nous  ayons  un 
gouvernement  dont  les  actes  répondent  aux  paroles  données.  » 
Telles  étaient  les  paroles  d'Erzberger  à  la  Commission  prin- 
cipale du  Reichstag,  le  8  mai  (1).  Et  sans  doute,  dans  son 
propre  parti,  ces  paroles  menaçantes  n'étaient  pas  sans  sou- 
lever quelques  protestations,  mais  le  parti  socialiste  lui  don- 
nait sa  pleine  approbation  (2),  et  le  Centre  avait,  on  le  savait 
bien,  le  plus  grand  intérêt  à  ménager  sa  clientèle  ouvrière  : 
s'il  la  mécontentait,  elle  risquait  d'aller  grossir  les  rangs  du 
parti  socialiste.  D'où  cette  conséquence  que  les  efforts  de 
Hertling  pour  rompre  la  coalition,  au  Reichstag,  du  Centre, 
des  socialistes  et  des  progressistes  restaient  sans  grand  effet. 
Erzberger  demeurait  maître  de  la  situation. 

Le  3  juillet,  discours  violent  de  Scheidem.ann  ;  un  peu  plus 
tard,  dans  une  réunion  des  chefs  de  groupe,  ks  socialistes 
s'expriment  sans  ménagement  :  «  La  faiblesse  du  gouverne- 
ment est  un  scandale,  le  renvoi  de  M.  de  Kiihlmann  une  pro- 
vocation. »  Hertling  revient  tout  exprès  de  Spa  pour  calmer 
les  esprits  et  y  réussit  dans  une  certaine  mesure  (3),  mais  ce 
n'est  qu'une  trêve  de  courte  durée.  Pour  que  le  chancelier 
triomphe  de  ses  adversaires  au  Reichstag,  il  faudrait  de  grands 
succès  militaires  et  ce  sont  des  revers  qu'on  annonce  ;  devant 
le  péril  croissant,  les  chefs  des  partis  de  gauche  finissent  par 
exiger  que  les  destinées  de  l'Allemagne  leur  soient  remises.  Le 
24  septembre,  à  la  Commission  principale  du  Reichstag,  Hert- 
ling expose  la  situation  qui,  bien  que  grave  assurément,  n'est 
cependant  pas, selon  lui, désespérée  ;  il  parle  de  la  note  adressée 
par  le  comte  Burian,  ministre  des  Affaires  étrangères  en  Au- 
triche-Hongrie, aux  gouvernements  belligérants.  Les  députés 
réunis  l'écoutent  en  silence,  l'effet  est  nul  :  «  Ils  attendaient 
autre  chose  »,  dit  le  fils  du  chancelier  (4).  La  politique  exté- 

(1)  Erzberger.  otivr.  cité,  p.   301. 

(2)  Die  klurje  Polili/c  Erzbergers  (la  politique  avisée  d'Erzberger),  disait  le 
Vortràrts. 

(3)  Hertling,  Ein  Jahr  in  der  Reichskanzlci,  p.  137. 

(4)  id.,  p.  ne. 


1 15  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

rieure  passe  à  l'arrière-plan.  Ce  qu'ils  veulent,  c'est  l'introduc- 
tion du  régime  parlementaire,  c'est  l'abrogation  de  l'article  9, 
paragraphe  2,  de  la  Constitution  qui  rend  la  qualité  de  repré- 
sentant du  peuple  incompatible  avec  celle  de  membre  du  gou- 
vernement ou  du  Bundesrat.  Le  jour  suivant,  les  chefs  de  parti 
prennent  la  parole,  Grbber  au  nom  du  Centre.  Il  avait  avec 
Hertling  des  relations  étroites,  et  le  début  de  son  discours 
fut  amical  ;  la  suite  ressemblait  fort  à  un  acte  d'accusation. 
Scheidemann  parla  ensuite,  et  trouva  le  moyen  d'être  sévère 
tout  en  restant  courtois  ;  Stresemann  lui-même,  chef  du  parti 
national-libéral,  fit  allusion  à  un  changement  devenu  inévitable 
dans  la  politique  de  son  groupe.  Hertling,  à  qui  les  orateurs 
avaient  prodigué  les  marques  de  respect,  ne  comprit  pas  sur 
le  champ  la  signification  de  ces  discours  ;  la  presse  se  chargea 
de  l'éclairer,  et  Grober  eut  beau  lui  certifier  qu'il  n'avait  pas 
voulu  le  renverser  .(1),  c'était  l'opinion  d'Erzberger  qui  pré- 
valait dans  le  Centre  et  au  Reichstag  :  Hertling  devait  rési- 
gner ses  fonctions,  et  il  fallait  lui  donner  un  successeur  par- 
tisan résolu  de  la  «  parlementarisation  ». 

Ce  qui,  pour  le  spectateur  désintéressé,  ne  laisse  pas  d'être 
comique,  c'est  que,  trois  jours  plus  tard,  le  haut  commande- 
ment, lui  aussi,  se  prononça  dans  le  même  sens,  de  façon  plus 
brutale  seulement.  Le  28  septembre  au  matin  (2),  le  colonel 
de  Winterfeldt  se  présentait  chez  le  chancelier  et  lui  décla- 
rait que  le  haut  commandement  croyait  le  moment  venu  de 
constituer  un  ministère  où  seraient  représentés  les  partis  poli- 
tiques formant  la  majorité  du  Reichstag  et  qui  serait  ainsi 
assuré  de  leur  appui  (3).  Hertling  partit  aussitôt  pour  Spa  où 
le  ministre  des  Affaires  étrangères,  Hintze,  l'avait  précédé. 
Quand  il  y  arriva,  l'empereur  Guillaume  lui  présenta  un  rescrit, 
rédigé  par  M.  de  Radowitz,  par  lequel  il  ordonnait  l'intro- 

(1)  Hertling,  ouvr.  cité,  p.  172.  Cf.  Payer, Ton  Belhmann  Hollweg  bisEbert, 
p.  80. 

(2)  7rf.,p.  176. 

(3)  C'est  au  nrême  moment  que  le  haut  commandement  se  déclarait  parti- 
san du  suffrage  universel  et  direct  en  Prusse. Ludendorff,dans  ses  Souvenirs, 
ne  parle  pas  de  la  démarche,  évidemment  ordonnée  par  lui.de  Winterfeldt,  et 
prétend  (Erijinerumgem,  p  5S4)  que,  le  29  seulement,  au  cours  d'un  entretien 
avec  Hintze, ministre  des  Affaires  étrangères,  il  eut  connaissance  de  la  situa- 
tion parlementaire;  jusque  là, il  avait  cru  que  Hertling  conseiTerait  ses  fonc- 
tions ;  Hintze  lui  dit  qu'une  transformation  profonde  était  nécessaire.  En 
dépit  de  ses  affirmations  réitérées,  Ludendorff  ne  prend  pas  très  volontiers  la 
responsabilité  de  ces  actes,  au  moins  quand  ils  ont  un  caractère  politique. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  117 

duction  en  Allemagne  du  régime  parlementaire  (1).  Hertling, 
adversaire  de  ce  régime  et  qui  voulait  que  l'Allemagne  restât 
une  confédération  d'Etats,  donna  aussitôt  sa  démission  :  «  A 
Berlin,  dit  Ludendorff,  on  se  mit  en  hâte  en  quête  d'un  nou- 
veau chancelier  parlementaire.  Cela  se  passa  tout  à  fait  en 
dehors  de  la  couronne.  » 

Les  temps  étaient  révolus;  le  prince  Max  de  Bade  fut  le 
chef  d'un  Cabinet  parlementaire,  le  premier  qu'ait  eu  l'Alle- 
magne. 

Lui-même  conserva  le  nom  de  chancelier  mais  il  fut  en 
réalité  un  président  du  Conseil  ;  le  ministre  des  Affaires  étran- 
gères, M.  de  Hintze,  fut  remplacé  par  M.  Soif,  précédemment 
ministre  des  Colonies,  qui  avait  des  appuis  dans  les  partis 
formant  la  majorité  du  Reichstag  ;  le  ministre  de  il'Intérieur 
Wallraf,  par  Trimborn  (Centre).  Un  ministère  du  Travail  fut 
créé  pour  le  député  socialiste  Bauer.De  plus,  Grbber  et  Erzber- 
ger,  représentants  du  Centre,Scheidemann  du  parti  socialiste  et 
Haussmann  du  parti  progressiste,  devinrent  ministres  sans 
portefeuille.  Payer,  qui  restait  vice-chancelier,  voulut  qu'avant 
de  rendre  officielle  et  définitive  la  nomination  du  prince 
Max,  on  s'assurât  du  concours  des  socialistes.  Un  peu  plus 
tard,  on  adjoignit  à  ce  cabinet,  en  qualité  de  sous-secrétaires 
d'Etat,  de  nouveaux  membres  du  Reichstag,  les  socialistes 
David  et  Schmidt,  Giesberts,  du  parti  du  Centre  ;  le  ministre 
de  la  Guerre,  von  Stein,  mal  vu  des  socialistes,  fut  remplacé 
par  le  général  Scheuch. 

Une  difficulté  de  forme  surgit  ;  le  fameux  article  9  de  la 
Constitution  restait  toujours  en  vigueur,  de  sorte  que  la  nomi- 
nation officielle  des  ministres  ou  sous-secrétaires  d'Etat  pris 
parmi  les  membres  du  Reichstag  eût  été  irrégulière.  On  était 
bien  décidé  à  abroger  cet  article  aussitôt  que  faire  se  pour- 
rait, mais,  en  attendant,  une  ordonnance,  que  l'empereur  signa 
en  soupirant,  dit  Payer  (3),  accorda  aux  parlementaires  in- 
troduits dans  le  cabinet  une  situation  et  un  traitement  égaux 
à  ceux  des  autres  ministres  (4). 

(1)  Ludendorff,  Erinnerungem,  p.  584,  dit,  à  tort,  que  le  document  avait  été 
préparé  par  Hintze.  Cf.  Hertling,  oum-.  cilé,  p.  181. 

(2)  Guillaume  n'objecta  rien  quand  on  lui  soumit  la  liste  arrêtée  en  dehors 
de  lui  ;  seul  le  nom  d'Erzberger  lui  fît  faire  la  grimace.  Cf.  Payer,  ouj;r.  cité, 
p.  108. 

(3)  Ouvr.cité,  p.   H9. 

(4)  La  nomination  officielle  et  définitive  n'eut  lieu  que  le  31  octobre. 


Il8  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Une  fois  le  nouveau  ministère  installé,  les  choses  allèrent 
assez  vite.  Tant  pour  satisfaire  les  partis  de  gauche  que  pour 
inspirer  plus  de  confiance  à  ses  ennemis,  l'Allemage  fit  peau 
neuve.  Le  9  octobre,  l'empereur  établissait  par  ordonnance  la 
suprématie  du  pouvoir  civil  sur  le  militaire  en  tout  ce  qui  n'était 
pas  étroitement  affaire  de  service  militaire  et,  par  exemple,  en 
ce  qui  concernait  la  censure  des  journaux  et  des  livres,  le 
droit  de  réunion  et  d'association,  jusque-là,  le  peuple  alle- 
mand avait  supporté  patiemment  une  sorte  de  dictature  mili- 
taire sans  contrôle. 

Le  1 1  octobre,  le  chef  du  cabinet  civil  de  l'empereur,  M.  von 
Berg,  était  remplacé  par  M.  Klemens  von  Delbriick.  Le  renvoi 
de  M.  von  Berg  avait  été  exigé  par  le  prince  Max  presque  au 
lendemain  de  son  arrivée  au  pouvoir,  s'il  faut  en  croire 
Niemann  (1). 

Le  5  octobre,  le  Bundesrat  admit  que  l'article  11  de  la  Cons- 
titution relatif  au  droit  de  paix  et  de  guerre  fût  modifié  dans 
le  sens  suivant  :  l'approbation  du  Bundesrat  et  celle  du 
Reichstag  sont  nécessaires  pour  que  la  guerre  puisse  être 
déclarée  au  nom  du  Reich.  Les  traités  de  paix  doivent  être 
ratifiés  par  le  Bundesrat  et  le  Reichstag.  Le  Reichstag  décida 
le  26  octobre  qu'il  en  serait  ainsi  désormais.  Le  même  jour 
il  formula  nettement  ce  principe  que  le  chancelier  avait,  pour 
gouverner,  besoin  de  la  confiance  du  Reichstag  et  cet  autre 
principe  que  le  chancelier  et  le  vice-chancelier  étaient  respon- 
sables devant  le  Reichstag  de  tous  les  actes  politiques  de  l'em- 
pereur. Les  nominations,  les  permutations,  les  mises  en  dis- 
ponibilité des  officiers  de  terre  et  de  mer  devaient  être 
contresignés  par  le  ministre  de  la  Guerre  compétent  ou  par  le 
chancelier  et  engageaient  leur  responsabilité  ;  le  cabinet  mili- 
taire impérial  était  subordonné  au  ministre  de  la  Guerre. 
L'article  9,  paragraphe  2,  de  la  Constitution  était  en  même 
temps  abrogé  (2). 


(1)  Le  lieutenant-colonel  Niemann,  officier  d'Etat-major  attaché  à  la  per- 
sonne de  l'empereur,  dans  son  livre  intitule'  Kaiser  und  Révolution  (Empereur 
et  Jiévolutionl,  p.  97,  dit  qu'un  certain  dimanche  le  prince  Max  vint  trouver 
l'empereur  pour  lui  demander  le  renvoi  de  son  chef  de  cabinet  ;  la  démis- 
sion de  M.  van  Berg  et  la  nomination  de  son  remplaçant  ayant  été  annoncées 
officiellement  le  11,  cette  démarche  ne  peut  être  que  du  dimanche  6  octobre. 

(2)  Dans  la  troisième  note  adressée  par  le  gouvernement  du  Reich  au  pré- 
sident VVilson  [elle  est  du  20  octobre)  toutes  ces  réformes  sont  données 
comme  déjà  accomplies. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE 


119 


Le  Bunde-srat  ratifia,  le  28  octobre,  toutes  ces  modifications 
apportés  à  la  Constitution,  et  l'empereur,  le  2  novembre,  dans 
un  rescrit  du  ton  le  plus  solennel,  proclama  cette  vérité  qu'en 
vertu  de  tous  ces  changements, un  ordre  nouveau  était  instauré, 
que  des  droits  fondamentaux  jusque-là  dévolus  au  seul  empe- 
reur appartenaient  dorénavant  à  la  nation  ;  il  exprimait  en 
même  temps  la  ferme  volonté  de  travailler  de  concert  avec  les 
représentants  du  peuple  à  la  mise  en  vigueur  de  ces  principes 
nouveaux.  Le  4  novembre,  tout  le  gouvernement  adressait  au 
peuple  allemand  une  exhortation  au  calme  et  au  maintien  de 
l'ordre.  Il  énumérait  dans  ce  document  les  réformes  déjà  ac- 
complies et  continuait  en  termes  :  «  B^eaucoup  reste  encore 
à  faire.  La  transformation  de  l'Allemagne  en  un  Etat  populaire 
(Volksstaat)  qui,  à  l'égard  de  la  liberté  politique  et  en  ce  que 
touche  l'assistance  sociale,  ne  le  cédera  en  rien  à  aucun  autre 
Etat  du  monde,  sera  poursuivi  avec  résolution.  » 

L'Allemagne  impériale  était  devenue  en  très  pe.u  de  jours  un 
Etat  parlementaire.  L'empereur  acceptait  fout  passivement,  les 
conservateurs  se  taisaient  (1),  le  haut  commandement  avait 
poussé  à  la  roue.  La  révolution  était  faite  en  un  sens  avant 
qu'elle  eût  éclaté. 

Charles  Appuhn. 


(1)A  titi'e  d'exemple  nous  citons  une  résolution  prise  par  l'union  conser- 
vatrice {Konservativer  Landesverein)  du  royaume  de  Saxe  :  «  Puisque  les 
partis  de  gauche  voient, dans  la  concession  au  peuple  de  nouveaux  droits  polili- 
(lues,  l'unique  moyen  de  fortifier,  d'affermir  son  unité,  sa  résolution,  sa 
vigueur  au  combat,  nous  ferons  taire  nos  scrupules  et  consentirons  au  sacri- 
fice qu'on  nous  demande.  » 


La  deuxième  partie  de  cette  étude  sur  V Agonie  de  l'Allemagne  impé- 
riale paraîtra  dans  un  prochain  numéro  de  la  Revue. 


AU  FRONT  DE  PERSE 

PENDANT  LA  GRANDE  GUERRE 


Souvenirs  d'un  officier  français. 


A  la  déclaration  de  guerre,  je  me  trouvais  à  Biarritz. 

Je  me  suis  engagé  dans  l'armée  française  et,  étant  donné 
ma  qualité  de  sous-officier  de  réserve  de  l'armée  russe,  je  fus 
affecté  comme  maréchal  des  logis  au  3^  hussards.  En  1915, 
j'ai  eu  l'honneur  d'être  nommé  officier  ;  après  avoir  fait  cam- 
pagne sur  le  front  français  et  ensuite  sur  le  front  de  Salonique, 
je  fus  envoyé,  en  1917,  par  l'Etat-major  de  l'armée,  en  Russie, 
puis  au  Caucase  et  en  Perse. 

Le  colonel  Chardigny,  attaché  militaire  français  près  de 
l'Etat-major  de  l'armée  du  Caucase,  me  chargea  de  visiter 
les  troupes  formant  le  front  du  7«  Corps  indépendant  et  du 
5^  Corps  de  l'armée  du  Caucase,  en  Perse,  et  en  Turquie 
(Région  de  Trébizonde).  En  décembre  1917,  le  colonel  Char- 
digny m'envoya  de  nouveau  en  Perse  et  me  donna  mission 
de  former,  d'accord  avec  l'Etat-major  russe,  des  bataillons 
assyriens  et  arméniens  contre  les  Turcs. 

Ce  dernier  séjour  en  Perse,  plein  d'aventures,  fait  l'objet 
de  mes  récits. 

I 

Après  le  traité  de  Brest-Litovsk,  les  troupes  russes  de 
l'armée  du  Caucase  refusèrent  de  rester  au  front. 

L'abandon  par  les  Russes  du  front  de  Perse  et  de  Turquie 
était  un  danger  pour  les  Anglais  se  trouvant  au  sud  de  la 
Perse  et  en  Mésopotamie. 

Pour  faire  face  à  ce  danger,  les  représentants  militaires  des 


AU  FRONT  DE  PERSE  121 

alliés  à  Tifîis,  d'accord  avec  l'Etat-major  russe,  décidèrent 
d'improviser  des  troupes  régionales,  russes,  géorgiennes,  ar- 
méniennes sur  le  front  turc,  arméniennes  et  assyriennes  sur  le 
front  Perse  ;  on  espérait  pouvoir  ainsi  parer  dans  une  certaine 
mesure  aux  conséquences  de  l'abandon  du  front  par  les  trou- 
pes russes  de  l'armée  du  Caucase. 

Le  colonel  Chardigny,  agissant  en  plein  accord  avec  l'Etat- 
major  russe  de  Tiflis,  s'employa  de  son  mieux  à  la  réalisation 
de  ce  projet,  à  laquelle  il  apporta  son  énergie  et  sa  persévé- 
rance habituelles. 

La  tâche  était  lourde  à  cette  époque  de  désagrégation  gé- 
nérale. 

Quant  à  moi,  je  reçus  l'ordre  de  me  rendre  en  Perse,  et  de 
me  mettre  à  la  disposition  du  Commandement  russe,  pour  la 
formation  des  troupes  assyriennes  et  arméniennes,  c'est-à-dire 
à  Ourmia,  où  se  trouvait  encore,  à  cette  époque,  le  général 
prince  Wadbolsky,  commandant  le  7^  Corps  indépendant  de 
l'armée  du  Caucase.  On  envisageait  d'envoyer  plus  tard  d'au- 
tres officiers  français  et  anglais  ;  les  Alliés  devaient  fournir 
les  fonds  nécessaires  pour  ces  formations  ;  un  certain  nom- 
bre d'officiers  russes  d'Ourmia  devaient  rester  avec  nous  pour 
continuer  leur  service  dans  les  troupes  assyriennes. 

La  Perse,  par  elle-même,  m'attirait  très  peu  ;  ce  pays  mo- 
notone manquait  de  charme  ;  mais  la  mission  dont  on  m'avait 
chargé,  la  formation  de  troupes,  la  guerre  dans  les  montagnes 
me  souriaient  beaucoup. 

En  me  remettant  la  lettre  de  service,  le  colonel  Chardigny 
me  déclara  : 

—  Vous  êtes  chargé  de  former  surtout  et  en  premier  lieu 
des  bataillons  d'infanterie  ;  vous,  cavalier,  vous  ferez  mainte- 
nant la  guerre  dans  une  arme  pleine  de  gloire. 

Ces  paroles  étaient  tout  à  fait  naturelles  de  la  part  d'un 
chasseur  à  pied. 

En  décembre  1917,  je  suis  arrivé  à  Ourmia,  petite  ville  per- 
sane aux  maisons  en  terre  glaise,  aux  ruelles  étroites.  Des 
hommes  chétifs,  l'air  inquiet,  marchaient  silencieux  en  rasant 
les  murs.  Parfois  apparaissaient  des  êtres  mystérieux,  cou- 
verts tout  entiers  de  voiles  ;  c'étaient  de  vertueuses  Persanes, 
cachant  leurs  charmes  aux  regards  indiscrets  des  hommes  ; 
les  femmes  laides  et  vieilles  mettaient  plus  de  zèle  dans  cette 
artifice  de  modestie  orientale  que  les  jeunes  ;  ces  dernières, 
à  la  rencontre  d'un  Européen,  dévoilaient  légèrement  leur  vi- 


J22  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

sage  en  montrant  de  beaux  yeux  noirs,  pleins  de  curiosité  et 
d'inquiétude. 

Quant  à  la  ville,  elle  aurait  semblé  morte,  s'il  n'y  avait 
pas  eu  de  ces  bazars  où  se  concentre  toute  la  vie,  animée  et 
bruyante,  des  Orientaux. 

Le  général  Wadbolsky,  à  qui  je  me  présentai,  m'apprit  que 
ses  troupes  étaient  en  pleine  désorganisation  ;  les  soldats 
quittaient  le  front,  emportant  armes  et  bagages  ;  l'évacuation 
était  dirigée  par  un  comité  de  soldats  et  par  des  comm.issaires. 
Le  général  lui-même,  avec  son  état-major  et  ses  officiers,  de- 
vait quitter  Ourmia  après  le  départ  des  troupes,  sur  lesquelles 
ils  n'avaient  plus  aucune  autorité.  II  devait  se  rendre  dans  le 
Caucase  du  Nord,  et  rejoindre  l'armée  de  Denikine. 

En  parlant  de  la  formation  des  troupes  assyriennes,  le  gé- 
néral, tout  en  me  souhaitant  du  succès,  me  prévînt  que  la  tâche 
serait  excessivement  difficile  ;  la  caisse  du  trésor  de  son  corps 
d'armée  étant  presque  totalement  vide  ;  il  fallait  que  les  alliés 
accordassent  d'urgence  des  fonds  nécessaires  au  recrutement. 
De  même,  il  fallait  que  les  Alliés  missent  des  cadres  à  la  dispo- 
sition des  nouvelles  troupes  russes,  parce  que  les  sous-officiers 
russes,  démoralisés  eux  aussi  par  la  révolution,  n'inspiraient 
aucune  confiance  ;  d'ailleurs,  il  ne  croyait  pas  que  les  sous- 
officiers  consentissent  à  servir  dans  les  bataillons  assyriens  et 
à  continuer  la  guerre. 

Pour  prendre  possession  des  armes  et  des  munitions,  il 
vous  faudra,  disait  le  général,  vous  mettre  en  rapport  avec 
le  comité  des  soldats,  qui  est  devenu  maître  de  la  situation. 
Le  jour  même,  le  général  me  présenta  au  patriarche  assyrien 
Mar-Choumoun  ;  ce  dernier,  qui  portait  le  nom  sonore  de  «  pa- 
triarche de  l'Orient  et  de  l'Inde  »,  était  le  chef  spirituel  et  laï- 
que des  Assyriens. 

L'espoir  de  pouvoir  recruter  les  Assyriens  était  basé  sur 
son  autorité  et  son  influence. 

Mar-Choumoun  et  ses  tribus  de  montagnards  assyriens, 
connus  sous  le  nom  d'Ach3^grates  et  de  Djilos,  habitaient  la  ré- 
gion de  Mossoul,  en  Turquie  ;  sujets  turcs,  ils  vivaient  dans 
leurs  montagnes  de  l'élevage  et  de  la  chasse. 

Les  Turcs  se  souciaient  peu  de  ces  montagnards  et  ne  les 
inquiétèrent  guère. 

Quand  la  Turquie  entra  en  guerre,  l'ambitieux  patriarche 
décida   de  quitter  la   Turquie   et   d'emmener  ses   tribus   en 


AU  FRONT  DE  PERSE  I23 

Perse,  sous  la  protection  de  la  Russie  ;  il  fut  très  bien  reçu 
par  les  Russes,  qui  lui  prêtèrent  secours  ;  le  commandement 
militaire  russe  utilisa  les  Djilos  et  leurs  qualités  guerrières  et 
les  encadra  dans  deux  bataillons.  En  effet,  les  Djilos  avaient 
une  valeur  très  appréciable  au  feu  ;  mais  aussitôt  la  bataille 
finie,  ils  rejoignirent  leurs  familles,  et  il  fut  impossible  de  les 
garder  dans  les  camps  et  de  leur  donner  une  instruction  mi- 
litaire. 

En  dehors  de  ces  montagnards,  souples  et  bien  bâtis,  pitto- 
resques dans  leur  costume  national,  il  y  avait  en  Perse,  depuis 
des  siècles,  des  Assyriens  sédentaires, connus  aussi  sous  le  nom 
de  Chaldéens  ;  ils  n'avaient  eu  jusqu'ici  aucun  rapport  avec 
le  patriarche  Mar-Choumoun,  qui  n'était  au  fond  que  le  chef 
de  l'église  nestorienne  ;  les  Assyro-Chaldéens  de  la  Perse  ap- 
partenaient à  différentes  églises  chrétiennes  et  changeaient 
fréquemment  de  religion  sous  l'influence  des  missionnaires 
des  différentes  églises,  représentées  en  Perse  ;  ces  Assyriens 
sédentaires  étaient  des  cultivateurs  et  des  commerçants  et 
n'avaient  point  de  qualités  guerrières. 

Mar-Choumoun  étant  venu  en  Perse,  les  Assyro-Chaldéens 
du  pays  se  soumirent  progressivement  à  l'autorité  du  patriar- 
che. 

De  cette  façon,  Mar-Choumoun  se  trouva  à  la  tête  de  30.000 
Djilos  et  de  40.000  Assyriens  de  Perse,  y  compris  femmes  et 
enfants  ;  il  promit  de  nous  fournir  7.000  hom.mes  pour  nos  for- 
mations. 

Quelque  temps  après,  arriva  à  Ourmia  un  colonel  russe, 
nommé  Boutakoff,  désigné  pour  former  le  détachement  assy- 
rien et  qui  venait  prendre  son  commandement.  C'était  un 
homme  charmant,  brillant  cavalier,  et  un  vieux  soldat  ;  dès 
les  premiers  jours,  nous  nous  sommes  liés  d'une  amitié  sin- 
cère ;  nous  nous  mîmes  au  travail  et  commençâmes  à  former 
le  détachement  assyrien,  auquel  on  donna  le  nom  de  détache- 
ment d'Azerbeidjan,  nom  de  la  partie  de  la  Perse  où  nous 
nous  trouvions. 

Le  colonel  Boutakoff,  dorénavant  commandant  du  déta- 
chement d'Azerbeidjan,  me  proposa  le  poste  de  chef  de  son 
état-major  ;  j'hésitai  longtemps,  mais  je  finis  par  céder  aux 
instances  du  colonel,  mon  chef  direct  à  cette  époque. 

Il  fut  décidé  de  former  4  bataillons  assyriens,  4  escadrons, 
2  batteries  légères,  une  compagnie  de  mitrailleurs  et  1  batail- 


J2A.  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Ion  arménien.  Un  certain  nombre  d'officiers  russes  consentirent 
à  rester  avec  nous  en  Perse  et  à  servir  dans  la  troupe  assy- 
rienne. 

Pendant  ce  temps,  les  soldats  de  l'armée  russe  quittaient  la 
Perse  ;  le  comité  des  soldats  étant  incapable  d'organiser 
l'évacuation,  une  anarchie  complète  accompagna  cette  retraite. 
Des  armes  en  quantité  élevée  et  des  réserves  de  munitions 
furent  emmenées  par  ces  soldats  et  vendues  aux  Persans  et  aux 
Kurdes,  ces  alliés  secrets  des  Turcs  et  nos  futurs  ennemis. 

C'est  à  cette  époque,  que  le  colonel  Boutakoff,  appelé  à 
Tiflis,  fut  obligé  de  quitter  d'urgence  Ourmia  ;  il  avait  l'in- 
tention de  revenir  de  suite,  en  emmenant  sa  famille.  Il  me 
chargea  de  prendre  le  commandement  des  troupes  assyrien- 
nes pendant  son  absence,  qui,  comme  on  le  verra  ensuite,  se 
prolongea  considérablement.  De  cette  façon,  en  janvier  1918, 
je  pris  la  possession  du  poste  de  commandant  par  intérim  du 
détachement  d'Azerbeidjan. 

Après  le  départ  des  troupes  russes,  le  dépôt  d'armes  du 
7^  corps  d'armée,  resté  sans  garde,  fut  menacé  de  pillage  par 
les  Persans,  qui  auraient  pu  de  cette  façon  s'emparer  de 
stocks  de  fusils  et  de  cartouches  ;  on  es-saya  de  faire  monter 
la  garde  par  les  Djilos  devant  ce  dépôt  ;  ceux-ci,  n'ayant  au- 
cune notion  du  service  militaire,  abandonnaient  leurs  postes  et 
disparaissaient  quand  cela  leur  plaisait  ;  de  cette  façon,  ce 
dépôt  se  trouvait  toujours  en  danger,  et  pour  mettre  fin  à  cet 
état  de  choses,  nous  décidâmes  de  distribuer  les  fusils  et  les 
cartouches  à  toutes  les  tribus  de  Djilos,  qui  n'en  avaient  pas 
encore,  sous  la  responsabilité  des  chefs  de  ces  tribus,  qui 
s'appelaient  «  malik's  ».  Nous  nous  étions  bien  rendu  compte 
des  inconvénients  de  cette  mesure  et  du  danger  de  voir  les 
djilos,  mal  encadrés,  encore  plus  mal  disciplinés,  une  fois  ar- 
més de  fusils,  se  livrer  au  pillage  ;  mais  c'était  l'unique 
solution,  parce  que  nous  nous  serions  exposés  en  agissant 
autrement  à  un  danger  plus  grave,  si  les  Persans  s'étaient  em- 
parés de  ce  dépôt  d'armes. 

J'étais  contraint  en  même  temps  de  négocier  avec  le  comité 
de  soldats,  qui  séjournait  encore  à  Ourmia,  pour  qu'il  nous 
laissât  8  canons,  un  certain  nombre  de  mitrailleuses,  des  che- 
vaux et  des  voitures  ;  ce  comité  se  laissa  longuement  sollici- 
ter par  nous  ;  il  finit  par  céder  le  bien  qui  ne  lui  appartenait 
pas  et  posa  comme  condition  que  le  colonel  Boutakoff,  consi- 


•      AU  FRONT  DE  PERSE  I25 

déré  par  ce  comité  comme  réactionnaire,  fût  retiré  du  comman- 
dement des  troupes  assyriennes,  et  qu'un  certain  nombre  d'of- 
ficiers russes  eussent  à  quitter,  pour  les  mêmes  raisons,  leurs 
emplois  dans  ces  troupes. 

Un  hôpital  militaire  français,  l'ambulance  alpine,  attachée 
aux  troupes  russes  du  7^  corps  d'armée,  se  trouvait  depuis 
un  an  à  Ourmia  ;  cet  hôpital  reçut  l'ordre  de  rester  à  Ourmia 
à  la  disposition  des  troupes  assyriennes.  Le  médecin-chef  de 
tette  ambulance,  le  docteur  Caujole,  grâce  aux  relations  qu'il 
possédait  dans  le  pays,  rendit  des  services  précieux  à  nos 
formations  ;  il  faisait  une  propagande  très  efficace  pour  atti- 
rer sous  nos  drapeaux  les  Assyriens  sédentaires,  sujets  persans. 

Cette  activité,  il  faillit  la  payer  très  cher,  car  il  reçut  plus 
tard  un  coup  de  poignard  en  pleine  poitrine  ;  l'agresseur, 
un  Persan,  à  la  solde  des  agents  allemands,  réussit  à  s'enfuir. 
Le  docteur  Caujole  sut  donner  à  son  hôpital  un  prestige  qui 
lui  valait  le  respect  de  tout  le  monde  à  Ourmia.  En  dehors 
des  soldats  russes,  l'hôpital  donnait  des  secours  aux  Persans 
et  même  aux  Kurdes. 

Cette  ambulance  française,  bien  organisée,  bien  installée, 
propre  et  coquette,  avec  son  personnel  discipliné  et  cour- 
tois, reflétait  bien  son  pays  d'origine  et  paraissait  une  oasis 
de  culture  dans  ce  triste  désert  persan,  où  tout  était  sale  et 
répugnant,  tout  était  à  vendre  et  à  acheter. 

En  dehors  de  l'ambulance,  il  y  avait  encore  à  Ourmia  un 
petit  coin  pur  et  noble,  reflétant  la  France  lointaine,  c'était 
la  mission  des  Lazaristes  et  des  sœurs  de  Saint-Vincent  de 
Paul.  L'évêque  français,  Mgr  Sontag,  était  à  la  tête  de 
cette  mission.  La  noble  image  de  ce  grand  prélat  ne  s'effacera 
jamais  de  ma  mémoire  ;  à  son  activité  en  Perse,  à  ses  œuvres 
de  charité  on  pourrait  consacrer  tout  un  ouvrage.  Quelle  abné- 
gation, quelle  suprême  bonté  ! 

Les  huit  sœurs  de  Saint-Vincent  de  Paul  d'Ourmia  étaient 
des  saintes.  Dans  leurs  soins,  dans  leurs  charités,  elles  ne 
faisaient  aucune  distinction  entre  chrétiens  et  musulmans  ;  ces 
âmes  élevées  en  imposaient  même  aux  Persans  :  ils  avaient  un 
respect  sans  bornes  pour  la  congrégation  française,  qui  leur 
rendait,  avec  un  désintéressement  incompréhensible  pour  eux, 
des  services  énormes.  Cette  reconnaissance  ne  les  a  point 
empêché  d'assassiner,  aussitôt  après  notre  départ  d'Ourmia, 
ce  pauvre  Mgr  Sontag  et  ses  missionnaires. 

10 


126  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

Je  dois  aussi  noter  les  services  rendus  par  Mgr  Sontag 
à  la  cause  des  Alliés  à  Ourmia  ;  patriote  ardent,  il  utilisa 
son  autorité  pour  faciliter  notre  tâche  avec  la  mesure  et  le 
tact  qui  convenaient  à  sa  qualité  de  pasteur  catholique,  il  fai- 
sait de  la  propagande  discrète  pour  le  recrutement  de  nos 
troupes,  destinées  en  premier  lieu  à  protéger  les  chrétiens 
contre  les  musulmans  persans  et  turcs... 


A  cette  époque,  c'était  à  la  fin  de  janvier  1918,  je  m'étais 
déjà  rendu  compte  qu'il  ne  pouvait  être  question  de  former  des 
troupes  régulières.  Les  djilos,  aussitôt  armés  des  fusils  qu'on 
leur  distribuait,  se  rendirent  dans  des  villages  persans  et 
dans  les  montagnes  ;  ils  se  livrèrent  là-bas  au  pillage  et 
au  massacre,  et  ni  l'autorité  de  Mar-Choumoun,  ni  celle  de 
leurs  chefs  directs  —  les  «  malik's  »  —  n'a  pu  les  arrêter.  On 
se  rendit  aussi  compte,  à  cette  occasion,  que  l'autorité  et 
l'influence  du  patriarche  assyrien  sur  ses  «  enfants  »,  comme 
il  appelait  les  djilos,  étaient  beaucoup  plus  faibles  qu'on  ne  le 
croyait  au  début  ;  Mar-Choumoun,  qui  nous  avait  promis  de 
rassembler  «  toute  une  armée  assyrienne  »,  s'était  illusionné 
lui-même  sur  l'obéissance  de  ses  hommes  ;  le  brave  patriarche 
«  de  l'Orient  et  de  l'Inde  »  fut  contraint  d'envoyer  des  cava- 
liers dans  les  villages  musulmans  pour  chercher  ses  «  enfants  » 
qui  se  livraient  là-bas  à  leur  occupation  préférée,  et  de  les  faire 
venir  à  Ourmia  à  coups  de  cravache  ;  ils  restèrent  patiemment 
2  ou  3  jours  dans  les  casernes  aménagées  pour  eux,  et  ensuite 
ils  prirent  de  nouveau  la  fuite.  Il  était  excessivement  difficile 
de  garder  quelque  part  cette  fameuse  troupe  assyrienne.  Elle 
disparaissait  d'une  façon  soudaine  et  invisible,  elle  était  insai- 
sissable pour  ainsi  dire  et  fondait  brusquement  comme  la 
neige. 

J'essayai  de  persuader  le  patriarche  de  la  nécessité  d'établir 
un  conseil  de  guerre,  d'introduire  la  peine  de  mort  pour  les 
déserteurs  et  les  brigands,  enfin  des  sanctions  sévères.  Mais 
Mar-Choumoun,  complètement  ignorant  des  choses  militaires, 
n'arrivait  pas  à  comprendre  que  la  discipline  et  les  sanctions 
sont  indispensables  pour  former  même  des  bandes  irrégu- 
lières ;  il  me  supplia  de  ménager  ses  «  chers  enfants  »,  disant 
qu'il  se  chargeait  de  les  corriger. 


AU   FRONT  DE   PERSE 


127 


—  Vous  les  verrez  au  feu,  disait-il,  et  vous  les  admirerez. 

Telle  était  la  situation.  Je  rendis  compte  de  cet  état  de 
choses  au  colonel  Chardigny  dans  mes  rapports  et  par  fil 
direct,  en  lui  demandant  aussi  de  nous  procurer  les  fonds 
nécessaires  pour  pouvoir  ravitailler  les  djilos  et  leurs  familles, 
sans  quoi  ces  derniers,  pour  ne  pas  mourir  de  faim,  seraient 
toujours  forcés  de  se  livrer  au  pillage  et  au  massacre  ;  à  son 
grand  regret,  le  colonel  Chardigny  ne  put  obtenir  des  Anglais 
les  fonds  promis  par  eux  pour  les  formations  de  troupes  en 
Perse. 

Je  ne  me  faisais  point  d'illusion  sur  le  succès  de  la  forma- 
tion de  troupes  dans  de  semblables  conditions.  Même  en  Perse, 
pour  ne  former  que  des  bandes,  il  faut  de  l'argent,  il  faut 
des  vêtements  chauds,  des  chaussures  ;  tout  cela  nous  faisait 
défaut  et  —  ce  qui  était  plus  important  — ,  nous  n'avions  point 
de  cadres  et  nous  dûmes  les  improviser  en  hâte  parmi  les 
Assyriens. 

Pour  augmenter  toutefois  les  chances  de  réussite  du  projet 
de  formation  de  troupes  assyriennes,  je  rendis  compte  au 
colonel  Chardigny  qu'il  convenait  de  faire  ressortir  le  carac- 
tère interallié  de  ce  projet  et  de  demander  à  l'Etat- 
major  anglais  d'envoyer  également  des  officiers  anglais  ;  les 
efforts  du  colonel  furent  vains,  et  il  put  obtenir  seulement 
l'envoi  à  Ourmia  du  colonel  russe  Kousmine  avec  20  offi- 
ciers subalternes.  Ce  co-lonel  était  désigné  comme  comman- 
dant du  détachement  d'Ourmia,  mais  là  aussi  la  chance  nous 
tourna  le  dos  :  lui  et  ses  officiers  furent  arrêtés  à  la  frontière  ; 
les  autorités  persanes  ne  voulaient  pas  les  laisser  passer 
parce  que  la  Perse  était  un  pays  neutre  et  qu'on  ne  pouvait 
admettre  leur  venue-  à  Ourmia. 

En  dehors  des  djilos,  au  fond  très  braves  montagnards, 
quoique  primitifs  dans  leurs  convictions  et  agissements,  et 
très  arriérés  dans  leur  civilisation,  —  mais  réellement  vaillants 
et  braves,  doux  jusqu'à  la  tendresse  avec  leurs  familles,  très 
respectueux  dans  leurs  rapports  avec  nous,  —  il  y  avait  en 
Perse,  comme  je  le  disais  plus  haut,  des  Assyriens-Chaldéens, 
qui  habitaient  depuis  des  siècles  les  plaines  fécondes  d'Our- 
mia et  de  Salmas  au  nord  de  la  Perse.  Ces  sédentaires, 
rejetons  de  l'empire  ass3''ro-babylonien,  et  dispersés  à  peu 
près  partout  dans  le  monde  entier,  tout  en  acceptant  l'autorité 
de  Mar-Choumoun  et  con3entant  à  servir  la  cause  commune 


128  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

des  chrétiens  de  Perse,  élirent  un  comité,  composé  de  soi- 
disant  notables  assyriens  et  de  quelques  prêtres  ;  ce  comité 
se  chargeait  de  s'occuper  du  ravitaillement  des  troupes,  en 
imposant  les  habitants  ;  mais,  au  lieu  de  s'acquitter  de  cette 
tâche  pratique  d'une  façon  satisfaisante,  il  manquait  à  tous 
ses  engagements,  se  montrait  inapte  à  toute  organisation  et 
passait  son  temps  en  discours  et  discussions  ;  en  vrais  Orien- 
taux, les  membres  du  comité  parlaient  sans  fin,  donnaient 
pleine  liberté  à  leur  imagination  et  faisaient  des  projets  sur 
la  résurrection  de  l'ancien  empire  assyro-babylonien. 

Ils  se  frappaient  la  poitrine,  ils  déclaraient  avec  orgueil 
que  les  Assyriens  étaient  la  race  la  plus  ancienne  du  monde 
et  que  l'heure  avait  sonné  pour  cette  vieille  et  noble  race  de 
reprendre  sa  place  dans  l'univers.  ' 

Cependant  les  pauvres  djilos  mouraient  de  faim  et  conti- 
nuaient le  pillage  pour  nourrir  femmes  et  enfants.  Ce  bri- 
gandage servait  de  moyen  de  propagande  aux  musulmans 
dans  leur  hostilité  contre  les  chrétiens,  et  a  beaucoup  hâté 
leurs  projets  de  massacre. 

Les  mollahs  incitaient  les  fidèles  dans  les  mosquées  à 
prendre  les  armes  contre  les  chrétiens  pour  en  finir  une  fois 
pour  toutes.  Le  soi-disant  parti  démocratique  persan,  soutenu 
par  les  émissaires  allemands,  poussait  les  musulmans  à  la 
révolte. 

Il  était  évident  que  l'heure  du  conflit  s'approchait. 

Pendant  ce  temps,  un  nouveau  personnage  mettait  toutes 
ses  forces  en  action  pour  s'emparer  du  pouvoir  et  par  ses 
agissements  compliquait  davantage  la  situation.  C'était  un 
certain  Aga  Pétros,  Assyrien  de  la  plaine,  qui  avait  su  conqué- 
rir les  sympathies  de  ses  compatriotes  sédentaires  et  de  cer- 
tains chefs  de  tribus  djilos. 

Lorsque  j'étais  arrivé  à  Ourmia,  au  nombre  des  gens  du 
pays  qui  m'avaient  rendu  visite,  se  trouvait  un  Assyrien,  vêtu 
d'un  uniforme  de  fonctionnaire  russe  et  armé  des  pieds  à  la 
tête  ;  il  était  accompagné  d'une  escorte,  composée  de  gens  en 
tenue  bizarre  et  fantastique  et  portant  tout  un  arsenal  sur 
leurs  poitrines  ;  il  m'avait  parlé  par  l'intermédiaire  d'un  inter- 
prète, quoique,  comme  je  l'appris  plus  tard,  il  connût  suffi- 
samment le  russe  et  n'eût  nullement  besoin  d'un  interprète  ; 
dès  les  premières  paroles,  il  avait  intrigué  contre  Mar-Chou- 
moun.   C'était  Aga  Pétros.   Son  passé  était  assez   obscur  ; 


AU   FRONT  DE   PERSE 


129 


dans  sa  jeunesse,  il  s'était  occupé  de  commerce  au  Canada  et, 
d'après  ce  que  l'on  m'a  dit,  après  avoir  eu  maille  à  partir  avec 
la  police  du  Canada,  il  quitta  ce  pays  peu  hospitalier  pour  lui 
et  revint  à  Ourmia,  où  il  entra  au  service  du  Consulat  de 
Russie,  en  qualité  d'interprète  assyrien  et  turc  ;  quand 
éclata  la  guerre  avec  la  Turquie,  il  offrit  ses  services  à  l'Etat- 
major  russe,  forma  une  milice  de  djilos  et  se  chargea  des 
reconnaissances  dans  les  montagnes  de  la  Perse. 

M.  Nikitine,  Consul  général  de  Russie  à  Ourmia,  et 
ancien  chef  d'Aga  Pétros,  me  disait  que  l'Etat-major  russe 
était  très  satisfait  de  ses  services  et  qu'il  le  chargeait  souvent 
de  missions  pareilles,  le  considérant  comme  un  excellent  éclai- 
reur.  Telle  est  l'histoire  de  la  carrière  militaire  d'Aga 
Pétros. 

Après  la  débâcle  russe,  Aga  Pétros,  se  considérant  comme 
un  grand  capitaine,  nourrissait  le  projet  ambitieux  de  deve- 
nir chef  militaire  de  tous  les  Assyriens  ;  me  rendant  alors 
de  fréquentes  visites,  il  insista  pour  qu'on  mît  à  sa  disposi- 
tion 4.000  fusils  et  qu'on  le  reconnût  comme  commandant  du 
bataillon  assyrien.  Il  fit  tout  son  possible  pour  compromettre 
à  mes  yeux  le  patriarche  Mar-Choumoun.  En  outre,  il  repro- 
chait au  patriarche  l'assassinat  à  Mossoul  de  son  propre 
oncle,  qui  était  partisan  de  la  fidélité  des  djilos  à  la  Turquie 
et  adversaire  ardent  de  leur  exode  en  Perse,  sous  la  protec- 
tion de  la  Russie. 

—  Et  voilà,  lieutenant,  l'homme  avec  lequel  vous  voulez 
travailler  ?  Vous  ne  connaissez  pas  encore  la  perfidie  orien- 
tale ;  je  me  permets  de  vous  conseiller  d'être  prudent. 

Le  récit  d'Aga  Pétros,  comme  je  l'appris  plus  tard,  étai. 
vrai  ;  cependant  il  ne  m'a- nullement  impressionné  ;  à  ce  mo- 
ment, je  m'étais  déjà  formé  une  opinion  exacte  sur  le  milieu 
dans  lequel  je  me  trouvais  et  sur  tous  ces  gens  avec  les- 
quels, par  la  force  des  choses,  j'étais  contraint  de  collaborer. 
Il  me  paraissait  assez  étrange  d'entendre  Aga  Pétros  criti- 
quer la  conduite  de  Mar-Choumoun  à  Mossoul,  cet  Aga  Pétros 
à  qui  l'opinion  publique  attribuait  des  actes  de  brigandage 
et  des   malversations  sans  nombre. 

Il  devenait  évident  pour  moi  que  tous  ces  chefs  assyriens 
n'étaient  ni  des  héros,  ni  des  chevaliers  sans  reproches,  mais 
tout  simplement  des  Orientaux  vaniteux,  poursuivant  des  buts 
personnels  ;  la  perfidie  et  la  traîtrise  sont  d'un  usage  courant 


130 


HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 


depuis  des  siècles  dans  ces  pa3^s  d'Orient,  et  l'assassinat  est  le 
moyen  le  plus  efficace  pour  écarter  l'adversaire. 

Pourtant,  il  serait  injuste  de  ma  part  d'attribuer  cette  men- 
talité au  patriarche  Mar-Choumoun,  peut-être  unique  dans  son 
amour  et  dans  son  dévouement  pour  son  petit  peuple  . 

Le  jeune  patriarche  —  il  avait  28  ans,  —  faisait  la  meil- 
leure impression  ;  doux  et  distingué  dans  ses  manières  et  sa 
parole,  il  avait  les  traits  fins  et  les  yeux  vifs  :  on  voyait  en  lui 
le  descendant  d'une  vieille  race  ;  et,  en  effet,  la  lignée  illus- 
tre de  patriarches  assyriens  se  perdait  dans  la  nuit  des  temps  ; 
cette  dignité  passe  du  frère  au  frère,  de  l'oncle  au  neveu,  et 
est  pour  ainsi  dire  héréditaire,  sans  jamais  passer  à  la  ligne 
directe  à  cause  du  célibat  des  patriarches. 

Quand  Mar-Choumoun  parlait  des  Turcs  ou  des  Kurdes, 
ses  yeux  noirs  brillaient  de  colère  et  de  haine  ;  on  sentait  que 
c'étaient  ses  pires  ennemis  ;  les  mêmes  sentiments  l'inspiraient 
quand  on  parlait  devant  lui  d'Aga  Pétros  ;  il  voyait  en  lui  son 
rival,  rival  indigne,  qui  osait  aspirer  au  pouvoir  suprême,  à  l'in- 
fluence sur  son  peuple. 

Mar-Choumoun  protestait  contre  toute  collaboration  avec 
Aga  Pétros,  nous  déclarant  qu'il  lui  était  impossible  d'ad- 
mettre un  brigand  à  la  tête  des  djilos. 

Pourtant,  tout  en  me  méfiant  d'Aga  Pétros,  et  malgré  mon 
estime  et  ma  sympathie  pour  le  chef  légitime  du  peuple  assy- 
rien, je  considérais  comme  impossible  de  faire  l'alliance  avec 
Mar-Choumoun  dans  sa  lutte  contre  Aga  Pétros  et  d'écarter 
ce  dernier  de  notre  pénible  besogne.  Je  trouvais  chez  Aga 
Pétros  des  qualités  qu'on  pouvait  utiliser,  fermant  les  yeux 
sur  son  passé  et  ne  cherchant  pas,  dans  ce  milieu,  une  âme 
sans  tâche. 

Actif  et  énergique,  très  adroit  dans  ses  relations  avec  les 
djilos  et  les  chefs  de  tribus,  Aga  Pétros  réussit  en  peu  de 
temps  à  former  une  «  droujine  »,  bataillon  de  milice  des 
djilos,  qui  obéissait  à  ses  ordres  et  lui  témoignait  de  la  sou- 
mission. A  toute  demande  de  ma  part  de  passer  la  revue  de  sa 
«  droujine  »,  il  rassemblait  les  djilos,  dispersés  dans  des  vil- 
lages, en  très  peu  de  temps  et  cela  prouvait  que,  si  jamais 
nous  avions  besoin  d'urgence  d'une  force  armée  pour  faire 
face  à  un  complot  musulman  à  Ourmia,  on  pourrait  compter 
sur  Aga  Pétros  et  sa  milice.  Au  contraire,  Mar-Choumoun  et 
tout  son  entourage  passaient  leur  temps  en  discussions  ;  tou- 


AU  FRONT  DE  PERSE  15  I 

jours  bercés  de  leurs  rêves  ambitieux,  toujours  préoccupés 
de  projets  fantastiques  que  leur  soumettait  le  fameux  comité 
national  assyrien,  Mar-Choumoun  et  son  nombreux  état- 
major,  composé  d'officiers  chaldéens,  de  prêtres,  de  négo- 
ciants, n'avaient  jusqu'ici  fait  preuve  d'aucune  activité  pro- 
ductive ;  il  était  évident  que  tous  ces  gens  étaient  incapables  de 
nous  prêter  leur  concours  pour  la  formation  des  troupes.  Avec 
une  naïveté  tout  à  fait  compréhensible  de  la  part  d'un  pasteur, 
le  patriarche  rassemblait  ses  djilos  à  l'église,  oii  il  les  suppliait 
d'obéir  à  ses  ordres,  de  ne  pas  déserter  et  de  s'abstenir  de  pil- 
ler et  de  massacrer  les  Persans.  Bien  entendu,  cette  mesure 
platonique  restait  sans  effet. 

Toute  communication  avec  Tifiis  était  coupée  :  le§  Per- 
sans s'emparèrent  de  la  flotille  sur  le  lac  d'Ourmia,  du  chemin 
de  fer  conduisant  au  Djoulfa,  —  frontière  russo-persane,  — 
à  Charifkane,  port  du  lac  d'Ourmia  ;  ils  coupèrent  le  fil 
télégraphique  dont  nous  nous  servions  pour  communiquer 
avec  le  Caucase  ;  de  cette  façon  nous  étions  isolés  du  monde 
entier  et  bloqués  dans  la  plaine  persane  par  le  lac,  les  mon- 
tagnes et  les  ennemis,  nous  ne  devions  plus  compter  doré- 
navant que  sur  le  Tout-Puissant  et  sur  nous-mêmes... 


II 

L'auteur  raconte  alors  comment  il  parvient  à  organiser  quelques 
troupes,  formées  de  «  djilos  ».  Mais  le  gouverneur  d'Ourmia  appelle 
dans  la  ville  plusieurs  centaines  de  cavaliers  persans. 

Quelques  jours  après  l'arrivée  de  cette  garde  étrange,  vers 
le  soir  du  24  fév^rier  1918,  des  coups  de  fusil  éclataient  dans 
différents  quartiers  de  la  ville  ;  des  Persans,  armés  de  fusils 
et  de  poignards,  entourèrent  le  quartier  chrétien  et  l'atta- 
quèrent ;  bientôt  la  ville  d'Ourmia  se  transforma  en  champ 
de  bataille  ;  des  hommes,  de^chevaux  tués  gisaient  par  terre; 
comme  par  enchantement,  dermiliers  de  djilos,  dispersés  dans 
les  environs,  accoururent  dans  la  ville  ;  il  faut  leur  rendre 
cette  justice  qu'aguerris  par  leur  brigandage,  ils  se  bat- 
taient vaillamment  et  ripostaient  aux  Persans  avec  beaucoup 
d'entrain.  Nos  canons  bombardèrent  les  quartiers  musulmans, 
où  les  adversaires,  terrorisés  par  les  obus  et  par  la  défense 
acharnée  des  djilos,  commencèrent  à  lâcher  pied  le  lendemain 


1^2  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

même  ;  le  troisième  jour  de  cette  bataille  dans  les  rues  et  sur 
les  toits  des  maisons,  les  Persans  demandaient  grâce  et  en- 
voyaient une  délégation,  composée  de  notables  et  de  mollahs, 
supplier  Mar-Choumoun  de  faire  la  paix...  Cette  délégation, 
drapeau  blanc  en  tête,  traversa  la  ville  à  pied  (tous  les  che- 
vaux persans  ayant  été  enlevés  par  les  djilos),  humiliée  par 
cette  défaite  rapide  et  inattendue,  blessée  dans  son  fanatisme, 
elle  contemplait,  en  traversant  les  rues  encombrées  de  ruines, 
le  triste  tableau  que  présentait  la  ville.  Ici  je  laisse  la  parole 
au  D''  Caujole  qui,  dans  ses  souvenirs  d'Ourmia,  intitulés  : 
Les  tribulations  d'une  ambulance  française  en  Perse,  dit  : 
«  Quel  souvenir,  je  garderai  de  cette  journée  tragique..  Quelles 
visions  d'horreur  passent  devant  mes  yeux  ! 

«  Des  fillettes  éventrées,  les  intestins  dévidés  sur  la  neige, 
vivant  encore  et  retenant  leurs  entrailles  dans  leurs  mains. 
Un  enfant,  l'œil  tiré  de  l'orbite,  un  poignet  coupé,  hurlant 
sa  douleur  et  me  tendant  son  moignon  sanglant  pour  que  je 
l'arrache  du  milieu  des  décombres  fumants  oii  ses  bourreaux 
l'ont  jeté.  Des  crânes  fracassés,  des  cervelles  dont  la  bouillie 
a  giclé  sur  les  murs.  Dans  les  boutiques  saccagées,  des  ca- 
davres tombés  l'un  sur  l'autre.  » 

Dans  ce  tableau,  décrit  avec  le  réalisme  d'un  médecin,  il 
s'agit  des  vaincus,  des  Persans  ;  nos  pertes  étaient  relati- 
vement peu  élevées  ;  les  vainqueurs,  dans  leur  fureur  et  leur 
soif  de  vengeance,  continuaient  le  massacre  et  il  n'y  avait 
plus  moyen  de  les  arrêter. 

Dans  cette  orgie  de  cruauté  bestiale,  les  djilos,  ces  mon- 
tagnards primitifs,  étaient  plus  humains  et  plus  nobles  que 
■les  brigands  d'Erivan,  composés  d'Assyriens  et  d'Arméniens 
du  Caucase  ;  je  n'arrivais  pas  à  comprendre  que  des  êtres 
humains  pussent  être  aussi  cruels.  Les  Persans  se  sont  ren- 
dus, sans  conditions,  à  la  merci  de  l'ennemi,  et  ces  bêtes 
féroces  massacraient  et  torturaient  les  vaincus,  sans  aucune 
raison,  sans  aucune  nécessité,  lis  se  promenaient  en  bandes 
dans  les  rues  et  tiraient  des  coups  de  feu  sur  des  enfants  qui 
jouaient,  sur  des  vieillards  qui  traînaient  péniblement  leurs 
jambes,  sur  des  femmes. 

Les  apercevant  un  jour  en  train  de  s'amuser  de  cette  façon, 
je  leur  déclarai  qu'ils  méritaient  d'être  pendus  pour  leur  bar- 
barie et  que  si  je  les  voyais  encore  une  fois  à  une  telle  occu- 
pation, je  les  tuerais  de  mes  propres  mains.  Ils  me  répliqué- 


AU   FRONT  DE   PERSE  I33 

rent  que  si  les  Persans  avaient  été  vainqueurs,  ils  auraient 
fait  la  même  chose  ;  en  effet,  il  n'y  avait  pas  de  doute  que  les 
Persans,  s'ils  avaient  réussi  dans  leur  complot,  auraient  dé- 
passé encore  ces  bandits  dans  leur  férocité  ;  il  y  avait  déjà 
des  exemples  de  la  conduite  des  musulmans  dans  le  passé. 

Un  détachement  de  la  brigade  persane  était  en  garnison  à 
Ourmia.  C'était  l'unique  troupe  régulière  persane  formée  et 
instruite  par  les  Russes  du  temps  du  Tsar  ;  les  hommes  étaient 
des  Persans,  encadrés  par  les  Russes  ;  ce  détachement  était 
commandé  par  le  colonel  russe  Stolder  et  quelques  officiers. 
Les  hommes  de  ce  détachement,  qu'on  appelait  les  cosaques 
persans,  voyant,  le  jour  du  massacre,  les  musulmans  vaincus, 
prirent  parti  pour  leurs  coreligionnaires,  et  du  toit  de  leur 
caserne  tirèrent  des  coups  de  feu  sur  les  chrétiens,  malgré  les 
ordres  formels  du  colonel  Stolder  de  s'abstenir  de  toute  in- 
tervention dans  le  conflit  d'Ourmia.  Les  Assyriens,  pour  se 
venger,  attaquèrent  la  caserne  persane,  et  après  l'avoir  prise 
d'assaut,  anéantirent  les  cosaques  ;  le  colonel  Stolder,  sa 
femme  et  son  fils,  par  crainte  de  vengeance  de  la  part  des 
Assyriens,  se  sauvèrent  au  Consulat  de  Russie,  et  le  lendemain 
à  l'aube  quittèrent  en  voiture  Ourmia,  se  rendant  à  Tauris.  Le 
jour  même,  à  11  kilomètres  de  la  ville,  on  trouva  leurs  cada- 
vres gisant  sur  la  route  ;  les  brigands,  qu'on  n'a  jamais  pu 
découvrir,  s'emparèrent  de  tous  leurs  biens,  de  leurs  bijoux  et 
de  l'argent  que  la  famille  Stolder  emportait  avec  elle  ;  ils 
enlevèrent  même  leurs  vêtements,  laissant  les  victimes  toutes 
nues  sur  la  route. 

Un  officier  russe  appartenant  à  cette  brigade,  se  voyant 
poursuivi  par  les  Assyriens,  dans  sa  fuite  se  brûla  la  cer- 
velle en  présence  de  sa  femme,  pour  ne  pas  tomber  dans  les 
mains  des  brigands. 

L'assassinat  de  la  famille  Stolder,  que  nous  estimions  beau- 
coup tous  et  que  nous  fréquentions  souvent,  impressionna 
profondément  la  colonie  européenne  d'Ourmia  ;  tout  le  per- 
sonnel de  l'hôpital  russe,  qui  consentait  au  début  à  rester  à 
la  disposition  des  Assyriens,  quelques  officiers  russes  de  l'an- 
ancien  état-major  du  7*=  corps  d'armée,  comme  le  général 
Karpoff,  le  colonel  Ern,  et  d'autres,  détachés  à  Ourmia  pour  la 
liquidation  de  ce  corps  d'armée,  quittèrent  le  lendemain  et  en 
toute  hâte  la  ville  sinistre. 

A  la  veille  du  départ  de  l'hôpital  russe,  quand  la  bataille 


j,  ,  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

d'Ourmia  battait  son  plein,  on  s'aperçut  qu'une  jeune  îille,  doc- 
toresse de  l'hôpital,  manquait  à  l'appel  ;  on  m'apprit  que  cette 
pauvre  jeune  fille,  qui  habitait  le  quartier  musulman,  était 
bloquée  dans  sa  maisonnette  ;  elle  ne  pouvait  pas  la  quitter 
par  crainte  d'être  assassinée  par  les  Persans  ;  je  connaissais 
cette  charmante  doctoresse,  et  ne  voulant  confier  à  personne 
une  aussi  belle  mission  que  la  délivrance  d'une  femme  bloquée 
de  4  djilos,  et  me  frayant  un  chemin- à  coups  de  fusil  par  les 
ruelles  persanes,  j'eus  la  chance  de  libérer  cette  sympathique 
jeune  fille  et  de' la  ramener  à  l'hôpital  russe;  le  jour  du 
départ,  elle  exprima  le  désir  de  rester  à  Ourm.ia  et  de  par- 
tager notre  sort.  Je  rendis  hommage  à  son  noble  geste,  mais 
je  la  persuadai  de  partir  et  de  ne  pas  courir  les  risques  d'un 
avenir  incertain. 

* 

C'est  à  cette  époque  que  le  colonel  russe  Kousmine.  accom- 
pagné d'une  vingtaine  d'officiers,  réussit  à  passer  la  fron- 
tière persane  et  arriva  à  Ourmia.  Cet  officier  avait  été  désigné 
par  l'Etat-major  russe  de  Tiflis,  d'accord  avec  le  colonel  Char- 
digny,  pour  prendre  le  commandement  des  troupes  assyriennes. 
J'ai  oublié  de  dire,  que  peu  de  temps  avant  l'arrivée  de  ce 
colonel,  j'avais  remis  le  commandement  de  ces  troupes  à  un 
lieutenant-colonel,  nommé  Sinielnikoff,  arrivé  du  Caucase  et 
qui  me  garda  en  qualité  d'adjoint.  A  l'arrivée  du  colonel 
Kousmine,  c'est  celui-ci  qui  prit  le  commandement  du  dé- 
tachement d'Azerbeidjan.  C'était  un  vieux  soldat,  qui  s'était 
couvert  de  gloire  au  coure  de  campagnes  nombreuses,  droit 
et  loyal,  un  vrai  militaire  de  l'ancien  régime.  Malheureusement, 
habitué  à  comm.ander  des  troupes  régulières  et  disciplinées,  du 
temips  du  Tsar,  il  ne  se  rendait  pas  compte  des  conditions 
exceptionnelles  dans  lesquelles  se  trouvaient  nos  formations 
assyriennes  ;  il  fut  exigeant  et  sévère,  donnait  des  ordres  qui 
étaient  inexécutables,  menaçait  de  sanctions  les  chefs  de  djilos, 
etc.,  et  en  fin  de  compte,  tous  ces  Assyriens,  tous  leurs  chefs, 
les  officiers  russes  même,  lui  devinrent  hostiles  ;  ce  méconten- 
tement fut  exploité  par  son  prédécesseur,  le  lieutenant-colonel 
Sinielnikoff,  qui,  jaloux  de  son  rival,  voulait  de  nouveau  s'em- 
parer du  commandement.  Ayant  réuni  autour  de  lui  tous  les 
officiers  russes  et  la  plupart  des  chefs  assyriens,  il  adressa  au 


AU   FRONT  DE  PERSE  I35 

colonel  Kousmine  un  ultimatum  :  il  lui  imposa  soit  d'assister  à 
un  meeting  où  des  conditions  nouvelles  du  commandement  lui 
seraient  exposées,  soit  de  se  voir  abandonné  par  tous  ses 
officiers  qui  se  refuseraient  à  continuer  de  servir  sous  ses 
ordres.  C'était  une  humilitation  pour  ce  vieux  soldat  de  né- 
gocier avec  ses  subordonnés  ;  mais,  pour  éviter  des  compli- 
cations, il  se  décida  à  assister  à  ce  nouveau  «  soviet  »  ;  il 
espérait  calmer  les  esprits  et  contrebalancer  de  cette  façon 
l'influence  néfaste  de  Sinielnikoff.  Il  me  donna  à  comprendre 
qu'il  désirait  que  j'assistasse  à  cette  réunion  et  que  j'inter- 
vinsse en  ma  qualité  de  représentant  des  alliés  ;  j'acceptai 
volontiers  ce  rôle  de  conciliateur,  et,  à  cette  réunion,  j'expri- 
mai mon  étonnement  que  les  officiers  russes  eussent  pu  se 
décider  à  suivre  l'exemple  des  soldats  et  des  «  soviets  »,  dont 
ils  étaient  eux-mêmes  les  victimes  ;  je  déclarai  ensuite  que 
les  formations  de  troupes  assyriennes  se  trouvaient  sous  la 
protection  des  Alliés,  qui  considéraient  le  colonel  Kousmine 
comme  chef  légal  du  détachement  et  que  les  officiers  qui  ne 
partageaient  pas  ce  point  de  vue  n'avaient  qu'à  quitter 
OuiTiiia.  Le  consul  russe  Nikitine  intervint  aussi  en  faveur  de 
Kousmine,  et  de  cette  façon  on  put  mettre  fin  à  cette  rébellion 
militaire. 

Le  colonel  Kousmine,  sans  faire  aucune  concession  aux 
réclamations  des  comités  et  des  soviets,  continua  sa  besogne  ; 
ii  me  chargea  de  me  rendre  dans  la  plaine  de  Salmas,  à 
Chosrova,  à  80  kilomètres  au  nord  d'Ourmia,  pour  inspecter 
les  bataillons  assyriens  qui  se  trouvaient  dans  ce  pays.  Je 
me  rendis  à  Salmas  accompagné  de  4  cavaliers  assyriens  ;  une 
petite  voiture  militaire,  à  deux  roues,  chargée  de  mes  baga- 
ges, nous  suivait  ;  tout  alla  très  bien  pendant  le  premier 
jour  de  notre  marche,  et  nous  passâmes  la  nuit  dans  un  village 
en  ruines  et  abandonné  par  les  habitants  qui  s'appelait 
Kouchtchy  ;  de  la  colline  où  était  situé  ce  village,  une  vue  pit- 
toresque s'ouvrait  sur  le  lac  d'Ourmia  et  les  hauteurs  qui  le 
bordaient.  Nous  nous  remîmes  en  route  le  lendemain  matin  ; 
il  fall-ait  passer  par  le  défilé  de  Chantachty  ;  ce  défilé,  très 
étroit  et  long  d'un  kilomètre,  était  considéré  comme  dange- 
reux à  cause  des  Kurdes  qui  attaquaient  les  passants  et  les 
caravanes  ;  pour  éviter  une  rencontre  avec  ces  bandits,  je 
donnai  l'ordre  à  mon  escorte  et  au  cocher  de  la  voiture  de 
me  suivre  au  galop  ;  le  défilé  une  fois  traversé,  nous  nous 


1^6  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

trouverions  dans  la  plaine  de  Salmas,  peuplée  de  chrétiens,  et 
hors  de  danger.  Mais  à  peine  avions-nous  fait  la  moitié  du 
chemin  qu'une  roue  de  la  voiture  dégringola,  et  nous  dûmes 
nous  arrêter. 

Nous  esseyâmes  d'arranger  la  voiture,  et  pendant  ce  temps 
des  coups  de  feu  retentirent  ;  ne  voulant  pas  abandonner 
mes  bagages,  je  faisais  tous  les  efforts  pour  réparer  la  voi- 
ture, mais  les  Kurdes  s'approchaient  et  la  fusillade  devenait 
de  plus  en  plus  nourrie  ;  alors  les  Assyriens  qui  m'accompa- 
gnaient, avec  une  vitesse  surprenante,  remontèrent  à  cheval 
et  firent  demi-tour,  sans  me  dire  un  mot  de  leur  intention  peu 
chevaleresque  ;  le  cocher,  un  garçon  de  vingt  ans, se  mit  à  pleu- 
rer, en  me  déclarant  que  nous  étions  perdus  ;  je  pris  son  fusil 
et,  me  plaçant  derrière  la  voiture,  je  ripostai  aux  Kurdes  ; 
pendant  ce  temps,  les  Assyriens,  qui  avaient  essayé  de  filer 
dans  la  direction  de  Kouchtchy,  revinrent,  les  Kurdes  leur 
ayant  barré  le  passage  par  une  fusillade  intense  ;  je  leur 
donnai  l'ordre  de  tirer  sur  les  Kurdes  qui  s'approchaient  de 
plus  en  plus  ;  après  quelques  coups  de  fusil,  ils  me  déclarè- 
rent que  la  résistance  était  inutile,  étant  donné  le  nombre  élevé 
de  Kurdes,  et  qu'il  valait  mieux  se  rendre. 

—  Tirez  toujours,  jusqu'à  la  dernière  cartouche,  vous  aurez 
toujours'  le  temps  de  vous  rendre,  leur  disais-je,  tout  en 
me  rendant  compte  que  la  situation  était  désespérée. 

Je  savais  que  ces  Kurdes  ne  plaisantaient  pas  avec  les  pri- 
sonniers, et  qu'après  les  avoir  torturés,  ils  les  massacraient  ;  il 
s'agissait  de  vendre  sa  vie  à  ces  bandits  le  plus  cher  possible, 
et  je  décidai  de  réserver  la  dernière  cartouche  de  mon  brow- 
ning pour  moi-même,  afin  de  ne  pas  tomber  vivant  dans  les 
mains  des  Kurdes. 

—  Quelle  triste  fin,  —  pensai-je  avec  angoisse,  —  quelle 
mort,  sans  gloire,  sur  une  grande  route,  attaqué  par  des 
brigands,  et  seul,  tout  à  fait  seul... 

Mes  réflexions  furent  interrompues  par  des  coups  de  fusil 
qui  venaient  du  côté  opposé  aux  Kurdes  ;  en  tournant  la  tête, 
j'aperçus  des  djilos  qui  ripostaient  du  sommet  de  la  colline  ; 
ils  étaient  une  trentaine.  Cette  apparition  inattendue  des  djilos 
nous  sauva  ;  ils  se  rendaient  par  la  même  route  que  nous  à 
Salmas,  et  ayant  entendu  la  fusillade  dans  le  défilé,  ils  vou- 
laient passer  par  les  montagnes  ;  mais  ayant  aperçu  d'une  hau- 
teur que  nous  nous  trouvions  en  détresse,  ces  braves  monta- 


.    AU   FRONT  DE   PERSE  137 

gnards  étaient  venus  à  notre  secours  ;  ils  nous  aidèrent  à 
repousser  ces  bandits  et  à  franchir  le  fameux  défilé  de  Chan- 
tachty.  Le  soir  même,  nous  arrivâmes  au  village  de  Chosrova. 

Après  avoir  accompli  ma  mission  à  Chosrova,  je  me  mis 
en  route  pour  retourner  à  Ourmia  ;  cette  fois,  accompagné 
d'un  seul  cavalier  —  un  djilo  —  et  du  cocher  de  ma  voi- 
ture à  bagages,  je  me  décidai,  pour  éviter  une  nouvelle  rencon- 
tre avec  les  Kurdes,  de  traverser  le  fatal  défilé  pendant  la 
nuit  ;  je  savais  que  les  Kurdes  n'avaient  pas  l'habitude  d'atta- 
quer dans  l'obscurité  et  veillaient  rarement  dans  la  nuit. 

En  effet,  sans  aucun  incident,  nous  passâmes  par  Chan- 
tâchty  et,  une  fois  dans  la  plaine,  je  pris  un  petit  chemin  au 
bord  du  lac  d'Ourmia  pour  arriver  le  plus  tôt  possible  au 
village  de  Kouchtchy  et  y  passer  la  nuit  ;  mais,  dans  l'obs- 
curité, nous  nous  trompâmes  de  chemin,  et  nous  arrivâmes 
dans  des  ravins  devenant  à  la  fin  infranchissables  non  seu- 
lement pour  la  voiture,  mais  même  pour  les  cavaliers  ;  nous 
chevauchâmes  longtemps,  en  cherchant  vainement  une  sortie. 
Un  vent  atroce  et  froid  mit  le  comble  à  notre  malheur,  et, 
fatigués  de  cette  marche  infructueuse,  nous  nous  arrêtâmes  en 
pleins  champs,  ayant  décidé  de  faire  manger  les  chevaux  et 
d'attendre  le  lever  du  soleil.  Mais  le  djilo  qui  m'accompagnait 
me  déclara  qu'il  trouvait  cet  endroit  peu  sûr  et  qu'il  «  sentait  » 
que  nous  nous  trouvions  dans  une  région  kurde  :  les  chiens, 
qu'il  entendait  aboyer  dans  les  villages  environnants,  pou- 
vaient réveiller  les  Kurdes,  qui  nous  guetteraient  pour  nous 
attaquer  dès  l'aube.  Il  s'offrit  pour  se  rendre  à  pied  chercher 
un  chemin  praticable,  —  son  cheval  étant  trop  fatigué.  Je  le 
laissai  faire.  Moi-même  après  avoir  pris  une  tasse  de  thé, 
que  je  préparai  avec  mon  réchaud  à  alcool,  je  m'étendis 
par  terre,  et  roulé  dans  mon  manteau,  je  m'endormis  tout  de 
suite.  Des  coups  de  fusil  me  réveillèrent.  II  faisait  encore 
nuit.  Je  pris  le  fusil  de  mon  cocher  et  ripostai  aux  inconnus. 

—  Officier  français,  ne  tirez  pas,  nous  sommes  venus  vous 
chercher,  —  crièrent  les  inconnus,  en  russe.  C'étaient  des 
Assyriens  que  trouva  mon  djilo  dans  un  proche  village  et 
qui  étaient  venus  à  notre  secours.  Ils  nous  aidèrent  à  sortir 
de  ce  terrain  accidenté  et  nous  conduisirent  sur  la  route. 

—  Quelle  chance,  disaient-ils,  que  votre  djilo  soit  tombé 
dans  notre  village  et  nous  ait  raconté  votre  mésaventure  ; 
ayant  appris  de  lui  le  lieu  où  vous  vous  étiez  arrêtés,  nous 


1,8  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

accourûmes  à  votre  secours  ;  à  une  demi-heure  d'ici  se  trouve 
un  village  habité  par  des  Kurdes,  connus  pour  leur  férocité  ; 
il  n'y  a  aucun  doute  qu'ils  vous  guettaient  déjà,  pour  vous 
attaquer  dès  les  premiers  rayons  de  soleil.  J'étais  sincère- 
ment touché  de  la  bravoure  de  ces  Assyriens  et  je  les  remer- 
ciai de  tout  mion  cœur  ;  je  passai  le  reste  de  la  nuit  dans 
leur  village  et  revins  le  matin  à  Ourmia. 

La  lutte  entre  Mar-Choumoun  et  Agas  Pétros  devenait  de 
plus  en  plus  aiguë  ;  pour  mettre  fin  à  toutes  ces  intrigues, 
extrêmement  nuisibles  à  notre  mission,  le  colonel  Kousmine 
réussit  à  convaincre  le  patriarche  de  se  rendre  à  Chosrova, 
où  se  trouvaient  aussi  ses  frères  et  sa  sœur,  Sourma-Khanum  ; 
cette  dernière,  une  femme  de  40  ans,  s'occupait  activement 
des  affaires  ass3'riennes  et  exerçait  une  grande  influence  sur 
son  frère.  C'était  une  espèce  de  chef  d'Etat-major  du  patriar- 
che ;  l'idée  de  transférer  le  siège  de  Mar-Choum.oun  à  Salmas 
lui  souriait  infiniment,  et  elle  nous  aida  beaucoup  à  éloigner 
le  patriarche  d'Ourmia. 

Aussitôt  arrivé  à  Chosrova,  l'ambitieux  patriarche,  d'accord 
avec  sa  sœur,  décida  de  faire  une  politique  indépendante  et 
se  mit  en  relations  avec  un  certain  Simko,  chef  redoutable 
et  influent  de  tous  les  Kurdes  de  la  région  ;  il  prêta  naïve- 
ment confiance   aux  promesses  de   Simko  de  faire  marcher 
ses  tribus  kurdes,  la  main  dans  la  main  avec  les  Assyriens, 
contre  les  Turcs.  Pour  s'entendre  sur  les  détails  et  conclure 
l'accord,  le  perfide  chef  kurde  invita  Mar-Choumoun  à  venir 
le  voir  dans  ses  montagnes  ;  ne  se  doutant  de  rien,  le  pa- 
triarche, accompagné  d'une  centaine  de  cavaliers  assyriens, 
se  rendit  chez  son  nouvel  allié  ;  Simko  le  reçut  à  bras  ou- 
verts, lui  offrit  un  somptueux  dîner,  et  s' étant  mis  d'accord 
sur  tous  les  points,  ils  se  serrèrent  les  mains  en  se  séparant. 
Mais  à  peine  Mar-Choum.oun  avait-i!   quitté  la  maison   de 
Simko  et  était-il  monté  dans  sa  voiture,  pour  retourner  chez 
lui,  que  des  coups  de  fusil  partirent  de  tous  les  toits  du  village 
kurde  ;  Mar-Choumoun  fut  tué  sur  le  champ,  de  même  que  la 
plupart  de  ses  cavaliers  ;  une  dizaine  d'Assyriens  réussirent 
à  s'échapper  et  se  rendirent  à  Ourmia,  où  la  triste  nouvelle 
de  l'assassinat  du  patriarche  provoqua  une  énorme  émotion 
parmi   les    djilos  ;    ils    demandèrent   à    aller   immédiatemxent 
venger  leur  patriarche,  il  était  impossible  de  les  retenir  ;  les 


AU   FRONT  DE   PERSE  139 

nobles  montagnards,  indignés  dans  leurs  meilleurs  sentiments, 
insistèrent  pour  qu'on  les  laissât  aller,  sans  délai,  attaquer 
les  Kurdes  ;  on  eut  peine  à  leur  expliquer  qu'il  fallait  pa- 
tienter au  moins  24  heures  pour  organiser  cette  expédition, 
et  pour  les  faire  accompagner  par  des  officiers  russes,  et  les 
munir  de  mitrailleuses  et  de  canons. 

Le  lendemain,  une  colonne  de  djilos  sous  le  commandement 
d'Aga  Petros  se  mit  en  route  par  les  montagnes  de  Tergaver, 
Baradosto  et  Somai  ;  une  autre,  sous  le  commandement 
du  colonel  Kousmine  et  le  mien,  en  qualité  de  son  adjoint, 
suivit  la  grande  route  conduisant  à  Dilman  ;  les  deux  colonnes 
avaient  pour  but  d'entourer  de  l'ouest  et  de  l'est  la  région 
occupée  par  Simko.  Notre  colonne  arriva  sans  incident  jusqu'à 
Kouchtchy,  où  nous  rencontrâmes  une  vive  résistance  de  la 
part  des  bandes  persanes  et  kurdes  ;  il  était  évident  que 
tous  les  musulmans  de  la  région  que  nous  traversâmes  s'étaient 
ralliés  à  Simko,  dont  le  complot  prémédité  ne  servait  que 
de  signal  pour  mettre  contre  nous  les  musulmans  du  pays. 
Le  bataillon  arménien,  sous  le  commandement  du  sous-  lieu- 
tenant arménien  Stepanianz,  après  une  attaque  vigoureuse, 
brisa  la  résistance  des  Persans,  et,  quelques  heures  après,  nous 
rentrâmes  dans  le  village  de  Kouchtchy,  abandonné  par  les 
bandes.  Nous  continuâmes  notre  marche  vers  la  plaine  de 
Salmas,  ayant  laissé  à  Kouchtchy  le  bataillon  arménien  pour 
protéger  nos  derrières  ;  mais  arrivés  au  défilé  de  Chan- 
tachtchy,  une  vive  fusillade  nous  barra  le  chem.in  ;  les  sommets 
des  montagnes  qui  formaient  ce  défilé  étaient  occupés  par 
les  Kurdes.  Un  groupe  d'Assyriens  s'avança  en  tirailleurs, 
vers  les  hauteurs  occupées  par  les  Kurdes,  pour  les  chasser  ; 
le  gros  de  nos  forces  resta  dans  la  vallée,  des  deux  côtés  de 
la  grande  route.  Le  colonel  Kousmine  et  moi,  laissant  notre 
détachement  en  bas,  montâm.es  à  cheval  sur  une  colline, 
pour  reconnaître  le  terrain  ;  nous  aperçum.es  bientôt  un  dé- 
tachement de  cavaliers,  assez  nombreux,  qui  se  dirigeait 
vers  nous  au  trot,  venant  de  Dilman  ;  il  était  encore  assez 
loin  de  nous,  et  il  était  impossible  de  distinguer  l'origine  de 
ces  cavaliers  ;  nous  descendîmes  de  la  colline  pour  envoyer 
des  éclaireurs  à  leur  rencontre,  mais,  aussitôt  en  bas,  nous 
aperçûmes  un  triste  tableau  :  nos  Assyriens  étaient  déjà  loin 
de  nous,  en  pleine  fuite,  terrorisés  par  ces  cavaliers  mysté- 
rieux,  qu'ils   avaient   aussitôt  pris  pour   des   Kurdes  ;   sans 


I/jO  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

nous  prévenir  du  «  danger  »  qui  avait  provoqué  leur  panique, 
ils  nous  avaient  abandonnés,  et  se  souciaient  peu  de  notre 
sort.  Nous  esseyâmes  de  les  retenir  en  leur  criant  de  s'arrêter, 
mais  ils  ne  voulaient  rien  savoir  et  ne  tournaient  même 
pas  la  tête  dans  notre  direction.  Nous  nous  regardâmes,  le 
Colonel  Kousmine  et  moi,  sans  nous  dire  un  mot,  surpris 
tous  les  deux  et  déprimés  par  l'infidélité  de  nos  troupes  ; 
abandonnés  même  par  nos  ordonnances  assyriens,  nous  mar- 
châmes au  pas,  derrière  nos  troupes  en  déroute,  nous  formions 
de  cette  manière  leur  arrière-garde.  Mais  les  Kurdes,  qui 
voyaient  la  fuite,  descendirent  de  leurs  montagnes  et,  s'arrêtant 
sur  les  pentes,  tirèrent  sur  nous,  leurs  balles  ne  pouvant  plus 
atteindre  les  fuyards  ;  quand  les  balles  commencèrent  à  tomber 
tout  près  de  nous,  nous  prîmes  le  galop,  et  à  travers  champ, 
nous  atteignîmes  la  grande  route  pour  arrêter  la  tête  de  la  co- 
lonne de  fuyards.  Revolver  à  la  main  ,nous  barrâmes  la  route 
à  ces  Assyriens  affolés,  et  les  mettant  en  ordre,  nous  les  recon- 
duisîmes à  Koutchtchy,  pour  passer  la  nuit.Le  lendemain  matin 
nous  recommençâmes  la  même  opération,  et  surveillant  tout  le 
temps,  cette  fois,  nos  troupes,  nous  réussîmes  à  passer  par 
Chantachty,  et  à  traverser  la  vallée  de  Salmas.  Après  une  ba- 
taille sous  les  murs  de  la  ville  persane  de  Dilman,  nous  en- 
trâmes à  Chosrova,  où  nous  rencontrâmes  Agas  Petros  et  sa 
colonne  ;  cette  dernière,  composée  exclusivement  de  djilos, 
avait  remporté  une  victoire  brillante  sur  les  Kurdes  de  Simko. 

Tous  les  pays  qu'ils  avaient  traversés  avaient  été  littérale- 
ment «  nettoyés  »  de  Kurdes,  leurs  villages  mis  en  feu  ;  Simko 
lui-même  réussit  à  peine  à  s'enfuir,  emportant  son  or  et  son 
fils  ;  il  abandonna  ses  femmes,  qui,  par  hasard,  ayant  échappé 
à  la  mort,  avaient  été  accueillies  par  quelques  officiers  russes, 
qui  les  emmenèrent  avec  eux  à  Chosrova  ;  ces  trois  femmes  de 
Simko  s'habituèrent  assez  vite  à  leur  nouveau  sort  et,  appré- 
ciant beaucoup  la  chevalerie  de  leurs  protecteurs,  s'attachèrent 
sincèrement  aux  officiers  russes,  leurs  nouveaux  maîtres.  Elles 
les  suivirent  ensuite  dans  leurs  marches  et  s'occupèrent  de 
leur  ménage. 

Il  était  évident,  pour  ceux  qui  connaissaient  l'Orient,  que  les 
djilos,  grisés  par  leur  victoire  sur  les  Kurdes  de  Simko,  ne 
s'arrêteraient  pas  à'Chosrova  et  que  leur  instinct  de  pillage  et 
de  massacre  les  pousserait  à  continuer  leur  œuvre.  La  ville  per- 
sane de  Dilman,  qui  se  trouvait  à  5  kilomètres  de  Chosrova,une 


AU  FRONT  DE  PERSE  I4I 

ville  florissante  et  peuplée,  et  tout  à  fait  paisible,  après  la  dé- 
faite de  Simko,  s'attendait  à  l'invasion  des  djilos  ;  les  habitants 
quittèrent  pour  la  plupart  la  ville  et  s'enfuirent  dans  les  mon- 
tagnes en  emportant  leurs  biens.  Il  n'y  resta  que  des  femmes, 
des  vieillards,  des  enfants,  ou  de  pauvres  diables  qui  ne  ris- 
quaient que  leur  vie.  Et,  en  effet,  dans  la  nuit  même,  les  djilos 
firent  leur  entrée  triomphale  dans  la  ville,  entourée  par  de 
hauts  murs  ;  ils  brisèrent  les  portes,  et,  ne  rencontrant  aucune 
résistance,  se  mirent  à  piller  les  Persans. 

Dans  la  matinée,  l'abbé  L'Hôpital,  de  la  mission  Lazariste  à 
Chosrova,  vint  me  trouver  et  m'annonça  que  les  djilos,  aux  di- 
res des  Persans  accourus  à  la  mission,  avaient  mis  la  ville  à  feu 
et  à  sac,  et  que  les  Persans  imploraient  la  protection  de  la  mis- 
sion française  ;   le  pauvre  père,  très  ému,   me  demanda  de 
mettre  fin  à  ces  atrocités  ;  je  lui  promis  de  faire  mon  possible, 
et,  mon  cheval  sellé,  je  me  rendis  à  Dilman,  accompagné  du 
frère  de  Mar-Choumoun,  Aga-David,  et  de  quelques  cavaliers. 
La  grande  route  qui  conduisait  du  village  de  Chosrova  à 
Dilman,  était  occupée,  sur  toute  sa  longueur,  par  une  foule  im- 
mense de  djilos  avec  femmes  et  enfants  ;  les  uns  se  dirigeaient 
vers  Dilman,  pour  chercher  le  butin,  les  autres  en  revenaient 
chargés   de   meubles,    de    literie,    d'objets   de   ménage  ;    les 
plus  malins,  qui  avaient  réussi  à  trouver  des  bestiaux, mettaient 
leur  butin  sur  leur  dos,et  par-dessus  les  bagages, ils  avaient  en- 
core une  femme  persane  qu'ils  avaient  capturée.  Sous  le  soleil 
brillant  de  cette  matinée,  cette  grande  route  de  la  vallée  de 
Salmas,  grouillante  d'une  foule  immense  aux  costumes  pit- 
toresques, qui  circulait  fiévreusement  dans  deux  directions 
différentes,  —  on  aurait  dit  deux  grandes  rivières  colorées  — 
avait  un   aspect  original.   Ce  déménagement  dura  toute  la 
journée  et  cessa  seulement  lorsque  Dilman  eut  été  complè- 
tement vidée. 

Je  pénétrai  à  Dilman  ;  je  ne  reconnus  plus  cette  ville, 
jadis  florissante  et  paisible  ;  partout  des  blessés  et  des  ca- 
davres, des  boutiques  mises  à  sac,  des  maisons  incendiées. 
Une  foule  de  femmes  persanes,  qui  dans  leur  frayeur  oubliè- 
rent de  couvrir  leur  visage,  m'entoura  ;  elles  saisirent  mes 
bottes,  s'accrochèrent  à  mes  étriers,  et  hurlant,  pleurant,  sup- 
pliaient de  les  protéger...  Je  les  fis  conduire  dans  une  vaste 
cour  et  je  mis  un  factionnaire  assyrien  à  la  porte.  Quelques 
pas  plus  loin,  un  Persan  tout  nu  et  tout  en  larmes  m'appa- 

ii 


j  ^2  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

rut,  traîné  par  quelques  djilos  ;  nous  arrêtâmes  ce  convoi 
bizarre  et  apprîmes  qu'il  avait  été  déshabillé  pour  être  fouillé  ; 
ayant  avoué  qu'il  cachait  son  or  au  cimetière  musulman,  les 
djilos  le  conduisaient  à  l'endroit  oii  il  avait  enterré  son  tré- 
sor ;  pour  ne  pas  perdre  un  temps  précieux,  ils  l'emmenaient 
tel  qu'il  était  sans  lui  accorder  le  temps  de  s'habiller. 

Le  lendemain,  quand  il  n'y  eut  plus  rien  à  piller,  tout 
rentra  dans  l'ordre  :  les  djilos  quittèrent  la  ville,  et  les  fuyards 
rentrèrent  à  Dilman  ;  les  boutiques  et  les  bazars  ouvrirent 
leurs  portes,  les  rues  s'animèrent  de  leur  mouvement  habi- 
tuel ;  une  foule  persane,  toujours  grave,  et  sans  sourire, 
toujours  inquiète,  marchant  au  petit  pas,  au  long  des  rues, 
encore  tout  ensanglantées,  emplissait  les  bazars,  les  bouti- 
ques, la  mosquée...  Avec  un  fatalisme  oriental,  elle  attendait 
les  événements,  les  bouleversements,  les  invasions,  habituée 
depuis  de  longs  siècles  à  ces  changements  d*3  la  destinée. 


III 


Le  25  avril  1918,  les  Français  qui  se  trouvaient  à  Ourmia  reçoi- 
vent, par  l'intermédiaire  du  Consul  de  France  à  Tauris,  l'ordre  de 
quitter  la  ville.  Le  lieutenant  Gasîièld  y  reste  pourtant,  sur  la  de- 
mande du  colonel  russe. 

Cependant,  en  juin  1918,  la  situation  à  Ourmia  était  deve- 
nue intolérable  ;  toutes  les  ressources  de  ravitaillement  étant 
épuisées,  la  famine,  la  fièvre  typhoïde  et  le  choléra  faisaient 
rage  dans  la  population  musulmane  et  chrétienne  ;  par  cette 
chaleur  atroce  de  l'été  persan,  les  épidémies  suivaient  un  libre 
cours  ;  au  nord,  au  sud  et  à  l'ouest,  nous  étions  entourés  par 
l'ennemi,  Turcs  et  Kurdes,  et  à  l'est,  c'était  le  lac  d'Ourmia, 
infranchissable  pour  nous,  après  la  prise  de  la  flottille  du  lac 
par  les  Persans.  Bouclés  comme  dans  un  sac  dans  ces  vallées 
-"Ourmia  et  de  Salmas,  sans  espoir  de  recevoir  du  secours  ou 
oes  renforts  du  dehors,  disposant  seulement  de  300  obus  pour 
nos  8  canons  et  de  300  cartouches  par  fusil,  nous  décidâmes 
de  tenter  de  percer  le  front  turc,  au  nord  de  Salmas,  pour 
mettre  fin  à  cette  agonie  lente,  mais  sûre.  Le  12  juin  1918, 
notre  détachement  formé  de  3  bataillons  assyriens,  2  ba- 
taillons arméniens,  2  escadrons  et  '5  canons,  se  mit  en  route 


AU  FRONT  DE  PERSE  I43 

dans  la  direction  de  Dilman-Choï  ;  nous  atteignîmes  Kara- 
Tepe,  un  défilé,  dont  les  hauteurs  étaient  occupées  par  les 
débris  de  la  6^  division  turque  ;  il  y  avait  à  peu  près  1.500 
Turcs,    renforcés   par   des   bandes   kurdes   et   persanes  ;    ils 
nous  opposèrent  une  vive   résistance,   et  une   bataille   entre 
nos  troupes  et  les  Turcs  s'engagea  ;  elle  dura  6  jours,  sans 
que  nous  puissions  nous  ouvrir  le  passage  ;  les  Turcs  pour- 
tant restaient  sur  la  défensive  ;  alors  pour  arriver  à  une  solu- 
tion —  nos  cartouches  touchaient  à  leur  fin,  —  les  bataillons 
arméniens  qui  occupaient  le  centre  de  notre  front,  dans  un 
élan  vraiment  héroïque,  sortirent  de  leurs  abris,  et  au  pas 
gymnastique  se  jetèrent  sur  les  Turcs  ;  cette  surprise  eut  un 
plein    succès  ;    les    djilos    et    les    Assyriens,    entraînés    par 
l'exemple   des  Arméniens,  prirent  part  à  cette   attaque  ;   les 
Turcs,  dans  la  confusion  provoquée  par  cette  tentative  brus- 
que, lâchèrent  pied,  —  et,  presque  sans  pertes,  nous  occu- 
pâmes les  hauteurs  de  Kara-Tepe,  abandonnées  par  l'ennemi  ; 
c'étaient  des  positions  excellentes  où  il  était  facile  de  se  dé- 
fendre. Mais  îe  sourire  de  la  destinée  fut  de  courte  durée  et,  le 
soir  même,  les  djilos  qui  étaient  sur  les  ailes  de  notre  front, 
surpris  dans  l'obscurité  par  l'apparition  de  la  cavalerie  kurde 
sur  leurs  flancs,  pris  de  panique,  s'enfuirent,  sans  coup  férir  ; 
l'ennemi  continua  à  toute  vitesse  de  déborder  nos  flancs,  et 
les  Assyriens  suivirent  aussitôt  les  djilos  ;  alors  les  Arméniens, 
se  voyant  menacés  de  tous  côtés,  furent  forcés  d'abandonner 
le  front.  II  n'y  avait  plus  de  troupes  ;  des  bandes  affolées 
fuyaient  dans  la  direction  de  Salmas,  empressées  de  joindre 
leurs  familles,  leurs  bestiaux  et  leurs  biens  et  de  se  sauver  au 
sud,  toujours  au  sud,  dans  la  direction  d'Ourmia  ;  il  n'y  avait 
aucun  moyen  d'arrêter  ces  bandes  affolées  ;  cette  fois  c'était 
le  désastre  sans  espoir...  La  grande  route  de  Salmas  à  Ourmia, 
encombrée   de   fuyards,   de   voitures,   d'animaux   chargés  de 
biens,  de  femmes  et  d'enfants,  présentait  un  tableau  qu'on 
peut  voir  seulement  en  Orient.  Je  n'ai  jamais  vu  un  tel  affo- 
lement ;  les  femmes,  leurs  enfants  sur  le  dos,  hurlaient,  les 
enfants  pleuraient  ;  même  les  animaux,  effrayés  par  cette  pa- 
nique,  poussaient  des  hurlements  lugubres  ;   une  lune  mer- 
veilleuse éclairait  la  fuite  de  cette  foule  exotique,  qui,  comme 
une  bande  vivante,  parsemait  la  grande   route  sur   une  di- 
zaine  de   kilomètres  ;   les   montagnes   silencieuses,   troublées 
par  les  cris  des  milliers  de  fuyards,  répondaient  par  un  écho 


144 


HISTOIRE   DE   LA   GUERRE 


mystérieux  ;  et  les  eaux  du  grand  lac  d'Ourmia,  reflétaient 
de  loin,  comme  une  glace,  cet  exode  pittoresque  ;  l'imagina- 
nation  nous  transporta  aux  siècles  passés  et  lointains.  La 
marche  précipitée  fatigua  vite  les  femmes  et  les  vieillards, 
beaucoup  parmi  eux  ne  pouvaient  plus  suivre  le  mouvement 
et  restèrent  en  route  ;  des  mères  abandonnèrent  leurs  enfants, 
qu'elles  ne  pouvaient  plus  porter  sur  le  dos  ;  des  cavaliers, 
des  voitures  passaient,  sans  s'arrêter,  sans  tendre  la  main 
à  ces  malheureuses  ;  chacun  pensait  à  soi,  à  sa  vie  et  à 
son  bien...  La  marche  rapide  conduisit  l'avant-garde  des  fu- 
yards le  lendemain  même  au  soir,  à  Ourmia,  oii  la  population, 
mourant  presque  de  faim,  fut  effrayée  par  cette  invasion  de 
cinquante  mille  individus  qui  allaient  demander  du  pain  ou  le 
prendre  eux-mêmes,  là  où  ils  en  trouveraient.  Les  réfugiés 
s'arrêtèrent  au  sud  de  la  ville  d'Ourmia,  et  formèrent 
un  camp  immense,  au  bord  d'une  rivière.  L'évêque  français 
mit  à  leur  disposition  toutes  les  réserves  de  vivres,  surtout 
de  farine,  que  la  mission  possédait  ;  il  offrit  l'abri  sous  le  toit 
de  la  mission  aux  malades,  aux  vieillards  et  aux  enfants,  et 
en  peu  de  temps,  les  jardins,  la  cour,  les  bâtiments  de  la  mis- 
sion des  Lazaristes  se  transformèrent  en  un  camp  oriental... 


La  désolation  qui  régnait  à  Ourmia  inspira  au  colonel 
Kousmine  l'idée  d'entamer  des  négociations  avec  les  Turcs 
pour  leur  demander  de  laisser  passer  la  population  assyrienne, 
surtout  les  femmes,  les  enfants  et  les  vieillards,  dans  la  zone 
anglaise,  dans  la  région  de  Hamadan,  dont  nous  étions  sépa- 
rés par  les  lignes  turques.  On  ne  savait  pas  au  juste  oij  se 
trouvait  le  commandement  turc,  mais  un  officier  turc,  fait  ré- 
cemment prisonnier,  se  chargea  d'accompagner  les  parlemen- 
taires et  de  les  aider  à  le  trouver.  On  ne  put  recruter  de 
volontaires  parmi  les  Assyriens  pour  se  rendre  dans  le  camp 
turc  ;  ils  craignaient,  et  peut-être  non  sans  raison,  d'être 
massacrés  en  route  par  les  Kurdes  ;  alors,  le  colonel  Kousmine 
désigna  un  colonel  russe,  nommé  Tabouret,  et  me  demanda 
en  même  temps  de  l'accompagner  et  de  participer  à  ces 
négociations.  L'idée  généreuse  du  colonel  Kousmine  était 
chaleureusement  soutenue  par  l'évêque  français, qui  offrit  même 
ses  services  pour  nous  accompagner  chez  les  Turcs  afin  d'ap- 


AU   FRONT  DE   PERSE 


145 


puyer  auprès  d'eux  notre  demande  ;  pourtant,  envisageant  les 
difficultés  de  la  marche  dans  une  région  déserte  et  monta- 
gneuse et  les  dangers  des  rencontres  avec  les  Kurdes,  —  je 
réussis  à  persuader  l'évêque  de  s'abstenir  de  ce  voyage, 
lequel,  étant  donné  son  âge,  aurait  été  excessivement  pénible 
pour  lui. 

Le  colonel  Tabouret  et  moi,  sans  perdre  de  temps,  nous 
nous  mîmes  en  route  ;  mais,  à  5  kilomètres  au  sud  d'Ourmia, 
des  cavaliers  assyriens  nous  arrêtèrent  en  nous  déclarant 
que  l'ordre  du  colonel  Kousmine  de  négocier  avec  les  Turcs 
était  annulé  par  le  «  Comité  National  assyrien  »,  lequel  ne 
partageait  pas  le  point  de  vue  du  colonel,  et  que  ce  comité, 
n'étant  pas  satisfait  de  la  façon  d'agir  du  colonel  Kousmine, 
l'avait  mis  à  pied  et  avait  pris  le  pouvoir  suprême  dans  ses 
propres  mains.  Le  commandement  des  troupes  assyriennes 
était  assuré  dorénavant  par  une  commission  assyrienne,  sous 
la  présidence  d'un  intendant  russe,  Gorietzki. 

Ayant  consenti  par  humanité  à  accomplir  la  mission  dont 
nous  avait  chargés  le  colonel  Kousmine,  nous  fîmes  aussitôt 
demi-tour  et  rentrâmes  à  Ourmia.  Le  coup  d'Etat  de  ce  pré- 
tendu «  Comité  national  »,  composé  de  boutiquiers  et  de 
quelques  prêtres  assyriens  ignorants  et  bavards,  aurait  été 
comique,  s'il  s'était  produit  dans  des  circonstances  moins 
graves.  A  un  moment  aussi  critique,  ces  politiciens  assy- 
riens avaient  décidé  d'écarter  Kousmine  et  avec  lui  la  plu- 
part des  officiers  russes,  qui,  indignés  de  la  conduite  des 
Assyriens  vis-à-vis  de  leur  chef,  —  quittèrent  la  troupe  assy- 
rienne et  se  rallièrent  autour  de  Kousmine. 

Ces  éternelles  intrigues,  indispensables  à  la  vie  des  Orien- 
taux, comme  l'air  et  l'eau,  m'indignaient  aussi  ;  je  savais 
également  qu'il  n'y  avait  rien  de  bon  à  attendre  du  bavardage 
de  ce  Comité  national.  Toute  ma  sympathie  appartenait,  bien 
entendu,  à  ce  glorieux  soldat,  vétéran  de  la  guerre  de  Mand- 
chourie,  héros  de  la  Grande  Guerre  ;  mais  mis  devant  le 
fait  accompli,  je  voyais  qu'il  me  serait  impossible  de  réta- 
blir le  colonel  Kousmine  au  pouvoir.  Pour  ne  pas  compliquer 
la  situation  et  hâter  l'action  de  ces  gens  passifs,  —  je  me 
suis  soumis  à  ce  nouvel  état  de  choses  ;  j'ai  poussé  surtout 
le  nouveau  commandement  à  prendre  l'offensive  au  sud 
d'Ourmia,  pour  percer  le  front  turc  et  rejoindre  les  Anglais  ; 
c'était  la  seule  solution,  surtout  après  l'arrivée  d'un  aviateur 


1.6  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

anglais,  Pellington,  envoyé  à  Ourmia  quelque  temps  aupa- 
ravant par  le  général  Dunsterville,  commandant  les  forces 
anglaises  en  Perse,  pour  nous  informer  qu'il  lui  était  impossible 
de  nous  fournir  des  renforts,  que  les  Assyriens  ne  devraient 
compter  que  sur  eux-mêmes  et  que,  s'ils  arrivaient  à  établir  la 
liaison  avec  l'armée  anglaise,  cette  dernière  pourrait  leur  don- 
ner des  munitions  et  des  armes  pour  continuer  la  résistance 
contre  les  Turcs.  Comme  je  le  disais  plus  haut,  les  Anglais 
se  trouvaient  dans  la  région  de  Hamadan,  dont  nous  étions 
séparés  par  des  centaines  de  kilomètres,  par  des  pays  en  partie 
déserts  et  montagneux,  en  partie  peuplé  par  des  Kurdes  hos- 
tiles. 


Sans  perdre  de  temps,  le  20  juin  1918,  nous  nous  mîmes 
en  route  dans  la  direction  du  sud  d'Ourmia  et,  à  Haiderabad, 
c'est-à-dire  après  60  kilomètres  de  marche,  nous  rencontrâmes 
les  avant-postes  turcs,  qui,  sous  notre  poussée,  se  retirèrent 
lentement  jusque  dans  leurs  lignes,  d'où  une  vive  résistance 
nous  fut  opposée  ;  les  Turcs  occupaient  des  hauteurs  et  dis- 
posaient d'un  grand  nombre  de  mitrailleuses  ;  ils  barraient 
par  leur  feu  tout  accès  à  leurs  positions,  et  nos  canons  n'arri- 
vaient pas  à  les  faire  taire  ;  toutes  les  tentatives  de  nos  fan- 
tassins d'avancer  et  d'attaquer  l'ennemi  échouèrent  ;  alors  un 
escadron  de  cavaliers  arméniens,  ayant  trouvé  dans  les  monta- 
gnes un  sentier  d'une  certaine  largeur,  conduisant  à  la  prin- 
cipale position  turque,  monta  par  ce  sentier  et,  au  moment 
où  il  risqua  d'être  aperçu  par  l'ennemi,  se  jeta  au  ga- 
lop, sabre  à  la  main,  sur  les  mitrailleurs  ennemis  ;  c'était  une 
attaque  à  la  Murât,  un  élan  sublime,  qu'un  soldat  éternise 
dans  son  âme  !  Mais  les  Turcs  étaient  dignes  de  leurs  ad- 
versaires, et,  en  vrais  guerriers,  ils  continuaient,  sans  bron- 
cher, à  mitrailler  les  cavaliers  qui  tombaient  les  uns  après  les 
autres  ;  la  moitié  de  ces  braves  resta  sur  place  ;  les  autres 
nous  rejoignirent  au  moment  ou  nos  fantassins,  profitant  de 
la  diversion  des  cavaliers  et  du  changement  de  direction  du 
feu,  débordèrent  au  pas  gymnastique  cette  position  turque. 
L'ennemi,  s'apercevant  que  ses  arrières  étaient  menacés,  recula 
rapidement  ;  alors,  sans  arrêt,  nous  poussâmes  notre  attaque, 
soutenue  par  nos  canons  et,  durant  la  nuit,  nous  réussîmes  à 


AU  FRONT  DE  PERSE  I47 

chasser  les  Turcs,  —  d'ailleurs  peu  nombreux,  mais  munis  de 
nombreuses  mitrailleuses,  —  des  montagnes  qui  nous  sépa- 
raient de  la  plaine  de  Souîdouz.  Ici,  en  rase  campagne,  encou- 
ragés par  le  succès  de  nos  armes  et  par  notre  supériorité, 
nous  livrâmes  la  dernière  bataille  aux  Turcs,  qui  couronna 
notre  victoire  et  refoula  l'ennemi  dans  la  direction  de  Ravan- 
douz  et  Mossoul.  C'est  ainsi  que  le  sort  capricieux  des  armes, 
après  tant  de  défaites  et  d'échecs,  nous  sourit  par  cette 
matinée  ensoleillée  et  nous  sauva  dans  notre  détresse. 

Notre  artillerie  et  nos  fantassins  restèrent  à  Souîdouz,  pour 
empêcher  les  Turcs  de  revenir  dans  la  plaine... 

Accompagné  du  chef  assyrien  Aga  Petros  et  de  ses  300 
cavaliers,  je  continuai  la  marche,  à  travers  les  montagnes, 
toujours  dans  la  direction  du  sud,  à  la  rencontre  des  Anglais. 
C'était  le  Kurdistan  persan  perfide  et  hostile  qui  nous  séparait 
de  nos  alliés,  et  par  prudence  nous  évitâmes  les  villes  et  les 
grands  villages  kurdes  :  nous  marchions  surtout  la  nuit,  nous 
reposant  aux  heures  de  grande  chaleur  dans  des  endroits  pres- 
que  déserts,   toujours  pour  éviter   des   rencontres   avec   des 
t)andes  kurdes,  qui  auraient  pu  retarder  notre  marche  et  nous 
empêcher    d'atteindre    notre    but   principal  :    demander    aux 
Anglais  soit  des  renforts  pour  Ourmia,  soit  l'accueil  de  la  popu- 
lation chrétienne  d'Ourmia  dans  la  zone  anglaise.  Pourtant, 
pour  nous   ravitailler,   nous  fûmes  plusieurs   fois  contraints 
de  nous  arrêter  dans  des  petit-s  villages  kurdes  ;  notre  appa- 
rition terrorisait  littéralement  les  bandits,  qui,  se  voyant  en 
minorité,  s'attendaient  au  pillage  et  au  massacre.  Une  consigne 
très  sévère  fut  donnée  par  nous  aux  djilos  de  s'abstenir  de 
tout  pillage  ;  on  les  prévint  que  tout  coupable  serait  exécuté 
sur  le  champ,  et  ils  comprirent  que  cette  fois  ce  n'était  pas 
une   menace   en   l'air  ;   cette   conduite   inattendue   des   djilos 
étonna  les  Kurdes,  qui  n'y  comprenaient  plus  rien.  Mais  nos 
hommes,  nos  chevaux  et  nous-mêmes,  avions  tous  faim  et, 
sans  argent,  nous  étions  forcés  de  demander  aux  Kurdes  des 
vivres,  en  leur  donnant  en  échange  des  bons,  signés  par  moi 
et  Aga  Petros  ;  je  croyais  de  bonne  foi  que  ces  bons  seraient 
payés  plus  tard  par  les  Anglais.  Malheureusement  les  événe- 
ments prirent  une   autre  tournure,  et   notre   tentative   d'être 
loyaux  n'a  pas  eu  la  chance  de  confirmer  la  confiance  des 
Kurdes  aux  bons  de  réquisition.  En  tout  cas,  ils  étaient  heureux 
de  se  débarrasser  de  nous  à  si  bon  compte. 


k 


j  .g  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Enfin,  le  Kurdistan  était  traversé,  et  nous  suivîmes  la  grande 
route,  conduisant  à  Hamadan.  D'après  le  dire  des  Persans 
que  nous  rencontrâmes,  des  patrouilles  anglaises  se  trou- 
vaient à  proximité,  mais  nous  trottions  toujours,  nous  re- 
gardions de  tous  les  côtés,  sans  apercevoir  un  seul  Anglais. 

—  A  Sein-Kala,  tout  un  régiment  britannique  tient  la  ville, 
nous  disait  un  vieux  Persan. 

Arrivés  dans  cette  ville,  impatients  de  voir  enfin  nos  alliés, 
nous  ne  les  trouvâmes  pas  non  plus. 

—  Décidément  les  Anglais  nous  évitent,  —  remarquait 
mélancoliquement  Aga  Petros,  —  mars  on  les  trouvera  quand 
même,  et  on  ira,  s'il  le  faut,  même  à  Londres  pour  les  rattraper. 

Le  lendemain,  suivant  toujours  la  grande  route,  tard  dans 
la  soirée  et  à  40  kilomètres  au  sud  de  Sein-Kala,  nous  aperçû- 
mes des  tentes  kaki,  bien  alignées,  des  sentinelles  anglaises, 
des  chevaux  attachés  à  la  corde. 

L'ordre  et  la  propreté  de  ce  camp  militaire  témoignaient 
qu'il  appartenait  à  une  armée  européenne  ;  les  hommes,  bien 
vêtus,  presque  élégants,  faisaient  leur  soupe  ;  les  chevaux, 
dans  un  excellent  état,  bien  pansés,  remuaient  gaiement  leurs 
musettes  ;  c'était  une  joie  pour  moi  de  voir  en  pleine  Perse 
ce  camp  coquet,  ce  beau  tableau  militaire,  après  le  désordre 
et  l'anarchie  des  bandes  d'Ourmia  ;  une  nostalgie  de  l'ar- 
mée française  m'envahissait  et  j'avais  un  seul  désir  :  retour- 
ner en  France  et  continuer  la  guerre  dans  ce  superbe 
3*  hussard  avec  lequel  j'étais  entré  en  campagne.  J'étais  réel- 
lement las  des  intrigues  et  des  perfidies  de  l'Orient,  où  la 
ruse  remplace  la  chevalerie  et  la  traîtrise  est  considérée 
comme  une  vertu. 

C'était  un  escadron  du  14^  régiment  de  hussards,  autre- 
fois en  garnison  à  Folkestone.  Depuis  la  guerre,  ce  régi- 
ment était  allé  aux  Indes,  puis  en  Mésopotamie  et  en  Perse  ; 
j'étais  étonné  de  voir  leurs  chevaux  dans  un  état  admirable, 
après  des  marches  aussi  longues  et  fatigantes  ;  mais  les 
Anglais,  très  soucieux  de  leurs  montures,  les  entouraient  de 
conforts  et  de  soins,  comme  s'ils  étaient  en  temps  de  paix, 
dans  leurs  garnisons.  Ce  souci,  comme  je  m'en  suis  aperçu  plus 
tard,  prend  souvent  le  dessus  sur  les  besoins  militaires,  et 
je  connais  des  cas  où  les  cavaliers  britanniques  arrivaient 
trop  tard  pour  la  seule  raison  de  ménager  leurs  montures. 
J'ai  trouvé  chez  les  hussards  anglais  l'accueil  le  plus  cordial  ; 


AU   FRONT  DE  PERSE 


149 


ils  ne  s'attendaient  pas,  comme  ils  le  disaient,  à  rencontrer, 
dans  ce  pays  sauvage,  un  hussard  français... 

Ils  firent  dresser  ma  tente  dans  leur  bivouac,  mes  chevaux 
furent  attachés  à  leur  corde,  et  un  repas  copieux  et  exquis, 
des  boissons  fines,  dont  j'étais  privé  depuis  un  an,  me  furent 
offerts.  Cet  escadron  escortait  une  mission  de  10  officiers  et 
15  sergents,  se  dirigeant  sur  Ourmia  en  qualité  d'instructeurs 
des  troupes  ass3Tiennes.  L'escadron  devait  les  escorter  à  tra- 
ver  le  Kurdistan  ;  ensuite,  la  mission  qui  avait  à  sa  tête  le 
major  More,  devrait  continuer  seule  la  route  vers  Ourmia, 
et  l'escadron  avait  l'ordre  de  retourner  à  Bidjar  d'où  il  venait, 
et  où  se  trouvait  son  régiment. 

Je  rendis  compte  au  major  More  de  la  situation  à  Ourmia, 
où  l'arrivée  de  la  mission  des  instructeurs  ne  pouvait  plus  rien 
changer.  II  était  évident  que  le  général  Dunsterville,  qui  en- 
voyait cette  mission,  n'était  pas  au  courant  des  événements 
d'Ourmia,  et  le  major  More,  informé  par  mes  récits,  me  de- 
manda de  rendre  compte  de  la  situation  au  général  Byron, 
commandant  la  brigade  anglaise  à  Hamadan. 

L'envoi  de  la  mission  anglaise  était  en  retard  de  8  mois  : 
c'était  clair,  après  les  explications  du  major,  qui  pourtant  était 
obligé  de  suivre  les  ordres  et  continuer  sa  marche  vers  Ourmia; 
le  lendemain  m-atin,  il  se  mit  en  route,  accompagné  des  hus- 
sards et  d'Aga  Petros  avec  ses  300  cavaliers.  Son  expédi- 
teur devait  être  de  courte  durée,  et  quelques  jours  plus  tard, 
je  revis  le  major  More  à  Bidjar  :  aussitôt  séparé  de  son  esca- 
dron, il  fut  attaqué  sur  son  chemin  par  les  Kurdes  et  aban- 
donné par  les  Assyriens  qui  fuyaient  pris  de  panique  ;  le 
pauvre  major  et  sa  mission  eurent  la  plus  grande  peine  à 
sauver  leur  vie  et  à  faire  demi-tour  vers  Bidjar. 

Quant  à  moi,  accompagné  de  mes  ordonnances,  je  continuai 
mon  chemin  vers  Hamadan.  Je  fis  halte  à  Bidjar,  où  je  fus 
très  aimablement  reçu  par  le  colonel  et  les  officiers  du  14*^  hus- 
sards, avec  lesquels  je  passai  une  journée  exquise.  C'était 
une  joie  de  me  trouver  dans  ce  milieu  européen,  avec  des  gens 
distingués,  après  ce  long  séjour  parmi  ces  «  enfants  terri- 
bles »  d'Orient. 

Arrivé  à  Hamadan,  une  ville  persane  dont  certains  quar- 
tiers ont  pris  l'aspect  d'une  garnison  britannique,  je  me  pré- 
sentai au  général  Byron,  à  qui  je  fis  un  rapport  très  détaillé 
sur  la  situation  à  Ourmia.  Je  prévenais  le  général  que  si  des. 


jTQ  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

mesures  urgentes  n'étaient  pas  prises,  il  devait  s'attendre  à 
voir  arriver  dans  la  zone  britannique  80.000  bouches  affa- 
mées, qui,  sous  la  poussée  des  Turcs,  quitteraient  Ourmia, 
et  après  avoir  fait  500  kilomètres  à  travers  une  région  épui- 
sée et  dévastée,  apparaîtraient  dans  un  état  lamentable  à 
Hamadan.  Possédant  des  armes,  cette  foule  indisciplinée,  dans 
un  état  désespéré,  se  livrerait  au  pillage  et  au  massacre.  Le 
général  déclara  que  les  Anglais  étaient  peu  nombreux  en  Perse 
et  qu'il  ne  pouvait  pas  envoyer  des  renforts  à  Ourmia,  qu'il 
lui  serait  impossible  de  ravitailler  les  chrétiens  d'Ourmia 
dans  le  cas  où  ils  arriveraient  à  Hamadan,  et  qu'il  allait 
demander  télégraphiquement  des  instructions  à  l'Etat-major 
de  Bagdad. 

Une  semaine  s'était  passée  à  peine  que  l'avant-garde  de 
la  foule  immense  des  fuyards  d'Ourmia  s'approchait  de 
Hamadan.  Les  Anglais,  effrayés  par  cette  invasion  de  ses  soi- 
disant  alliés,  faisaient  occuper  toutes  les  routes  conduisant 
à  Hamadan  par  des  sentinelles  qui  arrêtaient  les  réfugiés, 
les  désarmaient  et  ensuite  les  conduisaient  dans  un  camp  de 
concentration  ;  pendant  des  jours  et  des  jours  arrivaient  ces 
malheureux,  épuisés  de  fatigue,  affamés  et  terrorisés  par  les 
Kurdes,  qui  les  attaquèrent  plusieurs  fois  sur  leur  long  et 
triste  chemin.  C'était  un  exode  tragique,  provoqué  par  l'ap- 
parition brusque  des  bandes  kurdes,  à  Ourmia  ;  les  troupes 
que  nous  laissâmes  à  Ourmia  pour  protéger  la  population  déjà 
aux  prises  avec  les  Kurdes  s'enfuirent  ;  alors  la  population 
suivit  les  troupes  ;  les  malades  et  les  vieillards,  qui  ne  pou- 
vaient pas  entreprendre  cette  longue  marche  par  cette  chaleur 
tropicale,  se  sauvèrent  à  la  mission  catholique,  oiJ,  aussitôt 
entrés,  ils  furent  tous  tués  par  les  Kurdes. 

Des  milliers  trouvèrent  la  mort  sur  la  route  d'Ourmia  à 
Hamadan,  les  uns  de  fatigue,  les  autres  massacrés  par  les 
Kurdes  ;  leurs  bestiaux  épuisés,  privés  de  fourrage  et  d'eau 
dans  ce  pays  désert,  tombaient  à  côté  de  leurs  maîtres.. 

Peu  de  temps  après  cet  exode,  je  fus  envoyé  par  l'Etat- 
major  anglais  de  Hamadan  à  Bidjar  ;  le  long  de  la  grande 
route  suivie  par  ces  malheureux  gisaient  des  cadavres  effroya- 
blement nombreux,  des  hommes,  des  femm.es  et  des  enfants 
déshabillés  par  les  Kurdes  ;  des  volées  de  corbeaux  couvraient 
•  ces  cadavres  ;  à  côté  on  voyait  des  chevaux  et  des  buffles  ; 
c'était  une  horreur  d'autant  plus  pénible  que  le  soleil  torride 


AU   FRONT  DE   PERSE 


151 


de  la  Perse  avait  décomposé  les  cadavres  et  rempli  l'air  d'une 
odeur  affreuse,  qui  donnait  des  nausées.  Pour  avoir  une 
idée  de  ce  triste  calvaire,  il  suffit  de  dire  que  des  80.000 
chrétiens  partis  d'Ourmia,  la  moitié  seulement  put  rejoindre 
Hamadan  ! 


NICOLAS   GASFIELD. 


DOCUMENTS 


Le  plan  de  guerre  austro-allemand 

Un  entretien   de  Conrad  de  Hoetzendorff  avec  Moltke 

(mai  1914).    . 


Le  maréchal  Conrad  de  Hœtzendorff,  chef  d' Etat-major  général  de 
l'armée  austro-hongroise  en  1914,  publie  ses  souvenirs  (/).  Du  troi- 
sième volume  qui  porte  sur  la  période  du  P^  janvier  1913  au 
27  juin  1914,  nous  avons  extrait  ce  passage,  qui  donne  des  indications 
intéressantes  sûr  le  plan  de  guerre  austro-allemand. 

Je  quittai  Vienne,  le  12  mai,  à  neuf  heures  du  matin  et 
arrivai  à  Carlstad  le  soir,  à  6  heures. 

Je  me  rendis  sur  le  champ  chez  le  général  de  Moltke, 
Après  un  échange  de  paroles  cordiales,  commença  une  conver- 
sation qui  se  prolongea  jusqu'à  huit  heures.  Nous  étions 
tête  à  tête. 

Nous  traitâmes  d'abord  de  la  situation  politique  et  du 
maintien  des  accords  en  vigueur  en  cas  d'une  guerre  com- 
mune. A  ce  propos,  je  déclarai  que  non  seulement  nous  ne 
devions  plus  compter  la  Roumanie  parmi  nos  alliés,  mais 
que  nous  devions  la  considérer  comme  un  adversaire  possi- 
ble. Le  général  de  Moltke  répliqua  que  la  Roumanie  reste- 
rait d'abord  neutre  et  verrait  venir  les  événements. 

(i)  Aus  meiner  Dienstzeit  (Mon  temps  de  service),  i906-t908.\ienne,  Rikola, 
1922-23  —  La  traduction  de  ce  passage  a  été  faite  par  M.  Appuhn,  chef  de 
la  section  allemande  à  la  Bibliothèque-Musée  de  la  Guerre. 


LE  PLAN  DE    GUERRE  AUSTRO-ALLEMAND 


153 


Moi.  —  «  Cela  ne  modifie  en  rien  notre  plan  qui  est  de 
concentrer  le  gros  de  nos  forces  en  Galicie,  mais  je  dois 
vous  faire  observer  avec  d'autant  plus  d'insistance  combien 
il  serait  désirable  que,  du  côté  allemand,  on  fît,  sur  le  front 
russe,  un  effort  plus  grand  qu'il  n'avait  été  prévu  jusqu'ici.  » 

MoLTiŒ.  —  «  Douze  divisions,  peut-être  un  peu  plus,  à  l'est 
de  la  basse  Vistule  ?  » 

Mol  —  «  L'offensive  russe  sera  dirigée  contre  la  province 
de  Prusse,  et  vous  y  avez  si  peu  de  troupes  !  » 

MoLTKE.  —  «  Il  y  aura  encore  moins  de  troupes  russes  dans 
cette  région  !  » 

Mol  —  «  N'y  comptez  pas  trop.  La  Russie  tournera  son 
effort  principal  contre  nous,  mais  il  n'y  a  pas  si  loin  de  Var- 
sovie à  Berlin.  Réfléchissez  à  ce  qui  pourrait  arriver  si  nous 
nous  trouvions,  nous,  dans  une  situation  désavantageuse.  La 
Russie  aurait  alors  la  voie  libre.  Que  pourrez-vous  faire  si 
vous  n'avez  pas  la  victoire  à  l'ouest  et  si,  à  l'est,  vous  avez 
ainsi  les  Russes  dans  le  dos  ?  » 

MoLTKE.  —  «  Eh  bien  !  je  ferai  ce  que  je  pourrai.  Nous 
n'avons  pas  sur  les  Français  la  supériorité  du  nombre.  » 

Mol  —  «  Les  Français  n'ont  pas  cent  divisions.  » 

MoLTKE.  —  «  Nous  arrêterons  les  Russes  en  achevant  les 
forteresses  de  Thorn,  Graudenz,  Marienwerder.  » 

Moi  (interrogeant).  —  «  Nous  ne  pouvons  attendre  aucun 
appui  direct  de  l'Italie  ?  » 

MoLTKE.  —  «  En  plus  des  trois  corps  (1),  elle  est  disposée 
à  mettre  d'autres  forces  à  la  disposition  spéciale  de  l'Au- 
triche. » 

Moi.  —  «  Très  bien,  mais  je  préférerais  que  vous  prissiez 
aussi  pour  vous  ces  troupes  italiennes,  et  que  votre  3^  et  votre 
6^  corps  allemands  (2)  fussent  dirigés  contre  les  Russes.  » 

Je  fis  observer  aussi  que  le  transport  des  troupes  se  ferait 
ainsi  plus  rapidement. 

MoLTKE.  —  «  C'est  juste,  mais  je  ne  puis  faire  ce  que  vous 
demandez.  » 

(Je  pensai,  à  part  moi,  que  le  général  de  Moltke  préférait 
ses  corps  prussiens  aux  forces  étrangères.) 

(1)  En  vertu  d'un  accord  dont  Conrad  parle  à  la  page  599  de  son  livre,  le 
roi  d'Italie  devait  envoyer  en  Allemagne  trois  corps  destinés  à  combattre  la 
France.  [Note  du  traducteur.] 

(2)  Posen  et  Breslau. 


jr  .  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

—  «  Où  placeriez-vous,  continua  Moltke,  ces  contingents 
italiens  ?  » 

Moi.  —  «  Je  ne  puis  encore  le  dire  ;  des  considérations 
politiques  et  le  calcul  des  transports  en  décideront  ;  mais 
je  ne  ferai  pas  participer  les  Italiens  à  une  occupation  de 
l'Albanie.  » 

MoLTKE.  —  «  Pollio  dit  que  des  amis  ne  peuvent  avoir  que 
des  ennemis  communs.  » 

Moi.  —  «  Il  ne  me  sera  possible  de  dire  si  j'emploierai  les 
troupes  italiennes  contre  la  Russie  ou  contre  la  Serbie  que 
lorsque  j'aurai  des  données  précises.  » 

(Je  me  disais  que  le  plus  expédient  serait  de  les  diriger  sur 
Budapest  en  liaison  avec  la  deuxième  armée.  Par  cette  route 
on  pouvait  aussi  bien  les  envoyer  contre  la  Russie  ou  les 
détourner  vers  la  Serbie.) 

Je  demandai  encore  :  —  «  Que  pensez-vous  d'une  opération 
italienne  dans  les  Alpes  occidentales  ?  » 

MoLTKE.  —  «  Je  n'en  attends  pas  grand'chose.  Je  ne 
comprends  pas  non  plus  la  terreur  qu'ont  les  Italiens  d'un 
débarquement.  Cela  n'est  pas  à  craindre.  J'ai  reçu  la  nou- 
velle que  les  Anglais  doivent  envoyer  dans  le  midi  de  la 
Fiance  quatre  divisions  contre  l'Italie.  Je  ne  crois  cepen- 
dant pas  que  les  Anglais  emploieraient  leurs  troupes  à  une 
opération  quelconque,  sans  liaison  immédiate  avec  leur  flotte.  » 
Nous  parlâmes  ensuite  de  la  vraisemblance  d'une  guerre. 
Le  général  de  Moltke  pensait  que  tout  ajournement  avait  pour 
effet  une  diminution  de  nos  chances  de  succès.  On  ne  pouvait 
soutenir  la  concurrence  avec  la  Russie  quant  au  nombre  des 
troupes.  Il  ajouta  : 

—  «  Chez  nous,  malheureusement,  on  attend  toujours  que 
l'Angleterre  déclare  qu'elle  ne  fera  pas  la  guerre.  L'Angleterre 
ne  fera  jamais  cette  déclaration.  » 

Moi.  —  «  L'attitude  prise  par  l'Allemagne  au  cours  des 
années  précédentes  a  fait  manquer  les  occasions  les  plus  favo- 
rables. En  1908,  nous  autres  avons  commis  la  grande  faute 
de  ne  pas  marcher  contre  la  Serbie,  et  l'année  dernière  en- 
core !  » 

MoLTKE.  —  «  Pourquoi  ne  l'avez-vous  pas  attaquée  ?  » 
Moi.  —  «  Au  dernier  moment  Sa  Majesté  s'y  est  opposée.  » 
Le   général    de   Moltke   se    dit  convaincu    de   la   parfaite 


LE  PLAN  DE  GUERRE  AUSTRO  ALLEMAND        155 

loyauté  des  cercles  officiels  italiens,  et  en  particulier  du  géné- 
ral Pollio. 

Moi. —  «  Je  le  crois,  mais  Pollio  n'est  qu'un  homme  ;  demain 
il  peut  n'être  plus.  En  Italie  ce  sont  les  courants  populaires 
qui,  au  dernier  moment,  pourront  amener  un  revirement. 
Nous  ne  pouvons  compter  avec  une  sécurité  entière  sur 
l'Italie.  » 

Les  événements  des  Balkans  furent  ensuite  l'objet  de  la 
conversation. 

Mol  —  «  La  Bulgarie  est  par  terre.  Mais  d'aucune  façon 
elle  ne  peut  être  considérée  comme  'Un  facteur  stable,  parce 
que  les  différents  courants  s'y  contrebalancent  (dans  ma 
pensée,  il  s'agissait  du  courant  russophile  et  du  courant  na- 
tional bulgare  russophobe).  La  Roumanie  est  perdue  pour 
nous,  et  l'on  prétend  que  c'est  par  notre  faute  que  nos  re- 
lations avec  elle  sont  gâtées.  En  réalité,  notre  attitude  a  seule- 
ment servi  de  prétexte  pour  cacher  les  vrais  sentiments  et 
les  vrais  motifs.  Le  problème  de  la  Grande  Roumanie  se 
pose  déjà  depuis  trente  ans.  Pendant  un  certain  temps,  il 
fut  laissé  dans  l'ombre.  La  crise  balkanique  l'a  remis  à  l'ordre 
du  jour.  Les  Roumains  mobiliseront  et  se  tiendront  d'abord 
à  l'écart  de  la  lutte  pour  agir  ensuite  suivant  la  tournure  des 
événements.  » 

Moltke.  —  «  Pollio  a  offert  de  consigner  par  écrit  les  ar- 
rangements déjà  conclus  en  vue  des  opérations  et  d'envoyer 
un  travail  qu'il  rédigerait.  » 

Le  général  de  Moltke  m'annonça  ensuite  que  ce  travail 
était  arrivé  à  Berlin  ;  le  comte  de  Waldersee  devait  le  lui 
soumettre.  Il  montrait  d'ailleurs,  paraissait-il,  que  l'Italie  se 
plaçait  à  un  point  de  vue  très  égoïste. 

Mol  —  «  Avant  que  je  croie  à  la  loyauté  de  l'Italie,  il  fau- 
drait qu'elle  en  montrât  dans  son  attitude  à  l'égard  de  la 
Serbie,  du  Monténégro  et  de  l'Albanie.  L'Italie  aurait,  dit-on, 
prêté  au  Monténégro  trois  millions  de  lires  pour  fortifier 
le  mont  Lovcen.  Ce  n'est  qu'un  bruit,  mais  la  chose  est 
possible.  Un  arrangement  signé  seulement  par  les  trois  chefs 
d'Etat-major  ne  lierait  pas  les  Etats  ;  il  faudrait  que  cet  arran- 
gement s'appuyât  sur  un  accord  des  souverains.  » 

Nous  en  vînmes  alors  à  parier  du  développement  des  for- 
mations de  réserve. 

Moltke. —  «  Les  Français  ont  une  natalité  moins  forte,  mais 


156 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


la  durée  de  la  vie  est  plus  courte  chez  les  Allemands.  Nos 
formations  de  réserve  fondent  plus  vite  que  celles  de  la  France. 
Quel  est  l'état  de  votre  armée  de  réserve  ?  » 

Je  mis  le  général  de  Moltke  au  fait  de  son  état  actuel.  — 
«  Nous  espérons,  fis-]e  observer,  avoir,  dans  dix  ans,  quatorze 
divisions  de  réserve  et  quatorze  brigades  de  troupes  de  mon- 
tagne de  réserve.  » 

Moltke.  —  «  C'est  bien  long.  » 

Moi.  —  «  Oui,  mais,  d'année  en  année,  la  situation  s'amélio- 
rera. » 

Moltke.  —  «  Pouvez-vous  compter  sur  vos  troupes  slaves 
du  sud  et  roumaines  ?  » 

Moi.  —  «  On  ne  peut  prophétiser.  Dans  l'état  actuel  des 
choses,  nous  n'avons  pas  de  motif  d'inquiétude  ;  mais  le  ter- 
rain est  dangereux  ;  plus  le  temps  passera,  plus  la  situation 
pourra  s'aggraver.  » 

La  conversation  porta  ensuite  sur  le  thème  d'une  opération 
commune  de  l'Autriche-Hongrie  et  de  l'Italie  en  Albanie. 

Moi.  —  «  Je  ne  veux  rien  savoir  d'une  opération  quelconque 
en  Albanie.  Je  souffre  au  départ  de  chaque  nouveau  batail- 
lon qu'on  y  envoie.  » 

Le  général  de  Moltke  m'annonça  que  les  manœuvres  im- 
périales projetées  pour  1914  auraient  lieu  dans  les  environs 
d'Eichstadt. 

Quatre  corps  prussiens  et  deux  corps  bavarois  sous  le 
commandement  du  prince  Rupprecht  y  prendraient  part. 
L'archiduc  François-Ferdinand  devait  accepter  une  invitation 
à  ces  manœuvres.  Le  général  de  Moltke  ajouta  : 

—  «  Vous  y  viendrez  aussi  ?  » 

Moi.  —  «  Il  n'est  guère  probable  que  l'Archiduc  m'em- 
mène (1).  Je  ne  pourrais  l'accompagner  que  si  une  invitation 
spéciale  était  envoyée  pour  moi.  » 

Moltke.  —  «  Le  roi  d'Italie  assistera  également  aux  ma- 
nœuvres. On  a  consulté  à  ce  sujet  l'archiduc  François-Fer- 
dinand qui  consent.  » 

II  tut  ensuite  question  de  la  Turquie. 

(1)  Entre  François  Ferdinand  et  Conrad  les  relations  nnanquaiennt  de  cor- 
dialité, bien  que  Conrad  eût  été  élevé  au  poste  de  chef  d'état-major  sur  la 
demande  de  l'archiduc.  Un  moment  même,  en  septembre  1913,  Conrad, 
pensant  avoir  à  se  plaindre  des  procédés  de  François-Ferdinand,  voulut 
abandonner  ces  fonctions  (Voir  p.  439)  [Note  du  trad  ]' 


LE  PLAN  DE  GUERRE  AUSTRO-ALLEMAND  157 

MOLTKE.  —  «  L'armée  turque  n'a  absolument  aucune  va- 
leur ;  elle  n'a  ni  armes,  ni  munitions,  ni  équipements.  Et  voilà 
que  la  Turquie  veut  devenir  une  puissance  maritime  et  nous 
demande  de  l'argent.  » 

Moi.  —  «  Elle  ferait  bien  mieux  d'employer  cet  argent  à 
la  transformation  de  son  armée  de  terre.  » 

Nous  causâmes  encore  de  l'armement.  Je  demandai  si 
l'Allemagne  pensait  déjà  à  adopter  un  fusil  automatique. 

MoLTKE.  —  «  Il  n'est  pas  question  de  renouveler  l'armement 
de  l'infanterie.  Nctre  fusil  est  très  bon  et  nous  ne  pensons 
pas  à  en  introduire  un  autre.  » 

Enfin  nous  effleurâmes  de  nouveau  la  politique.  Je  déclarai 
que  le  gros  sujet  d'inquiétude  restait  pour  nous  la  question 
yougo-slave. 

Vers  huit  heures  du  soir,  arriva  le  major  Kundmann  ; 
nous  fîmes,  chez  le  général  de  Moltke,  un  dîner  simple,  et 
restâmes  ensemble  jusqu'à  dix  heures.  Avant  de  partir,  je  de- 
mandai encore  au  général  de  Moltke  combien  de  temps  il  fau- 
drait, en  cas  de  guerre  commune  contre  la  Russie  et  la 
France,  pour  que  l'Allemagne  pût  se  tourner  contre  la  Russie 
avec  des  forces  importantes. 

Moltke.  —  «  Nous  espérons  en  avoir  fini  avec  la  France  six 
semaines  après  l'ouverture  des  hostilités,  ou  tout  au  moins 
être  assez  avancés  pour  pouvoir  envoyer  le  gros  de  nos  forces 
sur  le  front  oriental,  » 

Moi.  —  «  Il  faudra  donc  que  nous  tenions  contre  la  Russie 
au  moins  six  semaines,  » 

Je  pris  congé  cordialement  du  général  de  Moltke,  sans  me 
douter  que  je  lui  serrais  la  main  pour  la  dernière  fois. 


12 


BIBLIOGRAPHI 


LA  PROPAGANDE  ALLEMANDE  Eî^  BELGIQUE 
AVANT  LA  GUERRE. 


M.  Heyse,  membre  de  la  «  Commission  des  Archives  de  la  guerre  » 
de  Belgique,  a  bien  voulu  nous  communiquer  quelques  pages  d'une 
étude  encore  inédite  sur  la  propagande  allewMnde  en  Belgique.  La 
documentation  relative  à  la  période  d'avant-guerre  est  particulièrement 
intéressante,  et  se  trouve  encore  très  mal  connue.  Aussi  la  Revue  a- 
t-elle  été  heureuse  de  pouvoir  extraire  du  travail  de  M.  Heyse  les  indi- 
cations qui  suivent  . 

Au  cours  de  la  guerre,  de  doctes  savants  nous  ont  rappelé  les  liens 
d'ordre  intellectuel  et  moral  qui  avaient  uni  la  Belgique  à  l'Allemagne. 
Ils  ont  évoqué  le  souvenir  d'Hoffmann  von  Fallersleben,  qui  dési- 
rait gagner  la  Belgique  et  la  Hollande  à  la  culture  germanique  (1), 
repris  le  mot  d'Arndt  :  «  Les  seules  frontières  naturelles  d'un  peuple 
sont  celles  qui  résultent  de  la  langue  s>  (2),  exalté  l'influence  du  Deuts- 
chtùm  sur  l'histoire,  les  arts  et  la  politique  de  la  Belgique  (3).  C'était 

(1)  D'  EwALD  Berneisen.  Hiffmann  von  Fallersleben  als  Vorliàmpfer 
deutschir  KuUur  in  Belgien  und  Holland  (HofTmann  y.  Fallersleben,  cham- 
pion de  la  civilisation  allemande  en  Belgique  et  en  Hollande;,  Leipzig, 
V.  Ri'ûger.  1913. 

W.  VON  Hacf.  Das  Deutschum  in  Belgien  (Le  germanisme  en  Belgique). 
Weimar,  A.  Duncker,  1917.  150  p.  (voir  pp.  128  à  130):  compte  rendu  dans 
«  De  Vlaamsche  Post  »  de  Gand,  numéro  du  1"  février  1917. 

(2)  Walter  VAX  DEN  Bleek,  SOUS  le  titre  Um  Flandern  und  Brabanl.  Die 
Frage  uber  die  Xiederlande  und  die  Rheinlande  Belgienund  was  daran  hangt 
(Sur  la  Flandre  et  le  Brabant.  La  question  des  Pays-Bas,  de  la  Rhénanie,  de 
la  Belgique  et  de  leurs  dépendances),  Berlin,  Boll.u.  Pickardt,  1918.  —  Réé- 
dite unç  élude  de  Ernst  Moritz  Arndt,  datant  de  1831. 

(3)  KoKD  vox  Straxz.  Unser  vôlkisches  Kriegsziel  (Notre  but  de  guerre 
national),  Leipzig,  1918.  Pour  cet  auteur,  le  grand  historien  belge,  ce  n'est 
pas  M.  Pirenne  —  auquel  la  science  allemande  a  rendu  si  souvent  homma- 
ge, —  c'esL  M.  Josson,  membre  du  Conseil  des  Flandres,  auteur  de  Fran- 
kiijk  de  eeuuenoude  vijarid  van  Vlajideren  en  Wallonie  '(La  France,  enne- 
mie séculaire  de  la  Flandre  et  de  la  Wallonie  843-1913),  Breda,  Engelbracht. 
i'H'ù,  890  p.  :  Pourquoi  ce  livre,  dit  Stranz,  n'est-il  pas  traduit  en  allemand? 


BIBLIOGRAPHIE  159 

une  arrière-pensée  politique  qui  inspirait  ces  études  «  historiques  ». 
Lorsque  des  auteurs  allemands  se  plaisaient  à  signaler  l'existence,  aux 
confins  des  provinces  de  Liège  et  de  Luxembourg,  d'une  population 
de  langue  allemande,  lorsqu'ils  essayaient  de  vanter  les  vertus  du 
Hochduitsch  (1),  ne  voulaient-ils  pas  préparer  ou  justifier  cet  ar- 
rêté de  Falkenhausen  (2),  en  vertu  duquel  l'allemand  devenait  la 
langue  officielle  exclusive  de  la  petite  région  «  belge  allemande  »  ? 

II  est  donc  intéressant  de  reprendre  aujourd'hui  l'étude  des  faits 
principaux  qui,  avant  la  guerre,  ont  marqué  les  tentatives  de  rappro- 
chement entre  les  pangermanistes  et  certains  Flamands  (3). 

Les  notes  qui  suivent  ont  pour  but  de  décrire  les  sources  d'informa- 
tions auxquelles  il  faut  avoir  recours  pour  connaître  les  principales 
manifestations  de  cette  propagande. 


* 
** 

Les  faits  que  l'on  invoque  le  plus  souvent  sont  l'activité  du  D'  Core- 
mans  (1 833-1 S40),  la  publication  à  Bruxelles  du  journal  Vlaemsch 
Belgie  (1844-45),  les  fêtes  musicales  (1844-1848),  la  déclaration  du 
congrès  f.amand  de  1897,  suivie  de  la  publication  de  la  revue  Ger- 
mania  (1898-1905),  enfin  l'influence  exercée  par  l'esprit  germanique 
dans  l'enseignement  supérieur  belge. 

Le  D''  Victor-Amédée  Coremans  était  né  à  Bruxelles,  le  4  octobre 
1802.  Suivant  .la  mode  allemande,  il  se  faisait  appeler  docteur  bien 
qu'il  ne  fût  point  médecin,  mais  simplement  docteur  en  philosophie 
de  l'Université  bavaroise  d'Erlangen.  Il  prêcha  la  révolution  en  Ba- 
vière, et  se  fit  expulser  de  ce  royaume,  en  1833,  à  cause  de  sa  cam- 
pagne violente  en  faveur  des  idées  libérales  et  républicaines.  A  partir 
de^lSSo,  il  travailla  à  Bruxelles,  aux  Archives  du  Royaume,  sous  la 
direction  de  la  Commission  royale  d'histoire,  et  s'efforça  «  de  rendre 
à  la  Belgique,  qui  penche  trop  vers  la  France,  le  service  de  la  ramener 
vers  l'Allemagne,  dont  il  prévoit  les  hautes  destinées  ».  Il  publia  un 
journal  bilingue,  la  Presse  libre,  feuilles  belges  germanophiles  sans 
censure.  —  Die  Freie  Presse,  censure  freie  belgisch  germanische 
Blatîer.  Le  premier  numéro  parut  le  1"  janvier  1840,  le  dernier,  le 

(1)  D"'  Fi'.ESE.  Di^ulsohes  Land  in  Belgien  (Au  pays  allemand  en  Belgi- 
quei.  BerliQ,  G.  Stilke,  1918,  20  p.  —  j.  Lokb.  Das  hockdeutsohe  Sprach- 
f/ebiet  in  BeUjien.  Die  aile  deulsche  Stadl  ^re/  (La  région  où  l'on  parle  le 
haut-allemand  en  Belgique.  La  vieille  ville  allemande  de  Arlun).  Trêves, 
Schaar  und  Dalhe,  1918,71  pages. 

(Il  Cet  arrêté  est  du  18  avril  l'JlS.  Cf.  Souvenirs  historiques,  avis,  procla- 
maliû7is...  Brian  Ilill,  l.\elles,  vol.  31,  p.  3o. 

(oj  Les  principales  manilestations  ont  été  exposées  par  le  D"-  A.  J  d'Ailly  : 
Een  halve  eeuw  pangermanisme  in  Belgie  (Un  demi  siècle  de  pangerma- 
nisme en  Belgique).  Association  des  pays  neutres,  section  néerlandaise, 
Amsterdam,  Vossiusiraat  54,  1018,  36  p.  et  par  Gaxdavcs,  Le  Flaminganlis- 
me  et  l'Allemagne.  Gand,  Impr.   Van  Dooselaere,  décembre  1918,  12  p. 


1^0  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

6  mai  1841  ;  d'après  Charles  Rahlenbeck  (1),  ce  fut  l'influence  française 
qui  fit  disparaître  cette  feuille.  Coremans  continua,  chaque  fois  qu'une 
société  chorale  allemande  débarquait  à  la  gare  du  Nord,  à  l'accueillir, 
l'air  radieux,  la  main  tendue.  Il  mourut  à  Ixelles,  le  23  octobre  1872. 

Le  journal  Vlaemsch  Belgie  fut  fondé  à  Bruxelles,  le  1"  janvier 
1844,  par  Jaak  van  de  Velde,  aidé  de  Jan  de  Laet  et  Domien  Sleeck  ; 
en  matière  internationale,cette  feuille  manifestait  «  une  forte  antipathie 
pour  la  France,  et  une  forte  sympathie  pour  l'Allemagne  »  (2).  D'après 
une  étude  publiée  par  M.  de  Meyer  (3),  les  fondateurs  du  journal  pro- 
posèrent au  baron  d'Arnim,  ministre  de  Prusse  à  Bruxelles,  de  dé- 
fendre les  intérêts  allemands  contre  les  influences  françaises,  s'il  leur 
était  accordé  un  appui  financier.  Cette  démarche  n'eut  pas  de  succès, 
et  le  journal  cessa  de  paraître  en  1845. 

Les  fêtes  musicales,  organisées  de  1844  à  1848  par  la  Duitsch 
Vlaamsche  Zangverbond  (Association  musicale  germano-flamande) 
ne  furent  que  des  «  épisodes  »  sans  suite  durable  (4). 

Les  rapports  intellectuels  qui  se  sont  noués  entre  Allemands  et  Fla- 
mands, dans  la  seconde  moitié  du  xix'^  siècle,  sont  beaucoup  plus 
importants.  Les  poètes  Dautzenberg,  E.  Hiel  et  D'  van  Oye,  —  selon 
G.  Vermeersch  (5),  —  furent  parmi  les  plus  accessibles  à  l'idée  d'un 
rapprochement  intellectuel  entre  Flamands  et  Allemands.  «  Salut,  Ger- 
manie !...  que  votre  règne  arrive  !  0  vérité,  salut  !  »,  écrivait  Em.  Hiel, 

(Il  Ch.  Rahlenbeek.  :  Un  centenaire  —  Le  docteur  Coremans^  dans  la 
«Revue  de  Belgique,»  34»  année,  2»  série,  tome  XXXIV,  1902,  pp.  351  à  364. 
Pour  Rahlenbeck,  Coremans  fut  un  méconnu  ;  aux  Archives,  on  porta  une 
main  sacrilège  sur  son  œuvre,  qui  fut  bouleversée  de  fond  en  comble, 
après  qu'il  eut  été  mis  à  la  retraite. 

(2)  Paul  Fbedericq.  Levenschels  van  D.  Sleeck,  Annuaire  de  l'Académie 
Royale  de  Belgique,  1903,  pp.  149-294. 

(3)  De  Meyer.  Jaak  van  de  Velde  (18J7-1898).  «  Aula  »  (revue  des  étudiants 
de  l'Université  flamande  de  Gand),  1"  novembre  1911.  Dans  la  même 
revue,  l'''  mars  191",  le  D''  Jacob,  chargé  de  cours  à  l'Université  flamande, 
a  étudié  la  correspondance  politique  échangée  vers  1840  entre  Hofkens  et 
Snelleart.  Hofkens  politieke    briefv:isseling  met  Sneilaert  uit  de  jare  Veertig. 

(4)  Léo  Schwering.  Hôkepunkle  deutsch-flamischer  Beziehungen  (Points 
principaux  des  relations  germano-flamandes).  «  Der  Belfried  »,  1911.  L'auteur 
relève  le  rôle  prépondérant  de  l'archiviste  gantois  Prudens  Yan  Duj-se,  orga- 
nisateur de  ces  fêtes. 

(5)  Voir  sur  ce  point  G.  Vermeersch:  Nederduils  en  Nederlands,  «  Dietsche 
Stemmen  »  (Utrecht),  n°'  5-6  de  mai-juin  1918,  pp.  209  à  245.  De  Nedei-duit- 
sche  Reweging{\e  mouvementbas  allemand),  ibid.,  numéro  de  novembre  1915. 
Pour  réveiller  les  sentiments  germaniques  des  prisonniers  flamands,  le  pas- 
teur Otto  Bôlke  a  réuni  sous  le  titre  :  Unter  de'm  Banner  der  Versôlinung 
Die  Flanien  in  Belgien  und  die  Flamen  in  Deutschland.  Ein  Brudergruss 
(Sous  le  drapeau  de  la  réconciliation.  Les  Flamands  en  Belgique  et  les 
Flamands  en  Allemagne),  les  extraits  de  poésies  qui  relèvent  les  aspirations 
germaniques  de  Dautzenberg,  Em.  Hiel,  etc.. 

C'est  dans  le  même  but  que  le  professeur  Stakge  répandait,  dans  les 
camps  de  prisonniers,  un  recueil  de  chansons  flamandes!  Vlaamsche  Liede- 
ren,  Gôttingen,  1911. 


BIBLIOGRAPHIE  l6l 

Le  mouvement  prit  une  orientation  plus  précise  sous  l'impulsion  du 
bibliothécaire  de  la  ville  d'Anvers,  le  D''  C.-J.  Hanssen,  qui  fut  directeur 
de  l'Académie  flamande  en  1895.  Hanssen  publia  plusieurs  études 
tendant  à  réaliser  la  fusion  linguistique  et  littéraire  entre  le  flamand  et 
le  bas-allemand  (1).  Ces  idées  furent  favorablement  accueillies  par 
quelques  pangermanistes,  qui  dépassèrent  le  but  proposé  par  Hanssen  : 
vers  1897,  paraissaient  plusieurs  brochures  qui  préconisaient  nettement 
l'absorption  du  flamand  par  le  Hochdiiitsch  (2)  :  le  bas-allemand  et 
le  flamand  seraient  unifiés,  mais  la  langue  scientifique  serait  le  Hoch- 
duitsch.  Plus  tard,  la  Belgique  ferait  partie  de  la  Confédération  impé- 
riale allemande. 

Ces  maladresses  provoquèrent  une  réaction.  Le  16  mai  1897,  le 
Congrès  flamand  («  Vlaamsche  Volksraad  »)  adressa  aux  membres 
de  la  Ligue  pangermaniste,  à  Leipzig,  une  lettre  publique  :  «  Nous 
déclarons  que  les  Flamands  veulent  à  tout  prix  maintenir  la  pleine  au- 
tonomie et  l'indépendance  de  la  Belgique,  qu'ils  sont  des  Germains, 
mais  non  des  Allemands  ;  qu'ils  reconnaissent  bien  les  Allemands 
comme  apparentés  avec  eux  par  l'origine,  mais  nullement  comme  des 
compatriotes;  que  leur  langue  est  le  néerlandais,  non  le  haut-allemand, 
et  qu'ils  considèrent  l'Empire  d'Allemagne  comme  une  puissance  amie, 
mais  néanmoins  étrangère.  »  Le  Congrès  de  1898  se  prononça  de 
nouveau,  à  une  très  forte  majorité,  contre  le  rapprochement  avec  l'Al- 
lemagne. Pour  éviter  que  le  mouvement  flamand  pût  être  soupçonné 
d'avoir  la  moindre  tendance  pangermaniste,  on  substitua,  pour  dési- 
gner la  langue  flamande,  le  mot  «  Nederlandsch  »  au  mot  «  Neder- 
duitsch  »  (3).-  Mais  les  décisions  du  Congrès  n'empêchèrent  pas 
l'organisation  à  Crefeld,  en  juillet  1898,  d'une  exposition  d'art  flamand, 
qui  fut  l'occasion  pour  le  D''  Haller  von  Ziegesar  de  manifester  ses 


(1)  Hanssen,  fils  d'un  capitaine  de  navire  danois,  était  né  à  Flessingue  en 
1833.  11  publia  une  brochure  De  uitgebreidid/ieid  onzer  moederspraak  (L'u- 
sage de  notre  langue  maternelle),  Vlaamsche  Akademie,  Gand,  Siffer,  1893, 
5T  p.  —  Cf.  l'étude  de  A.  Ilénot,  :  I^even  en  Slreven  van  D''  J.  Hanssen] 
(Vie  et  combats  du  D""  J.  Hanssen),  Anvers,  Inip.  Rennes,  231  pages 

(2)  Fritz  Blet.  Die  alldeutsche  Bewegunq  und  die  Niederlande  (Le  mou- 
vement pangermaniste  et  les  Pays-Bas^  Munich,  Lehmann,  1897,  72  pages. 
—  Von  Pfister.  Nederland  und  lieich  Les  Pays-Bas)  et  l'Empire),  dans  «  All- 
deutschland  »,  n"  5.  —  H.  A.  Graevel.  Die  Vlaamsche  Bewegiuig  von  Ail- 
deutschen  Standtpunkte  dargeslellt,  von  Harold  Arjuna  (Le  mouvement  fla- 
mand au  point  de  vue  pangermaniste),  Berlin,  Lustenôder,  1897  :  cette  étude 
a  paru  aussi  en  traduction  flamande,  dans  la  revue  anversoise  «  Vlaamsch 
en  vrij  •;  année  1897.  Graevel  prépara  pendant  la  guerre,  à  l'usa^^  du  maré- 
chal von  der  Goltz,  premier  gouverneur  général  allemand  en  lielgique,  un 
programme  d'action  «  pour  gagner  les  Flamands  à  l'Empereur  et  à  l'Em- 
pire ».  Il  préconisait  la  création  d'une  Université  germanique  à  Gand  (voir 
le  XXe  Siéc/e,  Le  Havre,  numéro  du  28  décembre  1914,  et  la  iVa/ion  6g/«7e, 
Bruxelles,  numéro  du  cl  janvier  1923). 

(3)  Ces  incidents  sont  e.xposés  par  A.  Prayom  van  ZvrLr.y.Over  Panrjev' 
manisme  (A  travers  le  pangermanisme),  Ganil,  Vlaamsche  Akademie,  Siffer, 
1897,111  pages.  Voir  aussi  G.  Vermeersch  déjà  cité  (p.  160,  note  51). 


jg2  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

sentiments  germanophiles  (1).  Certains  isolés,  dit-on,  et  parmi  eux 
Pol  de  Mont,  auraient  assisté  aussi  au  Congrès  pangermaniste  de 
Dresde,  où  l'existence  de  la  nationalité  belge  fut  niée,  et  l'empire  ger- 
manique appelé  «  La  Grande  Patrie  »  (2). 

Le  fait  est  que,  malgré  la  protestation  du  Congrès  flamand,  apparut, 
dès  1898,  une  revue  intitulée  Germania  (3)  ;  elle  avait  été  fondée 
par  le  baron  van  Ziégesar,  et  le  comité  de  rédaction  était  formé  de 
Flamands  et  d'Allemands  :  parmi  les  collaborateurs  flamands,  figu- 
rèrent O.  Wattez,  A.  Prayon  van  Zuyîen,  Jef  Hinderdael,  P.  de 
Mont  (4)  ;  parmi  les  Allemands,  le  professeur  Karl  Lamprecht, 
l'écrivain  pangermaniste  Kurd  von  Strantz,  le  conseiller  de  gouver- 
nement Gerstenhauser,  le  D'  Fr.  Norden,  et  Tony  Kellen,  qui  tous  se 
signalèrent,  pendant  la  guerre,  par  leur  activité  de  propagande  (5). 
Le  Comité  comptait  enfin  parmi  ses  membres  un  Suisse,  le  D''  Ed. 
Blocher  (6). 

La  revue  parut  à  Bruxelles  jusqu'en  1905  :  elle  ouvrit,  en  1900,  une 
liste  de  souscription  pour  alimenter  une  propagande  de  meeting  en 
faveur  de  la  création  d'une  université  flamande  ;  mais  le  total  des 
souscriptions,  allemandes  pour  la  plupart,  ne  dépassa  pas  360  fr.  30  ! 

D'après  un  des  auteurs  qui  ont  étudié  ce  mouvement,  la  bonne  foi 
des  Flamands  qui  collaborèrent  à  la  revue  Germania  ne  peut  être 
mise  en  doute  (7).  Ils  n'acceptèrent  aucune  rémunération  pécuniaire. 

(1)  Haller.  De  Vlaamsche  Kunst  in  Duitschland  ;L'art  flamand  en  Alle- 
magne) «   Germania  >,  1888,  n"  1. 

(2)  Cf.  Le  Soir  de  Bruxelles,  numéro  du  11  janvierl923  :  article  de  Bergk  : 
Pour  la  liberté  dans  les  Flandres  ■— ,  et  Charriaut  :  La  Belgique,  terre  d'hé- 
roïsme, Paris,  Flammarion,  1915,  p.  58. 

(3)  Germania,  Tijdschrift  voor  Vlaamsche  Bp.weging,{i(.  Germania  »  Revue 
pour  le  mouvement  flamand;,  n»  l,  octobre  1898.  —  Elle  parut  successive- 
ment ctiez  Diez,  chez  Knôtig  et  chez  Tr.  Rein,  toujours  à  Bruxelles. 

(4)  Le  baron  von  Ziégesar  mourut  en  1901.  Il  laissaitun  fils  légitimé,  Hal- 
ler von  Ziégesar.  qui  continua  l'œuvre  de  son  père,  fit  partie,  pendant  la 
guerre,  du  Conseil  des  Flandres  et  fut  condamné  à  mort,  par  défaut,  par  la 
Cour  d'assises  du  Brabant,  en  avril  1920  (V. /.e  Soù-,  Bruxelles.  18  avril  19  JO). 
P.  de  Mont,  après  l'armistice,  fut  révoqué  de  ses  fonctions  administratives, 
puis  admis  à  la  retraite  en  avril  1922.  lbid.,io  avril  1922). 

(5)  Karl  Lamprecht.  Deutsche  Zukunft  :  Belgien.  Aus  den  Nacligelas 
senen  Schrifteii  (L'avenir  allemand  :  la  Belgique).  Gotha,  Perthes,  1016,  68  p. 
Il  préconise  l'envoi  de  quelques  étudiants  llamands  dans  une  petite  uni- 
versité allemande.  —  Kurd  von  Str.\nz.  Unser  volkisches  Kriegszieî  (Notre 
hut  de  guerre  populaire),  Leipzig,  Reichenbach,  1918...  «  La  Belgique  doit 
rester   allemande.    »   —  Tony  Keelen.    Die  Flamische    Hochschule    in    Gent 

L'université  flamande  de  Gandi,  Ham,  Westphalie,  1916.  —  Nobden.  la  Bei- 
qiqae  neutre  et  r Allemagne  Bruxelles,  19)5,  —  Gerstenhauer  présida,  avec 
M.  Verhees,  la  section  bruxelloise  de  la  «  Deutsch  Flamische  Gensells- 
chaf t  »  (V.  V Information  de  Bruxelles,  numéro  du  3  mai  1918).  —  Il  était  atta- 
ché  à   la  Zivilverwaltung  à  Bruxelles. 

(6)  Blocoer.  —  Neutralité  belge  et  neutralité  suisse,  Genève,  1915. 

(7)  Cf.  Les  articles  de  A.  Monet  et  L.  du  Gastillon  dans  le  Telegraaf 
d'Amsterdam,  t5  et  24  juillet  191S.  '^'oir  aussi  Flandre  Libérale  (Gand), 
numéro  du  2-3  janvier  1919  :  Où  ils  nous  menaient.  Le  pangermanisme  avant 
guerre. 


BIBLIOGRAPHIE  Ij^-^ 


* 

** 


Mais  l'Allemagne  comptait  aussi  en  Belgique  des  sympathies  nom- 
breuses dans  les  milieux  universitaires  :  «  C'est  dans  le  domaine 
scientifique  que  les  courants  mutuels  de  tendances  et  de  pensées  étaient 
devenus  les  plus  fréquents  et  les  plus  réguliers  »,  écrit  Waxweiler  (1). 
«  Depuis  de  nombreuses  années,  déjà,  il  était  permis  de  dire  qu'un 
jeune  savant  belge  n'avait  guère  de  titre  à  la  considération  s'il  n'avait 
pas  fréquenté  une  université  allemande.  »  D'ailleurs  les  universités 
belges  accueillaient  des  professeurs  allemands,  dont  plusieurs  ac- 
quirent une  belle  notoriété  :  à  Bruxelles,  Arntz  (1838-84),  Maynz 
(1838-67)  ;  à  Louvain,  Moeller  (1834-62),  Jungmann  (1871-95), 
Arendt  (1834-66)  ;  à  Liège,  Spring,  Fuss  (1817-48)  ;  à  Gand, 
Warnkoenig  (1831-1836),  Rusmann,  Kekule  (1837-1878),  de  Kemmeter, 
Haus  (1817-1880)  (2)  et  Stober  (1894-1914),  qui  enseigna  pendant  la 
guerre  à  l'université  von  Bissing.  C'est  aussi  un  Allemand,  Th.  Braun, 
qui  prit  une  part  prépondérante  dans  l'organisation  de  l'enseignement 
normal  en  Belgique  ;  il  retraça  toutes  les  joies  et  les  consolations  que 
lui  avait  values  sa  longue  carrière  dans  une  petite  brochure,  éditée 
avec  soin  (3).  On  voit  encore  le  «  Conseil  de  perfectionnement  » 
adopter  comme  livre  de  classe  et  livre  de  prix  une  biographie  du  poète 
allemand  Korner  (4),  où  les  jeunes  Belges  pouvaient  lire  ses  «  chants 
héroïques  de  l'Allemagne  »  qui  furent,  en  1813,  au  nombre  des  appels  à 
la  «  lutte  pour  la  libération  ».  A  la  veille  de  la  guerre,  cette  «  germani- 
sation »  de  l'enseignement  supérieur  était  mise  en  relief  par  un 
journal  satirique  de  Bruxelles  (5). 

En  somme,  ces  échanges  de  sympathie  entre  Allemands  et  Flamands 
n'ont  été  que  des  manifestations  isolées,  sans  écho  dans  le  peuple.  Les 
tendances  pangermanistes  de  quelques  chefs  de  mouvements  ont  re- 
tenu, bien  entendu,  l'attention  des  étrangers  (6).  Mais  la  masse 
restait  hostile  à  toute  tentative  de  germanisation  ou  d'absorp- 
tion :  certains  Allemands  eux-mêmes  ont  reconnu  les  lacunes  et  l'échec 
de  leur  propagande  (7).  Et  d'ailleurs  l'expérience  de  1914  n'a-t-elle  pas 
donné  aux  déclarations  de  quelques  exaltés  un  démenti  victorieux  ? 

(!)  Waxweiler    La  Belgique  neutre  et  loyale,  Paris,  Payot,  4ai5,  p.  12. 

(2)  «  Nul  professeur  ne  fut  plus  admiré,  .plus  aimé  »,  écrit  M.  Rolin  daos 
le  Liber  me  mariai  is  de  l'Université  de  Gaad,  J,  p.  304. 

(3)  Ma  vie.  Impr.  Elzévir,  1894,  100  p. 

(4)  L'auteur  de  la  biographie  était  le  D'  Haller  :  Theodor  Kôrners  Leven 
en  Werken  (La  Vie  et  les  œuvres  de  Th.  Korner)  Gand,  Siffer,  189T. 

(5)  Les  Flèches  h'hdonadaires.  Bruxelles,  W.  Benedictus,  directeur.  Cf. 
n"  iS  du  20  avril,  n"  18  du  lof  juin  et  14  du  4  mai  1913. 

(6)  Par  exemple,  Charri.vult,  pp.  19  et  62. 

(7)  Conrad  Beyerlé.  Deutsche  Passiven  auf  Konlo  Belgien  (Le  passif 
allemand  dans  le  compte  belge),  Suddeutsche  Monatshefte,  août  1916  (Die 
Niederlandsi.  On  peut  dire  que  Liederik  de  Buck  exagère  sans  doute  quaud, 
dans  le  même  numéro  des»  Suddeutsche  Monatshefte  •  il  étudie  l'œuvre  du 
flamand  de  Raet,  »  précurseur  du  mouvement  germano-flamand  >. 


164 


HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 


* 


Après  l'armistice,  certains  journaux  dits  «  fransquillons  »  ont  re- 
proché à  certains  journaux  dits  «  flamingants  »  l'attitude  de  la  presse 
flamande  en  1870.  Les  premiers  relèvent  dans  la  presse  flamande,  de 
1870  à  1872,  des  articles  germanophiles  commentant  avec  joie  la  vic- 
toire allemande.  Les  journaux  flamands  ne  nient  pas  ces  sentiments 
d'alors,  mais  ils  les  expliquent  par  les  tendances  différentes  de  la 
politique  internationale  en  1870  et  en  1914.  En  1870,  les  Flamands 
avaient  tout  à  craindre  de  la  politique  annexionniste  de  Napoléon  III 
qui  visait  particulièrement  la  Belgique. 

Cette  explication  paraît  plausible.  En  1870,  les  opinions  étaient  très 
divisées  en  Belgique.  La  France  comptait  de  chaleureux  partisans,  tel 
Camille  Lemonnier  qui,  dans  une  brochure  anonyme  Paris-Ber- 
lin (1),  défendit  la  cause  de  Paris  «  Ville  immortelle  »  et  de  la 
France  qui  est  la  civilisation.  D'autre  part,  les  visées  impérialistes 
de  Napoléon  III  inquiétaient  beaucoup  de  Belges  des  plus  éminents, 
préoccupés  de  ses  ambitions  vers  les  «  limites  naturelles  »  de  la 
France.  Ainsi,  Potvin,  démocrate  et  ami  des  émigrés  du  coup  d'Etat, 
représente  la  France  de  Napoléon  «  comme  l'éternelle  perturbatrice 
de  la  paix  du  monde,  une  menace  de  guerre  et  d'asservissement  tou- 
jours suspendue  sur  les  Etats  »  (2).  La  correspondance  de  Léopold  I", 
publiée  par  le  D"  Corti,  un  Autrichien,  montre  le  premier  roi  des 
Belges  sans  cesse  préoccupé  d'entreprises  possibles  de  la  part  de 
l'Empire  français  contre  l'indépendance  de  la  Belgique.  «  Il  ne  laissait 
passer  aucune  occasion  d'intriguer  contre  Napoléon  III  et  de  lui  susciter 
des  ennemis.  11  n'a  pas  vécu  l'établi-ssement  de  la  Troisième  Répu- 
blique après  la  victoire  allemande  dans  la  guerre  de  1870-71  ;  mais 
il  est  probable  que  s'il  avait  assisté  à  ces  événements,  sa  joie  aurait 
été  mélangée  d'amertume,  la  chute  de  Napoléon  III  ayant  été  causée 
par  la  Prusse...  L'idée  lui  répugnait  que  la  Prusse  pût  remplacer 
l'Autriche  comme  principale  puissance  germanique,  et  sans  cesse  il 
intriguait  contre  la  réalisation  de  cette  idée  (3).  » 

On  doit,  dans  l'appréciation  des  faits  passés,  tenir  compte  de 
l'époque  ;  ce  serait  faire  erreur  que  de  les  juger  sous  l'empire  d'idées 
ou  de  circonstances  inconnues  alors  ;  de  plus,  toute  polémique  au 
sujet  de  l'attitude  des  Belges  en  1870  ou  de  leurs  sympathies  plus  ou 
moins  francophiles  nous  paraît  inutile,  puisqu'en  août  1914  Flamands 
et  Wallons  se  sont  trouvés  unis  pour  défendre  la  Patrie  menacée,  et  que 
O.  Wattez  lui-même  est  allé  jusqu'à  ravaler  les  Allemands  au  rang 
des  cannibales  : 


(1)  P<z?-ts-BerZm.  1870,  Bruxelles,  Librairie  Universelle  Rosez,  1870,  39  pages. 

(2)  Appel  à    l'Europe,  Réponse  aux   limites  de  la  France   par  un  Belge, 
Bruxelles,  J.  Rosez,  1853,  90  p. 

(3)  GoRTi.  Leopold  I  von  Belgien,  "Wien,   Rikola  Verlag.   1922.    Voir  l'ana- 
lyse dans  Le  Soir,  Bruxelles,  numéro  du  6  octobre  1923  :  Un  souverain  actif. 


BIBLIOGRAPHIE  165 

Gij  sfaat,  O  Duitsch'  von's  die  uw  geslacht  onteerdet, 

Het  Volkenrecht  verkrachtet, 

Wetten  Gods  trotseerdet, 

Zoo  ver  van't  ridderdom  als't  ras  der  Kannibalen  (1). 

Th.  Heyse. 
LES  LIVRES  NOUVEAUX 


Gaston  Raphaël.  —  Le  Roi  de  la  Ruhr,  Hugo  Stinnes,  l'homme,  son 
œuvre,   son   rôle.   Paris,  Payot,   1923,   in-8. 

M.  Gaston  Raphaël,  qui  a  déjà  publié  deux  études  sur  Ra- 
thenau  et  sur  Tirpitz,  nous  présente  en  deux  cents  grandes  pages  un 
portrait  de  Stinnes.  Il  n'était  pas  inutile  d'offrir  aux  lecteurs  français 
une  image  exacte  du  grand  homme.  La  légende,  tant  en  France  qu'en 
Allemagne,  a  déjà  déformé  bien  des  contours  et  rehaussé  plus  d'un 
contraste.  La  haine  des  uns,  les  préventions  des  autres,  l'ignorance  du 
plus  grand  nombre,  les  antagonismes  politiques  et  économiques  que 
l'on  est  trop  souvent  tenté  d'expliquer  par  la  mauvaise  foi  réfléchie  de 
l'adversaire,  auraient  pu  rendre  singulièrement  difficile  la  tâche  entre- 
prise par  M.  Raphaël.  Il  ne  semble  pas  qu'il  ait  eu  aucune  peine  à  se 
montrer  impartial.  D'une  documentation  abondante  et  précise,  il  tire 
un  récit  bien  ordonné,  agréable  à  lire,  rapide  et  vivant,  qui  a  tous  les 
caractères  de  l'équité.  Au  lieu  de  prêter  à  M.  Stinnes,  comme  l'ont  fait 
bien  des  gens  des  deux  côtés  de  la  frontière,  des  humeurs  changeantes 
de  despote  et  des  ambitions  contradictoires,  sans  faire  de  lui  ni  un  oi- 
seau de  proie  ni  un  grand  patriote  désintéressé,  M.  Raphaël,  d'une 
manière  plus  positive  et  plus  sûre,  recherche  l'unité  du  caractère  et  de 
la  vie.  Et  Stinnes  nous  apparaît  ainsi,  non  plus  comme  une  figure  lé- 
gendaire, un  épouvantail  électoral  ou  un  aventurier  héroïque,  mais 
comme  un  homme  :  travailleur  et  admirablement  doué,  il  joint  le  flair  à 
la  réflexion,  mène  une  vie  simple  qu'il  veut  féconde,  et  croit  n'être,  à 
la  manière  de  Frédéric  II,  qu'un  serviteur. 

Stinnes,  que  sa  mère  veuve  fait  émanciper  à  18  ans  pour  lui  faire 
gérer  sa  part  de  fortune,  fonde  à  23  ans  sa  première  société,  après 
avoir  emprunté  50.000  m.  auprès  des  siens.  Il  ne  s'occupe  alors  que  du 
triage  et  du  commerce  des  charbons.  Il  n'a  point  fait  d'études  supé- 
rieures, il  fut  six  mois  ouvrier  de  mine,  dix  mois  élève  à  l'école  des 
Mines  de  Berlin.  C'est  un  petit  bourgeois  qui  a  le  goût  des  affaires  et 
le  dédain  des  arts.  Il  déteste  les  systèmes.  Les  idées  ne  sont  pour 
lui  que  les  courroies  qui  font  tourner  les  machines.  C'est  sur  les 
machines  qu'elles  doivent  régler  leur  portée,  et  l'inverse  serait  absurde. 
Il  n'importe  que  de  garder  la  vision  nette  et  le  sens  du  réel.  Les  doc- 

(1)  0.  Wattez.  Sonnetton  van  een  Vlaming  in  Parijs  (Sonnets  d'un  fla- 
mand à  Paris)  1914-1918,  Bruxelles,  Vromant,  1920,  p.  64. 

■  Von's  »  d'Allemagne,  qui  avez  déshonoré  votre  race,  violé  le  droit  des 
gens,  bravé  les  lois  divines,  vous  êtes  aussi  éloignés  de  la  chevalerie  que 
les  cannibales. 


léé  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

trines  comme  les  habitudes,  les  tendances  et  les  illusions  déforment 
notre  perception  de  la  vie.  La  supériorité  comme  l'habileté  est  d'être 
opportuniste   avec  clairvoyance,   non  certes  pour  arracher  à  ce  qui 
passe  un  plus  large  profit,  mais  parce  qu'il  est  plus  juste  de  suivre  le 
dynamisme  universel  que  de  le  contrarier.  On  a  tort  de  se  représenter 
Stinnes  comme  un  génial  mercanti.  Il  fuit  le  luxe,  il  travaille  plus 
longtemps  que  ses  ouvriers  et  que  ses  directeurs.  Sa  fortune  ne  semble 
pas  sa  propriété  :  elle  s'appartient  à  elle-même,  et  il  n'en  est  que  le 
gérant.  11  n'est  pas  l'adversaire  des  travailleurs  parce  que  leur  bien- 
être,  leur  résistance  et  leur  goût  à  la  besogne  sont  parmi  les  conditions 
de  la   prospérité.   Sans  doute  il  n'admet  pas  que   des  ignorants  se 
mêlent  de  diriger,  et  les  conseils  d'exploitation  (Betriebsràte)  lui  pa- 
raissent un  contre-sens...  Pour  qu'une  entreprise  fonctionne  bien,  il  ne 
faut  pas  introduire  d'antagonism.es  à  l'intérieur  :  l'idée  de  «  contrôle  » 
semble  consacrer  une  opposition  nuisible.  Ce  qui  doit  être  réalisé,  au 
contraire,  c'est  la  communauté  des  efforts.  Stinnes  est  conciliant.  Il  ne 
lésine  pas  sur  les  salaires.  Il  entend  relever  la  condition  morale  et  la 
situation  matérielle  de  ses  ouvriers.  Il  les  tient  au  courant  des  projets, 
et  des  travaux  exécutés  :  les  plans  et  les  graphiques  sont  à  la  portée  de 
ceux  qui  veulent  les  consulter  et  s'instruire.  Les  postes,  même  supé- 
rieurs, doivent  être  accessibles  à  tous  :  il  faut,  dit-il,  rompre  avec  cer- 
tains principes,  y  compris  celui  des  «  hautes  études  préparatoires  ». 
Vogler,  autrefois  simple  ouvrier,  est  devenu,  grâce  à  lui,  directeur  de 
la  Rhein-Elbe-Union.  Est-ce  le  résultat  d'un  esprit  humanitaire,  d'une 
doctrine  politique  ou  sociale  ?  Nullement.  Ce  n'est  que  de  la  sagesse. 
C'est  ce  que  l'on  pourrait  appeler  le  primat  de  la  raison  économique. 
«  Stinnes,  écrit  M.  Raphaël,  est  hanté  par  la  crainte  d'un  arrêt  de  la 
production,  de  même  que  Luther  était  poursuivi  par  des  apparitions 
du  diable  »    ;   «   pendant  que  les  obus  détruisaient,  il  s'appliquait 
fiévreusement  à  ce  que  l'on  travaillât  davantage  ».  Ainsi  l'on  comprend 
mieux  son  rôle  pendant  la  guerre.  Il  n'avait  pas  souhaité  le  conflit,  car 
celui-ci  ne  pouvait  que  nuire  à  l'économie  mondiale.  Il  n'aimait  pas 
Guillaume,  dont  il  blâmait,  à  part  soi,  l'esprit  d'aventure  et  l'inexpé- 
rience des  affaires.  A-t-il  profité  de  la  guerre  ?  Il  a  pu  déclarer  au 
Reichswirtschaftsrat,  et  non  sans  raison,  qu'il  en  avait  pâti.  Quoi  qu'il 
en  soit,  il  se  fit,  en  bon  Allemand,  et  en  homme  qui  ne'  discute  plus  les 
faits,    un    des    plus    puissants    instruments    de    l'Empire.    Mais    il 
resta  en  dehors  du  socialisme  d'Etat,  et  résista  à  toute  contagion.  Il 
s'accommoda  de  la  guerre,  parce  qu'il  ne  pouvait  faire  autrement,  et 
chercha  à  en  tirer  le  meilleur  parti.  Mais  il  n'abandonna  aucune  de  ses 
idées  :  tandis  que  Rathenau  créait  ou  organisait  une  structure  nou- 
velle, fortement  centralisée  autour  de  l'Etat,  Stinnes  ne  consentit  ja- 
mais à  agir  autrement  qu'à  titre  privé.  Il  estimait  que  les  circonstances, 
quelles  qu'elles  fussent,  ne  pouvait  rendre  opportun  ce  qui  est,  par 
essence,  pernicieux  à  l'industrie.  Il  se  déclare  prêt  à  fournir  tout  ce 
qu'on  lui  demandera,  à  transporter  tout  ce  qui  sera  nécessaire.  Il  ex- 
ploite la  Belgique,  il  s'agrandit  mais  en  maudissant  les  organes  de 
contrôle  et  les  nuées  de  fonctionnaires  qui  ne  sont  que  poids  inutiles 
ou  parasites  gênants.  «  Sa  faiblesse  la  plus  grave,  disait-il  de  Rathe- 


BIBLIOGRAPHIE  167 

nau,  est  qu'il  considère  toutes  choses  avec  trop  d'esthétisme  et  trop 
peu  d'intérêt  direct.  »  Il  blâmait  en  lui  l'esprit  de  système,  et  Rathenau 
répliquait  en  lui  reprochant  de  ne  pas  hissez  tenir  compte  des  intérêts 
de  l'Etat.  C'est  ainsi  que  Stinnes  aurait  voulu  partager  l'Allemagne 
en  provinces  industrielles,  tandis  que  Rathenau,  politique  plus  clair- 
voyant et,  en  cela,  meilleur  patriote,  voyait  dans  cette  sorte  de  régiona- 
lisme une  cause  de  rivalités  malheureuses,  ou  d'incompréhension  des 
intérêts  communs,  en  tout  cas  une  menace  de  démembrement.  Le 
Reichswirtschaftsrat  donna  raison  à  Rathenau. 

C'est  toujours  en  industriel  que  Stinnes  pense  et  qu'il  agit.  Quand 
vint  la  défaite,  Ballin  se  suicida.  «  Le  Westphalien  intrépide  et  génial 
eut  les  nerfs  plus  résistants.  »  Une  entreprise  industrielle  ne  connaît 
pas  que  des  jours  heureux.  II  s'agit,  selon  les  circonstances,  d'accroître 
sa  prospérité  ou  d'éviter  la  ruine.  C'est  au  chef  de  prévoir  et  de  parer. 
Quelques  années  plus  tard  Stinnes  pourra  dire,  non  sans  fierté:  «  Seule 
l'économie  allemande  a  résisté  à  la  débâcle.  »  Il  n'a  pas  voulu  «  faire 
de  la  politique  ».  Il  ne  discute  jamais  la  forme  de  l'Etat,  car  celle-ci 
est  secondaire.  La  constitution  de  Weimar  est  votée,  va  pour  la  consti- 
tution de  Weimar  :  inutile  de  se  battre  pour  des  chimères.  La  tâche 
urgente  est  ailleurs.  Mais,  dès  que  les  intérêts  essentiels  de  l'industrie 
lui  paraissent  menacés,  il  les  défend  avec  âpreté,  et  il  fonce.  Répu- 
blique ou  monarchie,  peu  importe.  Mais  quand  il  est  question  de  res- 
treindre l'initiative  individuelle  et  la  liberté  des  chefs  d'industrie,  quand 
on  peut  redouter  que  les  principales  sources  de  la  richesse  nationale 
soient  captées  par  une  bureaucratie  irresponsable  et  indolente,  il  se 
montre  intraitable.  Le  courage  ne  lui  manque  pas,  et  il  est  certainement 
convaincu  que  ce  n'est  point  sa  situation  personnelle  qu'il  défend, 
mais  sa  patrie  tout  entière,  et,  par  delà  ses  frontières,  les  biens  les  plus 
précieux  de  la  civilisation  moderne.  II  y  avait  une  certaine  crânerie  à 
déclarer  aux  séances  du  Reichswirtschaftsrat,  quand  l'espoir  ou  la 
crainte  d'une  Socialisation  hantait  tous  les  esprits  :  «  Toute  réorgani- 
sation ne  peut  avoir  pour  but  que  de  développer  la  production  en 
Allemagne  5>...  «  éliminer  les  patrons,  c'est  impossible,  du  moins  dans 
les  mines.  Nommez-les  intéressés  ou  propriétaires...  je  m'en  moque. 
Dans  les  conditions  économiques  actuelles,  je  ne  puis  me  résoudre  à 
sacrifier  les  patrons,  »  Ensuite  il  passe  à  l'attaque  et  rédige  lui-même 
un  programme  qui  n'est  que  l'organisation  en  plus  grand  des  Sociétés 
à  responsabilité  limitée.  Les  ouvriers  deviendront  eux-mêmes  proprié- 
taires d'actions  de  cent  marks,  les  institutions  patronales  seront  dé- 
veloppées, et  —  formule  admirable  par  sa  concision  et  sa  brutalité 
peut-être  ironique,  «  la  participatioon  de  la  collectivité  aux  bénéfices 
sera  réalisée  sous  forme  .'.'impôts  5>.  —  Tous  les  sociaistes  protestè- 
rent violemment;  ils  crièrent  que  Stinnes  voulait  mettreJ'Al'.emagne  en 
actions  et  que  ses  projets  de  «  réformes  »  n'étaient  r'^^  une  impudente 
consolidation  du  régime  capitaliste.  En  fait,  la  manœuvra?  avait  réussi, 
la  socialisation  ne  se  fit  pas,  et  personne  n'y  songe  plus  i'ujourd'hui. 

Quelles  furent  l'attitude  et  le  rôle  de  Stinnes  lors  de  la  chute  du 
mark  ?  Il  serait  inexact  de  dire  que,  seuls,  les  industriels  aient  pro- 
voqué l'effondrement.  Mais  il  en  fut  de  cette   nouvelle   catastrophe 


I68  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

comme  de  celle  qui  l'avait  précédée.  Les  uns  s'y  ruinèrent,  les  autres 
surent  en  tirer  parti.  Stinnes  comprit  sans  doute  ce  que  l'inflation  avait 
de  malsain  et  de  dangereux.  Il  n'en  attendit  pas  de  bien  parce  que, 
seules,  les  conditions  normales  de  l'activité  industrielle  peuvent  être 
en  définitive  profitables  à  la  collectivité.  Mais  il  prit  aussitôt  ses 
dispositions  pour  ne  pas  sombrer  dans  la  tempête,  et  même  pour 
utiliser,  chaque  fois  qu'il  serait  possible,  la  violence  du  vent.  Il  conver- 
tit ses  disponibilités  en  valeurs  stables  et  s'agrandit  encore  démesu- 
rément. Grâce  à  la  nonchalance,  peut-être  à  la  complicité  du  gouver- 
nement du  D""  Wirth,  les  impôts,  très  lourds  en  principe,  n'étaient 
point  exigés.  Certains  même,  comme  l'impôt  sur  le  charbon,  devaient 
être  expressément  supprimés.  Quant  au  ministère  Cuno,  on  sait 
comment  il  travailla  sano  détour  à  «  affranchir  »  l'industrie.  «  Tou- 
jours est-il,  conclut  M.  Raphaël,  qu'au  début  de  1923  il  n'est  plus 
tout  à  fait  exact  de  dire  que  l'industrie  allemande  forme  un  Etat  dans 
l'Etat  :  elle  a  supplanté  l'Etat.  Le  salut  de  l'industrie  est  la  nouvelle 
raison  d'Etat.  »  Stinnes  a  certainement  eu,  cette  fois  encore,  le  senti- 
ment qu'il  arrachait  à  la  débâcle  ce  qu'on  pouvait  en  sauver.  Il  n'a 
pas  voulu  seulement  multiplier  des  affaires  avantageuses  :  l'armée 
nationale  avait  été  vaincue,  les  finances  publiques  étaient  ruinées.  Il 
ne  restait  à  l'Allemagne  que  sa  puissance  industrielle  ;  il  fallait  à 
tout  prix  la  protéger  et  la  fortifier.  Il  est  même  probable  qu'en  agis- 
sant ainsi,  Stinnes  avait  la  certitude  d'être  non  seulement  un  bon 
Allemand,  mais  un  «  bon  Européen  »,  car  les  forces  économiques 
appartiennent  à  l'humanité,  en  dépit  des  antagonismes  et  des  fron- 
tières. 

Tel  Stinnes  se  montra  pendant  la  guerre  et  pendant  la  chute  du 
mark,  tel  il  fut  quand  il  s'agit  d'exécuter  le  traité  :  industriel  d'abord. 
Il  ne  nie  pas  qu'il  y  ait  lieu  pour  l'Allemagne  de  restaurer  les  pro- 
vinces du  nord.  L'économie  l'exige  et  la  psychologie  le  conseille.  II 
déclare  aux  séances  du  Reichswirtschaftsrat  en  novembre  1922  :  «  Il 
faut  apaiser  pourtant  l'irritation  des  millions  d'êtres  qui  vivent  là-bas 
dans  des  conditions  indignes  :  autrement  ce  pays  ne  se  laissera  pas 
ramener  à  la  raison  »  ;  «  c'est  une  besogne  à  laquelle  l'Allem.agne 
ne  peut  pas  se  soustraire  ».  Même  victorieuse,  elle  eiat  été  intéressée 
à  la  reconstruction  des  pays  envahis.  Mais,  économiquement  parlant, 
le  monde  entier  est  à  reconstruire.  Pourquoi  se  laisser  hypnotiser  par 
les  pierres  en  ruines  alors  que  sur  l'Europe  entière  s'étendent  d'invi- 
sibles dévastations  ?  Il  ne  s'agit  point  de  vainqueurs  ni  de  vaincus, 
de  justice  ni  de  contrainte.  C'est  le  sol  commun  oîi  s'est  élevé  la 
civilisation  moderne  qui  a  tremblé  et  qui  s'est  fendu.  Ce  n'est  pas 
le  devoir,  c'est  l'intérêt  immédiat  qui  parle.  Dans  une  catastrophe, 
chacun  fait  d'abord  comme  il  peut,  mais  il  appelle  au  plus  vite  les 
techniciens.  \^_  Le  monde,  déclare  Stinnes,  ne  se  rétablira  pas  aussi 
longtemps  qiie  les  politiciens  n'auront  pas  été  éliminés.  »  Le  Traité 
de  Versailles  «  fourmille  d'absurdités  économiques  ».  Ainsi  s'expli- 
que l'attitude  de  Stinnes  que  l'on  vit  d'une  part  résister  au  traité, 
d'autre  part  conclure  des  accords  et  affirmer  la  «  nécessité  de  s'arran- 
ger avec  la  France  ».  Il  voudrait  une  réunion  d'hommes  d'affaires, 


BIBLIOGRAPHIE  T  69 

autour  d'une  table,  une  discussion  commerciale.  Appliquer  le  traité 
à  la  lettre,  ce  serait,  affirme-t-il,  ruiner  l'industrie  allemande,  qui, 
seule,  a  surnagé.  A  cela,  le  chef  d'industrie  et  l'allemand  se  révol- 
tent en  lui.  11  veut  laisser  les  gouvernements  en  dehors  de  l'affaire,  car 
les  gouvernements  ne  sont  composés  que  de  politiciens  qui  demandent 
l'impossible,  et  ne  connaissent  pas  les  nécessités  internationales  de 
l'économie  publique.  C'est  en  temps  qu'homme  privé  que  Stinnes 
consent  à  collaborer  au  relèvement  des  pays  envahis,  et  il  n'hésite 
pas  à  constater,  dans  le  préambule  de  sa  convention  avec  de  Lubersac, 
que  l'état  critique  des  sinistrés  est  déplorable  et  que  l'apaisement 
est  nécessaire...  Mais  il  voit  là  une  obligation  commandée  par  l'inté- 
rêt commun  bien  entendu,  une  garantie  pour  la  régularisation  du 
marché  mondial,  une  assurance,  somme  toute  une  affaire.  En  cela  il 
est  logique  avec  lui-même,  et  si  l'on  conteste  son  raisonnement,  ce 
n'est  certes  pas  à  sa  «  rapacité  »  qu'il  faut  s'en  prendre.  II  tient  à 
préciser  le  terme  de  réparation.  Il  ne  veut,  à  aucun  prix,  qu'il  de- 
vienne synonyme  d'indemnité  pénale.  «  Si  par  exemple,  dit-il,  nous 
remplaçons  en  Belgique  de  vieilles  traverses  pourries  de  chemins  de 
fer  par  des  neuves,  cela  n'a,  selon  moi,  rien  à  voir  avec  les  réparations. 
Si  nous  livrons  des  bois  de  mine  à  l'Angleterre,  c'est  également  un 
tort.  Ou  bien  encore  si  nous  construisons  de  vastes  plans  pour  la 
France  du  sud  ou  pour  je  ne  sais  quelles  gares  de  triage  dans  le  Tyrol 
méridional,  cela  n'a  rien  à  voir  avec  les  réparations.  »  Et  quand  vient 
l'occupation  de  la  Ruhr,  il  la  considère  comme  une  nouvelle  calamité 
qui  retardera  seulement  le  jour  oîi  devra  se  nouer  autour  du  tapis 
vert  la  conversation  «  commerciale  ». 

Nous  avons  essayé  de  présenter  au  lecteur,  qui  doit  se  contenter 
d'un  résumé,  un  portait  abrégé  de  Hugo  Stinnes,  tel  qu'il  apparaît 
dans  le  livre  de  M.  Raphaël.  Nous  avons  dû  négliger  bien  des  aspects 
et  des  attitudes.  Nous  n'avons  presque  rien  dit  de  l'œuvre.  On  trou- 
vera pourtant  sur  le  Consortium  une  étude  abondante  et  précise  qui 
montre  comment  s'est  formée  et  fortifiée  la  gigantesque  entreprise. 
11  pouvait  être  fastidieux  d'énumérer  et  de  grouper  les  multiples 
chapitres  de  cette  histoire.  M.  Raphaël  l'a  fait  avec  aisance.  Depuis 
que  son  livre  a  paru,  Stinnes  est  mort,  et  une  nouvelle  question  se 
pose  au  lecteur  français.  Sa  disparition  est-elle  un  bien  ?  est-elle  un 
mal  ?  Comment  cet  homme  eût-il  employé  son  génie  et  son  influence 
au  moment  où  l'on  entrevoit  un  essai  de  liquidation  générale  des 
litiges  ?  Partisan,  en  principe,  d'un  rapprochement  avec  la  France, 
eût-il  favorisé  une  conciliation  coûteuse  ou  l'eût-il  entravée  en  pen- 
sant que  l'Allemagne  devait  l'acheter  trop  cher?  Parmi  ceux  qui 
l'ont  approché  ou  qui  ont  étudié  sa  personne  et  son  œuvre,  les  avis 
sont  souvent  contradictoires.  Je  ne  sais  ce  qu'en  pense  M.  Raphaël.  Je 
serais,  pour  ma  part,  porté  à  croire  que  la  mort  de  cet  homme  véri- 
tablement génial  et  que  l'on  ne  peut  se  défendre  d'admirer  comme 
une  des  plus  extraordinaires  réussites  de  la  Nature,  n'a  pas  desservi 
les  partisans  et  les  ouvriers  de  l'apaisement.  Stinnes,  en  effet,  —  et 
c'est  bien  ainsi  qu'il  nous  apparaît  dans  l'étude  de  M.  Raphaël  —  ne 


lyo 


HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 


pouvait  admettre  que  l'Allemagne  fut  frappée  d'une  sorte  de  «  péna- 
lité ».  Nous  avons  vu  qu'il  ne  contestait  pas  l'obligation  de  restaurer 
les  régions  dévastées,  mais  qu'il  entendait  le  terme  de  restauration  au 
sens  commercial.  Il  n'y  voyait  aucune  idée  d'expiation.  Tout  ce  qui 
eût  dépassé  les  sacrifices  qu'une  entreprise  s'impose  pour  reconstruire 
une  de  ses  fabriques  brûlées,  ou  pour  supporter,  solidairement  avec  un 
voisin  dont  elle  a  besoin,  les  conséquences  d'une  catastrophe,  lui  eût 
paru  irréalisable,  exagéré,  incompatible  avec  ses  intérêts  vitaux.  S'il 
est  vrai  que  devant  la  nécessité,  -—  si  dangereuse,  soit-slle,  —  un  chef 
d'industrie  de  son  envergure  sait  se  frayer  le  chem.in  du  salut,  il  est 
peu  probable  qu'il  consente  à  se  mettre,  de  son  gré,  et  pour  des 
raisons  morales,  dans  le  même  danger.  A  ses  yeux,  l'excédent  de 
charges,  que  ne  justifient  pas  des  conjonctures  purement  industrielles, 
est  intolérable,  et  l'accepter  est  une  folie.  Pour  y  consentir,  il  faut 
être  accessible  à  des  idées  d'une  autre  sorte  qui  —  ne  parlons  pas 
de  la  morale  internationale  —  relèvent  au  moins  de  la  politique.  Or 
pour  Stinnes  la  politique  ne  fut  jamais  qu'un  corps  étranger  dans  les 
tissus  de  la  vie  économique.  Il  voulait  l'ignorer  ou  l'éliminer.  S'il  est 
à  craindre  que  son  point  de  vue  soit  aussi  celui  de  l'Allemagne  en 
général,  —  lui  mort,  —  les  hommes  politiques  partisans  des  sacrifices 
nécessaires  n'auront  plus  à  compter  avec  l'obstination  et  les  ressour- 
ces de  son  génie. 

Maurice  Boucher. 


Otto  Bauer.  —  Die  oesterreichische  Révolution  (La  Révolution  autri- 
chienne). Vienne,  Verlag  der  Wiener  Volksbnchlandlung,  1923,  in-8, 
294  pages,  index  des  matières. 

M.  Otto  Bauer  a  été  un  des  auteurs,  un  des  dirigeants  de  la  Révo- 
lution autrichienne.  Il  s'en  fait,  aujourd'hui  qu'il  est  en  retrait  d'emploi, 
l'historien.  !1  présente  son  livre  non  com.me  un  récit  desintéressé  des 
événements,  mais  comme  une  œuvre  de  doctrine,  ce  dont  la  dédicace 
même  rend  témoignage  en  son  ampleur  et  sa  solennité.  Les  destinatai- 
res en  sont  légion  :  les  milliers  d'hommes  de  confiance  «  du  prolétariat 
autrichien  ;  les  camarades  socialistes  de  l'armée,  officiers,  sous-cffi- 
ciers  et  soldats  (on  dirait  un  ordre  du  jour  de  stratège)  ;  les  intellec- 
tuels, ingénieurs,  médecins,  professeurs,  jeunesse  estudiantine  (pour- 
quoi les  littérateurs  et  les  artistes  sont-ils  oubliés  ?) 

«  Mais  j'ose  encore  dédier  ce  livre  à  l'école  marxiste  du  monde  en 
tier,  car  à  elle  aussi,  j'ai  quelque  chose  à  dire.  2>  En  effet,  le  m^onde,  sui 
lequel  Marx  et  Engels  ont  enquêté  a  été  de  fond  en  comble  bouleversé 
par  la  guerre.  Cette  expérience  a  suscité,  pour  la  gouverne  du  «socialis- 
me scientifique  »,  des  problèmes  nouveaux,  dont  la  Révolution  autri- 
chienne est  une  espèce  et  une  illustration. 

Ces  problèmes,  M.  Otto  Bauer  les  avait  signalés  avant  la  lettre, 
dans  son  étude  si  suggestive  Die  Nationalitatensfrage  und  die  Sozial- 
demokratie  (La  question  des  nationalités  et  la  Sozialdémocratie), 
dont  une  seconde  édition  est  annoncée.  Etude  prophétique,  et  dont  l'é^ 
crivain  a  pu  mesurer  la  vérité  et  les  illusions. 


BIBLlOGRAPHiE  lyi 

La  doctrine  actuelle,  évoluée,  de  M.  Otto  Bauer  se  résume  en  cet  ar- 
gument :  l'Empire  d'Autriche  était  condamné  à  se  dissoudre  en  Etats 
indépendants  souverains  sur  la  base  de  la  nationalité  ;  l'Autriche  al- 
lemande formera  un  de  ces  Etats  mais  qui  ne  sera  complet  et  viable 
qu'en  se  rattachant  à  la  Grande  Allemagne.  En  quoi  M.  Otto  Baùer  se 
distingue  des  précurseurs  de  VAnschliiss  ou  du  Los  von  Oesterreich,Ms 
que  Shonerer,  c'est  qu'à  ses  yeux  l'idéal  pangermaniste  ne  se  réalisera 
que  par  la  révolution  sociale,  par  le  triomphe  du  prolétariat.  Ces  deux 
phénomènes  sont  solidaires.  «  L'idée  que  l'ère  de  la  Révolution  sociale 
entraînerait  forcément  la  dissolution  de  l'Autriche  en  Etats  libres,  en 
Etats  de  nationalités,  et  en  même  temps  l'union  de  l'Autriche  alleman- 
de avec  le  reste  de  l'Allemagne,  cette  idée  constituait  depuis  la  nais- 
sance du  socialisme,  un  élément  intégrant  de  sa  tradition  politique  » 
(p.  51-2),  tradition  que  M.  Otto  Bauer  rattache  avec  quelque  complai- 
sance au  mouvement  de  l'unité  allemande  de  1848. 

Les  faits  ont  apporté  à  ce  rêve  les  plus  mortifiantes  déceptions. 
M.  Otto  Bauer  ne  dissimule  pas  que  la  Révolution  autrichienne  a  mal 
tourné,  et  avec  objectivité,  sinon  avec  sérénité,  il  recherche  les  causes 
de  l'avortement. 

Dès  le  début  du  régime  républicain  qui  s'installe  en  novem.bre  1918,1e 
prolétariat  a  le  sentiment  de  son  impuissance  et  de  son  impopularité:  les 
excès  des  démobilisés  et  des  chômeurs  inspirent  l'horreur  du  bolchevis- 
me  non  seulement  aux  bourgeois  et  aux  paysans,  mais  aux  socialistes 
eux-mêmes,  qui  cherchent  le  salut  dans  une  entente  avec  les  autres 
partis,  dans  un  «  contrat  social  2>  (sic,  p.  96).  Toutefois,  les  socialistes 
appliquent  leur  programme  et  donnent  le  ton  :  Victor  Adler  prend  le 
portefeuille  des  affaires  étrangères  (qui,  à  sa  mort,  échut  à  Otto  Bauer) 
pour  représenter  et  affirmer  le  principe  du  droit  des  peuples  de  déter- 
miner leur  appartenance  et  le  camarade  Ham.isch  celui  de  l'organisation 
sociale  pour  investir  les  travailleurs  d'une  part  de  gestion  et  de  con- 
trôle de  l'industrie.  C'est  un  socialiste  encore,  julius  Deutsch,  qui  dis- 
cipline la  Volkswehr  (l'armée  populaire),  sauvegarde  contre  l'anarchie 
et  le  communisme,  assure  M.  Otto  Bauer,  —  assertion  trop  flatteuse 
pour  cette  milice  soi-disant  socialiste  envers  laquelle  Julius  Deutsch 
lui-même  professe  une  moindre  estime  {A.us  Oesterreischs  revolution- 
militaristiscfie  Erinnerungen  (Souvenirs  de  la  Révolution  militaro-poli- 
tique  en  Autriche).  Wien,  Volksbuckhandlung,  s.  d.,  148  pages). 

M.  Otto  Bauer  se  croit  donc  fondé  à  déclarer  que  le  prolétariat, 
après  avoir  imposé  la  République,  a  assumé  la  «  direction  spirituelle  2> 
de  la  nation  (p.  104)  ;  qu'en  se  refusant  à  toute  reprise  de  communau- 
té avec  les  Etats  successeurs  de  la  Monarchie,  il  s'est  assigné  comme 
but  la  réunion  avec  l'Empire  allemand.  Il  est  exact  que  la  bourgeoisie, 
les  chrétiens  sociaux,  les  grossdeutsche,  surpris  et  bousculés,  ont  passi- 
vement adhéré  à  la  forme  républicaine,  d'autant  plus  que  la  dynastie 
des  Habsbourg  était  discréditée,  et  que  les  Hohenzollern  s'étaient  laissé 
ignominieusement  éliminer. 

Mais  les  socialistes,  maîtres  de  l'heure,  offrirent  à  leurs  adversaires 
leur  revanche  :  les  réquisitions  et  perquisitions  de  la  Volkswehr  en  ville 
et  dans  les  campagnes,  les  provocations  d'un  prolétariat  agricole  frais 


lya  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

éclos,  avec  sa  revendication  du  contrat  collectif,  enlevèrent  aux  so- 
cialistes toute  chance  d'accaparer  le  gouvernement  (p.  128-9).  Les  com- 
munistes de  Vienne,  soudoyés  par  leurs  coreligionnaires  de  Hongrie, 
furent  dans  l'occurrence  les  meilleurs  auxiliaires  des  bourgeois.  Et  les 
socialistes  purs,  qu'on  accusait  de  pactiser  avec  le  bolchevisme,  gênè- 
rent, en  opposant  leur  Volkswehr  aux  émeutiers,  le  rôle  paradoxal  de 
sauveteurs  du  capital  et  de  la  propriété.  On  ne  leur  en  sut  pas  gré  ;  on 
attribua  la  gloire  du  résultat,  au  préfet  de  police  Schober,  «  légende 
absurde  5>,  affirme  M.  Otto  Bauer. 

De  cette  ingratitude  M.  Otto  Bauer  se  fût  consolé,  si  son  vœu  le  plus 
cher,  VAnschluss,  avait  pu  être  accompli  avant  les  négociations  de 
paix.  Ministre  des  affaires  étrangères,  il  pressait  les  hommes  d'Etat 
d'Allemagne,  par  la  voix  du  camarade  Ludo  Hartmann,  de  pronon- 
cer l'annexion  pour  placer  l'Entente  devant  la  manifestation  émou- 
vante de  deux  peuples  fraternisant  dans  le  malheur.  Mais  les  Alle- 
mands, prodigues  d'effusions,  avaient  de  bonnes  raisons  de  se  dérober: 
ils  craignaient  qu'en  s'agrandissant  de  l'Autriche,  l'Allemagne  ne  fût, 
par  représaille,  amputée  de  la  Rhénanie,  de  la  Silésie,  de  la  Prusse  Oc- 
cidentale ;  ils  redoutaient  aussi  une  aggravation  de  leurs  charges,  si 
les  engagements  secrets  qu'ils  avaient  pris  avec  l'Autriche,  très  favora- 
bles à  cette  dernière,  venaient  à  la  connaissance  de  l'Entente.  Sur  ces 
conventions  diplomatiques  jusqu'ici  insoupçonnées,  les  révélations  de 
M.  Otto  Bauer  sembleront  par  trop  discrètes  (p.   145).  Toutefois,  le 
Ministre  des  affaires  étrangères  ne  désespéra  pas  d'aboutir  :  il  comp- 
tait que  VAnschluss  serait  autorisé  par  les  Etats-Unis,  ainsi  qu'il  res- 
sort d'un  mémoire  du  secrétaire  d'Etat  Robert  Lansing  de  septembre 
1918,  —  par  l'Italie,  éventuellement  même  par  la  Grande-Bretagne 
(p.  145).  L'on  désirerait  ici  encore  des  données  plus  explicites.  On  voit 
que  M.  Otto  Bauer  a  été  de  la  Carrière. 

Mais  l'opposition  vint  des  Autrichiens  surtout,  chez  qui  se  réveillait 
l'animosité  contre  les  Tudesques  ;  la  fierté,  le  patriotisme  autrichien, 
aussi  bien  de  la  petite  bourgeoisie  que  du  patriciat  se  révoltèrent  contre 
cette  absorption  de  la  vieille  Autriche  dans  l'Empire  dofniné  par  les 
Prussiens  (p.  148),  sans  parler  de  l'antagonisme  des  intérêts  maté- 
riels. La  France  se  prévalut  de  cette  résistance.  D'ailleurs,  par  le  traité 
de  Versailles,  elle  imposa  formellement  à  l'Allemagne  l'interdiction  de 
s'incorporer  l'Autriche.  Le  Ministre  des  affaires  étrangères,  qui  se 
savait  personna  ingrata,  comprit  combien  sa  situation  était  fausse  et 
son  crédit  nul.  Il  démissionna. 

Il  resta  président  de  la  Commission  de  socialisation.  Il  rend  compte, 
en  un  chapitre  substantiel,  de  son  activité  socialisatrice.  On  institue 
des  conseils  d'exploitation  des  industries  à  la  russe,  avec  une  bureau- 
cratie très  compartimentée  ;  un  essai  de  ce  que  M.  Bauer  appelle  la  Ge- 
meinwirtschaft, consortium  de  l'Etat,  dont  les  apports  consistent  en  éta- 
blissements d'anciennes  industries  de  guerre,  avec  des  coopératives 
qui  fournissent  le  capital  et  la  main-d'œuvre  pour  la  transformation 
en  industries  de  paix,  —  communauté  féconde,  selon  M.  Bauer  (p.  177). 
pour  éduquer  un  personnel  capable  de  débusquer  un  jour  les  dirigeants 
capitalistes.  Quelques-unes  de  ces  entreprises  auraient  réussi  et  duré, 


BIBLIOGRAPHIE 


173 


—  loi  des  huit  heures,  grâce  à  laquelle  60.000  jardins  ouvriers  ont  pu 
être  créées  autour  de  Vienne  avec  des  logis  nouveaux  pour  une  coloni- 
sation suburbaine  ;  —  enfin,  réforme  de  l'enseignement,  définie  ainsi  : 
«  la  division  de  l'instruction  n'est  plus  déterminée  par  les  systèmes  des 
sciences,  mais  par  les  expériences  des  enfants  »  (p.  192).  Entendez 
sous  cette  pédantesque  formule  simplement  les  leçons  de  choses. 

Tous  ces  bienfaits  de  la  socialisation  n'eurent  pas  l'heur  d'être  goû- 
tés. La  contre-révolution,  au  cours  de  1920,  triompha  :  d'ailleurs,  le 
prolétariat,  gâté  par  le  bien-être  et  les  hauts  salaires,  avait  perdu 

—  M.  Bauer  en  fait  l'aveu  (p.  225)  —  l'esprit  révolutionnaire.  Les  pro- 
vinces, les  ruraux,  se  dégoûtaient  des  gouvernants  de  Vienne,  des  pro- 
fiteurs, jouisseurs,  mécréants  de  la  capitale.  Voici  qu'en  avril  1921,  le 
Tirol  et  Salzburg  décident  de  s'agréger  à  la  Bavière  par  un  plébis- 
cite en  règle,  qui  donna  aux  annexionistes  une  formidable  majorité,  ' 
prodrome  de  ï'Anschluss.  M.  Otto  Bauer  eût  dû  tressaillir  d'aise.  Mais 
cette  démonstration  l'attriste  :  car  elle  est  réactionnaire.  Heureusement 
la  France  a  conjuré  ce  péril  :  le  plébiscite  fut  déclaré  nul.  L'Autriche, 
outre  qu'elle  gardait  ces  pays  dissidents,  fut  accrue  des  districts  alle- 
mands des  Comitats  de  la  Hongrie  occidentale,  du  Burgenland.  M. 
Bauer  se  contente  de  cette  acquisition,  bien  que  les  congénères  du  Bur- 
genland soient  des  Magyars  fidèles  à  la  «  Hongrie  chrétienne  ».  — 
ce  qu'atteste  le  plébiscite  du  14  décembre  1922,  solatio  luctus  exigua 
ingentis.  L'Anschluss  «  n'est  plus  qu'un  idéal  national  »,  l'idéal  qui 
s'éloigne,  et  même  s'est  évanoui  :  le  dernier  coup  lui  a  été  porté  par  le 
protocole  de- Genève,  du  4  octobre  1922,  où  le  chancelier  Seipel,  très 
habilement  manœuvré  par  le  D'  Benès  (1),  a  accepté  que  l'Autri- 
che demeurât  confinée  dans  son  statut  et  ses  contours  actuels,  pro- 
tocole confirmé  par  le  traité  franco-tchéco-slovaque  du  25  janvier  1924 
(art.  3).  Pour  prix  de  cette  aliénation  de  son  indépendance,de  cette  mise 
sous  tutelle  de  sa  fortune,  l'Autriche  a  été  réconfortée,  choyée  par 
les  bonnes  fées  de  l'Entente.  M.  Otto  Bauer  a  peine  à  digérer  cette 
humiliation. 

Ce  qu'il  souhaite  pour  son  pays,  à  cette  heure,  c'est  qu'il  se  consti- 
tue et  se  développe  en  <k  République  populaire  »  (Volksrepublik).  Ce 
n'est  point,  comme  le  mot  semble  l'indiquer,  la  république  du  proléta- 
riat ;  celle-ci  est  impossible  en  cette  époque  de  fascisme,  û'orgesch, 
et  autres  dictatures.  La  Volksrepublik,  c'est  l'équilibre  des  choses,  avec 
un  gouvernement  de  coalition.  Un  pis-aller  jusqu'au  jour  où,  de  révolu- 
tions en  révolutions,  —  c'est  la  tentante  perspective  que  M.  Otto  Bauer 
fait  miroiter  devant  ses  compatriotes  (p.  91),  —  la  vie  nationale  de 
l'Autriche  se  parachèvera  dans  la  communauté  socialiste. 

Conclusion  de  style  d'un  doctrinaire  idéaliste  par  vocation  et  d'un 
politicien  désabusé.  Quelle  leçon  «  l'école  marxiste  du  monde  entier  », 
à  laquelle  M.  Otto  Bauer  avait  «  quelque  chose  à  dire  »,  tirera-t-elle 
de  cet  exposé  sincère  ?  Les  questions,  les  thèses  agitées  par  l'auteur 

(1)  La  Thécoslovaquie  s'est  prémunie  de  la  sorte,  sous  la  garantie  des 
Puissances  signataires,  contre  toute  scission  des  Allemands  de  Bohème,  soit 
vers  l'Autriche,  soit  vers  l'Allemagne. 

13 


174 


HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 


ne  sont  assurément  pas  périmées,  bien  que  jusqu'ici  démenties  par  les 
événements.  Les  historiens  qui  n'ont  pas  de  prétentions  au  «  socialis- 
me scientifique  »  ne  se  fatigueront  pas  à  les  discuter,  mais  ils  en  fe- 
ront état  pour  l'intelligence  des  statuts  de  l'Europe  Centrale  et  des 
idées  qui  continuent  à  travailler  les  groupes  ethniques  et  les  Etats  de 
l'ancienne  Monarchie  en  voie  de  s'aménager  dans  leurs  cadres  nou- 
veaux (1). 

B.   AUERBAGH. 

1914-1918.  —  Histoire  politique  de  la  Grande  Guerre,  publiée  sous 
la  direction  de  A.  Aulard,  avec  la  collaboration  de  E.  Bouvier 
et  de  A.  Ganem.  Paris,  Quillet,  in-4,  407  pages. 

Le  titre  de  cet  ouvrage  pourrait  donner  de  son  contenu  une  idée 
inexacte.  Ce  n'est  pas  seulement  la  vie  parlementaire  et  l'évolution 
de  l'opinion  publique,  ce  n'est  pas  seulement  la  politique  extérieure 
de  la  France  que  M.  Aulard  et  ses  collaborateurs  ont  voulu  présen- 
ter ;  ils  ont  pensé  qu'il  n'était  pas  possible  de  comprendre  les 
«  réactions  »  de  l'esprit  public  et  les  décisions  politiques  sans  étudier 
en  même  temps  les  opérations  militaires  ;  ils  ont  cru,  à  aussi  juste 
raison,  qu'il  ne  fallait  pas  négliger  les  «  variations  de  l'état  écono- 
mique ».  Aussi  le  volume  pourrait-il  s'intituler  la  France  et  la 
Guerre,  ou  —  comme  l'indique  la  préface,  —  Histoire  française  de 
la   Guerre   mondiale. 

A  vrai  dire,  d'ailleurs,  les  auteurs  ont  cherché  sans  cesse  à  fondre 
ces  éléments  d'une  façon  aussi  intime  que  la  réalité  les  avait  asso- 
ciés :  dans  le  développement  chronologique  de  leur  plan,  ce  sont  les 
faits  de  la  politique  intérieure  qu'ils  ont  mis  en  relief  dans  l'inti- 
tulé des  chapitres  :  «  La  période  de  l'union  sacrée...  »  «  L'ouverture 
de  la  session  1915  et  le  rôle  des  Commissions  parlementaires  »  : 
mais,  dans  chacun  de  ces  chapitres,  ce  sont  les  faits  d'ordre  mili- 
taire qui  dominent,  et  les  «  conséquences  politiques  »  sont  sou- 
vent réduites  à  de  courtes  indications  (2)  :  Le  lecteur  de  l'ouvrage 
trouvera  ainsi  d'excellents  récits,  solides  et  simples,  de  la  bataille 
de  Champagne,  de  la  défense  de  Verdun,  ou  de  l'offensive  d'avril  1917, 
avant  que  lui  en  soient  présentées,  plus  rapidement,  les  répercussions 
«  parlementaires  »  ou  «  morales  »  :  changements  ministériels,  Comités 
secrets,  menaces  de  «  défaitisme  ».  C'est  un  des  grands  mérites  de 
l'ouvrage  que  d'avoir  su  rendre  sensibles  ces  liens  intimes,  ces  réac- 
tions incessantes. 

Il  en  a  bien  d'autres  :  bien  qu'il  ait  été  allégé  de  tout  appareil 
d'érudition,  il  est  établi  sur  une  documentation  solide,  et  même  neuve 
parfois.  Il  suffit  de  lire  le  récit  de  la  bataille  de  la  Marne  (p.  88-101), 

(1)  En  tête  de  chaque  chapitre  figure  une  bibliographie,  qui  sera  utilement 
complétée  à  l'aide  du  Catalogue  Méthodique  du  Fonds  Allemand  de  la  Bi- 
bliothèque et  Musée  de  la  Guerre  (tome  III). 

(2)  C'est  ainsi  que,  sur  la  question  du  contrôle  aux  armées,  l'ouvrage 
signale  l'ordre  du  jour  voté  par  la  Chambre,  le  22  juin  1916,  mais  non  pas 
les  débats  très  importants  de  la  seconde  quinzaine  dé  juillet. 


BIBLIOGRAPHIE  I75 

ou  celui  de  la  retraite  allemande  en  1918  pour  voir  que  les  auteurs 
ont  eu  recours  aux  témoignages  étrangers,  même  lorsqu'ils  n'avaient 
à  décrire  que  le  point  de  vue  français,  parce  qu'il  leur  a  paru  que 
cette  confrontation  des  sources  était  indispensable.  Sur  certains 
événements,  le  départ  à  Bordeaux  par  exemple,  ils  ont  pu  recueillir 
des  témoignages  directs,  qui  éclairent  certains  détails.  Mais  au  delà 
du  document,  ils  ne  craignent  pas  de  porter  un  jugement  :  la 
forme  en  est  toujours  mesurée  et  calme.  Qu'il  s'agisse  du  procès 
Malvy  ou  du  procès  Caillaux,  des  faits  qui  ont  suscité  le  plus  de 
passion  politique,  le  récit  garde  sa  sérénité,  sans  omettre  pourtant 
d'écarter  des  légendes,  et  de  signaler,  en  passant,  certaines  fai- 
blesses. Les  appréciations  qui  touchent  à  un  homme  l'égratignent 
parfois,  mais  à  peine.  Cette  méthode  ignore  les  compromis  :  elle 
ne  craint  pas  d'aborder  avec  franchise  certains  sujets,  que  d'aucuns 
préfèrent  écarter  :  elle  ne  dissimule  pas  le  caractère  de  la  situation 
politique  à  la  fin  de  l'hiver  1915-1916.  «  Si  Verdun  était  tombé 
dans  les  dern-ers  jours  de  février,  nul  doute  qu'une  grave  crise 
politique  et  militaire  ne  se  fût  ouverte,  dont  l'issue  eût  pu  inîluer, 
heureusement  ou  non,  sur  le  résultat  final  de  la  guerre  »  ;  elle 
n'esquive  pas  le  récit  des  «  mutineries  2>  de  1917,  tout  en  s'élevant 
contre  la  thèse  du  «  complot  »  défaitiste  ;  elle  signale  la  diver- 
gence de  vues  e.itre  Foch  et  Pétain,  au  printemps  de  1918,  sans 
prétendre  y  porter  la  lumière,  mais  sans  éviter  aussi  de  donner  une 
forme  précise  (1)  à  telle  appréciation. 

Ecrite  sous  une  forme  agréable,  dans  un  style  aisé  et  précis, 
ferme  et  solide,  présentée  avec  un  choix  d'illustrations  excellentes 
et  pittoresques,  dont  pas  une  n'est  négligeable,  et  d'autographes  inté- 
ressants, —  l'Histoire  politique  de  la  Grande  Guerre  est,  en  même 
temps  qu'une  œuvre  critique  de  premier  ordre,  ce  «iue  les  auteurs  ont 
voulu  qu'elle  fût,  un  «  reflet  et  un  écho  ^de  la  vie  ». 

Pierre  Renouvin. 


Albert  Mousset.  —  L'Espagne  dans  la  politique  mondiale.  Paris, 
Bossard,  1923,  in-8,  348  pages. 

Notre  littérature  historique  française  est  pauvre  en  études  sérieuses 
sur  l'Espagne  de  la  fin  du  XLV  siècle  et  sur  l'Espagne  contemporaine  : 
beaucoup  d'impressions  de  voyage,  peu  de  livres  révélateurs  soit 
sur  l'Espagne  intérieure,  soit  sur  l'Espagne  extérieure. 

11  faut  donc  accueillir  avec  reconnaissance,  quelques  réserves  de 
détail  que  nous  devions  faire,  le  livre  récent  de  M.  Albert  Mousset. 
Ancien  élève  de  l'Ecole  des  Chartes,  M.  Mousset  a  été  initié  aux 
bonnes  méthodes  historiques.  Journaliste  de  talent,  il  s'est  spécia- 
lisé dans  l'étude  de  la  péninsule  ibérique,  et  dans  celle  des  questions 
balkaniques.  Hispanisant  distingué,  il  a  passé  quatre  années,  de  1915 

(1)  Ci.  p.  335.  —  ...»  le  jeu  secret  de  Foch,  pressurant  à  rextrême  l'ar- 
mée française  poui"  encourager  l'arruée  britannique...  » 


,^6  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

à  1919,  à  l'Ambassade  de  France  à  Madrid  ou  dans  les  services  qui 
en  dépendaient.  C'est  dire  que  la  partie  la  plus  intéressante  de  son 
livre  portera  sur  les  rapports  de  la  France  et  de  l'Espagne  pendant 
la  Grande  Guerre,  et  aussi  que  son  témoignage  est  particulière- 
ment précieux  par  la  connaissance  qu'il  témoigne  et  suppose  de  la 
presse  espagnole,  et  des  écrivains  politiques  d'outre-Pyrénées. 
11  s'appuie  autant  sur  des  conversations  et  des  impressions  que  sur 
des  articles  de  journaux  et  de   revues. 

La  situation  favorable  dans  laquelle  s'est  trouvée  M.  Mousset 
a  sa  rançon.  A  la  lecture  de  son  livre,  on  le  sent  autant  gêné  que 
favorisé  par  ses  relations.  On  pourrait  —  eu  égard  à  certains  chapitres 
—  donner  au  volume  comme  sous-titre  :  Ce  que  je  puis  dire.  Nous 
sommes  en  réalité  en  présence  d'un  reportage  historique,  extrême- 
ment intelligent  et  informé,  plus  que  d'un  livre  d'histoire.  C'est 
un  essai  documentaire  plus  qu'un  essai  critique  :  dans  bien  des 
cas,  il  faut  lire  entre  les  lignes,  deviner  ce  qu'insinue  M.  Mousset, 
ou  ce  qu'il  ne  veut  pas  dire. 

Le  problème  par  lui  choisi  est  très  bien  délimité.  Comment  l'Espagne, 
enfermée  en  elle-même  et  isolée  en  Europe  en  1874,  a-t-elle  été 
amenée  progressivement  à  participer  à  la  politique  européenne  et  même 
mondiale,  avec  des  fortunes  d'ailleurs  diverses  ?  La  première  partie, 
qui  porte  sur  les  années  1874-1900,  n'est  qu'une  Introduction  :  elle 
ne  sert  qu'à  jeter  «  une  clarté  indispensable  sur  l'attitude  de  l'Espa- 
gne, avant,  pendant,  et  depuis  la  guerre  ».  Voilà  en  effet  le  cœur 
du  sujet.  Et,  au  fond,  ce  dernier  n'est  que  l'aspect  particulier  d'une 
question  plus  générale,  et  qui  intéresse  plus  spécialement  cette  Revue, 
l'attitude  des  Etats  neutres  pendant  la  guerre,  les  raisons,  les  variétés 
de  cette  attitude. 

Donc,  il  s'agit  avant  tout  de  politique  extérieure,  exception  faite 
pour  un  seul  chapitre  fort  documenté  d'ailleurs  sur  l'économie  espa- 
gnole avant,  pendant  et  après  la  guerre.  Il  était  nécessaire  ;  mais 
on  peut  regretter  que  M.  Mousset  n'ait  point  condensé  en  quelques 
pages  concises  les  indications  essentielles  —  dont  quelques-unes 
figurent  éparses  en  son  livre,  entre  autres  deux  portraits  curieux 
de  Maura  et  de  Romanonès  —  sur  les  partis  politiques  espagnols, 
leur  constitution  et  leur  évolution.  L'opinion  publique  en  Espagne 
en  matière  de  politique  extérieure  apparaît  limitée  à  certains  milieux, 
ne  s'étend  pas  à  la  masse  du  peuple  :  elle  est  officieusement  rensei- 
gnée, n'a  point  de  volonté,  mais  de  brusques  réveils  impulsifs  et 
d'extraordinaires  variations.  Les  élections  ne  la  modifient  guère.  En- 
core serait-il  bon  de  rappeler  qu'elles  ne  constituent  qu'une  for- 
malité. Quant  au  journalisme  espagnol,  il  est  fort  brillant,  et  compte 
des  leaders  éminents.  Pourquoi  pendant  la  guerre  et  depuis  la 
guerre  fut-il  si  changeant  ?  C'est  ce  que  M.  Mousset  néglige  un  peu 
de  nous  dire,  nous  parlant  seulement  de  la  propagande  impudente 
et  imprudente  du  prince  de  Ratibor.  De  la  discrétion,  trop  de  dis- 
crétion pour  les  amateurs  d'histoire  vraie  ! 

Le  problème  pourtant  a  son  importance,  étant  donné  surtout  que 
l'essentiel  de  la  documentation  de  M.  Mousset  et  que  les  textes  par 


BIBLIOGRAPHIE  I77 

lui  invoqués  proviennent  du  journalisme  espagnol.  11  cite  peu  de  livres 
espagnols  —  sauf  dans  la  première  partie,  —  exception  faite  pour 
l'Histoire  d'Espagne,  d'Ortega  Rubio  ;  pourtant  Maura  et  Romanonès 
ont  écrit  des  livres,  d'autres  aussi.  Même  remarque  pour  la  documen- 
tation du  côté  français,  empruntée  surtout  au  Temps  et  aux  Débats  : 
et  cela  sans  doute  est  intéressant,  peut-être  incomplet  (1). 

Il  est  temps  d'arriver  à  l'examen,  trop  bref  d'ailleurs,  du  livre  de 
M.  Mousset.  Laissons  de  côté  —  provisoirement  —  l'introduction, 
qui  tient  lieu  aussi  de  conclusion,  puisque  le  volume  se  termine 
brusquement  sur  une  statistique  des  exportations  espagnoles  aux 
Etats-Unis. 

En  1874,  Alphonse  XII  fait  son  entrée  à  Madrid.  Suit  l'exposé  de 
la  politique  internationale  espagnole  jusqu'en  1882.  Le  dogme  de 
l'isolement  prévaut.  Vient  ensuite  le  récit  fort  impartial  du  malen- 
contreux voyage  en  Allemagne  et  à  Paris  en  1883.  Le  conserva- 
tisme espagnol  —  et  ceci,  bien  qu'exact,  n'est  pas  tout  à  fait  d'accord 
avec  certaines  affirmations  de  l'introduction  —  contribue  à  isoler 
en  Europe  la  nation  ibérique.  Castelar  le  prétendait  et  n'avait  point 
tort. 

L'exposé  de  M.  Mousset  étant  chronologique  se  poursuit  par  l'analyse 
de  la  situation  de  l'Espagne  en  Orient  et  en  Extrême-Orient,  de  son 
conflit  avec  l'Allemagne  dans  la  question  des  Iles  Carolines  (1885). 

Très  original  est  le  chapitre  sur  l'Espagne  aux  côtés  de  la  Triple 
Alliance  (1887-1893),  malgré  la  pauvreté  et  l'insuffisance  de  nos 
renseignements  actuels.  L'Italie  paraît  avoir  servi  de  trait  d'union  : 
un  accord  dut  se  produire  vers  1888.  «  Aussi  n'est-il  pas  surprenant 
que  de  1888  à  1892  un  malaise  mystérieux  ait,  sans  cause  appa- 
rente, jeté  son  ombre  sur  les  relations  franco-espagnoles.  »  Le  dan- 
ger disparut  en  1894,  lorsque  le  traité  de  commerce  hispano-alle- 
mand fut  repoussé  par  le  Sénat  espagnol. 

Sur  la  guerre  hispano-américaine  rien  de  neuf  :  en  revanche,  d'utiles 
précisions  sur  l'Espagne  dans  l'Afrique  occidentale  et  équatoriale 
en  1900.  Après  1902  se  produit  une  «  rectification  de  la  politique 
espagnole  ».  Avec  la  majorité  d'Alphonse  XllI  coïncide  «  l'éveil  de 
la  conscience  internationale  de  l'Espagne  ».  Au  jeune  roi,  dans  les 
années  qui  suivirent,  M.  Mousset  attribue  d'ailleurs  une  influence 
essentielle  et  bienfaisante  sur  la  politique  espagnole.  Il  passera 
au  surplus  rapidement  sur  certains  incidents  intérieurs  et  extérieurs 
à  la  fois,  comme  la  crise  du  «  ferreisme  »,  et  insistera  avec  jus- 
tice sur  l'action  du  roi  en  Espagne  pendant  la  grande  guerre  en 
faveur   des    prisonniers   français    en    Allemagne. 

Le  rapprochement  franco-espagnol  de  1904  se  produit  en  même 
temps  que  l'accord  relatif  au  Maroc,  grave  problème  qui  implique 
nécessairement  la  solidarité  des  deux  pays,  leur  tâche  étant  analogue, 

(1)  M.  Mousset  cependant  était  admirablement  placé  pour  nous  renseigner. 
Il  a  publié  à  Madrid  en  1918  des  Eléments  d'une  bibliographie  délivres  pu- 
bliés en  Espagne  de  i9U  à  191S  et  relatifs  à  ta  Guerre  Mondiale.  Il  connaît 
mieux  que  personne  le  livre  d'Arouin,  les  articles  du  P.  Lebaude  dans  le 
Correspondant ei  ceux  du  Bulletin  hispanique. 


178 


HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 


sinon  toujours  paralièlement  et  également  poursuivie.  De  1905  à 
1906,  l'Allemagne  cherchera  à  regagner  en  Espagne  les  positions 
perdues.  A  Algésiras,  l'Espagne  demeurera  fidèle  aux  accords  sous- 
crits. Le  mariage  anglais  et  l'entrevue  de  Carthagène  en  1907  entre 
Alphonse  XîII  et  Edouard  VU  affermirent  encore  ces  positions. 

La  période  de  1908  à  1912  fut  plus  difficile  pour  les  rapports 
franco-espagnols,  parce  qu'elle  correspond  à  l'ère  des  réalisations 
au  Maroc,  et  aussi  à  celle  des  impatiences.  L'opinion  était  insuffi- 
samment renseignée  :  la  tâche  des  ambassadeurs  français  —  qui 
furent  tous  éminents  —  particulièrement  difficile.  Le  parti  militaire, 
avec  le  lieutenant-colonel  Silvestre,  multiplia  les  excès  de  langage. 
La  conclusion  de  l'accord  définitif  de  1912,  revisant  ceux  de  1904 
et  de  1905,  fut  difficile.  Enfin  s'établit  la  politique  de  loyale  colla- 
boration, succédant  définitivement  à  la  politique  traditionnelle  d'iso- 
lement. 

Vinrent  enfin  la  guerre  et  la  neutralité  espagnole,  conditionnée  par 
d'impérieuses  raisons.  Mais  les  formes  de  cette  neutralité  furent  va- 
riées. Romanonès  sut  résister  aux  campagnes  germanophiles.  «  Il 
fut  alors  un  créateur  de  la  conscience  nationale  »,  mais  dut  dé- 
missionner en  1917.  Les  Alliés  désiraient-ils  davantage  que  la  bien- 
veillance morale  et  économique  de  l'Espagne  ?  M.  Mousset  le  croit 
volontiers.  «  Je  suis  en  mesure  d'ajouter,  déclare-t-il,  qiie  si  l'am- 
bassadeur américain  n'a  pas  demandé  l'intervention  espagnole,  il  l'a 
tout  au  moins  prédite  en  avril  1918  au  cours  d'un  entretien  avec 
la  plus  haute  personnalité  du  Royaume.  :>  Il  y  aurait  eu  là  une 
action  presque  analogue  à  celle  des  Etats-Unis  en  Chine,  mais 
à  laquelle  la  France  et  l'Angleterre  seraient  demeurées  étrangères, 
et  dont  le  caractère  était  d'ailleurs  parfaitement  chimériqce. 

A  Romanonès  succédèrent  Garcia  Prieto,  plus  favorable  aux  pré- 
tentions germaniques,  puis  le  nationaliste  Dato,  puis  d'autres,  les 
cabinets  se  remplaçant  avec  une  extrême  rapidité,  ce  qui  constitue 
le  «  rotativism.e  >  espagnol.  Mais  des  accords  économiques  furent 
signés  en  1918  avec  l'Angleterre,  les  Etats-Unis,  la  France.  «  La  neu- 
tralité n'affectait  pas  les  rapports  d'ordre  économique  ou  commer- 
cial. » 

Quelques  mois  avant  l'armistice  survint  le  cabinet  7\îaura,  et  sa 
déclaration  théâtrale  pour  la  revendication  de  Tanger  et  de  Gibraltar. 
L'Espagne  ne  devait  pas  participer  aux  négociations  de  paix,  malgré 
les  efforts  de  Romanonès  redevenu  président  du  Conseil...  «  La  paix 
trouvait  en  Espagne  l'esprit  public  aussi  divisé,  aussi  incapable 
d'un  effort  soutenu  qu'au  cours  de  la  période  des  hostilités.  »  Une 
seule  force  devenait  inébranlable,  à  en  croire  M.  Mousset,  la  couronne. 
Depuis,  le  représentant  espagnol  a  joué  à  la  Société  des  Nations 
un  rôle  important  et  dont  la  France  n'a  eu  qu'à  se  louer. 

Telle  est  brièvement  résumée,  d'après  M.  Mousset,  l'histoire  de 
«  l'abstentionnisme  »  hispanique.  Les  détails  intéressants  abondent. 
Notons  au  passage  le  juste  hommage  rendu  à  l'action  indépendante 
te  pleine  de  tact  de  l'Institut  de  Madrid,  et  de  son  directeur,  le 
regretté   Ernest  Mérimée.   Quel   dommage  que  M.  Mousset  ne  nous 


BIBLIOGRAPHIE  I79 

ait  pas  renseigné  par  contre  sur  les  erreurs  de  certaine  propagande 
pseudo-officielle,  et  ne  nous  ait  pas  raconté,  par  exemple,  les  avatars 
du  voyage  d'Eugénie  Buffet  en  Espagne  !  Mais  c'est  un  chroniqueur 
discret  ! 

Fort  instructive  est  la  dernière  partie  du  livre,  relative  à  la  ques- 
tion marocaine  après  1918,  aux  négociations  entre  France,  Angle- 
terre et  d'Espagne  relativement  au  régime  de  Tanger,  le  tout  se  pro- 
longeant jusqu'à  la  veille  du  pronunciaraento  de  Primo  de  Rivera. 
«  A  l'étranger,  écrit  M.  Mousset,  avec  une  ironie  qui  dépasse  les 
événements  contemporains,  et  englobe  tout  le  passé,  on  parla  de  la 
francophilie  du  général  Primo  de  Rivera,  comme  si  à  la  veille  de 
prendre  le  pouvoir,  tous  les  hommes  d'Etat  ou  candidats  hommes 
d'Etat  espagnols  ne  s'étaient  pas  déclarés  francophiles.  »  On  ne  sau- 
rait mieux  dire. 

Revenons  en  concluant  sur  l'introduction  qui  comprend  d'intéres- 
santes vues  générales,  avec  quelques  affirmations  contestables  ou 
qui  sentent  d'une  lieue  le  journalisme  politique.  Il  est  discutable  que 
la  France  ait  pris  «  à  la  droite  de  la  civilisation  européenne  la 
place  qu'occupait  naguère  l'Angleterre  »,  que  toute  trace  de  fana- 
tisme et  d'intolérance  ait  disparu  en  Espagne,  voire  même  que  tous 
les  accords  passés  avec  la  France  aient  été  l'œuvre  de  cabinets 
conservateurs  :  les  conservateurs  n'ont  fait  souvent  qu'achever  le 
travail  des  libéraux  ;  en  politique  extérieure,  une  relative  continuité 
est  obligatoire. 

En  revanche,  une  excellente  critique  de  ce  que  M.  Mousset  appelle 
«  la  partition  défraîchie  des  affinités  latines  2>.  Mais  M.  Mousset 
pense-t-il  que  sa  psychologie  de  l'honneur  considéré  comme  carac- 
téristique de  l'Espagne  soit  moins  «  défraîchie  »  ?  Elle  a  pu  être 
exacte  :  actuellement  peut-être  d'autres  éléments  sont-ils  plus  essen- 
tiels ? 

Enfin  du  point  de  vue  français,  pour  nos  rapports  avec  l'Espagne, 
de  très  justes  remarques  sur  «  le  dommage  qui  résulte  trop  sou- 
vent de  l'intransigeance  de  certains  de  nos  groupements  écono- 
miques dans  la  question  douanière.  L'exemple  n'est  point  unique  : 
des  mesures  protectionnistes  récentes  ont  terriblement  compromis  l'in- 
dustrie du  livre  et  l'avenir  de  la  pensée  française  en  Portugal. 
C'est  là   du    matérialisme    économique   à   courte   vue. 

Dans  l'ensemble,  un  livre  important,  nouveau,  original,  et  dont 
ncs  réserves  n'ont  comme  objectif  que  de  montrer  la  portée,  sans 
en  diminuer  la  valeur  suggestive  et  documentaire  . 

Camille-Georges  Picavet. 


Jacques  Ancel.  —  Manuel  historique  de  ta  Question  d'Orient 
(1792-  1923).  Paris,  Delagrave,  1923,  in-8,  335  p.,  avec  une  carte 
hors  texte. 

Ce    n'est   pas   seulement   l'aspect    «    européen    »    de    la    question 
d'Orient  que  M.  Ancel   a  voulu  résumer  :   La   rivalité   des  grandes 


l8o  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

puissances  occupe,  bien  entendu,  dans  l'ouvrage,  une  large  place  ; 
mais  non  pas  la  plus  importante,  aux  yeux  de  l'auteur.  «  La  ques- 
tion d'Orient,  dit-il,  est  en  premier  lieu  l'histoire  de  la  formation 
des  Etats  balkaniques.  »  L'éveil  des  nationalités,  l'effort  vers  l'in- 
dépendance, —  voilà  la  source  de  chacune  des  grandes  crises 
balkaniques  au  XX*  siècle,  qui  permettront  aux  grandes  puissances 
d'intervenir  dans  le  sens  de  leurs  ambitions  propres. 

Or  ce  mouvement  des  groupes  nationaux  a  commencé  au  début 
du  xix^  siècle,  «  à  l'époque  où  les  idées  révolutionnaires  commen- 
cent à  pénétrer  dans  les  littératures  balkaniques  ».  C'est  pour  cela 
que  M.  Ancel  a  choisi  comme  point  de  départ  de  son  étude  l'année 
1792,  date  «  critique  »,  qui  est  celle  où  commence  l'essor  de  la 
pensée  française,  et  qui  marque  aussi  une  étape  de  la  politique 
orientale  des  Tsars  (paix  de  lassi). 

L'évolution  s'achève  en  1923.  La  crise  grecque,  la  crise  serbe, 
la  question  roumaine  et  la  question  bulgare  ont  agité  les  Balkans 
et  l'Europe  jusqu'au  Congrès  de  Berlin  ;  la  crise  «  macédonienne  » 
a  mis  aux  prises  les  Etats  balkaniques  ;  la  grande  guerre  les  a 
rangés  dans  les  camps  ennemis  (1).  Aujourd'hui,  l'Empire  ottoman 
a  disparu.  A  côté  des  Etats  «  chrétiens  »,  l'Etat  national  turc 
s'est  fondé  :  «  A  l'heure  actuelle,  il  n'y  a  plus  place  pour  la  for- 
mation de  nouveaux  pays.  »  Mais  ces  nations  jeunes  deviennent 
maintenant  des  obstacles  pour  la  politique  des  grandes  puissances. 
Le  traité  de  Lausanne  en  est  la  preuve  la  plus  récente. 

Dans  le  cadre  de  cette  construction  d'ensemble,  solide  et  simple, 
M.  Ancel  a  su  ordonner  avec  autant  de  force  que  de  clarté  les 
détails  de  son  récit.  Le  style  serré,  rapide,  répond  à  la  fermeté 
^ie  la  pensée.  La  forme  est  alerte,  ne  s'attarde  pas  aux  transitions 
inutiles,  va  droit  au  but.  Les  citations,  courtes,  viennent  en  plein 
relief.  Peut-être,  surtout  dans  les  premiers  chapitres  de  l'ouvrage, 
l'abondance  des  termes  turcs,  grecs  ou  slaves,  fatigue-t-elle  un  peu 
le  lecteur.  Mais  il  se  repose  aussitôt  en  lisant  les  pages  excellentes, 
où  M.  Ancel  décrit  les  traits  des  civilisations  balkaniques,  et  les 
conditions  géographiques  des  mouvements  nationaux,  avec  autant 
de   finesse    d'observation   que   de   délicatesse. 

PlEKRE   RENOUVIN. 

Feldmarschall  Conrad.  —  Aus  meiner  Dienstzeit,  1906-1 9 18. Tome  IV. 
Vienne  —  Leipzig  —  Munich,  1923,  Rikola  Verlag,  in-8,  956  pages. 
[Ce  volume  est  accompagné  d'une  pochette  contenant  un  certain  " 
nombre  de  documents  à  l'appui  et  neuf  cartes.] 

Ce  quatrième  volume  de  Conrad  von  Hotzendorf  contient  le  récit 
des  événements  politiques  et  militaires,  survenus  du  24  juin  1914  au 
30  septembre  de  la  même  année  (fin  de  la  première  offensive  contre  la 

(1)  A  l'usage  des  lecteurs  de  cette  revue,  je  signale  que  le  chapitre  r«  Orient 
et  la  guerre  européenne  »  occupe  dans  ce  manuel  iprès  _de  cinquante  pages 
qui  donnent  un  résumé  précis  et  suggestif. 


BIBLIOGRAPHIE  l8l 

Serbie  et  la  Russie  et  commencement  de  la  deuxième).  Il  est  composé 
suivant  la  même  méthode  que  les  trois  volumes  précédents,  c'est-à-dire 
que  l'auteur  reproduit  in  extenso  les  lettres  qu'il  a  reçues  ou  écrites, 
les  télégrammes  échangés,  les  notes  de  service  qu'il  a  rédigées  pen- 
dant les  deux  premiers  mois  de  la  guerre.  Beaucoup  de  ces  pièces 
étant  inédites,  on  voit  sans  peine  de  quel  intérêt  est  la  publication 
pour  l'historien.  Nous  ne  pouvons  ici  entrer  dans  un  examen  détaillé 
de  toutes  ces  richesses  ;  nous  nous  bornerons  donc  à  signaler  quel- 
ques passages. 

1°  Le  récit  (dont  la  presse  française  a  déjà  parlé)  de  l'entretien 
qu'eut  Conrad  à  Schœnbrunn  le  5  juillet  avec  l'empereur  François- 
Joseph  (p.  36  à  38).  Conrad  considère  la  guerre  avec  la  Serbie  comme 
inévitable.  François-Joseph  hésite  encore,  parce  qu'il  craint  qu'en  cas 
d'intervention  armée  de  la  Russie,  l'Autriche-Hongrie  n'ait  pas  l'appui 
de  l'Allemagne. 

2°  Le  tableau  résumé  que  trace  l'auteur  des  événements  politiques, 
depuis  la  déclaration  de  guerre  à  la  Serbie  jusqu'au  départ  du  haut 
commandement  austro-hongrois  pour  le  théâtre  des  opérations,  et  le 
commentaire  dont  est  accompagné  ce  tableau  (p.  125  à  130).  Conrad 
déclare  que  l'Autriche-Hongrie  et  l'Allemagne  ont  fait  une  guerre 
défensive,  une  guerre  qui  leur  a  été  imposée  par  leurs  adversaires  ;  il 
regrette  d'autre  part  que  cette  guerre  défensive  n'ait  pas  été  décidée 
plus  tôt  ;  il  accuse  son  propre  pays  et  l'Allemagne  d'irrésolution,  de 
méconnaissance  du  danger. 

3°  L'examen  détaillé  des  articles  publiés  par  le  général  Danilof  dans 
la  Revue  militaire  française  sur  les  premières  opérations  de  l'armée 
russe  en  1914  (p.  713  à  721).  Conrad  s'appuie  sur  le  témoignage  de 
l'ennemi  pour  réfute*;  certaines  accusations  portées  par  les  Allemands 
corrtre  l'armée  austro-hongroise. 

4°  La  lettre  adressée  à  Conrad  par  Sturgkh,  représentant  au  Grand 
Quartier  Général  allemand  de  l'armée  austro-hongroise,  sur  la  ba- 
taille de  la  Marne  (p.  743  à  748).  On  remarquera  un  peu  plus  loin 
(p.  751)  les  lignes  suivantes  :  «  Les  nouvelles  données  par  Sturgkh 
sur  la  situation  en  France  me  remplirent  de  souci.  Cependant  j'espé- 
rais encore,  d'après  l'exposé  de  Sturgkh,  que,  par  un  nouveau  rétablis- 
sement, on  pourrait  s'en  tenir  au  plan  établi  au  début  des  opérations 
et  que  l'exécution  en  serait  seulement  retardée.  On  me  disait  que  la 
situation  en  France  n'était  nullement  sombre. 

«  C'est  plus  tard  seulement  que  j'appris  qu'à  la  date  du  10  septem- 
bre, la  situation  était  sombre.  On  m'a  tenu  dans  l'ignorance.  » 

Charles  Appuhn. 


G.  Rawlinson.  —  The  Defence  of  London,  1915-1918.  (La  défense 
de  Londres.)  Londres,  A.  Melrose,  1923,  in-8,  267  pages. 

Ancien  officier,  ayant  repris  son  service  pendant  la  guerre,  Rawlin- 
son, en  qualité  de  capitaine  de  frégate,  puis  de  major  et  de  lieute- 
nant-colonel, a  pris  une  part  active  à  la  défense  de  Londres  contre  les 


l82  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

avions  et  les  zeppelins  allemands.  Bien  qu'en  somme  les  pertes  «n 
vies  humaines  et  en  dégâts  matériels  ne  soient  pas  en  rapport  avec 
les  moyens  mis  en  œuvre  par  l'ennemi  et  l'acharnement  des  pirates 
aériens,  puisque  les  chiffres  donnés  par  Rav/linson  se  limitent  à  600 
morts,  1.200  blessés  et  2  millions  de  livres  sterling,  on  ne  saurait  dire 
que  les  mesures  défensives  adoptées  fuient  très  efficaces.  C'est  à  un 
par  hasard  que  la  capitale  dut  d'échapper  a  un  vrai  désastre  le  jour  où 
les  zeppelins  exécutèrent  leur  dernier  raid,  qui  se  termina  par  la  perte 
de  tous  les  engins  qui  y  avaient  pris  part.  Les  canons,  dont  les  meil- 
leurs étaient  les  75  français,  ne  semblent  guère  avoir  eu  d'autre  effet 
que  celui  d'effrayer  les  aviateurs  par  leurs  tirs  de  barrage.  Aussi 
Rawlinson  prône-t-il  pour  l'avenir  l'unité  de  direction  dans  la  défense 
antiaérienne  de  Londres,  et  surtout  la  constitution  de  fortes  escadrilles 
de  combat  maintenues  toujours  prêtes.  Malgré  la  tendance  de  l'auteur 
à  s'attribuer  toujours  un  très  beau  rôle  dans  toutes  les  mesures  prises, 
son  ouvrage  contient  quelques  renseignements  qui  ne  sont  pas  sans 
valeur. 

E.  Desbrières. 


Philipp  Scheidemann.   —  L'effondrement.   Traduction    française   de 
MM.  LOUSSERT  et  Halff.  Paris,  Fayot,  1923,  in-8,  279  pages. 

Cette  édition  française  du  livre  de  Scheidemann  Der  Zasammen- 
bruch  ne  peut  qu'être  bien  accueillie  par  quiconque  s'intéresse  à  l'his- 
toire de  la  guerre.  Scheidemann,  l'im  des  chefs  du  parti  socialiste 
majoritaire,  ministre  d'Etat  dans  le  gouvernement  constitué  sous  la 
présidence  du  prince  Ma.x  de  Bade  quelques  semaines  avant  la  chute 
du  régime  impérial,  chef  lui-même  du  gouvernement  allemand  du  13 
février  au  21  juin  1919,  est  certainement  l'un  des  hommes  qui  ont 
pris  la  part  la  plus  directe  aux  grands  événements  des  années  1914  à 
1919.  On  ne  trouvera  point  dans  son  livre  des  considérations  philo- 
sophiques sur  les  causes  de  l'effondrement  ;  il  se  borne  le  plus  sou- 
vent à  raconter  ses  souvenirs  personnels,  ou,  simplement  reproduit  les 
notes  prises  par  lui,  à  la  suite  de  ses  entretiens  avec  quelques  per- 
sonnages marquants  en  des  réunions  auxquelles  il  a  assisté.  Préci- 
sément pour  cette  raison,  il  nous  donne  beaucoup  de  renseignements 
fort  précieux,  et  nous  ajouterons  que  son  témoignage  nous  paraît  en 
général  digne  de  foi.  Nous  signalerons  en  particulier  le  chapitre  II  : 
attitude  prise  par  le  parti  socialiste  allemand  tout  au  début  de  la 
guerre,  vote  des  crédits  demandés  au  Reichstag,  —  le  chapitre  IV  : 
lutte  pour  la  résolution  de  paix  du  19  juillet  ;  —  le  chapitre  VÎI  :  la 
réponse  au  pape  ;  —  le  chapitre  Vllî  :  la  conférence  de  Stockholm  ; 
—  enfin  toute  la  dernière  partie  du  livre. 

On  remarquera  que  si,  dans  le  chapitre  II,  et  ailleurs  encore, 
Scheidemann  parle  de  Kaase  et  de  Ledebour  avec  une  malveillance 
toute  naturelle,  il  ne  s'explique  nulle  part  sur  les  dissensions  qui  ont 
éclaté,  au  cours  de  la  guerre,  dans  le  parti  socialiste,  et  qui,  comme 
on  le  sait,  ont  abouti  à  une  scission.  Cette  omission  est  bien  regret- 
table. 


BIBLIOGRAPHIE  183 

On  peut  regretter  aussi  que  le  plan  suivi  par  l'auteur  l'amène  à 
réunir  dans  un  même  chapitre  des  souvenirs  relatifs  à  des  événements 
assez  éloignés  l'un  de  l'autre  dans  le  temps,  et  que  ce  plan  lui-même 
tienne  si  peu  compte  de  l'ordre  chronologique.  C'est  ainsi  que  le  récit 
de  la  conférence  de  Stockholm,  qui  est  du  mois  de  juin  1917,  vient 
après  le  chapitre  relatif  à  la  résolution  de  paix  qui  est  du  mois  de 
juillet,  et  même  après  le  chapitre  qui  traite  de  la  réponse  au  pape  qui 
est  du  mois  de  septembre.  C'est  ainsi  encore  que  Scheidemann  rap- 
porte (page  165  de  la  traduction)  un  propos  tenu  par  lui  au  ministre 
suédois  Lindmann,  où  il  est  fait  allusion  à  un  discours  pronc-ncé  au 
Kelchstag  en  mai  :  «  La  révolution  en  AH'emagne  n'était  possible,  selon 
moi,  que  dans  les  conditions  que  j'avais  exposées  au  mois  de  mai  de 
la  même  année.  »  Mais,  pour  savoir  ce  qu'il  avait  dit  au  Reichstag,  il 
faut  aller  jusqu'à  la  page  179.  Encore  le  discours  prononcé  par  Schei- 
demann le  15  mai  1917  ne  se  comprend-il  bien  que  si  l'on  tient  compte 
d'une  résolution  du  Comité  directeur  de  son  parti  qui  est  reproduite, 
elte,  à  la  page  136.  Ce  défaut  de  composition  ne  laisse  pas  d'être 
assez  gênant  pour  le  lecteur.  Ajoutons  qu'exacte  et  fidèle  en  général, 
la  traduction  n'est  pas  toujours  d'une  clarté  parfaite.  Nous  notons, 
par  exemple,  à  la  page  20  la  phrase  suivante  :  «  Je  fis  remarquer 
que  nous  pourrions  nous  entendre  avec  Kaempf  au  sujet  du  texte, 
auquel  nous  attachions  une  importance  particulière  (sous  réserve  de 
la  décision  du  groupe  parlementaire).  »  Il  s'agit,  nous  le  savons,  du 
texte  de  l'allocution  que  Kaempf,  président  du  Reichstag,  devait  pro- 
noncer, le  4  août,  après  la  déclaration  du  chancelier  ;  mais  à  lire  seu- 
lement la  traduction  française,  on  s'explique  mal  le  sens  de  la  paren- 
thèse. En  réalité,  comme  le  p'arti  socialiste  n'avait  pas  encore  pris  de 
décision  officielle  relative  au  vote  des  crédits,  bien  qu'il  y  fût,  en  très 
grosse  majorité,  favorable,  Scheidemann  voulait  éviter  de  s'engager 
envers  Kaempf,  et  cependant  désirait  connaître  d'avance  le  langage 
que  tiendrait  le  président. 

Charles  Appuhn. 


LES  REVUES  DU  TRIMESTRE  (1) 

Les  origines  de  te  guerre. 

BOGITSCHEWITSCH  (M.).  —  Bemerkungen  zum  Saloniki-Prozess 
1917.  —  Kriegsschuldfrage,  avril  1924,  pp.   112-113. 

DoBROROLSKi  (Sergei).  —  Noch  einiges  von  der  russischen  Mobil- 
machung  im  Jahre  1914.  —  Kriegsschuldfrage,  avril  1924,  pp.  78-89. 

(1)  Périodiques  qui,  sans  figurer  sur  la  liste  des  dépouillements  réguliers 
sont  représentés  dans  ce  numéro  par  un  ou  plusieurs  arlicles  : 

Afrique  française, Alsace  française.  Clarté,  Correspondance  d'Orient,  Carrent 
Ilistory,  Documents  du  Travail,  Flambeau,  Nineteenth  Century,  Nouvelle 
Revue,  Paix  par  le  droit,  Parlement  et  Opinion,  Revue  de  Genève,  Revue  heb- 
'iomadaire,  Revue  du  Rhin  et  de  la  Moselle,  Weltbûkne,  Wissen  und  Lebfn. 


184  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

**-.  —  Ein  Norweger  -zur  Kriegsschuldfrage.  —  Kriegsschuldfrage, 
mars  1924,  pp.  41-42. 

FRANTZ  (G.)-  —  Die  Kriegsvorbereitungsperiode  in  Russland.  — 
Kriegsschuldfrage,  avril  1924,  pp.  89-98. 

Karo  (Georg).  —  Asquith,  Grey  und  Campbell-Bannermann.  — 
Kriegsschuldfrage,  mars  1924,  pp.  47-49. 

Karo  (Georg).  —  Englands  Staatsmanner  zur  Kriegsschuldfrage. 
—  Sûdd.  Monatsh.,  mars  1924,  pp.  249-261. 

KUHL  (v.).  —  Der  Telegrammwechsel  zwischen  Moltke  und  Conrad 
von  Hotzendorf  am  30.  und  31.  juli  1914.  —  Kriegsschuldfrage,  mars 
1924,  pp.  43-47. 

Mandl  (Leopold).  —  Zur  Warnung  Serbiens  an  Œsterreich.  — 
Kriegsschuldfrage,  avril  1924,  pp.  108-11. 

MONTGELAS  (Max).  —  Die  Thesen  des  franzosischen  Historikers 
Renouvin.  —  Kriegsschuldfrage,  mars  1924,  pp.  55-61. 

MORHARDT  (Mathias).  —  Les  Preuves.  Le  Crime  de  Droit  commun. 
Le  Crime  diplomatique.  —  Kriegsschuldfrage,  avril  1924,  pp.  99-108. 

Wahl  (Adalbert).  —  Die  englische  historische  Wissenschaft  zur 
Kriegsschuldfrage.  —  Kriegsschuldfrage ,  mars  1924,  pp.  50-55. 


Les  questions  militaires  :  Généraltés. 

***.  —  Der  Dolchstoss.  —  Sûdd.  Monatsh.,  avril  1924. 

***.  —  Die  Auswirkung  des  Dolchstosses.  —  Sûdd.  Monatsh.,  mai 
1924. 

Fleurier  (Jean).  —  Une  légende.  La  faillite  de  la  fortification  per- 
manente pendant  la  grande  guerre.  • —  Rev.  milit.  suisse,  mars  et 
mai  1924,  pp.  120-131,  203-230. 

Grouard  (Colonel).  —  Le  Haut  Commandement  et  l'Etat-major.  — 
Rev.  milit.  suisse,  mars,  avril  et  mai  1924,  pp.  97-107,  145-153,  193-202. 

Liber.  —  Le  général  Mangin.  —  Corresp.,  10  mars  1924,  pp.  787-807. 

Madelin  (Louis).  —  Le  Général  Nivelle.  —  Rev.  des  Deux  Mondes, 
15  avril  1924,  pp.  822-835. 

Maître  (Général).  —  Evolution  des  idées  sur  l'emploi  de  l'artillerie 
pendant  la  guerre.  —  Rev.  milit.  française,  l"  mars  1924,  pp  337-354. 

Marcel-Eugène.  —  Plutarque  a-t-il  menti  ?  La  fin  de  la  guerre 
par  l'esprit  révolutionnaire.  —  Clarté,  1"  avril  1924,  pp.   156-159. 

Thomasson  (Lieutenant-Colonel  de).  —  Un  grand  officier  d'Etat- 
major,  le  général  Buat.  —  Rev.  des  Deux  Mondes,  \"  mars  1924, 
pp.  197-212. 

Bujac  (Lieutenant-Colonel).  —  Naniur.  La  Retraite.  —  Arch.  gr. 
guerre,  n°  44,  pp.   1661-1697. 

Caloni  (Général).  —  Le  Génie  du  IV  corps  d'armée  à  Verdun.  — 
Rev.  du  génie  mil.,  avril   1924,  pp.  309-335. 

Charbonneau  (Chef  de  Bataillon)  . —  Une  rupture  du  front  alle- 
mand en  1916.  Les  opérations  du  1"  corps  colonial  à  l'offensive  de 


BIBLIOGRAPHIE  185 

la  Somme.  —  Rev.  troupes  coloniales,  janv.-fév.  et  mars-avril  1924, 
pp.  1-23,  137-175. 

JANET  (Commandant)  —  Deuxième  bataille  de  Champagne.  Attaque 
de  la  10"  division  coloniale  (25  sept.  1915).  —  Rev.  milit.  générale, 
15  mars  et  15  avril  1924,  pp.   183-197,  297-309. 

KUNTZ  (Capitaine).  —  Ce  fut-il  une  erreur  de  replier  l'armée 
belge  sur  Anvers  au  -mois  d'août  1914  ?  —  Rev.  milit.  générale, 
15  avril   1924,  pp.  310-312. 

Le  Bourgeois  (Chef  de  Bataillon).  —  La  Remise  en  état  des 
chemins  de  fer  belges  et  français  par  les  Allemands,  du  début  de 
la  guerre  à  la  fin  de  la  bataille  de  la  Marne  (2  aoi4t-13  septembre  1914). 

—  Rev.  du  génie  milit.,  mars  1924,  pp.  227-268. 

MORACHE  (A.)  —  Journal  de  guerre  d'un  capitaine  de  vaisseau 
au  gouvernement  militaire  de  Paris,  commandant  la  D.  C.  A. 
(1914-1915).  —  Arch.  gr.  guerre,  n""  43  et  44,  pp.  1568-1605, 
1725-1745. 

***.  —  Les  Opérations  de  l'armée  belge.  —  Bull,  belge  se.  milit., 
mars,  avril  et  mai   1924,  pp.  247-260,  376-386,  497-512. 

***.  _  The  Other  side  of  the  hill.  The  Somme,  July,  1916...  — 
Army  Quart.,  janv.  et  avril  1924,  pp.  241-259,  72-85. 

OuDiN  (Capitaine).  —  Opérations  de  la  2"  division  de  cavalerie 
sur  les  monts  des  Flandres  [14  avril-1"  mai  1918].  Deuxième 
bataille  des  Flandres.  —  Rev.  Cavalerie,  mars-avril  1924,  pp.  161-179. 

Palat  (Général).  —  Souvenirs  de  guerre  (1914-1918).  —  Arch.  gr. 
guerre,  n°'  43,  44,  45,  46  et  47,  pp.  1641-1660,  1777-1788,  1867-1915, 
104-128,  200-223. 

PoLiTicus.  —  Un  entretien  avec  M.  Painlevé  sur  le  général  Nivelle. 

—  Eur.  nouv.,  29  mars  1924,  pp.  395-398, 

***.  —  Reconnaissance  exécutée  par  le  lieutenant  Stefani,  du 
2^  cuirassiers,  à  l'est  de  Péronne  (23-26  septembre  1914).  —  Rev. 
Cavalerie,  mars-avril  1924,  pp.  220-232. 

RouQUEROL  (Général  J.).  —  La  Première  crise  de  la  bataille  de 
Verdun.  La  perte  de  Douaumont  (Opérations  de  la  31*  brigade).  — 
Arch  gr.  guerre,  n°  47,  pp.  129-152. 

Front  italien. 

Cadorna  (Général).  —  The  End  of  a  legend.  —  Army  Quart., 
janv.   1924,  pp.  235-244. 

Fronts  orientaux. 

JOBE  (Major).  —  Le  Principe  de  la  bataille.  V.  La  bataille  des 
frontières  sur  le  front  oriental  (suite).  —  Bull,  belge  se.  milit., 
avril   1924,  pp.  419-436. 

RUSSIE 

Bujac  (Colonel).  —  Campagne   russo-roumaine  de    1917  (fin).  — 
Rev.  milit.  générale,  15  mars  1924,  pp.   198-211. 
Dombrowski  (Stéphane).  —  Les  Empires  centraux  et  la  lutte  pour 


l86  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

le  recrutement  des  Polonais  pendant  l'occupation.  (1914-1918).  — 
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CHRONIQUE 


Les  faits  et  les  controverses. 

1.  —  La  question  des  origines  de  la  guerre  continue  à  alimenter  les 
polémiques.  Aux  Etats-Unis,  le  professeur  Harry  Elmer  Barnes,  de 
Smith  Collège,  a  publié  dans  Current  History  (numéro  de  mai)  une 
étude  qui  attribue  la  responsabilité  de  la  guerre  à  l'Autriche  d'abord, 
puis  à  la  Russie  et  à  la  France.  L'Allemagne  et  l'Angleterre  viennent  au 
bas  de  l'échelle.  Le  même  numéro  de  Current  History  publie  une  ré- 
plique du  professeur  Bushwel!  Hart.  Lts  journaux  sont  parfois  inter- 
venus dans  la  controverse  :  Le  New-York  Times  (4  et  11  mai)  a  saisi 
cette  occasion  pour  publier  de  longues  déclarations  de  M.  Sazonoff.  Il 
n'en  est  pas  moins  important  de  remarquer  que  la  thèse  du  professeur 
Barnes  correspond  exactement  à  celle  que  des  Allemands,  chargés  de 
missions  de  propagande,  ont  récemment  soutenue  à  Londres. 

Pour  combattre  cette  propagande,  le  meilleur  procédé  ne  serait-il, 
pour  la  France,  d'ouvrir  à  son  tour  ses  archives  ?  C'est  l'avis  du  Co- 
mité de  !a  Ligue  des  Droits  de  l'homme,  qui,  le  4  avril  1924,  demandait 
au  président  du  Conseil  de  faire  publier  «  dès  maintenant  et  en  entier  » 
la  correspondance  échangée  entre  Paris  et  Saint-Pétersbourg  pour  la 
période  1913-4  août  1914. 

M.  Poincaré  a  répondu,  le  23  avril,  qu'une  telle  publication  serait 
<•<  un  manque  d'égards  vis-à-vis  des  Puissances  tierces,  dont  il  peut 
être  question  dans  la  correspondance  ».  Cette  réponse  a  été  publiée, 
ainsi  que  la  lettre  du  Comité,  dans  les  Cahiers  des  Droits  de  l'Homme, 
25  mai  1924,  p.  258. 

Presque  à  la  même  date,  le  «  Comité  de  Travail  des  Associations 
allemandes  »  publiait,  sous  la  signature  de  M.  von  Lersner,  un  appel  : 
«  La  lutte  contre  .le  mensonge  des  responsabilités  est  une  question 
vitale  pour  4'Allemagne  et  pour  chaque  Allemand  »  (Bayerische  Staats- 
zeitung,  23  avril  1924.)  Le  Comité  demande  au  gouvernement  allemand 
de  prendre  en  mains  l'affaire  et  de  déclarer  :  «  Que  l'Allemagne  est 
prête  à  porter  son  point  de  vue  et  sa  conviction  devant  un  tribunal 
impartial.  » 

IL  —  La  mort  du  général  Nivelle  a  donné  matière  à  d'assez  nom- 
breux articles,  qui  ont  repris  l'histoire  de  l'affaire  du  16  avril  1917, 
sans  apporter  d'éléments  nouveaux.  Il  peut  être  intéressant  de  lire 
néanmoins  une  lettre  du  général  Nivelle,  datée  du  13  février  1922,  et 
publiée  par  V Action  française  du  25  mars  1924.  Elle  est  relative,  en 
particulier,  au  retrait  de  commandement  infligé  au  général  Alangin. 


J02  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

ni.  L'histoire  des  tentatives  de  paix  s'enrichit  toujours  de  détails 

nouveaux.  Dans  son  numéro  de  Noël  1923,  le  Berliner  Tageblatt  avait 
publié  un  article  de  l'écrivain  hollandais  Frederik  van  Eeden  :  il  rela- 
tait une  mission  secrète  dont  il  avait  été  chargé,  en  janvier  1917,  par 
le  D''  Rosen,  ministre  d'Allemagne  à  La  Haye,  auprès  de  M.  Lloyd 
George.  L'offre  d'organiser  à  La  Haye  une  entrevue  entre  les  représen- 
tants'autorisés  des  belligérants  avait  été  repoussée  par  l'homme  d'Etat 
anglais. 

Tout  récemment,  le  Temps  (28  mai  1924)  a  reproduit  un  document 
cité  par  le  journal  Oesterreischische  Nachrichien  :  c'est  une  note 
adressée,  dit-on,  pa'r  le  roi  d'Espagne  à  l'empereur  Charles,  au  cours 
de  l'automne  1917  ;  elle  résume  les  conditions  que  l'Autriche  pourrait 
obtenir  si  elle  acceptait  de  faire  avec  l'Entente  une  paix  séparée.  Selon 
le  journal  autrichien,  qui  est  monarchiste,  l'Empereur  se  garda  bien  de 
tomber  dans  le  «  piège  »  qu'on  lui  tendait.  Précisément  parce  qu'elle 
a  été  faite  dans  un  but  de  polémique,  la  valeur  de  cette  publication 
n'est  pas  à  l'abri  de  tout  soupçon. 

IV.  —  Enfin  la  période  électorale  en  Allemagne  a  donné  un  regain 
d'actualité  à  la  «  légende  du  coup  de  poignard  ».  Est-ce  la  révolution 
qui  a  détruit  la  force  de  l'armée  ?  Le  combattant  a-t-il  été  frappé 
<  dans  le  dos  ■»  par  les  militants  socialistes  ?  L'intérêt  que  présentait 
une  telle  polémique  pour  les  milieux  militaristes  était  évident.  Les  Sud- 
deustche  ' Mohatshefte  ont  consacré  à  cette  propagande  un  numéro 
spécial,  auquel  les  Miinschener  Neueste  Nachrichten  (27  avril  1924, 
n"  112)  ont  emprunté  la  matière  d'un  important  article.  Le  journal 
socialiste  Munchener  Post  a  riposté  en  publiant  trois  articles,  appuyés 
sur  les  documents  du  Livre  Blanc  de  1919.  et  sur  un  mémoire  établi 
par  le  prince  Rupprecht  de  Bavière  en  juillet  1917  (n*"  97  du 
25  avril  1924,  98  du  26-27,  et  99  du  28).  D'ailleurs,  une  nouvelle  édi- 
tion de  ce  Livre  Blanc,  augmentée  de  documents  nouveaux,  vient  de 
paraître  à  Berlin. 

Une   nouvelle   revue   consacrée   à   l'histoire  de  la  guerre. 

En  mai  1924,  a  paru  le  premier  numéro  de  la  Revue  belge  des  livres, 
Documents  et  Archives  de  la  Guerre  1914-19ÎS.  Elle  a  pour  objet  de  si- 
gnaler «  les  publications  et  les  documents  qui  pourront  servir  à  éla- 
borer l'histoire  de  la  Belgique  au  cours  de  l'époque  de  la  guerre  »,  et 
d'en  donner  des  compte  rendus  critiques.  Un  des  membres  du  comité 
de  rédaction  est  M.  Th.  Heyse,  qui  avait  présenté,  au  Congrès  d'his- 
toire de  Bruxelles,  un  rapport  fort  intéressant  sur  l'Organisation  d'une 
Bibliothèque  nationale  de  guerre  ;  un  autre,  M.  Nélis,  secrétaire  de  la 
Commission  des  Archives  de  la  guerre.  La  nouvelle  revue  constituera 
certainement  un  instrument  de  travail  très  utile. 


Le  Gérant  :  A.  Costes 


POITIERS.  -   IIHP.    MARC  TEXIER 


lc\^ 


Revue  d'Histoire 

de  la 

Guerre  Mondiale 

''^"'ôme   de  rAlIemagne 

(Suite  1.) 


JV 

Jusqu'au  mois  de  septembre  1918,  on  peut  même  dire  jus- 
qu'à la  fin  de  ce  mois,  le  haut  commandement  combat  la  ré- 
forme électorale  et  veut  le  maintien  de  la  constitution  en 
vigueur,  qui  assure  en  fait  sa  prédominance  puisque,  tenant 
l'empereur,  il  tient  le  chancelier,  qui  n'a  pas  besoin  pour  gou- 
verner de  l'appui  du  Reichstag.  A  la  fin  de  septembre,  le  même 
haut  commandement  se  prononce  avec  énergie  en  faveur  des 
changements  dont  il  a  toujours  été  l'adversaire.  De  même,  il 
a  longtemps  désapprouvé,  contrecarré,  toutes  les  tentatives 
de  négociation  de  M.  de  Kiihlmann  et  de  son  successeur, 
M.  de  Hintze,  parce  qu'il  ne  pouvait  accepter  une  paix  ne 
procurant  pas  à  l'Allemagne  des  avantages  territoriaux  et 
économiques  en  rapport  avec  ses  sacrifices  et  ne  la  garantis- 
sant pas  contre  tout  danger  à  venir.  Dans  le  conseil  de  cou- 
ronne tenu  à  Spa  le  14  août,  Hindenburg  avait  déclaré  que 
l'armée  allemande  «  réussirait  à  se  maintenir  sur  le  territoire 
français   et  à  imposer  finalement  à   l'ennemi   la  volonté   de 

(1)  Voir  le  numéro  précédent  de  la  Revue,  p.  93  et  suiv. 

15 


1^4  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

l'Allemagne  (1)  ».  Conformément  au  désir  du  haut  commande- 
ment, il  fut  décidé  qu'on  attendrait  pour  faire  des  ouvertures 
de  paix  un  «  moment  plus  favorable  »,  c'est-à-dire  qu'on 
attendrait  d'avoir  obtenu  quelques  succès  militaires  (2). 
■Ludendorff  a  déclaré,  il  est  vrai,  à  la  fin  de  février  1919,  au 
représentant  d'une  agence  télégraphique,  qu'à  partir  de  la  mi- 
août,  il  avait  travaillé  à  i  établir  la  paix,  avec  la  même  force 
qu'antérieurement  il  avait  employée  à  briser  la  volonté  d'a- 
néantissement de  l'ennemi  (3).  Mais  il  ne  s'agissait  manifes- 
tement dans  sa  pensée  que  d'opposer  aux  troupes  de  l'Entente 
une  résistance  assez  vigoureuse  pour  lui  enlever  tout  espoir 
de  victoire  et  l'amener  à  traiter  à  des  conditions  honorables 
pour  l'Allemagne.  Les  articles  publiés  les  11,  12  et  13  sep- 
tembre 1919  dans  la  Vossische  Zeitung  par  Hintze  achèvent 
de  démontrer  que,  dans  les  délibérations  du  13  et  du  14  août 
1918,  Ludendorff  s'était  prononcé  contre  toute  démarche 
directe  en  faveur  de  la  paix. 

Le  8  septembre,  pour  la  première  fois,  le  haut  commande- 
ment manifeste  un  certain  désir  impatient  de  voir  s'engager 
les  négociations.  Le  chancelier  Hertling  apprend  soudain  par 
le  colonel  de  Winterfeld  que  sa  présence  est  requise  au  Grand 
Quartier  Général.  Il  n'y  va  pas  lui-même,  mais  y  envoie  le 
ministre  des  affaires  étrangères,  Hintze,  avec  mission  de  se 
renseigner  aussi  exactement  que  possible  sur  la  situation  mili- 
taire. Les  communiqués  officiels,  en  effet  —  on  en  a  le  soup- 
çon —  n'en  donnent  qu'une  idée  assez  inexacte  (4).  A  son  re- 
tour, deux  jours  plus  tard,  Hintze  rapporte  que  le  haut  com- 
mandement n'est  pas  sans  inquiétude  et  prie  le  gouvernement 
de  «  chercher  au  plus  tôt  le  moyen  d'amener  la  paix  »  (5). Tou- 
tefois les  renseignements  d'ordre  militaire  que  donne  le  minis- 
tre sont  plutôt  rassurants,  et  le  colonel  de  Winterfeld  les 
complète  comme  il  suit: 

(1)  Hindenburg  avait  dit  en  réalité  qa'il  l'espérait:  Ludendorff,  dans  le  pro- 
cès-verbal de  la  séance,  remplaça  ce  mot  par  une  formule  plus  affirmative 
{Urhmidan  der  Obersten  Heeresleitung,  p.  o02,  note). 

(2)  Voir  Payer,   Von  Bethmann-lloÙiceg  bis  Ebert,  page  73. 

(3)  Hektlixg,  Ein  Jahr  in  der  Reichskanzlei,]).  130. 

(4)  Payer,  ouvr.  cité,  p.   1*3. 

(o)  Baldigstandie  HerbeifUhrunq des  Friedens zu  rfen/tpn, Hertling,  ouvr.  cité, 
p.  164.  Le  21  septembre,  LudendorlT  fit  demander  à  Hintze  s'il  ne  pourrait 
pas  confier  au  prince  Hobenlolie-Langenbarg,  sur  le  point  d'aller  en  Suisse, 
le  soin  d'engager  quelques  pourparlers  avec  les  Etats-Unis.  Cf.  Weissbnch, 
Vorgescliichie  des   Wàff'entiUstands,  n"  11. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  195 

«  La  situation  au  front  est  de  nature  à  satisfaire  ;  le  moral 
et  la  tenue  des  troupes  sont  remarquables.  En  tout  cas,  il 
n'a  nullement  l'impression  qu'il  y  ait  rien  de  sérieux  à  redou- 
ter (1).  » 

Au  même  moment,  l'Autriche,  à  bout  de  forces,  déclare 
l'heure  venue  de  demander  la  paix  ;  déjà,  le  15  août,  le  comte 
Burian,  alors  à  Spa,  exprimait  l'avis  qu'il  fallait  adresser 
une  note  dans  ce  sens  à  toutes  les  puissances  belligérantes. 
Le  chancelier  allemand,  en  plein  accord  avec  le  haut  com- 
mandement, n'admettait  qu'une  démarche  auprès  d'une  puis- 
sance neutre  (2),  et,  le  10  septembre,  Hindenburg,  dans  un 
télégramme  au  général  de  Cramon  (3),  déclarait  encore  qu'il 
ne  pouvait  approuver  l'envoi  de  la  note  projetée  par  l'Autriche- 
Hongrie  (4).  Cette  désapprobation  n'empêchait  d'ailleurs  pas 
Burian  d'envoyer,  le  14  septembre,  sa  note,  qui,  dit-il  avec 
quelque  naïveté,  «  si  elle  n'atteignit  pas  son  but,  a  du  moins 
rendu  la  situation  plus  claire  »  (5).  , 

A  la  date  du  28  septembre,  revirement  brusque  du  haut 
commandement  :  il  faut  négocier  sans  perdre  un  instant. 
Le  général  Ludendorff  va  trouver  le  maréchal  Hindenburg 
et  lui  expose  qu'il  y  a  urgence  à  demander  un  armistice  (6). 
Le  30  septembre,  les  ministres  Hintze  et  Rodern,  revenant 
à  Berlin  après  avoir  conféré  avec  le  haut  commandement, 
déclarent  que,  pour  éviter  une  catastrophe,  une  inti&rrup- 
tion  des  hostilités  est  indispensable  (7).  Le  1®'  octobre  enfin, 
à  une  heure  eï  demie  après-midi,  Herthng  étant  démissionnaire 
et  son  successeur  non  encore  nommé,  Hindenburg  télégraphie, 
sur  la  demande  expresse  de  Ludendorff,  au  major  von  dem 
Bussche  pour  le  vice-chancelier  Payer   : 

«  Si  l'on  a  la  certitude  aujourd'hui  avant  7  ou  8  heures  que 
le  prince  Max  de  Bade  formera  le  nouveau  gouvernement, 
j'accepte  renvoi  jusqu'à  demain  de  la  note  aux  Etats-Unis. 

«  En  revanche,  s'il  y  a  le  moindre  doute  sur  la  formation 


(1)  IlEiiTLiXG,  ouvr.  cité,  p.  166. 

(2)  C'est  à  la  Hollande  que  l'on  pensait  et  que,  sans  succès,  l'on  s'adressa. 

(3)  On  sait  que  cet  ofûcier  génûi-al  représentait  l'arniée  allemande  au  Gréind 
Quartier  général  austro-hongrois. 

(4)  Urkunden  der  Oberslen  Heeresleilung,  p.  ol6. 

(5)  Buiu.vN',  Drei  Jalire  aus  der  Zeit  meinev  Amtsfiilirung  im  Kriege,  p.  288. 

(6)  LuDENDOKFF,  Eririnerungcn, -p .  582. 
(1)  Paye«,  ouvr.  cilé,  pp.  86-87. 


iq5  histoire  de  la- guerre 

du  cabinet,  je  tiens  pour  obligatoire  cette  nuit  même  l'envoi 
aux  gouvernements  étrangers  de  l'offre  de  paix  (1).  » 

Le  brusque  changement  d'attitude  du  haut  commandement 
fut  pour  tous,  dît  Payer,  une  «  surprise  de  la  pire  espèce  ». 
Cette  «  déclaration  de  banqueroute  militaire  »  ne  pouvait 
manquer  d'ôter  à  l'ennemi  tout  désir  de  traiter  (2)  ;  il  exigerait 
qu'on  se  remît  entre  ses  ,mains  pieds  et  poings  liés.  Après  un 
pareil  effondrement  «  tout  à  fait  inattendu  et  d'autant  plus 
démoralisant  »,  où  le  peuple,  où  l'armée  puiseraient-ils  la 
force  nécessaire  à  la  reprise  du  combat  en  cas  que  les  condi- 
tions de  paix  fussent  très  dures,  ainsi  qu'on  pouvait  s'y  atten- 
dre ?  Comment  se  pouvait-il  que  le  haut  commandement  vît 
seulement  à  la  dernière  minute  l'abîme  où  l'Allemagne  était 
menacée  de  tomber  ?  Ou,  s'il  l'avait  vu  plus  tôt,  comment  l'ex- 
cuser de  n'avoir  pas  fait  connaître  au  gouvernement  le  danger 
de  la  situation  ? 

Il  va  de  soi  que  Ludendorff,  dans  les  ouvrages  qu'il  a  pu- 
bliés depuis,  s'est  efforcé  d'établir  qu'on  avait  mal  compris  sa 
pensée,  mal  compris  le  télégramme  resté  fameux  de  Hinden- 
burg.  Il  ne  redoutait  nullement  une  catastrophe,  jamais  il  n'a 
prononcé  ce  mot,  c'est  Hintze  qui  l'a  employé  ;  il  ne  voulait 
pas  de  la  paix,  encore  moins  d'un  armistice,  à  tout  prix  ;  il 
était  sûr  de  son  armée,  sûr  de  résister  longtemps  encore  à  la 
pression  des  troupes  ennemies  ;  il  avait  seulement  voulu  influer 
fortement  sur  les  ministres  et  les  partis  politiques,  leur  faire 
comprendre  la  nécessité  «  de  subordonner  enfin  leurs  intérêts 
personnels  et  les  intérêts  de  parti  à  l'intérêt  suprême  de  l'ar- 
mée et  de  la  patrie  ».  Telle  est  en  particulier  l'explication 
donnée  par  le  major  von  dem  Bussche  et  reproduite  par 
Ludendorff  (3).  Mais  si  telle  avait  été  son  intention,  on  doit 
reconnaître  qu'il  s'y  était  bien  mal  pris. 

Le  télégramme  de  Hindenburg,  en  effet,  était  destiné,  non 
du  tout  aux  hommes  politiques  des  différents  partis,  aux  chefs 
de  groupe,  mais  au  vice-chancelier  devenu,  par  la  démission 
de  Hertling,  chef  intérimaire  du  gouvernement.  Ludendorff 
avait-il  vraiment  quelque  raison  sérieuse  de  mettre  en  doute 
le  patriotisme  de  Payer  et  des  autres  membres  du  gouverne- 

(1)  Urkunden  der  Obersten  Heeresleilung,  p.  529. 

(2;  Pater,  ouvr.  cité,  p.  87.  Les  mots  mis  entre  guillemets  dans  ce  passage 
sont  empruntés  à  cet  auteur  et  traduits  textuellement. 
(3)  Urkunden  der  Obsrsten  Heeresleilung,  p.  529. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRLALE  197 

ment  ?  Si  son  dessein,  comme  il  semble  le  dire,  était  de  les 
effrayer,  que  penser  d'un  chef  d'armée  qui  use,  à  l'égard  du 
gouvernement  qu'il  sert,  de  pareils  procédés  ?  Ceux  même 
d'entre  les  Allemands  qui  n'ont  pas  de  Ludendorff  une  opinion 
très  haute  croiraient  lui  faire  tort  en  le  supposant  capable  de 
manœuvres  aussi  peu  loyales,  et  aiment  mieux  admettre  qu'il 
avait  perdu  la  tête. 

Un  détail  montre  à  quel  point  il  pressait  l'ouverture  des 
négociations.  Le  1"  octobre,  l'empereur  conférait  avec  Her- 
tling,  démissionnaire  de  la  veille,  au  sujet  du  successeur  à  lui 
donner.  La  candidature  du  prince  Max  de  Bade,  mise  en  avant 
par  les  «  politiques  »,  faisait  à  Guillaume  l'effet  d'une  couleu- 
vre un  peu  dure  à  avaler.  Brusquement,  sans  même  attendre 
qu'on  l'eût  annoncé,  Ludendorff  fait  irruption  dans  le  cabinet 
imipérial  :  «  Le  gouvernement  est-il  formé  ?  »  demande-t-il 
très  excité.  A  quoi  l'empereur  répond  sèchement  :  «  Je  ne  suis 
pas  un  magicien.  »  Ludendorff  de  reprendre  :  «  îl  faut  que  le 
gouvernement  se  forme  tout  de  suite,  car  l'offre  de  paix  doit 
partir  aujourd'hui  même.  »  —  «  Vous  auriez  dû  me  dire  cela 
il  y  a  quinze  jours  »,  répartit  Guillautjne  (1). 

Si  d'ailleurs  on  se  reporte  à  la  publication  allemande  Vor- 
geschichte  des  Waffenstillstands  (Préhistoire  de  l'armistice), 
on  constate  qu'au  ministère  des  affaires  étrangères  parvinrent 
plusieurs  télégrammes  reproduisant  les  propres  paroles  de 
Ludendorff  et  qui  ne  pouvaient  manquer  de  produire  l'effet 
le  plus  alarmant.  Nous  citerons  en  particulier  le  n°  21  de 
ce  recueil  (2):  Lersner,  conseiller  de  légation  impérial,  télégra- 
phie, le  1®""  octobre,  au  ministère  des  affaires  étrangères  :  «  Le 
général  Ludendorff  vient  d'inviter  le  baron  von  Griinau  et  moi, 
en  présence  du  colonel  Heye,  à  transmettre  à  Votre  Excellence 
une  demande  très  pressante  d'envoi,  sans  aucun  délai,  de  notre 
offre  de  paix  ;  il  a  déclaré  qu'aujourd'hui  la  troupe  tenait, 
mais  qu'on  ne  pouvait  prévoir  ce  qui  arriverait  demain.  »  Le 

(i)  Hertlixg,  ouvr.  cité,  p.   182. 

(2)  Vorgeschichle  di-s  Walfeiutlilslayids,  n«21.  Les  pièces  contenues  dans  ce 
livre  blanc  ont  été  traduites  en  français  par  le  capitaine  Koellz  et  publiées 
sous  ce  titre  :  L'aveu  de  la  défuile  allemande.  Ludendorff  a  fait  paraître  en 
deux  fascicules  une  réponse  à  la  publication  officielle  :  Pas  S(  hc item  der  nfu- 
Iralen  FiicdensvevmilUung .  Augusl-Seplemher  I9!S  iL'échec  de  la  média. 
<ion  d'une  puissance  neutre  en  août  septembre  iOlS)  et  l'a^  Fr\edens-und 
Waffenslillslan'lsanQebot  iL'oCfre  de  paix  et  d'armisticel.  11  cherche  à  réfu- 
ter en  même  temps  dans  ces  opuscules  les  arlicb  s  de  l'ancien  ministre 
Hintze  qui  ont  paru  dans  ÏOl  Fraiilcfurlcr  Zeiturig,  les  22  et  31  juillet  r,!l9. 


1^8  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

baron  von  Grûnau  reproduit  le  même  jour  un  aveu  de  Luden- 
dorff  :  «  Il  (Ludendorff)  m'a  déclaré  qu'aujourd'hui  la  troupe 
tenait  encore  et  que  nous  étions  encore  dans  une  situation 
digne,  mais  qu'une  percée  pouvait  survenir  à  tout  instant  et 
que  notre  offre  de  paix  arriverait  alors  au  moment  le  plus 
défavorable  (t).  ■»  Le  même  Griinau  ajoute  :  «  J'ai  l'impression 
qu'il  a  perdu  tout  sang-froid.  »  Dans  un  autre  télégramme  de 
Lersner  enfin  se  trouve  cette  phrase  souvent  reproduite  : 
«  L'armée  ne  peut  plus  attendre  48  heures  (2).  » 

Les  explications  assez  embarrassées  données  plus  tard  par 
Ludendorff  et  ses  admirateurs  ne  sauraient  prévaloir  contre 
ces  textes  décisifs.  Nous  tenons  pour  acquis  que  le  haut  com- 
mandement a  senti  passer  sur  lui,  à  la  date  du  28  septembre  et 
dans  les  journées  qui  ont  suivi,  le  vent  de  la  défaite,  et  qu'il  a 
vu  dans  la  conclusion  rapide  d'un  armistice  le  moyen  d'échap- 
per à  un  désastre  probable. 

Il  importe  d'y  insister  en  effet  :  ce  n'est  pas  seulement  une 
offre  de  paix,  c'est  une  offre  de  suspension  aussi  prompte  que 
possible  des  hostilités  que  réclament  Hindenburg  et  Luden- 
dorff. Les  civils,  plus  clairvoyants  (le  croirait-on  ?)  que  les  mi- 
litaires, y  sont  d'abord  opposés. Ils  comprennent  bien  que, si  un 
armistice  est  accordé,  les  conditions  en  seront  telles  que  la  re- 
prise du  combat  sera  ensuite  impossible  pour  l'Allemagne. 
Demander  un  armistice,  c'est  donc  capituler.  L'Allemagne  en 
est-elle  là  ?  Cette  pensée  leur  est  insupportable  :  «  Quoi  ? 
l'Allemagne,  notre  forte,  notre  grande  patrie,  si  pleine  d'es- 
prit de  sacrifice,  se  trouverait  dans  l'obligation  d'implorer  de 
l'ennemi  une  suspension  d'armes  (3)  ?  »  Le  piince  Max  de 
Bade,  désigné  pour  le  poste  de  chancelier  parce  qu'on  le  sait 
désireux  de  la  paix  et  favorable  aux  réformes,  résiste  éner- 
giquement.  Mandé  d'urgence  à  Berlin,  il  y  arrive  le  mardi 
1"  octobre  ;  mis  au  courant  de  la  situation,  sitôt  qu'il  a  con- 
naissance de  la  «  terrible  »  demande  d'armistice  (4),  iî  voit  le 
danger,  et  déclare  qu'il  a  un  autre  avis  à  proposer,  «  qu'il 
refusera,  s'il  est  nommé,  de  signer  cette  demande  »  (5).  Le 

(1)  Vorgesc/iichte  der  Waffenstillslands,  n"  23. 

(2)  Ibid.,  n»  72. 

(3)  Payer,  ouvr.  cité,  p.  88. 

(4)  Le  moi  fiirchlerlich,  mis  entre  guillemets  par  Payer  {ouvr.  cité,  p.  98), 
est  sans  aucun  doute  du  prince  Max  lui-même. 

(5)  Pater,  ouvr.  cité,  p.  99.  Cf.  dans  Vorgeschichle  des    Waffenstillstands, 
n"  42,  les  paroles  du  prince  Max  dans  la  conférence  tenue  le  11  octobre;  il 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  I99 

2  octobre,  non  encore  revêtu  officiellement  du  titre  de  chan- 
celier, il  soutient,  secondé  par  Soif,  une  lutte  à  ce  sujet  contre 
Hindenburg,  plus  calme  que  Ludendorff,  mais  qui  exige 
aussi  la  suspension  des  hostilités  (1).  La  discussion  se  pour- 
suit le  3  ;  la  situation  est-elle  si  critique,  demande  le  prince, 
qu'il  faille  engager  tout  de  suite  une  action  tendant  à  obtenir 
un  armistice  ?  «  Le  haut  commandement  se  rend-il  compte 
qu'une  action  de  cette  sorte  peut  conduire  à  la  perte  des  colo- 
nies allemandes  et  de  territoires  allemands,  en  particulier  de 
l'Alsace-Lorraine  et  des  cercles  purement  polonais  des  pro- 
vinces de  l'Est  (2)  ?  »  Hindenburg  maintient  les  termes  de  sa 
demande,  et  déclare  «  qu'il  vaut  mieux  cesser  la  lutte  »  (3). 
Finalement  le  prince,et  les  membres  du  gouvernem.ent  qui  par- 
tagent son  avis,  sont  obligés  de  céder  ;  la  première  note  au  pré- 
sident Wilson  est  rédigée  (elle  fut  expédiée  seulement  dans  la 
nuit  du  4  au  5  octobre)  ;  elle  contient  ces  mots  qui  réussissent 
mal  à  sauver  la  face  :  «  En  vue  d'éviter  une  plus  longue 
effusion  de  sang,  le  gouvernement  allemand  propose  la  con- 
clusion immédiate  d'un  armistice  général  sur  ferre,  sur  mer  et 
dans  les  airs  (4),  »  Pour  reprendre  une  expression  de  Payer, 
«  l'effondrement  militaire  de  l'empire  était  reconnu  officielle- 
ment »  (5). 

Quelle  explication  peut-on  donner  de  l'attitude  prise  et  gar- 
dée par  le  haut  commandement  dans  toute  cette  crise  ? 

Nous  possédons  trois  exposés  à  peu  près  concordants  de  la 
situation  militaire  telle  que  l'envisageait  Ludendorff. 

1"  Le  général  Bartenv^^erffer,  dans  une  lettre  adressée  au 
colonel  Heye  (6)  le  20  février  191 9, a  résumé  en  quelques  lignes 
le  langage  tenu  par  Ludendorff  à  ses  collaborateurs  immédiats, 
le  29  septembre  1918,  à  10  heures  du  soir. 


voulait,  avant  sa  nomination,  au  lieu  de  s'adresser  tout  de  suite  au  président 
Wilson,  «  attendre  au  moins  huit  jours  pour  consolider  le  nouveau  gouver- 
nement et  ne  pas  donner  l'impression  que  nous  faisions  notre  demande 
d'entremise  sous  la  pression  d'un  eflondrement  militaire  ». 

(1)  Payer,  ouvr.  cité,]).  107. 

(2)  Vorgeschichte  des  Waffenstillslands,  n*  32. 
(.^)  Ibid.,n'  33. 

(4)  Ibid..  n»  34. 

(5)  Patek,  ouvr.  cité,  p.  112.  Au  témoignage  d'un  civil,  membre  du  parti 
démocratique,  nous  joindrons  celui  d'un  militaire,  le  général  Maercker  : 
«  L'offre  (il  serait  plus  exact  de  dire  la  demande)  d'un  armistice,  dit-il,  eut  un 
effet  dévastateur  »  Vom  Kaiserheer  zur  Reichsirehr,  p.  8. 

(C)  Lettre  reproduite  par  Ludendorff  dans  l'opuscule  déjà  cité  :  Dn?  Frie- 


200  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

2°  Le  général  von  Eulitz,  qui  représentait  la  Saxe  au  Grand 
Quartier  Général,  a  reproduit,  dans  une  lettre  du  V"  août  1919 
au  général  von  Mertz,  les  notes  prises  par  lui  au  cours  d'une 
séance  tenue  le  30  septembre  1918,  à  11  h.  1/2  du  matin,  et  où 
Ludendorff  fit  un  tableau  de  la  situation  (1). 

3°  Enfin  le  major  von  dem  Bussche,  le  2  octobre  1918,  en 
présence  du  vice-chancelier  Payer,  donna  aux  chefs  de  groupe 
du  Reichstag,  le  socialiste  indépendant  Haase  et  le  Polonais 
Seyda  (3)  compris,  des  renseignements  propres  à  leur  faire 
comprendre  la  nécessité  d'engager  sans  aucun  délai  les  négo- 
ciations avec  l'ennemi.  Le  major  von  dem  Bussche  peut  être 
considéré  comme  le  porte-parole  de  Ludendorff,  qui  repro- 
duit son  rapport  dans  Urkunden  der  Obersten  Heeresleitung 
(p.  535). 

La  lecture  de  ces  documents  nous  apprend  que  l'effondre- 
ment militaire  de  la  Bulgarie  a  nécessité  l'envoi  de  quatre  divi- 
sions allemandes  et  de  deux  divisions  autrichiennes  à  Nisch 
afin  de  rétablir  la  situation.  En  outre,  une  division  allemande 
doit  être  transportée  à  Constantinople,  car  la  Turquie  est  me- 
nacée. Cela  fait  sept  divisions  perdues  pour  le  front  Ouest. 
L'armée  qui  combat  en  France  et  en  Belgique  est  très  affai- 
blie ;  22  divisions  allemandes  ont  dû  être  dissoutes,  ce  qui 
porte  à  30  ou  40  divisions  la  supériorité  de  l'Entente.  Tandis 
que  les  38  divisions  américaines  sont  toutes  à  gros  effectif, 
les  divisions  allemandes  sont  à  effectif  réduit  ;  quelques-unes 
ne  sont  plus  qu'un  faux-semblant  (3).  Ce  n'est  cependant  pas 
la  faiblesse  numérique  des  divisions  qui  rend  la  situation  in- 
quiétante ;  ce  sont  plutôt  les  «  tanks  »  qui  apparaissent  en 
nombre  croissant  et  produisent  sur  les  troupes  un  effet  de 
surprise.  Il  y  a  encore  de  nombreux  exemples  de  courage 

dens-und    Waffenstillstandsangebot,   p.  23,  et  dans   Urkunden   der    Oberslen 
Heeresleitung,  p.  526. 

(1)  Ce  document  figure  également  dans  l'opuscule  ci  dessus  cité,  p.  26  et 
dans  les  Urkunden,  p.  524, 

(2)  Ludendorff  et  d'autres  ont  accusé  ce  dernier  d'avoir  communiqué  aux 
ennemis  de  l'Allemagne  les  renseignements  confidentiels  qu'il  avait  pu 
recueillir,  et  de  s'être  ainsi  rendu  coupable  d'une  véritable  trahison  :  ins- 
truites par  Seyda,  les  puissances  de  l'Entente  se  seraient  montrées  intraita- 
bles ;  c'est  Seyda  qui  a  amené  la  capitulation  du  11  novembre.  A  supposer 
établie  (elle  est  loin  de  l'être)  la  trahison  de  Seyda,  on  conçoit  difficilement, 
fait  observer  Payer  [ouvr.  cité,  p.  214),  qu'elle  ait  pu  modifier  en  rien  les 
décisions  prises  par  les  chefs  de  l'Entente  :  ils  étaient  bien  résolus  à  pour- 
suivre la  guerre  jusqu'à  la  victoire  complète. 

(3)  Einige  Divisionen  sindnùr  noch  Atlrappen  (lettre  du  général  von  Eulitz)- 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IA\PÉRIALE  201 

opiniâtre  donnés  par  elles,  mais  il  y  a  aussi  bien  des  flé- 
chissements. Le  h^aut  commandement  ne  peut  plus  compter 
sur  aucune  certitude  ;  nulle  offensive  n'est  plus  possible  ;  et, 
si  la  guerre  continue,  la  conduite  en  ressemblera  désorimais  à 
un  jeu  de  hasard. 

On  conçoit  l'impression  que  des  «  révélations  »  de  ce  genre 
purent  produire  sur  les  chefs  de  groupe.  A  la  vérité,  le  major 
von  dem  Bussche  termina  son  rapport  par  des  exhortations 
viriles  :  «  Ni  l'armée,  ni  le  pays  ne  doivent  rien  faire  qui  soit 
un  signe  de  faiblesse.  Au  contraire,  l'armée  et  le  pays  doivent 
tenir  plus  fermement  que  jamais.  En  même  temps  qu'il  offre 
îa  paix,  le  pays  doit,  par  la  réunion  de  toutes  ses  forces  en 
un  front  unique,  manifester  la  volonté  inflexible  de  continuer 
la  guerre  si  l'ennemi  ne  veut  pas  de  la  paix  offerte,  ou  pré- 
tend nous  imposer  une  paix  humiliante.  » 

Mais  cet  appel  au  patriotisme  s'accordait  assez  mal  avec  le 
contenu  de  son  rapport  ;  entre  une  demande  aussi  prompte 
que  possible  d'armistice  et  cette  affirmation  hautaine  qu'il 
fallait  se  garder  de  donner  aucune  marque  de  faiblesse,  la 
contradiction  était  flagrante.  Aussi  l'effet  de  cette  mâle  péro- 
raison fut-il  à  peu  près  nul.  On  n'attacha  pas  une  plus  grande 
importance  aux  fanfares  dont  Hindenburg  et  Ludendorff  cru- 
rent devoir  par  la  suite  couvrir  parfois  leurs  aveux  d'impuis- 
sance. Et  quand,  après  le  23  octobre,  Ludendorff,  jugeant 
offensante  pour  l'Allemagne  la  troisième  note  du  président 
Wilson,  voulut  qu'on  y  répondit  par  un  beau  sursaut  de  patrio- 
tisme, par  un  effort  suprême  pour  ressaisir  la  victoire  (1),  il  ne 
trouva  plus  personne  pour  le  suivre.  On  voyait  trop  qu'il 
«  faisait  le  magnanime  »,  prenait,  un  peu  tard,  une  attitude 
héroïque,  alors  que,  le  premier,  il  avait,  devant  l'ennemi,  levé 
les  bras  en  d'air  et  obligé  l'Allemagne  à  répéter  ce  geste  de  sou- 
mission. Non  seulement  il  avait  insisté  pour  qu'on  demandât 
Ou  offrît  l'armistice  ;  mais,  comme  le  prince  Max  voulait  con- 
sulter d'autres  généraux,  il  s'était  opposé  avec  la  dernière 
énergie  à  cette  enquête  projetée.  Même  dans  la  défaite,  il  res- 
tait l'homme  orgueilleux  qui  ne  souffre  pas  qu'on  discute  son 
opinion  et  qu'on  fasse  appel  à  d'autres  autorités  que  la  sienne. 

Nous  n'avons  pas,  bien  entendu,  pour  juger  la  situation  mili- 

(l)  De  là, la  proclamation  adressée  aux  troupes  le  25  par  Hindenburg,  pro- 
clamatioa  qui  eut  pour  etfet  immédiat  la  mise  en  disponibilité  de  Luden- 
dorlT. 


202  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

taire  de  l'Allemagne  au  l^'"  octobre  1918,  la  compétence  re- 
quise ;  à  considérer  toutefois  les  événements  qui  ont  suivi,  il 
ne  nous  paraît  pas  qu'elle  justifie  pleinement  l'insistance  mise 
par  Ludendorff  à  demander  sur  l'heure  une  suspension  des 
hostilités.  Les  combats  ont  continué  jusqu'au  11  novembre,  et 
les  Allemands  ont  reculé  sans  doute  ;  mais  jusqu'à  cette  date 
au   moins,  la  catastrophe  redoutée  ne  s'était  pas   produite. 
Faut-il  donc  s'en  tenir  à  l'opinion  de  Payer  et  de  quelques 
autres,  et  dire   :  Ludendorff  a  traversé  un  moment  de  dépres- 
sion, il  a  perdu  la  tête  ?  Lui-même,  on  l'observera,  proteste 
contre  ce  jugement  et  donne  pour  se  disculper  toute  sorte 
de  raisons  qui  nous  paraissent  assez  mauvaises.  Accordons,  si 
l'on  veut,  qu'il  a  eu  l'esprit  quelque  peu  troublé  par  les  mau- 
vaises  nouvelles  venues  d'Orient  ;  un  trouble  est  momentané,et 
pendant  plusieurs  jours,  à  partir  du  28  septembre,  il  n'a  cessé 
de  réclamer  à  cor  et  à  cri  l'ouverture,  sans  délai,  de  négocia- 
tions,  c'est-à-dire  l'envoi   d'une   note   au   président   Wilson. 
Que  ce  soit  le  vice-chancelier  Payer  qui  la  signe  ou  le  prince 
Max  de  Bade,  ou  tout  autre,  peu  lui  importe  pourvu  qu'elle 
parte  au  plus  tôt  (1).  Et  quand  paraît  la  première  note  du  pré- 
sident V/ilson  (du  8  octobre)  exigeant  pour  la  conclusion  d'un 
armistice  l'évacuation  immédiate  des  territoires  occupés  par  les 
troupes  allemandes,  Ludendorff  déclare  y  consentir  en  prin- 
cipe (2).  La  deuxième  note  allemande  (du  12  octobre),  dans 
laquelle  le  gouvernement  du  Reich  se  déclarait  «  prêt  à  accé- 
der  aux   propositions   d'évacuation    faites   par   le   Président 
comme  conditions   préalables   d'armistice   »  (3)  fut  envoyée 
avec  l'approbation  expresse  de  Ludendorff.  De  même,  après 
la  réception  de  la  deuxième  note  du  président  Wilson  (celle  du 
14  octobre)  qui  déclare  qu'aucun  accord  n'est  possible  s'il  ne 
prévoit  des  garanties  absolument  satisfaisantes  et  les  sûretés 
nécessaires  pour  le   maintien   de  la  supériorité  militaire   de 
l'Entente  (4),  qui  exige,  en  outre,  au  moins  implicitement,  que 
l'Allerhagne  renonce  tout  de  suite  à  la  guerre  sous-marine, 

(1)  Oubliant,  ou  feignant  d'oublier,  que  l'Allemagne  n'avait  pas  encore,  à 
la  date  du  4'r  octobre,  le  régime  parlementaire,  Ludendorff  trouvait  tout 
simple,  après  la  démission  de  Hertling,  que  le  vice  chancelier  Payer  formât  un 
gouvernement  tout  exprès  pour  hâter  l'expédition  delà  note.  Voir  Ludendorff 
DasFriedens-und  Waffenstillsianclsangehot,  p.  6  et  p.  34,  note  ;  Payer,  oavr. 
cilé,  p.  89. 

(2)  Vorgeschichte  des  Waffenstiltsiands,  n°  39. 

(3)  Ibid.,  n»  47. 

(4)  Ibid.,  n°  48. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  ÛMPÉRIALE  203 

Ludendorff,  dans  la  conférence  tenue  le  17  octobre  à  5  heures 
du  soir,  «  demande  que  l'on  continue  la  négociation  de 
paix  »  (1).  C'est  seulement  la  troisième  note  (celle  du  23)  qui 
excite  son  indignation,  et,  avec  le  succès  que  nous  avons  dit, 
le  pousse  à  adopter  une  attitude  nouvelle  et  intransigeante. 

Conservateur  dans  l'âme,  vieux-Prussien,  adversaire-né  de 
la  démocratie,  Ludendorff  intervient  fin  septembre  en  faveur 
de  la  réforme  électorale  en  Prusse  et  prête  un  appui  très  inat- 
tendu aux  partisans  du  régime  parlementaire  ;  en  même  temps, 
ce  soldat  plein  d'orgueil  fait  preuve  d'une  hâte  à  capituler  qui 
étonne  et  scandalise  les  civils.  Quand  on  rapproche  tous  ces 
faits,  on  ne  peut  se  défendre  de  leur  attribuer  une  même  cau- 
se ;  après  l'effondrement  du  front  balkanique,  Ludendorff  a 
compris  que  la  partie  était  perdue,et  il  n'a  plus  eu  qu'une  idée  : 
se  soustraire  à  la  responsabilité  écrasante  qu'il  sentait  peser 
sur  lui.  Que  le  pouvoir  passe  aux  mains  des  hommes  de  gauche 
le  plus  vite  possible  ;  que  libéraux,  progressistes,  démocrates, 
socialistes,  députés  du  Centre,  constituent  un  gouvernement 
populaire  et  signent  la  paix  aux  conditions  que  leur  imposera 
l'Entente.  Cela  est  douloureux  sans  doute,  mais  la  réputation 
militaire  du  général  aura  moins  à  en  souffrir  que  d'une  défaite 
retentissante  ou  d'une  capitulation  en  rase  campagne.  Luden- 
dorff s'est  défendu  d'être,  en  tant  que  chef  d'armée,  un  joueur 
audacieux  qui  hasarde  de  grands  coups,  s'enrichit  ou  se  ruine 
suivant  que  la  fortune  loi  est  favorable  ou  contraire.  Peut-être 
a-t-il  raison  sur  ce  point,  nous  n'avons  pas  qualité  pour  en 
décider  ;  en  revanche,  sa  conduite  au  cours  de  la  crise,  qui  fait 
l'objet  de  ce  chapitre,  ressemble  fort  à  celle  d'un  joueur  pru- 
dent qui,  ne  se  sentant  plus  en  veine,  cherche  à  passer  la  main. 
Tel  est  ce  militaire  si  prodigue,  dans  ses  ouvrages  subsé- 
quents, d'accusations  contre  les  civils  qui  ont  eu  la  mission 
pénible  de  liquider  la  banqueroute  déclarée  par  lui-même.  La 
«  Révolution  d'en  haut  »  dont  il  parle  si  volontiers,  comment 
ne  voit-il  pas  qu'il  en  est  le  principal  auteur  ? 


V 

Les  réformes  accomplies  au  cours  du  mois  d'octobre,  la 
liberté  plus  grande  donnée,  ou  plutôt  promise,  à  la  presse  — 
car  la  censure  continua   de   s'exercer   avec   rigueur  —  une 

(1)  Vorgeschichle  des  WaffenLillslands^,  n»  38. 


204 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


sorte  d'amnistie  accordée  en  Prusse  à  un  grand  nombre  de 
condamnés  politiques  (1),  la  réception  par  l'empereur,  le  21  oc- 
tobre, des  nouveaux  ministres,  les  amabilités  qu'il  eut  à  cette 
occasion  pour  les  socialistes  Bauer,  David,  Schmidt,  Schei- 
demann,  le  discours  plein  de  promesses  qu'il  leur  tint  et  qui, 
«  prononcé  quelques  années  auparavant,  aurait  pu  produire 
une  impression  remarquable  »  ((2),  toutes  ces  manifestations 
d'un  «  esprit  nouveau  »  ne  pouvaient  empêcher  les  événements 
de  suivre  leur  cours.  La  personnalité  même  du  prince  Max 
de  Bade  n'inspirait  pas  grande  confiance,  et  une  dislocation 
du  gouvernement  faillit  se  produire  après  la  publication,  par 
un  journal  socialiste  suisse,  la  Freie  Zeitung  de  Berne,  de  la 
lettre  écrite  le  12  janvier  1918  par  le  prince  à  son  cousin 
Hohenlohe.  Entre  cette  lettre,  en  effet,  dont  l'auteur  parlait 
avec  mépris  de  la  résolution  de  paix  du  19  juillet  1917  et  se 
prononçait  contre  les  institutions  démocratiques,  et  le  dis- 
cours lu  au  Reichstag  le  5  octobre  1918  par  le  nouveau  chan- 
celier, il  y  avait  trop  de  désaccord.  Scheidemann  et  Bauer, 
quand  ils  eurent  connaissance  de  la  lettre,  dont  la  reproduc- 
tion fut  interdite  en  Allemagne,  voulurent  donner  leur  démis- 
sion en  cas  que  le  prince  iWax  restât  au  pouvoir  (3).  Ils  finirent 
cependant  par  la  retirer.  Une  question  plus  grave  n'allait  pas 
tarder  à  se  poser,  celle  de  l'abdication  de  l'empereur.  Dès  le 
16  octobre,  dans  une  séance  du  cabinet  de  guerre,  Scheide- 
mann disait  :  «  Croit-on  vraiment  que  le  peuple  soit  encore 
disposé  à  lever  un  doigt  pour  maintenir  l'empereur  (4)  ?  :> 
Ludendorff  fait  observer  à  ce  propos  que  Scheidemann  qui, 
le  premier  parla  d'abdication  (5),  a  été  aussi  le  premier  à  prc- 

(1)  Ce  ne  fut  pas  une  véritable  amnistie  au  sens  que  l'on  dorne  au  motf  n 
français  ;  les  condamnés  furent  recommandés  à  la  clémence  du  roi  et  gr;i- 
ciés  par  lui.  Voir  Payer,  «uvr.  ci'é,  p.   1.3. 

(2)  ScHEiùE^Ayy.  Der  Zusammenbruc'",  p.  tS8. 

(S)  Scheidemann,  ouyr.  ctté,  p.  182,  donne  le  texte  de  la  lettre  adressée  p;  r 
son  collègue  et  lai  au  vice-chancelier  Payer. 

(4)  Vorf/esrhichle  des  Waffentillslandx,  n»  54.  Le  mot  de  Scheidemann  a 
été  reproduit  par  Ludeadorif,  Urkuntlen  der  Oherslea  llet-re^leilung,  p.  553. 

(o)  Il  n'est  d'ailleurs  pas  tout  à  fait  exact  que  Scheidemann  ait  le  premiei- 
parlé  d'abdication.  Dans  un  tout  autre  esprit,  à  la  vérité,  un  homme  d  i 
parti  le  plus  opposé  aux  socialistes,  un  représentant  de  la  vieille  l'russ  • 
militaire  avait,  antérieurement,  eu  l'idée  que,  pour  le  talut  de  la  Prusse  et 
de  l'Empire,  il  convenait  de  remplacer  au  moins  temporairement  Guil- 
laume II  par  son  Gis.  Voir  Oberst  Bauer.  Der  (grosse  Krieg  in  Feld  und 
Hehnat  La  grande  guerre  sur  le  front  à  rarrières  p.  187.  «  Le  seul  homme- 
qui  vit  clair  et  ne  voulut  pas  se  leurrer  était  !e  kronprinz  ;  je  lui  dis  au 
commencement  de    février  1918    que   l'Empereur   était  notre   perte,...   que 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  205 

noncer  au  Reichstag  le  mot  ds  «  révolution  ».  Il  'l'avait  pro- 
noncé, en  effet,  dans  la  séance  du  15  mai  1917,  mais  que 
disait-il  à  cette  date  ?  «  Si  les  gouvernements  anglais  et  fran- 
çais prennent  la  même  attitude  que  la  Russie,  c'est-à-dire  dé- 
clarent renoncer  à  toute  annexion,  et  si,  dans  cette  hypothèse, 
le  gouvernement  allemand,  au  lieu  de  mettre  fin  à  la  guerre 
par  une  renonciation  semblable,  la  continue  dans  l'intention 
de  faire  des  conquêtes,  alors.  Messieurs,  vous  pouvez  m'en 
croire,  vous  verrez  la  révolution  éclater  dans  le  pays  (1).  » 
Au  mois  d'octobre  1918,  l'Entente,  loin  de  renoncer  à  ce  que 
Scheidemann  appelait  des  annexions,  affichait  hautement  la 
prétention  d'enlever  à  l'Allemagne  des  territoires  occupés  par 
elle  depuis  des  années,  et  en  particulier  depuis  1871,  Scheide- 
mann cependant,  jugeant  la  paix  indispensable,  était  disposé  à 
jeter  l'empereur  par  dessus  bord,  —  ce  même  Scheidemann  qui, 
au  mois  de  juin  1917,  disait  au  ministre  suédois  Lindmann  : 
«  L'Entente  est  complètement  dans  l'erreur  si  elle  compte  sur 
une  révolution  chez  nous  pendant  la  guerre  ;  la  révolution  n'est 
possible,  à  mon  avis,  que  dans  les  conditions  que  j'ai  exposées 
en  mai  (1).  »  On  voit  par  là  le  chemin  parcouru  depuis  les 
mois  de  mai  et  juin  1917  jusqu'au  mois  d'octobre  1918. 

Les  adversaires  de  l'Allemagne  ne  semblaient  pas  disposés 
à  traiter  avec  un  gouvernement  ayant  à  sa  tête  l'empereur 
Guillaume,  même  habillé  comme  M.  Renaudel  (3)  ;  on  pou- 
vait croire  qu'au  nombre  des  conditions  d'armistice  proposées 
par  eux,  se  trouverait  l'abdication  de  l'empereur,  sa  renoncia- 
tion à  la  couronne  et  celle  du  kronprinz,  le  mieux  serait  donc 
d'aller  au  devant  de  ce  désir,  et  la  dignité  de  l'Allemagne  au- 
rait moins  à  souffrir  si  l'empereur  s'en  allait  avant  que  l'En- 

nous  allions  à  la  révolution,  et  qu'à  mon  evis  il  fallait  ou  bien  que  l'Empe- 
reur fit  acte  d'énergie  ou  qu'il  abanionnàt  pour  un  temps  le  gouvernement.» 
Notons  encore  que,  d'après  Niemann,  ce  ne  seraient  pas  les  socialistes, 
mais  les  hommes  du  parti  démocratique-bourgeois  qui,  en  octobre  1918, 
auraient  les  premiers  envisagé  la  nécessité  d'une  abdication.  Dans  le  feuil- 
leton d'un  de  leur  journaux,  on  avait  pu  jlire  un  dialogue  supposé  entre  le 
vieux  maréchal  de  la  Cour  et  l'empereur.  En  manière  de  conclusion,  l'em- 
pereur, d'un  beau  geste,  renonçait  au  trône  par  patriolisme.  Niemanx,  Kaiser 
und  R;volation,  Y>V-   103-104. 

(1)  Scheidemann,  ouvr.  cité,  p.  158. 

(2)  Ibid.,  p.  146. 

(3)  Nous  faisons  allusions  à  un  fort  joli  dessin  d'Abel  Faivre  publié  par 
l'Echo  de  Paris  vers  cette  époque  :  l'empereur  Guillaume  porte  encore  un 
pantalon  à  bandes  brodées  et  des  bottes  à  éperons,  mais  il  a  revêtu,  avec  une 
chemise  à  col  rabattu,  un  vastoa  et  un  gilet  d'étolfe  quadrillée.  Légende  : 
f  S'habiller  comme  M.  Renaudel,  voilà  le  salut  !  » 


2o6  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

tente  eût  formellement  exigé  son  départ.  Certains  pays  du  Sud, 
la  Bavière,  notamment,  semblaient  d'ailleurs  le  souhaiter. 
Le  député  au  Landtag  bavarois,  Held,  avait  publiquement 
envisagé  la  possibilité  pour  la  Bavière  de  conclure  une  paix 
séparée  ;  on  avait  été  jusqu'à  dire  que  les  troupes  bavaroises 
refuseraient  d'obéir  aux  ordres  du  général  en  chef  (1). 

Même  dans  l'Allemagne  du  Nord,  même  en  Prusse,  et  aussi 
dans  l'armée,  les  signes  de  mécontentement  allaient  se  mul- 
tipliant. La  mise  en  liberté  de  Karl  Liebknecht,  retardée  par  le 
mauvais  vouloir  des  bureaux  de  la  guerre  (2),  finissait  par  être 
obtenue  le  21,  grâce  à  la  pression  exercée  par  les  membres 
socialistes  du  gouvernement,  et  c'était  l'occasion  d'une  mani- 
festation très  bruyante  :  on  alla  en  foule  attendre  Liebknecht 
à  la  gare  d'Anhalt  ;  il  fit  son  entrée  dans  Berlin  comme  un 
triomphateur  (3).  Les  socialistes  indépendants,  dès  le  milieu 
d'octobre,  étaient  débordés  et  dépassés  ;  un  parti  communiste 
franchement  révolutionnaire  se  constituait  sur  un  appel  de 
Frenken-Nowawes  (4).  L'ambassade  russe  à  Berlin  devenait 
un  foyer  très  actif  de  propagande,  joffe  le  représentant  des 
Soviets,  y  tenait  table  ouverte  ;  ce  qui,  dans  un  temps  de 
quasi-famine,  ne  laissait  pas  d'avoir  son  imtportance.  Bien 
des  Allemands  recevaient  de  lui  des  conseils,  et  aussi  de  l'ar- 
gent ;  nous  citerons  les  noms  de  Berth,  encore  inconnu  à  ce 
moment,  mais  qui,  au  jour  de  la  révolution,  devait  jouer  un 
iTÔle  inattendu  (5)  ;  d'Oscar  Cohen,  député  au  Reichstag  ; 
d'Eichhorn,  le  futur  chef  de  la  police.  Jouissant  du  bénéfice 
de  l'exterritorialité  et  lecevant  de  Russie  des  colis  non  con- 
trôlés, disposant  d'une  imprim.erie  clandestine,  Joffe  pouvait 
très  librement,  comme  il  l'a  raconté  lui-même,  poursuivre  son 
travail  et  répandre  par  milliers  des  brochures,  des  «  tracts  » 
révolutionnaires.  Cela  dura  jusqu'au  commencement  de  no- 
vembre. Un  jour  une  caisse  adressée  à  l'ambassadeur  de  Rus- 
sie s'ouvrit  par  accident, "tandis  qu'on  la  déchargeait  dans  une 
des  gares  de  Berlin  ;  on  vit  qu'elle  contenait  des  écrits  de  pro- 
pagande destinés  au  peuple  et  à  l'armée  (6).  Le  gouvernement 

(1)  Payer,  ouvr.  cité.  p.  153. 

{2}lbid.,  p.  124. 

{Z)  ScuEiNiNG,  Das  ersts  Jahr  der  deulscken  Révolution,  p.  17. 

(4)  JDer  Eui'ûpàisclu!  Krifg  (série  de  guerre  du  Deulscher  Geschichtskalender) 
Neunt.er  Band,  2  Halfte,  p.  6C9. 

(3)  Lui-môme  a  pris  soin  de  l'exposer  en  le  grossissant  dans  son  livre  : 
Ausder  Werkstatt  der  deutschen  Révolution. 

(6)  Payer,  oavr.  cité,  p. ^00. 


L'AGOiNlE  DE  L'ALLEAIAGNE  IMPÉRIALE  207 

prit  aussitôt  des  mesures,  et,  le  lendemam  matin,  Joffe,  avec 
toute  sa  suite,  était  déjà  loin  de  Berlin  ;  la  Norddeutsche  Allge- 
meine  Zeitiing  annonçait  le  6  novembre  la  rupture  des  rela- 
tions diplomatiques  avec  la  Russi-e. 

L'armée  ne  pouvait  évidemment  rester  à  l'abri  de  la  conta- 
gion. Les  soldats,  qui  avaient  eu  contact  avec  les  Russes  et 
qu'on  transportait  sur  le  front  Ouest,  y  apportaient  des  ger- 
mes actifs  de  fermentation.  Les  désertions  à  l'extérieur  et  à 
l'intérieur  étaient  nombreuses  ;  parmi  les  hommes  de  rempla- 
cement qu'on  envoyait  pour  combler  les  vides  creusés  dans  les 
bataillons  allemands,  beaucoup  n'arrivaient  pas.  Un  officier 
raconte  que  sur  1.400  hommes  que  comptait  un  transport  au 
départ  d'Ellenborn,  100  avaient  déjà  disparu  avant  qu'on  eiàt 
passé  la  frontière,  cependant  peu  éloignée,  et  qu'une  faible 
partie  seulement  parvint  au  front  (1).  Comme  le  fait  très  judi- 
cieusement observer  Payer,  après  quatre  ans  de  guerre,  une 
armée  de  plusieurs  millions  d'hommes  qui  restent  en  contact 
constant  avec  leurs  parents  et  amis  de  l'arrière,  qui  ont,  de 
temps  à  autre,  des  permissions,  ne  peut  pas  avoir  un  moral  très 
différent  de  celui  de  la  population  civile  ;  la  lassitude,  le  dé- 
goût qui  vont  en  croissant  dans  le  pays,  ont  leur  répercussion 
inévitable  dans  les  rangs  mêmes  des  combattants  (2).  Les 
moyens  employés  par  le  haut  commandement  pour  fortifier  le 
moral  des  troupes  n'étaient  d'ailleurs  pas  toujours  très  bien 
choisis.  On  avait,  par  exemple,  répandu  à  profusion  dans  l'ar- 
mée un  écrit  de  48  pages  intitulé  Deuischlands  Zukunft  bel 
einem  giiten  and  bel  c'mem  schlechten  Frieden  (L'avenir  de 
l'Allemagne  en  cas  d'une  bonne  paix  et  en  cas  d'une  mauvaise). 
Or,  que  trouve-t-on  dans  cet  écrit  ?  Une  toute  petite  phrase 
incidente  sur  l'honneur  national  et  de  longs  développements 
sur  ce  que  l'Allemagne  devait  prendre  à  ses  ennemis  pour 
créer  de  nouveaux  débouchés  à  son  commerce  et  à  son  indus- 
trie, pour  avoir  des  terres  nouvelles  à  exploiter,  pour  être  en 
état  de  payer  ses  dettes,  et  enfin  pour  pouvoir  entreprendre 
de  nouvelles  guerres  dans  des  conditions  plus  favorables.  On 
n'avait  pas  pris  garde,  fait  observer  Gustave  Buscher  (3),  que 

(1)  Der  Weltkrieg  im  Lichte  nalurwissensehaf llicker  Geschichtsauffas- 
suufj .  Laiengedanicen,  eines  Berafsofftziers  (La  grande  guerre  suivant  une 
interprétation  de  l'histoire  tirée  des  sciences  naturelles,  l-'ensées  d'un  pro- 
fane, officier  de  carrière),  p.  19o  note. 

(2)  Payek,  ouvr.cilé,  p.  21G. 

(3)  GcsTAV  EùscuEH,  l'ie  Vergiftiuig  des  Geistes  als  Ursache  des  Krieges  unddev 


208  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

ce  programme,  rempli  d'attrait  pour  les  seigneurs  du  haut 
commerce  et  les  généraux,  devait  indisposer  le  simple  soldat. 
Que  lui  offrait-on  en  échange  du  sacrifice  de  sa  vie  ?  Les 
miettes  du  festin  auquel  s'attablaient  les  riches.  Aussi  trou- 
vait-on sur  les  parois  des  tranchées  des  inscriptions  telles  que 
celle-ci   : 

Wir  kàmpfen  nicht  fiir  Deutschlands  Ehf  ! 
Wir  kàmpfen  fur  die  Millionàf  ! 

(Nous  ne  combattons  pas  pour  l'honneur  de  l'Allemagne, 
nous  combattons  pour  les  millionnaires.) 

Cela  se  passait  en  1917,  dans  un  temps  oii  l'Allemagne 
pouvait  encore  se  croire  victorieuse.  Quel  devait  être  l'état 
d'esprit  des  troupes  après  trois  mois  de  revers  à  peu  près 
ininterrompus  ?  Certes,  il  faut  le  dire  à  l'honneur  de  la  nature 
humaine,  bien  des  soldats  allemands  se  sont  battus  bravement 
jusqu'au  dernier  jour  ;  mais  qu'il  y  ait  eu  fléchissement  de  la 
discipline,  que  les  hommes  revenant  au  front  après  une  per- 
mission ou  après  la  guérison  de  leurs  blessures  y  aient  apporté 
un  mauvais  esprit,  que  les  formations  nouvelles  aient  eu  fort 
peu  d'ardeur  guerrière,  ou  même  la  résolution  bien  arrêtée  de 
se  rendre  sans  combat,  c'est  ce  que  nous  savons  par  de  nom- 
breux témoignages  au  nombre  desquels  nous  citerons  celui 
du  kronprinz  (1).  Aussi  la  demande  faite  par  Ludeiidorff,  à  la 
date  du  17  octobre,  de  600.000  hommes  de  renfort,  ne  pouvait- 
elle  guère  être  ou  paraître  inspirée  que  par  le  désir  de  sauver 
son  prestige  personnel,  et  celui  du  haut  commandement,  de  se 
faire,  comme  on  disait  jadis,  blanc  de  son  épée.  «  Avec  ces 
600.000  hommes  que  le  cabinet  pusillanime,  présidé  par  le 
prince  Max  de  Bade,  m'a  refusés,  je  sauvais  tout  »,  voilà  ce 
que  déclare  après  coup,  Ludendorff  ;  donc  c'est  le  gouverne- 
ment civil  qui  est  la  cause  de  notre  ruine  (2).  Mais  l'attitude  du 

JîeDo^M/jow (L'empoisonnement,  de  l'esprit,  cause  de  la  guerre  et  delà  révolu- 
tion), p.  123. 

f  jl)  Nous  avons  reçu  des  hommes  de  remplacement  qui,  dès  le  jour  du 
départ,  étaient  bien  résolus  à  lever  les  bras  en  l'air  à  la  première  occasion, 
dit  le  kronprinz.  Erinnerungen,  herausgegeben  von  Karl  Rosner  (Souvenirs 
publiés  par  Karl  Rosner),  p.  237. 

(2)  Le  kronprinz  tient  à  peu  .près  le  même  langage.  Après  avoir  reproduit 
une  note  écrite  par  lui  le  19  octobre,  et  où  il  déclare  l'heure  venue  des  résolu- 
tions héroïques,  il  ajoute  :  «Le  même  jour,  le  général  Ludendorff  soutenait 
à  Berlin  devant  le  cabinet  de  guerre  un  combat  difficile  pour  la  mise  à  exé- 
cution de  desseins  tout  semblables.  Les  jours  qui  suivirent  montrèrent  que 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  209 

général  dans  ce  fameux  conseil  du  17  octobre  fut  loin  d'avoir 
la  fermeté,  la  netteté  qu'il  aurait  fallu.  Payer  la  juge  «  pleine 
de  contradiction  »  (1).  Il  savait  fort  bien,  et  tous  savaient 
comme  lui,  que,  lui  eût-on  accordé,  sur  le  papier,  tout  ce  qu'il 
demandait,  cela  n'eût  rien  changé  à  la  situation,  et,  en  fin  de 
compte,  il  se  rallia,  nous  avons  eu  l'occasion  de  le  dire,  à  l'en- 
voi d'une  troisième  note  au  président  Wilson,  encore  plus  con- 
ciliante que  les  deux  premières. 

Bien  des  mutineries  s'étaient  produites  en  divers  endroits 
quand  une  division  de  la  landwehr,  le  31  octobre,  refusa 
d'obéir  (2).  Trois  jours  avant,  avait  éclaté,  sur  le  vaisseau  de 
ligne  le  Markgraf,  appartenant  à  la  troisième  escadre,  une  ré- 
volte grosse  de  conséquences. 

Déjà,  au  mois  de  juillet  1917,  des  faits  d'une  certaine  gra- 
vité s'étaient  produits  ;  des  velléités  d'insubordination  avaient 
dû  être  réprimées,  quarante  hommes  traduits  devant  des  cours 
martiales,  qui  en  condamnèrent  seize  à  mort.  De  ces  seize, 
deux  furent  exécutés,  les  autres  graciés  à  la  demande  de  l'em- 
pereur (3),  dont  les  amiraux  Scheer  et  Foss,  le  capitaine  de 
corvette  Ferstner,  déplorent  la  faiblesse.  On  s'était  en  même 
temps  efforcé  d'apporter  quelques  allégements  au  service  et 
d'améliorer  l'ordinaire  des  marins  (4).  Une  certaine  fermenta- 
tion subsistait  néanmoins  dans  les  équipages  de  la  flotte  ;  les 
journaux  socialistes,  les  brochures  de  propagande  s'y  répan- 
daient. L'amiral  von  Cappelle,  ministre  de  la  marine,  accusa 
même  formellement  au  Reichstag  le  parti  socialiste  indépen- 
dant, et  nommément  Dittmann,  Vogtherr  et  Haase,de  fomenter 
la  révolte  parmi  les  marins.  Haase  répondit  le  9  octobre 
1917  (5). 
Au  mois  d'octobre  1918,  le  bruit  se  répandit  qu'une  arttaque 

le  gouvernement  ne  pouvait  élever  son  patriotisme  à  ce  niveau.  »  Meine 
Erinnerungen  aus  Deutschl'jnds  Heldenkampf  (Mes  souvenirs  de  la  lutte 
héroïque  soutenue  par  l'Allemagne),  p.  361. 

(1)  Widerspruchsvoll,  Payer,  oî^ur.  cité,  p.  134.  Pour  le  procès-verbal  delà 
séance,  voir   Vorgeschichle  des  Waff'enlilhLands,  n"  51. 

(2)  Payer,  onvr.  cité.j).  153. 

(3)  D'après  Foss,  Entkûlhingen  iiber  den  Zuaammenbruch  (Révélations  sur 
l'effondrement),  p.  26.  Lutz,  dans  son  livre  The  German  Révolution  (La  révo- 
lution allemande)  p.  28,  parle  de  40  condamnations  à  mort  et  de  16  exécu- 
tions ;  nous  croyons  qu'il  y  a  eu  confusion  de  sa  part.  Le  même  auteur  dit 
aussi  que,  dans  ces  mutineries  de  l'été  1917,  plusieurs  officiers  furent  tués  ; 
nous  n'avons  trouvé  dans  aucun  document  allemand  confirmation  de  ce 
fait. 

(4)  NosKE,  Von  Kiel  bis  Kapp,  p.  9. 

(5)  Haase,  Reichstagsreden  (Discours  au  Reichstag),  p.  110. 

16 


2IO  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

dirigée  contre  les  forces  anglaises  de  la  Manche  et  la  côte 
anglaise  était  projetée  :  il  semble  en  fait  que  des  torpilleurs  et 
des  sous-marins  dussent  'bloquer  les  routes  maritimes  condui- 
sant à  l'embouchure  de  la  Tamise  et  couler  les  navires  de 
transport  ennemis,  tandis  que,  pour  couvrir  cette  attaque,  la 
flotte  allemande  de  haute  mer  offrirait  le  combat  à  la  flotte 
anglaise.  Bien  que  ce  projet  un  peu  tardif  ne  fût  connu  que 
des  plus  grands  chefs,  les  préparatifs  ne  passèrent  pas  inaper- 
çus et  soulevèrent  une  véritable  indignation.  On  veut  nous 
conduire  à  l'abattoir  pour  la  plus  grande  gloire  de  l'empereur 
Guillaume  !  tel  fut  à  peu  près  le  sentiment  des  marins  ;  ce  qui 
pouvait  subsister  encore  de  loyalisme  ne  résista  pas  à  cette 
épreuve.  L'équipage  du  Markgraf,  quand  l'ordre  fut  donné 
d'appareiller,  refusa  de  lever  l'ancre,  et  les  chauffeurs  étei- 
gnirent les  feux  (1).  Le  mouvement  se  propagea  sur  d'autres 
navires  de  la  troisième  escadre  concentrée  dans  le  golfe  de  la 
Jade,  près  de  Wilhelsmhaven.  Les  mécontents  votèrent,  le 
30  octobre,  la  résolution  suivante  :  «  Si  les  Anglais  nous 
attaquent,  nous  agirons  en  braves  gens  et  défendrons  nos 
côtes  jusqu'à  la  dernière  extrémité  ;  mais  nous  refusons 
d'attaquer.  Nous  éteindrons  les  feux  si  l'on  veut  nous  mener 
plus  loin  qu'Héligoland,  » 

Cette  résolution,  on  l'observera,  n'a  aucun  caractère  poli- 
tique ;  les  marins  se  bornent  à  exprimer  un  sentiment  qui,  à 
cette  date,  était  celui  de  tous  ou  presque  tous  les  Allemands. 
Assez  de  sacrifices  inutiles  !  Nous  voulons  bien  encore  défen- 
dre notre  pays,  mais  qu'on  ne  nous  demande  rien  de  plus. 

Les  marins  insubordonnés  du  vaisseau  de  ligne  Grosser 
Kurfiïrst  furent  mis  en  prison  à  Wilhelmshaven  ;  la  troisième 
escadre  reçut  l'ordre  de  se  rendre  par  le  canal  Kaiser  Wilhelm 
à  Kiel,  où  elle  arriva  le  2  novembre  et  où  de  nouvelles  arres- 
tations eurent  lieu.  Le  dimanche  suivant  —  c'était  le  3  novem- 
bre —  un  grand  rassemblement  de  marins  et  d'ouvriers  se 
forma  sur  le  champ  d'exercices  de  Kiel  ;  des  discours  violents 
furent  prononcés  ;  on  se  forma  en  colonne,  drapeau  rouge 
déployé,  pour  réclamer  la  mise  en  liberté  des  prisonniers.  Une 
collision  sanglante  se  produisit  alors  ;  un  groupe  comprenant 
une  cinquantaine  d'aspirants  et  de  premiers  ou  seconds  maî- 

(1)  D'après  Fbrstner,  Die  Marine  Meuterei  (Les  mutineries  dans  la  marine) 
p.  8,  des  actes  d'insubordination  se  seraient  également  produits  le  30  octobre 
à  bord  du  Thiiringen,  delà  l'"»  escadre,  et  à\x  Helgoiand. 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  211 

très,  SOUS  la  conduite  d'un  officier,  se  porta  à  la  rencontre  des 
mutins  à  l'angle  de  la  Karlstrasse  et  de  la  Brunswickerstrass.:. 
Après  une  sommation  restée  sans  effet,  elle  ouvrit  le  feu  ;  une 
trentaine  d'hommes  furent  blessés,  huit  tués.  Ce  fut  à  peu  près 
la  seule  tentative  de  résistance.  Dès  le  lendemain,  les  rebelles 
étaient  les  maîtres  dans  Kiel  et  sur  la  flotte  ;  les  officiers 
laissaient  faire,  sentant  leur  impuissance  ;  les  couleurs  de  la 
révolution  remplaçaient,  à  bord  des  navires  impériaux,  le  dra- 
peau noir-blanc-rouge. Sur  le  Konlg  cependant,  le  commandant 
et  quelques  officiers  voulurent  s'opposer  à  cette  substitution 
d'emblèmes  :  deux  d'entre  eux  furent  abattus,  et  quelques  au- 
tres blessés.  Les  soldats,  mandés  en  hâte,  étaient  désarmés  à 
leur  arrivée  en  gare  de  Kiel  ;  beaucoup  faisaient  cause 
commune  avec  les  révoltés.  L'amiral  Souclijon,  gouverneur 
de  Kiel,  fut  entièrement  surpris  par  la  révolte  et  s'aban- 
donna aux  événements  (1).  Il  ne  tarda  d'ailleurs  pas  à  être 
remplacé  par  le  socialiste  Noske.  L'attitude  du  gouverne- 
ment ressembla  fort  à  celle  de  l'amiral.  Un  membre  du 
cabinet,  Haussmann,  fut  envoyé  à  Kiel,  le  4,  pour  juger  de 
la  situation.  Il  revint  le  5,  et  dit  à  ses  collègues  qu'une 
«  amnistie  générale  »  (2)  devait  être  accordée  aux  rebelles. 
En  fait,  il  avait  accepté  la  veille,  et  s'était  engagé  à  faire 
accepter  par  le  gouvernement,  un  certain  nombre  de  re- 
vendications :  toutes  l.es  mesures  militaires  prises  pour 
arrêter  le  mouvement  devaient  être  rapportées  ;  les  conseils 
d'ouvriers  et  de  soldats  auraient  qualité  pour  ordonner  la  mise 
en  liberté  des  personnes  non  encore  relâchées  (3).  La  proposi- 
tion de  Haussmann  parut  d'abord  inadmissible  à  plusieurs  de 

(1)  Noske,   Von  Kiel  bis  Kapp,  p.   12. 

(2)  C'est  le  terme  dont  use  Payeu,  ouvr.  cilê,  p.  156. 

(3)  Le  Conseil  des  soldats  avait,  en  outre,  formulé  un  programme  en 
14  points  (lui  aussi!): 

1.  Mise  en  liberté'  de  toutes  les  personnes  arrêtées  et  des  prisonniers  poli- 
tiques. 

2.  Liberté  complète  de  la  parole  et  de  la  presse. 

3.  Suppression  de  la  censure  postale. 

4.  Traitement  convenable  [Sachr/e masse  Behandllung)  des  hommes  par 
leurs  supérieurs. 

5.  Retour  à  bord  des  navires  et  dans  les  casernes  de  tous  les  hommes,  sans 
qu'ils  aient  à  subir  aucune  punition. 

6.  Le  départ  de  la  flotte  n'aura  lieu  dans  aucun  cas. 

1.  Il  ne  sera  pris  aucune  mesure  de  protection  pouvant  entraîner  etTusion 
de  sang. 

8.  Toutes  les  mesures  nécessaires  à  la  protection  d»s  biens  privés  snront 
ordonnées  par  le  Conseil  des  soldats. 


212  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

ses  collègues  ;  mais,  le  6  au  matin,  elle  fut  agréée  par  tous  (1). 
La  révolte  se  généralisait  ;  des  conseils  de  soldats  se  cons- 
tituaient un  ipeu  partout  (2).  Pas  plus  que  l'armée  de  mer,  si 
longtemps  l'objet  de  la  part  de  l'Empereur  d'une  sollicitude 
particulière,  l'armée  de  terre  ne  semblait  disposée  à  rien  faire 
pour  soutenir  un  régime  que  l'on  sentait  condamné.  Le  gou- 
vernement s'estimait  heureux  quand  des  troupes  relativement 
disciplinées  se  bornaient  à  déclarer  qu'en  aucun  cas,  «  elles 
n'ouvriraient  le  feu  contre  des  compatriotes  »  (3)  ;  il  cherchait 
anxieusement  un  bataillon  composé  d'hommes  sûrs  pour  mon- 
ter la  garde  autour  du  palais  où  il  tenait  séance.  Le  7  novem- 
bre, il  crut  l'avoir  trouvé  :  c'étaient  des  chasseurs  qu'on  fit  ve- 
nir de  Liibben,  Ils  occupèrent  leur  poste  le  8  ;  le  9  au  matin, ils 
avaient  tous  disparu,  ce  qui,  dit  Payer,  «  ne  m'étonna  pas  du 
tout  ;  c'est  le  contraire  qui  m'eiàt  étonné  »  (4).  Le  général 
Linsingen,  commandant  supérieur  de  la  province,  avait,  à  la 
vérité,  dans  un  document  devenu  fameux  (5),  interdit  la  for- 
mation des  conseils  d'ouvriers  et  des  soldats,  prescrit  l'occu- 
pation par  la  force  armée  des  rues  de  Berlin,  coupé  ou  voulu 
couper  toute  communication  avec  le  dehors,  surtout  avec  le 

9.  (Manque  dans  le  texte  que  nous  avons  sous  les  yeux.) 

10.  En  dehors  du  service,  il  n'y  a  plus  de  supérieurs. 

11.  Liberté  personnelle  illimitée  pour  tout  liomme,  depuis  l'achèvement  de 
son  service  quotidien  jusqu'au  commencement  du  suivant. 

12.  Les  officiers  qui  souscriront  aux  mesures  prises  par  le  Conseil  des  sol- 
datsl^seront  les  bienvenus  parmi  nous.  Quant  aux  autres,  ils  n'ont  qu'à  se 
retirer  sans  pouvoir  alléguer  aucune  nécessité  de  service. 

13.  Tout  membre  du  Conseil  des  soldats  doit  être  libéré  de  tout  service. 

14.  Toutes  les  mesures  à  prendre  à  l'avenir  devront  recevoir  rapprobation 
du  Conseil  des  soldats. 

(D'après  la  Kieler  ZeiLung,  5  novembre  1918.) 

(1)  P.WER,  ouvr.  cité.  p.  156. 

(2  Dès  le  8  novembre,  les  prisonniers  et  les  prisonn  ières  (Français  et  Bel- 
ges) détenus  à  Siegburg  étaient  mis  en  liberté  et  assistaient  à  des  scènes  inat- 
tendues :  les  officiers  allemands  servant  à  boire  à  leurs  hommes  et  se  lais- 
sant malmener  par  eux.  (Témoignage  de  M^e  Léonie  van  Iloutte.) 

(3)  Payer,  ouvi\  ciL(^,  p.   160. 

(4)  Ibid,  p.  161.  Nous  trouvons  dans  un  journal  consen-ateur  l'indication 
suivante  :  «  Le  bataillon  de  chasseurs  n"  4  (Vlarburg)  qui  avait,  il  y  a  quel- 
ques jours,  été  transporté  à  Berlin  pour  y  réprimer  des  troubles  éventuels 
et  qui  occupait  avec  des  mitrailleuses  les  bâtiments  publics  ainsi  que  les 
principales  places  de  la  ville,  a  passé  au  peuple  aujourd'hui.  Des  députa- 
tions  de  ce  corps  ont  déclaré  aux  chefs  du  parti  socialiste  que  les  soldats  ne 
tireraient  pas  sur  le  peuple...  Les  soldats  du  régiment  de  grenadiers  Empe- 
i-eur  Alexandre  se  sont  prononcés  dans  le  même  sens.  Dans  les  autres  corps, 
des  délibérations  ont  lieu  en  ce  moment.  » 

(5)  Cette  ordonnance  prétendait  «  interdire  la  révolution  »  {Révolution  ver. 
boten  .'). 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  213 

littoral  de  la  Baltique  et  de  la  mer  du  Nord  en  pleine  efferves- 
cence révolutionnaire  ;  mais,  deux  jours  après,  une  nouvelle 
ordonnance,  signée  de  lui,  invitait  la  garnison  de  Berlin  à  ne 
pas  faire  usage  de  ses  armes. 

L'opinion  des  meilleurs  juges  est  que  ce  général  pouvait 
s'épargner  la  peine  de  rapporter  ses  ordres  précédents  puis- 
que la  troupe  était  décidée  à  ne  pas  obéir  (1). 

Que  devenait  Guillaume  cependant,  ce  Guillaume  que  tous 
ou  à  peu  près  tous  en  Allemagne  s'accordaient  à  trouver  fort 
gênant  ?  Le  29  octobre,  Scheidemann,  dans  une  lettre  adressée 
au  chancelier,  avait  formellement  demandé  que  l'Empereur 
fût  invité  «  à  abdiquer  volontairement  »  (2).  Le  30,  le  chance- 
lier obtint  de  lui  qu'il  retirât  sa  lettre  en  lui  promettant  une 
décision  très  prompte  ;  mais,  pour  que  cette  promesse  fût 
tenue,  il  aurait  fallu  que  Guillaume  fût  à  Berlin.  Or,  le  29, 
sans  même  prévenir  le  chef  de  son  gouvernement  (3),  Guillau- 
me avait  brusquement  quitté  sa  capitale  et  s'était  rendu  au 
Grand  Quartier  Général.  Son  «  abdication  volontaire  »,  à  la 
date  du  30  octobre  ou  du  l'"''  novembre,  eût-elle  rendu  possible, 
comme  le  disait  Scheidemann  dans  sa  conversation  avec  le 
prince  Max,  le  maintien  de  la  monarchie  ?  Il  est  difficile,  après 
coup,  de  l'affirmer  ;  du  moins  se  fût-elle  mieux  conciliée  avec 
la  dignité  impériale.  Du  30  octobre  au  9  novembre,  l'empereur 
Guillaume  ne  cessa  de  recevoir  des  messages  l'invitant  très 
respectueusement  à  s'en  aller  de  son  plein  gré  ;  le  9,  il  finit 
par  se  décider  à  prendre  le  train  de  Hollande  ;  mais  il  était 
trop  tard.  Les  ministres  socialistes,  las  d'attendre,  avaient 
donné  leur  démission  dans  la  matinée,  avant  l'arrivée  du  télé- 
gramme annonçant  la  fuite  de  l'empereur  (4).  La  foule  se 
pressait  autour  du  palais  oiî  siégeait  le  gouvernement.  Un  peu 

(1)  Payer,  ouvr.  cité,  p.  161.  Scheinino,  Das  ersle  Jahr  der  deutschen  Révo- 
lution, p.  27.  Voir  aussi  la  note  4  de  la  page  212. 

(2)  Scheidemann,  Der  Ziisammenbruch,  p.  202. 

(3)  Le  chancelier  n'eut  connaissance  de  ce  départ  qu'à  l'instant  même  où  il 
s'effectuait  ;  il  tenta,  sans  succès,  de  téléphoner  pour  l'empêcher.  Payer,  owiw. 
cité,  p.  146. 

(i)  La  lettre  de  démission  de  Scheidemann  est  du  9,  un  peu  après  neuf 
heures  (Scheidemann,  ouvr,  ciLé,  p.  20S).  D'après  Luiz,  oxivr.  cité,  p.  43,  le 
prince  Max  aurait  de  sa  propre  initiative  annoncé  que  l'empereur  abdique- 
rait; Guillaume,  apprenant  cette  nouvelle,  aurait  dit  alors  :  «  Je  reste  roi  de 
Prusse  et  je  suis  au  milieu  de  mes  troupes  »,  mots  reproduits  dans  la  Dcui- 
scheTageszeituno  du29  juillet  1919.  Mais  ces  troupes  elles-mêmes,  Guillaume 
dut  le  reconnaître,  n'étaient  nullement  disposées  à  se  battre  «  pour  le  roi  de 
Prusse  I.  Voir  note  2  de  la  page  212. 


2JA  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

après  midi,  les  délégués  du  parti  socialiste  se  faisaient  annon- 
cer, et  le  chancelier  donnait  ordre  de  les  introduire.  En  pré- 
sence de  plusieurs  autres  membres  du  cabinet,  Ebert  déclara 
avec  calme,  mais  très  fermement,  que,  dans  l'intérêt  de  l'ordre 
public,  son  parti  jugeait  nécessaire  la  remise  du  pouvoir,  et  en 
particulier  des  fonctions  de  chancelier,  aux  mains  «  d'hommes 
ayant  la  confiance  du  peuple  ».  Le  prince  Max  répondit  que 
le  cabinet  allait  examiner  la  situation.  En  fait,  il  se  retira  dans 
une  pièce  voisine,  et,  dès  ce  moment,  Ebert,  l'ancien  ouvrier 
sellier,  fils  d'un  tailleur  de  Heidelberg,  fut  appelé  Herr  Reichs- 
kanzler  (Monsieur  le  chancelier  de  l'Empire).  Dans  l'après-mi- 
di, vers  deux  heures,  Sheidemann,  d'un  balcon  du  bâtiment, 
proclama  la  République  :  «  Le  peuple  alim.and  a  vaincu  sur 
toute  la  ligne  Le  vieil  édifice  vermoulu  s'est  effondré,  c'en  est 
fait  du  militarisme.  Les  Hohenzollern  ont  abdiqué.  Vive  la 
République  allemiande  (1)  !  » 

Ce  qui  frappe  dans  cette  histoire,  dans  la  scène  entre  Ebert 
et  le  prince  Max  en  particulier,  c'est  son  peu  d'intérêt  drama- 
tique :  il  n'y  a  plus  deux  volontés  qui  s'affrontent,  tout  le 
monde  est  d'accord  pour  reconnaître  que  le  régime  impérial  a 
déjà  cessé  d'exister.  «  Si  j'avais  eu  le  loisir,  dit  Payer,  de 
me  représenter  par  avance  l'événement,  certes  je  me  serais 
fait  une  autre  image  d'un  aussi  prodigieux  bouleversement  ; 
c'eût  été  plus  violent,  cela  eût  moins  ressemblé  au  règlement 
tranquille  d'une  affaire.  Mais,  eu  égard  au  train  dont  allaient 
les  choses,  j'eus  l'impression,  le  9  novembre,  que  cet  événe- 
ment ne  pouvait  se  passer  que  de  cette  façon  très  peu  drama- 
tique...   Le    Grand    Quartier    Général    excepté    (2),    il    était 

(1)  D'après  ScHEraixo,  ouvv.  cité.  Nous  trouvons  un  texte  de  môme  sens, 
avec  quelques  modifications  légères  de  forme,  dans  les  journaux  du  temps. 
VoirAHXERT,  Die  Eniwicklung  der  deutschen  Révolution  (Le  développement 
de  la  révolution  allemande),  p.  190. 

(2)  Cette  exception  même  que  fait  Payer  ne  nous  paraît  pas  très  justifiée. 
Si  nous  en  croyons  le  lieutenant-colonel  Niemann,  témoin  bien  renseigné,  le 
général  von  Groener  qui  avait  remplacé  Ludendorff,  dit  à  l'empereur  :  «  L'ar- 
mée rentrera  dans  le  pays  en  bon  ordi'e  et  tranquillement,  mais  ce  ne  sera 
pas  sous  la  conduite  de  Votre  Majesté  ».  Guillaume, irrité,  de  répondre  :  «  Je 
veux  que  tous  les  généraux  ayant  un  commandement  déclarent  que  l'armée 
abandonne  son  chef  suprême.  Ne  m'a-t-elle  pas  prêté  serment  de-fidélité?» 
Là-dessus  le  général  von  Groener  exprima  cette  opinion  que  «  la  situation 
étant  donnée,  il  n'y  avait  plu.=5  là.  qu'une  fiction  » .  Niemann,  Kaiser  und  Révo- 
lution, p.  135.  Même  langage  ou  à  peu  près  lui  est  attribué  par  Menke-Glûc- 
kert,  Die  November  Révolution  4918,  p.  58.  Au  cours  d'une  réunion  que  tinrent 
à  Spa,  le  8  novembre,  des  officiers  supérieurs  et  généraux,  il  fut  reconnu 
qu'on  ne  pouvait  compter  sur  l'armée  pour  combattre  la  révolution.  Le  colo- 
nel Heye  fut  chargé  de  le  faire  savoir  à  l'empereur.  (Lutz,  ouvr.  cité,  p.  43.) 


L'AGONIE  DE  L'ALLEMAGNE  IMPÉRIALE  21 5 

parfaitement  clair  pour  tous  que,  le  9  novembre  à  midi, 
l'effondrement  de  la  monarchie  et  la  transmission  du  pouvoir 
aux  mains  populaires  étaient  un  fait  accompli  ;  il  n'y  avait 
plus  qu'à  l'enregistrer  aussi  simplement  que  possible  (1).  » 

De  résistance,  il  n'y  en  eut  nulle  part,  pas  plus  à  Berlin  qu'à 
Miinîch,  oij  la  République  avait  été  proclamée  la  veille,  et 
dans  les  autres  capitales  d'Etats  allemands.  On  tira  bien  quel- 
ques coups  de  fusils  dans  la  rue  ;  mais,  autant  qu'on  en  peut 
juger,  ce  ne  fut  pas  pour  vaincre  la  contre-révolution,  dont  les 
partisans  se  tinrent,  ce  jour-là,  parfaitement  cois.  Ce  fut  par 
besoin  de  faire  du  bruit  ou  pour  célébrer  la  victoire  populaire. 
Dans  la  nuit  du  9  au  10,  des  attroupements  se  formèrent  à 
Berlin,  devant  la  gare  dite  de  Potsdam  ;  le  bruit  circula  que 
des  troupes  fidèles  au  roi  allaient  arriver  de  Potsdam  pour 
mettre  les  Berlinois  à  la  raison.  Attente  vaine  :  on  ne  vit  sur 
la  grande  place  que  quelques  rares  spectateurs,  et  les  dames 
peu  farouches  qui  ont  accoutumé  d'y  chercher  fortune  (2). 
Un  auteur  que  nous  avons  déjà  cité,  l'officier  de  carrière  au- 
quel nous  devons  un  livre  sur  «  la  grande  guerre  suivant  une 
interprétation  de  l'histoire  tirée  des  sciences  naturelles  »,  qua- 
lifie la  révolution  de  novembre  de  «  révolution  des  estomacs  » 
{Magenr évolution).  L'esprit,  dit-il,  n'y  eut  aucune  part  ;  il  ne 
s'agissait  pas  de  droits  nouveaux  à  revendiquer,  de  principes" 
à  proclamer.  En  un  sens,  cela  n'est  pas  tout  à  fait  inexact,  car 
il  est  bien  certain  que  la  faim  a  été  l'une  des  causes  directes 
de  la  révolution.  Mais  nous  trouvons  encore  plus  juste  cette 
appréciation  d'un  autre  Allemand  :  «  Ce  ne  fut  pas  une  révo- 
lution dans  laquelle  une  force  ait  été  refoulée  par  une  autre  ; 
ce  fut  l'effondrement  spontané  d'un  ordre  de  choses  ancien 
qui  ne  pouvait  plus  se  soutenir  lui-même  (3).  » 

Le  fait  qu'ouvriers  et  soldats  ont  vaincu  ou  paru  vaincre 
sans  combat,  le  9  novembre,  était  de  nature  à  inspirer  de  la 
méfiance  quant  à  l'avenir.  Une  victoire  trop  facile  remportée 
sur  un  régime  agonisant  eut,  pour  le  parti  de  la  révolution, 
l'effet  qu'on  pouvait  prévoir  ;  il  se  décomposa-,  et  les  forces 
contre-révolutionnaires,  sous  des  noms  nouveaux,  ne  tardèrent 
pas  à  redevenir  menaçantes. 

Ch.  Appuhn. 

(1)  Pater,  ouvr.  cité,  pp.  165-i66. 

(2)  ScHEiNixo,  oiivi'.cilé,  p.  29. 

(3)  HAKTu.xG,daas  Politisches  Handwôrterbuch  (Dictioanoire  politique),  t.  Il, 
p.  416. 


La  Campagne  de  Tarmëe  russe 
sur  la  Vistule  au  mois  d'octobre  1914* 


Le  présent  article  est  un  extrait  de  quelques  chapitres  de 
mon  livre  :  La  Russie  pendant  la  première  année  de  la 
Guerre  mondiale,  qui  doit  paraître  bientôt  en  russe.  Etant 
donné  que  le  lecteur  français  qui  s'intéresse  aux  événements 
de  la  Grande  Guerre  n'est  généralement  au  courant,  en  ce  qui 
concerne  le  front  russe,  que  des  opérations  contemporaines  de 
l'épopée  de  la  Marne,  j'ai  spécialement  préparé  cet  article 
pour  les  lecteurs  de  la  Revue  de  l'Histoire  de  la  Guerre 
Mondiale  dans  l'idée  qu'il  serait  peut-être  intéressant  pour 
eux  de  connaître  aussi  les  événements  postérieurs  à  cette  épo- 
que. —  Notre  opération  de  Varsovie  notamment  avait  ouvert 
aux  armées  russes  les  voies  d'une  offensive  sur  la  rive  gauche 
de  la  Vistule,  offensive  attendue  en  France,  en  Belgique  et  en 
Angleterre  avec  le  plus  vif  intérêt. 

I 

Après  la  défaite  qu'elles  avaient  subie  sur  la  Marne, les  trou- 
pes allemandes  purent  bien  vite  s'arrêter  sur  les  positions  de 
l'Aisne,  où  elles  se  fixèrent.  Dans  un  délai  très  court,  ces 
positions  acquirent  le  caractère  de  fortifications. 

Devant  nos  alliés  s'ouvrait  donc  la  perspective  d'une  «  guer- 
re de  positions  »,  que  l'on  pouvait  prévoir  bien  longue. D'après 
les  renseignements  de  notre  ambassadeur  à  Paris,  M.  Isvolski, 
le  Commandant  en  Chef  de  l'armée  française,  le  général  Joffre, 
annonçait  à  son  gouvernement,  après  la  bataille  de  la  Marne, 
que  les  succès  de  ses  armées  «  seraient  mesurés  dorénavant 
non  pas  par  dizaines  de  kilomètres,  ni  même  par  kilomètres. 


LA  CAMPAGNE  DE  L'ARMÉE  RUSSE  SUR  LA  VISTULE  217 

mais  par  simples  mètres  ».  D'ailleurs,  même  ces  succès  modes- 
tes ne  furent  que  temporaires.  Les  opérations  actives  se  firent 
de  plus  en  plus  rares,  et  il  s'établit  sur  le  front  français  comme 
une  sorte  d'état  d'équilibre. 

En  même  temps,  on  apprenait  que  les  Allemands  se  por- 
taient rapidement  vers  le  Nord  en  menaçant  à  nouveau  d'en- 
cercler nos  alliés  par  leur  flanc  gauche,  et  manifestaient  l'in- 
tention d'aller  jusqu'à  la  limite  naturelle  du  front  territorial 
de  l'ouest,  c'est-à-dire  jusqu'au  littoral.  Si,  avant  la  bataille 
de  la  Marne,  c'était  Paris  qui  était  menacé  d'une  invasion 
ennemie,  un  danger  tout  nouveau  se  révélait  maintenant  pour 
les  bases  navales  anglaises  les  plus  rapprochées  sur  le  conti- 
nent, celles  de  Calais  et  de  Boulogne.  Au  cas  où  ces  points  se- 
raient tombés  aux  mains  des  Allemands,  les  Anglais  auraient 
été  obligés  de  reporter  leurs  bases  plus  loin  au  fond  de  la 
Manche,  et  les  Allemands  auraient  eu  un  théâtre  beaucoup 
plus  vaste  pour  l'activité  de  leurs  sous-marins,  ainsi  que  la 
possibilité  de  menacer  d'une  façon  immédiate  les  côtes  an- 
glaises. 

Les  Allemands  s'étant  répandus  vers  le  Nord,  nos  alliés 
furent  également  obligés  d'étendre  de  plus  en  plus  deur  front, 
et  par  cela  même  de  l'affaiblir,  en  transportant  des  troupes 
dans  les  directions  nouvellement  menacées.  Cette  contre-ma- 
nœuvre était  d'autant  plus  difficile  que  les  troupes  fran- 
çaises avaient  subi  dans  les  dernières  batailles  des  pertes  très 
considérables. 

Dans  ces  conditions,  il  n'y  avait  guère  d'espoir  d'entrepren- 
dre dans  un  délai  assez  rapproché  des  opérations  actives 
sérieuses. 

L'excellent  canon  de  campagne  français  (le  célèbre  75  m/m) 
a  prouvé  indubitablement  sa  supériorité  sur  l'artillerie  légère 
allemande.  Mais  les  batailles  modernes,  et  surtout  celles  ayant 
un  caractère  oiïensif,  demandent,  en  outre  de  l'artillerie  légère, 
la  présence  sur  le  champ  de  bataille  de  calibres  plus  puissants, 
capables  de  frayer  la  route  à  l'infanterie  à  travers  les  posi- 
tions fortifiées  de  l'adversaire.  Or,  l'armée  française  était  loin 
de  pouvoir  se  croire  dotée  de  cette  sorte  d'artillerie  ;  pour 
combler  ce  défaut  d'armements,  il  fallait  aussi  un  temps 
assez  prolongé.  Au  surplus,  après  les  combats  de  la  Marne, 
l'armée  française  commençait  déjà  à  souffrir  du  manque  de 
munitions  d'artillerie,  dont  la  dépense  dans  les  batailles  qui 


2r8  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

avaient  eu  lieu  avait  surpassé  les  calculs  les  plus  audacieux.  Il 
fallait  mettre  debout  toute  l'industrie  afin  de  répondre  aux 
besoins  ultérieurs  sous  ce  rapport.  Mais  les  efforts  les  plus 
opiniâtres  ne  pouvaient  donner  le  résultat  nécessaire  que  dans 
un  certain  laps  de  temps. 

Tout  un  concours  de  circonstances  rendait  donc  indispen- 
sable un  arrêt  plus  ou  moins  prolongé  dans  les  opérations 
actives  de  nos  alliés.  Et  cela  d'autant  plus  que  l'armée  bri- 
tannique était  encore  bien  loin  d'être  formée,  et  que  les  trou- 
pes belges  avaient  besoin  d'un  certain  repos  après  l'effort 
énorme  qu'elles  venaient  de  fournir.  Il  était  évident  que  les 
Allemands  pouvaient,  en  profitant  de  cet  arrêt,  faire  une  nou- 
velle tentative  pour  reprendre  l'initiative  des  opérations,  en 
faisant  venir,  dans  ce  but,,  de  nouvelles  forces  qui  étaient  en 
formation,  comme  nous  le  savions,  à  l'intérieur  de  l'Alle- 
magne. 

Il  était  bien  naturel  que  nos  alliés,  cherchant  une  issue  à  la 
situation  difficile  qui  vient  d'être  exposée,  tournassent  leurs 
pensées  de  notre  côté.  Au  milieu  de  septembre  déjà,  quand 
nos  armées  s'étaient  approchées,  dans  leur  offensive  victo- 
rieuse sur  le  front  galicien,  du  fleuve  San,  le  gouvernement 
français  s'était  adressé  à  notre  ministre  des  affaires  étran- 
gères, M.  Sasonov,  en  exprimant  l'espoir  que  nos  opérations 
seraient  transportées  sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule  afin  d'ac- 
célérer une  offensive  vers  l'intérieur  de  l'Allemagne.  M,  Saso- 
nof  répondit  que  cette  offensive  que  l'on  attendait  de  notre 
part  serait  sans  aucun  doute  entreprise,  à  son  avis,  aussitôt 
que  nos  armées  auraient  terminé  l'offensive  contre  les  Autri- 
chiens ;  il  fit  comprendre,  en  même  temps,  qu'il  ne  croyait 
pas  qu'il  lui  serait  possible  d'influer  d'une  manière  quelconque 
sur  les  décisions  de  notre  Commandant  en  Chef  suprême  qui 
devait  disposer,  dans  l'intérêt  de  son  œuvre,  d'une  liberté  d'ac- 
tion complète.  M.  Sasonov  ajouta  que,  selon  lui,  c'était  aux 
Commandants  en  Chef  suprêmes  des  armées  alliées  seuls  que 
devait  revenir  la  possibilité  de  se  concerter  sur  les  questions 
touchant  les  opérations  de  guerre  et  leur  concordance  mu- 
tuelle. 

Il  faut  constater  ici  ce  fait  regrettable  que,  lors  des  con- 
sultations qui  avaient  eu  lieu  avant  la  guerre  entre  les  chefs  des 
Etats-Majors  des  armées  alliées,  on  n'avait  même  pas  évoqué 


I 


LA  CAMPAGNE  DE  L'AR-MÉE  RUSSE  SUR  LA  VISTULE  219 

une  seule  fois  la  question  de  l'unité  du  commandement,  pas 
plus  que  des  moyens  nécessaires  à  assurer  la  concordance  des 
opérations  pendant  la  guerre.  Il  est  vrai  que  les  Alliés  devaient 
agir  séparés  par  une  distance  très  grande,  mais  ce  fait,  tout 
en  compliquant  la  réalisation  des  opérations  concordantes, 
n'en  éliminait  certes  aucunement  la  nécessité.  Or,  cette  ques- 
tion d'une  importance  primordiale,  —  question  bien  délicate, 
il  est  vrai,  pour  toutes  les  coalitions,  —  n'était  pas  réglée. 
C'est  bien  dans  cette  circonstance  que  se  trouve,  sans  aucun 
doute,  le  germe  de  la  faiblesse  de  toutes  les  opérations  des 
Puissances  alliées,  et  nos  adversaires  en  profitaient  largement 
en  portant  leurs  coups  successivement  tantôt  d'un  côté,  tantôt 
de  l'autre. 

Dans  CCS  conditions,  notre  ministre  des  affaires  étrangères 
avait  pleinement  raison  en  signalant  qu'une  meilleure  coor- 
dination des  efforts  communs  ne  pouvait  être  atteinte  qu'en 
établissant  des  relations  directes  et  une  confiance  mutuelle 
entre  les  chefs  des  deux  armées.  Le  Commandant  en  chef 
suprême  de  l'armée  russe  était  tout  pénétré  de  la  nécessité  de 
coordonner,  dans  les  iniérêts  de  la  cause  commune,  ses  opé- 
rations avec  celles  de  nos  Alliés,  et  il  n'y  a  aucun  doute  que 
si  le  généralissime  français  s'était  adressé  à  lui,  sa  démarche 
aurait  trouvé  un  écho  des  plus  chaleureux. 

Le  transfert  des  opérations  de  guerre  sur  la  rive  gauche  de 
la  Vistule  faisait,  dès  les  premiers  jour  de  la  guerre,  partie  des 
projets  étudiés  par  notre  «  Stavka  ». 

Mais  il  faut  considérer  que  l'offensive  dans  cette  région,  — 
telle  qu'elle  était  envisagée,  —  supposait  une  solution  satis- 
faisante de  nos  opérations  offensives  sur  les  flancs  de  notre 
front  stratégique  en  Prusse  Orientale  et  en  Galicie  (1).  Or,  à 
ce  moment,  la  situation  s'était  de  beaucoup  compliquée,  puis- 
que non  seulement  la  Prusse  orientale  était  restée  aux  mains 

(1)  La  configuration  de  la  frontière  donnait  à  la  rive  gauche  de  la  Vistule 
une  importance  considérable  :  c'était  une  sorte  de  bastion  avancé,  d'où  il 
était  possible  de  lancer  une  offensive  en  direction  de  Berlin.  Mais  l'Etat-ma- 
jor  russe,  en  plein  accord  avec  l'Etat-major  français,  considérait  qu'un 
déploiement  stratégique  dans  cette  région  comporterait  trop  de  risques. 
L'idée  directrice  du  plan  de  campagne  russe  avait  donc  été  de  pousser  l'atta- 
que, tout  d'abord,  en  Prusse  Orientale  et  en  Galicie.  Dans  le  cas  où  ces  opé- 
rations auraient  été  couronnées  de  succès,  on  projetait  de  faire  passer  ulté- 
rieurement sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule  près  de  vingt  corps  d'armée, 
pour  en  faire  le  point  de  départ  d'une  grande  offensive. 


220  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

des  Allemands,  mais  que  nos  armées  du  front  Nord-Ouest 
avaient  subi  des  pertes  considérables.  Quant  au  flanc  gauche 
de  notre  front  stratégique,  les  armées  autrichiennes  et  hon- 
groises, tout  en  ayant  subi  sur  ce  front  une  défaite  très  sé- 
rieuse, avaient  tout  de  même  réussi  à  éviter  l'encerclement  et  à 
se  fixer  sur  les  routes  conduisant  à  Cracovie,  d'où  elles  pou- 
vaient être  transportées,  par  chemin  de  fer,  dans  n'importe 
quelle  direction.  Etant  donné  cette  situation  sur  les  flancs,  une 
offensive  dans  la  section  centrale  du  front  stratégique  présen- 
tait un  certain  élément  de  risque.  Risque  qui  ne  pouvait  être 
compensé  qu'en  rapportant  un  succès  décisif  sur  le  champ  de 
bataille. 

L'écrasement  des  forces  armées  de  l'ennemi  est,  en  effet, 
capable,  comme  on  le  sait,  de  compenser  tous  les  défauts  d'une 
situation  stratégique,  et  il  est  évident  que,  dans  le  cas  où  l'ar- 
mée allemande  sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule  aurait  été 
écrasée,  la  question  de  la  Prusse  Orientale  aurait  cessé  par 
là  même  d'exister,  liée  étroitement  qu'elle  était  avec  la  ques- 
tion du  renforcement  de  notre  flanc  droit.  Mais  il  ne  faut 
pas  oublier  aussi  que,  dans  les  conditions  de  développement 
normal  de  toute  opération  de  guerre,  la  bataille  n'est  que  le 
dernier  acte  ;  ses  résultats  sont  sujets  à  l'influence  de  toutes 
sortes  d'éventualités,  et  c'est  justement  la  tâche  de  la  stratégie 
de  préparer  pour  la  bataille  la  situation  la  plus  favorable. 

Une  des  conditions  nécessaires  pour  créer  cette  situation 
était  certainement  pour  nous  d'obtenir  de  sérieuses  garanties 
de  la  part  de  nos  Alliés  que  toutes  les  mesures  seraient  prises 
de  leur  côté  pour  fixer  les  Allemands  et  leur  ôter  la  possibilité 
d'effectuer  un  nouveau  transfert  de  troupes  sur  notre  front. 
C'est  pourquoi  le  Commandant  en  chef  suprême  russe,  le 
Grand-Duc  Nicolas  Nicolaïevitch,  jugea  nécessaire,  en  faisant 
au  général  Joffre  une  communication  sur  ses  projets  d'offen- 
sive, de  le  prier  de  se  prononcer  sur  les  deux  questions  sui- 
vantes :  premièrement,  quels  étaient  les  projets  du  Quartier 
Général  Français  pour  le  cas  où  les  Allemands  se  décideraient 
à  ne  laisser  sur  le  front  français  que  les  forces  les  plus  indis- 
pensables, en  jetant  tout  \e  reste  sur  notre  front  et  seconde- 
ment, le  général  Joffre,  d'accord  avec  la  tâche  qui  lui  avait  été 
assignée  par  son  gouvernement,  considérait-il  comme  but  final 
de  ses  opérations  la  seule  libération  du  territoire  de  la  France 
envahi  par  l'ennemi,  ainsi  que  la  libération  de  l'AIsace-Lorrai- 


LA  CAMPAGNE  DE  L'ARAtÉE  RUSSE  SUR  LA  VISTULE  221 

ne,  OU  son  but  était-il  d'avancer  jusqu'au  Rhin,  ou  même,enfin, 
d'entrer  en  Allemagne.  La  réponse  à  ces  questions  nettes  arriva 
vers  le  20  septembre,  et  notamment  dans  ce  sens  :  déjà  les 
combats  qui  étaient  en  cours  sur  le  flanc  gauche  du  front  fran- 
çais ôtaient  aux  Allemands  la  possibilité  de  faire  transporter 
des  forces  considérables  sur  le  front  Est,  et  de  plus,  si  les  ren- 
contres en  question  étaient  favorables  aux  Français,  l'offen- 
sive qui  en  résulterait  ne  serait  arrêtée  en  aucun  cas  ni  sur  la 
ligne  du  Rhin,  ni  sur  aucune  autre  ligne. 


II 

Au  fur  et  à  mesure  que  nos  armées  du  front  du  Sud-Ouest 
s'enfonçaient  dans  la  Galicie  Orientale,  leur  front  devenait 
de  moins  en  moins  large,  par  suite  des  conditions  géographi- 
ques :  au  nord,  la  direction  que  prend  la  Vistule  en  amont  du 
confluent  du  fleuve  San,  et,  au  sud,  la  ligne  des  Karpathes. 
Dans  ces  conditions, il  était  nécessaire  de  ramener  une  certaine 
quantité  de  troupes  qui  devenaient  superflues  afin  de  les  faire 
agir  dans  de  nouvelles  directions.  C'est  pourquoi  après  la  re- 
traite des  Autrichiens  vers  le  fleuve  Visloka,  une  seule  armée 
(la  9^),  sur  un  total  de  cinq  constituant  à  ce  moment  les  forces 
du  front  Sud-Ouest,  fut  poussée  en  avant  pour  poursuivre  les 
Autrichiens  ;  les  quatre  autres  armées  (la  4",  la  5%  la  S*"  et  la  S*") 
furent  arrêtées  provisoirement  sur  le  San,  d'oii  l'on  se  propo- 
sait de  les  transporter,  en  partie,  sur  la  rive  gauche  de  la  Vis- 
tule. D'après  le  projet  de  l'Etat-major  du  front  Sud-Ouest, 
ces  troupes  devaient  passer  la  Vistule  en  amont  du  confluent 
du  San  par  des  ponts  temporaires,  et  marcher  sur  le  fleuve 
Nide  d'abord,  et  sur  le  front  de  Pietrokhov  ensuite. 

Mais  déjà,  depuis  le  milieu  du  mois  de  septembre,  des  bruits 
nous  parvenaient  sur  le  projet  conçu  par  le  Commandement 
allemand  du  ^îont  Est  de  faire  transporter  des  troupes  dans  la 
Haute-Silésie.  Or,  il  fallait  supposer  que  ce  Commandement  se 
doutait  de  nos  projets  et  s'empressait,  par  conséquent,  de 
leur  opposer  une  contre-offensive,  ou  bien  qu'il  avait  jugé  par 
lui-même,  en  étudiant  la  situation  sur  le  front  autrichien,  qu'il 
lui  fallait  venir  en  aide  d'une  façon  plus  énergique  à  son  allié 
défait  en  protégeant  dans  le  même  tetmps  le  territoire  alle- 
mand contre  le  danger  d'être  envahi  par  nos  troupes.  Faisant 


222  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

usage  de  leur  réseau  de  chemins  de  fer  admirablement  déve- 
loppé, les  Allemands  avaient  déployé  dans  un  délai  très  court, 
sur  une  ligne  approximative  Cracovie-Kalisch,  leur  9^  armée, 
composée  de  plus  de  six  corps,  qui  déciancha,  dans  les  derniers 
jours  du  mois  de  septembre,  une  offensive  sur  le  front  Pint- 
chov-Lodz.Dans  le  mêm-e  temps, on  constatait  sur  le  flanc  droit 
de  ce  groupe  de  troupes  allemandes,  depuis  Pintchov  et  jusqu'à 
la  Vistule,  l'offensive  de  la  V  armée  autrichienne  du  général 
Dankl,  transportée  de  la  rive  droite  de  la  Vistule  sur  sa  rive 
gauche.  La  direction  de  cette  opération  offensive  de  nos  ad- 
versaires se  trouvait  entre  les  mains  du  générai  Hindenburg 
et  du  général  Ludendorff,  son  chef  d'Etat-Major. 

Dans  ces  circonstances,  il  devenait  trop  risqué  pour  nos 
troupes  du  front  Sud-Ouest  d'effectuer  un  passage  de  la  Vis- 
tule en  amont  du  confluent  du  San,  par  des  ponts  temporaires, 
dans  la  sphère  d'influence  ennemie.  Il  fallait  de  plus  tenir 
compte  d'une  particularité  caractéristique  de  tout  le  système 
fluvial  de  la  Vistule.  Celui-ci  est  alimenté  principalement  par 
des  eaux  venant  du  versant  septentrional  de  la  chaîne  des  Kar- 
pathes,  et  est  au  sujet  pour  cette  raison  —  surtout  pendant  l'au- 
tomne —  à  des  crues  très  brusques  et  très  fortes,  bien  dange- 
reuses pour  les  ponts  temporaires.  La  réalité  ne  tarda  pas  à 
confirmer  le  bien  fondé  de  ces  appréhensions,  et,  pendant  la 
consolidation  de  nos  armées  sur  le  fleuve  San,  nous  passâmes 
par  une  période  très  critique  :  les  ponts  temporaires  furent 
en  partie  très  sérieusement  endommagés,  de  sorte  qu'il  fallut 
arrêter  pendant  quelques  jours  les  déplacements  de  troupes 
exigés  par  la  situation,  en  attendant  que  le  niveau  des  eaux 
baissât. 

Pendant  que  se  manifestait  sur  la  gauche  de  la  Vistule 
l'offensive  conjuguée  des  forces  de  nos  adversaires,  le  reste 
des  armées  autrichiennes  occupait  la  ligne  du  fleuve  Dounaïetz, 
et  plus  loin  dans  le  sud  les  passages  des  Karpathes,  Quelques 
symptômes  qui  nous  parvenaient  faisaient  croire  "  j'un  déclan- 
chement  d'offensive  était  probable  de  ce  côté  aussi.  L'exemple 
des  Allemands  paraissait  avoir  un  effet  contagieux  sur  les 
Autrichiens,  et  le  Commandant  en  Chef  suprême  autrichien, 
qui  se  trouvait  dans  les  mains  de  l'Archiduc  Frédéric  et  de 
son  chef  d'Etat-Major,  Général  Conrad  von  Hœtzendorff, 
avait  fait  évidemment  pas  mal  d'efforts  pour  remettre  en  ordre 
ses  troupes  réduites  à  un  désarroi  complet  par  les  défaites 


LA  CAMPAGNE  DE  L'ARAIÉE  RUSSE  SUR  LA  VISTULE 


223 


qu'elles  avaient  subies.  Le  proverbe  qui  dit  :  «  Une  forêt  qui 
n'est  pas  bien  coupée  repousse  toujours  »  se  justifiait  une  fois 
de  plus. 

Les  forces  de  nos  adversaires  qui  s'apprêtaient  à  prendre 
part  à  l'offensive  représentaient,  en  y  comprenant  les  Autri- 
chiens, plus  de  20  corps  d'armée. 

Le  choc  le  plus  dangereux  pour  nous  devait  être  celui  qui  se 
préparait  le  long  de  la  rive  gauche  de  la  Vistule.  C'est  bien 
ici,  sur  cette  rive,  que  s'était  déployé  notre  adversaire  prin- 
cipal, c'est-à-dire  les  Allemands  ;  c'est  aussi  de  cette  direction 
que  pouvait  se  développer  une  situation  menaçante  pour  la 
Galicie,  où  étaient  rassemblées  les  forces  de  l'armée  russe.  Mais 
c'était  là  aussi,  sur  cette  rive  gauche  de  la  Vistule,  que  se 
trouvait  le  point  le  plus  vulnérable  de  toute  l'opération  offen- 
sive projetée  contre  nous  par  le  Commandement  germano-au- 
trichien. Le  flanc  gauche  des  Allemands  y  restait  découvert,  et 
c'est  contre  lui  que  notre  contre-offensive  était  toute  indi- 
quée. 

Le  Commandement  suprême  russe  prépara  donc,  en  s'ap- 
puyant  ^ir  cette  considération,  toute  sa  contre-manœuvre,  qui 
devait  réduire  à  l'impuissance  le  plan  offensif  de  nos  adver- 
saires. 

Selon  l'idée  directrice  de  cette  contre-manœuvre,  l'armée 
russe  devait,  en  occupant  fortement  la  ligne  du  fleuve  San  et 
la  section  moyenne  de  la  Vistule,  s'assurer  sur  la  rive  gauche 
de  ce  fleuve  des  places  d'armes  assez  larges  pour  permettre 
un  débouché  ultérieur  des  troupes.  Puis  on  devait  concentrer 
un  groupe  «  de  choc  »  très  fort  sur  le  flanc  droit  de  ce  nou- 
veau front  stratégique  formé  entre  la  Vistule,  près  de  Novo- 
géorgievsk,  et  le  Dniester,  près  de  Staré-Miesto.  Ce  groupe 
«  de  choc  »  devait,  en  passant  sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule, 
attaquer  le  flanc  gauche  découvert  des  Allemands. 

Conformément  à  ce  que  nous  venons  d'exposer,  l'ordre  fut 
donc  donné  au  Commandant  en  chef  du  front  du  Sud-Ouest, 
de  transporter  de  Galicie  sur  la  section  moyenne  de  la  Vistule 
trois  armées  (la  5%  la  4^  et  la  9^),  représentant  l'effectif  de  9  à 
10  corps.  Quant  au  front  du  Nord-Ouest,  il  lui  fut  ordonné 
de  commencer  près  de  Varsovie  la  concentration  de  la  2^  ar- 
mée, composée  au  début  de  quatre  corps  et  ensuite  de  sept 
corps. 

Les  ordres  de  la  Stavka  se  réduisaient,  en  fin  de  compte,  à 


224  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

concentrer,  sur  un  total  de  25  corps  qui  devaient  être  déployés 
sur  le  nouveau  front  le  long  de  la  Vistule  et  du  San,  10  corps 
(lia  2^  et  la  5^  armées),  —  c'est-à-dire  40  0/0  de  toutes  les  'for- 
ces,—  dans  la  région  située  au  nord  de  l'embouchure  du  fleuve 
Pilitza,  pour  attaquer  le  flanc  gauche  découvert  de  l'offensive 
allemande.  Dans  le  but  d'unifier  les  opérations,  toutes  ces 
troupes  furent  mises  sous  les  ordres  du  général  Ivanov,  com- 
mandant en  chef  des  armées  du  front  du  Sud-Ouest.  Quant 
aux  armées  qiii  restaient  en  Galicie  (la  3^  et  la  8^),  on  les  laissa 
sous  le  commandement  du  général  Broussilov,  ce  qui  per- 
mettait de  les  manœuvrer  avec  plus  de  commodité. 

Les  mesures  ainsi  prises  furent  le  point  de  départ  de  la 
manœuvre  par  laquelle  le  Commandement  Suprême  russe  avait 
décidé  de  répondre  à  l'offensive  des  Germano-Autrichiens  vers 
la  partie  mo3^enne  de  la  Vistule  et  vers  le  San. 


iil 

La  mise  en  œuvre  des  ordres  reçus  obligeait  le  front  Sud- 
Ouest  à  effectuer  un  regroupement  de  troupes  très  compliqué, 
faisant  sortir,  tout  d'abord,  de  la  Galicie  trois  armées  (la  5% 
la  4^  et  la  9^).  Or,  une  partie  de  ces  armées,  après  avoir  passé 
le  fleuve  San,  s'était  trouvée  à  ila  fin  du  mois  de  septembre  dans 
une  position  très  avancée  et  était  éloignée  considérablement 
des  lignes  de  chemin  de  fer.  Les  Allemands  et  les  Autrichiens, 
au  contraire,  en  effectuant  leur  offensive  sur  la  rive  gauche 
de  la  Vistule  vers  sa  partie  moyenne,  avaient  l'avantage  des 
plus  courtes  distances.  Nos  armées  qui  devaient  se  déplacer 
le  long  de  la  rive  droite  de  la  Vistule  étaient  donc  obligées 
à  de  très  longues  marches  forcées. 

Le  corps  de  cavalerie  du  général  Novicov,  qui  se  trouvait 
dans  la  région  du  fleuve  Nida,  était  chargé  d'assurer  la  sécu- 
rité de  ces  marches  et  de  retenir  l'adversaire  sur  la  rive  gauche 
de  la  Vistule. 

Les  déplacements  que  devaient  faire  les  armées  du  front 
du  Sud-Ouest  avaient  été  rendus  très  difficiles  par  suite  du 
temps  défavorable  :  beaucoup  de  ponts  sur  le  San, où  l'eau  par 
suite  des  pluies  incessantes  avait  monté  de  plus  d'un  mètre  au- 
dessus  du  niveau  normal,  furent  détruites,  et  les  routes  furent 
mises  dans  un  état  déplorable.  Plusieurs  corps  d'armée  étaient 


LA  CAMPAGNE  DE  L'ARMÉE  RUSSE  SUR  LA  VISTULE  225 

obligés  d'utiliser  les  routes,vu  l'absence  de  lig^nes  de  chemin  de 
fer  ;  quant  aux  corps  qui  devaient  être  transportés  dans  la 
région  d'Ivangorod  et  plus  loin  vers  le  nord,  ce  n'était  qu'à 
Lublin  que  l'on  pouvait  les  embarquer  en  chemin  de  fer,  de 
sorte  qu'ils  étaient  obligés  de  marcher  5  ou  6  jours  jusqu'à  la 
station  d'embarquement. 

Pour  se  faire  une  idée  des  routes  par  lesquelles  il  fallait 
marcher,  il  faut  remarquer  qu'elles  passaient  en  grande  partie, 
par  des  marécages  et  des  forêts.  C'étaient  les  mêmes  routes 
par  lesquelles  avaient  déjà  passé  deux  fois  les  Autrichiens, 
pour  faire  l'offensive  et  pendant  la  retraite  ;  nos  troupes  de- 
vaient y  passer  elles  aussi  pour  la  seconde  fois,  et  le  temps 
manquait  presque  complètement  pour  faire  les  réparations 
nécessaires.  Pour  comble  de  malheur,  précisément  à  la  veille 
de  notre  marche,  des  averses  détrempèrent  complètement  le 
terrain  argileux.  La  chaussée  qui,  passant  au  nord  de  Yanov, 
allait  jusqu'à  Lublin  était  tellement  détruite  que,  pour  la  sui- 
vre, il  fallait  surmonter  des  difficultés  encore  plus  grandes  que 
sur  les  routes  non  pavées.  La  boue  montait  plus  haut  que  les 
genoux.  Les  canons  et  les  véhicules  s'arrêtaient  à  chaque  pas. 
Pour  les  faire  sortir  des  endroits  les  plus  fangeux,  on  était 
obligé  d'y  atteler  jusqu'à  12  chevaux  et  d'affecter  à  cette  beso- 
gne des  détachements  spéciaux.  Les  hommes  et  les  chevaux 
étaient  à  bout  de  forces. 

Comme  nous  l'avons  déjà  dit  plus  haut,  c'était  le  corps  de 
cavalerie  du  général  Novicov  qui  devait  assurer  à  temps  la 
réalisation  de  tout  ce  grandiose  «  mouvement  de  rocade  ».  Or, 
en  s'approchant  des  ponts  sur  la  Vistule,  le  général  Novicov 
reçut  l'ordre  de  ne  laisser  sur  les  routes  allant  vers  Ivangorod 
qu'un  partie  seulement  de  ses  forces,  et  de  poursuivre  avec 
le  reste  le  long  de  la  rive  droite  de  la  Vistule  en  direction  de 
Varsovie,  où,  comme  on  le  sait  déjà,  le  groupe  «  de  choc  » 
était  en  train  de  se  former.  Cet  ordre  faisait  dégarnir  la  région 
du  Sud  de  l'ancien  front  du  général  Novicov.  C'est  pourquoi  la 
tâche  de  protéger  les  troupes  de  la  9^  armée  qui  se  déployait 
sur  le  bas  San  et  dans  la  section  de  la  moyenne  Vistule  près 
de  l'embouch/ure  du  San,  fut  confiée  par  l'Etat-Major  du  front 
Sud-Ouest  à  une  avant-garde  spéciale  poussée  jusqu'à  Opatov 
et  composée  de  deux  brigades  de  tirailleurs  et  d'une  brigade 
de  cavalerie  de  la  garde,  soutenues  plus  tard  par  une  brigade 
d'infanterie  en  position  avancée  à  Klimontov.  Cette  décision 

17 


226  HISTOIRE  DE    LA   GUERRE 

nous  amena  à  la  bataille  d'Opatov  qui  s'était  déclanchée  lie  3 
et  le  4  octobre  et  qui  fut  très  pénible  pour  nous.  Les  braves 
tirailleurs,  entraînés  dans  une  bataille  contre  des  forces  bien 
supérieures  qui  menaient  leur  offensive  sur  un  front  très  éten- 
du, furent  très  vite  tournés  par  leur  flanc  droit  et  mis  par  suite 
dans  une  situation  très  difficile  dont  ils  ne  purent  se  dégager 
qu'avec  de  grandes  pertes.  Ce  détachement  qui  s'était  trouvé 
complètement  isolé  sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule  avait 
contre  lui,  corrune  on  a  pu  en  juger  pendant  la  bataille,  des 
unités  de  la  l'^^  armée  autrichienne  et  de  deux  corps  de  l'aile 
droite  de  l'aimée  allemande.  11  est  évident  que  la  cause  de 
l'échec  de  ce  détachement  d'Opatov  se  trouvait  déjà  dans  le 
caractère  même  de  la  tâche  dont  était  chargé  ce  détachement  : 
retenir  l'offensive  de  l'armée  ennemie  qui  s'effectuait  natu- 
rellement sur  un  vaste  front. 

Après  la  bataille  d'Opatov,  les  iorces  principales  de  ce 
détachement  se  replièrent  jusqu'à  Sand'omîr,  qui  fut  d'ailleurs 
occupé  deux  jours  plus  tard  par  les  Autrichiens  venus  en  con- 
tournant la  ville,  de  la  rive  droite  de  la  Vistule.  A  ce  moment, 
l'offensive  des  Autrichiens  sur  un  large  front  entre  la  Vistule 
et  la  source  du  San  déjà  se  dessinait  bien  distinctement. 

Cette  offensive  s'accentuant  toujours  sur  la  rive  droite  de 
la  Vistîile  dans  la  direction  du  San,  nous  fûmes  obhgés,  par 
suite  d'un  affaiblissement  considérable  de  nos  forces  en  Gali- 
cie,  de  cesser  temporairement  le  blocus  de  Przémyszî  et  de 
nous  borner  à  observer  le  front  Est  de  cette  forteresse.  Notre 
3^  armée,,  en  face  de  laquelle  se  concentraient  de  fortes 
troupes  autrichiennes,  dut  se  borner  à  tenir  la  ligne  du  fleuve 
San  en  livrant  des  combats  destinés  à  ralentir  l'avance  enne- 
mie. Nous  étions  donc  obligés  de  sacrifier  la  rive  gauche  de  ce 
fleuve  et  de  débloquer  Przémyszî  pour  atteindre  notre  but 
principal  :  maintenir  notre  front  sur  la  partie  moyenne  de  la 
Vistule  et  concentrer  te  groupe  «  de  choc  >  à  Varsovie. 

Suivant  le  plan  de  mise  en  bataille  des  armées  du  front  Sud- 
Ouest,  c'était  un  peu  au  nord  de  la  o""  armée  que  devait  se  dé- 
ployer la  9^  armée,  dont  les  corps  devaient  occuper  le  bas  San 
et  la  région  de  la  Vistule  jusqu'à  l'embouchure  de  fleuve  Iljan- 
ka.  Les  déplacements  nécessaires  de  cette  armée  furent  termi- 
nés au  début  du  mois  d'octobre.  Après  la  bataille  d'Opatov, 
cette  armée  replia  toutes  ses  unités  sur  la  rive  droite  du  San 
et  de  la  Vistule.  L'ennemi,  ayant  occupé  la  rive  opposée,  s'était 


LA  CAJ-dPAGNE  DE  L'ARMÉE  RUSSE  SUR  LA  VISTULE  227 

borné,  quant  à  la  Vistule,  à  canonner  nos  positions.  Sur  le  bas 
San,  les  Autrichiens  étaient  plus  actifs  et  manifestaient  même 
l'intention  d'attaquer,  mais  leurs  tentatives  de  passer  le  fleuve 
étaient  toujours  arrêtées  par  notre  feu. 

Au  nord  de  la  9^  armée,  le  long  de  la  Vistule  se  déployait  la 
4^  armée  dont  les  avant-gardes  étaient  jusqu'à  la  rive  gau- 
che, près  de  Kasimierj  et  Novo-Aîexandria.  Ivangorod  où  nous 
■avions  des  ponts  fixes  sur  la  Vistule  se  trouvait  sur  le  front  de 
■cette  armée.  Pour  protéger  ces  ponts  une  positron  bfen  fortifiée 
disposant  d'artillerie  lourde  et  de  sa  propre  garnison  avait  été 
créée  sur  la  rive  gauche.  Une  partie  de  cette  garnison,  notam- 
ment une  brigade  d'infanterie,  avait  été  avancée  vers  Ra- 
dora  ;  ce  fut  elle  qui,  pendant  la  bataille  d'Opatov,  rencontra 
les  Allemands,  puis  se  replia  sur  ses  lignes  fortifiées.  L'ennemi 
qui  la  suivait  s'approcha  d' Ivangorod  et  commença  à  fortifier 
ses  positions  autour  de  cette  ville  dans  le  but,  semblait-il, 
d'empêcher  nos  troupes  d''en  déboucher.  Pour  faire  échlec  à  ce 
projet,  une  partie  de  nos  troupes  appartenant  à  la  4^  armée 
passa  la  Vistule  au  sud  d'Ivangorod,  près  de  Kosenrtzy,  en 
dehors  des  fortifications  d'Ivangorod.  C'est  icî,  pires  de  Kose- 
nitzy,  que  se  livrèrent  des  combats  acharnés  ;  le  sort  de  ces 
combats  nous  permit  de  maintenir  notre  situation  sur  la  rive 
gauche  de  la  Vistule. 

Enfin  la  5*"  armée  qui  devait  se  déployer  sur  Ta  rive  droite  de 
la  Vistule  au  nord  de  la  4%  à  partir  de  l'embouchure  du  fleuve 
Pilitza,  eut  son  arrivée  retardée.  Les  corps  de  cette  armée  ont 
commencé  leur  concentration  près  de  Lublin  vers  le  8  ou  le  9 
octobre  pour  être  embarqués  en  chemin  de  fer.  Il  fallut,  pour 
cette  raison,  faire  avancer  sur  la  partie  du  front  désignée  pour 
le  déploiement  de  la  5*"  armée,  deux  coirps  de  la  2^  armée,  ce 
qui  provoqua  un  affaiblissement  temporaire  du  groupe  «  de 
choc  »  qui  se  concentrait  près  de  Varsovie. 

Ce  groupe  composé  de  la  2^  armée  rassemblait  le  gros  de 
ses  forces  sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule.  Au  moment  dont 
il  s'agit,  il  n'avait  au  complet  que  3  ou  4  corps.  Une  forte 
avant-garde  de  cette  armée  était  portée  vers  les  Groïtzy. 


228  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


IV 


Telle  était  la  situation  quand  le  Commandant  en  chef  du 
front  Sud-Ouest  prit  la  décision  de  procéder  à  des  opérations 
actives.  La  4  ^  et  la  2^  armées  devaient  passer  la  Vistule  avec 
toutes  leurs  forces,  et,  après  avoir  été  rejointes  par  la  5^  armée, 
devaient  déclencher  une  offensive  commune  sur  le  front  de 
Skernevitze-Radom,  jusqu'à  l'embouchure  du  fleuve  Iljanda. 
Les  unités  de  cavalerie  du  général  Novikov,  que  l'on  avait 
portées  au  flanc  droit,  devaient  avancer  vers  le  fleuve  Bsoura. 

La  situation  ne  fut  pas  favorable  à  cette  offensive.  Nos  uni- 
tés, qui  passaient  sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule,  furent  re- 
poussées, et  obligées  de  se  replier  sur  la  rive  droite.  Nous  per- 
dîmes les  têtes  de  pont  de  Kasimeri  et  de  Novo-Alexandria, 
de  même  que  les  ponts,  nos  troupes  ayant  été  forcées  de  les 
brûler  pendant  la  retraite.  Le  passage  des  unités  de  la  2^  ar- 
mée, entrepris  dans  la  région  entre  l'embouchure  du  fleuve 
Pilitza  et  Varsovie,  réussit  assez  mal.  Dans  le  même  temps, 
notre  avant-garde,  qui  avait  été  lancée  sur  la  rive  gauche  de 
la  Vistule  vers  les  Groïtzy,  fut  repoussée,  et  reprit  le  chemin  de 
Varsovie.  Les  Allemands,  en  développant  ileur  offensive  sur  la 
rive  gauche  de  la  Vistule,  exerçaient  une  pression  énergique 
sur  les  corps  de  la  2^  armée,  qui,  n'ayant  pas  achevé  leur  con- 
centration, furent  obligés  de  se  replier  isur  la  ligne  des  forts  de 
la  forteresse  déclassée  de  Varsovie.  C'est  ainsi  que,   même 
dans  la  région  de  Varsovie,  notre  place  d'armes  sur  la  rive 
gauche  de  la  Vistule  fut  considérablement  comprimée. 

Le  déclenchement  prématuré  de  l'offensive  du  général  Iva- 
nov,  qui  a  défiguré  dans  une  certaine  mesure  l'idée  de  toute 
l'opération,  ainsi  qu'un  certain  manque  de  liaison  dans  la  con- 
duite des  opérations  qui  fut  une  des  causes  de  l'échec,  avaient 
grandement  alarmé  le  Commandant  en  Chef  suprême,  qui 
attribuait,  et  pour  cause,  à  l'opération  en  question  une  très 
grande  importance.  De  ses  résultats,  en  effet,  dépendait  la 
possibilité  d'une  offensive  ultérieure  de  nos  -armées  sur  la  rive 
gauche  de  la  Vistule,  offensive  qui  ne  fut  que  retardée  par  la 
contre-manœuvre  soudaine  des  Allemands.  Dans  ces  condi- 
tions, et  pour  surveiller  lui-même  de  plus  près  la  conduite  des 
opérations  et  pour  y  faire  participer  les  forces  de  deux  fronts, 


LA  CAMPAGNE  DE  L'ARMÉE  RUSSE  SUR  LA  VISTULE  229 

le  Commandant  en  chef  suprême  jugea  nécessaire  de  distraire 
la  2^  et  la  5*"  armées  du  front  Sud-Ouest  pour  les  subordonner 
au  Commandant  en  chef  du  front  Nord-Ouest,  le  général 
Roussky.  En  même  temps,  la  «  Stavka  »  donna  les  ordres  né- 
cessaires pour  accélérer  l'arrivée  des  corps  de  la  2"^  et  de  la  5^ 
armées  aux  points  fixés.  Cela  fait,  on  projeta  de  renouveler 
l'off.ensive  avec  toutes  les  forces  de  ces  deux  armées  du  côté  de 
Varsovie,  contre  le  flanc  de  l'armée  allemande.  En  attendant 
la  concentration  définitive  de  toutes  les  forces  (neuf  corps)  dé- 
signées pour  faire  une  nouvelle  attaque,  l'ordre  fut  donné  au 
général  Roussky  de  prendre  les  mesures  nécessaires  pour 
élargir  près  de  V(arsovie,  sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule,  la 
place  d'armes  qui  s'y  trouvait  et  qui  devait  permettre  ulté- 
rieurement à  nos  troupes  de  déboucher  facilement. 

Au  général  Ivanov,  ordre  fut  donné  de  concerter  les  opéra- 
tions des  troupes  du  front  Sud-Ouest  avec  ceMes  du  Nord- 
Ouest  et  de  retenir  une  quantité  de  troupes  ennemies  aussi 
grande  que  possible  pour  aider  la  2«  et  la  5*"  armées  à  réaliser 
leur  tâche  fondamentale. 

C'est  le  13  octobre  que  la  2^  armée  aborda  la  réalisation  de 
la  tâche  qui  lui  avait  été  confiée,  notamment  celle  d'élargir  la 
place  d'armes  de  la  rive  gauche  dans  la  région  de  Varsovie. 
Pendant  plusieurs  jours, ses  unités  livrèrent  des  combats  obsti- 
nés, coupés  seulement  par  de  rares  intervalles.  Les  troupes  de 
cette  armée  combattaient  avec  un  courage  tout  exceptionnel,  et 
repoussaient  peu  à  peu  les  Allemands  des  positions  qu'ils  occu- 
paient. De  l'arrière  du  flanc  droit  du  nouveau  front  commençait 
à  déboucher  notre  cavalerie,  qui  se  dirigeait  en  partie,  vers 
Sokhatchev  et  en  partie  vers  Lowitch,  sur  le  fleuve  Bsoura. 

C'est  aussi  pendant  cette  période  que  commencèrent  à  se 
rapprocher  Jes  corps  de  la  5-  armée,  qui  se  concentraient  peu  à 
peu  à  Varsovie  et  sur  la  rive  droite  de  la  Vistule,  dans  la  ré- 
gion située  entre  Varsovie  et  l'embouchure  du  fleuve  Pilitza. 

Pour  le  20  novembre,  l'ordre  fut  donné  à  la  2''  armée  de  dé- 
clencher une  offensive  générale  ;  la  5"  armée  reçut  l'ordre  d'y 
prendre  part,  elle  aussi,  en  concertant  ses  opérations  avec 
celles  de  l'armée  qui  était  à  sa  droite. 

Or,  pendant  la  nuit  du  19  au  20,  on  constata  le  recul  inat- 
tendu des  Allemands  sur  tout  le  front  au  nord  du  fleuve 
Pilitza.  Des  symptômes  du  fléchissement  des  Allemands  se 


230  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

manifestaient  aussi  dans  la  région  de  Kosenitzy.  Près  d'Ivan- 
gorod,  tels  étaient  ks  rapports  qui  nous  parvenaient,  —  on 
voyait  moins  de  fumées  de  brasiers  et  de  forces  allemands. 

Il  semble  que,  notre  cavalerie  ayant  tourné  les  Allemands 
du  côté  du  fleuve  Bsoura  et  nos  corps  de  l'aile  droite  effec- 
tuant un  mouvement  tournant  sur  la  gauche  allemande,  ils 
avaient  senti  le  danger  de  leur  situation  et  commencé, pour  cette 
raison,  une  retraite  générale,  se  faisant  protéger  par  des 
arrière-gardes  qui  restaient  encore  provisoirement  sur  les 
anciennes  positions. 

Etant  donné  un  changement  de  situation  aussi  radical,  la 
«  Stavka  »  envoya  l'ordre  aux  deux  fronts,  à  la  même  date 
du  20  octobre,  de  déclencher  une  offensive  énergique  sur  le 
front  Lodz-Petrokov-Opotchka-Opatov-Sandomir,  tout  en 
continuant  de  développer  l'attaque  faite  par  le  flanc  droit.  Cet 
ordre  fut  le  point  de  départ  du  prolongement  de  notre  offen- 
sive sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule. 

Les  troupes  allemandes  reculaient  vite,  mais  en  bon  ordre. 
Pendant  cette  guerre,  elles  ont  démontré  plus  d'une  fois  leur 
souplesse  à  sortir  vite  et  à  temps  des  situations  qui  leur 
étaient  défavorables.  La  retraite  n'était  pas  pour  elles  un 
symptôme  de  défaite,  mais  plutôt  une  forme  de  manœuvre. 
Dans  le  cas  dont  il  s'agit,  les  Allemands  réussirent  à  éviter 
en  reculant  à  temps,  un  choc  qui  aurait  touché  juste  et  qui 
était  déjà  prêt  à  s'abattre  sur  leur  flanc  gauche.  En  effec- 
tuant une  retraite  prompte  et  inattendue,  ils  parvinrent  à 
gagner  du  temps,  dont  ils  surent  habilement  profiter  pour 
détruire  de  façon  radicale  les  voies  ferrées  ainsi  que  les 
chaussées  qu'ils  laissaient  derrière  eux.  Et  il  faut  rendre  justice 
à  leur  habileté  :  cette  œuvre  de  destruction  fut  accomplie  par 
eux  de  façon  si  complète  que  leur  poursuite,  et  même  toute 
notre  offensive  sur  la  rive  gauche  de  la  Vistule,  furent  en 
grande  partie  arrêtées.  Sur  les  voies  ferrées,les  Allemands  fai- 
saient sauter  et  brûlaient  les  gares,  ainsi  que  les  constructions 
telles  que  les  châteaux  d'eau,  les  prises  d'eau  et  postes  d'ai- 
guillage. Sur  les  voies  elles-mêmes,  ils  faisaient  également 
sauter,  sur  de  grandes  étendues,  les  rails,  les  ponts,  les  cani- 
veaux, les  viaducs,  avec  une  telle  habileté  qu'il  devenait  impos- 
sible de  faire  réparer  rapidement  les  destructions.  Sur  les 
chaussées,  c'étaient  aussi  tous  les  travaux  d'art  qu'ils  détrui- 


LA  CAMPAGNE  DE  L'ARMÉE  RUSSE  SUR  LA  VISTULE  23 1 

saient  ;  quant  au  remblai  ^ui-même,  îls  l'abattaient  ou  le  fai- 
saient sauter  par  sections  altemativament  de  chaque  côté  de  la 
route.  Les  poteaux  de  télégraphe  étaient  sciés  ou  renversés,  ks 
isolateurs  cassés,  le  fil  coupé. 

En  un  mot,  le  tableau  de  destruction  était  terrible.  Les 
attachés  militaires  de  nos  alliés,  qui  ont  bien  voulu  prendre 
part  à  une  excursion  organisée  pour  eux  par  la  «  Stavka  > 
sur  les  voies  de  retraite  de  l'armée  allemande  vers  Lodz,  ont 
porté  des  témoignages  éloquents  sur  ce  tableau.  Le  représen- 
tant français,  le  général  marquis  de  Laguiche,  participa,  si 
j'ai  bonne  mémoire,  à  cette  excursion. 

Peu  à  peu  on  put  constater  la  retraite  de  l'ennemi  sur  les 
voies  venant  d'Ivangorod  et  de  Novo-Alexandria,  retraite  qui 
devenait  encore  plus  importante  au  Sud.  Après  les  Allemands, 
les  Autrichiens  commençaient  eux  aussi  à  reculer  sous  notre 
pression.  Les  troupes  russes,  ayant  passé  la  Vistule  et  le  San, 
•déclenchèrent  une  offensive  énergique  qui  embrassa  peu  à 
peu  un  front  énorme,  de  plus  de  400  kilomètres  de  largeur, 
situé  entre  la  basse  Bsoura  et  les  contreforts  des  Karpathes. 

Telle  fut  la  fin  de  notre  opération  de  Varsovie.  Elle  se  pré- 
sente comme  une  des  combinaisons  stratégiques  les  mieux 
réussies,  malgré  la  complexité  de  son  idée  et  les  difficultés 
de  sa  réalisation.  Sans  aucun  doute  nous  avons  remporté 
sur  nos  adversaires  une  victoire  stratégique  très  grande.  En 
répondant  à  leur  manœuvre  par  une  contre-manœuvre  coir- 
respondante,  nous  avons  réussi,  malgré  la  marche  forcée  des 
Allemands  et  l'avantage  des  plus  courtes  distances  qui  était 
de  leur  côté,  à  amener  dans  la  région  décisive  de  notre  front, 
et  notamment  à  Ivangorod,  et  ensuite  à  Varsovie,  des  forces 
supérieures  à  celles  de  l'ennemi,  nous  assurant  ainsi  la  vic- 
toire. Nous  avons  réussi  encore  à  les  mettre  dans  une  situation 
initiale  très  avantageuse,  en  créant  une  menace  non  seulement 
sur  le  flanc  découvert  des  Allemands,  mais  aussi  sur  leurs 
forces  d'arrière.  La  stratégie  fit  son  œuvre  d'une  manière  si 
éclatante  que  les  Allemands  ne  se  décidèrent  pas  à  accepter 
le  combat  décisif.  Toute  leur  tâche  ultérieure  se  borna  aux 
efforts  faits  pour  sortir,  en  déclinant  le  combat  et  en  effectuant 
une  prompte  retraite,  de  la  situation  oii  ils  se  trouvaient. 
Quant  à  nous  autres,  non  seulement  nous  avions  conservé 
notre  situation  sur  la  section  moyenne  de  la  Vistule  et  en 


232  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

Galicie,  mais  alors  s'ouvrirent  enfin  à  nous  les  voies  de  la 
rive  gauche  de  la  Vistule,  et  notre  Commandement  suprême 
décida  d'en  profiter. 

L'offensive  de  nos  troupes  qui  en  résulta  par  les  voies 
menant  à  la  Silésie  était  grosse  des  conséquences  les  plus 
graves  pour  les  Allemands.  Le  Commandement  suprême  alle- 
mand dans  ile  but  de  la  liquider,  non  seulement  usa  de  toutes 
les  forces  de  son  front  Est,  mais  fut  obligé  de  se  décider  à 
y  transporter  de  nouveau  une  partie  des  forces  du  front 
Ouest.  Pendant  la  période  des  opérations  déclenchées  sur  la 
rive  gauche  de  la  Vistule,  quatre  corps  (le  II"'®,  le  111°"^ 
de  réserve,  le  XI II""^  et  le  XIV^^  de  réserve),  ainsi  que  cinq 
divisions  de  cavalerie  (la  2°^%  la  4"^%  la  5™%  la  &^^  et 
la  9^"),  furent  transportées  du  front  français  sur  notre  front. 

L'armée  russe  réussit  donc  de  cette  sorte  à  alléger,  pour 
la  seconde  fois,  la  situation  de  ses  alliés,  ôtant  aux  Alle- 
mands la  possibilité  de  continuer  leur  offensive,  dont  cette 
fois-ci  Calais  faisait  l'objet. 

A  la  fin  de  l'année  1914,les  forces  que  les  Allemands  avaient 
contre  nous  avaient  triplé,  et  sur  83  divisions  ennemies 
déployées  sur  notre  front,  41  étaient  allemandes.  L'armée 
allemande  qui  n'était  au  début,  sur  le  front  russe,  qu'une 
force  subsidiaire  devenait,  de  plus  en  plus,  sur  ce  front  aussi, 
la  force  principale  (1). 

.. ,  Georges  Daniloff, 

Général    Q.uartier-Maitre 
de  l'armée  russe  en  1914-1915. 


(1;  La  traduction  de  cet  article  a  été  faite  par  M.  le  professeur  Gorovtsev. 


DOCUMENTS 


L*Auto-PrctccHcn  en  Bavière 

Notice  résumée. 


L'application  du  traité  de  Versailles  exigée  par  l'Entente  a 
convaincu  J' Allemagne  qu'elle  ne  peut  conserver  son  armée 
sous  son  ancienne  forme.  Elle  cherchera  à  reconstituer  sa 
puissance  militaire  avec  d'autres  systèmes  d'organisation. 

La  Bavière,  devenue  le  foyer  de  la  réaction  militaire,  joue 
le  principal  rôle  dans  cette  oeuvre  de  reconstitution. 

l.  —  Les   organisations  d'auto-protection   proprement 

DITES   :   EINWOHNERWEHR  et  ORGESCH. 

a)  Elnwohnerwéhr.  — Créée  en  1919,  sous  le  gouvernement 
socialiste  de  Hoffmann,  dans  le  but  réel  de  lutter  contre  les 
excès  ou  le  retour  du  communisme,  l'Einwohnerwehr,  sous 
l'action  d'Escherich  et  de  Kanzler,  sous  l'impulsion  des  géné- 
reux prussiens  (Ludendorff)  établis  en  Bavière  et  avec  les  fa- 
veurs de  Kahr,  devient  un  organe  de  rétablissement  du  service 
militaire. 

L'E.  W.  et  la  R.  W.  (1)  sont  étroitement  reliées  l'une  à  l'au^ 
tre.  L'E.  W.  possède  tout  un  système  d'organisations  secrètes 
qui  lui  permet  d'être  employée  non  seulement  en  Bavière,  mais 
encore  en  Allemagne  et  à  la  frontière. 

(1)  La  Reichswehr. 


234 


HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 


b)  Orgesch.  —  L'Orgesch  veut  réunir  en  un  seul  bloc  tou- 
tes les  forces  de  la  droite  et  du  centre,  et,  en  dirigeant  l'édu- 
cation physique,  militaire,  morale  et  intellectuelle  de  la  jeu- 
nesse, former  un  noyau  autour  duquel  se  développera  l'armée 
allemande.  Elle  est  en  relations  avec  l'Orka  (Heimatwehren 
tyroliennes),  elle  englobe  toutes  les  sociétés  sportives,  elle 
fonde  de  nombreux  «  Sangervereine  »,et  exerce  son  action  sur 
les  «  Klubs  »,  nom  général  employé  pour  désigner  les  réunions 
et  les  associations  d'étudiants. 

L'Einwohnervvehr  et  l'Orgesch  sont  officiellement  dissoutes 
le  24  juin  192L 

IL  —  Tentatives  de  réorganisation  de  l'auto-'protectîon. 
—  Notbann.  —  Ligues  régimentaires. 

La  dissolution  de  l'E.  W.  n'existe  que  sur  le  papier  officiel. 
On  procède  à  de  nombreux  camouflages. 

En  réalité,  il  n'y  a  pas  réorganisation,  mais  création  d'or- 
ganisations nouvelles.  L'E,  W.  est  remplacée  par  un  en- 
semble perfectionné  d'organes  nouveaux  ou  transformés,  dans 
lesquels  les  éléments  destinés  au  maintien  éventuel  de  il'ordre 
(Notbann,  Bergwacht)  sont  nettement  séparés  des  éléments 
destinés  à  être  mobilisés  (Sociétés  régimentaires,  sportives  et 
de  tir). 

a)  Notbann.  —  C'est  une  organisation  de  police  auxiliaire 
dirigée  par  les  membres  de  l'E.  W.  Son  conflit  avec  la  Tech- 
nische  Nothilfe  (Teno)  et  la  méfiance  qu'il  inspire  au  Ministre- 
Président  Lerchenfeld  ne  lui  permettent  pas  de  jouer  un  rôle 
important. 

h)  Ligues  régimentaires.  —  Elles  se  développent  et  se 
multiplient.  Les  fêtes  orgnîsées  par  elles  sont  autant  d'occa- 
sions de  lutter  et  de  parler  contre  la  forme  actuelle  du  gouver- 
nement. Les  unités  de  la  Reicbsbeer  prennent  part  à  ces  mani- 
festations militaristes  sous  la  forme  de  comipagnies  d'honneur 
ou  de  tradition. 

Les  ligues  régimentaires,  en  tenant  soigneusement  le  con- 
trôle de  leurs  adhérents,  constituent  un  système  déguisé  de 
mobilisation  rapide. 

Le  gouvernement  d'Empire,  qui  se  sent  de  plus  en  plus  me- 
nacé par  le  mouvement  nationaliste,  décrète  les  lois  sur  la 


L'AUTO-PROTECTION    EN    BAVIÈRE  235 

protection  de  la  République  (juililet  1922),  et  le  Ministre  de  la 
Reichswehr  interdit  aux  imités  de  la  R.  W,  de  prendre  part 
aux  fêtes  régimentaires. 

Ces  mesures  font  échouer  cette  tentative  de  réorganisation 
de  l'auto-protection. 

Mais  l'action  des  ligues  régimentaires  a  préparé  le  terrain 
au  mouvement  patriotique. 

III.  —  Mouvement  patriotique. 

Sur  cette  base  maintenant  solide,  les  nationalistes  déve- 
loppent leur  programme  militaire  et  leur  politique  de  revanche. 

Dès  le  début,  le  mouvement  patriotique  en  Bavière  est 
scindé  en  deux  camps. 

r  Les  associations  patriotiques,  populistes  bavaroises  ; 
couleurs  :  blanc-bleu,  —  catholiques,  —  représentées  par 
«  Bayern  und  Reich  »,  se  limitent  à  la  Bavière  ;  leur  but 
est  :  résistance  à  l'asservissement  du  peuple  allemand.  Non 
séparatistes,  mais  fédéralistes. 

2°  Cartel  activiste,  couleurs  :  noir-blanc-rc-^ige,  —  panger- 
maniste  —  antkatholique-antisémite,  —  inspiré  par  Luden- 
dorff  ;  rayon  d'action  au  delà  de  la  B'avière. 

Le  mouvement  patriotique  entreprend  hkrdiment  une  cam- 
pagne très  active  en  faveur  du  rétablissement  du  service  mili- 
taire obligatoire. 

De  l'idée  de  défense  (V/ehrgedanlœ),  on  passe  vite  à  la 
capacité  de  défense  (Wehrhaftigkeit),  à  la  force  combattante 
(Wehrfahigkeit),  au  service  militaire  obligatoire  et  égal  pour 
tous  (Allgemeine  Wehrpflicht),  pour  arriver  à  la  «  lutte  ar- 
mée »  (Waffengewalt).  Ci-dessous  des  professions  de  foi  de 
différents  hommes  politiques  et  ministres  d'Etat  : 

«  Les  organisations  patriotiques  doivent  servir  de  succédané 
à  la  puissance  militaire  qui  nous  a  été  ravie.  »  (Député  démo- 
crate Hubsch,  séance  de  la  Commission  du  budget  de  l'Inté- 
rieur, 17  avril  1923.) 

«  Une  peuple  sans  Wehr  (armée)  est  un  peuple  sans  force,  et 
un  peuple  sans  force  est  un  peuple  sans  considération  dans  le 
monde.  »  (Ministre  Schweyer,  réunion  du  parti  populiste  le 
29  avril  1923  à  Ratisbonne.) 

«  L'Allemagne  devra  tôt  ou  tard  passer  à  la  résistance  active 


^^6  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

contre  l'arrogant  peuple  de  France.  »  (Ministre  de  la  justice, 
Dr.  Gurtner,  réunion  de  la  Mitteîpartei  bavaroise  (deutsch 
national)  à  Bamberg  le  21  avril  1923.) 

«  L'armée  est  une  nécessité  vitale.  »  (Kahr,  11  juin  1922, 
congrès  du  Bund  Bayern  und  Reich  à  Kempten.)  (Ludendorff, 
6  mai  1923.) 

«  Nous  devons  revenir  au  service  militaire  obligatoire  et 
égal  pour  tous.  »  (Ministre  Schweyer,  devant  le  parti  popu- 
liste bavarois,  le  17  juin  à  Kaufbeuren.) 

Le  traité  de  Versailles  est  déchiré  à  belles  dents.  «  La  signa- 
ture extorquée  du  traité  de  paix  est  nulle  et  non  avenue  »,  dé- 
clare le  Ministre-Président  von  Knilling  à  la  tribune  du  Land- 
tag (27  juin  1923). 

«  Pas  de  renonciations  aux  territoires  qui  nous  ont  été  arra- 
chés par  la  paix  de  violence  »,  dit  le  député  démocrate  Dirr  à 
la  tribune  du  Landtag  en  réponse  à  Knilling. 

«  Les  pays  allemands  qui  nous  ont  été  ravis  doivent  être  ren- 
dus à  l'Allemagne.  Il  faut  revenir  au  Versailles  de  1871  », 
proclame  Kahr  devant  les  étudiants,  le  5  juillet  1923. 

A  la  fin  de  l'été  1922  est  fondée  la  fédération  des  associa- 
tions patriotiques  de  Bavière.  Les  associations  qui  adhèrent 
à  cette  fédération  conservent  leur  organisation  spéciale.  Le 
fédération  comprend  alors  les  sociétés  suivantes  : 

Alldeutscher  Verband,  Andréas  Hofer  Bund,  Bayerischer 
Heimat  und  Kbnigsbund,Bayerischer  Kriegerbund, Bayerischer 
Ordnungsblock,  Bund  Bayern  und  Reich,  Deutscher  Offiziers- 
bund,  Deutsch-Volkische  Arbeitsgemeinschaft,  Hochschul- 
ring  Deutscher  Art,  Jungbayern,  Nationalverband  Deutscher 
Verband  Bayerischer  Offiziers  —  und  Regimentsvereine,  Ver- 
band Nationalgesinnter  Soldaten,  Zentralverband  Deuts- 
cher Kriegsbesctiûdigter,  et  sept  autres  organisations  moins 
importantes. 

En  outre,  la  fédération  reçoit  l'adhésion  du  parti  ouvrier 
allemand  socialiste  national,  dirigé  par  Hitler,  et  des  associa- 
tions patriotiques  des  districts  de  Munich  présidées  par  Zeller. 
Le  président  de  fédération  est  le  professeur  Hermann  Bauer. 
Son  Excellence  von  Kahr  en  accepte  la  présidence  d'honneur. 

En  janvier  1923,  le  parti  de  Hitler  se  retire  de  la  fédération  ; 
il  est  suivi  bientôt  par  les  associations  patriotiques  des  dis- 


L'AUTO-PROTECTION    EN    BAVIÈRE  237 

tricts  de  Munich,  dont  quelques-unes,  regrettant  ce  geste, 
retournent  à  la  fédération. 

Quelques  semaines  après,  Hitler  et  les  associations  des  dis- 
tricts de  Munich,  restées  dissidentes,  forment  une  organisation 
plus  solide  sous  la  direction  unique  de  Zeller,  et,  au  début 
d'avril,l'Oberland,  la  Reichsflagge  et  le  Stahlhelm,  qui  jusque- 
là  avaient  conservé  leur  indépendance,  s'unissent  au  nouveau 
groupement.  C'est  ainsi  que  prend  naissance  :  «  l'Arbeitsge- 
meinschaft  der  Vaterlàndischen  Kampverb'ànde  »  de  Bavière, 
qui  choisit  comme  chef  de  l'ancien  ministre  de  la  justice 
Dr.  Roth  (1). 

Voulant  grouper  plus  solidement  les  éléments  activistes  et 
combatifs  de  cette  Arbeitsgemeinschaft,  les  chefs  du  cartel 
fondent  le  1^^  septembre  1923  à  Nuremberg,  à  l'occasion  du 
fameux  «  Deutschier  Tag  »,  le  Kampfbund. 

Ce  Kampfbund  comprend  le  parti  ouvrier  allemand  socia- 
liste national  sous  Ja  conduite  de  Hitler  et  du  Capitaine  a.  D. 
Gbhring,  le  Bund  Oberland  avec  le  Dr.  Weber  et  le  Général 
a.  D.  Aechter,  le  Reichsflagge  sous  la  direction  du  Capitaine 
Rohm  et  du  Capitaine  a.  D.  Seydel. 

Le  chef  militaire  du  Kampfbund  est  le  Lieutenant-Colonel 
Kriebel,  ancien  chef  d'Etat-Major  d'Escherich  au  moment  de 
l'Einwohnerwehr  et  de  l'Orgesch.  D'où  l'on  peut  voir  la  filia- 
tion entre  les  «  gardes  d'habitants  »  et  les  organisations  pa- 
triotiques. 

Mais  au  moment  où  est  créé  le  Commissariat  Général,  le 
26  septembre  1923,  une  scission  se  produit  dans  le  Kampf- 
bund. Certains  groupements  font  tout  de  suite  confiance  à  von 
Kahr,  «  dévoué  corps  et  âme  au  nationalisme  »  ;  d'autres, 
comme  les  partisans  de  Hitler,  comme  les  membres  d'Ober- 
land,  observent  une  prudente  réserve,  attendant,  avant  de  «îe 
piononcer,  de  voir  à  l'œuvre  celui  que  l'on  avait  appelé  le 
«  Bismarck  bavarois  »  à  l'époque  glorieuse  de  l'Einwoh- 
nerwehr. C'est  ainsi  que  la  Reichsflagge  se  divise  en  deux 
tronçons  :  une  partie,  sous  le  commandement  du  Capitaine 
Heiss  et  conservant  le  nom  de  Reichsflagge,  se  range  résolu- 
ment aux  côtés  de  von  Kahr  ;  l'autre  partie  refuse  d'accepter 
les  directives  politiques  du  Commissaire  Général  et  devient  la 

(1)  Réactionnaire  fameux  dans  les  milieux  hostiles  à  Berlin,  par  l'obstruc- 
tion systématique  qu'il  fit  à  l'application  en  Bavière  des  ordonnances  du 
Reichsur  l'exercice  de  la  justice. 


238  HISTOIRE    DE    LA    GUERRE 

Reicbskriegsflagge,  dont  le  nom  suffit  à  indiquer  quel  était 
l'état  d'esprit  de  ses  «  gens  ».  Cette  Reichskriegsflagge  prend 
comme  chef  le  Capitaine  Rohm  et  fait  cause  commune  avec  les 
Hitléristes  et  l'Oberland,  qui  cherchent  par  les  manifestations 
bruyantes  de  leurs  forces  solidement  unies  à  en  imposer  au 
«  Dictateur  provisoire  »  de  la  Bavière,  à  vaincre  ses  résis- 
tances, à  le  guérir  de  certains  préjugés  et  à  le  soustraire  aux 
mauvaises  influences  du  pays  (1),  pour  qu'il  n'ait  plus  d'autre 
ressource  que  celle  «  de  marcher  carrément  avec  eux  »  et  de 
les  aider  à  proclamer  îe  gouvernement  national,  qui,  s' étendant 
de  Munich  à  l'Allemagne  entière,  doit  délivrer  la  patrie  de 
toutes  les  oppressions. 

On  sait  quel  fut  le  résultat  de  cet  activisme  «  trop  em- 
pressé »  :  le  putsch  des  8  ou  9  novembre  1923,  suivi  à  quel- 
ques semaines  d'intervalle  du  procès  Hitler-Ludendorff,  ruine 
les  espérances  du  Kampfbund  et  jette  ïe  désarroi  dans  ses 
troupes. 

Pendant  quelque  temps,  alors  que  les  «  grands  chefs  » 
sont  détenus,  les  sous-ordres  essaient  de  regrouper  les  élé- 
ments épars  du  Kampfbund  ;  mais  leur  autorité  est  trop  faible 
et  leurs  ambitions  personnelles  trop  dissolvantes  pour  rallier 
des  forces  déjà  éprouvées  par  un  dur  échec  et  n'ayant  plus 
n'en  à  attendre  d'une  caisse  complètement  à  sec. 

Petit  à  petit  les  différents  milieux  de  la  population  qui  jus- 
que-là avaient  témoigné  une  très  vive  sympathie  aux  «  futurs 
libérateurs  de  l'Allemagne  »  et  qui,  aux  élections  de  mai,  accor- 
dèrent encore  plusieurs  centaines  de  milliers  de  voix  aux  can- 
didats du  bloc  raciste  (2),  n'ont  plus  de  goût  pour  l'agitation 
faite  autour  des  noms  de  Hitler,  Ludendorff,  Weber,  etc..  et 
finissent  par  se  désintéresser  des  longues  et  violentes  polé- 
miques de  la  presse,  qu'ils  considèrent  comme  les  «  dernières 
fusées  d'un  feu  d'artifice  raté  3>. 

Seuls  les  étudiants  continuent  à  manifester  quelque  mau- 
vaise humeur,  malgré  les  efforts  entrepris  par  Ehrhardt  pour 
calmer  les  esprits  de  la  jeunesse  universitaire. 

Puis  sur  la  scène  bavaroise,  purgée  de  tous  les  personnages 
que  le  putsch  a  compromis,  apparaissent  d'^autres  acteurs  qui 

(1)  C'est-à-dire  Rupprecht  et  les  milieux  catholiques. 

(2)  Autrement  dit  le  parti  socialiste-Dationai  de  la  liberté,  issu  de  l'acti- 
visme. 


L' AUTOPROTECTION    EN    BAVIÈRE  239 

ont  à  cœur  de  ne  pas  oublier  qu'il's  sont  bavarois,  c'est-à-dire 
catholiques  et  dévoués  à  la  maisou  des  Wittelsbach.  En  orga- 
nisant des  iêtes  patriotiques,  comme  la  fête  du  souvenir  alle- 
mand le  15  juin  1924,  la  fête  du  Palatinat  le  6  juillet  1924,  les 
nouveaux  maîtres  de  la  Bavière  veulent  attirer  à  eux  les  adep- 
tes de  la  réaction  nationaliste,  du  nombre  desquels  ils  éli- 
minent avant  tout,  vu  leur  programme  et  leurs  professions  de 
foi,  les  éléments  excités  et  perturbateurs.  On  veut  bien  tra- 
vailler aux  progrès  du  nationalisme,  mais  d'un  nationalisme 
en  quelque  sorte  purifié,  plus  raisonnable  et  plus  pondéré,  qui 
n'a  plus  la  prétention  de  créer  un  Etat  dans  l'Etat. 

Cette  action  des  politiciens  est  secondée  par  la  propagande 
du  Bund  Bayern  und  Reich  et  par  les  entreprises  d'officiers  de 
l'ancienne  armée,  tant  il  est  vrai  que  le  nationalisme  allemand 
ne  peut  se  manifester  dans  toute  sa  force  que  s'il  est  organisé 
militairement. 

Le  «  Deus  ex  machina  »,  à  l'habileté  duquel  on  fait  appel 
pour  dénouer  la  crise  et  réorganiser  les  associations  patrio- 
tiques, est  le  Kapitân  Ehrhardt,  qui  s'est  tiré  blanc  comme 
neige  de  toutes  les  compromissions  du  putsch. 

Tout  indiqué  par  son  passé  pour  recueillir  la  succession  des 
Hitler,  Weber,  Kriebel,  etc.,  il  jouit  en  outre  de  la  confiance 
absolue  des  pangermanistes  prussiens  et  sert  de  trait  d'union 
entre  le  Sud  et  le  Nord  de  l'Allemagne. 

A  l'heure  actuelle,  il  s'efforce  de  sauver  du  naufrage  tout  ce 
qui  peut  être  rallié  à  la  cause  du  nationalisme.  Secondé  par  les 
officiers  qui  n'ont  pas  accepté  dans  la  vie  civile  des  emplois 
qu'ils  jugent  indignes  de  leurs  anciens  grades,  et  sachant  mé- 
nager les  susceptibilités  du  Général  von  Seeckt  qui  veut  con- 
server la  haute  main  sur  la  formation  militaire  de  l'Allemagne, 
il  déploie  toutes  les  ressources  de  son  courage  et  de  sa  situa- 
tion pour  mener  à  bien  cette  œuvre  de  restauration  et  il  a 
réussi,  semble-t-il,  à  regrouper  un  certain  nombre  d'associa- 
tions importantes,  dont  l'action,  sans  être  aussi  violente  que 
celle  du  Kampfbund,  n'en  poursuit  pas  moins  le  même  but  : 
organiser  la  nation  armée,  pour  permettre  à  l'Allemagne,  mal- 
gré le  traité  de  Versailles,  de  disposer  d'une  puissance  mili- 
taire telle  qu'elle  puisse  bientôt,  si  la  politique  extérieure 
l'exige,  jeter  dans  la  balance  tout  le  poids  de  son  épée  bien 
aiguisée. 


240  HISTOIRE   DE    LA    GUERRE 

Qu'il  s'agisse  de  l'Einwohnerwehr,  des  ligues  régimentaires 
ou  des  associations  patriotiques,  les  nationalistes  allemands 
sont  tous  guidés  par  la  même  pensée.  La  République  alleman- 
de actuelle  est  et  reste  militariste,  comme  l'écrivait  encore 
dernièrement  le  Général  Dr.  Baron  von  Schonaich,  qui  doit  s'y 
connaître  puisqu'il  commandait  jadis  la  cavalerie  de  la  Garde 
impériale. 

F.  Loquet. 


BIBLIOGRAPHIE 


LA    BATAILLE   DE    TANNENBERG    D'APRES    DE   NOUVELLES 
ETUDES  RUSSES. 

Le  Voenny  Sbornik  (1)  (Messager  de  l'armée)  a  publié  dans  son 
n"  4  trois  articles  importants  sur  les  opérations  de  la  W  armée  russe 
dans  la  Prusse  Orientale  en  août-septembre  1914. 

Le  premier  article  :  Courte  esquisse  des  opérations  de  l'armée  de 
la  Narev,  commandée  par  le  général  Samsonov  en  Prusse  Orientale  au 
mois  d'août  1914,  est  signé  par  le  colonel  Foukhs  ;  —  le  deuxième  : 
Causes  de  la  défaite  du  général  Samsonov  en  Prusse  Orientale,  signé 
A.-R.  P.,  est  rédigé  d'après  le  témoignage  du  général  Kliouev,  qui 
commandait  le  XIII"  corps  ;  —  enfin,  le  troisième  :  Opérations  du 
VI"  corps  et  principales  causes  de  la  défaite  de  la  IP  armée  en  Prusse 
Orientale,  août  1914,  est  signé  par  J.  Patronov,  capitaine  d'Etat- 
major  du  VP  corps.  L'ensemble  jette  un  peu  de  clarté  sur  les  causes 
du  désastre  de  la  II"  armée  ;  mais  il  faudrait,  pour  les  compléter,  le 
récit  des  opérations  de  la  1"  armée  commandée  par  Rennenkampf. 

Dans  les  trois  articles,  nous  voyons  les  différents  corps  de  la  IP  ar- 
mée débarquer  à  Biélostok,  Lomja,  Ostrolenko,  Mlava,  s'enfoncer  à 
travers  les  lacs  et  les  forêts  vers  Osterode  et  se  faire  écraser,  après 
avoir  marché  du  22  au  30  aoiit  sans  aucune  nouvelle  de  la  I""  armée, 
sans  recevoir  d'ordres  ni  de  renteignements  soit  du  Grand  Quartier 
Général,  soit  de  l'Etat-major. 

Un  ordre  fut  pourtant  donné,  le  seul,  celui  de  marcher  en  avant 
coûte  que  coûte,  et  d'occuper  Allenstein  et  Osterode,  conformément  au 
désir  de  l'Etat-major  français  ;  il  s'agissait  de  détourner  sur  soi  une 
partie  des  forces  allemandes  massées  sur  le  front  français  pour  sauver 
Paris  menacé. 

Le  colonel  Foukhs  fait  une  description  très  précise  de  la  marche 
des  différents  corps  d'armée  sous  le  commandement  de  Samsonov  ; 
dès  que  ces  corps  ont  traversé  la  frontière,  ils  se  trouvent  coupés  de 
leur  base,  puis  séparés  l'un  de  l'autre  par  deux  petits  lacs  ;  il  n'y  a 
plus  aucune  liaison  entre  eux  ;  ils  se  heurtent  à  des  barrages  de  fils 
de  fer  et  à  des  tranchées  habilement  établies  par  les  Allemands. 

(1)  Voenny  Sbornik,    Belgrade,  1923,  n»  4. 

IS 


242  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

Ces  corps,  VF  au  Nord,  XIIF,  XV^  XXIIP,  1"  au  Sud,  se  demandent 
mutuellement  du  secours  à  mesure  qu'ils  avancent  et  qu'ils  se  trouvent 
en  présence  de  forces  ennemies  plus  nombreuses. 

Le  26  août,  le  XIIP  corps  a  atteint  AUenstein  ;  mais,  le  28  août, 
le  XV^  et  le  XXIIP  corps,  qui  sont  à  sa  gauche  devant  Tannenberg, 
sont  enfoncés.  C'est  la  retraite,  la  débandade  par  des  routes  encom- 
brées ;  les  troupes  qui  ont  avancé  depuis  huit  jours  à  marches  forcées, 
sans  repos,  sont  affamées.  C'est  la  déroute  complète,  pendant  laquelle 
des  centaines  d'officiers  et  des  milliers  de  soldats  sont  faits  prisonniers. 

Le  général  Samsonov  qui  a  transporté  son  Etat-major  à  Orlau,  en 
pleine  région  des  lacs,  essaie  de  revenir  sur  Ostrolenka  ;  mais,  harassé 
physiquement  et  moralement,  il  disparaît  dans  une  forêt  entre  Villen- 
berg  et  Korgele  ;  son  corps  fut  trouvé  le  30  août  par  un  garde  forestier 
allemand,  le  crâne  troué  d'une  balle. 

Le  21  août,  le  télégramme  de  Rennenkampf,  annonçant  son  succès  à 
Gumbinnem,  avait  soulevé  l'enthousiasme  :  «  Après  avoir  détruit  un 
corps  d'armée  allemand,  proclamait-il,  je  marche  triomphalement  en 
avant.  » 

Huit  jours  après»  les  nouvelles  de  la  catastl-ophe  de  la  IP  armée 
furent  à  peine  arrivées  à  Pétrograd  que  l'on  commençait  à  se  deman- 
der :  Qui  est  coupable  ? 

On  accusait  tout  le  iTionde  :  on  accusa  le  commandement  en  chef,  on 
accusa  le  général  Gilinski,  on  supposd  une  machination  de  la  part  de 
Rennenkampf,  qui  désirait,  semblait-il,  apparaître  au  dernier  mohient 
et  recueillir  les  lauriers  comme  sauveur  ;  on  accusa  les  troupes,  les 
chefs  militaires  qui  n'avaient  pas  accompli  leur  devoir,  on  chercha  la 
trahison,  etc.. 

L'auteur  de  l'article  proteste,  eh  passant,  contre  deux  des  accusa- 
tions, celles  qui  sont  portées  contre  les  troupes  et  contre  leurs  chefs 
directs  qui  se  sont  sacrifiés  avec  leurs  hommes. 

Pour  lui,  la  cause  fondamentale  de  la  catastrophe,  c'est  le  manque 
d'observation  des  principes  de  la  science  militaire.  Pendant  la  paix, 
on  étudie  longuement  les  lois  de  cette  science  ;  mais,  dès  que  la  guerre 
est  commencée,  on  oublie  de  les  observer. 

«  Notre  première  faute  a  été  que,  en  entreprenant  l'opération  en 
Prusse  Orientale,  nous  avons  mis  au  premier  plan,  non  pas  les  exi- 
gences militaires,  mais  les  exigences  politiques  ;  nous  nous  sommes 
laissés  entraîner  par  le  désir  d'apporter  un  secours  à  nos  alliés,  rapi- 
dement, à  tout  prix,  sans  considérer  ce  qui  était  possible  oU  ihipossible 
au  point  de  vue  purement  militaire. 

«  On  marcha  sans  avoir  un  but  bien  déterminé,  sans  reconnaître 
la  route,  sans  avoir  de  renseignements  sur  les  forces  ennemies  qui  se 
trouvaient  devant  nous,  sans  avoir  établi  de  liaison  entre  nos  armées 
et  nos  corps  d'armée. 

«  L'Ëtat-major  ne  donnait  pas  de  plan  général  ;  il  indiquait  pour  cha- 
que jour  des  marches  particulières  pour  chaque  formation.  Les  corps 
d'armée  tournaient  tantôt  d'un  côté,  tantôt  de  l'autre  ;  les  hommes  se 
fatiguaient,  les  chefs  s'énervaient  dans  l'incertitude  de  ce  qui  se  pas- 
serait le  lendemain,  —  des  décisions  a  prendre,  des  ordres  à  donner.  — ■ 


61BLI0GRAPH1Ë  ^4^ 

Le  seul  but  «  aider  les  Alliés  »  était  bien  vague.  Cependant,  les  efforts 
de  l'arfliée  rtisse,  désastreux  pour  elle,  permettaient  aux  Français  de 
remporter  la  victoire  de  la  Marne.  » 

Le  général  Kliouev,  qui  commandait  la  XlIP  armée,  fut  fait  prison- 
nier avec  une  grande  partie  de  ses  officiers.  Pendant  sa  captivité  en 
Allemagne,  il  dicta  ses  mémoires  pour  se  disculper. 

Les  accusations  orales  portées  contre  lui  étaient  d'importance.  Voici, 
en  effet,  ce  que  l'on  trouve  dans  une  lettre  du  27  août  1914  adressée 
par  Janouschkévitch,  chef  de  l'Etat-major  général,  au  ministre  de  la 
guerre  Soukhomlinov.  «  Kliouev,  d'après  les  on-dit,  et  non  d'après  des 
rapports,  s'est  honteusement  rendu  personnellement.  Ses  troupes  (cela 
fait  mal  à  dire  et  à  écrire)  se  sont  mises  à  genoux  après  avoir  fiché 
leurs  fusils,  baïonnettes  en  terre.  Est-il  possible,  si  cela  est  confirmé 
et  s'il  revient  en  Russie,  qu'il  obtienne  le  pardon  et  ne  soit  pas  pen- 
du ?  »  (Krasny  Arkfiiv,  û''  1,  p.  23L)  Ces  lignes  sont  écrites  au  lende- 
main du  désastre,  d'après  les  racontars. 

A.  R.-P.,  dans  le  Voenny  Sbornik,  résume  l'exposé  des  opérations 
de  la  XlIP  armée  fait  par  le  général  Kliouev.  Celui-ci  critique  d'abord 
l'organisation  de  l'intendance,  incapable  de  ravitailler  les  corps  d'ar- 
mée qui  s'éloignaient  de  la  base  d'Ostrolenka  et  qui  manquèrent  de 
pain. 

Les  régiments  comptaient  trop  peu  d'officiers,  pour  un  trop  grand 
nombre  de  soldats  ;  il  y  avait  trop  d'hommes  de  réserve  qui  manquaient 
d'entraînement.  Le  plan  d'attaque  en  Prusse  Orientale,  établi  deux  ans 
auparavant  par  le  district  militaire  de  Varsovie,  ne  fut  nullement  suivi 
dès  le  premier  jour.  Dans  une  région  aussi  difficile  au  point  de  vue  des 
communications,  le  front  d'un  corps  d'armée  ne  doit  pas  s'étendre  sur 
])lus  de  10  kilomètres.  Or,  dès  que  les  1",  XV^  VP  corps  eurent  été 
repoussés  par  les  Allemands,  le  front  se  trouva  élargi  sur  80,  puis  sur 
120  kilomètres.  La  reconnaissance  par  avions  n'était  qu'embryonnaire, 
et  livrée  au  caprice  des  appareils. 

Ni  le  général  Kliouev,  ni  ses  subordonnés  n'étaient  au  courant  de 
la  situation  générale.  Jusqu'au  25  août,  il  savait  seulement  qu'à  sa 
droite  se  trouvait  le  VL'  corps  et  à  sa  gauche  le  XV^  Aucun  renseigne- 
ment sur  la  situation  de  la  L'^  armée.  Aucun  but,  aucune  directive  ; 
seulement  des  ordres  de  se  diriger  tantôt  à  droite,  tantôt  à  gauche  ; 
enfin,  une  seule  fois,  l'ordre  de  s'emparer  d'Allenstein. 

Les  ordres  arrivaient  trop  tard,  juste  au  moment  où  les  troupes 
allaient  partir.  L'attente  énervait  le  commandement  et  les  soldats. 

«  Aucune  liaison  n'existait  entre  les  corps  d'armée  :  l'Etat-major 
envoyait  des  télégrammes  chiffrés  au  XIIP  corps  qui  ne  possédait  pas 
le  chiffre.  Les  Allemands  qui  avaient  muni  cette  contrée  de  tout  un 
système  de  télégraphes  souterrains  (?)  et  d'une  organisation  d'espion- 
nage, étaient  mieux  au  courant  de  l'emplacement  de  nos  troupes  que 
notre  propre  Etat-major,  resté  trop  longtemps  à  Ostrolenka,  à  177  km. 
en  arrière.  »  Après  ces  considérations  générales  sur  les  causes  de  la 
défaite  du  Xlll''  corps,  le  général  Kliouev  passe  aux  détails  des  opé- 
rations des  divisions. 

Tout  ce  tableau  attristant  est  complété  par  les  souvenirs  de  J.  Pa- 


2AA  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

tronov,  capitaine  d'Etat-major  à  la  16^  division  du  VP  corps.  Après 
avoir  fait  un  portrait  cruel  du  général  Blagovestchensky,  commandant 
du  VI"  corps,  il  nous  montre  le  mode  de  travail  de  l'Etat-major  :  le 
rigoureux  formalisme  du  temps  de  paix  a  été  conservé,  —  les  rapports 
suivent  scrupuleusement  la  voie  hiérarchique,  et,  de  cette  façon,  les 
ordres  arrivent  après  l'heure  à  laquelle  ils  devraient  être  exécutés. 

Le  VI*  corps  se  met  en  marche  sans  avoir  de  renseignements  sur  les 
corps  voisins.  On  sait  seulement  que  «  Rennenkampf  au  Nord  pour- 
suit les  Allemands  ».  Oi'  ?  Dans  quelle  direction  ?  On  l'ignore. 
Et  jusqu'à  la  fin  des  opérations,  le  VP  corps  ignorera  qui  se  trouve 
à  sa  gauche  et  quel  est  le  but  assigné  au  XIIP  corps. 

Au  bout  de  sept  jours  de  marche  sans  arrêts,  l'enthousiasme  des 
troupes  a  fait  place  à  la  fatigue.  Elles  n'ont  plus  de  pain  ;  elles  se 
ravitaillent  chez  le  paysan. 

Le  26  août,  après  11  jours  de  marche,  la  16"  division  s'empare  de 
Bischofburg,  et  reçoit  l'ordre  de  se  diriger  vers  le  Sud  sur  AUenstein  ; 
au  bout  de  15  km.,  contre-ordre  ;  il  faut  revenir  sur  Bischofburg  où 
la  canonnade  se  fait  entendre. 

Les  divisions  qui  arrivent  l'une  après  l'autre  sont  repoussées  par  les 
Allemands  ;  des  régiments  reçoivent  l'ordre  de  battre  en  retraite  sans 
avoir  combattu. 

Le  général  Blagovestchensky,  qui  se  félicitait  d'avoir  échappé  ainsi 
au  sort  du  XIIP  corps  et  d'avoir  sauvé  le  VP  en  ne  l'envoyant  pas  tout 
entier  au  combat,  est  relevé  de  ses  fonctions  quelques  jours  après. 
Le  capitaine  Patronov  ne  revient  pas  sur  les  causes  de  la  défaite, 
déjà  exposées  par  le  colonel  Foukhs  ;  il  n'insiste  pas  sur  la  fameuse 
nécessité  d'agir  vite  pour  aider  la  France. 

Mais  il  fait  remarquer  que  les  explications  que  l'on  a  données  plus 
tard  sur  les  revers  des  Russes  ne  s'appliquent  pas  aux  combats  du 
mois  d'août  1914. 

On  a  mis  en  avant  le  manque  de  munitions,  l'insuffisance  de  prépa- 
ration militaire  des  nouvelles  recrues,  l'absence  de  patriotisme. 

Dans  ces  premiers  combats  en  Prusse  Orientale,  il  y  avait  des 
munitions,  l'artillerie  fonctionnait  admirablement,  les  meilleurs  régi- 
ments étaient  en  ligne,  et  pleins  d'ardeur,  —  et  cependant  on  fut  battu 
par  un  ennemi  inférieur  en  nom,bre.  Les  Russes  avaient  9  corps 
d'armée  et  6  divisions  de  cavalerie  contre  5  corps  d'armée  allemands 
et  1  division  de  cavalerie. 

Par  conséquent,  les  causes  de  la  défaite  incombent  au  haut  com- 
mandement. La  guerre  russo-japonaise  avait  montré  au  monde  entier 
que  90  %  des  officiers  supérieurs  avaient  brillé  par  leur  incapacité 
et  leur  ignorance.  Avec  le  régime  tsariste,  le  haut  commandement 
n'était  soumis  à  aucun  contrôle  ;  il  dépendait  directement  de  l'em- 
pereur. 

Les  généraux  qui  avaient  subi  des  revers  pendant  la  guerre  avec  le 
Japon  avaient  été  mis  en  disgrâce,  —  mais  les  «  malins  »,  c'est-à-dire 
ceux  qui  n'avaient  pas  été  à  la  guerre  et  qui  étaient  restés  dans  les 
bureaux,    avaient    continué    leur    carrière    d'après    l'ancien  système. 


'  BIBLIOGRAPHIE  245 

Samsonov  avait  commandé  une  division  pendant  la  guerre  russo- 
japonaise  ;  pas  d'autre  preuve  de  sa  capacité. 

En  Prusse  Orientale,  il  oublie  que,  comme  commandant  de  5  corps 
d'armée,  il  doit  diriger  de  l'arrière  ;  il  quitte  son  quartier  général 
pour  aller,  comme  en  promenade,  en  automobile  au  milieu  de  la  ba- 
taille, perdant  ainsi  toute  liaison  avec  les  corps  d'armée,  perdant  la 
direction  générale  de  l'attaque,  et  se  sacrifiant  inutilement. 

Rennenkampf  était  un  habile  arriviste,  qui  sut  toujours  faire  valoir 
ses  succès  ;  après  sa  victoire  à  Gumbinnen,  il  s'arrête.  Ludendorff 
lui-même,  dans  ses  Mémoires,  avoue  qu'il  n'a  pas  compris  cet  arrêt. 
«  La  déroute  de  l'armée  allemande,  dit-il,  dépendait  à  ce  moment  de 
la  rapidité  d'action  de  Rennenkampf...  ;  nous  étions  perdus,  s'il  avait 
avancé.  » 

Le  général  allemand  von  François  explique  cet  arrêt  en  disant  que 
Rennenkampf  ne  pouvait  avancer  que  sur  l'ordre  du  général  Gilinski  et 
du  Grand-Duc  Nicolas,  et  que  ceux-ci,  le  27  aoiit,  l'arrêtèrent  dans  sa 
marche.  Pourquoi  ?  La  question  reste  à  éclaircir. 

En  résumé,  de  ces  trois  articles,  il  ressort  que,  d'après  le  colo- 
nel Foukhs,  la  défaite  de  la  W  armée  russe  en  Prusse  Orientale  est  due 
à  l'ordre,  impossible  à  exécuter,  de  faire  une  attaque  rapide  pour 
sauver  la  France  à  tout  prix  ;  mais,  d'après  le  jeune  capitaine  d'Etat- 
major  Patronov,  la  défaite  est  surtout  due  à  l'incapacité  notoire  des 

grands  chefs. 

WiLFRID  LERAT. 


LES  LIVRES  NOUVEAUX 


W.-A    SUKOMLiNOV.    —    Erinnerungen    (Souvenirs    de    Sukomlinov). 

Edition  allemande.  Berlin,  Reimer  Hobbing,  1924,  in-8",  534  p. 

Le  général  Sukomlinov,  le  ministre  de  la  guerre  russe,  condamné 
pour  trahison  à  la  détention  perpétuelle,  et  actuellement  réfugié  dans 
un  petit  village  du  Brandebourg,  a  jugé  bon  de  publier  ses  souvenirs 
en  allemand,  langue  qu'il  possède  parfaitement,  avant  d'en  donner  une 
édition  russe  (1).  Cet  ouvrage  est,  en  effet,  très  digne  de  figurer  dans 

(1)  L'édition  russe  Vospaminaiia,  Berlin,  1924,  in-4,  VllI-438  p.)  a  paru,  à 
Berlin  également,  un  peu  plus  tard  que  l'édition  allemande. 

Les  deux  éditions  ne  diffèrent  pas,  mais  l'auteur  a  jugé  nécessaire  d'ajouter 
quelques  mots  à  la  préface  de  l'édition  russe  et  un  Appendice  aux  Mémoii-es. 

La  préface  russe  ne  fait  que  préciser  l'idée  dominante  du  livre. 

«  J'ai  tout  fait  pour  réorganiser  l'armée  russe. . .  ;  le  Tsar  et  moi,  nous 
«  étions  d'accord  pour  éviter  la  guerre  ;  si  elle  a  été  déclarée  c'est  par  suite 
u  des  intrigues  du  Grand-Duc  Nicolas  Nicolaïevitch  ;...  l'ordre  de  mobilisation, 
«  c'est-à-dire  la  déclaration  de  guerre,  n'a  été  porté  à  ma  connaissance  que  de 
■  troisième  main,  par  mon  subordonné  le  Chef  d'Etat-major  Janouclikéwitch. 

«  Les  conditions  dans  lesquelles,  nous,  ministres,  nous  étions  placés  parle 
«  Tsar  écartent  la  possibilité  des  reproches  sur  mon  manque  d'énergie  et 
a  d'initiative. .. 

•  Le  seul  et  unique  conseiller  actif,  et  de  plus  occulte,  par  conséquent  sans 
«  responsabilité,  était    le  Grand-Duc  Nicolas    Nicolaïewitch.   C'était  ce  per- 


2^6  HISTOIRE  DE  LA  GUERRH 

la  littérature  allemande  d'après-guerre,  en  raison  de  la  haine  que 
l'auteur  manifeste  en  toute  occasion  envers  la  France,  bien  que  cette 
attitude  se  concilie  difficilement  avec  les  efforts  que  fait  Sukomlinov 
pour  essayer  de  prouver  qu'il  est  innocent  de  la  trahison  pour  laquelle 
il  a  été  condamné.  D'ailleurs,  l'Allemand  Gleinow,  dans  la  préface  qu'il 
a  donnée  à  l'ouvrage,  cherche  à  tirer  tout  le  parti  possible  des  soi- 
disant  révélations  du  général  au  sujet  de  la  mobilisation  russe.  On 
verra  plus  loin  qu'il  n'a  pu,  malgré  ses  efforts,  y  trouver  de  bien 
sérieux  arguments  en  faveur  de  la  thèse  allemande. 

Né  en  1848,  dans  le  gouvernement  de  Kowno,  près  de  la  frontière 
prussienne,  d'une  famille  originaire  de  l'Ukraine  et  d'un  père  fonc- 
tionnaire, Sukomlinov,  entré  en  1861  dans  une  école  de  cadets,  devait 
faire  une  très  brillante  carrière.  Successivement  élève  à  l'Ecole  de 
Cavalerie  Nicolas,  cornette  aux  uhlans  de  la  Garde,  élève  à  l'Académie 
d'Etat-majcr  Nicolas,  attaché  à  l'Etat-major  de  la  Garde  comme 
capitaine  en  1874,  capitaine  commandant  aux  Cuirassiers  de  l'Empe- 
reur, il  prit  part,  comme  officier  d'Etat-major,  à  la  guerre  russo-turque, 
après  laquelle  il  fut  appelé  à  l'Académie  comme  conférencier. 
Nommé  colonel  à  32  ans,  il  commanda  les  hussards  de  Pavlograd, 
transformés  en  dragons,  à  Suvalki,  sur  la  frontière,  de  1884  à  1886, 
puis  pendant  douze  ans  l'Ecole  de  Cavalerie,  et  enfin  de  1898  à  1900, 
la  10"  Division  de  Cavalerie  à  Kharkov.  Remarqué  depuis  longtemps  par 
Dragomirov,  il  allait  s'attacher  à  sa  fortune  et  devenir  successivement 
son  Chef  d'Etat-major  au  Gouvernement  général  de  Kiev,  puis  son 
adjoint,  et  plus  tard  commandant  en  chef  des  troupes,  lorsque  ces 
fonctions  furent  séparées  de  celles  du  gouverneur.  En  1905,  Su- 
komlinov était  nommé  gouverneur  général  à  Kiev,  et  avait  en  cette 
qualité  à  réprimer  les  graves  désordres  qui  marquèrent  l'issue  de  la 
guerre  contre  le  Japon,  Ce  qu'il  appelle  son  «  rôle  historique  »  date 
de  cette  époque. 

C'est  aussi  à  ce  moment  qu'il  fait  remonter  l'hostilité  que  devait 
constamment  lui  témoigner  le  Grand-Duc  Nicolas  Nicolaiévitch,  dont 
Sukomlinov  combattit  énergiquement  les  vues,  notamment  en  ce 
qui  concernait  le  projet  de  rendre,  à  l'imitation  du  système  allemand, 
le  Chef  d'Etat-major  général  de  l'Armée  indépendant  du  Ministre  de 
la  guerre.  Aussi,  quand,  en  1908,  le  tsar  proposa  à  Sukomlinov  le 
poste  de  Chef  d'Etat-major,  celui-ci  mit  pour  condition  à  son  accep- 
tation qu'il  serait  subordonné  au  ministre  et  ne  ferait  de  rapport  à 
l'Empereur  qu'en  présence  de  son  chef. 

Si  l'on  en  juge  d'après  ce  que  dit  l'auteur,  l'anarchie  et  le  désordre 
qui  résultaient  dans  l'armée  russe  des  influences  contradictoires  des 

«  sonnage  tout  puissant,  agissant  dans  la  coulisse,  contre  lequel  aucun  des 
«  ministres  qui  ne  partageaient  ni  sa  politique  ni  ses  idées  ne  pouvait  lut- 
«  ter  victorieusement,  t 

Cette  préface  est  nette,  et  les  Mémoires  ne  feront  qu'illustrer  l'antagonisme 
qui  existait  entre  le  Ministère  et  le  Grand  Quartier  général. 

L'Appendice  contient  le  pourvoi  en  Cassation  du  Général  après  son  procès. 
C'est  la  seule  pièce  officielle  qui  lui  reste,  dit-il,  pour  critiquer  son  jugement 
et  se  défendre  contre  les  accusations  portées  contre  lui.  —  n.  d.  t.  h. 


BIBLIOGRAPHIE  247 

diverses  autorités,  notamment  des  Grands-Ducs,  rendaient  indispen- 
sable l'organisation  d'une  autorité  unique,  seule  responsable  devant 
le  souverain.  Ce  furent  les  attributions  qui,  nominalement  au  moins, 
furent  dévolues  à  Sukomlinov,  quand,  en  1909,  il  prit  les  fonctions 
de  ministre  de  la  guerre. 

Son  œuvre,  sur  laquelle  il  s'étend  complaisamment,  consista  surtout 
à  créer  le  recrutement  régional,  grâce  auquel,  il  faut  le  reconnaître,  la 
mobilisation  russe  devait  être  en  1914  considérablement  facilitée  et 
activée.  Cela  n'empêche  pas  Sukomlinov  de  soutenir  que  l'alliance 
franco-russe  était  toute  au  bénéfice  de  la  France,  alors  que  la  Russie 
n'avait  rien  à  gagner  à  une  guerre,  et  bien  loin  d'être  reconnaissant 
à  nos  dirigeants  de  l'appui  énergique  qu'ils  donnèrent  à  leurs  alliés, 
lorsque  ceux-ci,  à  propos  de  l'envoi  de  Liman  von  Sanders,  furent 
tout  près  d'une  rupture  avec  la  Turquie,  pour  une  question  n'intéres- 
sant en  réalité  que  la  Russie,  le  général  et  son  metteur  en  scène  alle- 
mand ne  veulent  voir  dans  notre  attitude  qu'une  preuve  de  nos  inten- 
tions belliqueuses.  C'est  ce  qu'ils  s'efforcent  de  prouver  aussi  à  propos 
de  la  condition  mise  par  la  France  à  l'emprunt  de  1913,  consenti  seule- 
ment contre  la  promesse  de  construire  ou  d'améliorer  des  lignes  de 
chemins  de  fer  stratégiques  indispensables  pour  rendre  effectif  l'arran- 
gement conclu  dès  1892  entre  les  Etats-majors  français  et  russes  pour 
le  cas  d'un  conflit  avec  l'Allemagne,  a'frangernent  renouvelé  plusieurs 
fois,  notamment  en  1911  entre  les  généraux  Dubail  et  Gilinski,  puis, 
en  1912  entre  ce  dernier  et  le  général  Joffre.  Il  y  était  expressément 
spécifié  que  le  terme  «  guerre  de  défense  »  n'impliquait  nullement 
qu'une  fois  engagées,  les  hostilités  dussent  être  conduites  d'une  façon 
défensive.  Tout  au  contraire,  convaincus  que  l'Allemagne  attaquerait 
la  France  avec  la  majorité  de  ses  forces,  les  contractants  concluaient 
à  la  nécessité  pour  la  Russie  de  prendre  l'offensive  le  plus  tôt  possible 
avec  le  minimum  de  800.000  hommes  prévu  depuis  de  longues  années. 
Mais  comment  et  pourquoi  le  négociateur  français  s'engageait-il  lui 
aussi  à  prendre  l'offensive  avec  «.  toute  la  masse  de  ses  troupes... 
dépassant  de  beaucoup  1.300.000  hommes  »,  c'est  ce  qu'il  faut 
renoncer  à  expliquer  ;  car  le  texte  de  la  convention  ne  permet  pas 
d'affirmer  que  cette  attitude  du  côté  français,  origine  de  si  grands 
malheurs,  ait  résulté  d'exigences  émises  par  les  autorités  russes. 

En  ce  qui  concerne  la  question  si  controversée  de  la  mobilisation 
russe,  la  version  de  Sukomlinov  est  la  suivante  : 

11  explique  d'abord  que,  tenu  à  l'écart  de  la  politique  par  suite  de  la 
méthode  rigoureusement  suivie  par  le  tsar,  qui  ne  tolérait  pas  qu'un 
ministre  empiétât  sur  les  attributions  d'un  autre,  il  n'eut  aucun  rôle 
dans  les  actes  diplomatiques  qui  aboutirent  au  conflit.  Soldat  et  rien 
que  soldat,  il  ne  crut  pas  devoir  soulever  la  moindre  objection, 
lorsqu'au  conseil  des  ministres,  tenu  le  25  juin  sous  la  présidence  de 
l'Empereur,  il  fut  décidé  que  la  date  du  lendemain  «  serait  celle  du 
début  de  la  période  de  préparation  à  la  guerre  (Kricgsvorbereitung). 
Si  cette  mesure  ne  suffisait  pas  à  soulager  la  situation  diplomatique,  on 
procéderait  comme  seconde  étape  à  la  mobilisation  partielle  contre 
l'Autriche-Hongrie  ». 


248  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

En  conséquence,  dès  le  26,  les  troupes  qui  se  trouvaient  dans  les 
camps  d'instruction  furent  rappelées  dans  leurs  garnisons,  où  l'on 
procéda  à  des  inspections  de  matériel  de  campagne. 

Il  avait  été  admis  en  Russie  que  l'ordre  de  mobilisation,  une  fois 
signé  par  l'Empereur,  devrait  être  contresigné  par  les  ministres  de  la 
guerre,  de  la  marine  et  de  l'intérieur.  Mais  c'était  celui  des  affaires 
étrangères,  Sazonov,  qui  avait  à  transmettre  au  chef  d'Etat-major 
général  l'avis  de  rédiger  l'ordre  de  mobilisation.  Tout  à  fait  en  dehors 
de  Sukomlinov,  Sazonov  aurait,  le  28,  invité  le  général  Janousckévitch 
à  préparer  deux  ordres,  l'un  pour  une  mobilisation  partielle,  l'autre 
pour  une  mobilisation  totale.  Ces  deux  pièces  furent  signées  par 
l'Empereur  et  contresignées  par  le  président  du  Sénat.  Les  télégrammes 
furent  préparés  à  l'Etat-major  pour  être  revêtus  de  la  signature  des 
trois  ministres. 

Or  quand,  le  28  au  matin,  Sukomlinov  se  présenta  à  l'Empereur, 
il  n'eut  à  traiter  que  les  affaires  courantes,  et  il  ne  fut  pas  question 
de  mobilisation. 

Mais,  à  peine  rentré  à  son  bureau  et  avant  midi,  le  ministre  appre- 
nait du  général  Janousckévitch,  que  celui-ci  avait  reçu  de  Sazonov 
l'avis  que  l'Empereur  avait  décidé  la  mobilisation  partielle  dans  les 
districts  de  Kiew,  Moscou,  Kazan  et  Odessa.  C'était  la  réponse  à  la 
mobilisation  générale  autrichienne,  que  l'ambassadeur  russe  à  Vienne 
venait  d'annoncer.  Malgré  sa  répugnance,  Sukomlinov  dut  donc 
«  le  28  juillet,  appuyer  sur  le  bouton  pour  prescrire  la  mobilisation 
partielle  2>. 

Or,  au  milieu  de  la  nuit  du  29  au  30,  le  tsar  téléphona  à  Sukom- 
linov que  l'Empereur  allemand  lui  demandait  d'arrêter  la  «  mobilisa- 
tion partielle  »  de  l'armée,  sans  garantir,  du  reste,  que  les  Autrichiens 
suspendraient  leur  «  mobilisation  totale  »,  et  demanda  au  ministre 
s'il  était  possible  d'arrêter  celle  de  l'armée  russe,  toujours  partielle, 
mais  déjà  commencée.  Sukomlinov  répondit  que  cette  mesure  aurait 
les  plus  graves  inconvénients  et  conseilla  au  souverain  de  prendre 
à  ce  sujet  l'avis  du  Chef  d'Etat-major  général.  Peu  après,  ce  dernier 
téléphonait  à  son  tour  au  ministre  qu'il  avait  fait  à  l'Empereur  la  même 
réponse,  de  sorte  que  rien  ne  fut  changé  aux  ordres  déjà  donnés. 

Enfin,  le  30,  entre  une  et  deux  heures  du  soir,  Sukomlinov  apprit 
par  Janousckévitch  que  ce  dernier  avait  reçu,  par  l'intermédiaire  de 
Sazonov,  l'ordre  impérial  de  procéder  à  la  «  mobilisation  totale  ». 

Telle  est  la  version  dont  les  Allemands  se  sont  emparés  pour  essayer 
de  démontrer  :  1"  que  la  mobilisation  totale  de  l'armée  russe  avait 
été  décidée  dès  le  28  juillet  ;  2°  qu'elle  avait  tout  au  moins  précédé 
la  nouvelle,  d'ailleurs  fausse,  d'après  eux,  donnée  le  30  juillet  par  le 
Lokal  Anzeiger  de  la  mobilisation  allemande,  car,  suivant  son  témoi- 
gnage reproduit  dans  le  livre  de  Sukomlinov,  l'ambassadeur  russe 
à  Berlin,  Serbéiev,  n'en  aurait  connaissance  que  le  même  jour 
à  2  heures  25  du  soir  (1),  et  son  télégramme  serait  parvenu  à  Péters- 
bourg  à  4  heures  du  soir  seulement.  Tout  cela  est  fort  suspect  ;  car  si, 

(\)  Il  l'aurait  d'ailleurs  démentie  à  2  h.  40,  puis  un  peu  plus  tard,  mais  ces 
deux  dernières  dépêches  ne  seraient  arrivées  à  Pétersbourg  que  vers  9  heures. 


BIBLIOGRAPHIE  249 

de  l'aveu  des  Allemands,  le  supplément  du  Lokat  Anzeiger  parut  à 
une  heure  du  soir,  il  est  probable  que  la  nouvelle  était  connue  bien 
plus  tôt  que  dans  la  matinée,  et  rien  ne  prouve  que  Sazonov  ne  la 
reçut  pas  avant  le  télégramme  officiel  de  son  ambassadeur. 

Une  fois  la  guerre  décidée,  se  posa  du  côté  russe  la  grave  question 
du  Commandant  en  chef.  Il  avait  toujours  été  admis  que  l'Empereur 
assumerait  ces  fonctions.  Mais  il  dut  y  renoncer  devant  les  instances 
de  ses  ministres  auxquels  se  joignit  Sukomlinov.  Ce  dernier  ayant 
refusé  de  les  accepter,  par  crainte,  dit-il,  des  intrigues  que  le  Grand-Duc 
Nicolas  ne  manquerait  pas  d'ourdir  contre  lui  s'il  restait  chargé  du 
commandement  de  la  IV  armée  à  Pétrograd,  ce  fut  lui  qui  insista 
pour  faire  attribuer  le  commandement  suprême  à  celui  qu'il  considérait 
comme  son  ennemi  juré,  et  des  talents  duquel  il  n'avait  pas  une  haute 
idée. 

Cette  attitude  est  aussi  difficile  à  expliquer  qu'à  excuser.  Quoi  qu'il 
en  soit,  Sukomlinov  n'en  fut  pas  récompensé,  car  ses  rapports  avec 
le  Grand-Duc  restèrent  exécrables,  et  ses  relations  avec  la  Stavka 
se  bornèrent,  dit-il,  à  un  échange  de  lettres  personnelles  entre  le 
Ministre  et  le  Chef  d'Etat-major  des  armées  en  campagne. 

Sukomlinov  attribue  les  désastres  de  1915  aux  fautes  stratégiques 
du  Grand-Duc  Nicolas,  et  cherche  à  dissimuler  la  part  prépondérante 
qu'eurent  dans  les  échecs  le  manque  de  munitions,  et  surtout  le  manque 
de  fusils.  Mais  la  disgrâce  du  commandant  en  chef  devait  entraîner  la 
sienne.  Relevé  de  ses  fonctions  de  ministre  le  24  juin  1915,  il  allait 
bientôt  être  incarcéré  à  la  forteresse  Pierre  et  Paul,  sous  l'inculpation 
de  haute  trahison.  Commencé  sous  le  régime  impérial,  le  procès  ne 
fut  jugé  que  sous  le  gouvernement  provisoire.  Sukomlinov  se  défend 
comme  un  beau  diable  ;  mais  ne  pouvant  nier  les  relations  qu'il  eut 
avec  Miaisoiédov  et  Altschiller,  il  est  conduit  à  essayer  de  démontrer 
l'innocence  de  ces  deux  hommes,  qui  furent  tous  deux  condamnés. 

Ce  qui  devient  tout  à  fait  singulier,  c'est  le  contraste  entre  les 
rigueurs  subies  par  Sukomlinov  pendant  l'instruction  de  son  affaire, 
et  la  douceur  du  traitement  qui  lui  fut  appliqué  après  le  verdict. 
Bientôt  amnistié  par  le  gouvernement  des  Soviets,  ce  dernier  le  laissait 
passer  en  Finlande  sans  grande  difficulté.  Là,  il  était  fort  bien  accueiUi, 
et  plus  tard,  il  trouvait  un  refuge  en  Allemagne,  oiJ  il  est  encore. 

Tout  cela  ne  milite  guère  en  faveur  de  son  innocence. 

E.  Desbrière. 

MiCHAEL  Karolyi.  —  Gegcn  eine  ganze  Welt.  Mein  Kampf  uni  den 
Frieden.  (Contre  tout  un  monde.  Ma  lutte  pour  la  paix.)  Miinchen, 
Verlag  fiir  Kulturpolitik,  1924,  in-8°,  XVI  +  515  pages. 

On  pouvait  s'étonner  que  le  comte  Michel  Karolyi,  qui  se  savait  un 
objet  de  réprobation  pour  «  tout  un  monde  »,  n'eût  pas  tenté  encore, 
non  pas  de  se  réhabiliter,  —  on  lui  prêterait  à  tort  quelque  velléité  de 
contrition,  —  mais  de  s'expliquer.  «  J'écris  les  mémoires  d'un  homme 
blessé  »,  dit-il.  La  blessure  est  toujours  irritée.  La  cause  qu'il  entre- 
prend de  plaider  est  celle  de  la  Révolution  d'octobre  1918,  «  moment 


250 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


où  le  peuple  hongrois  s'est  découvert  lui-même  »,  mais  dont  il  semble 
bien  que  le  souvenir  se  soit  évaporé.  Aussi  Karolyi  veut-il  le  remémorer 
«  pour  l'histoire  ».  Il  a  pu  emporter  en  exil  —  sa  préface  est  datée 
de  Raguse,  1"  septembre  1922  —  des  papiers  privés  et  officiels,  le 
journal  qu'il  a  dicté  à  sa  femme,  et  il  a  pu  travailler  avec  son  ami  et 
animateur.  Oscar  laszy. 

Michel  Karolyi  a  été,  dès  sa  jeunesse,  un  déclassé  dans  son  milieu 
natal  et  social.  Il  a  eu  la  bonne  fortune  et  le  courage  de  s'évader  très 
tôt  de  l'enclos  hongrois,  à  l'atmosphère  étouffante  à  la  fois  et  agitée. 
Il  a  cédé  au  goût  des  voyages  lointains,  mais  il  s'est  imprégné  surtout 
de  l'esprit  français  ou  plutôt  parisien  (1)  ;  l'hôtel  de  son  oncle  Ladis- 
las,  au  quai  d'Orsay,  a  été  pour  lui  un  lieu  d'éducation  :  il  lut  l'Ency- 
clopédie, Louis  Blanc,  Fourier,  Proudhon.  Son  parentage  avec  le  nobi- 
liaire du  faubourg  Saint-Germain,  les  Dillon,  les  Polignac,  etc.,  lui 
permit  de  comparer  l'aristocratie  française,  qui  n'exerçait  aucune 
influence  politique,  avec  la  caste  féodale  hongroise,  maîtresse  unique 
et  jalouse  du  pays.  Dans  sa  famille  même,  il  rencontra  quelques 
révoltés,  un  oncle  qui  lut  et  commenta  avec  lui  Karl  Marx,  de  sorte 
que  le  jeune  comte,  qui  possédait  d'immenses  domaines  et  une  écurie 
de  course,  devint  l'ennemi  de  la  propriété  individuelle.  Ajoutez  qu'il 
hérita  aussi  de  la  haine  contre  les  Habsbourg,  endémique  chez  quel- 
ques impénitents  du  patriciat.  Il  se  laissa  donc  encadrer  dans  le  parti 
de  1848  et  de  l'Indépendance,  et  se  traça  un  programme  qu'il  formule 
en  ces  trois  vocables  (p.  43)  :  antlhabsburgimus,  antifeudalismus, 
slavenfreundschaft. 

Il  était  dégoûté  de  ce  qu'il  appelle  «  le  système  »,  dont  Stefan  Tlsza 
fut  jusqu'à  la  fin  l'homme  représentatif.  Il  en  a  suivi  les  phases  ;  l'his- 
torique des  querelles  intérieures  n'intéressera  que  les  initiés  et  fati- 
guera le  lecteur  étranger.  Karolyi  en  tire  cette  conclusion  désolante 
que  la  Hongrie  ne  fut  guère  touchée  de  la  grâce  démocratique  :  c'est 
dans  la  formation  d'une  démocratie  qu'il  voyait  le  salut. 

Mais,  en  Hongrie,  la  démocratie  ne  pouvait  se  développer  tant  que 
pèserait  sur  elle  l'alliance  allemande,  protectrice  des  forces  de  réac- 
tion ;  Karolyi,  président  du  parti  de  l'Indépendance,  chercha  son  point 
d'appui  en  France  ;  à  la  fin  de  1913,  dans  les  premiers  mois  de  1914, 
il  bourdonna  autour  de  plusieurs  hommes  politiques  et  de  financiers 
français  :  Doumer,  André  Tardieu,  Clemenceau,  Caillaux,  Raphaël- 
Georges  Lévy,  Philouze.  Il  obtint  une  longue  audience  du  président 
Poincaré  (p.  90)  :  une  fois  l'union  avec  l'Autriche  rompue,  la  Hongrie 
s'équiperait,  s'industrialiserait  au  moyen  de  capitaux  français  et 
deviendrait  pour  la  France  un  second  non  négligeable  ;  plan  qui, 
d'après  Karolyi,  fut  contrarié  par  la  campagne  du  Figaro,  qu'aurait 
subventionné  Tisza  (p.  92).  Mais  on  objectait  surtout  à  Karolyi  qu'il 
n'avait  derrière  lui  qu'une  poignée  de  cotnparses,  au  Parlement  tout 
au  moins,  et  point  de  bailleurs  de  fonds.  Aussi  fit-il  une  tournée  de 
quête  aux  Etats-Unis  auprès  de  ses  compatriotes  ;  il  en   rapporta, 

(1)  Il  abuse  môme  de  l'argot;   il    rappelle  en  ces  termes    un   mot  célè'ore 
(p.  133):"  L'Autriche  epa<e?'a  le  monde.  » 


BIBLIOGRAPHIE  25 1 

outre  un  peu  d'argent,  une  déplorable  opinion  sur  l'ignorance  des 
politiciens  et  des  journalistes  américains. 

En  débarquant  au  Havre,  le  5  août  1914,  avec  ses  compagnons,  il 
fut  cueilli  par  la  police,  comme  sujet  d'une  puissance  ennemie,  bien 
que  la  guerre  avec  l'Autriche-Hongrie  ne  fût  pas  encore  déclarée. 
On  l'achemina  sur  Bordeaux,  où,  à  la  caserne  de  passage,  il  rencontra 
iWax  Nordau,  interné  com;ne  lui,  et,  en  ville,  des  réfugiés  officiels, 
notamment  M.  de  Margerie  (p.  114).  Il  fut  conduit  à  la  frontière  d'Es- 
pagne, après  avoir  signé  un  revers,  oià  il  s'engageait  à  ne  pas  com- 
battre contre  la  France  et  ses  alliés. 

Rentré  dans  son  pays  en  pleine  effervescence  belliqueuse,  il  se 
sentit  «  inactuel  ».  I!  agit  hors  cadre  :  c'est  ainsi  qu'en  marge  de  la 
diplomatie,  il  amorça  une  négociation  avec  Sonnino,  par  l'entremise 
d'un  prêtre  hongrois,  l'abbé  Jean  Tbrok.  Le  ministre  italien,  qui  reçut 
ce  missionnaire,  aurait  promis  de  laisser  tomber  les  prétentions  ita- 
liennes sur  Fiume,  et  de  contenir  la  Roumanie  dans  la  neutralité,  s'il 
se  constituait  en  Hongrie  un  gouvernement  de  pacifistes.  Cet  épisode 
provoqua  plus  tard  contre  Karolyi  une  accusation,  sinon  un  procès 
de  haute  trahison,  dont  il  raconte  avec  prolixité  la  trame  policière. 

L'attitude  de  Karolyi  pendant  la  crise  fut  très  nette,  il  faut  lui 
rendre  cette  justice  :  répudiation  de  l'alliance  allemande  comme  du 
Mitteleuropa  ;  point  d'empire  européen  des  Hohenzollern,  point  même 
de  dualisme  avec  les  Hohenzollern  (Jiohenzollerndualismus).  Mais  les 
hobereaux  s'attachaient  à  l'alliance  allemande  parce  que  l'afflux  des 
produits  manufacturés  allemands  empêcherait  l'industrialisation  de  la 
Hongrie  et  le  renforcement  du  parti  ouvrier. 

Ce  rôle  d'adversaire  de  l'Allemagne  et  de  protagoniste  de  la  paix 
mit  Karolyi  en  odeur  de  sainteté  auprès  du  monarque,  qui  comptait 
aussi  sur  lui  pour  le  délivrer  de  Tisza.  Karolyi  a  tracé  de  son  roi, 
qu'il  put  longuement  catéchiser  à  Baden,  le  22  mars  1917,  un  portrait 
qui  confirme  ce  que  l'on  savait  de  ce  prince  ingénu.  Karolyi  eut  aussi 
l'occasion  de  converser  avec  le  comte  Czernin,  dont  il  signale  les 
variations  ;  mais  Czernin,  dans  son  livre,  est  muet  sur  ses  rapports 
avec  le  politicien  hongrois. 

On  pressait  Karolyi  d'entrer  dans  un  ministère  de  concentration 
pour  l'emprisonner  et  l'annuler.  Il  ne  donna  pas  dans  le  piège.  Il  accen- 
tua son  opposition,  parut  au  congrès  pacifiste  de  Berne,  prit  contact 
avec  les  révolutionnaires,  notamment  avec  Stefan  Friedrich,  le  futur 
régénérateur  de  «  l'ère  chrétienne  »,  alors  propagandiste  par  le  fait. 
Seul  il  avait  un  plan  d'action,  alors  que  les  vieux  routiers,  les  vieux 
chefs,  Tisza,  Andrassy,  "W^ekerlé,  défaillaient  :  de  ce  dernier,  Karolyi 
cite  un  mot  révélateur  de  la  politique  austro-hongroise.  Comme  il  lui 
reprochait  d'avoir  continué  la  guerre  déjà  désespérée,  Wekerlé  lui 
répondit  placidement  :  «  Vois-tu,  mon  cher,  nous  ne  pouvions  pas 
faire  autrement  à  cause  des  Allemands  (p.  406).  » 

Aussi  Karolyi  eut-il  beau  jeu  contre  les  perdants.  A  la  session  des 
Délégations,  le  15  octobre,  il  dénombra  les  fautes  qui  avaient  amené 
la  débâcle,  et,  le  lendemain,  à  la  Chambre,  ses  partisans  clamèrent 
leur  sympathie  pour  l'Entente.  Ce  fut  un  beau  scandale.  Mais  Tisza 


252 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


lui-même  «  fit  harakiri  »,  selon  l'expression  du  prince  Windischgratz, 
et  Karolyi  obtint  l'assentiment  général  pour  le  rappel  des  troupes  hon- 
groises. La  mutinerie  des  régiments  croates  à  Fiume  acheva  le  dé- 
sarroi. 

Karolyi  se  sentit  le  maître  de  l'heure.  Le  Roi  l'eût  volontiers  investi 
du  gouvernement,  s'il  ne  l'avait  soupçonné,  —  il  le  lui  déclara  fran- 
chement, —  de  préparer  la  République  ;  sur  quoi  Karolyi  le  rassura 
(p.  465).  Et  si  on  ne  l'avait  pas  joué,  il  eiit  sans  doute  tenu  parole.  On 
essaya  encore  de  bâcler  un  ministère,  en  dehors  de  lui,  contre  lui, 
alors  que  le  pouvoir  effectif  était  assumé  par  un  Conseil  National  com- 
posé de  Karolyistes  et  qui,  pour  venger  la  déception  de  son  chef, 
déclencha  la  révolution  dans  la  nuit  du  30  au  31  octobre.  C'est  alors 
que  l'archiduc  Joseph,  honw  regins,  nomma  Karolyi  ministre  Président. 
Au  moment  où  les  nouveaux  gouvernants  prêtaient  serment,  Tisza 
tombait  sous  les  coups  de  meurtriers. 

Ces  deux  péripéties  se  répondent  et  se  complètent.  Le  «  système  » 
que  Karolyi  avait  combattu  était  terrassé.  Trop  tard  pour  le  salut  de 
la  Hongrie.  Si  la  conception  de  Karolyi  avait  prévalu,  si  la  Hongrie 
ne  s'était  pas  fortement  engagée  dans  l'alliance  allemande,  si  elle  avait 
doté  du  droit  de  suffrage  intégral  les  masses  populaires,  et  de  l'au- 
tonomie les  peuples  sujets,  elle  eût  sans  doute  été  un  élément  d'ordre 
et  d'équilibre  dans  l'Europe  Centrale.  Karolyi  en  a  eu  l'intuition,  — 
ses  discours,  ses  actes  en  témoignent.  A  son  avènement  au  pouvoir, 
lorsqu'il  devient  le  grand  premier  rôle,  le  sort  de  son  pays  semble 
désespéré  ;  et  Karolyi  tente  une  suprême  lutte  contre  «  tout  un 
monde  ».  Cette  dernière  phase  de  sa  carrière  fera  sans  doute  l'objet 
d'un  volume  qui  apportera,  nous  l'espérons,  à  l'histoire  une  contribu- 
tion plus  substantielle,  avec  une  composition  plus  serrée,  que  l'ouvrage 
analysé  ici.  Jusque-là  il  est  équitable  de  suspendre  tout  jugement  sur 
un  personnage  qui  a  encore  beaucoup  à  dire. 

B.   AUERBACH. 

Général  Baron  von  Schonaich.  —  De  la  guerre  d'hier  à  la  guerre  de 
demain  (1). 

Sous  ce  titre,  le  général  allemand  D"'  Baron  von  Schonaich,  un  démo- 
crate et  un  pacifiste  convaincu,  nous  expose,  dans  un  livre,  ses  idées 
sur  la  situation  actuelle  de  l'Europe,  et  nous  avertit  des  dangers 
])olitiques  et  économiques  qui  nous  guettent  au  détour  de  1930,  si  les 
peuples  ne  veulent  pas  entendre  la  voix  de  la  raison. 

Ce  livre  est  d'autant  plus  intéressant  qu'il  est  écrit  par  un  ancien 
officier  général  de  l'armée  impériale  (2),  et  que  ses  collègues,  ceux  du 
régime  wilhelmien,  comme  ceux  qui  ont  prêté  serment  à  la  Constitution 
de  Weimar,  ne  nous  ont  guère  habitués  à  des  professions  de  foi 
républicaines. 

(Il  Ce  livre,  dont  la  publication  est  annoncée,  n'a  pas  encore    été  mis  en 
vente  au  moment  où  nous  mettons  sous  presse. 
(2)  Ancien  commandant  de  la  cavalerie  de  la  Garde, 


BIBLIOGRAPHIE  253 

Le  socialisme  et  le  pacifisme,  deux  notions  identiques  au  fond,  sont 
seuls,  d'après  l'auteur,  capables  de  donner  la  paix  au  monde,  pourvu 
qu'une  politique  de  réalisation  sache  s'inspirer  de  leur  force  et  favo- 
riser leur  développement.  Si  cette  planche  de  salut  est  volontairement 
abandonnée,  le  feu  qui  couve  encore  sous  les  cendres  de  la  dernière 
guerre  allumera  bientôt  un  nouvel  incendie,  plus  effroyable  que  le 
premier.  Tout  d'abord,  il  faut  abolir  le  particularisme  dissolvant  qui 
mènera  le  vieux  monde  au  bord  de  l'abîme,  et  édifier  à  sa  place  la 
Confédération  des  Etats-Unis  d'Europe  qui,  égale  en  puissance  aux 
Etats-Unis  d'Amérique,  au  vaste  Empire  britannique,  à  la  Russie  et  à 
l'Extrême-Orient,  contribuera  à  faire  de  la  Ligue  des  peuples  une  ins- 
titution solide  et  respectée.  Voilà  la  première  étape  à  parcourir  sur  la 
longue  route  du  pacifisme. 

Mais  à  combien  d'obstacles  et  de  préjugés  se  heurteront  les  artisans 
de  cette  œuvre  libératrice  ?  Chaque  peuple  a  écrit  sa  page  dans 
l'histoire  des  crimes  commis  envers  l'humanité.  Ayons  donc  le  courage 
d'avouer  nos  fautes  et  de  reconnaître  nos  erreurs.  «  Nous,  Allemands, 
commençons  par  nous  confesser  ;  voyons  l'état  de  notre  cons- 
cience et  découvrons  sans  arrière-pensée  les  plaies  dont  souffre  encore 
notre  pays.  » 

C'est  alors  que  le  général  von  Schbnaich  aborde  un  sujet  qui  doit 
lui  être  familier  :  le  militarisme  allemand  d'avant  et  d'après-guerre. 

Nous  ne  nous  attarderons  pas  à  résumer  les  passages  où  l'auteur 
analyse  la  mentalité  de  l'ancien  officier  prussien,  de  l'officier  de  la 
Garde  par  exemple,  dont  les  faits  et  les  gestes  nous  sont  suffisamment 
connus  par  les  documents  de  toutes  sortes  que  nous  possédons. 

Il  y  a  dans  ce  chapitre  une  partie  beaucoup  plus  intéressante  pour 
nous,  parce  qu'elle  contient  des  renseignements  et  des  aperçus  qui 
peuvent  servir  à  renforcer  l'argumentation  de  ceux  qui  sont  préoc- 
cupés à  juste  titre  de  la  sécurité  de  la  France  ;  c'est  la  partie  qui 
traite  du  développement  et  de  l'état  actuel  de  l'armée  allemande, 
de  la  Reichswehr.  Nous  donnons  ci-dessous  la  traduction  littérale  des 
passages  qui  nous  ont  paru  les  plus  importants. 

«  La  grande  question  qui  se  pose  aujourd'hui  est  de  savoir  si  la 
Reichswehr  est  ou  non  un  instrument  absolument  sûr  entre  les  mains 
du  gouvernement  républicain.  On  cite  de  manières  différentes  les 
fameuses  paroles  du  général  von  Seeckt.  Les  uns  prétendent  qu'il  a 
dit  :  «  Le  seul  homme  qui  puisse  faire  un  putsch  en  Allemagne,  c'est 
moi,  et  je  ne  marche  pas.  »  D'autres  affirment  qu'il  a  dit  :  «  Je  ne 
marche  pas  encore.  »  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  qui  est  certain,  c'est  que 
le  putsch  de  Munich  n'a  lamentablement  échoué  que  parce  que 
von  Seeckt  était  résolu  à  employer  la  force  des  armes  contre  les 
putschistes,  y  compris  le  traître  Lossow,  et  que  la  Reichswehr  aurait 
suivi  entièrement  ses  ordres.  A  l'actif  de  cette  preuve  de  fidélité,  on 
peut  opposer  plusieurs  passifs.  Le  plus  pénible  de  tous,  ce  fut  la  défec- 
tion de  M.  von  Lossow,  que  le  ministre  de  la  Reichswehr  avait  envoyé 
à  Munich  parce  qu'il  le  tenait  pour  personnellement  sûr  ;  M.  von 
Lossow  n'a  pas  craint  de  trahir  cette  confiance  sur  les  injonctions  de 


254 


HISTOIRE  t)Ë  LA  GUERRE 


M.  von  Kahr,  entraînant  avec  lui  dans  la  rébellion  toute  la  division 
bavaroise. 

«  Le  chemin  suivi  par  le  ministre  de  la  Reichswehr,  D'  Gessler,  après 
la  Kapiade,  était  sans  doute  celui  qui  convenait  le  mieux  à  une  période 
de  paix.  Il  ne  s'est  pas  formalisé  de  ne  trouver  dans  l'armée  que  des 
officiers  dévoués  aux  partis  de  droite.  Il  s'est  contenté  d'interdire  toute 
manifestation  politique  Aàns  le  service  et  en  dehors  du  service.  Il 
comptait  que  la  République  s'affermirait  à  l'intérieur  et  qu'elle  finirait 
par  gagner  à  sa  cause  les  officiers.  Mais  il  n'avait  pas  cojnpté  avec  les 
nombreux  liens  d'ordre  personnel  qui  existaient,  et  qui  continuaient 
à  être  tressés,  entre  les  officiers  de  la  Reichswehr  et  les  groupes  de 
droite  rigoureusement  organisés.  Il  était  particulièrement  délicat  de 
donner  à  ces  relations  une  législation  officielle.  Il  importe  peu  de  savoir 
si,  en  agissant  ainsi,  on  a  méconnu  la  situation  politique,  si  l'on  a  fait 
preuve  de  faiblesse  devant  la  puissance  et  l'énergie  des  extrémistes 
de  droite,  ou  si  l'on  a  voulu  contrôler  les  forces  de  la  réaction.  Ce  qui 
est  certain,  c'est  que  l'on  ne  peut  pas  contester  sérieusement  que  cette 
liaison,  qui  fut  même  approuvée  par  le  ministre  socialiste  de  l'intérieur 
prussien,  constitue  un  immense  danger  pour  l'existence  de  la  Répu- 
blique. On  ne  peut  pas  contester  davantage  qu'elle  n'a  aucune  valeur 
militaire  dans  une  guerre  contre  l'étranger,  mais  que,  par  contre,  elle 
est  pour  notre  politique  extérieure  une  charge  terriblement  lourde,  dont 
le  poids  est  encore  augmenté  par  l'étroitesse  d'esprit  politique  de  tous 
ces  procureurs  qui  intentent  des  procès  pour  crime  de  haute  trahison 
à  ceux  qui,  avec  courage  et  loyauté,  prodiguent  leurs  sages  avertis- 
sements, donnant  ainsi  à  l'étranger,  qui  ne  nous  est  pas  bienveillant, 
des  raisons  d'interpréter  ces  poursuites  judiciaires  comme  un  aveu 
de  la  vérité. 

«  L'Allemagne  républicaine  est-elle  militariste  ou  non  ?  A  cette 
question,  il  faut  répondre  par  un  «  oui  »  catégorique.  Le  militarisme 
est,  dans  sa  forme,  tout  autre  que  celui  d'avant-guerre  ;  mais  par  sa 
nature,  il  est  beaucoup  plus  puissant  et  plus  dangereux... 

«  Aujourd'hui,  il  nous  faudrait,  d'après  l'esprit  même  de  la  Constitu- 
tion, un  gouvernement  démocratique  et  pacifiste  assez  solide  pour  bri- 
ser les  forces  du  militarisme.  En  réalité,  les  groupes  de  droite,  réac- 
tionnaires et  militaristes,  représentent  une  telle  force  que  les  pouvoirs 
publics  sont  obligés  de  capituler  souvent  devant  eux,  ou,  tout  au 
moins,  de  leur  témoigner  une  bienveillante  neutralité.  Décidément  la 
Reichswehr  est  un  livre  bien  fermé  »  ! 

Cet  aveu  nous  suffit.  Remercions  le  général  von  Schonaich  d'avoir 
eu  le  courage  de  dire  la  vérité  ;  et  souhaitons-lui  de  tout  cœur  que, 
plus  heureux  que  son  camarade,  le  général  von  Deimling,  il  ne  déchaîne 
pas  contre  lui  la  colère  de  ses  pairs  et  ne  soit  pas  frappé  d'ostracisme 
par  les  nombreuses  associations  et  fédérations  d'anciens  officiers  alle- 
mands. 

F,  Loquet. 

J.-M.  BouRGET.  —  Les  origines  de  la  Victoire.  Histoire  raisonnée  de  la 
Guerre  mondiale.  Préface  du  lieutenant-colonel  Herscher,  sous-direc- 


BIBLIOGRAPHIE  i^$ 

teur  des  études  à  l'Ecole  Supérieure  de  Guerre.  Paris,  la  Renaissance 

du  Livre,  1924,  in-8",  526  p; 

Chacun,  dans  la  vie,  eû  teiité  de  se  .cfoire  le  centre  du  monde. 
Chacun,  pendant  la  guerre,  était  enclin  à  penser  que  son  secteur  était 
le  pltlS  important  de  tout  le  front  ;  On  ramenait  volontiers  toute  la 
Stratégie  des  puissances  alliées  à  la  conservation  de  la  ti-ânchée  que 
l'on  avait  organisée. 

Ce  défaut,  bien  humai»,  d'égOÏSmé  mesquin  et  d'esprit  étroit  doit 
être  remplacé,  il  n'est  pas  besoin  de  le  prouver,  par  des  idées  d'en- 
semble et  une  éoUCeption  plus  large  de  la  guerre  chez  tous  ceux  qui 
saveht  réfléchir  et  qui  veulent  Comprendre. 

Si  notre  petit  secteur  était  chose  insignifiarlte  dans  l'ensemble,  nos 
grandes  batailles,  —  l'Artois  ou  l'Yser,  la  Champagne  ou  la  Somme  et 
même  la  Marne  ou  Verdun,  —  n'ont  été  qu'une  petite  partie  d'un  tout.  11 
est  utile  de  ne  pas  l'oublier.  Notre  front  occidental  tout  entier,  de  la 
Suisse  à  la  mer  dU  Nord,  n'était  qu'une  des  scènes  de  l'immense  drame 
qui  s'est  déroulé  pendant  quatre  ans  et  demi.  SI  l'on  Veut  comprendre  le 
drame,  il  faut  lire  la  pièce  d'un  bout  à  l'autre. 

Les  Opérations  d'Itahe,  de  Pologne,  des  Balkarls,  les  opét'ations 
maritimes,  ont  eu  une  aussi  grande  importance,  parfois  une  plus 
grande,  que  ifos  opérations  sur  le  frortt  français.  Nous  les  connaissons 
fort  mal  ;  il  est  nécessaire  de  ne  pas  les  ignorer. 

Les  plans  d'ensemble,  quand  il  y  en  a  eu,  exerçaient  une  influence 
capitale  sur  les  opérations  des  différents  théâtres.  Quand  les  plans 
d'ensemble  manquaient,  ce  qui  est  arrivé  le  plus  souvent,  les  événe- 
ments du  front  oriental  n'en  avaient  pas  moins  de  profondes  ré- 
percussions sur  le  front  occidental,  et  réciproquement. 

Il  est  donc  indispensable,  pour  un  homme  instruit,  de  connaître  et 
d'étudier  foute  la  guerre,  la  guerre  de  tous  les  fronts. 

Jusqu'ici,  les  historiens  avaient  reculé  devant  l'ampleur  d'une  pareille 
étude.  Nous  n'avons  eu,  depuis  six  ans,  que  des  récits  fragmentaires 
de  la  guerre,  et,  le  plus  souvent,  que  des  études  de  la  guerre  du  front 
français.  Les  ouvrages  des  généraux  allemands  sont  des  plaidoyers 
de  cas  particuliers.  Un  livre,  faisant  la  synthèse  de  la  guerre,  manquait. 

Celui  que  vient  de  publier  M.  Jean  Bourget,  le  distingué  critique 
militaire  des  Débats,  est  le  premier  ouvrage  important  qui  donne  une 
vue  d'ensemble  de  la  Guerre  de  cinq  ans.  L'auteur  a  délibérément  mis 
de  côté  tous  les  détails  de  tactique,  et  même  de  grtinde  tactique  ; 
c'est  une  étude  de  la  stratégie  employée,  au  cours  de  toute  la  guerre, 
par  l'un  et  l'autre  belligérant.  C'est  dire  l'ampleur  des  questions 
traitées  et  l'immense  intérêt  qui  s'y  attache.  Pour  facihter  le  travail 
du  lecteur,  M.  Jean  Bourget  a  eu  l'heureuse  idée  de  mettre  dans  son 
livre  dix-huit  croquis  des  théâtres  d'opérations,  qui  ne  nous  sont  pas 
familiers,  front  russe,  serbe,  roumain,  etc.. 

Exceptionnellement  documenté,  remph  de  citations  d'ouvrages 
étrangers,  écrit  d'une  plume  vigoureuse,  avec  la  conscience  d'un  spec- 
tateur impartial  et  d'un  historien  sincère,  qui  ne  cache  rien  de  la  vérité, 
le  livre  de  M.  Jean  Bourget  vient  à  son  heure.  Il  sera  lu  avec  un 


±^6 


HISTOIRE   DE    LA   GUERRE 


profond  intérêt  par  tous  ceux  qui  veulent  s'instruire.  Il  sera  le  livre 
de  chevet  de  tous  ceux  qui  veulent  remonter  des  effets  aux  causes 
et  qui  sont  impatients  d'approfondir  le  plus  grand  drame  militaire  de 
l'histoire. 

S'il  y  avait  un  reproche  à  faire  à  l'auteur,  ce  serait  d'avoir  mal 
résumé  son  ouvrage  dans  le  titre  choisi  ;  car  il  est  assez  difficile,  après 
l'avoir  lu,  d'affirmer  que  l'on  connaît  les  origines  de  la  victoire,  qui 
sont  bien  difficiles  à  préciser,  et  sur  lesquelles  on  discutera  encore 
longtemps.  En  revanche,  on  a  passé  en  revue  les  occasions  de  victoire 
manquées  par  l'un  et  l'autre  parti  ;  on  a  touché  du  doigt  les  graves 
erreurs  commises  tant  par  les  Alliés  que  par  les  Empires  Centraux, 
et  l'on  a  lu  une  magistrale  discussion  sur  la  conduite  de  la  guerre 
moderne. 

A  rencontre  d'ouvrages,  d'allure  semi-officieuse,  déjà  parus  en 
France  et  à  l'étranger,  le  livre  de  M.  Jean  Bourget  n'est  pas  un  pal- 
marès pour  louer  les  uns  ou  les  autres.  C'est,  au  contraire,  un  résumé 
strictement  vrai,  où,  preuves  en  mains,  d'une  façon  courtoise,  mais  im- 
pitoyable, sont  mises  en  évidence  les  fautes  stratégiques  et  politiques 
commises  par  les  Grands  Quartiers  généraux  et  par  les  gouvernements, 
chez  tous  les  belligérants.  Ces  fautes  ont  été  nombreuses.  Les  vain- 
queurs en  ont  commis  aussi  bien  que  les  vaincus.  Il  y  a  tout  avantage 
à  ne  pas  les  ignorer  et  à  ne  pas  les  cacher.  La  sincérité  est  la  première 
qualité  de  l'historien. 

A  mesure  que  l'on  étudie  davantage  cette  Guerre  de  cinq  ans,  et 
que  l'on  arrive  à  la  connaître  moins  mal,  il  nous  paraît  que  le  sentiment, 
qui  s'impose  de  plus  en  plus  à  notre  génération  est  celui  de  la  mo- 
destie. Vraiment,  les  hommes  ne  sont  pas  bien  habiles.  Les  diplomates 
n'ont  su  ni  prévoir  la  guerre,  ni  l'empêcher.  Les  gouvernants  n'ont  pas 
su  organiser  les  alliances  ;  ils  ont  été  incapables  d'étabHr  des  plans 
d'ensemble  pour  la  guerre.  Les  chefs  d'armée,  oubliant  les  leçons  de 
l'histoire,  ont  commis  de  lourdes  fautes  de  stratégie.  Soyons  modestes  ; 
notre  génération  n'a  pas  été  bien  remarquable. 

Soyons  modestes.  Les  meilleurs  d'entre  nous  savent  l'être.  Un  de  nos 
grands  chefs,  de  nos  très  grands  chefs,  un  jour,  pendant  la  guerre, 
après  une  discussion  sur  les  chances  de  réussite  d'une  attaque,  s'en 
allant  avec  un  de  ses  commandants  de  division  lui  disait  :  «  Voyez- 
vous,  mon  cher  ami,  nous  ne  sommes  que  les  instruments  de  la  Provi- 
dence !  » 

Général  de  Cugnac. 

GULLETT.  —  The  Australian  Impérial  Force  in  Sinaï  and  Palestine, 
1914-1918.  (Le  Corps  Impérial  Australien  dans  le  Sinaï  et  en  Pales- 
tine.) Sydney,  Augus  and  Roberston,  1923,  in-8,  844  pages 
cartes. 

Voici  une  remarquable  contribution  à  l'histoire  des  opérations  dif- 
ficiles et  glorieuses  qui,  après  avoir  assuré  la  défense  de  l'Egypte, 
ont  conduit  les  armées  britanniques  à  la  conquête  de  la  Palestine  et 


BIBLIOGRAPHIE  257 

de  la  Syrie  et  à  la  destruction  presque  totale  des  forces  germano- 
turques  qui  leur  furent  opposées.  Nous  ne  les  connaissions  guère  que 
par  le  livre  de  Liman  von  Sanders  et  les  rapports  officiels  des  géné- 
raux anglais.  Le  récit  de  Gullett  leur  donne  une  vie  et  une  couleur 
intenses  et  fixe  beaucoup  de  points  restés  obscurs,  car,  bien  que  l'au- 
teur se  défende  d'écrire  une  relation  d'ensemble  de  ces  campagnes, 
il  est  amené  à  chaque  instant  à  envisager  le  cadre  général  dans  lequel 
eurent  à  agir  les  troupes  australiennes,  et  il  le  fait  avec  une  clair- 
voyance et  une  impartialité  à  laquelle  il  faut  rendre  hommage.  Grâce 
à  son  témoignage,  nous  connaissons  mieux  les  difficultés  qu'il  fallut 
vaincre,  aussi  bien  du  fait  d'un  ennemi  très  redoutable  que;  d'une  région 
où  tous  les  obstacles  semblaient  se  réunir  pour  entraver  la  marche 
d'une  armée  moderne,  et  nous  pouvons  apprécier  la  haute  valeur  de 
chefs  qui,  comme  sir  Edmund  Allenby,  furent  des  organisateurs  et  des 
tacticiens  de  premier  ordre. 

Malgré  tout,  l'intérêt  principal  du  livre  de_  Gullett  réside  dans  l'étude 
très  poussée  qu'il  a  faite  des  opérations  de  la  cavalerie  australienne, 
corps  remarquable  à  tous  les  égards  et  qui  accomplit  des  prouesses 
dignes  de  servir  de  modèles. 

Employés  aux  Dardanelles  comme  infanterie,  les  cavaliers  austra- 
liens, revenus  en  Egypte  après  l'évacuation  de  la  presqu'île,  y  avaient 
retrouvé  leurs  admirables  chevaux  et,  équipés  en  infanterie  montée, 
furent  bientôt  envoyés  au  delà  du  canal,  sérieusement  menacé  alors 
par  l'armée  de  Kress  von  Kressenstein.  C'étaient  des  volontaires,  fer- 
miers ou  squatters,  habitués  au  cheval  depuis  leur  enfance,  dont  beau- 
coup, et  tous  leurs  chefs,  avaient  déjà  servi  dans;  la  guerre  de  l'Afrique 
du  Sud.  Troupe  assez  singulière  d'aspect,  d'une  discipline  très  relative, 
animée  d'un  esprit  très  particulariste,  mais  qui,  par  son  intrépidité, 
son  audace,  son  endurance,  sa  sollicitude  pour  ses  montures,  son  sens 
remarquable  de  la  guerre,  allait  rendre  des  services  qu'aucune  cavalerie 
n'a  encore  dépassés.  On  n'a  pas  vu  encore  d'exem.ples  oîi  le  combat 
à  pied  ait  été  pratiqué  de  façon  plus  habile,  ni  plus  efficace,  aussi 
bien  dans  la  défensive  que  dans  l'offensive,  et  il  est  remarquable  que 
ce  mode  d'action  n'ait  en  rien  diminué  chez  ces  vaillants  cavaliers  le 
goût  et  l'aptitude  aux  attaques  à  cheval,  qui  furent  exécutées  souvent 
avec  autant  de  brio  que  d'opportunité.  Les  charges  de  deux  brigades 
n'ayant  d'autre  arme  blanche  que  des  baïonnettes,  qui  décidèrent  à 
Beersheba  d'un  succès  longtemps  douteux,  peuvent  être  comparées 
aux  plus  audacieuses  et  aux  plus  heureuses  dont  l'histoire  fasse  men- 
tion. Elles  devinrent  de  plus  en  plus  fréquentes  lorsque  l'adversaire 
commença  à  se  désorganiser,  et  il  est  curieux  de  voir  que  c'est  pour 
répondre  à  un  besoin  évident  que  la  cavalerie  australienne  fut,  à  la 
fin  de  la  campagne,  presqu'en  totalité  pourvue  du  sabre.  Mais  quels 
résultats  alors,  après  le  fameux  raid  qui  conduisit  les  100  escadrons 
de  Chauvel  jusqu'à  Nazareth,  où  Liman  von  Sanders  faillit  être  en- 
levé !  Deux  armées  turco-allemandes  détruites,  75.000  prisonniers,  des 
canons  sans  nombre.  Puis  la  prise  de  Damas,  celle  d'Alep,  et  la  marche 
victorieuse  arrêtée  seulement  par  l'armistice. 

Il  est  agréable  de  penser  qu'à  cette  phase  si  brillante  de  la  cam- 

19 


258 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


pagne,  collabora,  mêlé  aux  chevau-légers  australiens,  un  régiment 
français  formé  de  spahis  et  de  chasseurs  d'Afrique,  qui  fut  à  la  hauteur 
des  autres  corps  montés,  et  aux  exploits  desquels  Gullett  rend  un  pré- 
cieux hommage.  L'enlèvement  des  batteries  autrichiennes  près  de 
Naplouse  est  en  effet  comparable  aux  plus  belles  prouesses  effectuées 
par  les  cavaleries  d'Angleterre,  de  l'Inde,  d'Australie  et  de  Nouvelle- 
Zélande  pendant  cette  mémorable  guerre. 

E.  Desbrière. 

Grégoire  Alexinski.  —  Du  Tsarisme  au  communisme.  Paris,  A.  Colin, 

1923,   in-12,   253   p.  —  Souvenirs  d'un   condamné  à  mort.   Paris, 

A.  Colin,  1923,  in-12,  231  p. 

Ces  volumes  continuent  la  série  d'études  entreprises  par  M.  Alexins- 
ki, ancien  député  de  la  Douma,  sur  l'histoire  contemporaine  de  son 
pays.  L'auteur  fait,  dans  le  premier,  un  tableau  complet  de  la  Russie 
depuis  1916  jusqu'à  nos  jours.  Il  «  essaie  de  dégager  le  sens  profond 
des  événements  dont  la  Russie  est  devenue  la  victime  ».  Une  des 
grandes  qualités  de  l'ouvrage,  c'est  sa  clarté.  M.  Alexinski  étudie  d'a- 
bord les  causes  de  la  révolution,  la  chute  du  tsarisme,  le  chaos  du 
Gouvernement  provisoire,  puis  la  dictature  rouge,  le  régimic  intérieur 
et  la  politique  extérieure  des  Soviets  ;  il  se  montre  impitoyable  dans 
la  critique  des  réformes  et  des  actes  du  nouveau  gouvernement. 

L'ancien  député  social-démocrate,  ententiste,  francophile,  partisan  de 
la  guerre  jusqu'au  bout,  ne  peut  pas  pardonner  à  ses  ennemis  les  bol- 
cheviks leurs  trahisons,  ni  leurs  destructions.  Cette  colère  qui  vibre 
encore  sourdement  en  lui  ne  lui  permet  pas  de  rendre  justice  à  l'effort 
de  reconstruction  tenté  par  les  dirigeants. 

La  partie  la  plus  intéressante  du  livre  est  la  centaine  de  pages  consa- 
crées à  la  politique  extérieure  des  Soviets.  La  propagande  communiste 
à  l'étranger,  en  Amérique,  en  Orient,  en  Australie,  dans  les  colonies 
françaises,  est  assez  peu  connue,  et  l'étude  de  M.  Alexinski  l'éclairé 
d'une  façon  fort  utile. 

Le  ressentimet^t  de  M.  Alexinski  contre  les  bolcheviks  se  trouve 
expliqué  et  justifié  par  ses  souvenirs  personnels,  qui  nous  transportent 
du  Nord  au  Sud  de  la  Russie  en  révolution,  de  Moscou  à  Sébastopol, 
à  Petrograd,  à  Cronstadt,  et  qui  forment  la  matière  du  second  ouvrage. 

Pour  ceux  qui  ont  vécu  la  révolution  en  Russie,  les  récits  de 
M.  Alexinski  n'auront  rien  d'extraordinaire  ;  quant  aux  lecteurs  fran- 
çais qui  ignorent  le  pays,  ils  croiront  lire  d'invraisem.blables  scéna- 
rios pour  le  Grand-Guignol. 

Le  pays  où  l'auteur  nous  transporte  semble,  en  effet,  un  Grand-Gui- 
gnol, où  les  acteurs  sont  cent  millions,  où  l'on  arrête,  l'on  torture  et 
l'on  exécute  «  pour  de  bon  »,  où  le  rideau  ne  se  relève  pas  sur  des 
acteurs  qui  viennent  saluer  le  public,  —  à  moins  que,  comme 
M.  Alexinski,  la  victime  n'ait  usé  de  ruses  d'Indien  pour  échapper  à  ses 
bourreaux. 

Les  scènes  les  plus  dramatiques  se  succèdent  sans  interruption. 
Parmi  les  tout  petits  épisodes,  le  plus  typique  est  peut-être  l'histoire 


BIBLIOGRAPHIE  259 

du  perroquet  qui  n'a  pas  eu  le  temps  de  changer  son  répertoire,  qui 
trahit  et  fait  fusiller  sa  maîtresse,  une  ci-devant  princesse,  et  qui  est 
fusillé  lui-même  comme  impérialiste  parce  qu'il  s'obstine  à  chanter  : 
Bogé  Tsaria  Khrani. 

Le  livre  prendra  une  place  d'honneur  parmi  ce  qu'on  pourrait  appe- 
ler les  mille  et  un  mémoires  sur  les  horreurs  du  régime  bolcheviste. 

WiLFRID    LERAT. 

Alfred  Fabre-Luce.  —  La  Victoire.  Paris,  Nouvelle  Revue  française, 

1924,  in- 12,  428  pages. 

C'est  un  livre  plein  de  talent.  La  finesse  de  l'analyse  et  de  l'inter- 
prétation, la  vigueur  de  la  pensée,  l'aptitude  à  dégager  des  faits  une 
vue  d'ensem.bie  originale  sont  servis  par  une  forme  aisée,  une  langue 
ferme,  où  le  jugement  est  ramassé  dans  des  formules  frappantes.  C'est 
une  œuvre  de  critique  rude,  oii  l'accent  ne  manque  pas  ;  l'auteur  n'est 
pas  homme  à  chercher  les  demi-teintes  ;  il  ne  craint  pas  de  se  laisser 
aller  à  la  passion.  La  lecture  de  la  Victoire  heurte,  elle  bouscule  plutôt, 
les  traditions,  et  choque  bien  des  convictions  intimes.  M.  Fabre-Luce 
nous  convie  à  un  travail  de  «  libération  intellectuelle  ».  Que  l'ouvrage 
s'im.pcse  quand  même  à  l'attention  ce  n'est  pas  un  mince  mérite,  en 
un  sujet  où  les  positions  prises  ont  parfois  l'allure  d'un  dogme. 
M.  Fabre-Luce  s'attaque  —  il  en  prévient  le  lecteur  dès  sa  préface  — 
à  l'orthodoxie. 

La  Victoire  étudie  deux  problèmes  :  celui  des  origines  de  la  guerre, 
celui  du  règlement  de  la  paix.  Selon  M.  Fabre-Luce,  en  effet,  «  il  faut 
embrasser  le  problème  des  relations  internationales  dans  son  ensemble 
et  depuis  son  origine,  ou  renoncer  à  le  résoudre  »  :  or  la  paix  «  pré- 
caire et  troublée  »  que  nous  connaissons  «  apparaît  en  grande  partie 
comme  la  suite  de  la  légende  des  origines  de  la  guerre,  ou  plutôt 
comm.e  sa  rançon  ».  Voilà  l'unité  du  livre  :  avant  et  après  la  guerre, 
la  politique  française  a  eu  certaines  directives  communes,  que  les  his- 
toriens allemands  résument  dans  le  nom  d'un  homme  d'Etat  :  «  L'Ere 
Poincaré.  »  C'est  en  somme  le  terrain  où  se  porte  la  critique  ardente 
de  M.  Fabre-Luce  (1). 

La  Triple  Entente  s'est  formée,  pour  ainsi  dire,  automatiquement  ; 
c'était  une  coalition  d'intérêts  contre  une  puissance  dont  la  force  et 
Tautorité  croissaient  chaque  jour.  Les  fautes  de  l'Allemagne,  la 
brutalité  de  ses  procédés  ont  contribué  à  la  nouer  plus  fortement. 
Mais  c'est  seulement  lorsque  la  Russie  est  «  revenue  en  Europe  », 
après  ses  aventures  d'Extrême-Orient,  que  la  rivalité  des  deux 
groupes  s'est  aggravée.  A  partir  de  1912,  l'alliance  franco-russe 
a  été  pratiquée  dans  un  nouvel  esprit.  A  Paris  et  à  Pétersbourg, 
on  a  songé  à  «  abattre  l'ennemi  dès  sa  première  faute  ».  C'est  parce 
qu'il  a  senti  cette  évolution  que  Guillaume  II,  en  1913,  a  admis  l'idée 
de  la  guerre,  sans  former  pourtant  le  dessein  d'une  agression  préven- 

(1)  Le  livre,  qui  a  paru  en  jain  1924,  a  été  écrit  el  mi.s  à  l'impression  avant 
les  élections  du  11  mai. 


25o  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

tive.  Or  cette  évolution,  c'est  M.  Poincaré  qui  l'a  réalisée,  en  rompant 
avec  le  programme  de  M.  Caillaux,  en  rejetani  la  perspective  d'un 
accord  franco-allemand.  A  la  veille  de  la  guerre,  la  Triple  Entente 
n'était  qu'un  «  syndicat  de  conquérants  »  :  M.  Fabre-Luce  n'hésite 
pas  à  donner  cette  formule.  Pourtant,  il  ne  se  rallie  pas  nettement  à 
la  politique  de  1911  ;  entre  la  tendance  de  M.  Caillaux  et  celle  de 
M.  Poincaré,  il  y  avait  place,  dit-il,  pour  une  troisième  politique,  dont 
il  ne  donne  pas,  à  vrai  dire,  une  définition  précise. 

Le  drame  de  Serajevo  survient.  Pour  défendre  l'intérêt  «  vital  » 
de  l'Autriche,  l'Allemagne  envisage,  sans  crainte,  une  guerre  de  la 
Triple  Alliance- contre  la  France  et  la  Russie;  mais  elle  en  accepte 
l'idée  comme  un  joueur  celle  d'une  perte  :  «  au  second  plan  de  l'esprit, 
et  en  comptant  sur  la  chance  ».  Cette  politique  devait  «  faiblir  à 
l'épreuve  des  réalités  »  :  en  effet,  l'Allemagne  a  cherché  à  enrayer 
l'action  de  l'Autriche,  lor.squ'elle  s'est  rendu  compte  que  l'Entente  ne 
céderait  pas.  Le  conflit  de  1'  «  européanisation  »  et  de  «  la  localisa- 
tion »  était  sur  le  point  d'être  réglé,  quand  la  mobilisation  russe  est 
intervenue  ;  or  la  France  avait  donné  aux  actes  de  la  Russie  un  «  appui 
sans  réserves  ».  Dès  lors,  la  guerre  est  inévitable  :  les  dernières  tenta- 
tives de  négociations  ne  sont  que  les  «  dernières  ruses  »,  car  toujours 
la  diplomatie  s'emploie,  lorsque  le  conflit  est  imminent,  à  esquisser 
de  «  signes  de  paix  ».  Les  déclarations  de  guerre  ne  sont  que  des 
questions  de  forme,sans  intérêt  pour  l'étude  des  responsabilités.  —  Ainsi 
l'Allemagne  s'est  donné  l'apparence  de  désirer  la  guerre  ;  elle  a  pris 
l'initiative  de  la  «'  provocation  diplomatique  »  ;  elle  a  fait,  et  l'Au- 
triche a  fait  avec  elle,  «  les  gestes  qui  rendaient  la  guerre  possible  »  ; 
mais,  au  fond,  elle  n'avait  pas  la  volonté  d'aller  jusqu'au  conflit. 
L'Entente  aurait  dû  le  comprendre  et  saisir  les  chances  de  paix  ;  c'est 
elle  qui,  par  la  «  provocation  militaire  »  de  la  Russie,  a  rendu  la 
guerre  certaine. 

Pour  n'avoir  pas  compris  la  leçon  des  origines  de  la  guerre,  la 
France  n'a  pas  été  capable  d'établir  les  garanties  de  la  paix  :  on 
avait  nié,  par  système,  les  «  hésitations  »,  les  «  bonnes  volontés  » 
de  l'ennemi.  Les  «  possibilités  nouvelles  »  se  sont  heurtées  à  «  une 
ancienne  défiance  fondée  sur  la  thèse  de  la  responsabilité  allemande  ». 
Et  M.  Fabre-Luce  de  passer  en  revue  les  péripéties  de  la  «  paix  man- 
quée  ».  La  dette  allemande  a  été  gonflée  «  délibérément  »  au  delà 
des  possibilités  ;  certes  l'Allemagne  a  montré  toute  la  mauvaise  vo- 
lonté que  l'on  pouvait  attendre  ;  mais  cette  mauvaise  volonté  n'est 
pas  sans  excuses  :  le  Reich  n'a  pas  eu  une  majorité  et  un  gouvernement 
assez  forts  «  pour  imposer  au  pays  l'effort  de  création  d'un  excédent 
budgétaire  »  ;  —  elle  n'est  pas  non  plus  «  sans  contre-parties  »  :  le 
gouvernement  allemand  n'était  pas  intraitable  dans  la  question  des 
réparations  en  nature  ;  la  politique  française,  au  contraire,  s'est  com- 
plue à  dénoncer  des  «  manqut'ments  »  pour  avoir  l'occasion  d'appli- 
quer des  sanctions,  et  pour  montrer  au  monde  les  traits  de  1'  «  éternelle 
Allemagne  ».  Le  gouvernement  français  a  repoussé,  à  trois  reprises,  les 
solutions  internationales,  seules  possibles,  et  il  a  été  réduit  à  les  accep- 
ter enfin  en  1924,  dans  des  conditions  beaucoup  moins  favorables  qu'en 


BIBLIOGRAPHIE  261 

1922.  Dans  l'intervalle,  il  a  poursuivi,  sans  prétexte  de  «  sécurité  », 
une  politique  d'annexionnisme  déguisé. 

Telle  est  la  thèse  de  M.  Fabre-Luce,  que  je  ne  crois  pas  avoir  dé- 
formée, ni  aggravée,  en  la  résumant.  J'ai  voulu  seulement  la  soumettre 
aux  lecteurs  de  la  Revue,  sans  que  les  limites  de  ce  compte  rendu  me 
permettent  l'examen  critique  qui  sera  nécessaire.  Je  ne  partage  pas  les 
conclusions  de  M.  Fabre-Luce,  et  je  crois  qu'il  a,  sans  le  vouloir,  omis 
certains  documents  qui  étaient  de  nature  à  infirmer  telle  ou  telle  partie 
de  sa  thèse,  qu'il  s'est  laissé  entraîner  parfois  à  formuler  sa  pensée 
dans  des  termes  qui  la  dépassent.  Mais  la  Revue  aura  certainement 
l'occasion  d'y  revenir. 

Pierre  Renouvin. 

Jean  Vie.  —  La  Littérature  de  guerre.  Manuel  méthodique  et  critique 
des  publications  de  langue  française.  Première  période,  2  août  1914- 
1"  août  1916  ;  deuxième  période,  1"  août  1916-P'  novembre  1918. 
Préface  de  M.  Gustave  Lanson.  Paris,  les  Presses  françaises,  1923, 
5  vol.  in-16. 

J'ai  consulté  cet  ouvrage  fréquemment,  et  toujours  avec  profit.  Il 
m'est  arrivé,  ayant  pris  un  volume  de  ce  Manuel  dans  un  but  de 
vérification,  de  me  laisser  entraîner  à  en  lire  de  nombreuses  pages 
sans  que  mon  intérêt  ait  jamais  langui.  C'est  que,  mieux  qu'une  simple 
énumération  de  titres,  M.  Jean  Vie  nous  a  donné  une  bibliographie 
raisonnée  ;  il  a  osé  dire  ce  qu'il  y  avait  dans  les  livres.  M.  Lanson, 
dans  sa  préface,  l'en  félicite.  M.  Lanson  est  bon  juge  :  Il  a  publié 
un  Manuel  bibliographique  de  la  littérature  française  moderne, 
ouvrage  fondamental,  dont  l'utilité  aurait  été  plus  grande  encore  si 
M.  Lanson  avait  pu  donner  «  une  bibliographie  raisonnée,  en  indiquant, 
pour  chaque  sujet,  les  résultats  acquis,  les  questions  pendantes,  les 
problèmes  à  poser  ».  Mais  traitant,  pour  les  étudiants  de  la  Sorbonne, 
en  un  cours  de  trois  années,  une  période  de  quatre  cents  ans,  M.  Lan- 
son s'est,  —  hélas  !  —  vu  contraint  d'abréger.  Malgré  l'importance  — 
numérique  —  de  la  production  de  guerre,  il  était  plus  aisé  d'en  donner 
une  bibliographie  raisonnée.  C'est  ce  que  M.  Jean  Vie  a  fait.  Je  ne 
sais  si,  comme  le  dit  le  préfacier,  «  le  vieux  spécialiste  grogne  :  ce 
n'est  pas  un  travail  tout  à  fait  objectif  ».  Il  aurait  bien  tort  de  grogner. 
M.  J.  Vie  rend  son  ouvrage  accessible  au  public.  «  Il  ouvre  au  volume 
l'accès  de  toutes  les  bibliothèques  ;  n'importe  quel  lecteur  en  pourra 
goûter  l'intérêt  et  saisir  la  substance,  même  le  moins  habitué  à  l'usage 
des  catalogues  et  des  répertoires.  »  N'est-ce  pas  fort  bien  ainsi  ?  Et 
cet  ouvrage  est  d'une  remarquable  clarté.  De  plus,  à  la  fin  de  chaque 
période,  on  trouvera,  avec  la  table  des  noms  d'auteurs,  «  un  index 
analytique  des  matières,  qui  renvoie  aux  pages  où  sont  groupés  et 
cornmentés  les  ouvrages  et  les  articles  concernant  directement  la  ques- 
tion envisagée  ». 

On  a  donc  là  un  instrument  de  travail  de  premier  ordre.  Pour  la 
période  1914-1918,  on  peut  considérer  qu'il  est  complet,  ou  à  peu  près. 


2^2  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

M'abstenant  d'adresser  des  critiques  à  l'auteur,  —  il  n'y  en  a  pas  de 
sérieuses  à  faire,  —  il  me  sera  permis  d'exprimer  le  regret  que 
M.  Jean  Vie  se  borne  à  la  production  de  guerre.  Puisqu'il  a  si  bien 
réussi,  il  devrait  étudier  à  présent  les  ouvrages  sur  la  guerre  parus 
après  le  11  novembre  1918. 

Mais  c'est  peut-être  demander  beaucoup,  et  à  deux  personnes  : 
l'auteur  et  l'éditeur.  Car  ce  ne  peut  être  que  grâce  à  leur  désintéres- 
sement à  tous  deux  que  nous  trouvons,  en  cinq  volumes  d'une  pré- 
sentation soignée,  une  œuvre  de  ce  genre  à  un  prix  si  peu  élevé. 

Marcel  Rieunier. 

LES  REVUES  DU  TRIMESTRE  (1) 

Les  origines  de  la  guerre. 

Bach  (August).  —  Die  englisch-russischen  Verhandlungen  von  1914 
ûber  den  Abschluss  einer  Marinekonvention.  —  Preuss.  Jahr., 
août  1924,  pp.  183-194. 

Bachtold  (Hermann).  —  Der  entscheidende  weltpolitische  Wende- 
punkt  der  Vorknegszeit.  —  Weitwirstchaft.  Archiv.,  juil.  1924,  pp.  381- 
409. 

Conrad  (v.  Hoetzendorf).  —  Der  Aufgezvi^ugnene  Krieg.  —  Neue 
Reich,  2  août  1914,  pp.  9Ô7-969. 

Draeger  (Hans).  —  Der  Kampf  um  die  Wahrheit  in  der  Kriegs- 
schuldfrage  in  den  Vereinigten  Staaten  von  Amerika.  —  Deutsche 
Siimmen,  5  août  1924,  pp.  242-247  ;  20  août  1924,  pp.  258-262. 

Eberle  (Joseph).  —  Vor  zehn  Jahren.  Rûckschau  auf  die  Entvvick- 
lung  zura  V/eltkrieg.  Die  Schuldfrage...  —  Neue  Reich,  26  juil.  1924, 
pp.  939-942. 

Grelling  (Richard).  —  La  responsabilité  du  Grand  Etat-Major  alle- 
mand. —  Rev.  de  Paris,  15  juil.  1924,  pp.  282-313. 

Hartmann  (Charles.-L.).  —  Die  russischen  Archive  und  der  Kriegs- 
ausbruch.  —  Deut.  Rundschau,  juillet-août  1924,  pp.  1  à  17  et  113- 
134. 

Jagow  (Gottlieb  v.).  —  Die  deutsche  Politik  1913  und  1914  vor  dem 
Weltkriege.  —  Siiddeut.  Monatsh.,  juil.  1924,  pp.  241-248. 

Karo  (Georg).  —  Zehn  Jahre  Arbeit  in  der  Kriegsschuldfrage.  — 
Siiddeut.  Monatsh.,  juil.  1924,  pp.  254-259. 

Kralik  (Richard).  —  Vor  zehn  Jahren.  —  Neue  Reich,  12  juil.  1924, 
pp.  891-893. 

Macchîo  (Karl).  —  Oesterreich  Ungarns  Ultimatum  an  Serbien. 
(Im  Juli  1914).  —  Neue  Reich,  26  juil.  1924,  pp.  947-950. 

(1)  Revues  qui,  sans  figurer  sur  la  liste  des  dépouillements  réguliers  sont 
représentées  dans  ce  numéro  par  un  ou  plusieurs  articles  :  A nnals  of  American 
Aeademy  of  political  and  Social  Scie?ice,  Ouvrent  Histort/,  Deutsche  Stimmen, 
Flambeau,  Glocke,  Journal  of  Royal  Artillery,  Nineteenth  Century,  Nouvelle 
Revue,  Rivisla  d'italia,  Wissen  und  Leben  , 

(2)  Cet  article  a  été  critiqué  dans  K'^iegsschuldfrage.  Août  1924, 


BIBLIOGRAPHIE  263 

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p.  485  et  ss.,  Bd.  XIII,  H.  2,  p.  144  et  s.,  H.  5,  p.  435  et  s.,  H.  6, 
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15  août  1924,  pp.  561-587. 

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2^4  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

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Militar  Wochenbl,  25  juil.  1924,  pp.  82-86. 

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de  Noyon  et  de  TAvre  (21-31  mars  1918).  [Conclusion  par  le  colonel 
Villemont.]  —  Rev.  de  cavalerie,  juillet-aoiàt  1924,  pp.  422-450. 

Metz  (Capitaine).  —  Les  travaux  du  passage  de  l'Aisne  à  Vouziers 
pour  l'attaque  de  la  42^  division.  Le  1"  et  le  2  novembre  1918.  — 
Rev.  génie  milit.,  juin  1924,  pp.  557-571. 

MussEL  (Colonel).  —  L'artillerie  du  6'  corps  à  la  bataille  de  la 
Marne  (6-12  septembre  1914).  —  Revue  milit.  française,  1"  juin, 
1"  juil.  1924,  pp.  21-38,  333-352. 

OUDIN  (Capitaine).  —  Opérations  de  la  2'  division  de  cavalerie  sur 
les  monts  des  Flandres  (II).  —  Rev.  de  cavalerie,  mai-juin  1924, 
pp.  292-312. 

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10  août  1924,  pp.  263-277. 

ROLLiN  (Colonel).  —  Deux  passages  de  vives  forces  de  l'Aisne  par 
la  74'  division  du  38^  corps  d'armée.  Deuxième  passage,  l"-2  novem- 
bre 1918.  —  Rev.  génie  milit.,  août  1924,  pp.  97-154. 

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Les  relations  diplomatiques  pendant  la  guerre. 

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Les  rép3rcussions  de  la  guerre  sur  la  vie  intérieure  des  Etats. 

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Maurice  (F.).  —  Réparations  and  security.  —  Contemp.  Rev., 
juin  1924,  pp.  687-694. 


268  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

***.  —  Should  we  guarantee  a  European  settlemen  ?  —  Round 
Table,  juin  1924,  pp.  495-523. 

Clauses  territoriales. 

Baldacci  (A.).  —  Le  traité  italo-yougoslave,  Fiume  et  l'Adriatique. 
—  Rev.  écon.  intern.,  10  juil.  1924,  pp.  555-573. 

GiANNiNr  (A.).  —  La  contesa  anglo-turca  per  Mossul.  —  Or.  mod.y 
15  juil.  1924,  pp.  409-429. 

La  Société  des  Nations. 

Gauvain  (Auguste).  —  Le  projet  de  traité  d'assistance  mutuelle.  — 
Wissen  u.  Leben,  20  août  1924,  pp.  1121-1132.  [A  propos  de  la  5^  as- 
semblée de  la  S.  D.  N.] 

Levy-Bruhl  (Henri).  —  La  Société  des  Nations  et  la  souveraineté 
des  Etats.  —  Rev.  étud.  coopératives,  avr.-juin  1924,  pp.  225-241. 

RUFFIN  (Henry).  —  Faut-il  croire  aux  gardiens  de  la  paix  ?  Enquête 
sur  la  Société  des  Nations.  —  Rev.  hebd.,  30  août  1924,  pp.  515-550. 

***.  —  The  World  court  and  international  peace.  —  Annals  of  Am. 
Ac.  of  pol.  et  soc.  se,  juil.  1924,  pp.  122-154. 

Les  pays  à  mandat. 

COLLINGWOOD  (Captain-S).  —  The  British  position  in  Palestine.  — 
/.  of  Royal  Artillerie,  juil.  1924,  pp.  167-174. 

Raglan.  —  Transjordania  and  the  mandate  farce.  —  Nineteenth 
Cent.,  juin  1924,  pp.  833-842. 


CHRONIQUE 


Les  faits  et  les  controverses. 

I.  —  Le  dixième  anniversaire  des  déclarations  de  guerre  a  été  l'oc- 
casion, surtout  dans  les  périodiques  allemands  et  autrichiens,  de  très 
nombreux  articles.  La  plupart,  bien  entendu,  ne  font  que  reprendre 
des  thèmes  de  propagande.  Quelques-uns  pourtant  ont  apporté  des 
témoignages  nouveaux  :  notre  rubrique  «  Les  Revues  du  Trimestre  » 
les  a  signalés  en  partie  ;  ceux  qui  ont  paru  dans  la  presse  quoti- 
dienne ne  sont  pas  moins  intéressants. 

A  propos  de  l'attentat  de  Sarajevo,  M.  Jovanovitch,  ministre  serbe 
à  Vienne  en  1914,  affirme  (Neues  Wiener  Tageblatt,  28  juin  1924) 
qu'il  a  adressé,  dans  le  courant  de  juin,  un  avertissement  au  comte 
Bilinski,  ministre  commun  des  finances  et  chargé  de  la  haute  direction 
de  l'administration  civile  en  Bosnie-Herzégovine.  Il  lui  avait  fait  dire, 
de  sa  propre  initiative,  que  l'Archiduc  s'exposerait  à  un  danger,  s'il 
mettait  à  exécution  son  projet  de  voyage  à  Serajevo.  Le  chargé  d'af- 
faires de  la  Légation  de  Serbie,  M.  Josimovitch,  dans  un  article  de  la 
Wiener  Sonn-und  Montagszeitung  (23  juin),  avait  donné  une  version 
un  peu  différente  :  la  démarche  de  Jovanovitch  aurait  eu  lieu  sur 
l'ordre  exprès  du  gouvernement  serbe.  Ces  témoignages  ont  été  con- 
frontés et  discutés  dans  un  article  de  M.  Boghishevitch,  paru  dans 
la  revue  allemande  Kriegsschuldfrage  (juillet  1924,  pp.  231  et  ss.).  Il 
faut  en  rapprocher  un  article  du  colonel  Seeliger  dans  la  Vossische 
Zeitung  (28  juin). 

Le  rôle  du  colonel  Dimitrievitch,  chef  du  2"  bureau  à  l'Etat-major 
serbe  dans  la  préparation  de  l'attentat,  a  été  mis  en  lumière  par  le 
professeur  Stanojevitch  dans  sa  brochure  Die  Erniôrdung  des  Erzher- 
zogs  Franz-Ferdinand  (L'assassinat  de  l'archiduc  héritier  François- 
Ferdinand).  Ces  indications  viennent  d'être  confirmées  dans  l'ensemble 
par  le  colonel  Popovitch,  dans  un  article  des  Novosti  de  Belgrade,  cité 
par  la  Frankfurter  Zeitung  (9  juillet). 

M,  L.  Adelt  a  publié,  le  28  juin  1924,  dans  le  Berliner  Tageblatt, 
des  témoignages  inédits  qu'il  avait  recueillis  en  1915  sur  l'exécution 
même  de  l'attentat.  D'après  le  récit  du  lieutenant-colonel  Manussi,  aide 
de  camp  de  l'archiduc,  il  avait  été  décidé,  après  la  première  tentative 
(la  bombe  lancée  par  Cabrinovilch),  que  l'on  renoncerait  à  poursuivre 
la  visite  de  la  ville,  François-Ferdinand  avait  voulu  seulement  se  ren- 


2yo  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

dre  au  chevet  d'un  de  ses  officiers  d'ordonnance,  Mérizzi,  blessé  par 
les  éclats  de  bombe.  C'est  en  allant  à  l'hôpital  que  l'automobile  de 
l'Archiduc  s'arrêta  un  instant  à  l'angle  de  deux  rues,  par  suite  d'une 
erreur  du  chauffeur  :  Princip  était  là,  et  tira.  Les  indications  réunies 
par  L.  Adelt  soulignent,  d'ailleurs,  l'attitude  étrange  de  certains  mi- 
lieux officiels.  La  police  de  Budapest  avait,  paraît-il,  offert  quarante 
détectives  pour  surveiller  Serajevo  pendant  le  voyage  de  l'Archiduc. 
Far  économie,  «  on  »  se  contenta  d'en  envoyer  deux  !  Le  Tag  (28  juin) 
reproduit  le  texte  du  rapport  du  général  Potiorek,  gouverneur  militaire 
de  Bosnie. 

Enfin  le  colonel  Seeliger,  qui  était  chef  du  bureau  de  presse  au  mi- 
nistère de  la  guerre  austro-hongrois  en  1914,  a  publié  dans  le  Neues 
Wiener  Tageblatt  (26  juillet)  des  notes  qu'il  aurait  prises  au  jour  le 
jour  pendant  la  crise.  D'après  ce  témoignage,  le  comte  Berchtold 
aurait  argué  d'une  soi-disant  attaque  de  comitadjis  serbes  pour  ame- 
ner le  vieil  Empereur  à  signer  l'ordre  de  mobilisation  contre  la  Serbie. 
Mais  ces  notes  n'ont-elles  pas  été  rédigées  après  coup  ?  Elles  renfer- 
ment de  fortes  invraisemblances,  et  ne  cadrent  pas  avec  ce  que  l'on 
peut  savoir,  par  ailleurs,  de  l'attitude  de  François-Joseph.  Il  semble 
aussi  qu'il  y  ait  eu  confusion  avec  les  incidents  qui  ont  m.arqué,  trois 
jours  plus  tard,  la  décision  de  la  déclaration  de  guerre  à  la  Serbie. 
D'après  un  article  de  A.  von  Wegerer  (Deutsche  Tageszeltung,  15  août), 
le  colonel  Seeliger,  dans  une  lettre  adressée  à  l'Office  central  pour  la 
recherche  des  causes  de  la  guerre,  ne  prend  pas  la  responsabilité  du 
récit  qu'il  a  donné  ;  il  le  tenait  d'un  ami. 

II.  —  La  publication  de  la  troisième  série  des  documents  réunis 
sous  le  titre  Die  Grosse  Poliîik  der  europdischen  Kabinette  (tomes 
XIII  à  XVllI)  est  relative  à  la  période  1897-1903.  Les  affaires  d'Ex- 
trême-Orient, et  la  guerre  des  Boxers,  la  première  Conférence  de  la 
Haye,  le  renouvellement  de  la  Triplice  et  le  traité  roumain  de  1902 
sont  parmi  les  principales  questions  qui  retiennent  l'attention  de  la 
Wilhemstrasse.  Mais  ce  sont  surtout  les  relations  anglo-allemandes 
qui  forment  le  centre  d'intérêt  de  ces  volumes  :  le  tome  XVII  est  inti- 
tulé «  Le  tournant  des  relations  anglo-allemandes  ».  En  ce  qui  con- 
cerne plus  particulièrement  la  France,  plusieurs  chapitres  sont  consa- 
crés à  sa  politique  allemande,  et  un  long  appendice  au  tome  XIII 
(pp.  285-342)  donne  une  série  de  pièces  relatives  à  l'affaire  Dreyfus 
de  1896  à  1899. 

III.  —  L'abondance  de  ces  publications  nouvelles  a  coïncidé  avec  une 
recrudescence  de  la  campagne  allemande  contre  la  Schùldliige,  le  «  men- 
songe des  responsabilités  ».  Il  faut  remarquer  qu'avant  même  la  Con- 
férence de  Londres,  le  projet  de  rejeter  par  une  déclaration  publique 
l'article  231  du  Traité  de  Versailles  était  couramment  discuté  dans 
la  presse.  Le  15  juin,  le  professeur  Thimme,  un  des  éditeurs  de  la 
collection  Die  Grosse  Polifik,  publiait  dans  le  Berliner  Tageblatt  un 
article  d'autant  plus  important  que  l'auteur  jouit  d'une  réputation  de 
conscience  et  de  modération.  Thimme  admet  parfaitement  la  nécessité 
de  la  campagne  ;  il  faut  obtenir,  dit-il,  que  l'article  231  ne  soit  plus 


CHRONIQUE  271 

interprété  comme  impliquant  une  responsabilité  morale  de  l'Allemagne, 
et  que  la  note  du  16  juin  1919,  où  les  Puissances  alliées  ou  associées 
ont  exprimé  leur  point  de  vue  sur  les  responsabilités,  soit  annulée. 
L'auteur  proposait  seulement  d'ajourner  cette  campagne  jusqu'au  prin- 
temps 1925,  —  après  achèvement  de  la  grande  publication  de  docu- 
ments. Avec  le  discours  du  député  Berndt  au  Reichstag  (25  juillet), 
les  milieux  politiques  nationalistes  élèvent  la  voix  ;  le  gouvernement, 
qui  n'a  pas  osé  poser  la  question  des  responsabilités  à  la  Conférence 
de  Londres,  est  contraint,  pour  obtenir  le  vote  des  lois  d'exécution  du 
plan  Dawes,  de  publier  une  proclamation,  dont  le  texte  a  été  repro- 
duit par  le  Temps  du  31  août  : 

«  L'aveu  qui  nous  a  été  imposé  par  le  Traité  de  Versailles,  sous  la 
pression  d'une  force  supérieure,  que  l'Allemagne  a  déchaîné  par  son 
agression  la  guerre  mondiale,  est  en  contradiction  avec  les  faits  his- 
toriques. 

«  Le  gouvernement  déclare  qu'il  ne  reconnaît  pas  cet  aveu  :  !e  peuple 
allemand  demande  avec  raison  à  être  déchargé  de  cette  fausse  accu- 
sation. Aussi  longtemps  que  cela  n'aura  pas  lieu,  et  qu'un  membre  de 
la  Communauté  des  peuples  sera  traité  de  criminel  envers  l'humanité, 
il  ne  sera  pas  possible  de  réaliser  une  vraie  entente  entre  les  peuples. 

«  Le  Gouvernement  portera  cette  déclaration  à  la  connaissance  des 
gouvernements  étrangers.  » 

C'est  cette  notification  aux  gouvernements  étrangers,  annoncée,  puis 
démentie,  qui  a  alimenté,  à  la  suite  des  interventions  des  ambassa- 
deurs français,  belge  et  anglais  auprès  de  la  Wilhemstrasse,  la  polé- 
mique quotidienne  des  journaux  allemands. 


L'Assemblée  générale  de  la  Société  de  l'Histoîi-e  de  la  Guerre. 

La  Société  a  tenu  son  assemblée  annuelle  le  27  juin  1923,  dans  une 
des  salles  de  la  Bibliothèque-Musée  de  la  Guerre,  sous  la  présidence 
de  M.  André  Honnorat,  assisté  de  AL  Maurice  Bo.mpard,  vice-pré- 
sident. 

M.  Georges  Bourdon,  secrétaire  général,  a  donné  lecture  du 
rapport  suivant  : 

Mes  chers  Collègues, 
j'ai  en  premier  lieu  le  devoir  de  saluer,  au  nom  de  notre  Société,  la 
mémoire  du  général  Malleterre.  Dès  l'origine,  ce  valeureux  soldat  avait 
été  des  nôtres,  et  nous  avions  pensé  nous  honorer  en  lui  faisant  une 
place  dans  notre  Conseil  d'administration.  Pour  tout  dire,  il  ne  l'oc- 
cupa que  nominalement  ;  mais  nous  savions  que  son  poste  aux  Inva- 
lides, où  il  avait  succédé  à  son  beau-père,  le  général  Niox,  ses  travaux, 
ses  articles,  la  gêne  physique  à  laquelle  le  réduisait  une  cruelle  bles- 
sure, expliquaient  trop  bien  ses  absences  pour  que  nous  puissions 
lui  en  tenir  rigueur,  et  nous  nous  bornions  à  souhaiter  que  le  temps 
vînt  bientôt  où  il  lui  fût  loisible  de  se  mêler  à  nos  travaux.  C'est  la 
mort  qui  se  présenta.  Déjà  il  l'avait  vue  de  tout  près  sur  le  champ 
de  bataille  ;  mais,  ce  jour-là,  elle  s'était  satisfaite  de  n'emporter  qu'une 


2r;2  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

partie  de  lui-même,  et,  dédaignant  cet  intrépide  colonel  d'infanterie, 
elle  l'avait  laissé  avec  un  membre  de  moins  et  deux  étoiles  de  plus.  Il 
le  lui  fallait  général,  et  c'est  dans  son  lit  qu'elle  est  venue  le  prendre. 

Le  général  Malleterre  s'était  donné  à  la  tâche  d'expliquer  et  de 
vulgariser  les  événements  les  plus  mémorables  de  la  guerre.  Il  le  fai- 
sait en  style  direct,  dans  une  langue  claire  et  entraînante,  et  il  semblait, 
à  le  lire,  qu'il  ne  fût  point  de  fait  capable  de  résister  à  son  optimisme 
résolu,  qui  n'était  que  l'expression  civique  de  son  patriotisme.  Nous 
garderons  fidèlement  le  souvenir  de  ce  glorieux  collègue. 

Pour  le  remplacer  au  Conseil  d'Administration,  nous  avons  fait  appel 
à  la  collaboration  d'un  soldat  qui  est  un  historien  éminent,  M.  le  colo- 
nel Reboul,  ancien  chef  du  Service  historique  de  l'armée.  Nous  avons 
aussi  profité  de  ce  que  la  porte  s'entr'ouvrait  pour  inviter  à  la  franchir 
l'un  des  collaborateurs  qui  servent  le  mieux  cette  maison,  M.  Charles 
Appuhn,  chef  de  la  section  allemande  à  la  Bibliothèque  de  la  Guerre, 
et  pour  le  prier  d'occuper  parmi  nous  l'une  des  places  qui  y  sont 
demeurées  vacantes.  Nous  ne  doutons  point  que  l'Assemblée  générale, 
à  qui  tout  à  l'heure  seront  soumis  l'un  et  l'autre  de  ces  choix,  ne  nous 
approuve  de  les  avoir  faits. 


Avant  d'en  venir  à  l'objet  même  de  l'activité  de  notre  société,  vous 
ne  refuserez  pas  à  son  secrétaire  général  le  plaisir  de  vous  signaler 
les  importants  progrès  qui  marquent  sa  croissance  continue. 

En  premier  lieu,  le  nombre  de  ses  membres  s'est  notablement  aug- 
menté. Depuis  l'assemblée  générale  de  l'an  dernier,  nous  avons  en  effet 
enregistré  l'admission  de  17  membres  fondateurs,  129  membres  titu- 
laires, 1  membre  adhérent,  soit,  au  total,  147  membres  nouveaux. 

Ce  chiffre  de  129  membres  titulaires  appelle  quelques  explications. 
Il  est  formé,  pour  une  portion,  par  la  mutation  de  34  membres  adhé- 
rents (payant  5  francs)  qui,  sur  une  circulaire  pressante  —  et  d'ailleurs 
tort  indiscrète  —  que  nous  leur  avons  délibérément  adressée,  ont  con- 
senti à  devenir  titulaires  et  à  payer  vingt  francs,  cotisation  bien  mo- 
deste, si  l'on  met  en  regard  la  valeur  marchande  des  publications  qui, 
chaque  année,  leur  sont  adressées. 

La  seconde  portion  est  constituée  par  un  bloc  de  76  adhésions  qui 
nous  sont  venues  —  vous  ne  le  devineriez  pas  —  de  Pondichéry.  Nous 
les  devons  à  la  bonne  et  active  propagande  de  M.  René  Poulhès,  con- 
seiller à  la  Cour  de  cette  vieille  possession  française,  et  nous  avons  à 
cœur  de  lui  en  exprimer  publiquement  notre  gratitude.  En  ces  temps 
olympiques,  le  vieil  olympionique  que  j'ai  jadis  rêvé  d'être  peut  bien, 
sans  risquer  de  manquer  à  la  gravité  de  cette  séance,  rendre  à  M.  René 
Poulhès  cet  hommage  qu'il  a,  sans  qu'il  s'en  doutât,  battu  tous  les 
records.  C'en  est  un  que  d'avoir  su  amener  à  nous,  au  prix  d'un  fabu- 
leux périple,  la  côte  de  Coromandel.  C'en  est  un  autre,  et  qui  appelle 
une  prompte  réplique  du  plus  infatigable  des  recruteurs,  du  recruteur- 
type,  —  que  notre  président  ne  nous  permettrait  pas  de  nommer  en  sa 
présence,  —  que  de  coucher  d'un  coup  sur  nos  listes  76  membres  nou- 


CHRONIQUE  273 

veaux.  11  en  est  un  enfin  qui  ne  semble  pas  près  d'être  battu  :  celui 
d'avoir  fourni  au  registre  des  admissions  un  nom  quasi  kilométrique, 
car  notre  honorable  collègue,  qui  est  deux  fois  le  bienvenu,  M.  Sou- 
prayasambassivamchetty,  l'un  des  plus  estimés  avocats  du  barreau  de 
Fondichéry,  ne  nous  en  voudra  pas  d'observer  que,  sur  le  ring  ono- 
mastique, il  a  toutes  chances  de  demeurer  vainqueur,  non  pas  aux 
points,  mais  aux  lettres,  puisque  son  nom  en  compte  vingt-cinq. 

Au  salut  que  je  leur  envoie  au  nom  de  notre  Société,  nos  collègues 
de  Pondichéry  sentiront  à  quel  point  nous  sommes  touchés  que  notre 
œuvre  éveille,  jusqu'aux  rivages  des  Indes,  des  sympathies  pareille- 
ment actives.  Rappelons-nous  que  les  premières  ressources  qui  nous 
ont  permis  de  nous  constituer  et  de  faire  face  à  nos  premiers  frais 
nous  sont  venues  du  Mexique.  Notre  travail  est  utile  et  notre  œuvre 
est  bonne,  puisqu'elle  retentit  au  loin  en  des  cœurs  français,  et  qu'à 
travers  l'espace,  de  latitude  en  latitude,  des  compatriotes  se  lèvent 
pour  nous  envoyer  leur  encouragement  et  leur  aide  et  nous  prouver 
qu'ils  n'entendent  pas  quitter  le  service  de  la  mère-patrie,  dans  la  paix 
non  plus  que  dans  la  guerre,  ni  se  désintéresser  des  labeurs  scientifiques 
destinés  à  perpétuer  le  prestige  de  son  intelligence. 

La  seconde  nouvelle  heureuse  que  j'ai  à  vous  apprendre,  c'est  que, 
parvenus  enfin  au  terme  de  longues  négociations,  nous  sommes  à  la 
veille  d'obtenir  pour  notre  société  la  reconnaissance  d'utilité  publique. 
Nous  espérions  pouvoir  vous  apporter  aujourd'hui  le  décret  qui  nous 
la  conférera  ;  mais  il  ne  sera  rendu  que  dans  quelques  jours,  en  con- 
formité de  la  décision  qui  sera  prise  par  l'assemblée  générale  du 
Conseil  d'Etat,  et  nous  sommes  en  droit  de  considérer  la  question 
comme  virtuellement  résolue. 

C'est  l'aboutissement  d'un  dessein  qui  est  né  avec  la  Société  de 
l'Histoire  de  la  Guerre.  Elle  ne  réalisera  son  objet  que  dans  la  limite 
de  ses  ressources,  et  il  nous  a  paru,  dès  le  début,  indispensable  qu'elle 
soit  en  droit  de  recevoir  les  donations  et  les  legs  qui,  en  lui  consti- 
tuant un  patrimoine,  lui  permettront  de  donner  à  son  action  toute 
l'ampleur  qui  convient.  Au  moment  où  s'achèvent  ces  négociations  qui, 
pour  avoir  été  longues,  n'en  furent  pas  moins  faciles  et  agréables, 
nous  devons  rendre  hommage  du  succès,  pour  une  part,  à  notre  éminent 
collègue,  M.  le  conseiller  d'Etat  Bruman,  qui  sut  être  auprès  de  ses 
collègues,  chaque  fois  qu'il  le  fallut,  l'interprète  le  plus  autorisé  de  nos 
désirs,  et,  pour  l'autre  part,  à  notre  président,  M.  André  Honnorat, 
dont  les  interventions  personnelles  ont  bien  souvent  facilité  les  pour- 
parlers et  accéléré  les  solutions. 


Voilà  donc,  Messieurs,  la  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre  désor- 
mais pourvue  de  ses  instruments  de  travail.  Le  nombre  de  ses  membres 
est  en  augmentation  continue  ;  sa  caisse  est  légalement  ouverte  aux 
libéralités  de  quiconque  aura  le  désir  de  coopérer  à  son  effort  ;  de 
sûrs  dévouements  lui  sont  acquis  ;  des  collaborations  éclairées  ne  ces- 

20 


^^,  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

sent  de  travailler  à  sa  prospérité  ;  et  vous  saurez  tout  à  l'heure,  par 
le  rapport  du  trésorier,  que  l'état  de  ses  finances  n'a  rien  d'alarmant. 
C'est  plus  qu'il  n'en  faut  pour  affermir  notre  confiance  en  elle.  Au 
surplus,  s'il  est  vrai  que  la  reconnaissance  d'utilité  publique  est  de 
nature  à  lui  mettre  en  main  des  moyens  d'action  accrus,  vous  savez 
aussi  qu'elle  ne  les  a  point  attendus  pour  se  manifester.  Sa  part  est 
déjà  belle.  Cette  année  encore,  il  vous  est  permis  de  considérer  avec 
assez  de  fierté  l'ensemble  des  publications  qu'elle  a  entreprises. 

Voilà  quinze  mois  que  paraît,  chaque  trimestre,  la  Revue  d'Histoire 
de  la  Guerre  Mondiale.  Je  vousf  disais,  l'an  dernier,  qu'instruits  par  une 
double  expérience  antérieure,  qui  n'avait  pas  été  favorable,  nous 
avions  fait  en  sorte,  cette  fois,  que  l'existence  de  cette  publication  fût 
assurée,  et  l'événement  prouve  que  ce  n'était  pas  un  vain  propos.  La 
Revue,  dont  M.  Camille  Bloch  est  le  directeur,  et  M.  Pierre  Renouvin 
le  rédacteur  en  chef,  présente,  par  le  sérieux  et  la  variété  de  ses 
matières,  par  la  compétence  et  le  talent  de  ses  rédacteurs,  un  intérêt 
chaque  fois  renouvelé.  Déjà  elle  fait  autorité.  Elle  constitue  l'organe 
indispensable  d'une  société  telle  que  la  nôtre,  et  elle  est  appelée  à  se 
développer  à  mesure  que  celle-ci  s'étendra  et  grandira  elle-même. 

Fidèles  à  notre  rôle,  qui  est  essentiellement  de  collaborer  à  l'œuvre 
des  Bibliothèque  et  Musée  de  la  Guerre,  nous  continuons  la  publication 
mensuelle  du  Bulletin  de  Documentation  internationale,  qui  constitue, 
pour  les  historiens  et  les  travailleurs  du  monde  entier,  une  source  quasi 
unique. 

C'est  aussi  notre  société,  vous  le  savez,  qui  a  entrepris  la  publication 
de  ces  Catalogues  méthodiques  qui  font  tant  d'honneur  à  la  direction 
et  au  personnel  de  la  Bibliothèque  de  la  Guerre,  et  qui  pourraient  être 
proposés  en  exemple  à  toutes  les  bibliothèques  publiques.  Je  vous 
rappelle  que  les  l;ois  volumes  du  Catalogue  méthodique  du  fonds  alle- 
mand, établis  par  MM.  Jean  Dubois  et  Charles  Appuhn,  ont  antérieure- 
ment paru.  Cette  année,  ils  sont  complétés  par  un  quatrième  volume 
de  154  pages,  qui  comporte  la  Table  alphabétique,  due  au  patient 
travail  de  M""  Hélène  Boilet  et  Marguerite  Alexandre.  Ainsi  est 
achevé  ce  remarquable  ouvrage,  qui  est  un  monument  d'érudition,  et 
qui,  à  notre  connaissance,  n'a  pas  son  pareil  dans  le  monde  scien- 
tifique. 

De  la  même  manière,  nous  avons  publié  le  Catalogue  du  forids 
italien,  un  fort  vc'.iime  de  468  pages,  rédigé  par  M.  Paul-Henri  Michel, 
chef  de  la  section  italienne  à  la  Bibliothèque  de  la  Guerre,  et  ce  Cata- 
logue, qui  atteste,  pour  sa  part,  la  richesse  des  collections  de  la 
Bibliothèque,  ne  le  cède  point  en  intérêt  à  ses  devanciers. 

Voici  maintenant  des  ouvrages  qui  ne  sont  plus  des  suites  de  séries, 
mais  qui  offrent  un  caractère  nouveau.  Je  veux  parler  de  deux  petits 
livres  écrits  par  M.  André  Honnorat.  Petits  par  le  format,  mais  consi- 
dérables par  leur  objet,  par  l'abondance,  le  groupement,  l'authenticité 
des  textes,  par  l'excellence  et  la  sûreté  des  commentaires  qui  expliquent 
et  relient  les  documents,  le  premier  sur  la  Sécurité  de  la  France,  le 
second  sur  le  Désarmement,  deux  sujets  qui  resteront,  hélas  !  au  pre- 
mier rang  des  soucis  nationaux  aussi  longtemps  que  l'Allemagne  se 


CHRONIQUE  275 

refusera  à  l'exécution  loyale  du  Traité  qu'elle  a  signé,  mais  qui  sont 
particulièrement  aujourd'hui,  pour  employer  le  jargon  courant,  de  l'ac- 
tualité la  plus  pressante,  et  que,  pour  bien  faire,  les  photographes  au- 
raient dû  nous  montrer  débordant  des  poches  des  deux  «  Premiers  » 
devisant  de  la  paix  du  monde  sur  l'herbe  anglaise. 

Nous  avons  enfin  mis  au  jour  un  ouvrage  dont  l'importance  n'est  pas 
moindre,  et  qui  a  sa  place  sur  la  table  des  hommes  d'Etat,  experts, 
historiens,  journalistes  de  tous  pays,  un  gros  volume  de  539  pages, 
laborieusement  édifié  par  M.  Germain  Calmette,  lui  aussi  l'un  des 
meilleurs  collaborateurs  de  la  Bibliothèque  de  la  Guerre,  et  qui  porte 
ce  titre  immense  et  redoutable  :  Recueil  de  Documents  sur  l'histoire 
de  la  Question  des  Réparations  (de  1919  au  5  mai  1021).  Kaléidoscope 
historique  où  l'on  voit  défiler  conférences,  rencontres,  conversations, 
négociations,  déceptions,  tout  le  vain  et  intarissable  verbiage  diplo- 
matique qui  fut,  pour  ainsi  dire,  depuis  que  la  paix  a,  dit-on,  succédé  à 
la  guerre,  l'unique  payement  des  alliés. 

Je  note  enfin  pour  mémoire  que  notre  Société  a  accordé  son  patro- 
nage à  un  volume  qui  va  paraître  sous  peu,  la  Ville  de  Tours  pendant 
la  guerre,  et  qui  a  pour  auteur  M.  Michel  Lhéritier. 

Voilà,  pensons-nous,  un  ensemble  Iionorabie  et  qui  atteste  une  acti- 
vité assez  méritoire.  Et,  l'œuvre  d'hier  à  peine  achevée,  l'œuvre  de 
demain  attend  son  tour.  M.  André  Honnorat  veut  bien  travailler  à  un 
troisième  ouvrage,  d'une  conception  analogue  à  celle  des  deux  pre- 
miers, cette  fois  en  collaboration  avec  MM.  Pierre  Renouvin  et  Ger- 
main Calmette,  sur  la  question  des  Dettes  interalliées.  Sécurité, 
désarmement,  dettes  interalliées,  réparations,  ne  sont-ce  pas  les  quatre 
côtés  du  carré  au  centie  duquel  s'élaborent  le  destin  de  notre  pays 
et  la  paix  de  l'univers  ! 

Dans  l'année  qui  commence,  paraîtra  aussi  le  premier  des  quatre 
volumes  du  docteur  Richard  Grelling,  l'auteur  de  J'accuse,  qui  vous 
furent  annoncés  l'an  dernier  :  La  Campagne  innocentiste  en  Allemagne. 
Nous  publierons  encore  le  Catalogue  du  fonds  anglais  de  la  Biblio- 
thèque de  la  Guerre,  dont  la  rédaction  se  poursuit  et  dont  le  manuscrit 
sera  prêt  en  septembre.  Plus  tard,  viendra  le  Catalogue  du  fonds  russe. 
L'on  sait  que  la  documentation  russe  de  la  Bibliothèque  est  particu- 
lièrement abondante  et  variée,  et  je  puis  vous  annoncer  que  les  docu- 
ments sur  la  période  bolchéviste  qui  avaient  été  rassemblés  à  notre 
intention,  et  dont  je  vous  disais,  dans  mon  dernier  rapport,  que  nous 
cherchions  à  les  faire  venir  de  Russie,  nous  sont  enfin  parvenus.  Ils 
sont  contenus  dans  deux  grandes  caisses  et  consistent  en  journaux, 
en  revues,  en  Bulletins  de  Commissariats,  etc.,  dont  le  dépouillement 
et  le  classement  se  poursuivent.  Un  ancien  ministre  des  cadets, 
M.  Milioukoff,  me  disait  récemment  qu'il  avait  été  frappé  de  la  richesse 
de  la  section  russe  de  la  Bibliothèque  :  la  documentation  nouvelle  dont 
je  parle  y  ajoute  encore. 


276  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


J'ai  hâte,  bien  qu'il  n'y  paraisse  guère,  d'en  venir  à  l'événement  que 
nous  considérons  comme  capital  dans  l'histoire  de  notre  Société  et  de 
la  Bibliothèque,  au  cours  de  l'année  écoulée. 

Fondée  en  pleine  guerre,  née  de  la  conjonction  d'une  initiative 
parlementaire  de  M.  André  Honnorat  et  d'une  pensée  munificente  de 
M.  et  de  M"'  Henri  Leblanc,  riche,  dès  le  principe,  des  magnifiques 
collections  de  tout  ordre  réunies  par  ceux-ci,  cette  institution  nationale 
a  reçu,  tout  naturellement,  le  titre  de  «  Bibliothèque  et  Musée  de  la 
Guerre  »,  et  cette  dénomination,  inscrite  dans  l'acte  de  donation,  ne 
saurait,  à  quelque  moment  que  ce  soit,  être  modifiée.  Mais  dès  le 
début  aussi,  il  est  apparu  qu'elle  fixait  à  l'activité  de  l'institution  des 
limites  exagérément  étroites,  et  l'expérience  n'a  pas  cessé  de  démon- 
trer, jour  à  jour,  avec  une  force  croissante,  qu'étudier  les  problèipes 
nés  de  la  guerre,  c'était  nécessairement,  sous  peine  de  faire  œuvre 
incomplète  et  de  se  contenter  de  dossiers  tronqués,  en  interroger  la 
naissance  dans  le  mystère  des  conceptions  successives,  en  suivre  le 
prolongement  dans  l'histoire  d'aujourd'hui  et  de  demain,  en  poursuivre 
les  ramifications  à  travers  toutes  les  nations  de  l'humanité  diverse.  En 
réalité,  je  suis  assuré  que  le  promoteur  de  cette  institution  ne  me 
démentira  pas,  si  je  révèle  qu'au  cœur  même  de  la  guerre,  à  l'heure  oii 
il  la  créait,  sa  pensée  fut  d'en  faire  un  vaste  Institut  —  probablement 
unique  au  monde  —  de  documentation  internationale,  et,  en  fait,  par 
la  force  des  choses,  la  Bibliothèque  de  la  Guerre  s'est  trouvée,  presque 
tout  de  suite,  entraînée  à  dépasser  son  objet  primitif.  Mais  comment, 
à  cette  situation  de  fait,  conférer  ce  statut  légal  sans  lequel  tous  les 
efforts  de  son  activité  risqueraient  d'être,  à  tout  instant,  entravés  ? 
C'est  à  la  solution  de  cette  question  que  votre  Conseil  d'administration, 
agissant,  il  va  de  soi,  en  parfait  accord  avec  l'éminent  directeur  de 
la  Bibliothèque,  s'est  de  son  mieux  employé.  Je  vous  étonnerais  bien, 
si  je  ne  révélais  qu'en  cette  nouvelle  occurrence,  c'est  encore  la  main 
vigilante  et  experte  de  notre  président  qui  a  su,  au  moment  convenable, 
tantôt  susciter  les  événements,  tantôt  leur  imprimer  la  direction  qu'il 
fallait. 

11  y  a  quelques  mois,  une  personnalité  importante  de  la  société 
hollandaise  s'en  allait  trouver  le  ministre  de  France  à  la  Haye  et  lui 
remettait  un  chèque  de  75.000  francs  en  le  priant  de  le  faire  parvenir 
à  M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique,  à  Paris.  Saluons  chaleureu- 
sement ce  fils  généreux  de  la  sérieuse  Amsterdam,  dont  la  discrétion 
ne  souffre  pas  que  son  nom  soit  ici  prononcé.  La  Hollande  nous 
gâte  :  vous  n'avez  pas  perdu  le  souvenir  qu'il  y  a  une  année,  en  ce 
même  lieu,  en  de  pareilles  circonstances,  je  vous  invitais  déjà  à  rendre 
hommage  à  un  compatriote  de  celui  que  je  ne  puis  nommer,  M.  Ci- 
troën, dont  une  contribution  généreuse  était  venue  enrichir  la  caisse 
de  notre  société.  Nous  évoquions  tout  à  l'heure  avec  émotion  ces 
Français  des  terres  lointaines  en  qui  leurs  racines  nationales  pous- 
sent sans  cesse  de  vivaces  rameaux  et  dont  la  fraternelle  pensée  ne 
manque  jamais  une  occasion  de  faire  le  pèlerinage  de  la  terre  natale. 


CHRONIQUE  277 

Mais  que  dire  de  ces  étrangers  qui,  par  amour  désintéressé  de  notre 
pays,  apportent  ainsi  aux  nobles  œuvres  qu'il  a  entreprises  le  concours 
généreux  de  leur  fortune  avec  tout  l'élan  du  cœur  dont  ils  sont  ca- 
pables ? 

En  remettant  ce  chèque  au  représentant  de  la  France,  M.  X... 
assignait  pour  destination  à  sa  libéralité  qu'elle  serait  employée  au 
bénéfice  des  Bibliothèque  et  Musée  de  la  Guerre  ;  et  c'est  vers  nous, 
Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre,  que  M.  Léon  Bérard  s'empressa, 
aussitôt  qu'il  en  fut  touché,  de  dériver  ce  Pactole  hollandais.  Dès  lors, 
une  petite  négociation,  du  récit  de  laquelle  je  vous  ferai  grâce,  s'en- 
gagea entre  le  ministre  et  nous,  et  finalement  intervint  un  accord,  en 
tous  points  conforme  à  notre  programme  initial,  conforme  aussi,  je 
dois  le  faire  connaître,  à  l'intention  qui  était  celle  du  donateur,  au 
moment  où  il  accomplissait  sa  bienfaisante  démarche.  De  cette  entente, 
voici  les  termes.  Il  est  convenu  que  la  somme  de  75.000  francs  versée 
par  M.  X...  sera  employée  en  rentes  4  %,  dont  les  arrérages,  perçus 
par  nous,  seront  versés  par  nos  soins  au  ministre  de  l'Instruction 
publique,  lequel,  conformément  aux  exigences  de  la  comptabilité  pu- 
blique, les  inscrira  chaque  année  au  budget  des  Bibliothèque  et  Musée 
de  la  Guerre,  au  titre  de  «  fonds  de  concours  >. 

Jusqu'ici  rien  que  de  simple  et  de  normal.  Mais  voici  la  conclusion, 
qui  aboutit  à  une  création  d'importance  essentielle.  Ce  «  fonds  de 
concours  »  mis  annuellement  à  la  disposition  de  la  Bibliothèque,  il 
est  stipulé  qu'il  aura  pour  objet  d'y  servir  à  la  constitution  d'un  Office 
de  documentation  internationale  contemporaine.  Dès  lors,  l'institution 
créée  en  1917  ne  sera  plus  seulement  «  Bibliothèque  de  la  Guerre  »  ; 
elle  sera  cela  aussi,  et,  pratiquement,  cette  innovation  s'exprimera  aux 
yeux  de  la  manière  suivante  :  à  Vincennes,  sur  la  porte  du  nouveau 
logis  de  ces  incomparables  collections,  une  double  inscription,  faite  sur 
la  même  ligne,  indiquera  que  c'est  là  l'entrée,  d'un  côté,  des  Biblio- 
thèque et  Musée  de  la  Guerre,  de  l'autre,  de  VOffice  de  documentation 
internationale  contemporaine. 

Evolution  importante,  évolution  nécessaire,  et  dont  vous  sentez  bien 
qu'elle  est  autre  chose  qu'un  arrangement  de  mots.  Elle  marque  le 
plein  accomplissement  de  la  destinée  de  cette  maison  qui,  entre  les 
mains  qui  la  dirigent,  est  appelée  à  devenir  ce  pourquoi  elle  fut  créée, 
un  véritable  Bureau  de  documentation  de  toutes  langues  sur  toutes  les 
matières  qui  touchent  à  la  vie  des  peuples,  c'est-à-dire  un  instrument 
de  recherche  historique  et  scientifique  qui  n'aura  pas  son  pareil  dans 
l'univers  pensant,  et  à  qui  nous  devons  souhaiter  que  les  crédits  ne 
soient  pas  trop  chichement  mesurés.  Dans  cet  élargissement  salutaire 
de  sa  fonction  première,  vous  voyez  quel  fut  le  rôle  de  votre  société. 
C'est  sa  fierté  d'en  avoir  été  l'ouvrière,  et  ce  sera  son  devoir  de  ne 
point  oublier  qu'elle  en  a  reçu  de  Hollande  les  moyens. 


Mes  chers  collègues,  je  viens  de  nommer  Vincennes,  et  c'est  le 
moment,  au  terme  de  ce  rapport,  dont  je  vous  prie  d'excuser  l'indis- 
crète dimension,  de  dire  adieu  à  cette  maison  de  la  rue  du  Colisée  où, 
pour  la  dernière  fois,  nous  nous  rassemblons. 


278 


HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 


C'est  ici  qu'au  sortir  de  l'appartement  de  M.  et  M"*  Henri  Leblanc, 
avenue  de  Malakoff,  se  sont  installés  la  Bibliothèque  et  le  Musée  de 
la  Guerre.  C'est  ici,  dans  un  espace  dès  le  premier  jour  trop  restreint, 
que  se  sont  entassées  et  développées  des  collections  dont  on  n'aper- 
cevra que  demain,  à  travers  les  vastes  salles  du  vieux  château,  la 
magnifique  et  abondante  richesse.  C'est  ici  que  M.  Camille  Bloch  et  le 
bataillon  de  collaborateurs  de  choix  qu'il  a  su  réunir  ont,  durant  plus 
de  six  ans,  lutté  non  seulement  contre  les  difficultés  d'une  tâche  qu'ils 
étaient  capables  de  dominer,  mais  aussi  contre  l'étreinte  de  murailles 
entre  lesquelles  ils  étaient  menacés  d'étouffement.  C'est  ici  que,  dans 
l'été  de  1918,  nous  avons  entendu  le  bruit  morne  des  marteaux  clouant 
des  caisses  qui,  un  peu  plus,  prenaient  le  train  non  pour  Vincennes, 
mais  pour  Bordeaux.  Et  c'est  ici  que  notre  Société  est  née... 

Réjouissons-nous  que  l'oeuvre  grandiose  créée  en  1917  puisse  enfin 
s'épanouir  dans  un  cadre  digne  d'elle  ;  mais  n'oublions  pas  la  petite 
maison  de  la  rue  du  Colisée,  oîi  le  talent,  la  méthode  et  la  foi  ont  su 
accomplir  de  grandes  choses. 

En  l'absence  de  M.  Louis  Monnier,  trésorier,  retenu  loin  de  Paris, 
lecture  a  été  donnée  du  rapport  financier  qu'il  avait  préparé. 


Messieurs, 
Les  comptes  de  l'exercice  1923  se  présentent  de  la  manière  suivante 


RECETTES 

Fr. 

Solde  en  caisse  au  31 
décembre  1922 36.617  40 

Encaissement  de  coti- 
sations          3  •  5  3  S     » 

Rachat  de  cotisations 
et  souscriptions  de 
Membres  Fondateurs       52.000     » 

Intérêts  des  Bons  du 
Trésor 4. 3 27  50 

Intérêts      du     compte 

courant 38  20 

Versement  du  Trésor 
Public  pour  exem- 
plaires de  nos  cata- 
logues        24.253  25 

Souscriptions  ano- 
nymes          I   000     » 

Toul 121. 771   35 


DÉPENSES 

Fr. 

Frais  du  Siège  social  y 
compris  les  menus 
frais  de  Banque 
(S4fr.85^ 4.178  85 

Impressions  diverses..       68.767   10 

Versement  à  l'Univer- 
sité de  Paris,  pour 
création  d'un  ensei- 
gneiDcnt  d'Histoire 
de  la  Guerre 20.000    » 

Transport  des  collec- 
tions russes . .         i .  779  40 

Achat  de  Bons  du  Tré- 
sor 6  0/0 24.988     » 

Solde  au  31  décembre 

1923  2.058     » 

Total 121. 771   35 


CHRONIQUE  279 

Notre  actif  au  31  décembre  se  composait  donc,  outre  les  fonds  en 

caisse,    soit     Frs  2.058 

de  : 

100  bons  du  Trésor  6  %  1922,  à  3  ou  5  ans,  de Frs     500 

chacun 
et  de  : 

Frs  40.000       Bons  de  la  Défense  Nationale  à  6  mois. 

Comme  vous  l'aurez  certainement  remarqué,  les  dépenses  du  Siège 
Social  ont  été  beaucoup  plus  importantes  cette  année  que  les  précé- 
dentes, conséquence  naturelle  du  développement  de  l'activité  de  notre 
Société  et  surtout  de  l'augmentation  des  frais  de  port. 

Ces  frais  sont,  en  particulier,  considérables  pour  les  envois  de  livres 
à  l'étranger,  et  comme  nous  avons  été  amenés  à  en  expédier  un  nombre 
important,  nous  avons  eu  un  très  gros  débours  de  ce  chef. 

Nos  impressions  se  décomposent  de  la  manière  suivante  : 

Frs    8.000       pour  la  Revue  d'Histoire  de  la  Guerre, 

Frs  37.500  pour  les  Tableaux  d'histoire  (pour  les- 
quels nous  avons  eu  par  avance  l'an- 
née dernière  une  rentrée  équivalente), 

Frs  23.000      environ,  pour  le  catalogue  allemand  (dont 

la  contre-partie  figure  à  nos  recettes). 

Le  versement  à  l'Université  de  Paris  que  nous  avons  fait  cette  année 
est  le  second  et  le  dernier  pour  la  création  d'un  enseignement  de  l'His- 
toire de  la  Guerre,  qui  doit  durer  dix  ans. 

Dans  le  total  des  rachats  de  cotisations,  figure  la  somme  de  : 

Frs  25.0(X)  premier  versement  de  notre  ami  hollan- 
dais, auquel  nous  ne  saurions  être  trop  reconnaissants  de  cette  mar- 
que de  sympathie  et  d'intérêt. 

Les  cotisations  de  cette  année  sont  rentrées  beaucoup  plus  réguliè- 
rement que  celles  de  l'année  dernière,  et  le  nombre-  de  nos  membres  a 
augmenté. 

Nous  aimons  à  espérer  qu'il  en  sera  de  même  en  1924,  et  que  le  but 
et  le  travail  si  consciencieux  et  si  utile  de  notre  Société  attireront  de 
plus  en  plus  vers  nous  les  sympathies  de  ceux  qui  s'intéressent  aux 
destinées  de  notre  pays. 

Après  avoir  approuvé  à  l'unanimité  les  termes  de  ces  rapports, 
l'Assemblée  a  procédé  aux  élections  au  Conseil  d'Administration.  Les 
membres  sortants  :  Mgr  Baudrillart,  MM.  AULARD,  MARCEL  BAR- 
RIÈRE, Georges  Bourdon,  François  Carnot,  Chapuisat,  le  comman- 
dant Denfert-Rochereau,  le  Colonel  Desbrière,  l'Amiral  Favereau, 

GUGLIELMO     FERRERO,     CHARLES     GiDE,     GABRIEL     HANOTAUX,     HENRI 

Licmtenberger,  Louis  Monnier,  Paul  Raphaël,  ont  été  réélus  à  l'una- 
nimité. L'Assemblée  a  ratifié,  en  outre,  la  nomination  de  MM.  le  Colonel 
Reboul  et  Charles  Appuhn,  désignés  en  cours  d'année  par  le  Conseil. 
Enfin,  M.  Charles  Appuhn,  chef  de  la  section  allemande  à  la  Biblio- 


28o  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

thèque-Musée  de  la  Guerre,  a  bien  voulu  présenter  une  communication 
très  applaudie  intitulée  :  L'Allemagne  jugée  par  un  Allemand. 

La  reconnaissance  d'utilité  publique  de  la  Société. 

En  vertu  d'une  décision  de  l'Assemblée  générale,  prise  le  28  juin  1923, 
les  délégués  de  la  Société  avaient  reçu  mandat  de  poursuivre  devant  le 
Conseil  d'Etat  la  reconnaissance  d'utilité  publique.  Ces  démarches 
viennent  d'aboutir  à  un  résultat  favorable.  Par  décret  du  8  juillet  1924, 
la  Société  de  l'Histoire  de  la  Guerre  a  été  reconnue  comme  établisse- 
ment d'utilité  publique.  Les  membres  de  la  Société  recevront,  avant 
la  fin  de  l'année,  un  exemplaire  des  statuts,  tels  qu'ils  ont  été  approuvés 
par  le  Conseil  d'Etat. 

Le  transfert  de  la  Bibliothèque  et  du  Musée  de  la  Guerre  au  Château 
de  Vincennes. 

La  Bibliothèque  et  le  Musée  de  la  Guerre  viennent  enfin  d'être  trans- 
férés au  château  de  Vincennes  (Pavillon  de  la  Reine).  Ce  transfert,  qui 
leur  assure  une  installation  définitive,  a  été  prescrit  par  un  décret  inter- 
ministériel du  27  novembre  1920,  qui  attribuait  au  ministère  de  l'ins- 
truction publique  trois  admirables  monuments  de  l'architecture  mili- 
taire, religieuse  ou  civile  compris  dans  le  château  de  Vincennes,  savoir 
le  Donjon,  la  Chapelle  et  le  Pavillon  de  la  Reine,  laissés  depuis  plus 
d'un  siècle  à  la  disposition  des  services  du  ministère  de  la  guerre.  Le 
décret  de  1920  marquait  le  plein  succès  d'une  active  et  intelligente 
campagne  entreprise  par  la  Municipalité  de  Vincennes  avec  l'appui  de 
plusieurs  groupements  autorisés  comme  la  Société  des  Amis  de  Vin- 
cennes et  la  Société  française  d'Archéologie.  L'institution  nationale  de 
ia  Bibliothèque  et  du  Musée  de  la  Guerre,  dont  l'origine  est  due, 
comme  on  sait,  à  la  .généreuse  fondation  faite  en  1918  par 
M.  et  M"*  Henri  Leblanc,  a  maintenant  une  demeure  assurée,  demeure 
imposante  et  parée  du  prestige  des  souvenirs  de  huit  siècles  d'histoire 
de  France. 

L'affectation  du  Pavillon  de  la  Reine  à  la  Bibliothèque  et  au  Musée 
de  la  Guerre  se  heurta  d'abord  à  une  objection  très  sérieuse,  celle  de 
l'incommodité  des  relations  entre  Paris  et  Vincennes.  Mais  l'impossibi- 
lité de  trouver  dans  l'intérieur  de  la  capitale  un  immeuble  convenant 
à  la  destination  projetée  a  rendu  vaine  toute  objection.  Du  reste,  on 
a  fait  remarquer  qu'il  ne  faut  pas  plus  de  dix  minutes  de  trajet  dans 
un  des  nombreux  tramways  sortant  de  Paris  pour  atteindre  le  château 
de  Vincennes,  et  que  des  améliorations  importantes  dans  les  moyens 
de  transport  sont  annoncées  pour  une  date  assez  prochaine  :  parmi 
elles,  figure  en  particulier  le  prolongement  du  Métropolitain. 

Mais  on  peut  faire  encore  des  remarques  d'un  autre  ordre.  La  crainte 
que  la  Bibliothèque  ne  soit  pas  suffisamment  fréquentée  à  cause  de  la 
distance  de  Paris  à  Vincennes  provient  d'une  idée  fausse  sur  le  rôle 
actuel  de  cet  établissement.  Il  est  encore  trop  tôt  pour  qu'une  biblio- 


CHRONIQUE  281 

thèque  de  documentation  internationale  sur  la  guerre,  si  riche  qu'elle 
soit,  reçoive  un  grand  nombre  de  travailleurs  :  c'est  seulement  peu  à 
peu,  que,  par  l'effet  du  recul  des  événements,  le  courant  d'études  sur  la 
période  1914-1919  deviendra  fort.  D'ici  là,  Vincennes  aura  été,  comme 
on  l'a  vu,  techniquement  incorporé  à  Paris.  Actuellement,  quiconque 
aura  besoin  de  recourir  aux  collections  de  la  bibliothèque  s'imposera 
un  déplacement  qui  est,  en  somme,  dès  aujourd'hui  facile.  Cette  affir- 
mation se  fonde  sur  l'expérience  des  récente?  semaines,  c'est-à-dire 
d'un  moment  où  l'état  des  travaux  n'a  pas  même  encore  permis  la 
réouverture  officielle  de  la  salle  de  lecture.  D'autre  part,  l'organisation 
intérieure  d'un  service  d'informations  bibliographiques  données  par 
correspondance  ou  par  téléphone  suppléera  aux  légers  inconvénients 
de  la  position  topographique.  Au  vrai,  la  bibliothèque  a  été  conçue 
comme  une  sorte  d'atelier  où  un  petit  nombre  de  spécialistes,  attachés 
à  l'établissement  ou  indépendants,  recueillent,  classent,  dépouillent, 
mettent  en  œuvre  des  richesses  documentaires  pour  les  rendre  plus 
aisément  accessibles  aux  historiens,  aux  économistes,  aux  hommes 
politiques  :  ce  n'est  pas  une  bibliothèque  générale  de  lecture  courante. 
Catalogues,  bibliographies,  recueils  de  textes,  monographies,  établis 
sur  un  plan  méthodique  et  critique,  service  de  renseignements,  écrits 
ou  oraux,  telles  sont  les  caractéristiques  de  ce  qu'on  a  dès  l'origine 
appelé  un  «  laboratoire  d'histoire  ». 

Ce  laboratoire  est  appelé  à  prendre  de  nouveaux  développements  et 
à  étendre  son  activité  aux  faits  de  la  vie  internationale  d'après-guerre. 
Une  telle  extension,  qui  est  évidemment  dans  la  logique  des  choses, 
et  qui  a  été  prévue  dès  l'origine,  se  trouve  maintenant  facilitée  par  les 
libéralités  récentes  d'un  Hollandais  ami  de  la  France,  qui  ont  permis 
d'adjoindre  à  la  Bibliothèque  de  la  Guerre  un  «  Office  de  documen- 
tation internationale  contemporaine  ». 

Les  inquiétudes  qu'avait  pu  faire  naître  le  choix  de  Vincennes  pour 
l'emplacement  de  la  Bibliothèque' n'étaient  pas  justifiées  en  ce  qui 
concerne  le  Musée.  Au  contraire,  c'est  surtout  le  Musée  que  visait  la 
campagne  rappelée  aux  débuts  de  cette  note-ci.  Quand  les  travaux 
d'aménagement  seront  enfin  terminés  et  qu'il  pourra  être  ouvert  au 
public,  nul  doute  qu'il  ne  reçoive  de  très  nombreux  visiteurs.  Il  attirera 
en  tout  temps  les  touristes  français  et  étrangers  ;  il  attirera,  les 
dimanches  et  jours  de  fêtes,  la  foule  des  promeneurs  du  bois  de  Vin- 
cennes. Une  légitime  publicité  saura,  d'ailleurs,  tenir  la  curiosité  en 
haleine.  Que  les  ouvriers  ne  tardent  donc  plus  à  laisser  le  champ  libre 
aux  organisateurs  des  salles  d'exposition,  somptueux  vestiges  d'une 
habitation  qui  fut  royale  pendant  quelque  trois  siècles  ! 

Nécrologie. 

Le    colonel    DESBRièRE 

Le  présent  numéro  était  déjà  composé  lorsque  nous  avons  reçu  la 
nouvelle  de  la  mo^t,  après  une  brève  maladie,  de  notre  très  distingué 
collègue,  M.  le  colonel  Edouard  Dcsbrière,  ancien  chef  de  la  Section 
historique  de  l'armée.  C'est  une  grande  perte  pour  le  Conseil,  auquel 


282  HISTOIRE  DE  LA  GUERRE 

il  appartenait  depuis  l'origine  ;  il  fut,  d'ailleurs,  un  de  nos  premiers 
membres  fondateurs.  Il  suivait  assidûment  les  séances  du  Conseil,  et 
apportait  dans  l'examen  des  questions  et  dans  les  discussions  une 
grande  compétence  et  une  grande  courtoisie.  C'est  aussi  une  perte 
considérable  pour  la  Revue.  Il  en  était  un  des  plus  actifs  collabora- 
teurs ;  son  nom  figure  dans  chaque  numéro.  Nos  lecteurs  ont  pu 
apprécier  la  solidité  de  sa  science  d'historien  militaire,  la  variété  de 
son  information  et  la  perspicacité  de  son  esprit  critique.  Il  s'était  spé- 
cialisé chez  nous  dans  les  comptes  rendus  bibliographiques,  tâche  à 
la  fois  modeste  et  importante,  où  il  excellait  parce  qu'il  connaissait 
beaucoup  de  langues  étrangères,  aimait  la  lecture  et  avait  un  tour 
d'exposition  clair,  facile  et  vivant.  Les  travailleurs  sauront  toujours 
gré  au  colonel  Desbrière  des  renseignements  si  utiles  qui  remplissent 
ses  notices  bibliographiques,  dont  plusieurs  paraissent  encore  aujour- 
d'hui même. 

Sa  mort  nous  inspire  les  plus  vifs  regrets. 

Nous  prions  sa  veuve  et  ses  enfants  d'agréer  l'assurance  de  nos 
bien  sincères  sympathies  dans  le  deuil  qui  les  frappe. 

Camille  Bloch. 

Le  commandant  Weil 

Au  moment  où  le  numéro  précédent  de  la  Revue  était  en  cours  de 
tirage,  nous  avons  appris  la  mort  subite  de  notre  collègue  le  com- 
mandant Weil.  Il  était  un  des  membres  les  plus  actifs  de  notre  Conseil 
d'administration.  Grâce  à  sa  vive  curiosité  d'esprit  et  à  sa  complai- 
sance inlassable,  il  trouvait  le  temps,  au  milieu  de  ses  propres  travaux, 
de  s'intéresser  à  la  vie  de  la  Société.  L'étendue  de  ses  connaissances, 
la  pratique  qu'il  avait  acquise  du  travail  historique,  l'obligeance  avec 
laquelle  il  se  prêtait  toujours  aux  démarches  qui  pouvaient  faciliter 
notre  documentation,  en  faisaient  un  ami  précieux  de  notre  œuvre. 

Nous  prions  tous  les  siens  d'agréer  l'expression  de  nos  condoléances 
et  de  nos  regrets  les  plus  sincères. 

P.  R. 


Le  Gérant  :  A.  Costes 


POITIERS.  -   IMP.   MARC  TEXIER 


t' 


D 

501 
R577 
année  1-2 


Revue  d'histoire  de  la  guerre 
mondiale 


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